1. Design management,
de la création utile à l’organisation agile…
Le design management suscite de plus en plus de curiosité dans l’entreprise, que ce soit au
sein des équipes marketing, de recherche et développement, de production… voire au
sommet des directions générales. Cet intérêt s’accompagne de nombreuses questions dont
la plus récurrente, impossible à éviter, est celle de la définition du design.
Dans les années 1930 Raymond Loewy justifiait le recours à l’esthétique industrielle en
affirmant que la « laideur se vend mal » lorsque l’offre dépasse la demande. Intervenant sur
un nombre croissant d’objets de notre quotidien, le design n’a jamais eu une telle audience
auprès du grand public. Spontanément synonyme de séduction esthétique plus ou moins
éphémère, il continue à souffrir d’une image élitiste, conférée par le coût élevé de quelques
projets signés par des créateurs stars. En ne retenant que la première signification
étymologique du design, le dessin, il est donc tentant de le réduire à un simple geste formel
en aval des processus de conception, visant un mieux vendre…
Il faut un peu plus de temps, de réflexion et de pratique pour discerner les autres apports du
design dans les organisations. Sa seconde signification, le dessein, renvoie évidemment à
sa capacité à gérer un projet en respectant coûts, délais et qualité, comme toutes les
disciplines de la conception. Mais ce qui fait du design un moteur d’innovation réside dans sa
dimension humaine, sa propension à projeter de nouveaux scénarii de vie. Pour élaborer
ces projections, les designers questionnent le contexte (usages, marchés, technologies,..) et
appliquent un regard critique mais positif sur ce qu’ils observent. Ils font preuve de médiation
au milieu de faisceaux de contraintes souvent contradictoires. Le but final est de proposer
des couples usages/offres plus justes…
La première qualité de cet ouvrage est de révéler en filigrane qu’un design management
performant ne peut exister que si l’on prend conscience de la valeur du processus design,
une démarche centrée sur l’utilisateur que Tim Brown1
a baptisé « design thinking ».
De l’identité visuelle au design d’espaces, du design produit à la conception de packaging,
du design numérique à l’élaboration de services, les champs d’application du design
s’étendent sans cesse, jusqu’à des activités dites « immatérielles ». La notion de progrès
humain y occupe toujours une place centrale. Mais cet objectif ne peut suffire à mettre en
place un design management efficace et durable dans une organisation. Une expérience
d’une décennie sur un fluide invisible, l’électricité, m’incite à mettre en lumière quatre autres
dimensions qui me semblent fondamentales, quel que soit le secteur d’activité…
Le premier défi adressé au design management, comme à l’ensemble de la société, est celui
du développement soutenable2
des activités humaines. Nous sommes heureusement de
plus en plus nombreux à prendre conscience que nos modèles de consommation se
heurtent à la dimension finie de nos ressources : eau, matériaux, énergie, finances, temps…
En fonction des contextes et des cultures d’entreprises, il s’agit de définir les processus
design appropriés pour s’affranchir des effets de modes futiles, aller au delà des exigences
réglementaires et améliorer sans cesse la durabilité des offres tout au long de leur cycle de
vie. La mise en place d’une direction artistique en phase avec la responsabilité éthique,
1
Tim Brown, CEO et Président de l’agence de design IDEO
2
Les ouvrages de Victor Papanek « Design for the Real World, Human ecology and social change » et plus
récemment de Thierry Kazazian –« Il y aura l’âge des choses légères » nous rappellent, parmi d’autres
publications, que la question de la responsabilité du concepteur n’est pas nouvelle…
2. sociale et environnementale de l’organisation demeure un point clé. Car pour diminuer nos
impacts négatifs sur l’environnement, tout scénario durable doit nécessairement séduire le
plus grand nombre…
Le second enjeu auquel tout design management doit répondre est celui de la synthèse
d’informations. Les flux d’actualités instantanés et incessants auxquels nous sommes
confrontés, au travers d’internet comme de tous les réseaux de communications3
, nous
rappellent régulièrement qu’il est de plus en plus facile… d’avoir de fausses bonnes idées !
