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Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations
coutant.alexandre@gmail.com
Cours introduction aux théories des organisations
Définitions
Le principe de ce cours sera d’étudier l’action collective organisée pour en analyser les
logiques et donner des outils pour la comprendre et l’encadrer.
Il s’agira donc d’aborder l’organisation du travail mais aussi les rapports sociaux au sein d’un
type particulier de groupement humain qu’est l’organisation (le plus souvent marchande, mais
pas seulement).
Nous pouvons d’ores et déjà noter qu’il s’agira de sortir de pré-notions souvent associées à
l’organisation pour comprendre de manière plus précise la complexité de son fonctionnement1
et des rapports de force qui la traversent2
. L’explication par le tempérament de l’individu3
, par
des caractéristiques floues attribuées à des groupes aussi flous4
seront donc bannis. Au mieux
ceux-ci pourront être considérés comme des symptômes dont il s’agira de trouver la cause
mais certainement pas comme des explications suffisantes.
Philippe Bernoux, dans un ouvrage d’introduction [La sociologie des Organisation, Seuil],
refuse de donner une définition préalable de cette discipline, qui est toujours nécessairement
guidée par des positionnements théoriques que le lecteur débutant ne peut saisir, et propose
plutôt de lister les questions auxquelles elle est censée répondre : Comment expliquer les
comportements des individus et/ou des groupes dans des organisations ? Le but étant de faire
face à l’irrationalité et l’imprévisibilité apparente des comportements des acteurs, du plus bas
niveau hiérarchique au plus élevé.
Il donne ensuite deux exemples de cas posant questions et qui sont représentatifs de ce à quoi
la sociologie des organisations va aider à répondre.
Comment expliquer que la décision d’implanter de l’informatique de gestion dans une
entreprise de distribution, tout à fait logique et facilement justifiable auprès des membres de
1
Ce qui va à l’encontre de l’idée de l’entreprise allant de l’avant comme un seul homme par exemple :
l’organisation est un tout complexe traversé de stratégies et d’intérêts divergents et devant faire face à un
environnement mouvant.
2
Ce qui va à l’encontre de l’idée d’exercice unilatéral du pouvoir de l’employeur vers l’employé : des rapports
de force sont effectivement en jeu mais le pouvoir est plus diffus et négocié entre les acteurs à travers des
tensions plus ou moins formalisées.
3
Le sanguin, le calme, l’ambitieux, l’honnête, l’opportuniste.
4
Par exemple le Sud fainéant et désorganisé et le Nord travailleur et structuré, ceci expliqué par le climat et le
tempérament, ce qui aboutit à ce qu’on prête aux allemands aujourd’hui ce qui était prêté aux grecs il y a 2000
ans.
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1
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l’entreprise, soit engagée avec légèreté, prenne cinq ans pour se mettre en place, soit un échec
total très coûteux pour l’entreprise pour qu’enfin, huit ans après, celle-ci ne soit toujours pas
dotée d’un outil informatique en état de fonctionnement ?
Comment, dans un autre domaine, expliquer que des ouvriers soumis à un système taylorien
de division des tâches (que nous expliquerons en détail, en attendant, s’imaginer la satire qui
en est faite par Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes) où il ne leur est laissé aucun
contrôle de leur travail refusent la proposition des dirigeants de les impliquer dans la
conception alors que des ouvrières de passage dans l’entreprise et inexpérimentées acceptent
cette responsabilisation volontiers ? Les ouvriers ayant une expertise de leur travail devraient
logiquement être intéressés de donner leur avis sur son déroulement, d’autant plus que les
changements qu’ils pourraient ainsi proposer leur seraient bénéfiques à long terme, tandis que
les jeunes ouvrières devraient s’impliquer modérément dans un travail qu’elles ne sont pas
destinées à garder longtemps. Quelles sont donc les logiques de ces groupes ?
Au-delà de ces buts d’analyse de l’organisation, nous pouvons aussi tenter de proposer de
caractériser ce qu’est une organisation, ce qui est proposé par Marie-Georges Filleau et
Clotilde Marques-Ripoull [Les théories de l’organisation et de l’entreprise, Ellipses]. Pour
qu’il y ait organisation, il faut que soient réunis ces divers éléments :
• Un ou des buts : une organisation a toujours une raison d’être, explicite ou non,
partagée par l’ensemble de ses membres ou une partie d’entre eux. C’est par nature
une entité finalisée, qui poursuit un ou plusieurs objectifs. Ceci la distingue donc d’un
public par exemple qui pourra se réunir autour d’une œuvre, dans une salle de cinéma
par exemple, sans pour autant devenir une organisation (bien qu’il y ait des rituels dès
lors qu’il y a interaction, ceux-ci diffèrent de ceux mis en place dans une
organisation).
• Des membres : une organisation rassemble des membres, que ceux-ci aient été à la
base de sa fondation (les créateurs) ou l’aient intégrés par la suite pour en assurer la
bonne marche (les participants). Dès lors, deux types d’objectifs devront être satisfaits
lors de la création ou pendant l’existence de l’organisation : ceux de ses fondateurs (on
parle alors de logique de mission) et ceux des participants (logique d’organisation ou
de fonctionnement).
• La division des tâches : pour qu’une organisation fonctionne, les fonctions et les
responsabilités doivent être réparties entre les individus engagés dans l’action
collective. Ce mouvement de différenciation est une condition nécessaire à la
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naissance d’une organisation, elle différencie par exemple de la foule qui n’est pas un
groupe structuré.
• La coordination des tâches : l’action collective doit être en mesure de voir le jour,
les efforts de chacun permettre, avec une certaine cohérence, d’atteindre les objectifs
assignés par les organisateurs. Des procédures - plus ou moins formelles - sont donc à
prévoir pour ordonner les contributions respectives. Il y aura par conséquent ce qu’on
appelle un « système d’autorité » veillant à l’adéquation entre les comportements des
individus et les buts fixés ; un « système de communication » qui permettra de mettre
en relation les membres soit dans le cadre du rapport hiérarchique/subordonné, soit en
dehors ; enfin un système de « contribution-rétribution » précisant la participation de
chacun et la récompense qu’il en tirera. Tout ceci laisse la place à une variété infinie
de structurations allant de la plus souple à la plus formalisée.
• Une certaine stabilité : le besoin d’établir explicitement des règles, de répartir le
travail et d’ordonner la coopération au sein d’un groupe (ce qui est littéralement la
tâche « d’organiser ») ne sera ressenti que si le groupe est destiné à jouir d’une
certaine pérennité, même relative (comme lors de fonctionnements en mode projet).
La mise en place, coûteuse, des ces procédures fait qu’elles n’adviendront pas pour un
événement trop ponctuel.
La naissance de la sociologie des organisations peut être considérée comme concomitante de
la mise en place de la discipline sociologique fin 19ème
début 20ème
par les pères fondateurs que
sont Max Weber et Emile Durkheim. Au cours des années, les chercheurs se sont penchés
plus spécifiquement sur certains types d’organisation dont nous pouvons faire un inventaire,
sachant qu’il ne sera en rien exhaustif et qu’il n’épuise pas les possibilités de mise en place
d’organisation. Il est cependant intéressant de connaître le type d’organisation étudié afin de
mieux comprendre les théories qui ont pu en découler :
• Des institutions « totalitaires », où le terme est ici à prendre au sens où Erving
Goffman, l’a utilisé, c'est-à-dire dans le sens d’une organisation se coupant de son
environnement afin de se déterminer et de déterminer le comportement de ses
membres totalement. C’est le cas d’asiles, d’hôpitaux psychiatriques, de prisons, de
navires ou d’expéditions coupées du monde mais aussi parfois d’entreprises cherchant
une forme d’autarcie.
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• Beaucoup de firmes industrielles, où y furent testés les principes de l’organisation
scientifique du travail plus connus sous le nom de taylorisme mais aussi les idées de
cultures.
• Des communautés religieuses où furent employés les concepts psychanalytiques.
• Des réseaux d’entreprises pour comprendre les relations de celles-ci avec leur
environnement mais aussi pour tracer ou remettre en cause les frontières qui séparent
l’entreprise de ce dernier.
• Des partis politiques pour illustrer les conflits d’intérêt dans une même organisation et
proposer un regard critique sur les aspirations démocratiques que l’on peut prêter
naturellement à l’exercice de la fonction politique.
• Des groupes scolaires pour déterminer les types de direction les plus efficaces.
• La société de cour pour analyser les règles régissant les interactions dans un cadre très
institutionnel.
• Des entreprises publiques de service pour analyser l’évolution des règles et le
changement organisationnel, notamment sous l’impulsion des techniques
d’information et de communication.
• Des associations pour ouvrir l’analyse sur des formes d’organisation non
nécessairement marchandes
• Des instances gouvernementales pour mieux détailler les processus amenant à une
prise de décision.
• Des facultés pour étudier des cas où la complexité des procédures et des contraintes
conduit à fortement limiter la possibilité de prendre des décisions rationnelles.
La diversité de ces objets d’analyse nous rappelle que le phénomène organisationnel, bien
qu’il renvoie plus naturellement aux entreprises, ne doit pas être limité à cela. Nous vivons en
effet au sein de nombreuses organisations parfois même sans nous en rendre compte et les
théories permettant de comprendre celles-ci sont donc applicables à beaucoup d’autres
secteurs de la vie sociale. C’est ainsi que certains auteurs proposent d’utiliser leurs outils pour
comprendre la société aux côtés de théories de sociologie générale, et les études en découlant
ont une certaine pertinence, une fois le cadre adapté à une situation souvent plus complexe et
informelle que celles trouvées dans le cadre d’une analyse d’entreprise.
À ce titre, Amitaï Etzioni a proposé une grille permettant de distinguer les organisations des
autres groupes qui reprend en partie les caractéristiques que nous venons de voir mais en les
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synthétisant de manière à les rendre plus opératoires. Ainsi, pour distinguer les armées, les
entreprises, les écoles des familles, groupes d’amis ou de la tribu, il faudra qu’il y ait
• Division du travail et du pouvoir
• Présence d’un ou de plusieurs centres de décision qui indiquent la performance que
l’organisation doit réaliser
• Remplacement du personnel qui ne donne pas satisfaction
Nous pouvons considérer avec Jean-Claude Scheid [Les grands auteurs en organisation,
Dunod] qu’il existe trois traditions d’analyse des organisations :
• La sociologie des organisations à proprement parler dont le but sera plutôt de mettre à
jour les variables essentielles qui déterminent le fonctionnement d’une entreprise de
manière objective
• Les théories managériales issues des praticiens et plus axées sur les problèmes des
dirigeants des organisations. Leurs solutions auront par conséquent un caractère plus
normatif et applicable immédiatement.
• La psychologie, qui cherchera à expliquer le rapport d’un individu à son travail et ses
logiques personnelles d’investissement.
Ces trois grands domaines n’épuisent pas la liste des approches possibles de l’organisation qui
pourra être vue sous l’angle juridique, économique, mathématique, technique, chacune
apportant son lot de connaissance sur notre objet.
Par ailleurs, les auteurs s’étant attelés à la théorisation autour des organisations ont souvent
été à cheval entre ces différentes théories et il serait dur de les classer strictement dans l’une
ou l’autre. Ce qui sera étudié ici sera donc un tout mêlant les différentes préoccupations des
trois approches. Le plan que nous suivrons, s’il suit parfois un déroulement chronologique
dans la succession des approches, ne devra donc pas pour autant être interprété comme un
empilement où chaque nouvelle théorie remise les anciennes au placard. Toutes ces
approches, mêmes les plus anciennes, peuvent éclairer les problèmes particuliers d’entreprises
dans certains cas. Les théories des organisations n’ont pas la prétention de fournir une théorie
qui serait apte à rendre compte de toute organisation. Chaque théorie apporte un éclairage
particulier sur son objet, certains de ces éclairages convenant mieux que d’autres selon les
contextes. Par exemple, l’organisation scientifique du travail si décriée désormais garde
toutefois une forme de pertinence dès lors que nous étudions une firme aux tâches répétitives
et fortement formalisées. D’une manière générale, ces théories mettent en exergue un pan
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spécifique du fonctionnement d’une organisation qui pourra se manifester plus ou moins
fortement selon les cas mais ne sera jamais totalement absent. Même les créatifs publicitaires
ont une part de leur travail formalisé selon les principes de l’OST, ne serait ce que dans l’outil
qu’est la copy strategy.
Ces théories ont pour objectif d’expliquer le fonctionnement des organisations afin de mieux
les comprendre dans une visée de connaissance pure ou de stratégie générale, mais aussi de
proposer des solutions à des problèmes concrets se posant dans les entreprises.
À ce titre, les théories des organisations doivent leur richesse au travail commun qui a pu être
réalisé par les chercheurs avec les entrepreneurs. En effet, il s’agit d’une discipline où le
travail de terrain a toujours nourri la théorisation.
Ce terrain si important pour la qualité scientifique des propositions n’est en effet pas toujours
aussi accessible aux chercheurs. Or, dans le cas des organisations, l’accueil des chercheurs a
toujours été relativement aisé, beaucoup d’entreprises allant même quérir cette expertise pour
mieux gérer leur structuration et les rapports humains en leur sein. Les théories sont donc
toujours issues de travaux minutieux dans l’entreprise, souvent sur des temps longs, et
d’autant plus qualitatifs qu’ils étaient souvent bien accueillis par les employés comme par les
dirigeants.
En sociologie, un axe est traditionnellement utilisé pour différencier le niveau sur lequel
portent les analyses et qui différencie le niveau microsociologique du niveau
macrosociologique, tout cela complété par un niveau intermédiaire nommé mezzo. La
sociologie des organisations peut aussi se comprendre selon ces axes et nous nous
intéresserons à différentes réalités selon celui retenu.
Macro-social : L’organisation comme traduction d’un système socio-économique plus global.
Méso-social : l’organisation prise comme entité à part entière, comme système avec ses
régulations et ses propres modes de coordination.
Micro-social : Les relations interindividuelles, la motivation au travail, le vécu des individus.
I. Perspective historique
Les origines
Le travail organisé est une invention relativement récente dans l’histoire de l’humain. Pendant
600 000 ans, l’activité humaine se résumait à assurer sa survie par la cueillette, la chasse et la
pêche. Les tribus étaient nomades et s’abritaient dans des abris de fortune.
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Une première révolution dans l’organisation de l’activité humaine survient au néolithique
(8000 ans av JC) : le passage de la prédation à la production. Il s’agit d’une transformation en
profondeur de l’organisation du travail puisqu’il va désormais s’agir de semer, de labourer,
d’irriguer, en vue de la récolte et non plus simplement d’assurer sa survie au quotidien. La
planification, très relative bien sûr, est inventée. Les animaux vont être domestiqués pour
aider l’homme dans ces tâches. Les élevages et l’agriculture permettent à la fois d’obtenir de
la viande mais induisent aussi la sédentarisation des tribus.
Cette sédentarisation permet de développer les prémisses d’une urbanisation, ce qui favorise
l’émergence de métiers propres à l’administration et à la vie d’une cité, et qui se
développeront durant la période que nous nommons l’Antiquité. Les métiers du bâtiment et de
l’équipement intérieur naîtront : maçon, architecte, potier, céramiste, forgeron ; ainsi que ceux
relevant du commerce : nous trouvons les premiers marchands ; ou de la politique : armée,
police, politiciens, historiens.
Une nouvelle forme de division du travail apparaît. Là où elle se limitait à la différence entre
chasseurs (hommes) et non chasseurs (femmes, enfants et personnes âgées) chargés du
dépeçage, de la sculpture des os, de la préparation des peaux pour les conserver, une division
donc totalement calquée sur le sexe et les générations, l’apparition de métiers vient tout
changer. Avec le néolithique survient une plus forte division des tâches engendrant
immédiatement une hiérarchie qui aboutira à des rapports de domination et à une
hiérarchisation sociale avec des catégories qui s’attribueront le contrôle du sur-travail
(pouvoir politique ou religieux par exemple).
Ceci aura des incidences sur l’organisation sociale : apparition de l’esclavage et classement
des personnes en fonction de leur activité professionnelle5
.
Dès cette période, les luttes sociales apparaissent. Elles sont indissociables des rapports de
domination. Elles prennent néanmoins différentes formes selon les époques et surtout les
caractéristiques des populations en situation de domination. Par exemple, la Grèce du dernier
siècle av JC voyait une population d’esclaves formant une population hétérogène et les
conduites de contestation étaient plutôt individuelles (fuite, résistance quotidienne au travail) ;
plus rarement les luttes étaient collectives (cf. traces recensées d’une révolte d’esclaves menée
par un gladiateur de Capone et écrasée par 10 légions romaines en 73-71 av JC). Plus tard au
Moyen-âge, ce fut le tour des révoltes paysannes ; du sabotage ou de la résistance :
5
Par exemple, les thètes de la Grèce antique, ouvriers indépendants, donc non esclaves, mais encore plus
pauvres et marginaux.
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ralentissement du pas de la charrue sur la terre du seigneur, fraude, dissimulation de la
production sur laquelle on doit le cens, etc.
Les représentations mentales du travail
Avant d’aborder les Révolutions Industrielles et les notions modernes du travail qui nous
accompagneront tout au long du cours, nous pouvons recenser les grandes représentations
sociales qui vont toucher au travail dans le monde préindustriel.
Il apparaît ainsi que les représentations mentales autour du travail sont très liées aux rapports
sociaux. Ainsi Marcel Mauss remarque que « la division du travail n’est pas un phénomène
exclusivement économique, c’est un phénomène juridique, souvent métaphysique et religieux,
et toujours moral » (Marcel Mauss, « Manuel d’ethnographie », Paris, Payot, 1947).
En effet ce principe moral dépasse toujours le seul lien économique pour toucher à la
construction d’une communauté, comme en témoignent les devoirs croisés du maître et du
compagnon ou les engagements de fidélité des paysans au seigneur contre le devoir de
protection de celui-ci. Ce désintérêt préindustriel pour l’économique se traduit de même dans
l’absence de référence à la notion de productivité, remplacée alors par la distinction entre
faibles et vaillants, entre oisiveté et activité et par la primauté accordée au respect des règles
du groupe.
Le concept moderne de travail
Entre le Xème et le XVème siècle, soit la période du Moyen-Âge, une forte spécialisation des
activités et une division des tâches accrue contribuent à bien séparer les rôles de la ville et de
la campagne. La fin de la guerre de 100 ans à la fin du XVème siècle et la période de
reconstruction qui l’accompagnent permettent à la fois une autonomisation du travail vis-à-vis
des pouvoirs politiques et religieux, un changement des représentations autour du travail qui
devient une fin en soi et se trouve associé à la vertu et à la santé, et aux fondements de ce qui
deviendra l’industrie à travers les ateliers, les guildes ou les corporations
L’Europe va connaître une grande expansion du 16ème
au 18ème
siècle qui s’accompagnera de
la généralisation de l’usage de la monnaie et permettra la mise en place d’un système
économique marchand. Ainsi, le travail peut se convertir en marchandise, qui peut s’échanger
contre de la monnaie, qui est comparable donc universelle : un ordre marchand peut se
développer au-delà des frontières locales.
Le salaire est mis au point dans les fabriques et manufactures et permet d’échanger son travail
contre de l’argent. C’est l’époque où naît la théorie moderne du marché sous la plume
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d’Adam Smith [Recherche sur la nature et les causes de la Richesse des Nations, 1776] au
fondement de la pensée capitaliste encore de nos jours.
La révolution industrielle
Durant un siècle, de la fin du 18ème
siècle à la fin du 19ème
, les grandes structures industrielles
se mettent peu à peu en place.
Au 18ème
siècle, les ouvriers possèdent encore un fort pouvoir du fait de leur expertise du
travail et peuvent imposer leur ordre aux manufactures et au patronat en contrôlant
sévèrement le déroulement du travail et de la transmission du savoir. L’héritage du savoir-
faire est en effet alors familial et il n’est pas rare que tous les travailleurs d’un domaine
d’activité appartiennent à la même famille. Par ailleurs, les ouvriers veillent au respect de
normes mises en place et labellisant le travail dans chaque secteur d’activité (qualité attendue,
temps d’exécution alloué, tarif de rémunération par pièce). Les entrepreneurs ne respectant
pas ces normes s’exposent à des grèves qui ont entraîné certaines entreprises à la faillite aux
États-Unis.
L’arrivée de la machine pendant le 19ème
siècle ainsi que le travail des femmes et enfants va
modifier ce rapport de pouvoir. Les tâcherons, chargés de recruter les ouvriers dans un
domaine de travail dont ils connaissent les rythmes et les exigences mieux que les patrons
vont effectuer de la sous-traitance des tâches pour ces derniers. La forte population
demandeuse de travail renverse le pouvoir au profit de l’entrepreneur qui a maintenant le
choix et qui est moins soumis aux compétences des ses ouvriers. On passe de la corporation à
la manufacture puis enfin à l’industrie.
