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UNIVERSITE EUROPEENNE DE BRETAGNE
RENNES 2 - UFR ALC
MASTER 2 COMMUNICATION
PARCOURS ETUDES ET PROJETS
D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION
La diplomatie culturelle en
contexte de tensions politiques
dans une ville divisée :
l’exemple de l’Institut Français
de Jérusalem.
COSTA Hermine
SEPTEMBRE 2013
Remerciements :
La rédaction de ce mémoire s’inscrit dans la continuité du stage réalisé au sein du
Centre de Recherches français de Jérusalem (CRFJ). Par conséquent, mes
remerciements commenceront par toute l’équipe du CRFJ qui m’a offert le cadre
de travail idéal pour mes recherches. Un grand merci à mon ancienne directrice de
stage, Mme Caroline du Plessix, ainsi qu’au directeur du Centre, M. Olivier
Tourny, qui se sont toujours montrés disponibles pour m’aider à avancer dans mon
travail. Ils m’ont aussi été d’une aide précieuse dans la recherche des entretiens à
Jérusalem.
Je remercie toutes les personnes qui m’ont accordé de leur temps pour un entretien
à Jérusalem, à Ramallah et à Paris pour m’expliquer avec patience tous les rouages
de la diplomatie culturelle. Je pense à M. Thierry Vielle, Adjoint au chef de la
Mission du réseau (DGM/SPR/RES) au Ministère des Affaires étrangères, à M.
Benoît Tadié, directeur de l’Institut français de Jérusalem, à M. Yves Corbel,
directeur de l’institut Chateaubriand, à Mme Cécile Caillou-Robert, directrice de
l’institut Romain Gary, et à M. Julien Chiappone, directeur de l’institut franco-
allemand de Ramallah. Un remerciement tout spécial à tout le personnel de
l’institut Chateaubriand qui s’est montré d’une gentillesse et d’une patience,
malgré les heures passées là-bas à les questionner. Je remercie également Mlle
Emmanuelle Martinez, qui s’est montrée disponible depuis le début pour me
fournir de précieuses informations.
Pour l’encadrement de mes recherches, je remercie M. Yves Helias, qui malgré un
emploi du temps chargé a accepté de me suivre dans ce mémoire hors normes. Il
s'est rendu disponible, m'a accueillie et m'a prodigué de bons conseils pour mener à
bien ce projet de mémoire de recherche qui me tenait à cœur.
Je remercie également tous ceux qui m'ont aidé dans le travail de rédaction de la
relecture à la correction orthographique. Je pense encore à Mme Caroline du
Plessix, mais aussi à Denis D., Jérémy D., Mathilde C. et Anne-Gaëlle M. pour ses
conseils et ses encouragements et Sophie L. pour son aide et son soutien.
Enfin, j’adresse un clin d’œil tout particulier à mes parents, sans qui rien de tout
cela n’aurait été possible.
Table des matières
I. Introduction :............................................................................................................1
A. Qu’est-ce que la diplomatie culturelle ?...........................................................................................................3
1. Définition de la diplomatie culturelle............................................................................................................3
2. Les origines de la diplomatie culturelle en France ..................................................................................6
3. Quel lien entre culture et politique ?........................................................................................................... 10
B. La diplomatie culturelle française à Jérusalem .........................................................................................13
1. La place du français en Palestine de la période ottomane au mandat britannique............... 13
2. La diffusion de la langue et de la culture françaises dans un contexte de montée
du nationalisme arabe, puis palestinien............................................................................................................... 16
3. La diplomatie culturelle française actuelle dans la Jérusalem divisée......................................... 18
II. Les enjeux passés et présents de la présence culturelle et religieuse de la
France à Jérusalem.........................................................................................................20
A. Les origines de la présence française en Terre Sainte...........................................................................20
1. Le protectorat religieux de la France sur la Jérusalem ottomane.................................................. 20
2. Le Collège des Frères ou la formation d’une élite favorable à la France..................................... 25
B. Partition de Jérusalem : de nouveaux enjeux pour la France dans la ville Sainte ?.................31
1. Les répercussions diplomatiques de 1967 ................................................................................................ 32
2. Deux instituts de part et d’autre de la Ligne Verte ............................................................................... 35
III. L’institut Chateaubriand : quelles offres pour quels publics ? .............................49
A. La politique de l’institut Chateaubriand au sein d’un dispositif plus large..................................49
1. Le morcellement de la population palestinienne................................................................................... 53
2. Le développement culturel des différentes villes palestiniennes..................................................... 56
B. Des objectifs en fonction d’un contexte.........................................................................................................59
C. Les acteurs et la vision de leur rôle.................................................................................................................63
D. Etude sur le public...................................................................................................................................................72
IV. La communication : quels supports ? ..................................................................80
A. Communiquer, pour quoi ? Sur quoi ?............................................................................................................80
B. La communication en fonction des « produits ».......................................................................................89
C. Le public et la communication...........................................................................................................................99
V. Conclusion : .....................................................................................................103
VI. Bibliographie.....................................................................................................111
VII. Glossaire ...........................................................................................................114
VIII. Annexes ........................................................................................................115
A. Rapport de stage.................................................................................................................................................... 115
1. Entretien Benoit Tadié, directeur de l’Institut français de Jérusalem le 6.6.13.....................122
2. Entretien Cécile Caillou-Robert, directrice de l’institut Romain Gary le 24/06/13..............124
3. Entretien avec Yves Corbel, directeur de l’institut Chateaubriand le 18/06/13....................126
B. Tableau de répartition des activités des instituts................................................................................. 132
1
I. Introduction :
La place d’un Etat sur la scène internationale se mesure à l’aune de sa puissance
économique, de sa force militaire, mais aussi de son attractivité et de sa capacité à
projeter des valeurs. Cette puissance douce qu’est l’influence s’exerce, selon
Nicolas Tenzer 1
, plus spécifiquement à travers la contribution aux normes
élaborées par les organisations internationales, l’aptitude à figurer parmi les leaders
de l’expertise internationale et la présence dans les sphères académiques et
médiatiques. Mais elle s’exerce aussi à travers la capacité à diffuser une culture et
une langue. La présence sur la scène culturelle ainsi que la place de la langue dans
le monde sont autant d’indices pour mesurer la place d’un Etat sur la scène
internationale. Depuis des siècles la France s’attache donc à exercer une présence
culturelle, linguistique, politique ou même militaire autour du globe.
