Proyecto de decoración del aula-materia de francés del IES Isabel Perillán y Quirós (Campo de Criptana, Ciudad Real). Las diapositivas se convertirían en cartulinas para ser expuestas en las paredes del aula.
LA MONTÉE DE L'ÉDUCATION DANS LE MONDE DE LA PRÉHISTOIRE À L'ÈRE CONTEMPORAIN...
Decoración del aula de francés
1. CeP de Alcázar de San Juan (Ciudad Real)
Seminario
“Evaluación en Lenguas según el
Marco Común Europeo de Referencia”
28 feb-12 abr 2011
P. BLANCO y A.B. SÁEZ
2. Elaboración de una Unidad de Trabajo por Tareas
(2 sesiones)
Lengua Francesa
por Antonio P. GALÁN
4. Principio:
•Inmersión en la lectura.
Fin
•Decorar con pósters de lecturas aconsejadas las paredes del Aula.
•Destacar, mediante citas, enseñanzas de pensadores franceses.
•Destacar, mediante imágenes, el reclamo hacia la lectura de libros.
5. Procedimiento de trabajo
1. Distribución de lecturas (en edición francesa).
Lectura en voz alta y reflexión libre en voz alta.
2. Distribución de un listado de obras. Búsqueda de las
portadas de los títulos.
3. Elaboración del póster con la portada elegida.
4. Junto a la imagen, una cita escrita, extraída de la
obra literaria.
5. Decoración del Aula-Materia con estos pósters.
6. A repetir en cursos siguientes, variando el tema.
6. DESTREZAS EN LOS OBJETIVOS
Escuchar
Lectura en voz alta
Proyección de vídeos de fragmentos literarios
Leer
Lectura en voz alta
Hablar
Reflexiones posteriores. En español en 1º y 2º de
ESO. En francés desde 3º de ESO.
Conversar
Respondiendo a preguntas del profesor. En francés
en todos los cursos.
Escribir
Traducción al español de los fragmentos elegidos.
Presentación en francés de la lectura recomendada
(≥70 palabras).
8. Maître corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître renard, par l’odeur de l’alleché,
Lui tint à peu près ce langage:
« He ! Bonjour, monsieur du corbeau !
Que vous êtes joli !
Que vous me semblez beau.
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. »
À ces mots le corbeau ne se sent pas de joie;
Et, pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le renard s’en saisit, et dit :
« Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Le corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard,
Qu’on ne l’y prendrait plus.
9. Certain renard gascon, d’autres disent normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille
Des raisins, mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
Le galant en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait atteindre :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. »
Fit-il pas mieux que de se plaindre ?
10. La cigale ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La fourmi n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
─ Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
─ Vous chantiez ! J’en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant. »
11. ca.1200
Qui vauroit bons vers oïr
del deport du Vielantif
de deus biax enfans petis,
des grans paines qu’il soufri
et des proueces qu’il fist
pos s’amie o le cler vis ?
12. Et tu me redevroies dire
Quies hom tu es, et que tu quiers
- Je sui, fet il, uns chevaliers
Qui quier ce que trover ne puis ;
Assez ai quis, et rien ne truis.
13. 1461
Pathelin :
Saincte Marie, Guillemette,
Pour quelque paine que je mette
A cabasser n’à ramasser
Nous ne pouvons rien amasser.
Or viz je que j’avocassoye.
Guillemette :
Par Nostre Dame, je y pensoye,
Dont on chante, en advocassaige ;
Mais on ne vous tient pas si saige
Des quattre pars comme on souloit.
14. 1748
Du temps du roi Moabdar, il y avait à
Babylone un jeune homme nommé
Zadig, né avec un beau naturel fortifié
par l’éducation. Quoique riche et
jeune, il savait modérer ses passions ;
il n’affectait rien, il ne voulait point
toujours avoir raison, et savait
respecter la faiblesse des hommes. On
était étonné de voir qu’avec beaucoup
d’esprit il n’insultât jamais par des
railleries à ces propos si vagues, si
rompus, si tumultueux, à ces
médisances téméraires, à ces
décisions ignorantes, à ces
turlupinades grossières, à ce vain
bruit de paroles, qu’on appelait
« conversation » dans Babylone.
15. 1975
La bille roule entre mes doigts au
fond de ma poche. C’est celle que je
préfère, je la garde toujours celle-
là. Le plus marrant c’est que c’est
la plus moche de toutes : rien à
voir avec les agates ou les grosses
plombées que j’admire dans la
devanture de la boutique du père
Ruben au coin de la rue
Ramey, c’est une bille en terre et le
vernis est parti par
morceaux, cela fait des aspérités
sur la surface, des dessins, on
dirait le planisphère de la classe
en réduction.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22. 1844
« Le premier lundi du moi d’avril
1625, le bourg de Meung, où naquit
l’auteur du Roman de la
Rose, semblait être dans une
révolution aussi entière que si les
huguenots en fussent venus faire une
seconde Rochelle. Plusieurs
bourgeois, voyant s’enfuir les
femmes du côté de la Grande-
Rue, entendant les enfants crier sur
le seuil des portes, se hâtaient
d’endosser la cuirasse et, appuyant
leur contenance quelque peu
incertaine d’un mousquet ou d’une
pertuisane, se dirigeaient vers
l’hôtellerie du Franc
Meunier, devant laquelle
s’empressait, en grossissant de
minute en minute, un groupe
compact, bruyant et plein de
curiosité. »
23. 1943
« Lorsque j’avais six ans j’ai vu, une
fois, une magnifique image, dans un
livre sur la forêt vierge qui s’appelait
Histoires vécues. Ça représentait un
serpent boa qui avalait un fauve.
Voilà la copie du dessin. On disait
dans le livre : « Les serpents boas
avalent leur proie tout entière, sans
la mâcher. Ensuite ils ne peuvent
plus bouger et ils dorment pendant
les six mois de leur digestion. » J’ai
alors beaucoup réfléchi sur les
aventures de la jungle et, à mon
tour, j’ai réussi, avec un crayon de
couleur, à tracer mon premier
dessin. Mon dessin numéro 1. »
24.
25. 1884
« C'était une de ces jolies et
charmantes filles, nées, comme
par une erreur du destin, dans une
famille d'employés. Elle n'avait
pas de dot, pas d'espérances,
aucun moyen d'être connue,
comprise, aimée, épousée par un
homme riche et distingué ; et elle
se laissa marier avec un petit
commis du ministère de
l'Instruction publique. Elle fut
simple, ne pouvant être parée,
mais malheureuse comme une
déclassée ; car les femmes n'ont
point de caste ni de race, leur
beauté, leur grâce et leur charme
leur servant de naissance et de
famille. »
26.
