1997 Angleys Marie Maxence Intelligence Economique 11
1. UN APERÇU SUR L’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE
à travers les travaux du colloque du 26 février 1997
« La France en guerre économique : quelle riposte, quelles armes, quels acteurs ? »
INTRODUCTION
L’intelligence économique est devenue un sujet à la mode, en tous cas d’actualité. Les
ingénieurs des Mines ont pu s’en rendre compte, à la simple lecture des news magazines et de
la presse économique de ces derniers mois, sans même évoquer les publications spécialisées.
Aussi le présent article ne vise-t-il pas à reprendre ce qui a été déjà publié par ailleurs.
Mais il se limitera volontairement à tenter de mettre en lumière quelques points marquants
d’un récent colloque sur le sujet.
Ce colloque s’est tenu mardi 26 février 1997, dans les locaux de l’Assemblée
Nationale, à l’invitation du député Olivier Darrason, rapporteur du budget de l’armée de l’air.
Il était co-organisé par l’un des groupes parlementaires de l’Assemblée et l’ACFCI
(Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d’Industrie). L’accroche en était : « La
France en guerre économique : quelle riposte, quelles armes, quels acteurs ? »
CONTEXTE ET DÉFINITIONS
Malgré un frémissement médiatique récent, le concept d’intelligence économique (IE)
est très loin d’être clarifié et universellement accepté, d’abord parmi les « décideurs », a
fortiori dans le grand public.
La plupart des intervenants ont judicieusement d’abord tenté d’éclairer le contexte, et
ensuite proposé des définitions.
Un contexte de mondialisation, de réseaux, de croissance de l’économie de
l’immatériel, de surabondance de l’information disponible, mais aussi de guerre de
l’information a été dépeint.
Une des définitions classiques de l’IE (ou IEC : Intelligence Economique et
Concurrentielle) peut être exprimée ainsi : la capacité des entreprises ou des organisations à
maîtriser et utiliser l’information sur leur environnement concurrentiel, technologique,
économique, mais aussi social, juridique, politique et médiatique. Maîtriser l’information
s’entend dans toutes ses phases : la recueillir ou la chercher, l’analyser, la recouper et la
vérifier, en tirer les synthèses qui permettent les bonnes décisions stratégiques, enfin en
maîtriser la diffusion.
Des définitions plus imagées ont été également proposées, telles que « la capacité de
réaction aux signaux faibles », ou « l’adaptation d’un organisme en mutation à son
environnement ».
La quasi-totalité des orateurs, en particulier Jean Guisnel, journaliste au Point, auteur
d’un ouvrage dans le domaine, a tenu à souligner aussi que l’IE se différencie radicalement de
l’espionnage au sens traditionnel du terme, en ceci qu’elle travaille sur de l’information
« ouverte », c’est à dire légalement accessible. Toute utilisation de méthodes illégales ou
frauduleuses en est exclue.
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2. QUE FONT LES AUTRES NATIONS ?
Naturellement, il est intéressant d’étudier quelle est la pratique de l’IE dans différents
pays. Philippe Caduc, directeur général de l’ADIT (Agence pour la Diffusion de
l’Information Technologique), a analysé plus particulièrement le cas des Etats-Unis et du
Japon.
D’aucuns auraient pu penser que le Japon, d’une stratégie concertée d’acquisition
légale de technologies étrangères, jusqu’aux anecdotes bien connues des visites d’entreprises
où les cravates trempent accidentellement dans les cuves et les semelles de chaussures
agrippent opportunément des copeaux d’usinage, constituerait l’épouvantail (ou le modèle) du
forum. Même si ces éléments ont été évoqués, il n’en a rien été. La plupart des analyses ont
plutôt convergé pour souligner la redoutable puissance américaine en matière d’IE.
Ont été développés, parmi d’autres points :
• La stratégie de projection de puissance et de domination sur les autres nations, convertie au
début des années 90 du terrain militaire (guerre froide) au domaine civil (guerre
économique). Les ressources correspondantes (CIA, NSA, ...) ont été fortement redéployées
sur ce nouveau champ d’action.