Chronologiquement, la Révolution Industrielle commence en Angleterre sous le règne de
George III dans un climat extrêmement favorable puisque l’Angleterre dispose d’importantes
ressources naturelles et d’une prospérité économique stable.
De 1750 à 1780, elle débute par une révolution agraire qui réorganise les terres communales
et voit une hausse des rendements importante. La communication et la circulation sont
favorisées par des rivières navigables irriguant le pays, un réseau important de ports aidant le
commerce maritime et un réseau de canaux et de lignes de chemin de fer pour les activités
minières. Sa situation insulaire la préserve en partie des conflits européens, elle connaît peu
de conflits internes et ses colonies lui apportent de nouveaux marchés. Après 1850, des
inventions techniques stimulent la production, notamment avec de nouvelles machines à filer
et à tisser ou le moteur à transmission venant compléter la machine à vapeur inventée au
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siècle précédent. Enfin, la structure sociale encourage les individus à tenter leur chance dans
le modèle capitaliste là où d’autres pays, et notamment la France, voient certaines castes
répugner à se lancer dans des activités réservées à des castes moins prestigieuses (comme ce
fut le cas de l’aristocratie qui répugnait à se rapprocher du monde bourgeois).
L’Europe bénéficie aussi de ce mouvement positif dès 1800, particulièrement autour des
bassins miniers et des grands centres de communication6
. Les avancées anglaises pénètrent le
Continent soit par l’importation des techniques et techniciens anglais, soit par
l’investissement des entrepreneurs anglais à l’étranger. Le processus d’innovation
s’autonomise même pour créer aussi de nouvelles machines.
Cet essor est encouragé par les pouvoirs publics qui, en investissant dans les réseaux de
communication (chemins de fer, canaux), permettent aux marchandises de circuler plus
librement. Les barrières douanières entre régions ou pays sont également allégées ou
éliminées.
La Seconde Révolution Industrielle
De 1870 à la première guerre mondiale va s’étaler la Seconde Révolution Industrielle, cette
fois-ci initiée par l’Allemagne. Elle ne se basera plus sur l’amélioration de la productivité
dans des domaines existant mais sur la création de nouvelles activités parmi lesquelles la
chimie, l’électricité, les produits manufacturés ou, nouveaux marchés, les services comme les
banques, les assurances ou l’import-export. Cependant, cet essor ne se traduit pas
nécessairement par une amélioration de la situation économique des pays européens tandis
que de nouveaux pays émergent : Suède, Italie, Russie
Si la première Révolution a été celle du charbon et du fer, la seconde est résolument celle de
l’acier et de l’électricité. Et ces changements se traduiront bien sûr dans l’évolution de la
production (passage d’une production d’acier de 540 000T à 14 600 000T entre 1870 et 1895)
mais aussi dans la création de nouveaux produits (la chimie permet la création de marchés
comme celui du savon, des textiles synthétiques, des plastiques, des cosmétiques) ou encore
dans l’architecture urbaine (tramway, éclairages publics, des habitations et des usines grâce à
l’avènement de l’électricité).
La population reste cependant majoritairement rurale et ce sera durant le 20ème
siècle que nous
assisterons à l’exode vidant les campagnes au profit des villes.
6
Nord de la France et pourtour du Massif central : Monceaux les Mines-Creusot ; Vallée de la Meuse en
Belgique ou vallée de la Ruhr et la Silésie en Allemagne ; Les grands carrefours : Paris, Berlin, Lyon, Cologne,
Francfort.
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La période de transition
L’industrialisation a pour effet de transférer l’activité économique de l’espace domestique
vers des organisations spécialisées. L’essor de l’état-nation et l’unification qu’il sous-entend
(linguistique, territoriale principalement puis des mesures, du temps, de la monnaie, etc.)
aboutit à la modernité, qui affaiblit le poids du local au profit de l’universel. L’état se doit
d’être arbitraire et neutre dans sa gestion des affaires publiques. Tout ceci concourt à la
standardisation. Le produit unique issu de la rencontre entre le savoir-faire d’un artisan et le
désir d’un acheteur n’est plus le modèle de production. Il est remplacé par le produit
manufacturé qui peut être jugé selon des critères établis préalablement à la production, où la
fiabilité est obtenue non plus par l’expertise de l’artisan mais par le procédé de fabrication,
lui-même obtenu par le travail de l’expert, nouvelle figure importante du processus de
production. On passe d’une production qualitative à une production quantitative. Le mode de
gestion de l’entreprise passe d’un modèle paternaliste à un modèle capitaliste.
Parallèlement, la science permet d’unifier les modes d’accès à la connaissance, reléguant les
autres modes d’accès7
à de simples croyances. La méthode scientifique est chargée d’obtenir
des mesures universelles, par le truchement de la méthode observation/expérimentation.
L’exercice de l’autorité
Analyser le fonctionnement d’une organisation renvoie nécessairement à l’exercice du
pouvoir dans cette organisation. Celui-ci est intrinsèque à toute action organisée. La question
de qui le détient et de comment il l’exerce définira en grande partie le type d’organisation
auquel nous aurons affaire.
Dans le contexte que nous venons d’évoquer, il devient nécessaire de justifier l’exercice de
l’autorité de la même manière que l’état justifie de sa gestion des affaires publiques.
Max Weber proposera au début du 20ème
siècle de distinguer trois formes d’autorité qui
donneront lieu à trois formes d’organisation.
Il commence par distinguer le pouvoir « aptitude à forcer l’obéissance » et l’autorité
« aptitude à faire observer volontairement les ordres ». Il distingue donc dans l’autorité un
processus où les ordres seraient acceptés, car jugés légitimes par les subordonnés qui les
accompliraient donc de leur plein gré.
Le premier type d’autorité, nommé charismatique, en appelle aux qualités personnelles d’une
personne qui sera considérée alors comme leader. Ce type d’autorité est ponctuel : il est
7
Religion, magie, philosophie, sagesse personnelle.
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toujours possible de trouver plus fort ou plus brillant que soit. Ce modèle pose aussi le
problème de la succession car on prête ces qualités à une personne particulière et elles ne sont
pas nécessairement transmissibles. Ce modèle se retrouve historiquement à travers de grands
personnages religieux ou politiques : Fidel Castro, De Gaulle, Jésus-Christ, Richelieu,
Bonaparte, mais aussi de nombreux chefs d’entreprise (Edouard Leclerc, André Citroën, Bill
Gates, Steve Jobs, Ruppert Murdoch).
Le deuxième type d’autorité est appelé traditionnel. Il se base sur le précédent, la coutume, les
habitudes. C’est un modèle d’autorité conservateur où l’on s’en réfère à ce qui fut toujours
fait ainsi. Il peut être la forme pérenne d’une autorité charismatique si un individu doté de
cette qualité est arrivé à instaurer sa succession par l’hérédité par exemple mais elle peut aussi
se former d’elle-même. La monarchie en est une bonne illustration et de manière générale
toutes les entreprises où le descendant hérite du père. Sous une forme plus diffuse, c’est aussi
cette forme d’autorité qui préside dans la coutume populaire, le savoir traditionnel, le « on a
toujours fait comme ça » qui fonde le terreau de beaucoup de résistances au changement.
Le dernier type d’autorité est appelé par Weber « rationnel-légal ». Ce modèle est celui qui
nous intéresse le plus car il est selon Weber le seul acceptable dans la modernité. Ceci ne veut
pas dire que les autres disparaîtront, comme les exemples précédents nous l’ont montré, mais
que ce mode sera le plus répandu. Découlera de ce modèle ce que Weber appellera la
bureaucratie8
que nous étudierons plus avant. Il est basé sur la reconnaissance de la
qualification de la personne et de la justesse de ses ordres. Il y a donc recherche d’une forme
de consensus dans l’exercice de ce pouvoir. C’est le modèle démocratique où l’exécutant ne
dispose pas de pouvoirs personnels mais attachés à son statut. Les personnes sont nommées à
des fonctions qui ne se confondent pas avec elles et ce selon une norme acceptée par tous (le
diplôme, un comité de recrutement, des concours). La rationalité technique proposée par le
développement des sciences et techniques va soutenir l’essor de ce modèle. La connaissance
et la science vont devenir ce langage commun à tous qui permettra de trouver un consensus9
.
Max Weber ne prétendait pas décrire des réalités observables avec ses modèles. Il proposait
ce qu’il appelait des « idéaux-types », c'est-à-dire des modèles parfaits servant à comprendre
les cas observés dans la réalité mais ne s’y confondant pas totalement. Il est ainsi impossible
de trouver une entreprise représentative du modèle de l’autorité charismatique uniquement.
8
À ne pas confondre avec l’utilisation péjorative que nous en avons aujourd’hui.
9
Par exemple, les mesures, une fois standardisées, vont permettre à tous les acheteurs/vendeurs de s’entendre,
vont permettre la comparaison ; la démarche scientifique expérimentale va, par exemple en chronométrant des
actions, justifier de l’abandon d’une manière de faire pour une autre.
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Toutes les organisations mêlent à des niveaux divers ces trois formes d’autorité dans leur
exercice et il conviendra de repérer dans quelle mesure.
Cette ère de la modernité scientifique va donner lieu aux premières théorisations de la firme.
Premières théorisations de la firme
Marx et la théorisation des formes modernes de coopération dans le système capitaliste
La première analyse classique qui vient à l’esprit lorsque nous parlons du système capitaliste
est bien sûr la critique qui en a été faite par Marx.
On a surtout retenu de lui sa théorie de la lutte des classes, qu’il développera au contact de la
population française lorsqu’il émigrera d’Allemagne en 1843 après des études de philosophie
et de droit. Il arrive en effet au moment de la naissance d’une classe ouvrière revendicatrice
contre la grande bourgeoisie et l’aristocratie financière. Inspiré par les premiers auteurs
socialistes utopiques (Proudhon, Fourier, Simon), il prête à cette classe émergente un potentiel
révolutionnaire immense apte à renverser l’ordre social petit-bourgeois. Il écrit le manifeste
du parti communiste en 1847 à Paris. Il continuera à analyser le mouvement ouvrier en se
rendant en Angleterre, fleuron du modèle capitaliste, où il pourra étudier les premières formes
du syndicalisme.
Il retourne en Allemagne dès 1848 pour participer à travers le Comité de Salut Public créé à
Cologne à un mouvement révolutionnaire qui finira par le faire expulser de son pays
d’origine.
C’est donc en Angleterre qu’il écrira entre 1857 et 1867 le Capital. Pendant cette période,
l’Internationale ouvrière est créée et fédère les mouvements anglais et français, puis
allemands après 1964. Cette organisation soutiendra les grèves et revendications des
mouvements ouvriers jusqu’à sa disparition en 1871 après l’écrasement des communards
parisiens par les versaillais.
Jusqu’à sa mort en 1883, il travaille à la traduction de son œuvre majeure et à la diffusion de
ses théories, notamment en Russie où elles auront un accueil très marqué.
Le succès historique du communisme pendant le 20ème
siècle place son inspirateur principal
comme le fondateur d’une alternative au modèle capitaliste. On oublie ainsi que Karl Marx a
été avant tout un grand théoricien du capitalisme. Ses ouvrages critiques se basent en effet sur
une connaissance parfaite de ce système qui fait que nombres d’économistes moins
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révolutionnaires le citent comme principal inspirateur dans les théories qu’ils ont pu élaborer
pour parfaire le modèle d’Adam Smith.
Dans le Livre 1 du Capital, Marx traite de la division du travail en définissant la coopération
capitaliste. Il l’oppose à la coopération simple, sur le modèle de la chasse ou des débuts de
l’agriculture. Ces dernières se basent sur les principes de communauté des biens et des
conditions de production ainsi que de l’objectif commun, le tout organisé selon une
juxtaposition, dans un atelier, de métiers complémentaires pour la fabrication d’un produit
composite. Avec la coopération capitaliste, telle qu’elle a pu se développer dans les
manufactures, on voit le passage de la coopération simple à la division du travail par tâche
(i.e. au sein d’un même métier).
Par exemple pour une manufacture d’épingles : avant un ouvrier réalisait 20 opérations pour
fabriquer l’épingle. Dans la manufacture décrite par A. Smith (1776), 20 ouvriers réalisent
chacun une opération (qui sera encore divisée par la suite). La première division du travail
permet la fabrication de 48 000 épingles pour 10 ouvriers, pour arriver à 600 000 épingles
pour 1 ouvrier surveillant 4 machines un siècle plus tard.
Commence alors une lutte contre les temps morts que représentent les temps passés par un
ouvrier à changer d’opération. On morcelle les métiers en succession d’opérations uniques.
Enfin, la mécanisation rend objectif le travail : il est désormais indépendant des facultés
intellectuelles de l’ouvrier, la coopération est prise en charge par l’articulation des machines.
Cette nouvelle organisation va permettre de générer une plus-value grâce à une meilleure
répartition des opérations qui permettra l’exécution simultanée de plusieurs tâches et
l’optimisation de chaque outil. En découleront des économies d’échelle, des baisses des frais
et une diminution du temps de production. C’est cette plus-value constituant un profit non
redistribuée qui va permettre l’accumulation du capital. Ce capital va bien sûr revenir aux
propriétaires des outils de production. Il va créer la rupture entre les ouvriers, qui vendent leur
force de travail mais ne bénéficient pas de cette plus-value, et les propriétaires du capital, qui
vont bénéficier des bienfaits de cette nouvelle coopération. Cette forme de coopération va
nécessiter la création de nouvelles fonctions d’encadrement afin de veiller à son bon respect.
Weber et les raisons de l’essor du capitalisme
Max Weber que nous avons déjà évoqué précédemment a choisi de s’attacher à éclairer une
autre partie du capitalisme en tentant de mettre à jour les raisons sociales de sa genèse.
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Il cherche donc à établir un lien entre la religion protestante issue de la Réforme et le système
industriel moderne. Dans son ouvrage « L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme », il
note en effet une particularité propre à tous les groupes sociaux dirigeant en Allemagne : leur
religion. L’Allemagne est pourtant composée assez égalitairement de catholiques et de
protestants mais les postes de pouvoir, qu’il s’agisse des chefs d’entreprises ou des
propriétaires, ou plus généralement de la main d’œuvre la plus qualifiée, voient une
surreprésentation des protestants. Ce constat était de notoriété publique à l’époque mais
Weber va en proposer une interprétation. Pour cela, il commence par donner une définition du
capitalisme comme système reposant sur l’entreprise industrielle, ayant pour but le profit et
comme moyen l’organisation rationnelle du travail. C’est cette alliance d’un but de profit avec
des moyens basés sur la science qui fait l’originalité du capitalisme10
. La finalité diffère aussi,
selon Weber, des autres époques : dans le système capitaliste, l’accumulation plus que le
profit devient une fin en soi. Max Weber attribue donc une éthique au capitalisme qu’il
illustre à travers un texte de Benjamin Franklin (au titre évocateur : Conseils indispensables à
celui qui veut devenir riche). Cette éthique encourage à l’ascétisme, méprise le paraître et la
dépense inutile et glorifie le travail. Et la raison de ce zèle dans le travail repose selon notre
auteur non sur les bénéfices qu’il pourra tirer de sa richesse, puisqu’on l’a vu, l’éthique qu’il a
intégré le pousse à mépriser ces futilités, mais sur le sentiment d’avoir bien accompli sa tâche
et par là même rempli sa vocation.
Le lien est alors possible avec les préceptes de Calvin, résumés en cinq propositions par
Weber :
- Il existe un Dieu absolu, transcendant, qui a créé le monde et qui le gouverne mais qui
est incompréhensible, insaisissable à l’esprit des hommes.
- Ce Dieu tout-puissant et mystérieux a prédestiné chacun de nous au salut ou à la
damnation sans que, par nos œuvres, nous puissions modifier un décret divin pris à
l’avance
- Dieu a créé le monde pour sa propre gloire
- L’homme, qu’il doive être sauvé ou damné, a pour devoir de travailler à la gloire de
Dieu, de créer le royaume de Dieu sur terre
- Les choses terrestres, la nature humaine, la chair appartiennent à l’ordre du péché et de
la mort, et le salut ne peut intervenir pour l’homme que par la grâce divine
10
Les moyens employés par ceux désirant faire du profit n’avaient jamais été ceux-ci.
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Ces préceptes laissent en effet au croyant la question de savoir comment se comporter pour
œuvrer à la gloire de Dieu sans avoir aucun moyen d’accéder à sa volonté. De la même
manière, chacun ne peut que s’interroger sur son statut sans avoir de réponse facilement
observable : élu ou damné ? Le protestant va donc chercher dans le monde les signes lui
indiquant son élection. Pour lui, la réussite matérielle en sera un exemple. Elle s’impose donc
pour les personnes, non pas en raison du profit mais au nom de cette possible élection par
Dieu. D’autres éléments de la théologie calviniste doivent être ajoutés pour donner naissance
au capitalisme. La finalité de cette réussite matérielle : Puisque les choses terrestres ne
méritent que mépris, les richesses ne devront pas être dépensées mais accumulées. Cette
logique puritaine, méfiante vis-à-vis de la jouissance, issue de la nature corrompue de
l’homme, va permettre l’accumulation du capital. Enfin, le protestantisme est une religion
individualiste : chacun est seul face à Dieu, ce qui a pour effet d’affaiblir la communauté et le
sens du devoir vis-à-vis des autres.
Cette affinité spirituelle s’ajoute à la seule logique économique proposée par Marx et permet
de mieux comprendre cette finalité trouvée nulle part ailleurs qu’en Occident de vouloir
maximiser le profit non pas pour profiter de cette plus-value mais juste pour produire plus.
Il faut cependant faire très attention à ne pas en conclure que les pays protestants se
développent mieux économiquement que les autres, comme certains ont pu le faire, ce que
Weber en personne a eu l’occasion de réfuter. Weber a rapproché deux modèles pour montrer
leurs affinités, il n’a en rien prétendu à l’exhaustivité de la réponse. Beaucoup d’autres
facteurs entrent en compte pour garantir le développement économique d’un pays, qui
permettront à d’autres de connaitre un développement phénoménal sans partager cette éthique
protestante.
L’organisation scientifique du travail
Frederick Winslow Taylor
Taylor naît en 1856 dans une famille aisée de Philadelphie. Il se destine au métier d’avocat
comme son père mais une grave déficience visuelle l’empêche de poursuivre ses études. Son
ascension va donc passer par l’usine où il se fait engager en 1878 comme apprenti. Il suivra
ensuite une formation (non rémunérée, le principe du stage à la française en gestation ?) pour
devenir ouvrier mécanicien puis modeleur avant de devenir contremaître puis ingénieur grâce
à un esprit méthodique et une grande rigueur dans le travail. Sa carrière industrielle se
déroulera au sein de la Midvale Steel Compagnie où il testera ses principes avant qu’il
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n’entame une seconde carrière de conseiller en organisation. Il publiera un certain nombre
d’ouvrages se penchant sur l’optimisation de la productivité dans différents secteurs dont en
1895 le « salaire aux pièces », en 1903 la « direction des ateliers », en 1906 « la coupe des
aciers », et en 1911 celui qui accédera à la postérité, « les principes de la direction scientifique
des entreprises ». Écouté dès 1890, il régnera dans le monde de l’organisation sans conteste
dans les années 1910-1920 et son influence ira grandissant jusqu’à la fin du 20ème
siècle. Ses
principes d’organisation l’opposeront aux syndicats dès 1907. L’American Federation of
Labor (syndicat unifié des ouvriers américains) le fera même comparaître devant la Chambre
des représentants en 1912.
Les raisons de la faible productivité : la flânerie
Taylor est comme nous l’avons vu un travailleur forcené, acceptant des conditions difficiles et
de prendre sur sa vie personnelle pour évoluer dans son métier. Son passage au statut de
contremaître va donc le contraindre à affronter un phénomène qu’il a vu autour de lui : la
flânerie systématique des ouvriers. Cependant, il répugne à sévir contre ses anciens
compagnons et il va donc chercher une solution qui convienne à tout le monde pour
augmenter les cadences de travail. Pour cela, il va suivre l’idéologie dominante du moment :
l’approche scientifique.
Il commence par identifier deux raisons parfaitement valables expliquant cette flânerie : 1)
une tradition de travail inappropriée 2) la certitude qu’ont les employés qu’une augmentation
de leur cadence ne leur apportera rien de bon.