27.
28.
29.
30.
31.
32.
33.
34.
35. 1894
« ― Je parie, dit madame Lepic, qu’Honorine
a encore oublié de fermer les poules.
C’est vrai. On peut s’en assurer par la fenêtre.
Là-bas, tout au fond de la grande cour, le
petit toit aux poules découpe, dans la nuit, le
carré noir de sa porte ouverte.
― Félix, si tu allais les fermer ? dit madame
Lepic à l’aîné de ses trois enfants.
― Je ne suis pas ici pour m’occuper des
poules, dit Félix, garçon pâle, indolent et
poltron.
― Et toi, Ernestine ?
― Oh ! moi, maman, j’aurais trop peur !
Grand frère Félix et sœur Ernestine lèvent à
peine la tête pour répondre. Ils lisent, très
intéressés, les coudes sur la table, presque
front contre front.
― Dieu, que je sui bête ! dit madame Lepic. Je
n’y pensais plus. Poil de Carotte, va fermer les
poules ! »
36.
37. 1959
« Doukipudonktan, se demanda
Gabriel excédé. Pas possible, ils
se nettoient jamais. Dans le
journal, on dit qu’il y a pas onze
pour cent des appartements à
Paris qui ont des salles de bains,
ça m’étonne pas, mais on peut se
laver sans. Tous ceux-là qui
m’entourent, ils doivent pas
faire de grands efforts. »
38.
39. 1848
« Le père Barbeau de la Cosse n’était
pas mal dans ses affaires, à preuve
qu’il était du conseil municipal de sa
commune. Il avait deux champs qui
lui donnaient la nourriture de sa
famille et du profit pardessus le
marché. Il cueillait dans ses prés du
foin à pleins charrois, et, sauf celui
qui était au bord du ruisseau, et qui
était un peu ennuyé par le
jonc, c’était du fourrage connu dans
l’endroit pour être de première
qualité. »
40. Fin XIIème siècle
« Or vous dirai d’une borgoise
Une aventure assez cortoise.
Née et norrie fu d’Orliens,
Et ses sires fu néz d’Amiens,
Riches mananz à desmesure.
De marchéandise et d’usure
Savoit toz les tors et les poins,
Et ce que il tenoit aus poins
Estoit bien fermement tenu. »
41. 1985
« Il y avait d’abord ce visage allongé
par quelques rides verticales, telles
des cicatrices creusées par des
lointaines insomnies, un visage mal
rasé, travaillé par le temps. La vie ―
quelle vie ? une étrange apparence
faite d’oubli ― avait dû le malmener,
le contrarier ou même l’offusquer. »
42. 1907
« L’étrange voyage ! Il avait si bien
commencé cependant ! Pour ma
part, je n’en fis jamais qui s’annonçât
sous de plus heureux auspices. La
Provence est un transatlantique
rapide, confortable, commandé par le
plus affable des hommes. La société la
plus choisie s’y trouvait réunie. Des
relations se formaient, des
divertissements s’organisaient. Nous
avions cette impression exquise d’être
séparés du monde, réduits à nous-
mêmes comme sur une île
inconnue, obligés, par conséquent, de
nous rapprocher les uns des autres. Et
nous nous rapprochions... »
43. 1170-1250
« Quant Isengrins oï le roi
Qui de la pais prenoit conroi
Moult fu dolenz, ne set que faire,
Ne n’en set mais a quel chief traire. »
49. 1833
« Il se trouve dans certaines villes de
province des maisons dont la vue inspire
une mélancolie égale à celle que
provoquent les cloîtres les plus sombres,
les landes les plus ternes ou les ruines les
plus tristes. Peut-être y a-t-il à la fois
dans ces maisons et le silence du cloître et
l’aridité des landes et les ossements des
ruines. La vie et le mouvement y sont si
tranquilles qu’un étranger les croirait
inhabitées, s’il ne rencontrait tout à coup
le regard pâle et froid d’une personne
immobile dont la figure à demi
monastique dépasse l’appui de la croisée,
au bruit d’un pas inconnu. »
50.
51.
52.
53.
54. 1664
« Mme Pernelle :
Allons, Flipote, allons, que d’eux je me délivre.
Elmire :
Vous marchez d’un tel pas qu’on a peine à vous
suivre.
Mme Pernelle :
Laissez, ma bru, laissez, ne venez pas plus
loin : Ce sont toutes façons dont je n’ai pas
besoin.
Elmire : De ce que l’on vous doit envers vous
on s’acquitte. Mais, ma mère, d’où vient que
vous sortez si vite ? »
55.
56.
57.
58. 1784
Figaro : Dix-neuf pieds sur vingt-six.
Suzanne : Tiens, Figaro, voilà mon
petit chapeau : le trouves-tu mieux
ainsi ?
Figaro : Sans comparaison, ma
charmante. Ô ! Que ce joli bouquet
virginal, élevé sur la tête d’une belle
fille, est doux, le matin des noces, à
l’œil d’un époux !...
Suzanne : Que mesures-tu donc là,
mon fils ?
Figaro : Je regarde, ma petite
Suzanne, si ce beau lit que
Monseigneur nous donne, aura bonne
grâce ici.
59. 1877
I
« Un cœur simple »
Pendant un demi-siècle, les
bourgeoises de Pont-l’Évêque
envièrent a Madame Aubain sa
servante Félicité. Pour cent francs par
an, elle faisait la cuisine et le ménage,
cousait, lavait, repassait, savait
brider un cheval, engraisser les
volailles, battre le beurre, et resta
fidèle à sa maîtresse, ― qui cependant
n’était pas une personne agréable.
60.
61. 1984
« C’est en cette fin de l’hiver 1429 ― le
25 février ― au château de Chinon
que leurs destins se sont croisés.
Gilles de Rais fait partie de ces
hobereaux bretons et vendéens qui
ont pris fait et cause pour le dauphin
Charles, bousculé par l’armée
anglaise. Au nom d’Henri VI, roi
d’Angleterre ― qui n’est encore qu’un
enfant ― son oncle Jean, duc de
Bedford, exerce la régence. Mais il
règne aussi à Paris, il occupe la
Normandie et assiège Orléans, porte
du sud de la France. »
62. 1975
« La première chose que je peux
vous dire c’est qu’on habitait au
sixième à pied et que pour Madame
Rosa, avec tous ces kilos qu’elle
portait sur elle et seulement deux
jambes, c’était une vraie source de
vie quotidienne, avec tous les soucis
et les peines. »
63.
64.
65.