• Un outil formidable au service de cette stratégie : le « parapluie informationnel »,
équivalent actuel du « parapluie nucléaire » en son temps. (Exemple d’application : la
couverture médiatique de la guerre du Golfe, les images fournies aux médias du monde
entier étant 100 % américaines.)
• Une forte agressivité de la doctrine américaine, avec l’emploi d’une panoplie de moyens
offensifs (la fameuse « war room ») et défensifs (loi d’Amato, ...).
• La position dominante des USA dans les technologies de l’information (maîtrise des
grandes bases de données, domination de facto sur Internet, ...), et bien des problèmes,
enjeux et risques qui y sont attachés : interception des communications, dépendance des
fournisseurs, traçabilité des requêtes (qui s’intéresse à quoi ?), diffusion restreinte (US
only).
• La domination ou le monopole de fait américain dans d’autres domaines pourrait se
transformer en menace dans un contexte de guerre de l’information. Les plus grandes
entreprises françaises ont-elles pesé les risques pris en confiant leurs données financières
et stratégiques aux cabinets d’audit et de conseil - les big six -, tous anglo-saxons ?
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3. LES ENTREPRISES FRANÇAISES
Quel est le rapport entre Aung San Suu Kyi (Prix Nobel de la Paix 1991), le World
Wild Fund for Nature (Fonds mondial pour la nature), des universités australiennes et
Internet ?
Hervé L’Huilier, directeur des moyens généraux et assistance technique chez Total, a
relaté l’expérience en cours du projet d’exploitation de gaz offshore et de construction d’un
gazoduc en Birmanie. Il a brossé un tableau saisissant des menées de différents lobbies, et des
pressions exercées sur sa société par des moyens nombreux et variés, y compris l’influence de
l’opinion publique internationale et l’appel au boycottage. Utilisant un modèle de Porter
enrichi, l’orateur a présenté une cartographie « simplifiée » des intervenants très divers et de
leurs liens (associations écologistes, Eglises, universités, forums sur Internet et spécialistes
autoproclamés, nations « amies » et néanmoins rivales, compagnies pétrolières concurrentes,
etc.).
Déplorant notre vision souvent territoriale et « XIXe siècle » de la puissance des
nations, il a appelé chercheurs, universitaires, géopoliticiens, à dresser les véritables
cartographies actuelles de la présence et des intérêts dans le monde, des Etats-Unis, de
l’Allemagne, de la France, etc. Peut-être serions-nous surpris par les enseignements à tirer de
ces « ensembles discontinus à la surface du globe » ainsi dessinés ?
D’autres témoignages, comme celui de Jean-François Barth, chargé de mission chez
Dassault Aviation, ont souligné l’importance du travail en réseau. Caractérisant l’IE comme
une « action collective de l’entreprise », ce dernier en a situé les véritables enjeux en termes
d’hommes et de culture d’entreprise, plus que d’outils et de méthodologies.
POUVOIRS PUBLICS ET CHAMBRES DE COMMERCE
S’il fallait craindre un manque d’intérêt ou de mobilisation des pouvoirs publics et du
monde consulaire dans le domaine de l’IE, nous voilà rassurés.
Devant plusieurs de ses collègues députés, Olivier Darrason a évoqué des enjeux forts
dans le contexte d’une « guerre économique » : éviter l’ « émigration clandestine du génie
français », « protéger le patrimoine », et « promouvoir la France », toutes choses au cœur de
la mission de l’homme politique.
Philippe Clerc, chargé de mission auprès du préfet régional de Basse-Normandie, a
décrit le dispositif pilote mis en place localement, insistant sur le partenariat administration-
entreprises.
Christian Daviot, conseiller technique auprès du ministre de l’Economie et des
Finances Jean Arthuis, bien que ne parlant qu’en son nom personnel, a souligné, entre autres,
les rôles de précurseur et d’impulsion de l’Etat, récusant tout monopole public ou privé de
l’IE.
Gérard Trémège, président de l’ACFCI, a affirmé l’ambition des Chambres de
Commerce : constituer la colonne vertébrale de l’offre IE en direction des entreprises,
spécialement les PME. Des initiatives ont été évoquées, comme celle du réseau RESIS, initié
par la CCI de Niort, et fédérant déjà sept Chambres de Commerce et d’Industrie.
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