1. Quelques semaines avant les élections présidentielles, les défenseurs des langues regionales ont
défilé à Quimper, Toulouse, Bayonne, Perpignan, Strasbourg, Metz, Lille, Annecy et Poitiers
avec deux revendications communes à toutes les régions:
1) la ratification de la Charte européenne des langues minoritaires que la France a signée mais
n’a pas ratifiée;
2) une loi-cadre qui laisserait aux régions un pouvoir normatif sur l’utilisation des langues
régionales.
Des Lorrains avaient également décidé de participer à la journée de mobilisation générale. Réunis
sur le parvis de la gare de Metz, les manifestants portant banderolles, drapeaux lorrains et
européens et ballons au couleurs lorraines jaune et rouge se sont dirigés vers le centre-ville
piétionnier. Une panne de la sono n’a malheureusement pas permis de diffuser les chansons
lorraines et les Volkslieder préparés. Le cortège a defilé à travers la zone piétonne jusqu’au
parvis de la cathédrale avec un arrêt symbolique devant la Préfecture. Beaucoup de journalistes
de presse et de télévision, y compris la télévision sarroise mais en revanche trop peu de
participants.
Malgré un large appel aux élus, seuls Christine Kant, conseillère régionale (EELV), Josiane
Nominé, adjointe au maire de Bitche et vice-présidente de la Communauté de communes du pays
de Bitche et Céleste Lett, député-maire (UMP) de Sarreguemines, ont répondu présents. Trois
autres élus Nathalie Griesbeck (MoDem), Florence Soriano-Gafiuk (UMP) et Denis Jacquat
(UMP), pris par d’autres obligations, avaient pris la peine de se faire excuser.
Plusieurs explications à la très faible participation. De même que beaucoup de Mosellans n’ont
pas compris que c’est avant tout à eux, et non pas à l’école, qu’il appartient d’assurer la
transmission de la langue aux générations suivantes, beaucoup ne semblent pas avoir compris que
nous n’obtiendrons un statut pour notre langue que si l’opinion publique et les élus en Moselle
germanophone se mobilisent. De plus, il s’agissait du dernier week-end du festival «Mir redde
Platt’ et certaines personnes ont préféré participé aux activités organisées dans le cadre du
festival. CBL n’a pas choisi délibérément la date de la manifestation mais s’est alignée sur la date
retenue par la coordination nationale des associations de défense des langues régionales. On ne
peut pas non plus passer sous silence la désinformation initiée par l’association Gau un Griis qui,
dans sa lettre d’information (dont nous n’avons eu connaissance que de manière indirecte), a
expliqué qu’elle ne participerait pas à la manifestation dont ‘les organisateurs sont «Culture et
Bilinguisme» qui utilise le Platt à la seul fin de promouvoir l’allemand. Il s’agit là d’une contre-
vérité.
Il convient de rappeler que CBL a invité à manifester sur un mot d’ordre très consensuel dans
lequel tous pouvaient se reconnaître indépendamment de la définition de la langue regionale ou
de son appellation. De plus, outre les défenseurs des positions défendues par CBL, des défenseurs
du Luxembourgeois de Moselle et du Lorrain roman ont répondu présents. On nous fait donc un
2. mauvais procès. En outre, CBL initie ou participe à diverses initiatives visant à valoriser le
dialecte et à lui donner une plus grande visibilité: constitution d’archives sonores en dialectes,
organisation d’un spectacle d’humour en dialecte à Bitche le 28 octobre, soutien au fond de
financement récemment initié de classes maternelles bilingues immersives entièrement en
dialecte. On est loin d’une vile exploitation du Lothringerd(è)istch à des fins «utilitaires».
