1. FINANCE // DOSSIER FINANCE // DOSSIER
Dossier
private
banking
quo vadis
Combativité et dialogue
sont les clefs du futur
Private
?
Suite logique et signe des temps, Michel Juvet, connu pour la qualité de général que nous connaissons aujourd’hui. Il
son analyse et de sa recherche, deviendra associé de Bordier & Cie au est probable que pour contrer alors les effets
1er janvier 2012. À 51 ans et après avoir œuvré pendant 25 ans au sein négatifs de la mondialisation (pertes d’em-
de la banque, ce directeur de la recherche et membre du comité de plois et diminution des revenus) les autorités
direction entre dans le cénacle des «indéfiniment responsables» à une monétaires et politiques des pays dévelop-
période qui n’est pas particulièrement facile. Comme il le souligne lui- pés ont voulu créer des richesses finan-
même: «on ne peut pas éviter de prendre des risques, l’essentiel, c’est cières et immobilières. Les bulles de crédit
de les surveiller». Dans l’entretien qui suit, il livre son analyse de l’in- ont ainsi fait croire pendant des années que
Banking
dustrie financière et du private banking en particulier. si les revenus ne progressaient pas, il était
possible de contrebalancer cet élément par
Véronique Bühlmann des hausses de prix des actifs.
En quoi la gestion de fortune sera-t-
elle influencée par cette évolution du
secteur financier dans son ensemble?
L’
La gestion de fortune dépend assez peu de
hypertrophie du secteur Au niveau mondial, le secteur financier est l’évolution du crédit, elle repose essentielle-
financier est un concept assurément hypertrophié. Depuis une ving- ment sur la création de richesses. Par consé-
qui redevient très en taine d’années, partout dans le monde, il a quent, lorsque ce segment croît, il s’agit d’un
vogue aujourd’hui. gagné en importance et ceci résulte des indicateur positif. Cela signifie également
Comment le spécialiste politiques d’expansion des masses moné- que les filets de sécurité privés des indivi-
de l’analyse macro-éco- taires et de l’accroissement de la demande dus, qu’il s’agisse de leur fortune privée ou de
nomique que vous êtes envisage-t-il la de crédits. S’il y a eu demande de crédits, leurs avoirs détenus au travers des fonds de
situation? cela a d’abord signifié que l’économie se por- pension, deviennent plus importants.
En Suisse, les hypertrophies sont multiples. tait plutôt bien. En revanche, aujourd’hui ont
En regard de la taille de l’économie du pays, sait qu’il y eu exagération. Par conséquent Qui dit création de richesses, dit crois-
les secteurs de la pharmacie, de l’horlogerie le poids relatif du secteur ne peut aller que sance économique. De ce point de
et du luxe peuvent également être considé- dans un seul sens, la diminution. vue, le potentiel d’évolution de la ges-
rés comme «trop importants». Ce n’est donc Il est certain que les politiques monétaires tion de fortune ne vous paraît-il pas
pas une caractéristique propre au secteur américaines menées depuis le début des amoindri?
financier et elle est plutôt positive puisqu’elle années 90 et jusqu’au milieu des années Les perspectives de croissance écono-
témoigne du fait que les entreprises ont su 2000 ont conduit à des abus. C’est là que miques varient fortement selon les zones
développer leur savoir-faire et une compé- tout a démarré puis essaimé à travers le géographiques. Elles restent plutôt favo-
tence internationale. monde pour mener à l’excès d’endettement rables pour les pays émergents et notam-
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2. FINANCE Mon argent
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Une bonne
ment ceux qui disposent d’importantes
réserves de matières premières. Elles ne oreille pour de
bons conseils
sont pas défavorables pour les Etats-Unis
qui, grâce à leur flexibilité, restent en mesure
de créer de la valeur.
Par contre, je suis beaucoup moins optimiste
pour l’Europe qui se trouve confrontée à un
dilemme: soit elle entame une restructura-
tion en profondeur et parvient à augmenter
sa productivité et améliorer sa flexibilité, soit
ses richesses et fortunes s’expatrieront.
Crises financières, guerres mondiales, réformes monétaires, secret bancaire, relations entre
Si l’on suit votre raisonnement, la
situation globale est donc plutôt favo- la Suisse et l‘Europe... depuis plus de 100 ans, Wegelin & Co. publie un Commentaire
rable au private banking?
d‘investissement sur des thématiques économiques, politiques et sociales. Avec une
Oui, mais il faut suivre les poches de crois-
sance et aller dans les zones de développe- liberté de ton affirmée, l‘auteur propose un éclairage original sur l‘actualité du monde.
ment. La démarche est donc plus complexe.