Pour expliquer la première raison, il analyse les méthodes de travail dans ce qui est appelé la
phase A, pré-industrielle. L’ouvrier y est responsable de son travail qu’il organise à sa
manière selon la tradition et une compétence empirique formée par l’usage et non par la
rigueur scientifique. Ceci va impliquer la deuxième raison puisque la direction, lorsqu’elle
décide de demander une hausse de la production, ne peut se baser sur aucune base objective
permettant d’évaluer cette hausse, l’ouvrier étant seul apte à juger du travail. On a déjà vu que
cette situation profitait à l’employé, qui était payé selon un accord négocié sur un salaire
moyen avec un nombre de pièces à produire découlant d’une estimation du temps nécessaire à
la production d’une unité. L’ouvrier pouvait choisir d’être payé selon le salaire moyen ou à la
pièce en espérant gagner plus par sa bonne productivité. Il avait cependant tout intérêt à ne
pas suivre la deuxième solution et à lutter pour faire augmenter le taux de rémunération à la
pièce et non la production. Ceci aurait pu aboutir à un chantage à la production : le taux de la
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pièce étant fixé approximativement et pouvant être remis en cause, si on produit plus, rien
n’empêche la direction d’abaisser ce prix à la pièce afin de forcer l’ouvrier à produire toujours
plus pour seulement conserver le même niveau de salaire. En effet, si un ouvrier payé à la
pièce se met à produire deux fois plus que ses camarades, il va gagner aussi le double de leur
salaire, ce qui déplaira fortement aux dirigeants, hostiles à des écarts importants de salaire
entre ouvriers. Ils abaisseront le prix à la pièce pour ramener le salaire de l’ouvrier à la pièce
dans les mêmes eaux que ceux bénéficiant du salaire moyen. Les ouvriers, que Taylor refuse
de prendre pour des imbéciles, ont donc selon lui un accord tacite de limitation de la
production qui leur permet de préserver leur salaire11
.
Taylor va tenter de mettre en place une organisation remplaçant ce système bloqué. Sa
solution est de remplacer cette négociation incertaine des temps de production par sa
détermination par un calcul scientifique du temps nécessaire à la réalisation de chaque tâche.
Le pouvoir des ouvriers, déjà minimisé par la création des tâcherons, change désormais
totalement de main puisqu’il reviendra à la direction de calculer ces temps.
Attention cependant, il ne faut pas voir ici une tentative de manipulation exploiteuse de la part
de Taylor. Il est normal selon lui que l’encadrement ait la tâche de définir la façon de
travailler. Il crée dans l’usine une distinction entre ceux qui pensent et ceux qui exécutent,
mais en pensant ainsi améliorer le sort de tous car il espère ainsi éviter les mouvements
mauvais pour la santé des ouvriers et leur permettre d’augmenter leur salaire en intensifiant
leur travail. Il espère substituer le conflit à la collaboration entre direction et employés,
« plutôt que de lutter sur le partage des profits, accordons nous pour les accroître ». Nous
allons voir sur quels principes idéologiques se base cette approche que l’on appellera la phase
B.
L’idéologie sous-tendant les changements proposés
Taylor est convaincu que la science pourra résoudre les problèmes posés aux humains.
En ce qui concerne les organisations, Taylor charge la direction de ce travail de dissection et
formalisation des tâches ouvrières, formalisation qui se basera aussi sur les connaissances
théoriques des ingénieurs qui se regrouperont dans un nouvel espace de l’usine : le bureau des
11
Exemple : une pièce est payée un dollar et on estime la production horaire à 10 pièces. On va payer l’ouvrier
10 dollars de l’heure. Maintenant si l’ouvrier se met à produire 20 pièces par heure, la direction va pouvoir
réévaluer le prix de la pièce en prétextant qu’elle avait été surévaluée puisque, dans les faits, les ouvriers arrivent
à produire deux fois plus. Elle baissera donc le prix de l’unité à 50 cents et l’ouvrier se verra donc obligé de
produire deux fois plus pour conserver un salaire identique. La connaissance du travail étant dans les mains des
ouvriers, il est donc parfaitement logique que ceux-ci freinent la production.
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méthodes. Ce bureau était le lieu de travail des ingénieurs, souvent situé en hauteur dans un
endroit permettant d’observer les ateliers, où ils mettaient au point les méthodes de travail
qu’il faudrait ensuite inculquer aux employés.
Cette science a un but clair : modifier les anciennes méthodes de travail.
Elle a en outre la caractéristique d’être irréfutable. Le positivisme, « l’administration des
choses remplacera le gouvernement des hommes », de l’idéologie scientifique du début de
siècle fait qu’il y a une bonne façon de faire (« One best way ») et qu’une fois celle-ci mise à
jour elle ne souffrira d’aucune contestation, notamment de la part des ouvriers de la phase A,
dont le savoir est relégué au rang de croyance injustifiable. L’idéologie est ici décelable dans
le paradoxe qui fait que cette méthode soit disant scientifique aboutisse à la certitude là où la
science est normalement plutôt encline au doute. L’utilisation qu’il a de la science est à
finalité utilitaire et non de connaissance. Son but est d’être irréfutable et modifie par
conséquent les rapports humains : il y a dans l’usine ceux qui savent et qui commandent et
ceux qui ne savent pas et exécutent, le statut du premier ne souffrant aucune contestation de la
part du second. On appelle cette utilisation idéologique de la science le scientisme.
L’OST a par ailleurs aussi la spécificité d’être universelle : tout travail, même le plus simple,
est susceptible d’être rationalisé de cette manière.
Autre facteur permettant de comprendre l’avènement de l’OST, la vision simpliste de
l’homme au travail qu’a Taylor. Il ne l’évoque jamais que comme une personne isolée et
occulte donc tous les rapports de groupe. Si jamais il doit y faire allusion, c’est comme à une
corporation néfaste dont il faut isoler l’individu (certainement héritage de la phase A où les
groupes d’ouvriers pouvaient s’opposer à la direction avec un certain pouvoir que Taylor veut
briser définitivement). Taylor cherchera donc à briser les rapports de groupe, notamment en
isolant quelques ouvriers afin que ceux-ci puissent être étudiés dans leurs actions et fournir les
sources aux ingénieurs pour confectionner une méthode scientifique. Mais la conclusion sera
aussi de systématiser le conflit entre direction et ouvriers car le taylorisme a, dans son essence
même, vocation à soumettre ces derniers, alors que la volonté de Taylor n’était pas du tout
d’encourager le conflit.
La motivation essentielle retenue par Taylor est l’argent et c’est ainsi qu’il choisit les ouvriers
à débaucher pour servir de cobayes. Il fait régulièrement allusion dans ses ouvrages à la
vénalité de certains ouvriers et énonce dans ses principes généraux que le salaire élevé est le
but ultime du travail de l’ouvrier. Cette insistance sur l’appât du gain est d’autant plus
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fondamentale qu’elle permet de parer à l’absence totale d’intérêt du travail auquel aboutit le
taylorisme.
Les principes mis en œuvre pour une organisation scientifique du travail
Les principes de l’OST ont été explicitement résumés par Taylor dans son ouvrage
fondamental « les principes de la direction scientifique des entreprises » :
• « L’étude de toutes les connaissances traditionnelles, leur enregistrement, leur
classement et la transformation de ces connaissances en lois scientifiques.
• La sélection scientifique des ouvriers et le perfectionnement de leurs qualités et
connaissances.
• La mise en application de la science du travail par des ouvriers scientifiquement
entraînés.
• La répartition presque égale du travail exécuté dans l’entreprise entre les ouvriers et
les membres de la direction. » Taylor, 1911.
Cette méthode découle clairement de celle mise en place dans les sciences expérimentales.
Au niveau pratique, Taylor préconise l’observation systématique des opérations des ouvriers
pour aboutir à un cahier des charges spécifiant très précisément ce que doit faire l’ouvrier, et
dans quel ordre. Il propose un système de salaire différentiel avec au moins deux taux : si la
cadence C est inférieure à un seuil C0 considéré comme le standard, on paie la pièce au taux
de salaire P0. Si la cadence C est supérieure à C0, la rémunération sera alors au taux P1 où P1 =
(1 + x) X P0. Et x sera un pourcentage donné. Enfin, le dernier des principes tayloriens à avoir
une incidence pratique directement visible est la distinction entre cols bleus et cols blancs qui
donnera lieu à une nouvelle forme de hiérarchie pyramidale, fonctionnelle (i.e. attachée aux
fonctions) devenue le modèle classique aujourd’hui, particulièrement dans les bureaucraties.
Il aboutit aussi à la standardisation des produits pour un marché de masse de premier
équipement. Cette standardisation aujourd’hui critiquée ne posait pas alors le même problème
puisqu’il s’agissait pour la plupart des individus d’accéder à tout un ensemble de biens
inaccessibles jusqu’alors. Les exigences augmenteront seulement lors des générations
ultérieures s’étant habitués à ces produits et réclamant désormais plus de distinction.
Le taylorisme va se répandre dans le monde entier et s’appliquer à tous les types d’entreprise
au cours du 20ème
siècle. Il sera notamment illustré par Henry Ford dans ses usines où il sera le
premier à imaginer un système de travail à la chaîne (Taylor n’en aura pas parlé). Les célèbres
« five dollar a day » de Ford traduisent bien sa foi dans le système taylorien : division des
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tâches et hauts salaires afin que les ouvriers soient les premiers à bénéficier des produits qu’ils
fabriquent. Henry Ford tenait à ce que chacun de ses employés puisse posséder sa propre Ford
T.
On peut voir sa foi dans la division des tâches dans sa description de la confection d’une Ford
T : « sur les 7882 opérations que nécessitait la construction d’une Ford T, 949 exigeaient des
hommes vigoureux, robustes et pratiquement parfaits du point de vue physique, 3338 des
hommes ordinaires, tout le reste pouvait être confié à des femmes ou à de grands enfants (…)
670 opérations pouvaient être accomplies par des culs-de-jatte, 2637 par des unijambistes, 2
par des hommes amputés des deux bras, 715 par des manchots et 10 par des aveugles. »
Limites du taylorisme
L’image d’Epinal véhiculée par la critique du taylorisme faite dans le film de Charlie Chaplin
« Les temps modernes » mérite d’être nuancée. Cet aspect outrancier du taylorisme ne retient
que les excès dus à la crise des années 30 et à l’application systématique du travail à la chaîne,
absent des principes de Taylor. Taylor a permis à la fois d’accroître la productivité d’une
manière inédite sans effort supplémentaire de l‘ouvrier (passage par exemple d’une
manipulation de 12,7 tonnes à 48 par ouvrier dans la manutention des gueuses de fonte, ce qui
a abouti à une augmentation des salaires de 60 % à la Midwale Steel).
Cependant ce système a aussi montré ses limites.
Tout d’abord, le respect strict des principes de Taylor n’est pas si aisé. La hiérarchie
fonctionnelle fait que certains ouvriers ont à répondre à de nombreux supérieurs car leur
opération relève de différents secteurs. Les ordres contradictoires peuvent se multiplier et la
circulation de l’information en est rendue difficile12
.
Georges Friedmann, chercheur en organisations très influent durant le 20ème
siècle, a
développé par ailleurs une critique assez systématique de l’OST qui est à l’origine de
beaucoup de principes encore respectés aujourd’hui dans les entreprises. Il fustige les
cadences infernales et le travail en miettes du point de vue d’une vision humaniste qui ne
s’accorde pas avec la passivité de l’ouvrier de Taylor. De même il critique la surévaluation du
facteur argent dans le comportement des travailleurs.
Les nouvelles formes de production et de collaboration, le développement du tertiaire
imposent en effet selon lui d’abandonner bien souvent les thèses tayloriennes.
12
Par quel canal faire remonter l’info ? Il est difficile de choisir quel service sera le plus approprié, surtout pour
un employé auquel on aura confisqué toute prise de décision - et envoyer l’information à tous créera beaucoup
de redondances encombrant inutilement le système d’information.
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Le taylorisme ne s’est d’ailleurs jamais appliqué systématiquement qu’aux ateliers et ne
fournit pas aussi facilement d’aide pour l’organisation des autres secteurs, notamment des
dirigeants.
La possibilité de tout rationaliser (que nous trouverons aussi chez Weber et Fayol dans les
sous parties suivantes) est aussi remise en cause. Le postulat selon lequel tout peut être prévu
est mis à mal dès lors qu’on étudie le fonctionnement quotidien d’un atelier (notamment les
pannes dont il sera question lors de l’analyse stratégique).
Ces problèmes se traduiront par de nombreux conflits sociaux, des effets de démotivation des
employés et d’absentéisme.
La collaboration voulue par Taylor a en effet été rendue impossible par la suppression de la
négociation. La valeur de scientificité accordée aux décisions de la direction rendait
impossible en pratique celle-ci, et on comprend qu’une direction sûre de ses choix ne soit pas
encline à la négociation.
Wickham Skinner prendra pour raison la multiplication des types d’industrie et des produits
qu’elles confectionnent pour justifier de l’abandon du taylorisme : « trop d’entreprises tentent
de faire trop de choses avec une infrastructure et une organisation données, sous prétexte
d’amortir leurs investissements et de pouvoir répartir leurs frais généraux. Elles superposent
des productions dont les marchés, les technologies, les procédés, les niveaux de qualité
s’opposent et se font concurrence. Elles recrutent un encadrement important pour maîtriser et
contrôler un amalgame ingouvernable. »
Mais le taylorisme ne subira un réel recul dans les organisations qu’avec l’avènement du
toyotisme dans les années 90.
La bureaucratie
Contemporain de Taylor, Max Weber suivra en partie les mêmes voies pour définir la
bureaucratie.
Définition
Nous avons vu que Max Weber avait défini une forme d’autorité qu’il avait qualifiée de
rationnelle-légale, qu’il estimait être la seule justifiable dans la modernité. Il tire de cette
autorité une forme d’organisation qu’il qualifie de bureaucratique. Cette forme est définie par
un ensemble de caractéristiques précises et ne se confond donc pas avec l’utilisation
péjorative que nous pouvons avoir de ce terme désormais (le petit robert le définit comme
« influence abusive de l’administration »).
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On peut recenser dix caractéristiques permettant de définir une bureaucratie :
1) ses membres sont personnellement libres et soumis à une autorité seulement pour
l’accomplissement de leurs fonctions officielles ;
2) ils sont organisés dans une hiérarchie d’emplois claire et bien définie ;
3) chaque emploi a une sphère de compétence légale bien définie ;
4) tout emploi est occupé sur la base d’une relation contractuelle ;
5) les candidats à un emploi sont sélectionnés d’après leurs qualifications techniques ;
dans le cas le plus rationnel, ils sont sélectionnés par concours, examens, ou par des
diplômes garantissant leurs connaissances techniques ; ils sont nommés et non élus ;
6) les membres sont rémunérés par un salaire fixe, en monnaie : le salaire varie selon
l’échelon hiérarchique ;
7) l’emploi dans l’organisation est la seule occupation professionnelle de ses membres ;
8) l’emploi constitue une carrière : la promotion se fait selon le jugement des supérieurs ;
9) l’employé n’est ni propriétaire des moyens de l’organisation ni propriétaire de son
poste ; il y a séparation entre l’homme et la fonction qu’il occupe ;
10) l’employé est soumis à une discipline stricte dans son travail.
Un système idéal
Nous pouvons donc y cerner la même volonté de rationaliser les activités au sein d’une
organisation et d’universalité dans l’application de ces principes. Cependant, Weber
reconnaîtra les limites de ce modèle et écrira lui-même que « l’entrepreneur capitaliste est
dans notre société le seul type d’homme qui ait réussi à conserver une immunité relative au
contrôle de la connaissance rationnelle bureaucratique ».
La bureaucratie est donc le règne de la règle, chacun y agit selon ses attributions détaillées
dans un contrat et ne peut ni ne doit aller au-delà. Personne n’incarne non plus sa fonction, les
individus sont donc interchangeables aux différentes fonctions de l’organisation si tant est
qu’ils disposent des compétences requises.
On espère ainsi s’approcher mieux des buts à atteindre. Ces règles ne sont en effet pas là pour
satisfaire les esprits tatillons mais dans un souci 1) de rationaliser des organisations
complexes 2) de garantir l’égalité aux membres de la bureaucratie. Ces règlements très
détaillés sont en effet des protections contre un chef ou des clients abusifs.
Son modèle est théoriquement parfait : il garantit l’efficacité par la sélection par concours et
diplômes ; il permet l’exercice accepté par tous de l’autorité, permettant aussi une stabilité
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plus grande qu’avec les autres modes d’autorité ; il protège de l’arbitraire : on n’obéît pas à
une personne appliquant une procédure mais à cette procédure, de même lorsqu’on en
applique une, nous ne sommes pas personnellement responsables de celle-ci.
Des dysfonctionnements irrépressibles
Ce modèle appliqué dans les organisations va cependant apporter un grand nombre de
problèmes. Les dysfonctions sont selon Renaud Sainsaulieu « le faisceau des conséquences
secondaires inattendues qui accompagnent toujours un plan d’action rationnel et qui freinent
ou empêchent d’atteindre les buts que se sont fixés les dirigeants ».
L’école structuro-fonctionnaliste s’attachera à les relever en notant que les effets sont
imprévus, positifs comme négatifs. Ainsi Robert K Merton note que ces dysfonctions sont de
plus en plus fréquentes au fur et à mesure que les bureaucraties se rapprochent dans la réalité
du modèle idéal défini par Weber. Il met en lumière ce qu’il appelle le « déplacement des
buts » : à force de règles, les employés finissent par s’attacher plus au respect de celles-ci qu’à
la réalisation des tâches qu’elles sont censées permettre ; la multiplicité des règles aboutit
aussi à ce que les personnes passent plus de temps à essayer de se repérer et de comprendre
dans leur dédale qu’à remplir leur fonction13
. Renaud Sainsaulieu parle aussi des rapports
rendus difficiles par ces règles : « ce qui aboutit à créer une rigidité croissante des
organisations bureaucratiques qui engendre des tensions supplémentaires dans les rapports
aux clients ; lesquelles tendent à leur tour à renforcer le ritualisme des fonctionnaires car ils
cherchent à se protéger derrière le règlement face à la hargne des clients ».
Les structuro-fonctionnalistes identifieront plusieurs autres effets imprévus : la création d’un
esprit de corps, le rôle ambigu conféré aux règles, l’apparition d’une structure informelle, la
déviation des buts vis-à-vis des prescriptions formelles (qui pourra néanmoins avoir des effets
bénéfiques sur l’efficacité des organisations).
En France, Michel Crozier critiquera la bureaucratie française dans son ouvrage « le
phénomène bureaucratique ». En ce qui concerne le modèle français, il mettra en exergue la
centralisation excessive des décisions, illustrée par le jacobinisme, une hiérarchisation trop
développée, un cloisonnement des fonctions. Des phénomènes qu’il liera à des tendances
culturelles françaises : crainte du face à face, rapport très distant à l’autorité, évolution par
crises plutôt que par micro-ajustements.
13
Exemple : un responsable d’un service académique exige d’obtenir une copie de chaque email avant envoi,
quitte à ce qu’il se passe trois jours avant qu’il ne donne son accord, au motif qu’un accord hiérarchique doit
valider tout courrier avant envoi.
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De même, il est fréquent de trouver des bureaucraties empruntant au taylorisme, les deux se
complétant naturellement. Mais leur utilisation combinée a pu donner lieu à des organisations
au contraire amoindries par ce cumul. Ainsi Henry Mintzberg décrit une forme d’organisation
(nous verrons sa typologie entière plus tard) qu’il qualifie de bureaucratie professionnelle, qui
n’a rien à gagner à appliquer les principes de Taylor pour mener à bien ses actions. C’est le
cas par exemple des universités, des laboratoires de recherche ou des hôpitaux qui assurent la
coordination des tâches par la standardisation des qualifications de ses membres. Les
professionnels se comprennent par leur compétence commune. Les diplômes de chercheur ou
de médecin sanctionnent une longue et dure épreuve s’étalant sur des années et permettant
aux différents membres de s’entendre par leur savoir commun.
Alvin W. Gouldner, sociologue américain influent au milieu du 20ème
siècle a tenté
d’appliquer les concepts de Weber aux entreprises et en a tiré diverses critiques. Notamment,
il soulève que Weber ne traite pas des cas où l’autorité est contestée ou refusée. Il caractérise
les formes d’autorité mais ne se penche pas sur l’origine de celle-ci. Il suit en ceci les travaux
de Robert K. Merton ou de Philip Selznick qui avaient déjà identifié que les caractéristiques
d’une organisations bureaucratique sont celles-là même qui conduisent à son inefficacité :
règles impersonnelles réduisant les relations interpersonnelles et provoquant de nouvelles
règles ainsi qu’une absence de recherche d’alternatives ; rigidité de comportement des
membres entre eux et avec les extérieurs ; délégation de l’autorité aboutissant à l’émergence
de buts propres aux unités qui rentrent donc en conflit entre elles et avec l’organisation
générale. Chacune de ces caractéristiques ayant de plus l’inconvénient de former des cercles
vicieux où le mal ne fait qu’accentuer ce qui le provoque.