Il est un fait (et c’est ce qui déplait à certains) que CBL perpétue une tradition séculaire,
attestée par de très nombreux documents historiques et par le témoignage des générations
nées avant guerre: pendant près de 500 ans, dialectes et allemand standard ont coexisté comme
expressions de la langue régionale de la Lorraine germanophone – ce qui n’est pas la même chose
que de dire que l’un est la forme écrite de l’autre. Tout comme le bavarois ou les dialectes
alsaciens, chaque dialecte mosellan peut s’écrire, mais force est de constater que ce n’était pas
l’usage pendant 500 ans et que nos ancêtres ont préferé écrire dans un allemand commun et
compréhensible par tous et qu’ils considéraient également comme une partie de leur langue: cf
première phrase de la pétition de 1869 des communes mosellanes à Napoléon III –. D’autres, qui
réécrivent l’histoire linguistique sans apporter le moindre élément de preuve, essaient de faire
passer pour «langue du voisin» une langue qui a eu plusieurs siècles de présence et d’existence
sociale en Lorraine germanophone et qui est la forme linguistique utilisée dans la majeure partie
du patrimoine écrit à compter de la fin du XVème siècle, presque 400 ans avant l’annexion de
1870. Cet allemand commun était la langue des actes officiels du «baillage d’Allemagne» (la
partie germanophone du duché de Lorraine) jusqu’en 1748, la langue de l’école durant l’ancien
régime et même bien au-delà, la ou l’une des langues des églises et celles des chants populaires.
On peut chercher en vain dans les documents historiques antérieurs à 1870 des éléments qui
accréditeraient la thèse selon laquelle nos ancêtres considéraient le hochdeutsch comme une
langue étrangère ou dans lesquels des Mosellans s’insurgeraient de ce qu’on leur imposa cette
langue à l’écrit, à l’église ou dans les chants populaires alors que la «vraie langue régionale»
serait «le francique» comme l’affirment certains de manière péremptoire depuis le début des
années 80. On trouve en revanche des documents dans lesquels les auteurs défendent l’allemand
comme leur langue maternelle et non pas comme la «langue du voisin».
Aujourd’hui, les seules écoles en Alsace et en Moselle qui valorisent vraiment l’alsacien ou le
lothringer platt (jusqu’à 20 % du temps scolaire en maternelle à Saverne en plus des 50 % en
allemand standard), ce sont les écoles associatives ABCM, c’est-à-dire des écoles qui proposent
l’enseignement bilingue paritaire français-allemand, modèle que les associations «franciques»,
qui ont toujours réclamé un enseignement français-francique, contestent. Outre que le choix de
l’allemand standard comme langue d’enseignement correspond à une pratique séculaire
antérieure à l’annexion, cette solution est la seule réaliste aujourd’hui. L’Éducation nationale
exclut totalement d’organiser un enseignement bilingue des mathématiques ou des sciences dans
une multitude de dialectes différents d’un demi département. De toute façon, elle ne disposerait
pas des enseignants compétents à cet effet. Alors l’alternative est simple: 1) le statut quo, c’est-à-
dire accepter la mort de notre langue régionale, 2) la création d’une «langue francique»
normalisée complément artificielle et dont l’implantation prendrait des dizaines d’années ou 3)
un enseignement bilingue à parité horaire français-hochdeutsch du CP au baccalauréat qui peut et
doit être précédé d’une maternelle immersive en dialecte. L’utilisation de l’allemand standard à
l’école correspond à un usage très ancien et revendiqué par nos ancêtres et n’est donc pas
artificielle. Voilà les faits, le reste n’est qu’allégations non étayées.
3. Faut-il s’étonner dès lors que des associations créées il y a plus de 20 ans n’aient pas été en
mesure en plus de deux décennies de parvenir à la création d’une seule classe associative bilingue
français-platt? Les créateurs d’ABCM souhaitaient eux-aussi des classes publiques mais ils ont
opté pour des classes associatives face au refus de l’administration scolaire. C’est leur initiative,
soutenue par les maires de Sarreguemines, qui a abouti ensuite à la création de classes bilingues
publiques à Sarreguemines. Le recours aux classes associatives était donc pleinement justifié et
d’autres auraient pu en faire de même suivant une formule à leur convenance.
Pour illustrer le propos, voici ci-dessous quelques photos de tombes datant de 1729, 1735, 1752,
1790 et 1801 avec leurs épitaphes en allemand prises dans le cimetière de Fénétrange. Des
épitaphe dans la « langue du voisin » ou dans celle de ceux qui y reposent?