D’une part, cette clientèle est beaucoup
plus éloignée géographiquement que notre Aujourd‘hui, notre publication est distribuée à plus de 100‘000 exemplaires,
clientèle européenne traditionnelle, d’autre
part, elle trouve sur son propre marché des en quatre langues et sous forme de podcast. Pour en savoir plus, rendez-vous
compétences qui se sont renforcées et ceci sur www.wegelin-commentaireinvestissement.ch
rend la situation plus concurrentielle. Cette
évolution, alliée à la difficulté accrue d’at-
tirer la clientèle dans notre pays, explique
que les banquiers privés établissent des
bureaux de représentation dans ces zones
de croissance ou sur leurs marchés-clef.
Nous l’avons fait par exemple pour Singa-
pour où nous avons obtenu une licence
bancaire au début de l’année et nous avons
sélectivement renforcé notre présence sur
les marchés français et britannique. La mau-
vaise nouvelle tient au fait que s’il devient
trop compliqué de gérer depuis la Suisse,
les nouveaux emplois se créeront, mais à
l’étranger.
«Les bulles de crédit ont fait croire pendant Craignez-vous donc une dégradation
des années que si les revenus ne progres- de la place suisse?
La perception qu’ont les clients de notre
saient pas, il était possible de contrebalan- pays s’est dégradée, notamment en ce qui
cer cet élément par des hausses de prix concerne une certaine sécurité juridique.
Les changements brutaux apportés au
des actifs» secret bancaire ont montré une fragilité
de la Suisse lorsqu’elle est confrontée aux
Michel Juvet, associé Bordier & Cie dès le 1er janvier 2012 puissants. Quant au niveau de la qualité du
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métier dispensé en suisse, il reste très élevé capter une clientèle, sachant que le modèle plus haut, quels autres facteurs vous longtemps concentré leurs efforts sur la bler des thématiques sous forme de produit,
et apprécié par les clients mais il est vrai- d’affaire est à inventer. ont-ils permis de progresser? vente de leurs propres produits plutôt que pour autant que les coûts ne soient pas réd-
ment fonction du type de banques. En regard d’un océan européen démonté, sur une réelle gestion de portefeuille adap- hibitoires. Ce que je tiens à souligner c’est
De par leur comportement, les nou- la Suisse reste, malgré tout, un havre de tée. En comparaison, les banquiers privés que nous ne cherchons pas à améliorer notre
Si l’on se replace sur le long terme, on velles clientèles ont plutôt le profil de sécurité, et ce y compris pour les clients ont l’air d’être chers mais étant transparents, rentabilité par le biais de la distribution de
a l’impression que les difficultés évo- type américain que le profil continen- européens dont les avoirs sont déclarés. Et il est assez facile de montrer que leurs coûts produits financiers. Ceux-ci ne sont utilisés
quées aujourd’hui n’ont rien de très tal. N’est pas un obstacle? l’avantage de la proximité des propriétaires sont tout à fait concurrentiels par rapport à que lorsqu’ils répondent à un souci d’inves-
nouveau. Où se situe le changement, La nouvelle clientèle tend à investir d’abord de la banque demeure entier. des produits qui peuvent inclure des coûts tissement et par conséquent à la question:
si souvent mis en avant? dans sa propre région et possède en effet Par ailleurs, nous continuons à bénéficier de cachés substantiels. en quoi sont-ils intéressants pour nos clients
Il y a vingt ans, les marchés émergents une culture «temps» différente de la nôtre: l’effet «petite banque». Les grands établis- dans le cadre d’une allocation d’actifs?
étaient beaucoup moins présents qu’ils ne elle exige de la rapidité et des coûts de tran- sements, impliqués dans la crise de 2007- Faut-il en déduire que vous privilégiez
le sont aujourd’hui, par conséquent le défi saction quasi inexistants. Par conséquent, je 2008, se sont littéralement tirés une balle la gestion en direct? Autre thème récurrent, les places
géographique ne se posait pas de la même pense qu’il importe dans un premier temps de dans le pied, à la fois par leur comportement En général oui, mais ce n’est pas systéma- financières concurrentes. Quelle est la
manière. Par ailleurs, la réglementation a « Nous possédons s’adapter à ce type de demande puis, dans incompréhensible, leur incapacité à assumer tique. Les produits financiers peuvent égale- situation sur ce front?