66. 1883
« Jeanne, ayant fini ses
malles, s’approcha de la
fenêtre, mais la pluie ne cessait
pas. L’averse, toute la
nuit, avait sonné contre les
carreaux et les toits. Le ciel bas
et chargé d’eau semblait
crevé, se vidant sur la terre, la
délayant en bouillie, la fondant
comme du sucre. Des rafales
passaient pleines d’une chaleur
lourde. Le ronflement des
ruisseaux débordés emplissait
les rues désertes où les
maisons, comme des
éponges, buvaient l’humidité
qui pénétrait au-dedans et
faisait suer les murs de la cave
au grenier. »
67. 1870
Le soleil du matin doucement chauffe et dore
Les seigles et les blés tout humides encore,
Et l’azur a gardé sa fraîcheur de la nuit.
L’on sort sans autre but que de sortir ; on suit,
Le long de la rivière aux vagues herbes jaunes,
Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.
68. 1925
« ― C’est le moment de croire que
j’entends des pas dans le corridor, se
dit Bernard. Il releva la tête et prêta
l’oreille. Mais non : son père et son
frère aîné étaient retenus au Palais ;
sa mère en visite ; sa sœur à un
concert ; et quant au puîné, le petit
Caloub, une pension le bouclait au
sortir du lycée chaque jour. Bernard
Profitendieu était resté à la maison
pour potasser son bachot ; il n’avait
plus devant lui que trois semaines.
La famille respectait sa solitude ; le
démon pas. »
69. 1840
« Dans les premiers jours du mois
d’octobre 181., le colonel Sir Thomas
Nevil, Irlandais, officier distingué
de l’armée anglaise, descendit avec
sa fille à l’hôtel Beauvau, à
Marseille, au retour d’un voyage en
Italie. L’admiration continue des
voyageurs enthousiastes a produit
une réaction, et, pour se
singulariser, beaucoup de touristes
aujourd’hui prennent pour devise le
nil admirari d’Horace. C’est à cette
classe de voyageurs mécontents
qu’appartenait Miss Lydia, fille
unique du colonel. »
70.
71. 1986
« Moi, Hassan fils de Mohamed le
peseur, moi, Jean-Léon de
Médicis, circoncis de la main d’un
barbier et baptisé de la main d’un
pape, on me nomme aujourd’hui
l’Africain, mais d’Afrique ne
suis, ni d’Europe, ni d’Arabie. On
m’appelle aussi le Grenadin, le
Fassi, le Zayyati, mais je ne viens
d’aucun pays, d’aucune
cité, d’aucune tribu. Je suis fils de
la route, ma patrie est
caravane, et ma vie la plus
inattendue des traversées. »
72. 1988
« Au fond de l’Atlantique, il y a un
livre. C’est son histoire que je vais
raconter. Peut-être en connaissez-
vous le dénouement, les journaux
l’ont rapporté à l’époque, certains
ouvrages l’ont consigné depuis :
lorsque le Titanic a sombré, dans
la nuit du 14 au 15 avril 1912, au
large de Terre-Neuve, la plus
prestigieuse des victimes était un
livre, exemplaire unique des
Robaïyat d’Omar Khayyam, sage
persan, poète, astronome. »
73. 1977
« L’année scolaire se tire des pattes.
Trois jours et c’est juillet. C’est fini, on
ne fait plus que des belotes dans le
fond des salles, Mahmoud fume dans
son casier et Léonore compulse son
catalogue des Trois Suisses derrière
son écran de cahiers. Ses yeux mous
ne brillent que devant les photos
d’aspirateurs, elle est moche. Moi, ça
va, je passe en cinquième les doigts
dans le nez because je suis le meilleur,
le plus fort, le plus génial, le plus tout,
bref, le caïd. Bingo. »
74.
75.
76.
77. 1758
« Il y avait en Vestphalie, dans le
château de monsieur le baron de
Thunder-ten-tronckh, un jeune garçon
à qui la nature avait donné les mœurs
les plus douces. Sa physionomie
annonçait son âme. Il avait le jugement
assez droit, avec l’esprit le plus simple ;
c’est, je crois, pour cette raison qu’on le
nommait Candide. Les anciens
domestiques de la maison supçonnaient
qu’il était fils de la sœur de monsieur le
baron, et d’un bon et honnête
gentilhomme du voisinage, que cette
demoiselle ne voulut jamais épouser
parce qu’il n’avait pu prouver que
soixante et onze quartiers, et que le
reste de son arbre généalogique avait
été perdu par l’injure du temps. »
78. 1752
« Dans une de ces planètes qui
tournent autour de l’étoile nommée
Sirius, il y avait un jeune homme de
beaucoup d’esprit, que j’ai eu
l’honneur de connaître dans le
dernier voyage qu’il fit sur notre
petite fourmilière ; il s’appelait
Micromégas, nom qui convient fort à
tous les grands. Il avait huit lieues de
haut : j’entends, par huit lieues,
vingt-quatre mille pas géométriques
de cinq pieds chacun. »
79. 1874
C’est l’extase langoureuse,
C’est la fatigue amoureuse,
C’est tous les frissons des bois
Parmi l’étreinte des brises,
C’est, vers les ramures grises,
La chœur des petites voix.
80. 1801
« C’est une singulière destinée, mon
cher fils, que celle qui nous réunit. Je
vois en toi l’homme civilisé qui s’est
fait sauvage ; tu vois en moi l’homme
sauvage, que le grand Esprit (j’ignore
pour quel dessein) a voulu civiliser.
Entrés l’un et l’autre dans la carrière
de la vie par les deux bouts opposés,
tu es venu te reposer à ma place, et
j’ai été m’asseoir à la tienne : ainsi
nous avons dû avoir des objets une
vue totalement différente. Qui, de toi
ou de moi, a le plus gagné ou le plus
perdu à ce changement de position ?
C’est ce que savent les Génies, dont le
moins savant a plus de sagesse que
tous les hommes ensemble. »
81. 1844
Si ton cœur, gémissant du poids de notre vie,
Se traîne et se débat comme un aigle blessé,
Portant comme le mien, sur son aile asservie,
Tout un monde fatal, écrasant et glacé ;
S’il ne bat qu’en saignant par sa plaie immortelle,
S’il ne voit plus l’amour, son étoile fidèle,
Éclairer pour lui seul l’horizon effacé...
82. 1826
« Connaissez-vous cette contrée
que l’on a surnommé le jardin de la
France, ce pays où l’on respire un
air si pur dans les plaines
verdoyantes arrosées par un grand
fleuve ? Si vous avez traversé, dans
les mois d’été, la belle Touraine,
vous aurez longtemps suivi la Loire
paisible avec enchantement, vous
aurez regretté de ne pouvoir
déterminer, entre les deux rives,
celle où vous choisiriez votre
demeure, pour y oublier les
hommes auprès d’un être aimé. »
83. 1969
« Une vague déferla, courut sur la
grève humide et lécha les pieds de
Robinson qui gisait face contre
sable. À demi inconscient encore, il
se ramassa sur lui-même et rampa
de quelques mètres vers la plage.