Gouldner tente d’illustrer cette mauvaise influence de la bureaucratie en suivant la mise en
place de règles bureaucratiques dans une mine de gypse américaine. Celle-ci avait autrefois
un certain dédain pour les règles formelles se traduisant par une absence de sanction, des
relations égalitaires entre cadres et ouvriers, une relative absence de contrôle. La nouvelle
situation aboutit à des grèves très dures et un abaissement général du moral des ouvriers.
Gouldner en déduit six caractéristiques propres aux règles bureaucratiques :
1) Elles sont des ordres : elles permettent de définir très précisément ce qui est exigé des
employés.
2) Elles sont des écrans : une règle permet de réduire le nombre et la durée des relations
entre chef et subordonné. Ceci est commode pour les chefs qui ne veulent pas se
compromettre ou éviter les responsabilités.
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3) Elles sont des garanties : on ne peut rien reprocher à celui qui les applique.
4) Elles sont des instruments de contrôle à distance : comme le comportement de chacun
est spécifié clairement, le contrôle peut se faire par des rapports écrits.
5) Elles sont des instruments de marchandage : les règles sont souvent surabondantes et
donc non entièrement nécessaires. Le chef peut ainsi se montrer indulgent pour
s’attirer la coopération informelle de ses subordonnés en retour.
6) Elles sont des instruments d’apathie : l’employé ne fera pas plus que ce que la règle
demande. Ceci porte en germe la nécessité de nouvelles règles.
Il distingue ensuite plusieurs formes de bureaucratie : la fausse bureaucratie, la bureaucratie
représentative, la bureaucratie punitive.
La fausse bureaucratie voit des règles établies de l’extérieur qui ne sont pas respectées, ou
juste formellement par les employés. À l’époque, c’est souvent le cas des interdictions de
fumer, respectées seulement lorsqu’un inspecteur se rend sur le site. Dans cette forme, le non
respect des règles n’est pas sanctionné et on observe une grande différence entre
l’organisation prévue et celle effective. Elle est généralement peu efficace bien que ses
membres s’y sentent bien, surtout lorsqu’ils s’estiment complices dans ce non respect.
La bureaucratie représentative suit des règles établies par des experts reconnus comme tels par
les membres de l’organisation. Les règles sont donc suivies et acceptées par les membres qui
se sentent satisfaits. Il s’agit de la forme « réussie » de la bureaucratie. Peu de membres ne
suivent pas les règles et ce seulement par ignorance, les relations y sont solidaires avec une
bonne participation de tous.
La bureaucratie punitive est quant à elle basée sur un rapport de force entre groupes dont un a
mis en place des règles pour contraindre l’autre à obéir. Chaque non respect, considéré
comme une infraction, est sanctionné. Tensions et conflits y sont nombreux
L’invention du management
Henry Fayol 1841-1925
Un contemporain de Taylor s’est intéressé à tout un pan que l’OST laissait dans l’ombre :
l’étude de la direction des organisations.
C’est Henry Fayol, ingénieur français pénétré des mêmes idées positivistes que Taylor, qu’il a
pu lire dans la Conférence de l ’Organisation Française (COF) créée en 1921 et qui diffusait
ses travaux en France.
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Il suit la démarche d’un chef d’entreprise, cherchant des réponses pratiques à la question du
commandement qui puisse mieux guider que les idées d’autorité ou de prestige.
Types de propositions qu’il fait : si l’on veut que les ouvriers ou les salariés obéissent il faut
avoir la structure adaptée ; éviter le double commandement (les ordres doivent venir d’un seul
homme) ; le commandement n’est pas seulement l ’affaire du directeur de l ’entreprise, il est
l’affaire de tous ceux qui occupent une place de relais dans l ’organisation (contremaître, chef
de division…) ; être chef c’est avoir sous ses ordres d’autres chefs, et être soi-même sous les
ordres de quelqu’un d’autre ; selon sa position le chef doit avoir des capacités différentes en
fonction des grands domaines d ’opérations qu ’il distingue.
Il plaide donc pour qu’on enseigne la « capacité administrative » qui remplace les subjectifs
conseils des leaders prospères.
A la manière de Taylor, sa première tâche va être de recenser les opérations constituant la
fonction de dirigeant.
Il dresse un inventaire impressionnant dont il tire une classification en six catégories de
tâches, toutes aussi essentielles, qui seront présentes dans tous les postes, à tout échelon et
dans toutes circonstances mais à des degrés divers. Les acteurs auront ainsi toujours un
panaché relevant d’activités :
• Techniques : liées à la transformation des matières et des informations, à la production
• Commerciales : achats et ventes
• Financières : gestion des capitaux et recherche de financements
• Sécuritaires : concernant la protection des biens et des personnes
• Comptables : comptes, inventaires, bilans et statistiques
• Administratives
Cette dernière fonction l’intéresse particulièrement, car elle a été peu développée par d’autres
auteurs alors que son poids ne cesse de grandir lorsqu’on occupe des postes hiérarchiquement
élevés.
Pour lui, administrer consiste à « dresser le programme général d’action de l’entreprise, de
constituer le corps social, de coordonner les efforts, d’harmoniser les actes ». Il livre dans le
sous-titre de son ouvrage « administration industrielle et générale » cinq aspects de
l’administration : « prévoyance, organisation, commandement, coordination et contrôle ». Et
précise dès les premières pages « Prévoir, c'est-à-dire scruter l’avenir et dresser le programme
d’action ; commander, c'est-à-dire faire fonctionner le personnel ; coordonner, c'est-à-dire
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relier, unir, harmoniser tous les actes et tous les efforts ; contrôler, c'est-à-dire veiller à ce que
tout se passe conformément aux règles établies et aux ordres donnés ». On voit que son terme
administrer renvoie à ce que nous appelons aujourd’hui diriger
Il prévoie ainsi un nombre de tâches à remplir pour bien diriger une entreprise : il faut établir
des plans en vue de faire évoluer l’entreprise, d’orienter et de régler l’action. Une fois ces
objectifs retenus, on peut décider de moyens pour les faire advenir.
Fayol considère donc qu’organiser revient véritablement à constituer l’entreprise, et ceci en
établissant des règles, en lançant des ordres et en définissant des procédures pour le personnel
qui doit être commandé. Il s’agit aussi de mettre en place une cohésion d’ensemble. Pour cela
il croit en l’efficacité de la stricte application des consignes.
Fayol distingue 14 principes, non exhaustifs, qui doivent être appliqués dans toute activité
administrative :
• la division du travail (déjà vue avec Taylor)
• l’autorité et la responsabilité (qualité essentielle du chef dont la marque est la
sanction)
• la discipline (car l’obéissance des hommes dépend de la valeur de leur chef)
• l’unité de commandement (critique faite à Taylor, il la juge d’ailleurs trop répandue)
• l’unité de direction (bien qu’il puisse y avoir des communautés d’intérêt, il ne doit y
avoir qu’un seul projet d’organisation)
• la recherche de l’intérêt général (par opposition aux intérêts individuels)
• la rémunération proportionnelle aux efforts
• le degré de décentralisation (en fonction des compétences du personnel)
• la hiérarchie (unique et nécessaire)
• l’ordre (ceci exige une connaissance précise des besoins et ressources de l’entreprise)
• l’équité (garantie par les contrats)
• la stabilité du personnel (le turn-over non maîtrisé est une maladie de l’entreprise)
• l’initiative (source de satisfaction quand elle est menée à bien avec succès)
• l’union du personnel (ce qui le pousse à refuser les communications non verbales)
Il prévoie la possibilité de changements selon les contextes en tempérant la rigidité de ces
principes mais il les veut tout de même universels.
Fayol défend l’importance du chef à travers ses attributions : autorité et responsabilité. Il
prévoie une hiérarchie linéaire sur laquelle faire reposer la délégation de l’autorité. Celle-ci
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est nécessaire selon lui car les individus ont une capacité limitée de traitement de
l’information, un ensemble de compétences fini qui doit être épaulé par des compétences
complémentaires et enfin car la taille d’une organisation va rapidement éloigner le
commandement de l’exécution, ce qui rendra délicat la circulation de l’information.
Il met donc en avant deux principes clés : la voie hiérarchique et l’unité de commandement.
Ce qui se traduit dans les faits par la nomination claire d’un ensemble de chefs liant base de
l’organisation et directions et où la communication ne devra s’établir qu’entre deux rangs
successifs, immédiatement inférieurs et supérieurs.
Ceci donne une structure hiérarchique en arbre où chaque subordonné ne reçoit d’ordre et ne
réfère qu’à un supérieur.
Fayol avait identifié la principale faiblesse de son modèle : la lenteur de la communication
respectant cette voie hiérarchique. Il proposait donc de mettre en place des passerelles, plus
rapides mais moins sûres. Celles-ci liaient deux agents, moyennant l’accord de leurs chefs
respectifs afin de respecter le principe d’unité de commandement. Ils pouvaient ainsi rentrer
en contact sans avoir à recourir à la voie linéaire de la hiérarchie.
Cependant, le principe de l’unité de commandement et le principe hiérarchique se révèlent
difficiles à concilier dans la pratique. Taylor aura nommé des chefs sur leurs domaines de
compétence, mais leurs subordonnés dépendaient conséquemment de plusieurs d’entre eux.
Fayol a voulu simplifier ce fonctionnement en instaurant le principe d’unité de
commandement mais celui-ci supposait des chefs omniscients. D’autres auteurs cherchèrent à
sophistiquer ce modèle en créant des structures de conseil (spécialistes sans autorité). Ce qui
pose justement le problème de l’autorité car les spécialistes n’ont pas toujours les moyens de
convaincre rationnellement et dans ce cas se trouvent dépourvus de moyens coercitifs.
Toutes ces écoles classiques (OST, bureaucratie et Fayol) ont deux défauts communs majeurs
que les théories qui vont suivre tenteront de réparer :
1) la réduction du facteur humain qui laisse de côté un nombre important de dimensions
pourtant actives chez l’individu, même en situation de travail et aboutit à une vision
appauvrie, aliénante de l’homme au travail.
2) L’aveuglement dans la perfection formelle des modèles proposés, qui ne leur permet
pas de voir la différence toujours présente entre le système idéalement défini et sa
réalité pratique, hétéroclite et source de nombreux conflits où entrent en compte des
jeux de pouvoirs complexes.
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La prise en compte de l’humain
L’expérience fondatrice d’Hawtorne
La première réaction face aux théories classiques propose une nouvelle prise en compte de
l’humain dans l’organisation. Les recherches et théories développées en son sein se
regroupent sous l’appellation d’école des relations humaines.
Le contexte
Cette école est née d’une étude fondatrice menée dans les ateliers Hawtorne de la Western
Electric Company durant les années 20 et 30. En 1924, cette entreprise fabriquant tout ce qui
concerne les téléphones dans la banlieue de Chicago compte environ 29 000 employés avec
un panel important de corps de métiers différents et de catégories socioprofessionnelles.
La direction veille à garantir de bonnes conditions de travail par le maintien des salaires à un
niveau supérieur à la moyenne nationale, un restaurant d’entreprise de qualité, une infirmerie
et un hôpital dédiés aux employés ainsi que des services d’orientation sur tout le site.
Cependant, les marques de mécontentements sont préoccupantes et ce malgré la satisfaction
affichée par les employés. Un fort taux d’absentéisme, le freinage à la production et une
mauvaise qualité de confection inquiètent la direction qui cherche à comprendre les raisons de
cet apparent paradoxe.
Les tests
Une batterie de test est donc mise en place avec la complicité de chercheurs universitaires.
Les différentes méthodes et leurs résultats ont apporté un éclairage tout à fait nouveau sur les
principes de l’action collective organisée. En effet, ceux-ci ont du, pour être compris, remettre
en cause une bonne partie des présupposés sur lesquels reposaient les théories classiques.
Nous allons voir en détail le déroulement de ces expériences successives qui se sont déroulées
sur des années.
Le premier test a été mené sur l’éclairage. On améliora l’éclairage d’un groupe d’ouvrières
travaillant dans une lumière artificielle et on vérifia la hausse de productivité en comparaison
avec un groupe non modifié, appelé groupe de contrôle. Les deux avaient été prévenus de
l’expérience menée. Le résultat vit la productivité augmenter dans le premier groupe, mais
aussi de manière analogue dans le deuxième.
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Divers tests ont donc été tentés sur une période 3 ans allant de 1924 à 1927 en améliorant de
plus en plus l’éclairage avec à chaque fois une réaction identique.
Un chercheur en vint à proposer de baisser l’éclairage et, phénomène encore plus surprenant,
la productivité augmenta de nouveau et ce jusqu’à ce que les ouvrières soient trop peu
éclairées pour continuer à travailler.
Incapables de trouver une explication à ces variations, la compagnie fit appel à une équipe de
psychosociologues. Les expériences ont été menées de 1927 à 1932, année où la crise les
stoppa. Dès 1928, Elton Mayo, qui devint le père fondateur de l’école des relations humaines,
rejoignit l’équipe.
Une première enquête est restée célèbre sous le nom du « test room ». On isola un groupe
d’ouvrières volontaires dans une pièce à part de l’atelier où la quantité de pièces fabriquées
par chacune pouvait être enregistrée ainsi que divers facteurs comme l’humidité ou la
température. Un ensemble de facteurs sociaux furent aussi successivement modifiés : système
de salaire (par équipe, individuel, au rendement, horaire), durée des pauses (une ou plusieurs,
plus ou moins longues, avec ou sans collation), horaires (réduction des horaires, suppression
du travail le samedi, retour à la situation initiale). A chaque changement, l’équipe dirigée par
Elton Mayo s’entretenait longuement avec les ouvrières qui se montrèrent toujours d’accord
pour suivre les modifications proposées.
Les résultats de ces changements, quel que furent leur sens, étaient toujours positifs en
matière de productivité, qui, au pire, stagnait. Sur une année d’expérimentations, le groupe
connut une augmentation de 20 % de sa productivité.
Les chercheurs ainsi que la direction étaient perplexes quant à l’interprétation à donner à ces
résultats.
Les résultats
Elton Mayo proposa d’identifier deux grands facteurs dans les raisons des résultats de cette
longue approche expérimentale.
Tout d’abord, l’observation même semble être l’une des variables qui influe sur le
comportement des ouvrières. Elton Mayo en déduit ce que l’on appelle « l’effet Hawtorne »,
calculé désormais dans toutes les enquêtes et qui prend pour principe que les gens réagissent
positivement au fait que l’on s’occupe d’eux pour améliorer leur situation.
En effet, dans les deux batteries de tests lancées par les chercheurs, le fait que les groupes
aient été choisis pour l’étude a joué énormément. Les testés ont donc réagi en effectuant ce
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qui leur semblait attendu par les enquêteurs pour se valoriser. Le remplacement d’un
contremaître dur par des chercheurs attentifs aux ouvriers semble ici déterminant. Cependant
« l’effet Hawtorne » est pris avec nuance par les dirigeants d’entreprise. En effet, les réactions
positives aux réorganisations sont fréquentes lorsque celles-ci sont vues par les employés
comme une tentative d’amélioration de leurs conditions de travail. Mais l’effet n’est pas
durable car dès que le stade d’expérimentation est dépassé, l’expérience cesse d’en être une et
devient une nouvelle routine.
Une enquête avait été lancée dès 1928 auprès de 2000 ouvriers pour chercher à connaître le
type de supervision existant dans chaque atelier. La direction soupçonnait en effet le lien
causal unissant meilleure supervision à un meilleur moral et à une meilleure productivité. Il
apparut rapidement aux enquêteurs que ce qu’ils évaluaient n’étaient pas les conditions
matérielles de travail mais les attitudes émotionnelles des ouvriers vis-à-vis de celles-ci. Les
conflits ne semblent donc pas résulter de conditions objectives mais bien plutôt d’attitudes
émotionnelles de chacun.
Une troisième étude avait été lancée, cette fois sous la forme d’observations sur 14 ouvriers
dont les résultats illustrèrent en détail le deuxième facteur explicatif : l’importance du groupe
dans le comportement de chacun. Le test room avait déjà illustré ceci par la relative égalité
des niveaux de production de chaque ouvrière. Il existait une norme informelle de production
contraignant chacune à limiter sa production au même niveau que les autres, sans que celles-ci
aient à se le dire, et ce malgré les pannes ou incidents arrivant dans une journée. Les primes
ne pouvaient vaincre cette norme informelle. Un deuxième aspect de cette importance du
groupe est au moins aussi déterminant : chaque tension ou incident provoquait dans le groupe
un malaise qui influait sur le niveau de production. Une véritable vie de groupe existait et
celle-ci était sensible aux tensions, ententes entre personnes, etc. Les observations permirent
d’affiner ces résultats, notamment en montrant que le moral du groupe était lié à l’entente
entre ouvrières mais aussi aux relations avec l’agent de maîtrise. On en conclue que la
fonction de contremaître doit plutôt être d’animer ce groupe et non de diriger au sens
classique du terme. Les compétences, l’autorité formelle déléguée, la responsabilité devant les
supérieurs doivent être complétées par une qualité d’écoute et de conseil, même aux niveaux
les plus bas de la hiérarchie.
Cette importance du groupe est une découverte fondamentale qui a permis de développer tout
un pan de recherche pluridisciplinaire mettant mieux à jour les liens affectifs, les jeux de
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rôles, la sociométrie, les psychodrames, les éléments constituant le groupe que nous
aborderons plus avant.
Conséquences et limites de l’expérience
Un certain nombre de résultats de cette longue série d’expériences ne furent pas ou mal
exploités. L’école des relations humaines a dégagé à travers les entretiens menés le besoin des
ouvriers de s’enraciner dans leur entreprise, d’avoir affaire à quelque chose qui leur
appartienne en partie et où ils ont une fonction qu’ils sentent importante, de donner un sens à
leur action. Fatigue et tensions étaient souvent dues à ce manque. Qu’un individu se révolte
s’il ne comprend pas suffisamment son travail est une découverte importante qui a permis de
systématiser l’explication aux employés des décisions de l’entreprise en ce qui concernait leur
travail, mais l’école des relations humaines n’est pas allé jusqu’à noter que cette révolte ne
manquera pas non plus d’arriver si le salarié ne bénéficie pas par la suite d’un certain pouvoir
sur son travail.
Ensuite, les chercheurs ont bien mis à jour la double fonction d’une entreprise : produire des
objets et, selon leur expression, « distribuer des satisfactions ». Les deux sont
interdépendantes alors que les directions s’intéressent usuellement uniquement à la première,
d’ordre économique, qui justifie toute évolution. Or technique et humain sont
indissociablement liés, comme en témoignent les réactions humaines à chaque innovation. Les
chercheurs ont donc préconisé trois actions accompagnant toute innovation technique : 1)
étudier les réactions prévisibles des ouvriers atteints par cette mesure, 2) prévoir et organiser
les problèmes de réaction interpersonnelle dans les groupes, 3) donner des explications à tous
les échelons. Mais cette idée n’a pas été mise en place dans les faits. Et ceci pour une raison
assez évidente : la théorie des relations humaines, bien qu’ayant mis à jour l’existence d’une
vie de groupe, ne considère pas ce dernier comme un acteur de l’organisation. Elle préconise à
la direction de prévoir (elle suppose donc que la direction le peut) et d’orienter son
comportement, comme si le groupe n’avait pas sa propre appréhension de son rôle ou de
capacité de négociation.
Le biais fondamental de cette école sera donc de tenter de connaître le plus finement possible
le groupe et l’individu pour l’orienter, continuant donc à lui dénier toute possibilité de
décision personnelle.
L’école des relations humaines a donc l’immense avantage d’avoir pour la première fois
envisagé l’entreprise comme un système social et d’avoir redonné à l’individu en entreprise
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une épaisseur psychologique niée par les théories classiques. Elle oppose deux modes de
comportements : logiques et non logiques. La première relève des rationalisateurs et se base
sur le coût et l’efficacité, la deuxième est prêtée aux ouvriers et relève du sentiment. Le
constat des erreurs des décisions prises en suivant uniquement la première pousse à militer en
faveur de la préservation de la deuxième, faite de traditions, de signification sociale. Mais la
connotation péjorative de son nom se retrouve aussi dans les faits puisque l’on réservait
toujours la rationalité à la direction, qui avait juste à prendre dans ses décisions un facteur
supplémentaire, le facteur humain. C’est pourquoi on peut plus parler d’une théorie
complémentaire au taylorisme et non d’une véritable remise en cause.
On peut noter enfin des limites d’ordre plutôt méthodologique : Mayo ne s’est pas intéressé à
l’environnement social de l’entreprise - Il n’a notamment quasiment jamais fait allusion aux
syndicats - et il a centré ses recherches sur une population très spécifique : jeunes ouvrières
sans expérience préalable de l’usine, et ce dans une logique clairement affichée d’aide au
management.