énormément progressé et je crois que 2008
a constitué un véritable choc pour nombres une véritable ca- un deuxième temps, d’expliquer le modèle
de gestion privée tel que nous l’envisageons
leurs erreurs et la non remise en question de
leurs politiques de rémunération.
ment être intéressants au cas par cas et, pour
les portefeuilles qui n’auraient pas une taille
Que Hong Kong se déplace à Genève et
vante ses charmes, et notamment celui d’être
d’acteurs, du moins en ce qui concerne le pacité à intégrer le pour ensuite le vendre. De plus, du côté de leurs clients, ils ont trop suffisante, il peut être intéressant d’assem- la meilleure place sans fiscalité, me paraît
secret bancaire.
monde, à penser les Le comportement des marchés finan-
Qu’il s’agisse de la banque ou de stratégies en termes ciers représente un deuxième facteur
toute autre activité économique, la
nécessité de s’adapter à de nouveaux
globaux » essentiel au développement de la ges-
tion de fortune. N’est-il pas très défa-
environnements est toujours pré- vorable aujourd’hui?
sente. Sur quels éléments spécifiques La tendance est effectivement au placement
vous paraît-il important d’insister Il a été reproché à la banque privée sécurisé. Personne n’ayant envie de prendre
aujourd’hui? suisse de vouloir exporter son propre des risques, la demande va au compte de
Il me paraît essentiel de travailler sur les modèle et de n’avoir pas su s’adapter dépôt, même si les risques des dépôts sont
compétences fiscales et de gestion. En aux besoins de la demande locale et aussi considérables en cas de faillite. Mais
matière de gestion d’actifs pure, la Suisse ne ce, sur un grand marché comme les il s’agit d’une situation temporaire et l’on
figure pas parmi les premiers, les «hyper per- Etats-Unis. Que pensez-vous de ce observe généralement que dès que les
formants», elle se classe dans la moyenne. type d’analyse? bourses reprennent, l’appétence pour le
Je pense donc qu’il importe de se renforcer Je ne connais pas le client-type américain risque augmente très rapidement.
dans ce secteur, notamment en améliorant mais il semble qu’il tend effectivement à Du point de vue du gérant de fortune, cette
les méthodes pour viser une performance considérer son banquier comme un simple phase de non performance de l’ensemble
durable à moyen terme. En revanche, pour intermédiaire qui doit juste être le moins cher des actifs, agit comme un anesthésique sur
ce qui concerne la gestion privée, je pense possible (ndlr: la clientèle initiant souvent la rentabilité. C’est la raison pour laquelle il
que nous possédons toujours deux avan- elle-même ses transactions, elle recherche est important de maintenir un ratio coûts/
tages. Alors que dans la plupart des pays, plus le courtier passeur d’ordres plutôt que revenus adéquat qui permette d’absorber ces
qu’il s’agisse des Etats-Unis, du Royaume- le conseiller en investissements). Cela dit phases d’hivernage. Pour les établissements
Uni ou de la France pour n’en citer que le marché américain est très réglementé et qui affichent des ratios de l’ordre de 80-85%,
HC Invest Group SA
Une nouvelle vision des marchés financiers
quelques-uns, la gestion reste très locale, complexe et les risques juridiques y sont éle- il est certainement très difficile de faire face
nous possédons une véritable capacité à vés, ce dernier constat s’applique d’ailleurs à une telle situation.
intégrer le monde et à donc à penser les à toutes les branches de l’économie et pas
stratégies en termes globaux. Par ailleurs, seulement à la finance. Jusqu’à présent les Malgré un environnement qui n’a rien
sur le plan du service et de la connaissance gérants de fortune suisse qui ont tenté de de particulièrement enchanteur, votre Pour un conseil financier
approfondie de notre clientèle, je crois que s’y implanter n’ont pas rencontré le succès établissement est parvenu à attirer de ou une analyse de votre portefeuille Appelez-nous au 021 977 21 00
là aussi, nous demeurons très compétitifs. escompté, mais je reste persuadé que celui nouveaux capitaux en 2011. Outre les
qui a le courage d’aborder ce marché peut y poches de croissance mentionnées
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préoccupant. Contrairement à Singapour de communiquer. Le dialogue n’a jamais été
qui se montre extrêmement attentive à l’ori- aussi nécessaire parce que les questions
gine des fonds qu’elle gère, Hong Kong ne sont complexes et si l’on ne fait pas un effort
s’est pas manifestée sur cette question, en d’explication important, le risque est de favo-
particulier en ce qui concerne les actifs non riser les extrêmes.
déclarés d’origine européenne.