Ce mémoire traitera du cas particulier de Jérusalem et des enjeux pour la France
d’y diffuser sa langue et sa culture. Il sera démontré que la culture semble être un
moyen privilégié pour s’adresser à deux populations différentes dans un
contexte de tension, comme celui de Jérusalem. L’étude portera plus
spécifiquement sur le travail de l’antenne Chateaubriand de l’Institut français de
Jérusalem dans la diffusion de la langue française et la promotion de la culture
française, dans le contexte spécifique de Jérusalem-Est.
Dans un premier temps, il serait bon de définir des termes centraux de cette étude,
à savoir « diplomatie », « culture », « ville divisée » et « diplomatie culturelle ».
La diplomatie est une branche de la science politique qui concerne les relations
internationales. Elle concerne l’action et la manière de représenter son pays auprès
d'une nation étrangère et dans les négociations internationales. Pour M. Badie, la
diplomatie, « c'est l'art de gérer les "séparations" de manière à les rendre
supportables. Le diplomate a pour rôle principal d'agir dans le sens d'une réduction
des fossés entre acteurs, et notamment des fossés entre Etats.
Logiquement, une arme diplomatique devrait s'inscrire dans cette ligne et définir
toute une batterie d'instruments destinés à favoriser, directement ou indirectement,
des rapprochements, sans ne rien céder, bien sûr, des intérêts nationaux que chaque
Etat doit promouvoir. »2
1
Tenzer Nicolas , Devin Guillaume , Badel Laurence , Pierre Cyrille , Lefebvre Maxime , Challenges
and vehicles of soft diplomacy
Numéro 9 de Mondes, les Cahiers du Quai d'Orsay, 2012, Grasset & Fasquelle, 211 pages
2
Badie Bertrand, La sanction internationale est plus associée à la puissance qu’au consensus,
Décembre 2012, Le Monde
2
Le terme « culture » revêt un certain nombre de définitions, d’où l’importance de
le clarifier. Le dictionnaire Larousse 2012 en propose 5 :
 Enrichissement de l'esprit par des exercices intellectuels.
 Connaissances dans un domaine particulier : Elle a une vaste culture médicale.
 Ensemble des phénomènes matériels et idéologiques qui caractérisent un groupe
ethnique ou une nation, une civilisation, par opposition à un autre groupe ou à une
autre nation : La culture occidentale.
 Dans un groupe social, ensemble de signes caractéristiques du comportement de
quelqu'un (langage, gestes, vêtements, etc.) qui le différencient de quelqu'un
appartenant à une autre couche sociale que lui : Culture bourgeoise, ouvrière.
 Ensemble de traditions technologiques et artistiques caractérisant tel ou tel stade de
la préhistoire.
Dans notre étude, la « culture » renvoie à l’ensemble des phénomènes matériels et
idéologiques qui caractérise un groupe ethnique ou une nation, une civilisation, par
opposition à un autre groupe ou une autre nation. La culture comprend donc à un
ensemble de traditions propres à un peuple ou une civilisation, mais concerne
également tout le patrimoine historique et artistique du peuple en question. C’est
dans ce sens que le mot « culture » sera employé dans cette étude.
Enfin le terme de « ville divisée » rappelle le statut de Berlin durant la Guerre
Froide. Une ville divisée est une ville qui est géographiquement coupée en deux.
Sauf pour le cas de Berlin, la plupart du temps, chaque partie est habitée par deux
populations différentes qui la revendiquent toute deux. Souvent, la division de la
ville se manifeste de manière concrète (par la construction d’un mur comme à
Berlin par exemple). D’autre fois, la frontière est naturelle, c’est le cas de la ville
de Kosovska Mitrovica, au Kosovo, qui est séparée de Nord en Sud par la rivière
Ibar, au Nord on compte une population majoritairement serbe, alors que le Sud est
peuplé principalement par des Albanais. Pour le cas de Jérusalem, aucune frontière
visible n’existe. Pourtant, on a bien à faire à une ville divisée, comme le reconnait
la communauté internationale : deux populations différentes, deux contextes
économiques différents, etc.
Au fil des siècles tout un réseau de diplomatie culturelle a été mis en place par la
France à Jérusalem. Mais avant de s’attarder sur les détails de la présence culturelle
française à Jérusalem, il convient de s’intéresser à la notion de « diplomatie
culturelle ». Ce document s’adresse effectivement à un public formé en Sciences
de l’Information et de la Communication pour qui ce terme, central dans cette
étude, est loin d’être évident. C’est la raison pour laquelle il est important de
souligner la place significative que prendra l’explication de ce qu’est la
« diplomatie culturelle française » dans l’introduction de ce mémoire. Comment la
3
France utilise-t-elle sa culture à des fins diplomatiques, et pourquoi ? Qu’est-ce
que la diplomatie culturelle ? A quoi sert-elle ?
A. Qu’est-ce que la diplomatie culturelle ?
1. Définition de la diplomatie culturelle
Il est impossible de concevoir la diplomatie culturelle sans faire référence à
l’ « Autre », que l’on imagine en tant que puissance. Ainsi, l’Autre est perçu
comme une puissance et donc, comme un danger potentiel.
A ce propos, l’exemple des Etats-Unis est intéressant dans la mesure où l’on en
parle comme d’une puissance militaire, mais également comme d’une puissance
culturelle. L’ « uniformisation » ou la « mondialisation » sont des termes très à la
mode pour définir les effets de la « domination culturelle » des Etats-Unis dans le
monde.