Synthèse : les enseignements
On peut résumer ces enseignements en trois grands axes :
1. Contrairement aux présupposés des théories classiques, les stimuli financiers ne sont
pas les seuls à jouer dans la productivité des ouvriers : le moral a un rôle prépondérant
sur le rendement
2. La structuration informelle est capitale dans l’organisation et détermine bon nombre
de comportements
3. L’attitude au travail dépend des relations sociales dans l’entreprise et notamment des
rapports existants entre l’encadrement et le groupe d’ouvriers
Différence entre formel et informel
La distinction entre formel et informel est très importante pour comprendre une organisation.
La structuration formelle est ce qui doit lui permettre d’arriver à ses fins de manière optimale.
Elle comprend : l’objectif de l’organisation, la spécialisation des tâches, les mécanismes de
coordination des différentes fonctions, le système d’autorité mais aussi plus généralement la
technologie, les comportements attendus, les valeurs, symboles et normes de l’organisation.
Elle est visible dans les textes juridiques définissant l’organisation, le règlement intérieur,
l’organigramme, les descriptions de postes, le journal interne, les notes de service, etc.
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Cours - introduction aux théories des organisations

  • 1. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com Cours introduction aux théories des organisations Définitions Le principe de ce cours sera d’étudier l’action collective organisée pour en analyser les logiques et donner des outils pour la comprendre et l’encadrer. Il s’agira donc d’aborder l’organisation du travail mais aussi les rapports sociaux au sein d’un type particulier de groupement humain qu’est l’organisation (le plus souvent marchande, mais pas seulement). Nous pouvons d’ores et déjà noter qu’il s’agira de sortir de pré-notions souvent associées à l’organisation pour comprendre de manière plus précise la complexité de son fonctionnement1 et des rapports de force qui la traversent2 . L’explication par le tempérament de l’individu3 , par des caractéristiques floues attribuées à des groupes aussi flous4 seront donc bannis. Au mieux ceux-ci pourront être considérés comme des symptômes dont il s’agira de trouver la cause mais certainement pas comme des explications suffisantes. Philippe Bernoux, dans un ouvrage d’introduction [La sociologie des Organisation, Seuil], refuse de donner une définition préalable de cette discipline, qui est toujours nécessairement guidée par des positionnements théoriques que le lecteur débutant ne peut saisir, et propose plutôt de lister les questions auxquelles elle est censée répondre : Comment expliquer les comportements des individus et/ou des groupes dans des organisations ? Le but étant de faire face à l’irrationalité et l’imprévisibilité apparente des comportements des acteurs, du plus bas niveau hiérarchique au plus élevé. Il donne ensuite deux exemples de cas posant questions et qui sont représentatifs de ce à quoi la sociologie des organisations va aider à répondre. Comment expliquer que la décision d’implanter de l’informatique de gestion dans une entreprise de distribution, tout à fait logique et facilement justifiable auprès des membres de 1 Ce qui va à l’encontre de l’idée de l’entreprise allant de l’avant comme un seul homme par exemple : l’organisation est un tout complexe traversé de stratégies et d’intérêts divergents et devant faire face à un environnement mouvant. 2 Ce qui va à l’encontre de l’idée d’exercice unilatéral du pouvoir de l’employeur vers l’employé : des rapports de force sont effectivement en jeu mais le pouvoir est plus diffus et négocié entre les acteurs à travers des tensions plus ou moins formalisées. 3 Le sanguin, le calme, l’ambitieux, l’honnête, l’opportuniste. 4 Par exemple le Sud fainéant et désorganisé et le Nord travailleur et structuré, ceci expliqué par le climat et le tempérament, ce qui aboutit à ce qu’on prête aux allemands aujourd’hui ce qui était prêté aux grecs il y a 2000 ans. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 1
  • 2. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com l’entreprise, soit engagée avec légèreté, prenne cinq ans pour se mettre en place, soit un échec total très coûteux pour l’entreprise pour qu’enfin, huit ans après, celle-ci ne soit toujours pas dotée d’un outil informatique en état de fonctionnement ? Comment, dans un autre domaine, expliquer que des ouvriers soumis à un système taylorien de division des tâches (que nous expliquerons en détail, en attendant, s’imaginer la satire qui en est faite par Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes) où il ne leur est laissé aucun contrôle de leur travail refusent la proposition des dirigeants de les impliquer dans la conception alors que des ouvrières de passage dans l’entreprise et inexpérimentées acceptent cette responsabilisation volontiers ? Les ouvriers ayant une expertise de leur travail devraient logiquement être intéressés de donner leur avis sur son déroulement, d’autant plus que les changements qu’ils pourraient ainsi proposer leur seraient bénéfiques à long terme, tandis que les jeunes ouvrières devraient s’impliquer modérément dans un travail qu’elles ne sont pas destinées à garder longtemps. Quelles sont donc les logiques de ces groupes ? Au-delà de ces buts d’analyse de l’organisation, nous pouvons aussi tenter de proposer de caractériser ce qu’est une organisation, ce qui est proposé par Marie-Georges Filleau et Clotilde Marques-Ripoull [Les théories de l’organisation et de l’entreprise, Ellipses]. Pour qu’il y ait organisation, il faut que soient réunis ces divers éléments : • Un ou des buts : une organisation a toujours une raison d’être, explicite ou non, partagée par l’ensemble de ses membres ou une partie d’entre eux. C’est par nature une entité finalisée, qui poursuit un ou plusieurs objectifs. Ceci la distingue donc d’un public par exemple qui pourra se réunir autour d’une œuvre, dans une salle de cinéma par exemple, sans pour autant devenir une organisation (bien qu’il y ait des rituels dès lors qu’il y a interaction, ceux-ci diffèrent de ceux mis en place dans une organisation). • Des membres : une organisation rassemble des membres, que ceux-ci aient été à la base de sa fondation (les créateurs) ou l’aient intégrés par la suite pour en assurer la bonne marche (les participants). Dès lors, deux types d’objectifs devront être satisfaits lors de la création ou pendant l’existence de l’organisation : ceux de ses fondateurs (on parle alors de logique de mission) et ceux des participants (logique d’organisation ou de fonctionnement). • La division des tâches : pour qu’une organisation fonctionne, les fonctions et les responsabilités doivent être réparties entre les individus engagés dans l’action collective. Ce mouvement de différenciation est une condition nécessaire à la Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 2
  • 3. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com naissance d’une organisation, elle différencie par exemple de la foule qui n’est pas un groupe structuré. • La coordination des tâches : l’action collective doit être en mesure de voir le jour, les efforts de chacun permettre, avec une certaine cohérence, d’atteindre les objectifs assignés par les organisateurs. Des procédures - plus ou moins formelles - sont donc à prévoir pour ordonner les contributions respectives. Il y aura par conséquent ce qu’on appelle un « système d’autorité » veillant à l’adéquation entre les comportements des individus et les buts fixés ; un « système de communication » qui permettra de mettre en relation les membres soit dans le cadre du rapport hiérarchique/subordonné, soit en dehors ; enfin un système de « contribution-rétribution » précisant la participation de chacun et la récompense qu’il en tirera. Tout ceci laisse la place à une variété infinie de structurations allant de la plus souple à la plus formalisée. • Une certaine stabilité : le besoin d’établir explicitement des règles, de répartir le travail et d’ordonner la coopération au sein d’un groupe (ce qui est littéralement la tâche « d’organiser ») ne sera ressenti que si le groupe est destiné à jouir d’une certaine pérennité, même relative (comme lors de fonctionnements en mode projet). La mise en place, coûteuse, des ces procédures fait qu’elles n’adviendront pas pour un événement trop ponctuel. La naissance de la sociologie des organisations peut être considérée comme concomitante de la mise en place de la discipline sociologique fin 19ème début 20ème par les pères fondateurs que sont Max Weber et Emile Durkheim. Au cours des années, les chercheurs se sont penchés plus spécifiquement sur certains types d’organisation dont nous pouvons faire un inventaire, sachant qu’il ne sera en rien exhaustif et qu’il n’épuise pas les possibilités de mise en place d’organisation. Il est cependant intéressant de connaître le type d’organisation étudié afin de mieux comprendre les théories qui ont pu en découler : • Des institutions « totalitaires », où le terme est ici à prendre au sens où Erving Goffman, l’a utilisé, c'est-à-dire dans le sens d’une organisation se coupant de son environnement afin de se déterminer et de déterminer le comportement de ses membres totalement. C’est le cas d’asiles, d’hôpitaux psychiatriques, de prisons, de navires ou d’expéditions coupées du monde mais aussi parfois d’entreprises cherchant une forme d’autarcie. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 3
  • 4. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com • Beaucoup de firmes industrielles, où y furent testés les principes de l’organisation scientifique du travail plus connus sous le nom de taylorisme mais aussi les idées de cultures. • Des communautés religieuses où furent employés les concepts psychanalytiques. • Des réseaux d’entreprises pour comprendre les relations de celles-ci avec leur environnement mais aussi pour tracer ou remettre en cause les frontières qui séparent l’entreprise de ce dernier. • Des partis politiques pour illustrer les conflits d’intérêt dans une même organisation et proposer un regard critique sur les aspirations démocratiques que l’on peut prêter naturellement à l’exercice de la fonction politique. • Des groupes scolaires pour déterminer les types de direction les plus efficaces. • La société de cour pour analyser les règles régissant les interactions dans un cadre très institutionnel. • Des entreprises publiques de service pour analyser l’évolution des règles et le changement organisationnel, notamment sous l’impulsion des techniques d’information et de communication. • Des associations pour ouvrir l’analyse sur des formes d’organisation non nécessairement marchandes • Des instances gouvernementales pour mieux détailler les processus amenant à une prise de décision. • Des facultés pour étudier des cas où la complexité des procédures et des contraintes conduit à fortement limiter la possibilité de prendre des décisions rationnelles. La diversité de ces objets d’analyse nous rappelle que le phénomène organisationnel, bien qu’il renvoie plus naturellement aux entreprises, ne doit pas être limité à cela. Nous vivons en effet au sein de nombreuses organisations parfois même sans nous en rendre compte et les théories permettant de comprendre celles-ci sont donc applicables à beaucoup d’autres secteurs de la vie sociale. C’est ainsi que certains auteurs proposent d’utiliser leurs outils pour comprendre la société aux côtés de théories de sociologie générale, et les études en découlant ont une certaine pertinence, une fois le cadre adapté à une situation souvent plus complexe et informelle que celles trouvées dans le cadre d’une analyse d’entreprise. À ce titre, Amitaï Etzioni a proposé une grille permettant de distinguer les organisations des autres groupes qui reprend en partie les caractéristiques que nous venons de voir mais en les Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 4
  • 5. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com synthétisant de manière à les rendre plus opératoires. Ainsi, pour distinguer les armées, les entreprises, les écoles des familles, groupes d’amis ou de la tribu, il faudra qu’il y ait • Division du travail et du pouvoir • Présence d’un ou de plusieurs centres de décision qui indiquent la performance que l’organisation doit réaliser • Remplacement du personnel qui ne donne pas satisfaction Nous pouvons considérer avec Jean-Claude Scheid [Les grands auteurs en organisation, Dunod] qu’il existe trois traditions d’analyse des organisations : • La sociologie des organisations à proprement parler dont le but sera plutôt de mettre à jour les variables essentielles qui déterminent le fonctionnement d’une entreprise de manière objective • Les théories managériales issues des praticiens et plus axées sur les problèmes des dirigeants des organisations. Leurs solutions auront par conséquent un caractère plus normatif et applicable immédiatement. • La psychologie, qui cherchera à expliquer le rapport d’un individu à son travail et ses logiques personnelles d’investissement. Ces trois grands domaines n’épuisent pas la liste des approches possibles de l’organisation qui pourra être vue sous l’angle juridique, économique, mathématique, technique, chacune apportant son lot de connaissance sur notre objet. Par ailleurs, les auteurs s’étant attelés à la théorisation autour des organisations ont souvent été à cheval entre ces différentes théories et il serait dur de les classer strictement dans l’une ou l’autre. Ce qui sera étudié ici sera donc un tout mêlant les différentes préoccupations des trois approches. Le plan que nous suivrons, s’il suit parfois un déroulement chronologique dans la succession des approches, ne devra donc pas pour autant être interprété comme un empilement où chaque nouvelle théorie remise les anciennes au placard. Toutes ces approches, mêmes les plus anciennes, peuvent éclairer les problèmes particuliers d’entreprises dans certains cas. Les théories des organisations n’ont pas la prétention de fournir une théorie qui serait apte à rendre compte de toute organisation. Chaque théorie apporte un éclairage particulier sur son objet, certains de ces éclairages convenant mieux que d’autres selon les contextes. Par exemple, l’organisation scientifique du travail si décriée désormais garde toutefois une forme de pertinence dès lors que nous étudions une firme aux tâches répétitives et fortement formalisées. D’une manière générale, ces théories mettent en exergue un pan Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 5
  • 6. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com spécifique du fonctionnement d’une organisation qui pourra se manifester plus ou moins fortement selon les cas mais ne sera jamais totalement absent. Même les créatifs publicitaires ont une part de leur travail formalisé selon les principes de l’OST, ne serait ce que dans l’outil qu’est la copy strategy. Ces théories ont pour objectif d’expliquer le fonctionnement des organisations afin de mieux les comprendre dans une visée de connaissance pure ou de stratégie générale, mais aussi de proposer des solutions à des problèmes concrets se posant dans les entreprises. À ce titre, les théories des organisations doivent leur richesse au travail commun qui a pu être réalisé par les chercheurs avec les entrepreneurs. En effet, il s’agit d’une discipline où le travail de terrain a toujours nourri la théorisation. Ce terrain si important pour la qualité scientifique des propositions n’est en effet pas toujours aussi accessible aux chercheurs. Or, dans le cas des organisations, l’accueil des chercheurs a toujours été relativement aisé, beaucoup d’entreprises allant même quérir cette expertise pour mieux gérer leur structuration et les rapports humains en leur sein. Les théories sont donc toujours issues de travaux minutieux dans l’entreprise, souvent sur des temps longs, et d’autant plus qualitatifs qu’ils étaient souvent bien accueillis par les employés comme par les dirigeants. En sociologie, un axe est traditionnellement utilisé pour différencier le niveau sur lequel portent les analyses et qui différencie le niveau microsociologique du niveau macrosociologique, tout cela complété par un niveau intermédiaire nommé mezzo. La sociologie des organisations peut aussi se comprendre selon ces axes et nous nous intéresserons à différentes réalités selon celui retenu. Macro-social : L’organisation comme traduction d’un système socio-économique plus global. Méso-social : l’organisation prise comme entité à part entière, comme système avec ses régulations et ses propres modes de coordination. Micro-social : Les relations interindividuelles, la motivation au travail, le vécu des individus. I. Perspective historique Les origines Le travail organisé est une invention relativement récente dans l’histoire de l’humain. Pendant 600 000 ans, l’activité humaine se résumait à assurer sa survie par la cueillette, la chasse et la pêche. Les tribus étaient nomades et s’abritaient dans des abris de fortune. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 6
  • 7. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com Une première révolution dans l’organisation de l’activité humaine survient au néolithique (8000 ans av JC) : le passage de la prédation à la production. Il s’agit d’une transformation en profondeur de l’organisation du travail puisqu’il va désormais s’agir de semer, de labourer, d’irriguer, en vue de la récolte et non plus simplement d’assurer sa survie au quotidien. La planification, très relative bien sûr, est inventée. Les animaux vont être domestiqués pour aider l’homme dans ces tâches. Les élevages et l’agriculture permettent à la fois d’obtenir de la viande mais induisent aussi la sédentarisation des tribus. Cette sédentarisation permet de développer les prémisses d’une urbanisation, ce qui favorise l’émergence de métiers propres à l’administration et à la vie d’une cité, et qui se développeront durant la période que nous nommons l’Antiquité. Les métiers du bâtiment et de l’équipement intérieur naîtront : maçon, architecte, potier, céramiste, forgeron ; ainsi que ceux relevant du commerce : nous trouvons les premiers marchands ; ou de la politique : armée, police, politiciens, historiens. Une nouvelle forme de division du travail apparaît. Là où elle se limitait à la différence entre chasseurs (hommes) et non chasseurs (femmes, enfants et personnes âgées) chargés du dépeçage, de la sculpture des os, de la préparation des peaux pour les conserver, une division donc totalement calquée sur le sexe et les générations, l’apparition de métiers vient tout changer. Avec le néolithique survient une plus forte division des tâches engendrant immédiatement une hiérarchie qui aboutira à des rapports de domination et à une hiérarchisation sociale avec des catégories qui s’attribueront le contrôle du sur-travail (pouvoir politique ou religieux par exemple). Ceci aura des incidences sur l’organisation sociale : apparition de l’esclavage et classement des personnes en fonction de leur activité professionnelle5 . Dès cette période, les luttes sociales apparaissent. Elles sont indissociables des rapports de domination. Elles prennent néanmoins différentes formes selon les époques et surtout les caractéristiques des populations en situation de domination. Par exemple, la Grèce du dernier siècle av JC voyait une population d’esclaves formant une population hétérogène et les conduites de contestation étaient plutôt individuelles (fuite, résistance quotidienne au travail) ; plus rarement les luttes étaient collectives (cf. traces recensées d’une révolte d’esclaves menée par un gladiateur de Capone et écrasée par 10 légions romaines en 73-71 av JC). Plus tard au Moyen-âge, ce fut le tour des révoltes paysannes ; du sabotage ou de la résistance : 5 Par exemple, les thètes de la Grèce antique, ouvriers indépendants, donc non esclaves, mais encore plus pauvres et marginaux. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 7
  • 8. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com ralentissement du pas de la charrue sur la terre du seigneur, fraude, dissimulation de la production sur laquelle on doit le cens, etc. Les représentations mentales du travail Avant d’aborder les Révolutions Industrielles et les notions modernes du travail qui nous accompagneront tout au long du cours, nous pouvons recenser les grandes représentations sociales qui vont toucher au travail dans le monde préindustriel. Il apparaît ainsi que les représentations mentales autour du travail sont très liées aux rapports sociaux. Ainsi Marcel Mauss remarque que « la division du travail n’est pas un phénomène exclusivement économique, c’est un phénomène juridique, souvent métaphysique et religieux, et toujours moral » (Marcel Mauss, « Manuel d’ethnographie », Paris, Payot, 1947). En effet ce principe moral dépasse toujours le seul lien économique pour toucher à la construction d’une communauté, comme en témoignent les devoirs croisés du maître et du compagnon ou les engagements de fidélité des paysans au seigneur contre le devoir de protection de celui-ci. Ce désintérêt préindustriel pour l’économique se traduit de même dans l’absence de référence à la notion de productivité, remplacée alors par la distinction entre faibles et vaillants, entre oisiveté et activité et par la primauté accordée au respect des règles du groupe. Le concept moderne de travail Entre le Xème et le XVème siècle, soit la période du Moyen-Âge, une forte spécialisation des activités et une division des tâches accrue contribuent à bien séparer les rôles de la ville et de la campagne. La fin de la guerre de 100 ans à la fin du XVème siècle et la période de reconstruction qui l’accompagnent permettent à la fois une autonomisation du travail vis-à-vis des pouvoirs politiques et religieux, un changement des représentations autour du travail qui devient une fin en soi et se trouve associé à la vertu et à la santé, et aux fondements de ce qui deviendra l’industrie à travers les ateliers, les guildes ou les corporations L’Europe va connaître une grande expansion du 16ème au 18ème siècle qui s’accompagnera de la généralisation de l’usage de la monnaie et permettra la mise en place d’un système économique marchand. Ainsi, le travail peut se convertir en marchandise, qui peut s’échanger contre de la monnaie, qui est comparable donc universelle : un ordre marchand peut se développer au-delà des frontières locales. Le salaire est mis au point dans les fabriques et manufactures et permet d’échanger son travail contre de l’argent. C’est l’époque où naît la théorie moderne du marché sous la plume Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 8
