2. Le marché des métiers RH est en plein décloisonnement, bousculé par
un nombre croissant d’acteurs et de techniques de contact qui
n’existaient pas voici 15 ans. A commencer par les réseaux sociaux :
«Pour ce que nous faisons, soit la recherche de cadres spécifiques,
LinkedIn et consorts peuvent être des outils indirects, mais ce n’est
qu’une petite partie de la mission. Oui, on doit connaître l’expertise des
candidats, et leur track record. Mais il y a aussi et surtout la
personnalité, le tissu humain. Et pour évaluer cela, aucun CV ni réseau
social ne remplaceront le capital relations que nous avons constitué, ni
l’approche directe des cadres identifiés et des entreprises avec
lesquelles nous travaillons depuis tant années. Cette conception de
l’executive search nous rapproche d’un artisanat du type tailor made»,
poursuit-on chez inexsa.
La méthode, c’est la marque de fabrique
Le nerf de la guerre, ce sont donc les moyens, et leurs tarifs. Dans le
segment très select de l’executive search, réservé en général au haut
du panier (salaires annuels aux alentours des 180.000 euros et (bien)
plus), la question de la méthode est cruciale pour se distinguer de la
concurrence. C’est que les missions coûtent cher. Selon les chiffres de
Federgon, la fédération représentant les métiers RH, seuls 8 % des
placements se font via le canal de l’executive search. «On vient chez
nous parce que la mission est difficile et qu’on a déjà essayé de
l’accomplir avec des moyens moins coûteux», recadre Bernard Ghins,
consultant chez Eric Salmon & Partners, bureau d’executive search à
vocation généraliste. «Notre approche offre aussi, dans le cas de
nominations importantes, l’avantage de clarifier, externaliser et
professionnaliser les procédures pour un nombre suffisant de
candidats. Nous sommes à même de faire ce travail avec neutralité,
sans pousser un candidat maison, mais également avec du sens moral
: si je vois que quelqu’un est bien là où il est, dans une bonne société,
et que le poste à pourvoir ne lui offre pas les mêmes garanties, que le
risque d’échec y est important, je le lui dirai, même si dans un sens, ça
ne fait pas mes affaires. Une des grosses différences entre l’executive
search et les autres métiers du recrutement, c’est que nous prenons le
temps de soupeser les aspects humains, la culture d’entreprise, les
accointances entre le candidat et la société. Il faut savoir vendre un
poste, tester ceux qui peuvent l’occuper. C’est un travail qui prend des
mois. Et ne pas prendre ce temps équivaut à courir le risque de placer
une personne inadéquate, ce qui coûte au final encore bien plus cher»,
analyse Bernard Ghins.
Le gros du volume d’affaires des métiers du recrutement et de la
sélection se fait dans la catégorie située en dessous de l’executive
search en termes de fonctions et de salaires bruts annuels, mais aussi
de méthodes. Près d’un placement sur deux se fait via le canal des
3. bases de données publiques et privées. La question des méthodes et
des valeurs n’en est pas moins sensible. Chez les Suédois de Mercuri
Urval, actifs depuis 45 ans dans la sélection et le recrutement pour le
middle class management (entre autres), on insiste notamment sur les
approches prospectives, incarnées par le talent management : «On
recrute moins des compétences qu’un potentiel. Cette méthode sert à
aider une société à définir ce qu’est un talent potentiel pour elle. On
dépasse donc l’urgence du poste vacant. Comment trouver ce talent,
l’attirer, le motiver ? Cela influence fortement notre approche», explique
Nathalie Mazy, directrice générale de Mercuri Urval Belgium. «En
discutant avec des cadres licenciés au cours des derniers mois, je
constate la difficulté qu’il y a à apprécier la profondeur des
changements dans le monde du travail. Il y a de quoi être déboussolé. Il
y a 12 ans, 100 % de nos missions exploitaient le canal des annonces
dans la presse écrite. Aujourd’hui, on en est à quasi 0 %. Ajoutez à ces
mutations une pénurie générale de talents, très sensible dans certains
secteurs comme l’IT ou le people management, et vous aurez une
vision claire de nos défis. Nous devons jongler avec une multitude de
canaux de recherche et être de plus en plus proactifs pour dénicher des
profils peu nombreux. Sinon, d’autres s’en chargeront, ajoute Nathalie
Mazy. Dans ce contexte, il est vrai qu’il y a un certain nombre de cow-
boys peu respectueux de la manière dont ils poussent des gens vers
des postes parfois survendus. L’accroissement du nombre d’acteurs
s’accompagne d’une diversification des prestations mais aussi de
certains effets néfastes...»
Tout le monde fait un peu de tout... à tort ou à raison ?
Du côté de Federgon, on confirme que plus personne n’hésite à sortir
de son pré carré pour fouler les platebandes de la concurrence, «et que
ça ne date pas d’hier», ajoute Paul Verschueren, directeur research &
economic affairs. Le cas des sociétés d’intérim (lire l’encadré
«Randstad ou les RH en éventail») est à ce titre assez éclairant. On voit
aussi des sociétés cataloguées dans l’executive search «descendre»
de catégorie et effectuer des missions qu’elles n’auraient pas acceptées
avant la crise. Le chemin inverse est vrai aussi, et de plus en plus
d’acteurs ouvrent une cellule d’executive search. La crise n’est pas
étrangère à ces mouvements : il faut faire du chiffre dans un contexte
délicat. Les postes à pourvoir sont moins nombreux, notamment parce
qu’on ne remplace pas tous les départs en pension. «On voit quand
même que les gens hésitent à deux fois avant de bouger, et que les
sociétés essayent plus qu’avant de résoudre leurs tâches de sélection
et de recrutement en interne», estime Bernard Ghins. «Cette
diversification s’explique avant tout par l’évolution du cadre légal, qui
permet désormais à une seule structure de pouvoir offrir plusieurs
services différents. Le cloisonnement était bien plus fort il y a 10 ans.