Puis il se laissa rouler sur le dos.
Des mouettes noires et blanches
tournoyaient en gémissant dans le
ciel céruléen où une trame
blanchâtre qui s’effilochait vers le
levant était tout ce qui restait de la
tempête de la veille. Robinson fit un
effort pour s’asseoir et éprouva
aussitôt une douleur fulgurante à
l’épaule gauche. »
Incipit de…
Vendredi ou les limbes du Pacifique
84. 1837
« Sur les confins de la Marche et du
Berry, dans le pays qu’on appelle la
Varenne, et qui n’est qu’une vaste lande
coupée de bois de chênes et de
châtaigniers, on trouve, au plus fourré et
au plus désert de la contrée, un petit
château en ruines, tapi dans un ravin, et
dont on ne découvre les tourelles
ébréchées qu’à environ cent pas de la
herse principale. Les arbres séculaires
qui l’entourent et les roches éparses qui
le dominent l’ensevelissent dans une
perpétuelle obscurité, et c’est tout au plus
si, en plein midi, on peut franchir le
sentier abandonné qui y mène, sans se
heurter contre les troncs noueux et les
décombres qui l’obstruent à chaque pas.
Ce sombre ravin et ce triste castel, c’est
la Roche-Mauprat. »
85. 1931
« Les collines, sous
l’avion, creusaient déjà leur sillage
d’ombre dans l’or du soir. Les plaines
devenaient lumineuses mais d’une
inusable lumière : dans ce pays elles
n’en finissent pas de rendre leur or de
même qu’après l’hiver, elles n’en
finissent pas de rendre leur neige. Et
le pilote Fabien, qui ramenait de
l’extreme Sud, vers Buenos-Ayres, le
courrier de Patagonie, reconnaissait
l’approche du soir aux mêmes signes
que les eaux d’un port : à ce calme, à
ces rides légères qu’à peine
dessinaient de tranquilles nuages. Il
entrait dans une rade immense et
bienheureuse. »
86. 1989
« C’est d’abord une phrase qui m’a
traversé la tête : « La mort est un
processus rectiligne. » Le genre de
déclaration à l’emporte-pièce qu’on
s’attend plutôt à trouver en
anglais : « Death is a straight on
process »... quelque chose comme
ça. J’étais en train de me demander
où j’avais lu ça quand le géant a fait
irruption dans mon bureau. La
porte n’avait pas encore claqué
derrière lui qu’il était déjà penché
sur moi : ― C’est
vous, Malaussène ? »
87. 1933
« Xavier Frontenac jeta un
regard timide sur sa belle-sœur
qui tricotait, le buste droit, sans
s’appuyer au dossier de la chaise
basse qu’elle avait rapprochée du
feu ; et il comprit qu’elle était
irritée. Il chercha à se rappeler ce
qu’il avait dit, pendant le dîner :
et ses propos lui semblèrent
dénués de toute malice. Xavier
soupira, passa sur son crâne une
main fluette. »
88. 1991
« L’invitation avait été lancée la
veille de Noël. Ils arrivèrent en
plein été. Sept mois de réflexion
méningiteuse menée à hue et à dia
dans toutes les directions
imaginables. Les hypothèses les
plus saugrenues furent soulevées,
débattues, repensées, puis couchées
noir sur blanc sous forme de lettres
recommandées avec avis de
réception. C’est ainsi que le facteur
chanta mes louanges à travers la
médina : je lui donnais souvent un
pourboire. »
89. 1963
« Les Bastides Blanches, c’était une
paroisse de cent cinquante habitants,
perchée sur la proue de l’un des
derniers contreforts du massif de
l’Étoile, à deux lieues d’Aubagne...
Une route de terre y conduisait par
une montée si abrupte que de loin elle
paraissait verticale : mais du côté des
collines, il n’en sortait qu’un chemin
muletier, d’où partaient quelques
sentiers qui menaient au ciel. »
90. 1963
« Dès qu’il reçut la grande
nouvelle, Attilio n’hésita pas une
seconde, et il vint d’Antibes pour
diriger en personne les premiers
travaux. Il arriva sur une étincelante
bicyclette à pétrole qui tirait des
coups de fusil en traînant une longue
écharpe de fumée bleue. »
91. 1922
« La maison était grande, coiffée
d’un grenier haut. La pente raide
de la rue obligeait les écuries et les
remises, les poulaillers, la
buanderie, la laiterie, à se blottir
en contrebas tout autour d’une
cour fermée. »
92. 1831
« Il y a aujourd’hui trois cent quarante-
huit ans six mois et dix-neuf jours que
les parisiens s’éveillèrent au bruit de
toutes les cloches sonnant à grande
volée dans la triple enceinte de la Cité,
de l’Université et de la Ville. Ce n’est
cependant pas un jour dont l’histoire ait
gardé souvenir que le 6 janvier 1482.
Rien de notable dans l’événement qui
mettait ainsi en branle, dès le matin, les
cloches et les bourgeois de Paris. Ce
n’était ni un assaut de picards ou de
bourguignons, ni une châsse menée en
procession, ni une révolte d’écoliers
dans la vigne de Laas, ni une entrée de
notredit très redouté seigneur monsieur
le roi, ni même une belle pendaison de
larrons et de larronnesses à la Justice
de Paris. »
93. 1863
« C’était vers les dernières années
de la Restauration. La demie de
huit heures, comme on dit dans
l’Ouest, venait de sonner au
clocher, pointu comme une aiguille
et vitré comme une lanterne, de
l’aristocratique petite ville de
Valonges. »
94. 1911
« J’ai presque peine à comprendre
aujourd’hui l’impatience qui
m’élançait alors vers la vie. À vingt-
cinq ans je n’en connaissais rien à
peu près, que par les livres ; et c’est
pourquoi sans doute je me croyais
romancier ; car j’ignorais encore
avec quelle malignité les événements
dérobent à nos yeux le côté par où ils
nous intéresseraient davantage, et
combien peu de prise ils offrent à qui
ne sait pas les forcer. »
95. 1995
Il n’avait que son adresse. Rue
des Pistoles, dans le Vieux
Quartier. Cela faisait des
années qu’il n’était pas venu à
Marseille. Maintenant il
n’avait plus le choix.