  • 9. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com d’Adam Smith [Recherche sur la nature et les causes de la Richesse des Nations, 1776] au fondement de la pensée capitaliste encore de nos jours. La révolution industrielle Durant un siècle, de la fin du 18ème siècle à la fin du 19ème , les grandes structures industrielles se mettent peu à peu en place. Au 18ème siècle, les ouvriers possèdent encore un fort pouvoir du fait de leur expertise du travail et peuvent imposer leur ordre aux manufactures et au patronat en contrôlant sévèrement le déroulement du travail et de la transmission du savoir. L’héritage du savoir- faire est en effet alors familial et il n’est pas rare que tous les travailleurs d’un domaine d’activité appartiennent à la même famille. Par ailleurs, les ouvriers veillent au respect de normes mises en place et labellisant le travail dans chaque secteur d’activité (qualité attendue, temps d’exécution alloué, tarif de rémunération par pièce). Les entrepreneurs ne respectant pas ces normes s’exposent à des grèves qui ont entraîné certaines entreprises à la faillite aux États-Unis. L’arrivée de la machine pendant le 19ème siècle ainsi que le travail des femmes et enfants va modifier ce rapport de pouvoir. Les tâcherons, chargés de recruter les ouvriers dans un domaine de travail dont ils connaissent les rythmes et les exigences mieux que les patrons vont effectuer de la sous-traitance des tâches pour ces derniers. La forte population demandeuse de travail renverse le pouvoir au profit de l’entrepreneur qui a maintenant le choix et qui est moins soumis aux compétences des ses ouvriers. On passe de la corporation à la manufacture puis enfin à l’industrie. Chronologiquement, la Révolution Industrielle commence en Angleterre sous le règne de George III dans un climat extrêmement favorable puisque l’Angleterre dispose d’importantes ressources naturelles et d’une prospérité économique stable. De 1750 à 1780, elle débute par une révolution agraire qui réorganise les terres communales et voit une hausse des rendements importante. La communication et la circulation sont favorisées par des rivières navigables irriguant le pays, un réseau important de ports aidant le commerce maritime et un réseau de canaux et de lignes de chemin de fer pour les activités minières. Sa situation insulaire la préserve en partie des conflits européens, elle connaît peu de conflits internes et ses colonies lui apportent de nouveaux marchés. Après 1850, des inventions techniques stimulent la production, notamment avec de nouvelles machines à filer et à tisser ou le moteur à transmission venant compléter la machine à vapeur inventée au Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 9
  • 10. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com siècle précédent. Enfin, la structure sociale encourage les individus à tenter leur chance dans le modèle capitaliste là où d’autres pays, et notamment la France, voient certaines castes répugner à se lancer dans des activités réservées à des castes moins prestigieuses (comme ce fut le cas de l’aristocratie qui répugnait à se rapprocher du monde bourgeois). L’Europe bénéficie aussi de ce mouvement positif dès 1800, particulièrement autour des bassins miniers et des grands centres de communication6 . Les avancées anglaises pénètrent le Continent soit par l’importation des techniques et techniciens anglais, soit par l’investissement des entrepreneurs anglais à l’étranger. Le processus d’innovation s’autonomise même pour créer aussi de nouvelles machines. Cet essor est encouragé par les pouvoirs publics qui, en investissant dans les réseaux de communication (chemins de fer, canaux), permettent aux marchandises de circuler plus librement. Les barrières douanières entre régions ou pays sont également allégées ou éliminées. La Seconde Révolution Industrielle De 1870 à la première guerre mondiale va s’étaler la Seconde Révolution Industrielle, cette fois-ci initiée par l’Allemagne. Elle ne se basera plus sur l’amélioration de la productivité dans des domaines existant mais sur la création de nouvelles activités parmi lesquelles la chimie, l’électricité, les produits manufacturés ou, nouveaux marchés, les services comme les banques, les assurances ou l’import-export. Cependant, cet essor ne se traduit pas nécessairement par une amélioration de la situation économique des pays européens tandis que de nouveaux pays émergent : Suède, Italie, Russie Si la première Révolution a été celle du charbon et du fer, la seconde est résolument celle de l’acier et de l’électricité. Et ces changements se traduiront bien sûr dans l’évolution de la production (passage d’une production d’acier de 540 000T à 14 600 000T entre 1870 et 1895) mais aussi dans la création de nouveaux produits (la chimie permet la création de marchés comme celui du savon, des textiles synthétiques, des plastiques, des cosmétiques) ou encore dans l’architecture urbaine (tramway, éclairages publics, des habitations et des usines grâce à l’avènement de l’électricité). La population reste cependant majoritairement rurale et ce sera durant le 20ème siècle que nous assisterons à l’exode vidant les campagnes au profit des villes. 6 Nord de la France et pourtour du Massif central : Monceaux les Mines-Creusot ; Vallée de la Meuse en Belgique ou vallée de la Ruhr et la Silésie en Allemagne ; Les grands carrefours : Paris, Berlin, Lyon, Cologne, Francfort. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 10
  • 11. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com La période de transition L’industrialisation a pour effet de transférer l’activité économique de l’espace domestique vers des organisations spécialisées. L’essor de l’état-nation et l’unification qu’il sous-entend (linguistique, territoriale principalement puis des mesures, du temps, de la monnaie, etc.) aboutit à la modernité, qui affaiblit le poids du local au profit de l’universel. L’état se doit d’être arbitraire et neutre dans sa gestion des affaires publiques. Tout ceci concourt à la standardisation. Le produit unique issu de la rencontre entre le savoir-faire d’un artisan et le désir d’un acheteur n’est plus le modèle de production. Il est remplacé par le produit manufacturé qui peut être jugé selon des critères établis préalablement à la production, où la fiabilité est obtenue non plus par l’expertise de l’artisan mais par le procédé de fabrication, lui-même obtenu par le travail de l’expert, nouvelle figure importante du processus de production. On passe d’une production qualitative à une production quantitative. Le mode de gestion de l’entreprise passe d’un modèle paternaliste à un modèle capitaliste. Parallèlement, la science permet d’unifier les modes d’accès à la connaissance, reléguant les autres modes d’accès7 à de simples croyances. La méthode scientifique est chargée d’obtenir des mesures universelles, par le truchement de la méthode observation/expérimentation. L’exercice de l’autorité Analyser le fonctionnement d’une organisation renvoie nécessairement à l’exercice du pouvoir dans cette organisation. Celui-ci est intrinsèque à toute action organisée. La question de qui le détient et de comment il l’exerce définira en grande partie le type d’organisation auquel nous aurons affaire. Dans le contexte que nous venons d’évoquer, il devient nécessaire de justifier l’exercice de l’autorité de la même manière que l’état justifie de sa gestion des affaires publiques. Max Weber proposera au début du 20ème siècle de distinguer trois formes d’autorité qui donneront lieu à trois formes d’organisation. Il commence par distinguer le pouvoir « aptitude à forcer l’obéissance » et l’autorité « aptitude à faire observer volontairement les ordres ». Il distingue donc dans l’autorité un processus où les ordres seraient acceptés, car jugés légitimes par les subordonnés qui les accompliraient donc de leur plein gré. Le premier type d’autorité, nommé charismatique, en appelle aux qualités personnelles d’une personne qui sera considérée alors comme leader. Ce type d’autorité est ponctuel : il est 7 Religion, magie, philosophie, sagesse personnelle. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 11
  • 12. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com toujours possible de trouver plus fort ou plus brillant que soit. Ce modèle pose aussi le problème de la succession car on prête ces qualités à une personne particulière et elles ne sont pas nécessairement transmissibles. Ce modèle se retrouve historiquement à travers de grands personnages religieux ou politiques : Fidel Castro, De Gaulle, Jésus-Christ, Richelieu, Bonaparte, mais aussi de nombreux chefs d’entreprise (Edouard Leclerc, André Citroën, Bill Gates, Steve Jobs, Ruppert Murdoch). Le deuxième type d’autorité est appelé traditionnel. Il se base sur le précédent, la coutume, les habitudes. C’est un modèle d’autorité conservateur où l’on s’en réfère à ce qui fut toujours fait ainsi. Il peut être la forme pérenne d’une autorité charismatique si un individu doté de cette qualité est arrivé à instaurer sa succession par l’hérédité par exemple mais elle peut aussi se former d’elle-même. La monarchie en est une bonne illustration et de manière générale toutes les entreprises où le descendant hérite du père. Sous une forme plus diffuse, c’est aussi cette forme d’autorité qui préside dans la coutume populaire, le savoir traditionnel, le « on a toujours fait comme ça » qui fonde le terreau de beaucoup de résistances au changement. Le dernier type d’autorité est appelé par Weber « rationnel-légal ». Ce modèle est celui qui nous intéresse le plus car il est selon Weber le seul acceptable dans la modernité. Ceci ne veut pas dire que les autres disparaîtront, comme les exemples précédents nous l’ont montré, mais que ce mode sera le plus répandu. Découlera de ce modèle ce que Weber appellera la bureaucratie8 que nous étudierons plus avant. Il est basé sur la reconnaissance de la qualification de la personne et de la justesse de ses ordres. Il y a donc recherche d’une forme de consensus dans l’exercice de ce pouvoir. C’est le modèle démocratique où l’exécutant ne dispose pas de pouvoirs personnels mais attachés à son statut. Les personnes sont nommées à des fonctions qui ne se confondent pas avec elles et ce selon une norme acceptée par tous (le diplôme, un comité de recrutement, des concours). La rationalité technique proposée par le développement des sciences et techniques va soutenir l’essor de ce modèle. La connaissance et la science vont devenir ce langage commun à tous qui permettra de trouver un consensus9 . Max Weber ne prétendait pas décrire des réalités observables avec ses modèles. Il proposait ce qu’il appelait des « idéaux-types », c'est-à-dire des modèles parfaits servant à comprendre les cas observés dans la réalité mais ne s’y confondant pas totalement. Il est ainsi impossible de trouver une entreprise représentative du modèle de l’autorité charismatique uniquement. 8 À ne pas confondre avec l’utilisation péjorative que nous en avons aujourd’hui. 9 Par exemple, les mesures, une fois standardisées, vont permettre à tous les acheteurs/vendeurs de s’entendre, vont permettre la comparaison ; la démarche scientifique expérimentale va, par exemple en chronométrant des actions, justifier de l’abandon d’une manière de faire pour une autre. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 12
  • 13. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com Toutes les organisations mêlent à des niveaux divers ces trois formes d’autorité dans leur exercice et il conviendra de repérer dans quelle mesure. Cette ère de la modernité scientifique va donner lieu aux premières théorisations de la firme. Premières théorisations de la firme Marx et la théorisation des formes modernes de coopération dans le système capitaliste La première analyse classique qui vient à l’esprit lorsque nous parlons du système capitaliste est bien sûr la critique qui en a été faite par Marx. On a surtout retenu de lui sa théorie de la lutte des classes, qu’il développera au contact de la population française lorsqu’il émigrera d’Allemagne en 1843 après des études de philosophie et de droit. Il arrive en effet au moment de la naissance d’une classe ouvrière revendicatrice contre la grande bourgeoisie et l’aristocratie financière. Inspiré par les premiers auteurs socialistes utopiques (Proudhon, Fourier, Simon), il prête à cette classe émergente un potentiel révolutionnaire immense apte à renverser l’ordre social petit-bourgeois. Il écrit le manifeste du parti communiste en 1847 à Paris. Il continuera à analyser le mouvement ouvrier en se rendant en Angleterre, fleuron du modèle capitaliste, où il pourra étudier les premières formes du syndicalisme. Il retourne en Allemagne dès 1848 pour participer à travers le Comité de Salut Public créé à Cologne à un mouvement révolutionnaire qui finira par le faire expulser de son pays d’origine. C’est donc en Angleterre qu’il écrira entre 1857 et 1867 le Capital. Pendant cette période, l’Internationale ouvrière est créée et fédère les mouvements anglais et français, puis allemands après 1964. Cette organisation soutiendra les grèves et revendications des mouvements ouvriers jusqu’à sa disparition en 1871 après l’écrasement des communards parisiens par les versaillais. Jusqu’à sa mort en 1883, il travaille à la traduction de son œuvre majeure et à la diffusion de ses théories, notamment en Russie où elles auront un accueil très marqué. Le succès historique du communisme pendant le 20ème siècle place son inspirateur principal comme le fondateur d’une alternative au modèle capitaliste. On oublie ainsi que Karl Marx a été avant tout un grand théoricien du capitalisme. Ses ouvrages critiques se basent en effet sur une connaissance parfaite de ce système qui fait que nombres d’économistes moins Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 13
  • 14. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com révolutionnaires le citent comme principal inspirateur dans les théories qu’ils ont pu élaborer pour parfaire le modèle d’Adam Smith. Dans le Livre 1 du Capital, Marx traite de la division du travail en définissant la coopération capitaliste. Il l’oppose à la coopération simple, sur le modèle de la chasse ou des débuts de l’agriculture. Ces dernières se basent sur les principes de communauté des biens et des conditions de production ainsi que de l’objectif commun, le tout organisé selon une juxtaposition, dans un atelier, de métiers complémentaires pour la fabrication d’un produit composite. Avec la coopération capitaliste, telle qu’elle a pu se développer dans les manufactures, on voit le passage de la coopération simple à la division du travail par tâche (i.e. au sein d’un même métier). Par exemple pour une manufacture d’épingles : avant un ouvrier réalisait 20 opérations pour fabriquer l’épingle. Dans la manufacture décrite par A. Smith (1776), 20 ouvriers réalisent chacun une opération (qui sera encore divisée par la suite). La première division du travail permet la fabrication de 48 000 épingles pour 10 ouvriers, pour arriver à 600 000 épingles pour 1 ouvrier surveillant 4 machines un siècle plus tard. Commence alors une lutte contre les temps morts que représentent les temps passés par un ouvrier à changer d’opération. On morcelle les métiers en succession d’opérations uniques. Enfin, la mécanisation rend objectif le travail : il est désormais indépendant des facultés intellectuelles de l’ouvrier, la coopération est prise en charge par l’articulation des machines. Cette nouvelle organisation va permettre de générer une plus-value grâce à une meilleure répartition des opérations qui permettra l’exécution simultanée de plusieurs tâches et l’optimisation de chaque outil. En découleront des économies d’échelle, des baisses des frais et une diminution du temps de production. C’est cette plus-value constituant un profit non redistribuée qui va permettre l’accumulation du capital. Ce capital va bien sûr revenir aux propriétaires des outils de production. Il va créer la rupture entre les ouvriers, qui vendent leur force de travail mais ne bénéficient pas de cette plus-value, et les propriétaires du capital, qui vont bénéficier des bienfaits de cette nouvelle coopération. Cette forme de coopération va nécessiter la création de nouvelles fonctions d’encadrement afin de veiller à son bon respect. Weber et les raisons de l’essor du capitalisme Max Weber que nous avons déjà évoqué précédemment a choisi de s’attacher à éclairer une autre partie du capitalisme en tentant de mettre à jour les raisons sociales de sa genèse. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 14
  • 15. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com Il cherche donc à établir un lien entre la religion protestante issue de la Réforme et le système industriel moderne. Dans son ouvrage « L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme », il note en effet une particularité propre à tous les groupes sociaux dirigeant en Allemagne : leur religion. L’Allemagne est pourtant composée assez égalitairement de catholiques et de protestants mais les postes de pouvoir, qu’il s’agisse des chefs d’entreprises ou des propriétaires, ou plus généralement de la main d’œuvre la plus qualifiée, voient une surreprésentation des protestants. Ce constat était de notoriété publique à l’époque mais Weber va en proposer une interprétation. Pour cela, il commence par donner une définition du capitalisme comme système reposant sur l’entreprise industrielle, ayant pour but le profit et comme moyen l’organisation rationnelle du travail. C’est cette alliance d’un but de profit avec des moyens basés sur la science qui fait l’originalité du capitalisme10 . La finalité diffère aussi, selon Weber, des autres époques : dans le système capitaliste, l’accumulation plus que le profit devient une fin en soi. Max Weber attribue donc une éthique au capitalisme qu’il illustre à travers un texte de Benjamin Franklin (au titre évocateur : Conseils indispensables à celui qui veut devenir riche). Cette éthique encourage à l’ascétisme, méprise le paraître et la dépense inutile et glorifie le travail. Et la raison de ce zèle dans le travail repose selon notre auteur non sur les bénéfices qu’il pourra tirer de sa richesse, puisqu’on l’a vu, l’éthique qu’il a intégré le pousse à mépriser ces futilités, mais sur le sentiment d’avoir bien accompli sa tâche et par là même rempli sa vocation. Le lien est alors possible avec les préceptes de Calvin, résumés en cinq propositions par Weber : - Il existe un Dieu absolu, transcendant, qui a créé le monde et qui le gouverne mais qui est incompréhensible, insaisissable à l’esprit des hommes. - Ce Dieu tout-puissant et mystérieux a prédestiné chacun de nous au salut ou à la damnation sans que, par nos œuvres, nous puissions modifier un décret divin pris à l’avance - Dieu a créé le monde pour sa propre gloire - L’homme, qu’il doive être sauvé ou damné, a pour devoir de travailler à la gloire de Dieu, de créer le royaume de Dieu sur terre - Les choses terrestres, la nature humaine, la chair appartiennent à l’ordre du péché et de la mort, et le salut ne peut intervenir pour l’homme que par la grâce divine 10 Les moyens employés par ceux désirant faire du profit n’avaient jamais été ceux-ci. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 15
  • 16. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com Ces préceptes laissent en effet au croyant la question de savoir comment se comporter pour œuvrer à la gloire de Dieu sans avoir aucun moyen d’accéder à sa volonté. De la même manière, chacun ne peut que s’interroger sur son statut sans avoir de réponse facilement observable : élu ou damné ? Le protestant va donc chercher dans le monde les signes lui indiquant son élection. Pour lui, la réussite matérielle en sera un exemple. Elle s’impose donc pour les personnes, non pas en raison du profit mais au nom de cette possible élection par Dieu. D’autres éléments de la théologie calviniste doivent être ajoutés pour donner naissance au capitalisme. La finalité de cette réussite matérielle : Puisque les choses terrestres ne méritent que mépris, les richesses ne devront pas être dépensées mais accumulées. Cette logique puritaine, méfiante vis-à-vis de la jouissance, issue de la nature corrompue de l’homme, va permettre l’accumulation du capital. Enfin, le protestantisme est une religion individualiste : chacun est seul face à Dieu, ce qui a pour effet d’affaiblir la communauté et le sens du devoir vis-à-vis des autres. Cette affinité spirituelle s’ajoute à la seule logique économique proposée par Marx et permet de mieux comprendre cette finalité trouvée nulle part ailleurs qu’en Occident de vouloir maximiser le profit non pas pour profiter de cette plus-value mais juste pour produire plus. Il faut cependant faire très attention à ne pas en conclure que les pays protestants se développent mieux économiquement que les autres, comme certains ont pu le faire, ce que Weber en personne a eu l’occasion de réfuter. Weber a rapproché deux modèles pour montrer leurs affinités, il n’a en rien prétendu à l’exhaustivité de la réponse. Beaucoup d’autres facteurs entrent en compte pour garantir le développement économique d’un pays, qui permettront à d’autres de connaitre un développement phénoménal sans partager cette éthique protestante. L’organisation scientifique du travail Frederick Winslow Taylor Taylor naît en 1856 dans une famille aisée de Philadelphie. Il se destine au métier d’avocat comme son père mais une grave déficience visuelle l’empêche de poursuivre ses études. Son ascension va donc passer par l’usine où il se fait engager en 1878 comme apprenti. Il suivra ensuite une formation (non rémunérée, le principe du stage à la française en gestation ?) pour devenir ouvrier mécanicien puis modeleur avant de devenir contremaître puis ingénieur grâce à un esprit méthodique et une grande rigueur dans le travail. Sa carrière industrielle se déroulera au sein de la Midvale Steel Compagnie où il testera ses principes avant qu’il Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 16
  • 17. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com n’entame une seconde carrière de conseiller en organisation. Il publiera un certain nombre d’ouvrages se penchant sur l’optimisation de la productivité dans différents secteurs dont en 1895 le « salaire aux pièces », en 1903 la « direction des ateliers », en 1906 « la coupe des aciers », et en 1911 celui qui accédera à la postérité, « les principes de la direction scientifique des entreprises ». Écouté dès 1890, il régnera dans le monde de l’organisation sans conteste dans les années 1910-1920 et son influence ira grandissant jusqu’à la fin du 20ème siècle. Ses principes d’organisation l’opposeront aux syndicats dès 1907. L’American Federation of Labor (syndicat unifié des ouvriers américains) le fera même comparaître devant la Chambre des représentants en 1912. Les raisons de la faible productivité : la flânerie Taylor est comme nous l’avons vu un travailleur forcené, acceptant des conditions difficiles et de prendre sur sa vie personnelle pour évoluer dans son métier. Son passage au statut de contremaître va donc le contraindre à affronter un phénomène qu’il a vu autour de lui : la flânerie systématique des ouvriers. Cependant, il répugne à sévir contre ses anciens compagnons et il va donc chercher une solution qui convienne à tout le monde pour augmenter les cadences de travail. Pour cela, il va suivre l’idéologie dominante du moment : l’approche scientifique. Il commence par identifier deux raisons parfaitement valables expliquant cette flânerie : 1) une tradition de travail inappropriée 2) la certitude qu’ont les employés qu’une augmentation de leur cadence ne leur apportera rien de bon. Pour expliquer la première raison, il analyse les méthodes de travail dans ce qui est appelé la phase A, pré-industrielle. L’ouvrier y est responsable de son travail qu’il organise à sa manière selon la tradition et une compétence empirique formée par l’usage et non par la rigueur scientifique. Ceci va impliquer la deuxième raison puisque la direction, lorsqu’elle décide de demander une hausse de la production, ne peut se baser sur aucune base objective permettant d’évaluer cette hausse, l’ouvrier étant seul apte à juger du travail. On a déjà vu que cette situation profitait à l’employé, qui était payé selon un accord négocié sur un salaire moyen avec un nombre de pièces à produire découlant d’une estimation du temps nécessaire à la production d’une unité. L’ouvrier pouvait choisir d’être payé selon le salaire moyen ou à la pièce en espérant gagner plus par sa bonne productivité. Il avait cependant tout intérêt à ne pas suivre la deuxième solution et à lutter pour faire augmenter le taux de rémunération à la pièce et non la production. Ceci aurait pu aboutir à un chantage à la production : le taux de la Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 17