4. Mais c’est aussi une demande du marché : on peut facilement
comprendre les sociétés qui veulent obtenir un maximum de services
auprès d’un seul et même interlocuteur. La tendance ne risque pas de
s’estomper», prédit Paul Verschueren. Cette diversification nuit-elle au
secteur ? «Cela crée de la concurrence mais je ne pense pas que cela
rende le marché opaque ou flou. Simplement, il y a de plus en plus de
choix et d’opérateurs.» Et donc de frictions potentielles entre acteurs...
Certains optent néanmoins pour une spécialisation. L’interim
management est un exemple d’activité de niche avec des contraintes
assez spécifiques. Il offre aux entreprises les ressources humaines
qualifiées dont elles ont besoin temporairement et dans un contexte
d’urgence. «N’est pas interim manager qui veut. C’est un métier à part
entière dont les attentes et la complexité sont différentes que pour les
postes permanents d’une entreprise, explique Fotini Efthymiadis,
directrice générale de Socratim. En effet, l’entreprise attend des interim
managers qu’ils s’adaptent directement et délivrent les résultats dans
les délais impartis.» Les contextes les plus typiques sont les
changements, les remplacements de cadres, etc. «Je travaille avec des
indépendants hautement qualifiés qui ont minimum 20 ans
d’expérience, sélectionnés méticuleusement sur la base de leur profil et
motivation», précise Fotini Efthymiadis. Comme souvent, la réputation
est capitale, et se bâtit au fil des ans sur des valeurs et des résultats.
«Concrètement, cela veut dire que mon métier ne se limite pas aux
aspects techniques du besoin de l’entreprise et du profil du candidat. Je
m’attelle à bien connaître mes clients, qui sont tant les interim
managers que les entreprises, avant qu’il y ait un besoin. Cela me
permet de personnaliser mes services et d’offrir une vraie valeur
ajoutée dans le conseil et la sélection du candidat, en termes
d’expertise, de personnalité et d’attitude requise. Je reste présente tout
au long de la mission en tant que facilitateur et coach. Il ne suffit pas de
placer un manager qui a de l’expérience pour garantir le résultat. J’offre
donc un suivi sur mesure et veille à ce que toutes les parties restent
impliquées et soient sur la même longueur d’onde tout au long du
mandat.»
Un secteur qui souffre en attendant la
reprise
En 2012, quasi toutes les branches d’activité RH ont subi le contrecoup
de la crise. Le secteur du recrutement et de la sélection a connu une
baisse de son chiffre d’affaires de 12 %, engrangeant 153 millions
d’euros. Les 184 membres de Federgon ont placé 10.523 candidats. Le
bilan de 2013 s’annonce d’ores et déjà maussade. Le secteur continue
de souffrir du manque de création d’emplois. L’interim management a
assuré 492 missions en 2012, pour 82,6 millions de chiffre d’affaires (-
5. 2,2 % par rapport à 2011). En période de basse conjoncture,
l’outplacement (services d’accompagnement pour aider les travailleurs
licenciés à trouver un nouvel emploi) enregistre habituellement de bons
résultats. Au troisième trimestre de 2013, l’activité s’est inscrite à la
hausse pour le sixième trimestre consécutif, avec une progression de
14,9 % du nombre d’accompagnements. L’intérim reste le poids lourd
du secteur, avec 4,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2012, et ce
malgré une baisse de son volume d’activité.
Randstad ou les RH en éventail
S’il y a 10 ans, les marges bénéficiaires de Randstad (n°3 mondial du
secteur RH) provenaient presque entièrement de l’intérim, aujourd’hui,
«le ratio se situe aux alentours de 50-50 entre notre activité historique
et d’autres, parmi lesquelles l’interim management ou l’outplacement»,
précise Sophie Bertholet, membre du comité de direction de Randstad.
«Tant du point de vue des individus que des entreprises, le
développement de nouveaux services répond à de nouveaux besoins,
liés notamment à l’explosion de la mobilité professionnelle et à une
législation du travail en pleine évolution. Nous tirons profit de notre
connaissance des marchés locaux et de notre potentiel à l’échelle du
groupe pour les peaufiner.» L’acquisition en 2005 de Galilei, une
société d’outplacement leader du secteur avec quelque 25 % du
marché, est un des reflets de la diversification de Randstad. Il y a un
an, c’est le département interim management qui a vu le jour : «de plus
en plus de gens qualifiés viennent nous proposer leurs compétences,
tout en voulant gérer souplement leur temps de travail. Une fois de plus,
c’est une demande, et nous mettons leurs compétences au service des
entreprises». Enfin, autre signe des temps, le groupe travaille
actuellement sur la digitalisation complète de ses processus de
sélection et de recrutement. Une tendance lourde, répondant là aussi à
une demande de plus en plus évidente, entre autres dans le chef des
plus jeunes générations.
OLIVIER STANDAERT