96. 1994
« C’était un soir de décembre à la
Bibliothèque nationale. Lasse d’avoir
fiché, noté, annoté, relevé, discuté,
dépouillé, médité tout le jour, les yeux usés
et la main lourde, je posai ma plume et
repoussai ma chaise. Alentour, des corps
cassés sur les bureaux, des crânes luisant
sous les lampes, et de longs murs de livre
fermés, muets, impénétrables. Une glu
liquide et glauque figeait la Grande Salle
dans un silence étale. Rien ne bougeait. Il
stagnait une odeur de poussière propre,
de celles que l’on remue tous les matins. »
98. 1949
« Dans l’S, à une heure d’affluence.
Un type dans les vingt-six ans,
chapeau mou avec cordon
remplaçant le ruban, cou trop long
comme si on lui avait tiré dessus.
Les gens descendent. Le type en
question s’irrite contre un voisin. Il
lui reproche de le bousculer chaque
fois qu’il passe quelqu’un. Ton
pleurnichard qui se veut méchant.
Comme il voit une place libre, se
précipite dessus. »
99.
100. 1947
« Les curieux événements qui font
le sujet de cette chronique se sont
produits en 194., à Oran. De l’avis
général, ils n’y étaient pas à leur
place, sortant un peu de
l’ordinaire. À première vue, Oran
est, en effet, une ville ordinaire et
rien de plus qu’une préfecture
française de la côte algérienne. »
101.
102.
103.
104. 1721
« Nous n’avons séjourné qu’un jour à
Com. Lorsque nous eûmes fait nos
dévotions sur le tombeau de la vierge
qui a mis au monde douze
prophètes, nous nous remîmes en
chemin, et hier, vingt-cinquième jour
de notre départ d’Ispahan, nous
arrivâmes à Tauris. Rica et moi
sommes peut-être les premiers parmi
les Persans que l’envie de savoir ait fait
sortir de leur pays, et qui aient renoncé
aux douceurs d’une vie tranquille pour
aller chercher laborieusement la
sagesse. »
105.
106. 1885
« Dans la plaine rase, sous la
nuit sans étoiles, d’une obscurité
et d’une épaisseur d’encre, un
homme suivait seul la grande
route de Marchiennes à
Montsou, dix kilomètres de pavé
coupant tout droit, à travers les
champs de betteraves. »
107. 1975
« J’ai longtemps hésité avant
d’entreprendre le récit de mon
voyage à W. Je m’y résous
aujourd’hui, poussé par une
nécessité impérieuse, persuadé que
les événements dont j’ai été le
témoin doivent être révélés et mis
en lumière. »
108.
109.
110.
111. 1992
« Le verbe lire ne supporte pas
l’impératif. Aversion qu’il partage
avec quelques autres : le verbe
« aimer »... le verbe « rêver »... On
peut toujours essayer, bien sûr.
Allez-y : « Aime-moi ! » « Rêve ! »
« Lis ! Mais lis donc, bon sang, je
t’ordonne de lire ! » ― Monte dans
ta chambre et lis ! Résultat ?
Néant. »
112.
113. 1997
« La première fois que je me vis
dans un miroir, je ris : je ne croyais
pas que c’était moi. À présent, quand
je regarde mon reflet, je ris : je sais
que c’est moi. Et tant de hideur a
quelque chose de drôle. Mon surnom
arriva très vite. Je devais avoir six
ans quand un gosse me cria, dans la
cour : « Quasimodo ! » Fous de joie,
les enfants reprirent en chœur :
« Quasimodo ! Quasimodo ! »
Pourtant, aucun d’entre eux n’avait
jamais entendu parler de Victor
Hugo. Mais le nom de Quasimodo
était si bien trouvé qu’il suffisait de
l’entendre pour comprendre. On ne
m’appela plus autrement. »
114. 1873
Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un
festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les
vins coulaient.
Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. ― Et
je l’ai trouvée amère. ― Et je l’ai injuriée.
Je me suis armé contre la justice.
Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine,
c’est à vous que mon trésor a été confié !
Je parvins à faire s’évanouir dans mon esprit
toute l’espérance humaine. Sur toute joie pour
l’étrangler j’ai fait le bond sourd de la bête féroce.
J’ai appelé les bourreaux pour, en périssant,
mordre la crosse de leurs fusils. J’ai appelé les
fléaux, pour m’étouffer avec le sable, le sang. Le
malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans
la boue. Je me suis séché à l’air du crime. Et j’ai
joué de bons tours à la folie.
Et le printemps m’a apporté l’affreux rire de
l’idiot.
115. 1953
Estragon : Rien à faire.
Vladimir : Je commence à le croire. J’ai
longtemps résisté à cette pensée, en me
disant, Vladimir, sois raisonnable, tu n’as
pas encore tout essayé. Et je reprenais le
combat. Alors, te revoilà, toi.
Estragon : Tu crois ?
Vladimir : Je suis content de te revoir. Je te
croyais parti pour toujours.
Estragon : Moi aussi.
116. 1829
« Condamné a mort ! Voilà cinq
semaines que j’habite avec cette
pensée, toujours seul avec
elle, toujours glacé de sa
présence, toujours courbé sous
son poids ! »
117.
118. 1933
« 21 mars 1927. Minuit et demi. Tchen
tenterait-il de lever la moustiquaire ?
Frapperait-il au travers ? L’angoisse lui tordait
l’estomac ; il connaissait sa propre fermeté,
mais n’était capable en cet instant que d’y
songer avec hébétude, fasciné par ce tas de
mousseline blanche qui tombait de plafond sur
un corps moins visible qu’une ombre, et d’où
sortait seulement ce pied à demi incliné par le
sommeil, vivant quand même ― de la chair
d’homme. La seule lumière venait du building
voisin : un grand rectangle d’électricité pâle,
coupé par les barreaux de la fenêtre dont l’un
rayait le lit juste au-dessous du pied comme
pour en accentuer le volume et la vie. Quatre
ou cinq klaxons grincèrent à la fois.