Toutefois cette dimension culturelle de la relation entre Etats reste relativement
moderne. Aristote et les grands penseurs grecs en général ne parlent que de l’aspect
militaire, c’est uniquement sous cet angle que se pensent les rapports entre les
Etats. Certes, lorsqu’on est une cité forte, la question des rapports avec les autres
cités ne se pose pas vraiment. Mais la question est davantage : que faire lorsque
l’on n’est pas le plus fort ? Le modèle alternatif à la guerre reste l’alliance, ce qui
implique la négociation et donc l’intervention de l’émissaire ou du diplomate, ou
dans tous les cas d’un médiateur.
Il convient néanmoins de nuancer les propos précédents. En effet si le rapport à
l’Autre n’est pas un point central de la pensée grecque, il est tout de même pensé,
comme on peut le constater dans l’Iliade3
. On note, entre autres, des séquences qui
mettent en scène la transmission de messages exactement comme celle-ci est
pratiquée dans la diplomatie moderne (on appelle cela des « éléments de
langage »). L’exemple du chant n°24 est intéressant de ce point de vue. Il s’agit du
moment où Hermès, messager des Dieux ayant pris l’apparence d’un jeune prince
tente de convaincre Priam de se rendre chez l’ennemi afin d’y réclamer la
dépouille de son fils, Hector. Pour convaincre Priam, Hermès utilise tous les
procédés de la diplomatie actuelle. Tout d’abord il doit gagner la confiance de son
propre camp. Pour se faire, il installe un rapport filial entre Priam et lui-même
« mais je ne veux pas te faire de mal, […] en toi je reconnais les traits de mon
père ». Puis il doit être en mesure de donner les bonnes informations concernant le
3
Homère, L’Iliade, 1834, Folio Classique
4
camp adverse. Tout se joue sur un plan protocolaire, mais aussi émotionnel.
Hermès suit véritablement la démarche de la diplomatie moderne.
La diplomatie culturelle repose, selon Antonin Baudry4
, sur quatre caractéristiques
fondamentales.
 Tout d’abord, il s’agit d’une politique étrangère. Le but n’est pas culturel.
Le dessein final dans la mission n’est pas de promouvoir tel artiste ou tel
aspect culturel. L’objectif est de travailler la relation, de rapprocher les
deux pays. C’est en second lieu, ou plus justement de manière superposée,
que l’on s’efforce de promouvoir la langue, la culture française et
l’éducation. On utilise la culture de manière indirecte pour rapprocher
deux pays. En vérité, c’est la superposition de l’idéal et des intérêts qui
fonde l’essence même de la diplomatie culturelle. Néanmoins, il convient
de ne pas y voir une instrumentalisation de la culture par la diplomatie
dans la mesure où la volonté de diffusion de la culture reste un objectif en
soi.
 Ensuite il faut souligner le fait que la diplomatie culturelle repose sur un
effet indirect : elle est commanditée par l’Autre. Ceci constitue une
différence avec la diplomatie classique : le caractère indirect est au cœur
du mode d’action de la diplomatie culturelle. Quand un service culturel
américain, par exemple, reçoit une demande de subvention d’une structure
française, il n’y prête pas vraiment attention. Il ne s’intéressera à une telle
demande que si celle-ci émane d’un établissement du pays d’implantation,
en l’occurrence les Etats-Unis.
L’idée de développer un service culturel français aux Etats-Unis vient de
Paul Claudel, dramaturge, poète, essayiste et diplomate français du XIXe
siècle. Selon lui, si on veut accroitre l’influence de la France aux Etats-
Unis, il faut passer par la question de la culture. Pour lui, certains
Américains seraient mieux à même de promouvoir la culture française que
n’importe quelle institution française, c’est pourquoi il a appelé de ses
vœux la création d’un service culturel dont le but serait d’aider les
Américains à introduire certaines composantes de la culture française dans
la société américaine. La question de l’influence est au cœur du mode
d’action de la diplomatie culturelle. Il s’agit toutefois d’une notion très
utilisée mais qui reste peu théorisée. L’influence, c’est en quelque sorte un
objet vide. Alors que dans la diplomatie de chancellerie, l’objectif est
d’obtenir gain de cause dans une négociation, pour la diplomatie culturelle
il s’agit en fait de gagner la capacité d’écoute de l’Autre qui va du degré
0, c’est-à-dire l’indifférence ou l’hostilité, au degré 100, à savoir,
l’hypnose.
 La troisième caractéristique de la diplomatie culturelle qui la différencie
de la diplomatie classique, c’est le fait que les commanditaires de l’action
4
Séminaire d’Antonin Baudry, Conseiller culturel à l’Ambassade de France aux Etats-Unis, Professeur
associé à la filière diplomatie de l’ENS, 30 mai 2012 de 19h à 20h30, Salle des Actes 45 rue d’Ulm
75005 Paris
5
sont des éléments de la société civile du pays d’accueil, alors que pour la
diplomatie de chancellerie, le commanditaire c’est l’ambassadeur auquel
est rattaché le service culturel. A ce propos, une grande idée du Front
Populaire fait encore écho : dans les grandes démocraties modernes, c’est
l’opinion qui gouverne. C’est en s’adressant à la société civile que l’on
peut obtenir de l’influence. Il convient d’agir sur l’opinion publique, pour
qu’elle-même fasse pression sur les décideurs et sur le gouvernement, par
exemple en cas de guerre.
 Enfin, la dernière caractéristique que nous citerons concerne la question
du temps. Elle oppose largement la diplomatie classique et la diplomatie
culturelle. Effectivement quand l’objectif visé sur une négociation
concerne le court-terme ou l’immédiat, la mission des services culturels
est d’obtenir une écoute dans le temps long.