  • 18. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com pièce étant fixé approximativement et pouvant être remis en cause, si on produit plus, rien n’empêche la direction d’abaisser ce prix à la pièce afin de forcer l’ouvrier à produire toujours plus pour seulement conserver le même niveau de salaire. En effet, si un ouvrier payé à la pièce se met à produire deux fois plus que ses camarades, il va gagner aussi le double de leur salaire, ce qui déplaira fortement aux dirigeants, hostiles à des écarts importants de salaire entre ouvriers. Ils abaisseront le prix à la pièce pour ramener le salaire de l’ouvrier à la pièce dans les mêmes eaux que ceux bénéficiant du salaire moyen. Les ouvriers, que Taylor refuse de prendre pour des imbéciles, ont donc selon lui un accord tacite de limitation de la production qui leur permet de préserver leur salaire11 . Taylor va tenter de mettre en place une organisation remplaçant ce système bloqué. Sa solution est de remplacer cette négociation incertaine des temps de production par sa détermination par un calcul scientifique du temps nécessaire à la réalisation de chaque tâche. Le pouvoir des ouvriers, déjà minimisé par la création des tâcherons, change désormais totalement de main puisqu’il reviendra à la direction de calculer ces temps. Attention cependant, il ne faut pas voir ici une tentative de manipulation exploiteuse de la part de Taylor. Il est normal selon lui que l’encadrement ait la tâche de définir la façon de travailler. Il crée dans l’usine une distinction entre ceux qui pensent et ceux qui exécutent, mais en pensant ainsi améliorer le sort de tous car il espère ainsi éviter les mouvements mauvais pour la santé des ouvriers et leur permettre d’augmenter leur salaire en intensifiant leur travail. Il espère substituer le conflit à la collaboration entre direction et employés, « plutôt que de lutter sur le partage des profits, accordons nous pour les accroître ». Nous allons voir sur quels principes idéologiques se base cette approche que l’on appellera la phase B. L’idéologie sous-tendant les changements proposés Taylor est convaincu que la science pourra résoudre les problèmes posés aux humains. En ce qui concerne les organisations, Taylor charge la direction de ce travail de dissection et formalisation des tâches ouvrières, formalisation qui se basera aussi sur les connaissances théoriques des ingénieurs qui se regrouperont dans un nouvel espace de l’usine : le bureau des 11 Exemple : une pièce est payée un dollar et on estime la production horaire à 10 pièces. On va payer l’ouvrier 10 dollars de l’heure. Maintenant si l’ouvrier se met à produire 20 pièces par heure, la direction va pouvoir réévaluer le prix de la pièce en prétextant qu’elle avait été surévaluée puisque, dans les faits, les ouvriers arrivent à produire deux fois plus. Elle baissera donc le prix de l’unité à 50 cents et l’ouvrier se verra donc obligé de produire deux fois plus pour conserver un salaire identique. La connaissance du travail étant dans les mains des ouvriers, il est donc parfaitement logique que ceux-ci freinent la production. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 18
  • 19. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com méthodes. Ce bureau était le lieu de travail des ingénieurs, souvent situé en hauteur dans un endroit permettant d’observer les ateliers, où ils mettaient au point les méthodes de travail qu’il faudrait ensuite inculquer aux employés. Cette science a un but clair : modifier les anciennes méthodes de travail. Elle a en outre la caractéristique d’être irréfutable. Le positivisme, « l’administration des choses remplacera le gouvernement des hommes », de l’idéologie scientifique du début de siècle fait qu’il y a une bonne façon de faire (« One best way ») et qu’une fois celle-ci mise à jour elle ne souffrira d’aucune contestation, notamment de la part des ouvriers de la phase A, dont le savoir est relégué au rang de croyance injustifiable. L’idéologie est ici décelable dans le paradoxe qui fait que cette méthode soit disant scientifique aboutisse à la certitude là où la science est normalement plutôt encline au doute. L’utilisation qu’il a de la science est à finalité utilitaire et non de connaissance. Son but est d’être irréfutable et modifie par conséquent les rapports humains : il y a dans l’usine ceux qui savent et qui commandent et ceux qui ne savent pas et exécutent, le statut du premier ne souffrant aucune contestation de la part du second. On appelle cette utilisation idéologique de la science le scientisme. L’OST a par ailleurs aussi la spécificité d’être universelle : tout travail, même le plus simple, est susceptible d’être rationalisé de cette manière. Autre facteur permettant de comprendre l’avènement de l’OST, la vision simpliste de l’homme au travail qu’a Taylor. Il ne l’évoque jamais que comme une personne isolée et occulte donc tous les rapports de groupe. Si jamais il doit y faire allusion, c’est comme à une corporation néfaste dont il faut isoler l’individu (certainement héritage de la phase A où les groupes d’ouvriers pouvaient s’opposer à la direction avec un certain pouvoir que Taylor veut briser définitivement). Taylor cherchera donc à briser les rapports de groupe, notamment en isolant quelques ouvriers afin que ceux-ci puissent être étudiés dans leurs actions et fournir les sources aux ingénieurs pour confectionner une méthode scientifique. Mais la conclusion sera aussi de systématiser le conflit entre direction et ouvriers car le taylorisme a, dans son essence même, vocation à soumettre ces derniers, alors que la volonté de Taylor n’était pas du tout d’encourager le conflit. La motivation essentielle retenue par Taylor est l’argent et c’est ainsi qu’il choisit les ouvriers à débaucher pour servir de cobayes. Il fait régulièrement allusion dans ses ouvrages à la vénalité de certains ouvriers et énonce dans ses principes généraux que le salaire élevé est le but ultime du travail de l’ouvrier. Cette insistance sur l’appât du gain est d’autant plus Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 19
  • 20. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com fondamentale qu’elle permet de parer à l’absence totale d’intérêt du travail auquel aboutit le taylorisme. Les principes mis en œuvre pour une organisation scientifique du travail Les principes de l’OST ont été explicitement résumés par Taylor dans son ouvrage fondamental « les principes de la direction scientifique des entreprises » : • « L’étude de toutes les connaissances traditionnelles, leur enregistrement, leur classement et la transformation de ces connaissances en lois scientifiques. • La sélection scientifique des ouvriers et le perfectionnement de leurs qualités et connaissances. • La mise en application de la science du travail par des ouvriers scientifiquement entraînés. • La répartition presque égale du travail exécuté dans l’entreprise entre les ouvriers et les membres de la direction. » Taylor, 1911. Cette méthode découle clairement de celle mise en place dans les sciences expérimentales. Au niveau pratique, Taylor préconise l’observation systématique des opérations des ouvriers pour aboutir à un cahier des charges spécifiant très précisément ce que doit faire l’ouvrier, et dans quel ordre. Il propose un système de salaire différentiel avec au moins deux taux : si la cadence C est inférieure à un seuil C0 considéré comme le standard, on paie la pièce au taux de salaire P0. Si la cadence C est supérieure à C0, la rémunération sera alors au taux P1 où P1 = (1 + x) X P0. Et x sera un pourcentage donné. Enfin, le dernier des principes tayloriens à avoir une incidence pratique directement visible est la distinction entre cols bleus et cols blancs qui donnera lieu à une nouvelle forme de hiérarchie pyramidale, fonctionnelle (i.e. attachée aux fonctions) devenue le modèle classique aujourd’hui, particulièrement dans les bureaucraties. Il aboutit aussi à la standardisation des produits pour un marché de masse de premier équipement. Cette standardisation aujourd’hui critiquée ne posait pas alors le même problème puisqu’il s’agissait pour la plupart des individus d’accéder à tout un ensemble de biens inaccessibles jusqu’alors. Les exigences augmenteront seulement lors des générations ultérieures s’étant habitués à ces produits et réclamant désormais plus de distinction. Le taylorisme va se répandre dans le monde entier et s’appliquer à tous les types d’entreprise au cours du 20ème siècle. Il sera notamment illustré par Henry Ford dans ses usines où il sera le premier à imaginer un système de travail à la chaîne (Taylor n’en aura pas parlé). Les célèbres « five dollar a day » de Ford traduisent bien sa foi dans le système taylorien : division des Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 20
  • 21. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com tâches et hauts salaires afin que les ouvriers soient les premiers à bénéficier des produits qu’ils fabriquent. Henry Ford tenait à ce que chacun de ses employés puisse posséder sa propre Ford T. On peut voir sa foi dans la division des tâches dans sa description de la confection d’une Ford T : « sur les 7882 opérations que nécessitait la construction d’une Ford T, 949 exigeaient des hommes vigoureux, robustes et pratiquement parfaits du point de vue physique, 3338 des hommes ordinaires, tout le reste pouvait être confié à des femmes ou à de grands enfants (…) 670 opérations pouvaient être accomplies par des culs-de-jatte, 2637 par des unijambistes, 2 par des hommes amputés des deux bras, 715 par des manchots et 10 par des aveugles. » Limites du taylorisme L’image d’Epinal véhiculée par la critique du taylorisme faite dans le film de Charlie Chaplin « Les temps modernes » mérite d’être nuancée. Cet aspect outrancier du taylorisme ne retient que les excès dus à la crise des années 30 et à l’application systématique du travail à la chaîne, absent des principes de Taylor. Taylor a permis à la fois d’accroître la productivité d’une manière inédite sans effort supplémentaire de l‘ouvrier (passage par exemple d’une manipulation de 12,7 tonnes à 48 par ouvrier dans la manutention des gueuses de fonte, ce qui a abouti à une augmentation des salaires de 60 % à la Midwale Steel). Cependant ce système a aussi montré ses limites. Tout d’abord, le respect strict des principes de Taylor n’est pas si aisé. La hiérarchie fonctionnelle fait que certains ouvriers ont à répondre à de nombreux supérieurs car leur opération relève de différents secteurs. Les ordres contradictoires peuvent se multiplier et la circulation de l’information en est rendue difficile12 . Georges Friedmann, chercheur en organisations très influent durant le 20ème siècle, a développé par ailleurs une critique assez systématique de l’OST qui est à l’origine de beaucoup de principes encore respectés aujourd’hui dans les entreprises. Il fustige les cadences infernales et le travail en miettes du point de vue d’une vision humaniste qui ne s’accorde pas avec la passivité de l’ouvrier de Taylor. De même il critique la surévaluation du facteur argent dans le comportement des travailleurs. Les nouvelles formes de production et de collaboration, le développement du tertiaire imposent en effet selon lui d’abandonner bien souvent les thèses tayloriennes. 12 Par quel canal faire remonter l’info ? Il est difficile de choisir quel service sera le plus approprié, surtout pour un employé auquel on aura confisqué toute prise de décision - et envoyer l’information à tous créera beaucoup de redondances encombrant inutilement le système d’information. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 21
  • 22. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com Le taylorisme ne s’est d’ailleurs jamais appliqué systématiquement qu’aux ateliers et ne fournit pas aussi facilement d’aide pour l’organisation des autres secteurs, notamment des dirigeants. La possibilité de tout rationaliser (que nous trouverons aussi chez Weber et Fayol dans les sous parties suivantes) est aussi remise en cause. Le postulat selon lequel tout peut être prévu est mis à mal dès lors qu’on étudie le fonctionnement quotidien d’un atelier (notamment les pannes dont il sera question lors de l’analyse stratégique). Ces problèmes se traduiront par de nombreux conflits sociaux, des effets de démotivation des employés et d’absentéisme. La collaboration voulue par Taylor a en effet été rendue impossible par la suppression de la négociation. La valeur de scientificité accordée aux décisions de la direction rendait impossible en pratique celle-ci, et on comprend qu’une direction sûre de ses choix ne soit pas encline à la négociation. Wickham Skinner prendra pour raison la multiplication des types d’industrie et des produits qu’elles confectionnent pour justifier de l’abandon du taylorisme : « trop d’entreprises tentent de faire trop de choses avec une infrastructure et une organisation données, sous prétexte d’amortir leurs investissements et de pouvoir répartir leurs frais généraux. Elles superposent des productions dont les marchés, les technologies, les procédés, les niveaux de qualité s’opposent et se font concurrence. Elles recrutent un encadrement important pour maîtriser et contrôler un amalgame ingouvernable. » Mais le taylorisme ne subira un réel recul dans les organisations qu’avec l’avènement du toyotisme dans les années 90. La bureaucratie Contemporain de Taylor, Max Weber suivra en partie les mêmes voies pour définir la bureaucratie. Définition Nous avons vu que Max Weber avait défini une forme d’autorité qu’il avait qualifiée de rationnelle-légale, qu’il estimait être la seule justifiable dans la modernité. Il tire de cette autorité une forme d’organisation qu’il qualifie de bureaucratique. Cette forme est définie par un ensemble de caractéristiques précises et ne se confond donc pas avec l’utilisation péjorative que nous pouvons avoir de ce terme désormais (le petit robert le définit comme « influence abusive de l’administration »). Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 22
  • 23. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com On peut recenser dix caractéristiques permettant de définir une bureaucratie : 1) ses membres sont personnellement libres et soumis à une autorité seulement pour l’accomplissement de leurs fonctions officielles ; 2) ils sont organisés dans une hiérarchie d’emplois claire et bien définie ; 3) chaque emploi a une sphère de compétence légale bien définie ; 4) tout emploi est occupé sur la base d’une relation contractuelle ; 5) les candidats à un emploi sont sélectionnés d’après leurs qualifications techniques ; dans le cas le plus rationnel, ils sont sélectionnés par concours, examens, ou par des diplômes garantissant leurs connaissances techniques ; ils sont nommés et non élus ; 6) les membres sont rémunérés par un salaire fixe, en monnaie : le salaire varie selon l’échelon hiérarchique ; 7) l’emploi dans l’organisation est la seule occupation professionnelle de ses membres ; 8) l’emploi constitue une carrière : la promotion se fait selon le jugement des supérieurs ; 9) l’employé n’est ni propriétaire des moyens de l’organisation ni propriétaire de son poste ; il y a séparation entre l’homme et la fonction qu’il occupe ; 10) l’employé est soumis à une discipline stricte dans son travail. Un système idéal Nous pouvons donc y cerner la même volonté de rationaliser les activités au sein d’une organisation et d’universalité dans l’application de ces principes. Cependant, Weber reconnaîtra les limites de ce modèle et écrira lui-même que « l’entrepreneur capitaliste est dans notre société le seul type d’homme qui ait réussi à conserver une immunité relative au contrôle de la connaissance rationnelle bureaucratique ». La bureaucratie est donc le règne de la règle, chacun y agit selon ses attributions détaillées dans un contrat et ne peut ni ne doit aller au-delà. Personne n’incarne non plus sa fonction, les individus sont donc interchangeables aux différentes fonctions de l’organisation si tant est qu’ils disposent des compétences requises. On espère ainsi s’approcher mieux des buts à atteindre. Ces règles ne sont en effet pas là pour satisfaire les esprits tatillons mais dans un souci 1) de rationaliser des organisations complexes 2) de garantir l’égalité aux membres de la bureaucratie. Ces règlements très détaillés sont en effet des protections contre un chef ou des clients abusifs. Son modèle est théoriquement parfait : il garantit l’efficacité par la sélection par concours et diplômes ; il permet l’exercice accepté par tous de l’autorité, permettant aussi une stabilité Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 23
  • 24. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com plus grande qu’avec les autres modes d’autorité ; il protège de l’arbitraire : on n’obéît pas à une personne appliquant une procédure mais à cette procédure, de même lorsqu’on en applique une, nous ne sommes pas personnellement responsables de celle-ci. Des dysfonctionnements irrépressibles Ce modèle appliqué dans les organisations va cependant apporter un grand nombre de problèmes. Les dysfonctions sont selon Renaud Sainsaulieu « le faisceau des conséquences secondaires inattendues qui accompagnent toujours un plan d’action rationnel et qui freinent ou empêchent d’atteindre les buts que se sont fixés les dirigeants ». L’école structuro-fonctionnaliste s’attachera à les relever en notant que les effets sont imprévus, positifs comme négatifs. Ainsi Robert K Merton note que ces dysfonctions sont de plus en plus fréquentes au fur et à mesure que les bureaucraties se rapprochent dans la réalité du modèle idéal défini par Weber. Il met en lumière ce qu’il appelle le « déplacement des buts » : à force de règles, les employés finissent par s’attacher plus au respect de celles-ci qu’à la réalisation des tâches qu’elles sont censées permettre ; la multiplicité des règles aboutit aussi à ce que les personnes passent plus de temps à essayer de se repérer et de comprendre dans leur dédale qu’à remplir leur fonction13 . Renaud Sainsaulieu parle aussi des rapports rendus difficiles par ces règles : « ce qui aboutit à créer une rigidité croissante des organisations bureaucratiques qui engendre des tensions supplémentaires dans les rapports aux clients ; lesquelles tendent à leur tour à renforcer le ritualisme des fonctionnaires car ils cherchent à se protéger derrière le règlement face à la hargne des clients ». Les structuro-fonctionnalistes identifieront plusieurs autres effets imprévus : la création d’un esprit de corps, le rôle ambigu conféré aux règles, l’apparition d’une structure informelle, la déviation des buts vis-à-vis des prescriptions formelles (qui pourra néanmoins avoir des effets bénéfiques sur l’efficacité des organisations). En France, Michel Crozier critiquera la bureaucratie française dans son ouvrage « le phénomène bureaucratique ». En ce qui concerne le modèle français, il mettra en exergue la centralisation excessive des décisions, illustrée par le jacobinisme, une hiérarchisation trop développée, un cloisonnement des fonctions. Des phénomènes qu’il liera à des tendances culturelles françaises : crainte du face à face, rapport très distant à l’autorité, évolution par crises plutôt que par micro-ajustements. 13 Exemple : un responsable d’un service académique exige d’obtenir une copie de chaque email avant envoi, quitte à ce qu’il se passe trois jours avant qu’il ne donne son accord, au motif qu’un accord hiérarchique doit valider tout courrier avant envoi. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 24
  • 25. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com De même, il est fréquent de trouver des bureaucraties empruntant au taylorisme, les deux se complétant naturellement. Mais leur utilisation combinée a pu donner lieu à des organisations au contraire amoindries par ce cumul. Ainsi Henry Mintzberg décrit une forme d’organisation (nous verrons sa typologie entière plus tard) qu’il qualifie de bureaucratie professionnelle, qui n’a rien à gagner à appliquer les principes de Taylor pour mener à bien ses actions. C’est le cas par exemple des universités, des laboratoires de recherche ou des hôpitaux qui assurent la coordination des tâches par la standardisation des qualifications de ses membres. Les professionnels se comprennent par leur compétence commune. Les diplômes de chercheur ou de médecin sanctionnent une longue et dure épreuve s’étalant sur des années et permettant aux différents membres de s’entendre par leur savoir commun. Alvin W. Gouldner, sociologue américain influent au milieu du 20ème siècle a tenté d’appliquer les concepts de Weber aux entreprises et en a tiré diverses critiques. Notamment, il soulève que Weber ne traite pas des cas où l’autorité est contestée ou refusée. Il caractérise les formes d’autorité mais ne se penche pas sur l’origine de celle-ci. Il suit en ceci les travaux de Robert K. Merton ou de Philip Selznick qui avaient déjà identifié que les caractéristiques d’une organisations bureaucratique sont celles-là même qui conduisent à son inefficacité : règles impersonnelles réduisant les relations interpersonnelles et provoquant de nouvelles règles ainsi qu’une absence de recherche d’alternatives ; rigidité de comportement des membres entre eux et avec les extérieurs ; délégation de l’autorité aboutissant à l’émergence de buts propres aux unités qui rentrent donc en conflit entre elles et avec l’organisation générale. Chacune de ces caractéristiques ayant de plus l’inconvénient de former des cercles vicieux où le mal ne fait qu’accentuer ce qui le provoque. Gouldner tente d’illustrer cette mauvaise influence de la bureaucratie en suivant la mise en place de règles bureaucratiques dans une mine de gypse américaine. Celle-ci avait autrefois un certain dédain pour les règles formelles se traduisant par une absence de sanction, des relations égalitaires entre cadres et ouvriers, une relative absence de contrôle. La nouvelle situation aboutit à des grèves très dures et un abaissement général du moral des ouvriers. Gouldner en déduit six caractéristiques propres aux règles bureaucratiques : 1) Elles sont des ordres : elles permettent de définir très précisément ce qui est exigé des employés. 2) Elles sont des écrans : une règle permet de réduire le nombre et la durée des relations entre chef et subordonné. Ceci est commode pour les chefs qui ne veulent pas se compromettre ou éviter les responsabilités. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 25