Découvert ? Combattre, combattre des ennemis
qui se défendent, des ennemis éveillés ! »
119. 1978
« Au départ, l’art du puzzle semble un art bref, un art
mince, tout entier contenu dans un maigre enseignement de
la Gestalttheorie : l’objet visé ― qu’il s’agisse d’un acte
perceptif, d’un apprentissage, d’un système physiologique
ou, dans le cas qui nous occupe, d’un puzzle de bois ― n’est
pas une somme d’éléments qu’il faudrait d’abord isoler et
analyser, mais un ensemble, c’est-à-dire une forme, une
structure : l’élément ne préexiste pas à l’ensemble, il n’est ni
plus immédiat ni plus ancien, ce ne sont pas les éléments qui
déterminent l’ensemble, mais l’ensemble qui détermine les
éléments : la connaissance du tout et de ses lois, de l’ensemble
et de sa structure, ne saurait être déduite de la connaissance
séparée des parties qui le composent : cela veut dire qu’on
peut regarder une pièce d’un puzzle pendant trois jours et
croire tout savoir de sa configuration et de sa couleur sans
avoir le moins du monde avancé : seule compte la possibilité
de relier cette pièce à d’autres pièces, et en ce sens il y a
quelque chose de commun entre l’art du puzzle et l’art du go ;
seules les pièces rassemblées prendront un caractère
lisible, prendront un sens : considérée isolément une pièce
d’un puzzle ne veut rien dire ; elle est seulement question
impossible, défi opaque ; mais à peine a-t-on réussi, au terme
de plusieurs minutes d’essais et d’erreurs, ou en une demi-
seconde prodigieusement inspirée, à la connecter à l’une de
ses voisines, que la pièce disparaît, cesse d’exister en tant que
pièce : l’intense difficulté qui a précédé ce rapprochement, et
que le mot puzzle ― énigme ― désigne si bien en anglais, non
seulement n’a plus de raison d’être, mais semble n’en avoir
jamais eu, tant elle est devenue évidence : les deux pièces
miraculeusement réunies n’en font plus qu’une, à son tour
source d’erreur, d’hésitation, de désarroi et d’attente. »
120. 1857
La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.
121. 1952
« Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais
jamais rien dit. Rien. C’est Arthur
Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un
étudiant, un carabin lui aussi, un
camarade. On se rencontre donc place
Clichy. C’était le déjeuner. Il veut me
parler. Je l’écoute. « Restons pas
dehors ! qu’il me dit. Rentrons ! » Je
rentre avec lui. Voilà. »
122. 1761
« Il faut vous fuir, mademoiselle, je le
sens bien : j’aurais dû beaucoup
moins attendre ; ou plutôt il fallait ne
vous voir jamais. Mais que faire
aujourd’hui ? Comment m’y
prendre ? Vous m’avez promis de
l’amitié ; voyez mes perplexités, et
conseillez-moi. Vous savez que je ne
suis entré dans votre maison que sur
l’invitation de madame votre mère.
Sachant que j’avais cultivé quelques
talents agréables, elle a cru qu’ils ne
seraient pas inutiles, dans un lieu
dépourvu de maîtres, à l’éducation
d’une fille qu’elle adore. Fier, à mon
tour, d’orner de quelques fleurs un si
beau naturel, j’osai me charger de ce
dangereux soin, sans en prévoir le
péril, ou du moins sans le redouter. »
123. 1830
« La petite ville de Verrières peut
passer pour l’une des plus jolies de la
Franche-Comté. Ses maisons blanches
avec leurs toits pointus de tuiles
rouges s’étendent sur la pente d’une
colline, dont des touffes de vigoureux
châtaigniers marquent les moindres
sinuosités. Le Doubs coule à quelques
centaines de pieds au-dessous de ses
fortifications bâties jadis par les
Espagnols, et maintenant ruinées. »
124. 1852
« Mon avis est qu’on ne peut créer
des personnages que lorsque l’on a
beaucoup étudié les hommes,
comme on ne peut parler une
langue qu’à la condition de l’avoir
sérieusement apprise. N’ayant pas
encore l’âge où l’on invente, je me
contente de raconter. J’engage
donc le lecteur à être convaincu de
la réalité de cette histoire dont
tous les personnages, à l’exception
de l’héroïne, vivent encore. »
125. 2000
« Dans quelques heures, ils vont
venir me chercher. Déjà ils se
préparent. Les soldats nettoient
leurs armes. Des messagers
s’éparpillent dans les rues noires
pour convoquer le tribunal. Le
menuisier caresse la croix sur
laquelle je vais sans doute saigner
demain. Les bouches chuchotent,
tout Jérusalem sait déjà que je
vais être arrêté. »
126.
127. 1869
« Le 15 septembre 1840, vers six
heures du matin, la Ville-de-
Montereau, près de partir, fumait
à gros tourbillons devant le quai
Saint-Bernard. Des gens
arrivaient hors d’haleine ; des
barriques, des câbles, des
corbeilles de linge gênaient la
circulation ; les matelots ne
répondaient à personne ; on se
heurtait ; les colis montaient entre
les deux tambours, et le tapage
s’absorbait dans le bruissement de
la vapeur, qui, s’échappant par
des plaques de tôle, enveloppait
tout d’une nuée blanchâtre, tandis
que la cloche, à l’avant, tintait
sans discontinuer. »
128. 1920
« Je vais encourir bien des
reproches. Mais qu’y puis-je ?
Est-ce ma faute si j’eus douze ans
quelques mois avant la
déclaration de la guerre ? Sans
doute, les troubles qui me vinrent
de cette période extraordinaire
furent d’une sorte qu’on n’éprouve
jamais à cet âge ; mais comme il
n’existe rien d’assez fort pour
nous vieillir malgré les
apparences, c’est en enfant que je
devais me conduire dans une
aventure où déjà un homme eût
éprouvé de l’embarras. »
129.
130. 1888
« Zut ! s’écria tout à coup le père
Roland, qui depuis un quart d’heure
demeurait immo-bile, les yeux fixés
sur l’eau, et soulevant par
moments, d’un mouvement très
léger, sa ligne descendue au fond de la
mer. Mme Roland, assoupie à l’arrière
du bateau, à côté de Mme Rosémilly
invitée à cette partie de pêche, se
réveilla, et tournant la tête vers son
mari : « Eh bien !... eh bien !...
Gérôme ! »
131.
132. 1580
« C’est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t’avertit,
dès l’entrée, que je ne m’y suis proposé aucune fin,
que domestique et privée. Je n’y ai eu nulle
considération de ton service, ni de ma gloire. Mes
forces ne sont pas capables d’un tel dessein. Je l’ai
voué à la commodité particulière de mes parents
et amis : à ce que m’ayant perdu (ce qu’ils ont à
faire bientôt) ils y puissent retrouver aucuns
traits de mes conditions et humeurs, et que par ce
moyen ils nourrissent, plus entière et plus vive, la
connaissance qu’ils ont eue de moi. Si c’eût été
pour rechercher la faveur du monde, je me fusse
mieux paré et me présenterais en une marche
étudiée. Je veux qu’on m’y voie en ma façon
simple, naturelle et ordinaire, sans contention et
artifice : car c’est moi que je peins. Mes défauts s’y
liront au vif, et ma forme naïve, autant que la
révérence publique me l’a permis. Que si j’eusse
été entre ces nations qu’on dit vivre encore sous la
douce liberté des premières lois de la nature, je
t’assure que je m’y fusse très volontiers peint tout
entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même
la matière de mon livre : ce n’est pas raison que tu
emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain.