En fait, la diplomatie culturelle en tant que tel est un thème normatif des sciences
politiques depuis une quinzaine d’années. Pour Samuel Huntington, la diplomatie
culturelle est un nouveau paradigme, il s’agit d’une nouvelle grille d’analyse des
conflits contemporains 5
. Ce phénomène est né en Europe de la volonté de
consolider et de préserver certaines zones d’influence. On note par ailleurs que la
diplomatie culturelle est particulièrement active au cours des périodes de graves
tensions. Les deux guerres mondiales furent effectivement le théâtre de l’expansion
du dispositif culturel extérieur, les opérateurs de la diplomatie culturelle (Alliance
française principalement) furent largement instrumentalisés en vue de donner une
image positive de la France.
La place de la culture a évolué au sein des Affaires Etrangères jusqu’à devenir un
réel point de référence. L’arrivée de nouveaux acteurs sur la scène internationale
implique une présence culturelle forte dans des pays tiers, ce qui assure à un Etat
d’y améliorer son image, de s’y faire des alliés, des partenaires, des clients mais
aussi d’y échanger des idées et des valeurs. Ainsi, le recours à la culture au sein des
politiques étrangères des pays a pris place dans le règlement classique des affaires
internationales, qui auparavant s’effectuait souvent par voie militaire.
Dorénavant ce ne sont plus uniquement les diplomates et les militaires qui
façonnent les relations internationales, mais aussi les écrivains, les artistes et les
scientifiques. La culture devient une mission consulaire comme une autre. La
convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, conclue
sous les auspices de l'ONU, déclare expressément dans son article 3: « Les
fonctions d'une mission diplomatique consistent notamment à promouvoir des
relations amicales et développer les relations économiques, culturelles, et
scientifiques entre l'Etat accréditant et l'Etat accrédité ».
La seconde convention de Vienne du 23 avril 1963 sur les relations consulaires
inclut également le développement culturel parmi les fonctions dévolues aux
5
Huntington Samuel P., Le choc des civilisations, 1997, Odile Jacob
6
consuls. De plus, les rencontres entre diverses personnes chargées de fonctions
d'Etat se terminent rarement sans communiqué faisant référence aux relations
culturelles.
En fin de compte, pour certains, la diplomatie culturelle correspond à une
instrumentalisation de la culture par la diplomatie à des fins politiques. Toutefois
cette définition semble insinuer que le culturel se réduit à n’être qu’un instrument
de la diplomatie. Or, selon Willy Brandt6
la diplomatie se compose de trois piliers :
le politique, l’économique et le culturel. Dans ce cas, c’est la diplomatie qui se met
au service de chacun de ces trois piliers et le rapport est inversé : c’est la culture
qui se sert de la diplomatie.
Il semblerait plus proche de la réalité d’affirmer que la diplomatie culturelle
correspond à une imbrication d’objectifs diplomatiques et culturels.
2. Les origines de la diplomatie culturelle en France
Il est possible de situer les commencements de la diplomatie culturelle française
avec la création de l’Alliance française en 1883 puisque c’est à partir de ce
moment que l’on a réellement pris conscience et institutionnalisé le fait que la
culture puisse être un élément de la diplomatie.
Avant d’étudier ce phénomène, il serait pertinent de s’attarder sur la place de la
culture en France avant cette date afin de comprendre que l’association culture et
diplomatie provient d’une longue tradition en France et existait bien avant son
institutionnalisation officielle par la création de l’Alliance française.
Dès le XIIe siècle, la France associe des considérations diplomatiques aux affaires
culturelles du pays. Au XVIIe siècle, Richelieu puis Mazarin attachent une
importance particulière aux qualités d’humanistes et de diplomates des
ambassadeurs qu’ils nomment, ces derniers devant se montrer à la hauteur des
attentes du souverain auprès duquel ils représentent le roi de France.
Mais déjà, le règne de François 1er
marque les esprits en termes de présence
culturelle à l’étranger. Alors que l’art italien commence à pénétrer les terres
françaises, le souverain encourage ce phénomène. Il commande en effet de
nombreux travaux d’artistes qu’il fait venir en France. Parmi eux on peut citer
Andrea del Sarto, Giovanni Battista di Jacopo, le Primatice, Sebastiano Serlio,
Benvenuto Cellini et Leonard de Vinci. Le roi rassemble un grand nombre de leurs
œuvres au château de Fontainebleau. La France de François 1er
se dote de
6
Willy Brandt, né Herbert Ernst Karl Frahm le 18 décembre 1913 à Lübeck et mort
le 8 octobre 1992 à Unkel, est un homme politique ouest-allemand du Parti social-démocrate (SPD)
7
monuments et d’œuvres d’art majeurs et parallèlement, le roi parvient à constituer
une des plus riches bibliothèques qu’il met à disposition des intellectuels et des
humanistes de l’époque. François 1er
avait compris que par l’intermédiaire de leurs
œuvres, tous ces artistes servaient les intérêts français.
Mais afin d’illustrer au mieux les périodes prospères de la France sur le plan de la
culture, il convient de s’intéresser à sa capitale : Paris, centre névralgique de
l’Europe du XVIIIe siècle, qui a vu naître les Beaux-Arts. A cette même époque, la
France de Louis XIV est un refuge où les artistes catholiques chassés de chez eux
pour des motifs religieux, trouvent à la fois moyens et honneurs. Le roi développe
les collections entreprises par son prédécesseur François 1er
et met en place les tout
premiers systèmes de commande et de mécénat en France. Grâce aux nombreux
artistes qui y affluent, la France devient le centre de gravité de l’Europe. Paris
devient capitale des arts, détrônant ainsi Rome. Les académies ne cessent de se
développer. Elles se voient accorder la protection de Louis XIV et rompent
définitivement avec les corporations d’artisans. Le savoir-faire autrefois passé de
père en fils, de maître à disciple devient un enseignement académique qui apporte
aux élèves, au-delà de la technique, des notions de géométrie, d'arithmétique ou de
philosophie. L'académie fixe alors les nouvelles normes esthétiques et développe
les notions de "bon-goût" et de "belle nature". 7
C’est donc de toute cette période culturellement prospère, que la France et
particulièrement Paris tirent leurs premières lettres de noblesse en ce qui concerne
l’art et la culture. Cette position a longtemps permis à la France de se développer à
travers le monde sur le plan culturel mais aussi d’y asseoir son influence c’est-à-
dire de gagner la capacité d’écoute des habitants de la zone géographique dans
laquelle elle s’implantait et de produire du changement de manière non coercitive8
.