  • 26. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com 3) Elles sont des garanties : on ne peut rien reprocher à celui qui les applique. 4) Elles sont des instruments de contrôle à distance : comme le comportement de chacun est spécifié clairement, le contrôle peut se faire par des rapports écrits. 5) Elles sont des instruments de marchandage : les règles sont souvent surabondantes et donc non entièrement nécessaires. Le chef peut ainsi se montrer indulgent pour s’attirer la coopération informelle de ses subordonnés en retour. 6) Elles sont des instruments d’apathie : l’employé ne fera pas plus que ce que la règle demande. Ceci porte en germe la nécessité de nouvelles règles. Il distingue ensuite plusieurs formes de bureaucratie : la fausse bureaucratie, la bureaucratie représentative, la bureaucratie punitive. La fausse bureaucratie voit des règles établies de l’extérieur qui ne sont pas respectées, ou juste formellement par les employés. À l’époque, c’est souvent le cas des interdictions de fumer, respectées seulement lorsqu’un inspecteur se rend sur le site. Dans cette forme, le non respect des règles n’est pas sanctionné et on observe une grande différence entre l’organisation prévue et celle effective. Elle est généralement peu efficace bien que ses membres s’y sentent bien, surtout lorsqu’ils s’estiment complices dans ce non respect. La bureaucratie représentative suit des règles établies par des experts reconnus comme tels par les membres de l’organisation. Les règles sont donc suivies et acceptées par les membres qui se sentent satisfaits. Il s’agit de la forme « réussie » de la bureaucratie. Peu de membres ne suivent pas les règles et ce seulement par ignorance, les relations y sont solidaires avec une bonne participation de tous. La bureaucratie punitive est quant à elle basée sur un rapport de force entre groupes dont un a mis en place des règles pour contraindre l’autre à obéir. Chaque non respect, considéré comme une infraction, est sanctionné. Tensions et conflits y sont nombreux L’invention du management Henry Fayol 1841-1925 Un contemporain de Taylor s’est intéressé à tout un pan que l’OST laissait dans l’ombre : l’étude de la direction des organisations. C’est Henry Fayol, ingénieur français pénétré des mêmes idées positivistes que Taylor, qu’il a pu lire dans la Conférence de l ’Organisation Française (COF) créée en 1921 et qui diffusait ses travaux en France. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 26
  • 27. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com Il suit la démarche d’un chef d’entreprise, cherchant des réponses pratiques à la question du commandement qui puisse mieux guider que les idées d’autorité ou de prestige. Types de propositions qu’il fait : si l’on veut que les ouvriers ou les salariés obéissent il faut avoir la structure adaptée ; éviter le double commandement (les ordres doivent venir d’un seul homme) ; le commandement n’est pas seulement l ’affaire du directeur de l ’entreprise, il est l’affaire de tous ceux qui occupent une place de relais dans l ’organisation (contremaître, chef de division…) ; être chef c’est avoir sous ses ordres d’autres chefs, et être soi-même sous les ordres de quelqu’un d’autre ; selon sa position le chef doit avoir des capacités différentes en fonction des grands domaines d ’opérations qu ’il distingue. Il plaide donc pour qu’on enseigne la « capacité administrative » qui remplace les subjectifs conseils des leaders prospères. A la manière de Taylor, sa première tâche va être de recenser les opérations constituant la fonction de dirigeant. Il dresse un inventaire impressionnant dont il tire une classification en six catégories de tâches, toutes aussi essentielles, qui seront présentes dans tous les postes, à tout échelon et dans toutes circonstances mais à des degrés divers. Les acteurs auront ainsi toujours un panaché relevant d’activités : • Techniques : liées à la transformation des matières et des informations, à la production • Commerciales : achats et ventes • Financières : gestion des capitaux et recherche de financements • Sécuritaires : concernant la protection des biens et des personnes • Comptables : comptes, inventaires, bilans et statistiques • Administratives Cette dernière fonction l’intéresse particulièrement, car elle a été peu développée par d’autres auteurs alors que son poids ne cesse de grandir lorsqu’on occupe des postes hiérarchiquement élevés. Pour lui, administrer consiste à « dresser le programme général d’action de l’entreprise, de constituer le corps social, de coordonner les efforts, d’harmoniser les actes ». Il livre dans le sous-titre de son ouvrage « administration industrielle et générale » cinq aspects de l’administration : « prévoyance, organisation, commandement, coordination et contrôle ». Et précise dès les premières pages « Prévoir, c'est-à-dire scruter l’avenir et dresser le programme d’action ; commander, c'est-à-dire faire fonctionner le personnel ; coordonner, c'est-à-dire Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 27
  • 28. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com relier, unir, harmoniser tous les actes et tous les efforts ; contrôler, c'est-à-dire veiller à ce que tout se passe conformément aux règles établies et aux ordres donnés ». On voit que son terme administrer renvoie à ce que nous appelons aujourd’hui diriger Il prévoie ainsi un nombre de tâches à remplir pour bien diriger une entreprise : il faut établir des plans en vue de faire évoluer l’entreprise, d’orienter et de régler l’action. Une fois ces objectifs retenus, on peut décider de moyens pour les faire advenir. Fayol considère donc qu’organiser revient véritablement à constituer l’entreprise, et ceci en établissant des règles, en lançant des ordres et en définissant des procédures pour le personnel qui doit être commandé. Il s’agit aussi de mettre en place une cohésion d’ensemble. Pour cela il croit en l’efficacité de la stricte application des consignes. Fayol distingue 14 principes, non exhaustifs, qui doivent être appliqués dans toute activité administrative : • la division du travail (déjà vue avec Taylor) • l’autorité et la responsabilité (qualité essentielle du chef dont la marque est la sanction) • la discipline (car l’obéissance des hommes dépend de la valeur de leur chef) • l’unité de commandement (critique faite à Taylor, il la juge d’ailleurs trop répandue) • l’unité de direction (bien qu’il puisse y avoir des communautés d’intérêt, il ne doit y avoir qu’un seul projet d’organisation) • la recherche de l’intérêt général (par opposition aux intérêts individuels) • la rémunération proportionnelle aux efforts • le degré de décentralisation (en fonction des compétences du personnel) • la hiérarchie (unique et nécessaire) • l’ordre (ceci exige une connaissance précise des besoins et ressources de l’entreprise) • l’équité (garantie par les contrats) • la stabilité du personnel (le turn-over non maîtrisé est une maladie de l’entreprise) • l’initiative (source de satisfaction quand elle est menée à bien avec succès) • l’union du personnel (ce qui le pousse à refuser les communications non verbales) Il prévoie la possibilité de changements selon les contextes en tempérant la rigidité de ces principes mais il les veut tout de même universels. Fayol défend l’importance du chef à travers ses attributions : autorité et responsabilité. Il prévoie une hiérarchie linéaire sur laquelle faire reposer la délégation de l’autorité. Celle-ci Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 28
  • 29. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com est nécessaire selon lui car les individus ont une capacité limitée de traitement de l’information, un ensemble de compétences fini qui doit être épaulé par des compétences complémentaires et enfin car la taille d’une organisation va rapidement éloigner le commandement de l’exécution, ce qui rendra délicat la circulation de l’information. Il met donc en avant deux principes clés : la voie hiérarchique et l’unité de commandement. Ce qui se traduit dans les faits par la nomination claire d’un ensemble de chefs liant base de l’organisation et directions et où la communication ne devra s’établir qu’entre deux rangs successifs, immédiatement inférieurs et supérieurs. Ceci donne une structure hiérarchique en arbre où chaque subordonné ne reçoit d’ordre et ne réfère qu’à un supérieur. Fayol avait identifié la principale faiblesse de son modèle : la lenteur de la communication respectant cette voie hiérarchique. Il proposait donc de mettre en place des passerelles, plus rapides mais moins sûres. Celles-ci liaient deux agents, moyennant l’accord de leurs chefs respectifs afin de respecter le principe d’unité de commandement. Ils pouvaient ainsi rentrer en contact sans avoir à recourir à la voie linéaire de la hiérarchie. Cependant, le principe de l’unité de commandement et le principe hiérarchique se révèlent difficiles à concilier dans la pratique. Taylor aura nommé des chefs sur leurs domaines de compétence, mais leurs subordonnés dépendaient conséquemment de plusieurs d’entre eux. Fayol a voulu simplifier ce fonctionnement en instaurant le principe d’unité de commandement mais celui-ci supposait des chefs omniscients. D’autres auteurs cherchèrent à sophistiquer ce modèle en créant des structures de conseil (spécialistes sans autorité). Ce qui pose justement le problème de l’autorité car les spécialistes n’ont pas toujours les moyens de convaincre rationnellement et dans ce cas se trouvent dépourvus de moyens coercitifs. Toutes ces écoles classiques (OST, bureaucratie et Fayol) ont deux défauts communs majeurs que les théories qui vont suivre tenteront de réparer : 1) la réduction du facteur humain qui laisse de côté un nombre important de dimensions pourtant actives chez l’individu, même en situation de travail et aboutit à une vision appauvrie, aliénante de l’homme au travail. 2) L’aveuglement dans la perfection formelle des modèles proposés, qui ne leur permet pas de voir la différence toujours présente entre le système idéalement défini et sa réalité pratique, hétéroclite et source de nombreux conflits où entrent en compte des jeux de pouvoirs complexes. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 29
  • 30. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com La prise en compte de l’humain L’expérience fondatrice d’Hawtorne La première réaction face aux théories classiques propose une nouvelle prise en compte de l’humain dans l’organisation. Les recherches et théories développées en son sein se regroupent sous l’appellation d’école des relations humaines. Le contexte Cette école est née d’une étude fondatrice menée dans les ateliers Hawtorne de la Western Electric Company durant les années 20 et 30. En 1924, cette entreprise fabriquant tout ce qui concerne les téléphones dans la banlieue de Chicago compte environ 29 000 employés avec un panel important de corps de métiers différents et de catégories socioprofessionnelles. La direction veille à garantir de bonnes conditions de travail par le maintien des salaires à un niveau supérieur à la moyenne nationale, un restaurant d’entreprise de qualité, une infirmerie et un hôpital dédiés aux employés ainsi que des services d’orientation sur tout le site. Cependant, les marques de mécontentements sont préoccupantes et ce malgré la satisfaction affichée par les employés. Un fort taux d’absentéisme, le freinage à la production et une mauvaise qualité de confection inquiètent la direction qui cherche à comprendre les raisons de cet apparent paradoxe. Les tests Une batterie de test est donc mise en place avec la complicité de chercheurs universitaires. Les différentes méthodes et leurs résultats ont apporté un éclairage tout à fait nouveau sur les principes de l’action collective organisée. En effet, ceux-ci ont du, pour être compris, remettre en cause une bonne partie des présupposés sur lesquels reposaient les théories classiques. Nous allons voir en détail le déroulement de ces expériences successives qui se sont déroulées sur des années. Le premier test a été mené sur l’éclairage. On améliora l’éclairage d’un groupe d’ouvrières travaillant dans une lumière artificielle et on vérifia la hausse de productivité en comparaison avec un groupe non modifié, appelé groupe de contrôle. Les deux avaient été prévenus de l’expérience menée. Le résultat vit la productivité augmenter dans le premier groupe, mais aussi de manière analogue dans le deuxième. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 30
  • 31. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com Divers tests ont donc été tentés sur une période 3 ans allant de 1924 à 1927 en améliorant de plus en plus l’éclairage avec à chaque fois une réaction identique. Un chercheur en vint à proposer de baisser l’éclairage et, phénomène encore plus surprenant, la productivité augmenta de nouveau et ce jusqu’à ce que les ouvrières soient trop peu éclairées pour continuer à travailler. Incapables de trouver une explication à ces variations, la compagnie fit appel à une équipe de psychosociologues. Les expériences ont été menées de 1927 à 1932, année où la crise les stoppa. Dès 1928, Elton Mayo, qui devint le père fondateur de l’école des relations humaines, rejoignit l’équipe. Une première enquête est restée célèbre sous le nom du « test room ». On isola un groupe d’ouvrières volontaires dans une pièce à part de l’atelier où la quantité de pièces fabriquées par chacune pouvait être enregistrée ainsi que divers facteurs comme l’humidité ou la température. Un ensemble de facteurs sociaux furent aussi successivement modifiés : système de salaire (par équipe, individuel, au rendement, horaire), durée des pauses (une ou plusieurs, plus ou moins longues, avec ou sans collation), horaires (réduction des horaires, suppression du travail le samedi, retour à la situation initiale). A chaque changement, l’équipe dirigée par Elton Mayo s’entretenait longuement avec les ouvrières qui se montrèrent toujours d’accord pour suivre les modifications proposées. Les résultats de ces changements, quel que furent leur sens, étaient toujours positifs en matière de productivité, qui, au pire, stagnait. Sur une année d’expérimentations, le groupe connut une augmentation de 20 % de sa productivité. Les chercheurs ainsi que la direction étaient perplexes quant à l’interprétation à donner à ces résultats. Les résultats Elton Mayo proposa d’identifier deux grands facteurs dans les raisons des résultats de cette longue approche expérimentale. Tout d’abord, l’observation même semble être l’une des variables qui influe sur le comportement des ouvrières. Elton Mayo en déduit ce que l’on appelle « l’effet Hawtorne », calculé désormais dans toutes les enquêtes et qui prend pour principe que les gens réagissent positivement au fait que l’on s’occupe d’eux pour améliorer leur situation. En effet, dans les deux batteries de tests lancées par les chercheurs, le fait que les groupes aient été choisis pour l’étude a joué énormément. Les testés ont donc réagi en effectuant ce Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 31
  • 32. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com qui leur semblait attendu par les enquêteurs pour se valoriser. Le remplacement d’un contremaître dur par des chercheurs attentifs aux ouvriers semble ici déterminant. Cependant « l’effet Hawtorne » est pris avec nuance par les dirigeants d’entreprise. En effet, les réactions positives aux réorganisations sont fréquentes lorsque celles-ci sont vues par les employés comme une tentative d’amélioration de leurs conditions de travail. Mais l’effet n’est pas durable car dès que le stade d’expérimentation est dépassé, l’expérience cesse d’en être une et devient une nouvelle routine. Une enquête avait été lancée dès 1928 auprès de 2000 ouvriers pour chercher à connaître le type de supervision existant dans chaque atelier. La direction soupçonnait en effet le lien causal unissant meilleure supervision à un meilleur moral et à une meilleure productivité. Il apparut rapidement aux enquêteurs que ce qu’ils évaluaient n’étaient pas les conditions matérielles de travail mais les attitudes émotionnelles des ouvriers vis-à-vis de celles-ci. Les conflits ne semblent donc pas résulter de conditions objectives mais bien plutôt d’attitudes émotionnelles de chacun. Une troisième étude avait été lancée, cette fois sous la forme d’observations sur 14 ouvriers dont les résultats illustrèrent en détail le deuxième facteur explicatif : l’importance du groupe dans le comportement de chacun. Le test room avait déjà illustré ceci par la relative égalité des niveaux de production de chaque ouvrière. Il existait une norme informelle de production contraignant chacune à limiter sa production au même niveau que les autres, sans que celles-ci aient à se le dire, et ce malgré les pannes ou incidents arrivant dans une journée. Les primes ne pouvaient vaincre cette norme informelle. Un deuxième aspect de cette importance du groupe est au moins aussi déterminant : chaque tension ou incident provoquait dans le groupe un malaise qui influait sur le niveau de production. Une véritable vie de groupe existait et celle-ci était sensible aux tensions, ententes entre personnes, etc. Les observations permirent d’affiner ces résultats, notamment en montrant que le moral du groupe était lié à l’entente entre ouvrières mais aussi aux relations avec l’agent de maîtrise. On en conclue que la fonction de contremaître doit plutôt être d’animer ce groupe et non de diriger au sens classique du terme. Les compétences, l’autorité formelle déléguée, la responsabilité devant les supérieurs doivent être complétées par une qualité d’écoute et de conseil, même aux niveaux les plus bas de la hiérarchie. Cette importance du groupe est une découverte fondamentale qui a permis de développer tout un pan de recherche pluridisciplinaire mettant mieux à jour les liens affectifs, les jeux de Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 32
  • 33. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com rôles, la sociométrie, les psychodrames, les éléments constituant le groupe que nous aborderons plus avant. Conséquences et limites de l’expérience Un certain nombre de résultats de cette longue série d’expériences ne furent pas ou mal exploités. L’école des relations humaines a dégagé à travers les entretiens menés le besoin des ouvriers de s’enraciner dans leur entreprise, d’avoir affaire à quelque chose qui leur appartienne en partie et où ils ont une fonction qu’ils sentent importante, de donner un sens à leur action. Fatigue et tensions étaient souvent dues à ce manque. Qu’un individu se révolte s’il ne comprend pas suffisamment son travail est une découverte importante qui a permis de systématiser l’explication aux employés des décisions de l’entreprise en ce qui concernait leur travail, mais l’école des relations humaines n’est pas allé jusqu’à noter que cette révolte ne manquera pas non plus d’arriver si le salarié ne bénéficie pas par la suite d’un certain pouvoir sur son travail. Ensuite, les chercheurs ont bien mis à jour la double fonction d’une entreprise : produire des objets et, selon leur expression, « distribuer des satisfactions ». Les deux sont interdépendantes alors que les directions s’intéressent usuellement uniquement à la première, d’ordre économique, qui justifie toute évolution. Or technique et humain sont indissociablement liés, comme en témoignent les réactions humaines à chaque innovation. Les chercheurs ont donc préconisé trois actions accompagnant toute innovation technique : 1) étudier les réactions prévisibles des ouvriers atteints par cette mesure, 2) prévoir et organiser les problèmes de réaction interpersonnelle dans les groupes, 3) donner des explications à tous les échelons. Mais cette idée n’a pas été mise en place dans les faits. Et ceci pour une raison assez évidente : la théorie des relations humaines, bien qu’ayant mis à jour l’existence d’une vie de groupe, ne considère pas ce dernier comme un acteur de l’organisation. Elle préconise à la direction de prévoir (elle suppose donc que la direction le peut) et d’orienter son comportement, comme si le groupe n’avait pas sa propre appréhension de son rôle ou de capacité de négociation. Le biais fondamental de cette école sera donc de tenter de connaître le plus finement possible le groupe et l’individu pour l’orienter, continuant donc à lui dénier toute possibilité de décision personnelle. L’école des relations humaines a donc l’immense avantage d’avoir pour la première fois envisagé l’entreprise comme un système social et d’avoir redonné à l’individu en entreprise Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 33
  • 34. Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des organisations coutant.alexandre@gmail.com une épaisseur psychologique niée par les théories classiques. Elle oppose deux modes de comportements : logiques et non logiques. La première relève des rationalisateurs et se base sur le coût et l’efficacité, la deuxième est prêtée aux ouvriers et relève du sentiment. Le constat des erreurs des décisions prises en suivant uniquement la première pousse à militer en faveur de la préservation de la deuxième, faite de traditions, de signification sociale. Mais la connotation péjorative de son nom se retrouve aussi dans les faits puisque l’on réservait toujours la rationalité à la direction, qui avait juste à prendre dans ses décisions un facteur supplémentaire, le facteur humain. C’est pourquoi on peut plus parler d’une théorie complémentaire au taylorisme et non d’une véritable remise en cause. On peut noter enfin des limites d’ordre plutôt méthodologique : Mayo ne s’est pas intéressé à l’environnement social de l’entreprise - Il n’a notamment quasiment jamais fait allusion aux syndicats - et il a centré ses recherches sur une population très spécifique : jeunes ouvrières sans expérience préalable de l’usine, et ce dans une logique clairement affichée d’aide au management. Synthèse : les enseignements On peut résumer ces enseignements en trois grands axes : 1. Contrairement aux présupposés des théories classiques, les stimuli financiers ne sont pas les seuls à jouer dans la productivité des ouvriers : le moral a un rôle prépondérant sur le rendement 2. La structuration informelle est capitale dans l’organisation et détermine bon nombre de comportements 3. L’attitude au travail dépend des relations sociales dans l’entreprise et notamment des rapports existants entre l’encadrement et le groupe d’ouvriers Différence entre formel et informel La distinction entre formel et informel est très importante pour comprendre une organisation. La structuration formelle est ce qui doit lui permettre d’arriver à ses fins de manière optimale. Elle comprend : l’objectif de l’organisation, la spécialisation des tâches, les mécanismes de coordination des différentes fonctions, le système d’autorité mais aussi plus généralement la technologie, les comportements attendus, les valeurs, symboles et normes de l’organisation. Elle est visible dans les textes juridiques définissant l’organisation, le règlement intérieur, l’organigramme, les descriptions de postes, le journal interne, les notes de service, etc. Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ 34