Adieu donc ; de Montaigne, ce premier de mars
mil cinq cent quatre-vingts. »
133.
134. 1831
« Vers la fin du mois d’octobre
dernier, un jeune homme entra
dans le Palais-Royal au moment
où les maisons de jeu s’ouvraient,
conformément à la loi qui protège
une passion essentiellement
imposable. Sans trop hésiter, il
monta l’escalier du tripot désigné
sous le nom de numéro 36. »
135.
136. 1988
« Ma mère est morte le lundi 7
avril à la maison de retraite de
l’hôpital de Pontoise, où je l’avais
placée il y a deux ans. L’infirmier
a dit au téléphone : « Votre mère
s’est éteinte ce matin, après son
petit déjeuner. » Il était environ
dix heures. »
137.
138. 1677
Hippolyte:
Le dessein en est pris : je pars, cher
Théramène,
Et quitte le séjour de l’aimable Trézène.
Dans le doute mortel dont je suis agité,
Je commence à rougir de mon oisivité.
Depuis plus de six mois éloigné de mon père,
J’ignore le destin d’une tête si chère ;
J’ignore jusqu’aux lieux qui le peuvent
cacher. »
139. 1951
« Mon cher Marc, je suis descendu
ce matin chez mon médecin
Hermogène, qui vient de rentrer à la
Villa après un assez long voyage en
Asie. L’examen devait se faire à
jeun : nous avions pris rendez-vous
pour les premières heures de la
matinée. Je me suis couché sur un lit
après m’être dépouillé de mon
manteau et de ma tunique. »
140. 1994
« Marc :
Mon ami Serge a acheté un
tableau. C’est une toile d’environ
un mètre soixante sur un mètre
vingt, peinte en blanc. Le fond
est blanc et si on cligne des yeux,
on peut apercevoir de fins liserés
blancs transversaux. »
141. 1666
Philinte :
Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ?
Alceste :
Laissez-moi, je vous prie.
Philinte :
Mais encor dites-moi quelle bizarrerie.
Alceste :
Laissez-moi là, vous dis-je,
et courez vous cacher.
Philinte :
Mais on entend les gens,
au moins, sans se fâcher.
Alceste :
Moi, je veux me fâcher,
et ne veux point entendre.
142. 1866
La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
O nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !
143. 1995
« L’enfant était cloué à la porte
comme un oiseau de malheur. Ses
yeux pleine lune étaient ceux d’une
chouette. Eux, ils étaient sept, et
montaient les escaliers de quatre en
quatre. Bien entendu, ils ignoraient
que cette fois-ci on leur avait cloué un
gosse sur la porte. Ils croyaient avoir
tout vu et couraient donc vers la
surprise. Deux paliers encore et un
petit Jésus de six ou sept ans leur
barraient le passage. Un bébé-dieu
cloué vif à une porte. Qui peut
imaginer une chose pareille ? »
144. 1991
« À l’inverse du Nil, que l’on peut
descendre porté par le courant ou
remonter au gré des voiles, le Tigre est
un fleuve à sens unique. En
Mésopotamie, les vents s’écoulent,
comme les eaux, de la montagne vers la
mer, jamais vers l’intérieur des terres,
au point que les barques doivent
s’alourdir à l’aller d’ânes et de mulets
qui au retour les remorqueront vers
leur bourg d’attache, coques branlantes
et penaudes sur les chemins secs. »
145. 1942
« Aujourd’hui, maman est
morte. Ou peut-être hier, je ne
sais pas. J’ai reçu un
télégramme de l’asile : « Mère
décédée. Enterrement demain.
Sentiments distinguées. » Cela
ne veut rien dire. C’était peut-
être hier. »
146. 1989
Un désespéré entre dans une cabine
publique de téléphone, il a un revolver à la
main, il a du mal à faire un numéro de
téléphone, un numéro qui n’en finit plus
(quinze-vingt chiffres), ça sonne, on
décroche à l’autre bout.
Thérèse : Allô, allô.
Il parle en hoquetant, le revolver sur la
tempe.
L’homme : Allô... Détresse-Amitié ?
Thérèse : Allô... Allô... Je ne vous entends
pas.
L’homme : Je suis au bout du rouleau,
qu’est-ce que je dois faire ?
Thérèse : Je ne vous entends pas, appuyez
sur le bouton.
L’homme appuie sur la gâchette et tombe
mort.
Noir.
147. 1968
« Ma montre est-elle arrêtée ? Non.
Mais les aiguilles n’ont pas l’air de
tourner. Ne pas les regarder.
Penser à autre chose, à n’importe
quoi : à cette journée derrière moi,
tranquille et quotidienne malgré
l’agitation de l’attente. »
148. 1999
« Si vous voulez mon avis ― et si vous
ne le voulez pas, je vous le donne quand
même ― je ne crois pas vraiment qu’il y
ait des libellules à Paris, même au
début du mois de juillet. Je suis plutôt
du contraire. Pourtant, tôt ce matin-
là, il en est passé une devant mes
yeux, à travers le carré d’espace de la
fenêtre que j’avais laissé ouverte. Je
laisse toujours ma fenêtre
ouverte, gel, pluie, neige ou
catastrophe écologique, parce
que, n’est-ce pas, on ne sait jamais, Un
Jour Mon Prince Viendra et il pourrait
bien venir par la fenêtre. (Et puis, de
toute façon, j’ai souvent la sensation
d’étouffer, d’être oppressée.
Alors, j’ouvre). »
149. 1827
« Le drame qu’on va lire n’a rien
qui le recommande à attention
ou à la bienveillance du public.
Il n’a point, pour attirer sur lui
l’intérêt des opinions
politiques, l’avantage du veto de
la censure administrative, ni
même, pour lui concilier tout
d’abord la sympathie littéraire
des hommes de goût, l’honneur
d’avoir été officiellement rejeté
par un comité de lecture
infaillible. »
150. 1902
« Oui, tu le pensais bien : Michel nous
a parlé, mon cher frère. Le récit qu’il
nous fit, le voici. Tu l’avais demandé ;
je te l’avais promis ; mais à l’instant
de l’envoyer, j’hésite encore, et plus je
le relis et plus il me paraît affreux.
Ah ! que vas-tu penser de notre ami ?