Au XVIIIe siècle, le développement des transports et des moyens de
communication rendent possible la représentation de spectacles vivants à travers la
France mais aussi à l’étranger. Cependant face à l’impossibilité de l’Etat
d’organiser lui-même de telles tournées nationales ou internationales,
l’entrepreneur de spectacle endosse petit à petit le rôle d’auxiliaire de diplomate.
Le XIXe
siècle, qui de ce point de vue se caractérise par un véritable printemps
culturel en Europe, voit les échanges culturels entre les peuples se multiplier.
Mais c’est au début du XXe siècle que l’Etat réalise pleinement qu’il est possible
de prendre soin de l’image du pays par l’intermédiaire de la culture et précisément
des films et du cinéma. D’ailleurs, cela sera fort bien compris par les Américains
au même moment, dont la culture cinématographique sera bientôt sur les écrans du
7
Loïc Gerbault, La diplomatie culturelle française : la culture face à de nouveaux enjeux ?, 2008,
mémoire de l’IEP de Toulouse
8
Séminaire d’Antonin Baudry, Conseiller culturel à l’Ambassade de France aux Etats-Unis, Professeur
associé à la filière diplomatie de l’ENS, le 30 mai 2012, Salle des Actes 45 rue d’Ulm 75005 Paris
8
monde entier, exhibant une Amérique où tout est possible. On parle alors de
« propagande artistique » 9
. L’emploi d’une telle expression par Dubosclard
démontre pleinement l’instrumentalisation des arts par le politique.
Au début de l’année 1914, des tournées dans des villes telles que Lausanne,
Genève ou Bruxelles sont encouragées par les autorités françaises qui y voient un
bon moyen de cultiver la langue sur les marches de la République comme dans les
provinces perdues10
.
Ainsi l’art se met au service de l’Etat en vue de soigner l’image de la France.
D’ailleurs dès l’origine, les programmes Galas Karsenty portent la mention « pour
la propagation de l’art français par le théâtre à travers le monde », ce qui exprime
tout à fait la volonté politique derrière le dessein culturel et artistique. Les
tourneurs, c’est-à-dire ceux qui mettent en place toute la logistique d’une tournée,
prennent petit à petit à charge la promotion de la culture française à l’étranger.
Effectivement les tournées nécessitent une organisation et des possibilités
financières importantes auxquelles aucune structure centralisée (Etat) ne pourrait
survivre seule, d’où la nécessité de sous-traiter aux tourneurs par exemple. Dans un
contexte de Guerre Froide, ces derniers acquièrent des qualités de négociateurs,
notamment pour aller jouer en Chine ou en URSS.
Aussi, de bonnes relations d’homme à homme relèvent d’une importance capitale.
Lumbroso le souligne lui-même, il s’efforce d’entretenir de bonnes relations avec
le vice-ministre de la culture chinoise, Tchang HsiSian. Ces bons contacts facilitent
un certain nombre de tracasseries. Par exemple, au départ, la réception d’artistes en
URSS ou la représentation d’artistes soviétiques hors URSS n’était pas prévue,
donc non règlementée. A Moscou, il fallut attendre quelques années avant qu’un
bureau des concerts ne soit ouvert dans l’organigramme du Ministère de la Culture.
Dans un tel contexte, inutile de préciser à quel point le fait de bénéficier de bons
rapports avec les intéressés facilitait l’affaire. En outre, plus les relations entre le
tourneur par exemple et un membre haut placé du Ministère de la Culture du pays
où doit avoir lieu le spectacle, sont bonnes, plus on aura de chances de pouvoir
jouer sans trop de difficultés. Toutefois, si celles-ci sont mauvaises, il sera plus
difficile pour le tourneur d’obtenir la permission de produire son spectacle. De
plus, l’image de la France sera dévalorisée et les relations avec le pays en question
risqueraient donc d’être altérées sur les plans politique et diplomatique.
Le contexte politique revêt d’ailleurs une importance capitale dans la
programmation artistique. En 1970, deux ans après le printemps de Prague, la
France hésite longuement avant d’autoriser l’Opéra Bolchoï à venir se représenter
à l’opéra de Paris, au regard de la situation politique. Finalement c’est Malraux,
alors ministre de la culture, qui finira par trancher et donnera l’autorisation à
l’opéra soviétique. A cette époque, la France est le principal partenaire culturel de
l’URSS, ce qui leur assure par voie de conséquence des relations politiques
9
Dubosclard Alain, L’action artistique de la France aux Etats-Unis, 1915-1969, 2003, Extraits
10
Petit Bleu, 9 Septembre 1924, Comœdia, 7 Novembre 1923 et Le Figaro 7 Novembre 1923
9
relativement bonnes. Ainsi, par cette anecdote on note bien que les possibilités en
termes de représentations culturelles dépendent largement du contexte politique.
D’ailleurs le tourneur se voit parfois interdire ou au contraire encourager tel ou tel
projet pour des raisons politiques.
Petit à petit, l’Etat réalise le fait que la culture peut servir les intérêts français à
l’étranger. Comme cela a été précisé, nous pourrions dater le moment où l’on a
réellement pris conscience et institutionnalisé cela, avec la création de l’Alliance
française le 21 juillet 1883 autour principalement de Pierre Foncin et Paul
Cambon.
C’est effectivement à la fin du XIXe siècle que l’on commence réellement à
prendre conscience des possibilités politiques et diplomatiques qu’offre la culture.
Mais la création de l’Alliance française s’inscrit dans un contexte spécifique qu’il
conviendrait de replacer.
La conférence de Berlin qui a lieu du 15 novembre 1884 au 26 février 1885 réunit
un certain nombre de pays sur la question du partage de l’Afrique. Ce continent
devient alors un enjeu diplomatique et commercial d’envergure. A cette époque
plusieurs puissances européennes se trouvent en concurrence sur les terres
africaines. L’objectif de cette conférence est d’éviter tout conflit armé entre elles.
