2. Alain Dumbardon, d’emblée, nous ouvre la
voie, nous révélant le choix d’une esthé-
tique : celle du Palimpseste qui, nous rappelle
Gérard Genette, est « un parchemin dont on
a gratté la première inscription pour en tra-
cer une autre qui ne la cache pas tout à fait,
en sorte qu’on peut y lire, par transparence,
l’ancien sous le nouveau ». Une telle opération
(persistance et surgissement de l’enfoui) nous
place au cœur même de l’œuvre de l’artiste,
en son cheminement le plus secret et le plus
essentiel : la remontée du sillage silencieux
des effacements pour retrouver la trace, réin-
vestir l’empreinte ; ouvrir ce sens du chemin
que l’art du Palimpseste saura conduire à la
lumière.
Plusieurs tableaux d’Alain Dumbardon por-
taient déjà le titre de « Palimpseste » ; on se
souvient des « Palimpsestes » de 1997 et,
en particulier, du « Palimpseste d’Or » dans
son éclatante splendeur matricielle. Mais si
l’artiste consacre aujourd’hui la totalité de son
exposition à ce thème, c’est pour souligner la
continuité inquiète et obstinée de sa « Poé-
tique de la Vigilance » (avec sa théorie mul-
tiforme des exorcismes : fourches, boucliers,
guerriers, animaux et signes protecteurs...)
que l’esthétique du Palimpseste met en scène
en la « dramatisant » : suggérer à la fois cette
sourde, ténébreuse menace d’anéantissement
et le prodigieux surgissement de la trace mira-
culée du temps - la Beauté qui explore l’éten-
due des calcinations, s’illumine soudain aux
saisissements de l’éclat !
Et chacun des Palimpsestes de Dumbardon
(sur papier, peaux ou écorce fibreuse d’eu-
calyptus) semble avoir gardé le mouvement
fiévreux de son élaboration, les indices de sa
genèse : aussi bien l’emportement tourbillon-
naire des empâtements que le tremblement
ému de la ligne inachevée ou encore les pro-
messes d’une esquisse rêveuse... ; tant de
formes qui commencent à poindre du fond
d’une traînée de blancheur mystique, origi-
nelle... Mais l’illumination souveraine - rouge,
jaune ! nous indique qu’un accomplissement
a eu lieu ; que des formes consacrées (par
élévation, équilibre ou harmonie) se sont
frayé passage avant de s’exposer en rituels
d’emblèmes ou d’icônes. Et l’on retrouve ici,
dans un ordonnancement cérémoniel, les
composantes récurrentes de la mythologie
personnelle du créateur : femmes porteuses,
figures totémiques, bestiaire, géométrie naïve
du cœur, main rouge..., et ces corps d’initiés
parcourus de l’énergie des touches colorées
comme les notes d’un Hymne...
Palimpsestes
ou « émergences - Résurgences » (Henri Michaux)
« Qu’est-ce que le cerveau humain, sinon un
palimpseste immense et naturel ?
Des couches innombrables d’idées,
d’images, de sentiments sont tombées
successivement sur votre cerveau, aussi
doucement que la lumière. Il a semblé que
chacune ensevelissait la précédente, mais
aucune en réalité n’a péri ».
Charles Baudelaire (Les Paradis Artificiels)
1
Photographies : Gerard Germain
Textes : Joël Beuze (écrivain), juin 2013
Graphisme : Studio Hexode
Photo de couverture : Les jours maigres, 87 x 52cm, écorce fibreuseProfils portés, 122 x 40cm, écorce fibreuse
3. Si la pêche m’était contée, 73 x 103cm, papier
32
« Where are your monuments, your battles, martyrs ?
Where is your tribal memory ?...
The sea has locked them up. The sea is History ».
Derek Walcott (The Star-Apple Kingdom)
« Où sont vos monuments, vos batailles, vos martyrs ?
Où est votre mémoire tribale ?...
La mer les a enfermés. La mer est l’Histoire ».
7. 11
Sur la mer Caraïbe s’élancent de puissantes racines
traversières en lassos de tendresse, en ellipses
d’appropriation véhémentes et souveraines : c’est
ainsi, dans un espace vital en essor d’invention et de
recomposition, qu’une humanité née de la vision de
l’artiste entreprend d’effacer la muette géographie
des cartes.
Palimpseste de la mer : intensité bleue sillonnée
d’abysses de la mémoire et des courants pour un
plus vaste songe ; métaphore de l’Histoire !
< Palimpsesto caribeño, 63 x 85cm, carte géographique, papier
Mesaj lapobef, 45cm de diamètre, peau
8. Fin de récolte, 76 x 57cm, papier
1312
Le départ, diamètre 39cm, peau
9. 1514
Bet 5 pat, 79 x 54cm, papier Porteuse rougeoyante, 107 x 52cm, écorce fibreuse
16. IL fut
La caraïbe qui nous unit, 121 x 80cm, carte géographique, papier
2928
17. 3130
..Et sa soif fut étanchée, 57 x 68cm
Danse de geckos, 30 cm de diamètre, papier
18. 33
Franchissant l’épreuve mémorable de la nuit, l’œuvre
d’Alain Dumbardon, qu’éclaire la lueur successive et
fugitive des étoiles, cherche à nous conduire à l’avancée
la plus solennelle des horizons :
- Le Palimpseste assaille l’Imaginaire : il rappelle notre
finitude et met en branle les tracées de l’infini...
Caribbean de mi corazòn, 90 x 116cm, carte géographique, papier
19. www.fondation-clement.org
www.facebook.com/fondationclement
Habitation Clément
Le François - Martinique
Tél. : 05 96 54 75 51
isbn : 978 2 919649 12 9
Conceptiongraphique:studioHexode-Photosducatalogue:G.Germain
Fondation d’entreprise de GBH, la Fondation Clément mène des
actions de mécénat en faveur des arts et du patrimoine culturel
dans la Caraïbe.
Elle soutient la création contemporaine avec l’organisation
d’expositions à l’Habitation Clément, la constitution d’une
collection d’œuvres représentatives de la création caribéenne
des dernières décennies et la co-édition de monographies sur les
artistes martiniquais. Elle gère aussi d’importantes collections
documentaires réunissant des archives privées, une bibliothèque
sur l’histoire de la Caraïbe et des fonds iconographiques. Enfin,
elle contribue à la protection du patrimoine créole avec la mise
en valeur de l’architecture traditionnelle.
Catalogue publié par la Fondation Clément
à l’occasion de l’exposition « Palimpsestes » d’Alain Dumbardon
du 19 juillet au 25 août 2013 - Case à Léo