Globalement la Chine applique Bâle III Concrètement, quels devraient être les
comme elle l’entend et il en va de même axes de communication pour le sec-
des autres règles qui concernent le secteur teur financier?
financier. Par conséquent Hong Kong, centre Nous devons agir à plusieurs niveaux. Il faut
financier offshore de la Chine, n’hésitera pas expliquer notre métier en toute transparence
à faire défendre ses intérêts. Il s’agit donc car il n’y a aucune honte à gagner de l’argent.
d’un nouveau concurrent qui devient très «Hong Kong, centre Il faut travailler, travailler et encore travailler
important. financier offshore et se concentrer sur le service à nos clients.
Dans ce contexte, estimez-vous que le
de la Chine, devient Une entreprise ne vit que parce qu’elle a
des clients: cette évidence a été un peu trop
secteur va entrer dans cette fameuse un nouveau concur- occultée durant les années grasses.
phase de consolidation prédite depuis
si longtemps par les «experts», une
rent très important». De manière générale, Etat, politiques et finan-
ciers doivent mener le même combat, celui
évolution qui toucherait en premier d’une transparence accrue. Au niveau de
lieu les établissements qui n’auraient de l’informatique ou encore des produits la Suisse, j’appellerais également à plus de
pas la taille critique? et de leur distribution. Avant d’envisager la combativité vis-à-vis de ceux qui cherchent à
Lorsque les experts sont eux-mêmes fusion, il me semble que les établissements faire main basse sur nos activités. En ce qui
conseillers en fusions & acquisitions, il paraît concernés agiront en vue d’améliorer leur concerne l’Europe, il me semble que la Suisse
opportun de prendre une certaine distance ratio coûts/revenus. ne devrait pas être traitée comme elle l’est
vis-à-vis de leurs conclusions! Certes, et actuellement. Les mouvements de capitaux
c’est l’argument souvent avancé, les coûts Un autre thème très en vogue est la dia- de la Suisse vers l’Union Européenne (UE)
d’acquisition ont diminué. Mais de l’autre bolisation de la finance. En témoigne sont loin d’être négligeables : avant la crise ils
côté, les établissements de gestion de for- ce récent discours de Roger Carr, pré- se chiffraient en dizaine de milliards de francs
tune sont aussi devenus moins rentables. sident de l’association des entreprises suisse par an. Par l’achat d’obligations, la
En outre, la croissance externe n’est pas la britanniques (Confederation of Bri- Banque Nationale Suisse compte aujourd’hui
panacée: intégrer deux entités est une opé- tish Industries) dans lequel il affirmait au nombre des financiers de l’Etat français.
ration complexe (ndlr: la récente décision du «nous devons encourager tous ceux Le total des investissements de la Suisse
Crédit Suisse d’intégrer totalement Clariden qui occupent des positions clefs – le dans l’UE s’élevait à fin 2009 à 377 milliards
Leu, elle-même résultat de la fusion de cinq gouvernement, l’opposition, les régula- de francs. Finalement il serait bon de rap-
entités en 2007, en est un bon exemple). Je teurs et les commentateurs- à faire ces- peler que notre pays présente une balance
crois que l’objectif principal aujourd’hui est ser la diabolisation de l’industrie, de la commerciale déficitaire vis-à-vis de la France
de parvenir à garder la clientèle existante et, banque, de l’énergie ou de la défense». et de l’Allemagne! Sans parler du fait que la
pour ce qui concerne la croissance externe, Depuis 2008, l’image de la finance se Suisse a augmenté l’année passée les mon-
il faut se méfier des ambitions démesurées. dégrade. Qu’en pensez-vous? tants qu’elle mettait à disposition du FMI,
Selon moi, toutes les tailles sont critiques, Nous sommes dans une société qui, de montants dont profite maintenant l’UE. Nous
l’essentiel repose dans l’organisation. De ce manière générale, diabolise tout. Ce qui est sommes donc un partenaire non négligeable
point de vue, si l’environnement devient plus vrai pour la finance l’est aussi pour le sys- de l’UE et il est plus que temps de faire valoir
hostile, je table moins sur une consolidation tème politique: nous sommes confrontés à cet argument dans les négociations vis-à-vis
au travers de fusions que sur l’émergence de un véritable problème de société. Au-delà d’une union tentée par le protectionnisme.
plates-formes communes qui visent à mini- de la rumeur, il existe des faits objectifs à Ne nous laissons plus imposer le monologue,
miser les coûts, qu’il s’agisse de la recherche, propos desquels «les diabolisés» se doivent passons au dialogue!
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