Le continent est alors délimité par de nouvelles frontières, créant ainsi des
territoires coloniaux. Avec ce partage on passe de l’occupation à la colonisation.
Chaque Etat tente alors d’asseoir son influence sur la zone qui lui a été attribuée, la
langue et la culture deviennent rapidement des éléments stratégiques afin de
soumettre des populations à la tutelle européenne. C’est ainsi que la France se
lance dans un vaste déploiement de ces moyens d’influence, parmi lesquelles
figure l’Alliance française. Le 21 juillet 1883 est créée l’ « Association nationale
pour la propagation de la langue française dans les colonies et à l’étranger »,
renommée « Alliance française » et reconnue d’utilité publique en 1886.
C’est dans ce contexte bien précis que se développe la rhétorique du rayonnement
de la France et que l’Etat, non seulement prend conscience de la puissance
stratégique de la langue et de la culture mais surtout institutionnalise cela avec la
création de l’Alliance française.
Celle-ci perdure avec pour objectif principal la diffusion de la langue française à
travers le monde. Elle fût tantôt dotée d’une grande autonomie, tantôt largement
instrumentalisée par l’Etat en vue de faciliter certaines démarches politiques ou
diplomatiques.
Durant les deux guerres mondiales, l’Alliance française s’avère être un outil
privilégié afin de séduire le public. A cette époque, rares sont les grands Etats qui
ne se dotent pas d’un dispositif culturel extérieur.
Après la guerre, l’Alliance française se concentre sur son objectif premier :
l’enseignement du français. L’Alliance perçoit de nombreux financements en
provenance du MAE. Par exemple celui-ci lui accorde un appui financier au siège
10
de l’association en 1920 avec une subvention de 500 000 F, ramenée en 1921 et
1922 à 400 000 F, 250 000 F en 1923. A ces sommes il faudrait ajouter celles
versées par le Service des Œuvres aux divers groupements de l’Alliance, soit
246 000 F en 1922.11
Il va de soi que la contrepartie de ces engagements consistait
en un plus grand contrôle de l’Etat. Ainsi l’instrumentalisation plus ou moins
marquée de l’association du boulevard Raspail12
(et donc indirectement de la
langue française) par le politique et la diplomatie est difficilement contestable.
Toutefois il est important de ne pas afficher clairement cette relation
politique/culturel pour que la diffusion de la culture et de la langue françaises ne
soit pas perçue comme de la propagande. « Si l’organisation existe pour servir de
relais à une propagande française à caractère politique de ce pays, je peux dire
sans réserve ou hésitation que, en tant que citoyen américain, je n’accepterai plus
aucun lien avec elle et quitterai mes fonctions de responsable dans chacune des
sociétés franco-américaines qui lui sont affiliées. »13
3. Quel lien entre culture et politique ?
François Chaubet différencie la « propagande culturelle » des « politiques
culturelles ». Selon lui, on peut classer les pays en deux grandes catégories,
particulièrement dans les années 1930 avec la montée des régimes totalitaires :
ceux qui pratiquent la propagande culturelle et ceux qui ont recours à une politique
culturelle. « Au motif de plaire ou de séduire son public, la politique culturelle
dispose d’une autonomie certaine à l’égard du pouvoir politique, dont témoigne la
pluralité plus ou moins organisée des acteurs, garante de la transmission de
représentations relativement complexes ; au calcul d’exercer une emprise massive
et unitaire sur les esprits et de les manipuler, la propagande culturelle fait fond sur
une action centralisée et sur des considérations strictement politiques pour diffuser
une image équivoque de soi. Univocité du message ne signifie pas forcément
d’ailleurs uniformité de l’argumentaire, et une relative adaptation aux différentes
conditions locales peut parfois être suspectée. Surtout le dessein manipulateur de
la propagande culturelle nécessite l’ombre alors que la politique culturelle, tout en
s’accommodant d’une certaine pénombre, ne peut se réduire à la fabrique de
projets secrets dans quelques ‘cabinets noirs’».14
Mais on peut se demander si
même la « politique culturelle » n’est pas une forme de propagande puisqu’il s’agit
bel et bien d’influencer autrui, de l’émouvoir. Selon les termes du philosophe
11
Voir la note de la Direction des affaires politiques et commerciales, 7 mars 1923, SOFE, Carton 60,
A.MA.E.N.
12
L’association du boulevard Raspail correspond à la Fondation Alliance française
13
Cité et traduit par Alain Dubosclard, l’Action culturelle de la France aux Etats-Unis, op. cit., note 1
p. 175
14
Chaubet François, La politique culturelle de la France et la diplomatie de la langue, 2006,
L’Harmattan, p. 265.266
11
Walter Benjamin en face de « l’esthétisation de la politique » menée par les
puissances totalitaires, on a la « politisation du culturel » de la part des
démocraties.15
Dans tous les cas, on peut affirmer qu’il semble naïf de considérer qu’il n’y a
aucun lien entre la diplomatie ou le politique et la culture, notamment dans le cadre
d’actions menées par des structures de l’Etat français à l’étranger. Pourtant, suite à
un certain nombre d’entretiens qui ont été menés pour les besoins de ce mémoire, il
est possible de noter que, pour certains acteurs de la diplomatie culturelle, leurs
actions n’ont aucun lien avec quelque affaire politique que ce soit.
Dans ce cadre, encore faudrait-il nous accorder sur ce que l’on entend par
« politique », particulièrement dans un contexte aussi complexe que celui de
Jérusalem. La politique sera définie comme tout ce qui a trait au gouvernement
d’une communauté ou d’un Etat, le politique concerne tous les domaines d’un Etat
(économie, éducation, justice, …), ainsi que tous les niveaux de son champ
d’action (régional, national, international, etc.).