Simultanément les besoins de base de la pyramide de Maslow4
sont à l’origine d’innovations
de plus en plus nombreuses. En Afrique, l’absence de véritable réseau bancaire a amené le
Kenya à proposer rapidement le règlement d’achats par portable, bien avant des pays ayant
des réseaux mobiles plus matures. Nous vivons ainsi dans un monde foisonnant de
déséquilibres qui interpellent les chaînes de valeur et les modèles d’affaire existants. Or
l’une des spécificités du design est d’identifier et de tenter de s’appuyer sur ces points
d’inflexion pour générer des mutations désirables…
L’objectif reste d’organiser l’observation de tous les signaux, qu’ils soient forts, faibles,
proches ou éloignés du marché de l’entreprise, pour les transformer en innovations utiles. En
allant plus loin, il est probable que l’avenir du design, comme celui du management, passe
par le développement stratégique du design d’information, c’est à dire l’aptitude à
représenter de manière synthétique des systèmes complexes grâce au langage universel du
dessin, au travers d’esquisses, de scénarii ou de cartographies systémiques…
Au XVIème siècle Théodore Aggripa d’Aubigné conseillait à ses contemporains de « paraître
moins » pour « être plus »5
. Le troisième challenge du design management est celui de
l’humilité. En effet les révolutions industrielles et la société de consommation ont conduit à
sur-exposer le design comme objet de communication. S’il participe bien à exprimer des
valeurs de marque où à mettre en valeur une innovation technologique, il ne peut pas le faire
seul mais en relation avec les autres compétences de l’entreprise. Inciter les designers à
plus d’humilité et les autres métiers à plus d’audace créative ne peut qu’aider à créer de la
valeur par le design management…
Dans ce monde de plus en plus complexe, avoir de bonnes idées et les communiquer ne
suffit plus à les transformer en succès industriels… Pour une entreprise comme un individu,
innover est un exercice périlleux, ne serait-ce que face à l’ensemble des connaissances et
des investissements à mobiliser. Nous touchons ici à la quatrième question posée au design
management, celle de la dimension collective de l’innovation.
De nombreuses pratiques (ingénierie concourante, tables rondes…) visent depuis longtemps
à faciliter les échanges entre les différents métiers de l’entreprise, voire entre une
organisation et ses clients. Des instruments de design management présentés dans cet
ouvrage permettent d’aller encore plus loin. Certains cherchent à instaurer un dialogue en
amont avec des utilisateurs experts (lead users). A n’importe quelle étape d’un projet, des
ateliers créatifs (design workshop) peuvent permettre de générer collectivement des
propositions systémiques sur des temps courts. Demain des living labs6
nous aiderons aussi
à expérimenter des pistes de solutions avec des utilisateurs et des partenaires potentiels, en
condition de vie réelle….
3
Selon Eric Schmidt, CEO de Google, « Le monde créé désormais autant d’information en deux jours que celle
qui a été créée entre sa création et l’année 2003 »
4
Sur la base d’observations menées dans les années 1940, le psychologue Abraham Maslow développe une
théorie de la motivation hiérarchisée ultérieurement sous la forme d une pyramide des besoins à remplir par
ordre de priorité (besoins physiologiques, besoins de sécurité, besoins d’appartenance / affectif, estime et enfin
accomplissement de soi)
5
Citation exacte : « Parais moins, sois plus »
6
En 2006 la présidence Finlandaise de l’Union Européenne a soutenu la mise en place d’un réseau de living labs
au sein de la Communauté (http://www.openlivinglabs.eu).
3. En favorisant la curiosité, la critique positive et la médiation au sein d’équipes projets
ouvertes vers l’externe, la gestion du design peut aider à instaurer dans l’entreprise une
véritable culture d’innovation, gage d’agilité économique…
Au fil des pages, le lecteur saura identifier des références à chacun de ces cinq piliers, qu’il
s’agisse des notions de progrès humain, de durabilité, de représentation de l’information,
d’humilité ou d’innovation collective. A lui de juger s’ils peuvent constituer les fondations d’un
design management à la fois utile pour les clients, pérenne économiquement et plus
soutenable pour l’ensemble des parties prenantes.
Cet ouvrage recèle d’autres qualités. Il combine de nombreux points de vue d’experts, de
théoriciens comme de praticiens professionnels de secteurs variés. Il permet également de
se familiariser avec les trois niveaux du design management : l’échelle opérationnelle de la
gestion de projets de design, le degré tactique du management d’une activité de design
industriel et la dimension stratégique de pilotage du changement par le design. Les
exemples proposés prouvent enfin que le design management peut s’appliquer à toute
activité, jusqu’à la conception de services ou d’organisations…
Loin de présenter des modèles types qu’il suffirait d’appliquer quel que soit le contexte, les
auteurs nous invitent finalement à découvrir un design management en invention
perpétuelle. Intégrer le design dans une entreprise amène systématiquement à remettre en
question les pratiques, les outils de conception et les modes d’interaction avec les différents
acteurs de la société. Le design management peut alors devenir stratégique, en combinant
création utile et agilité organisationnelle…
G. Rougon
Février 2012
Cet article a été rédigé comme préface du livre « Instruments de design management :
théories et sas Pratiques » à la demande des auteurs.
http://superieur.deboeck.com/titres/29010_2/9782804121662-instruments-de-design-
management.html