D’ailleurs qu’en pensé-je moi-
même ?... Le réprouverons-nous
simplement, niant qu’on puisse
tourner à bien des facultés qui se
manifestent cruelles ? »
151. 1835
« Tu te plains, mon cher ami, de la
rareté de mes lettres. ― Que veux-tu que
je t’écrive, sinon que je me porte bien et
que j’ai toujours la même affection pout
toi ? ― Ce sont choses que tu sais
parfaitement, et qui sont si naturelles à
l’âge que j’ai et avec les belles qualités
qu’on te voit, qu’il y a presque du
ridicule à faire parcourir cent lieues à
une misérable feuille de papier pour ne
rien dire de plus. ― J’ai beau chercher,
je n’ai rien qui vaille la peine d’être
rapporté ; ― ma vie est la plus unie du
monde, et rien n’en vient couper la
monotonie. Aujourd’hui amène demain
comme hier avait amené aujourd’hui ;
et, sans avoir la fatuité d’être prophète,
je puis prédire hardiment le matin ce
qui m’arrivera le soir. »
152. 1844
« Le lundi, dix-huitième jour du mois
d’août 1572, il y avait grande fête au
Louvre. Les fenêtres de la vieille
demeure royale, ordinairement si
sombres, étaient ardemment
éclairées ; les places et les rues
attenantes, habituellement si
solitaires, dès que neuf heures
sonnaient à Saint-Germain-
l’Auxerrois, étaient, quoiqu’il fût
minuit, encombrées de populaire. »
153. 1440
La retenue d’amours
I
Ou temps passé, quant Nature me fist
En ce monde venir, elle me mist
Premierement tout en la gouvernance
D’une Dame qu’on appelloit Enfance,
En lui faisant estroit commandement
De me nourrir et garder tendrement.
154. 1973
« Voir un sexe fut la préoccupation de
notre enfance. Pas n’importe quel sexe.
Pas un sexe innocent et imberbe. Mais
celui d’une femme. Celui qui a vécu et
enduré, celui qui s’est fatigué. Celui qui
hante nos premiers rêves et nos
premières audaces. Le sexe qu’on
nomme dans une rue déserte et qu’on
dessine dans la paume de la main.
Celui par lequel on injurie. Celui qu’on
rêve de faire et de réinventer. Les rues
de notre quartier le connaissent bien.
Les murs l’ont apprivoisé et le ciel lui a
fait une place. Sur l’effigie de ce sexe
nous éjaculons des mots. »
155. 1874
« Il y a terriblement d’années, je m’en
allais chasser le gibier d’eau dans les
marais de l’Ouest, ― et comme il n’y
avait pas alors de chemins de fer dans
le pays où il me fallait voyager, je
prenais la diligence de *** qui passait
à la patte-d’oie du château de Rueil et
qui, pout le moment, n’avait dans son
coupé qu’une seule personne. Cette
personne, très remarquable à tous
égards, et que je connaissais pour
l’avoir beaucoup rencontrée dans le
monde, était un homme que je vous
demanderai la permission d’appeler
le vicomte de Brassard. »
156. 1944
« Voilà. Ces personnages vont vous
jouer l’histoire d’Antigone. Antigone,
c’est la petite maigre qui est assise là-
bas, et qui ne dit rien. Elle regarde
droit devant elle. Elle pense. Elle
pense qu’elle va être Antigone tout à
l’heure, qu’elle va surgir soudain de la
maigre jeune fille noiraude et
renfermée que personne ne prenait au
sérieux dans la famille et se dresser
seule en face du monde, seule en face
de Créon, son oncle, qui est le roi. »
157.
158.
159. 1670
« Les psaumes chantés par toute la
terre. Qui rend témoignage de
Mahomet ? Lui-même. J.C. veut
que son témoignage ne soit rien. La
qualité de témoins fait qu’il faut
qu’il soient toujours, et partout, et
misérables. Il est seul. »
160.
161. 1760
« La réponse de M. le marquis de
Croismare, s’il m’en fait une, me
fournira les premières lignes de ce
récit. Avant que de lui écrire, j’ai
voulu le connaître. C’est un
homme du monde, il s’est illustré
au service ; il est âgé, il a été
marié ; il a une fille et deux fils
qu’il aime et dont il est chéri. Il a
de la naissance, des lumières, de
l’esprit, de la gaieté, du goût pour
les beaux-arts, et surtout de
l’originalité. »
162.
163. 1637
« Le bon sens est la chose du monde la mieux
partagée ; car chacun pense en être si bien
pourvu que ceux même qui sont les plus
difficiles à contenter en toute autre chose
n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils
en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que
tous se trompent : mais plutôt cela témoigne
que la puissance de bien juger et distinguer
le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce
qu'on nomme le bon sens ou la raison, est
naturellement égale en tous les hommes ; et
ainsi que la diversité de nos opinions ne
vient pas de ce que les uns sont plus
raisonnables que les autres, mais seulement
de ce que nous conduisons nos pensées par
diverses voies, et ne considérons pas les
mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir
l'esprit bon, mais le principal est de
l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont
capables des plus grands vices aussi bien
que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne
marchent que fort lentement peuvent
avancer beaucoup davantage, s'ils suivent
toujours le droit chemin, que ne font ceux qui
courent et qui s'en éloignent. »
164. 1762
« L’homme est né libre, et partout il est dans
les fers. Tel se croit le maître des autres, qui
ne laisse pas d’être plus esclave qu’eux.
Comment ce changement s’est-il fait ? Je
l’ignore. Qu’est-ce qui peut le rendre
légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette
question.
Si je ne considérais que la force, et l’effet qui
en dérive, je dirais : Tant qu’un peuple est
contraint d’obéir et qu’il obéit, il fait bien ;
sitôt qu’il peut secouer le joug et qu’il le
secoue, il fait encore mieux ; car, recouvrant
sa liberté par le même droit qui la lui ravie,
ou il est fondé à la reprendre, ou l’on ne
l’était point à la lui ôter. Mais l’ordre social
est un droit sacré, qui sert de base à tous les
autres. Cependant ce droit ne vient point de
la nature ; il est donc fondé sur des
conventions. Il s’agit de savoir quelles sont
ces conventions. Avant d’en venir là je dois
établir ce que je viens d’avancer. »
165.
166.
167. 1884
« À en juger par les quelques portraits
conservés au château de Lourps, la
famille des Floressas des Esseintes avait
été, au temps jadis, composée
d’athlétiques soudards, de rébarbatifs
reîtres. Serrés, à l’étroit dans leurs vieux
cadres qu’ils barraient de leurs fortes
épaules, ils alarmaient avec leurs yeux
fixes, leurs moustaches en yatagans, leur
poitrine dont l’arc bombé remplissait
l’énorme coquille des cuirasses. »