Ainsi d’après cette définition tout est plus ou moins « politique ». Tout du moins,
on peut affirmer que toute action menée par un gouvernement ou par une structure
soutenue par un gouvernement quelle que soit la nature de ce dernier, est une
action politique. Le mot politique vient du grec « politikos » qui signifie « de la
cité » ; ainsi plus largement on pourrait affirmer qu’est politique toute affaire de la
cité- de la ville, de l’Etat, de la nation ou autre.16
Il convient d’effectuer une différenciation entre la politique et le politique. On
pourrait traduire cette différence en disant que le politique précède la politique.
« Toutes les sociétés humaines, d’aussi loin que nous les connaissions, ont été des
sociétés politiques. Dans l’aire européenne, c’est un pouvoir, généralement
d’allure monarchique, investi d’une autorité qui tombe du ciel et qui mêle la force
des armes à la légitimité religieuse. C’est cela qui constitue jusqu’à une date tout à
fait récente - nous en avons encore une très grande empreinte dans le paysage en
Europe - le politique (caractéristique de toutes les sociétés humaines qui tiennent
par un pouvoir). » 17
La politique quant à elle correspond au pouvoir par
représentation. En outre, d’après une telle définition, le lien entre culture et
politique dans le cadre d’actions menées par exemple par le service de coopération
et d’action culturelle (SCAC18
) d’une ambassade basée au Japon n’est pas à
démontrer.
Néanmoins, il est possible que les personnes ayant été interrogées lors des
entretiens n’avaient pas la même définition à l’esprit. Effectivement, dans le
contexte de Jérusalem et plus largement d’Israël et des territoires palestiniens, la
15
Walter Benjamin, L’Œuvre d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée - Numéro 1 de Zeitschrift
für Sozialforschung, 1936, F. Lacan, 31 pages
16
Dictionnaire encyclopédique Auzon de 2005
17
Gauchet Marcel, Le politique versus la politique, 25 octobre 2007, Le blog de Marcel Gauchet
18
Service de Coopération et d’Actions Culturelles
12
situation politique est telle que le simple mot « politique » fait frémir. Ainsi, il est
fort probable que lorsqu’une possible relation entre le culturel et le politique a été
évoquée, ces derniers ont certainement pensé que nous faisions référence à la
situation politique de Jérusalem, ou plus simplement à la politique. Ainsi, il est
possible que ces interlocuteurs aient perçu dans le discours tenu, les propos
suivants : « Vos actions culturelles ont-elles pour objet de revendiquer un avis
quelconque sur le conflit israélo-palestinien ? ». Ceci pourrait expliquer la frilosité
des interlocuteurs face à l’emploi de ce mot.
Toutefois, il reste de la part des acteurs de la diplomatie culturelle française une
certaine réserve, voir une certaine gêne à admettre les considérations politico-
diplomatiques accordées à la culture. L’analyse de l’utilisation récurrente de
l’expression « rayonnement culturel » peut le démontrer.
On entend effectivement souvent parler de « rayonnement culturel de la France ».
La question du rayonnement semble avoir une place importante pour le MAE19
. On
ne trouve pas moins de 140 résultats lorsque l’on entre cette requête sur le site20
.
En réalité, l’évolution du terme « rayonnement » est intéressante et renvoie
finalement à la notion d’influence. En 1694, la 1ère
édition du Dictionnaire de
l’Académie française, propose la définition suivante pour le terme de
rayonnement : « Action de rayonner. Rayonnement des astres. Il a peu d’usage.
Rayonnement signifie aussi, Mouvement des esprits qui se répandent du cerveau
dans toutes les autres parties du corps. Les obstructions dans les nerfs empeschent
le rayonnement des esprits. Il ne se dit que dans le dogmatique. » Ainsi à cette
époque le mot est encore très peu usité, il est exclusivement réservé au domaine de
l’astronomie pour décrire les rayons lumineux des astres. Dans un sens
physiologique, il s’inscrit dans les théories médicales de l’époque où l’esprit
désignait le souffle vital par lequel on expliquait le mouvement du sang dans le
corps.
Le mot évolue peu jusqu’en 1832 où il redevient à la mode sous l’impulsion des
avancées scientifiques, notamment de la physique thermodynamique. Cette année-
là, la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie inscrit la définition suivante :
« RAYONNEMENT. s. m. Action de rayonner. Le rayonnement des astres. Le
rayonnement du feu, de la flamme, de la lumière. Le rayonnement du calorique. La
transmission du calorique a lieu par rayonnement ou par contact. » On constate
que le mot n’a toujours pas de connotation politique et culturelle.
En 1878, dans la septième édition du Dictionnaire de l’Académie française on note
une évolution du terme rayonnement. « RAYONNEMENT, RAYONNER. Jeter,
envoyer des rayons. Le soleil commençait à rayonner sur la cime des montagnes.
Signifie quelquefois figurément, Faire sentir son action sur une certaine
étendue. De ce point central, l’armée rayonnait sur les pays voisins. ». Pour la
première fois, le rayonnement est associé à une action d’influence (Faire sentir son
19
Ministère des Affaires étrangères
20
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/
13
action dans une certaine étendue) dans un domaine autre que la physique (par
exemple l’armée) mais qui reste dans le domaine physique (l’étendue spatiale, les
pays voisins). Remarquons que cet usage métaphorique est encore rare (Signifie
quelquefois figurément).
La définition de la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie française en
1932 marque un tournant : « RAYONNEMENT. n. m. Action de rayonner. Le
rayonnement du soleil. Le rayonnement des astres. Le rayonnement du feu, de la
flamme, de la lumière. Fig., Le rayonnement de la joie, du bonheur. On dit aussi
: Le rayonnement d’une doctrine, d’une civilisation, son expansion. » Désormais,
on parle du rayonnement d’une civilisation dans le sens de sa diffusion. Sachant
que la rédaction et la publication du Dictionnaire de l’Académie prennent de
nombreuses années (la 9e édition a ainsi commencé en 1986 et, à ce jour, s’arrête
au mot PRESIDE), ce nouveau sens de « rayonnement » n’est pas celui de 1932
mais de plusieurs années, voire une vingtaine d’années avant. Il prend donc acte
d’une évolution intervenue au début du XXe siècle.
Ainsi l’idée de rayonnement de la France à l’étranger fait son chemin jusqu’à
devenir, même pour les Français, un acquis en soi. Seulement il semble être devenu
un handicap puisque les acteurs de la diplomatie culturelle s’appuient sur ce
rayonnement passé qui n’encourage pas la mise en place d’une véritable politique
culturelle extérieure, pourtant nécessaire au vu de la concurrence internationale. De
même, on note un complexe de l’influence chez les Français, il semblerait que ces
derniers aient du mal à assumer le fait d’exercer une quelconque influence, de
quelque nature soit-elle, d’où l’utilisation abusive de l’expression « rayonnement »
au lieu du terme « influence ».21
B. La diplomatie culturelle française à Jérusalem
1. La place du français en Palestine de la période
ottomane au mandat britannique
Dès le début des volontés de diffusion du français à travers le monde, la France a
cultivé une vision élitaire de sa langue et cette réputation perdure encore de nos
jours. « Le français est une langue d’élite, de beauté et d’amitié ».22
La langue
française renvoie effectivement l’image d’une langue parlée par les élites de ce
monde, même si elle a considérablement perdu en popularité et que le déclin de la
langue de Molière est indéniable. Comme le souligne Samir Marzouki pour le cas
de la Tunisie, le français «en dépit de son recul, continue de jouer le rôle de signe
21
Pelletier Benjamin, D’où vient le « rayonnement de la France »?, 27 Décembre 2010, http://gestion-
des-risques-interculturels.com
22
Hassan F. Balawi, fondateur et secrétaire général de la section palestinienne de l’UFP, Les autres
visages de la francophonie, Novembre 2005, http://www.afrik.com
14
d’identification à l’élite sociale et/ou intellectuelle. Il n’est remplacé par aucune
autre langue dans cet usage social»23
. Si cela est vrai en Tunisie, il semblerait que
cette règle ne fasse pas figure d’exception en Palestine d’après les déclarations,
précédemment citées, du secrétaire général de la section palestinienne de l’UFP
Hassan F. Balawi.
La présence séculaire de la France au Proche Orient se caractérise, dans un premier
temps par l’action des religieux. Pour la communauté catholique française, la
Palestine demeure « la plus française des Terres d’Orient ».24
Cette importance de
la France à Jérusalem tient sans doute à son ancienneté. Effectivement, la présence
de la France dans la Ville Sainte et plus largement en Palestine se compte en
siècles.
En 1535, François 1er
conclut la première alliance jamais signée entre un Roi Très
Chrétien et un monarque musulman. Par cette alliance François 1er
obtient de
Soliman le Magnifique le droit de protéger les Chrétiens de Terre Sainte.
Puis par le traité de 1536 et les suivants qui portent le nom de Capitulations, il peut
entretenir les églises, nommer des consuls dans toutes les villes de l’empire
ottoman, garantir la liberté commerciale, civile et religieuse des sujets.
Louis XIII, à la suite d’un incident entre Franciscains et Arméniens à la Grotte de
la Nativité de Bethléem, décide de nommer un consul de France à Jérusalem afin
de protéger le droit menacé des Latins. Afin d’accroitre son influence, le consul
prend appui sur le puissant mouvement missionnaire catholique français de la fin
du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Qu’elles se consacrent à soigner, à
enseigner, à recueillir des orphelins, à étudier l’histoire biblique ou à prier, ces
communautés renforcent la présence française dans la région avant la Première
guerre mondiale.
Parmi celles-ci on étudiera l’exemple parlant du Collège des Frères, fondé en 1876,
qui a largement contribué à la diffusion du français en Palestine et particulièrement
à Jérusalem. L’œuvre des Frères apparait rapidement comme une plateforme
d’influence et la volonté de former une élite qui soit favorable à la France est
clairement affichée : « Il n’y a aucun intérêt à disséminer nos efforts et à soutenir
de nombreuses écoles dans les villages […] le français n’a jamais été la langue
véhiculaire des gens du peuple. En ce pays, le français ne peut et ne doit être que
la langue de l’élite. »25
Aussi, les gouvernements successifs de la France (y
compris les plus anticléricaux) encouragent vivement l’action du Collège des
Frères en tant que diffuseur de la culture et de la langue françaises.
La formation d’une élite locale francophone et francophile semble figurer parmi les
priorités. Un soutien financier est d’ailleurs mis en place par le MAE afin de
23
Marzouki Samir, La francophonie des élites: le cas de la Tunisie, Hérodote, 2007/3 n°126, p42.
DOI : 10.3917/her.126.0035
24
Annuaire de l’œuvre d’Orient, Bulletin de 1919
25
Annales du collège, discours du Consul général lors de la remise des diplômes, 1931 ; AMAE, SOFE,
O 139, Consulat général de France à Jérusalem, n°118, « Allocations Palestine – 1930 ».
15
soutenir au maximum l’éducation « à la française » dispensée par les Frères. « Ces
établissements font […] une œuvre éminemment française, si notre influence se
maintien en Palestine, c’est uniquement grâce à eux. Leur disparition serait
désastreuse pour nous dans tout l’Orient ».26
L’excellence de l’éducation dispensée par les Frères ne tardera pas à s’étendre au-
delà des murs de la Ville Sainte. Toutefois cette éducation sera vivement décriée
par les écoles d’autres nations (notamment allemande). Les Frères donnaient
l’exclusivité à la langue française, tous les cours (histoire, géographie, etc.) étaient
dispensés en français ; la langue maternelle d’une grande majorité des élèves, à
savoir l’arabe étant laissée de côté. Les écoles allemandes ou anglaises, au
contraire privilégient leur langue maternelle. Petit à petit, les parents d’élèves vont
exiger l’enseignement de la langue arabe pour leurs enfants, fait dont souffrira
quelque peu le Collège des Frères.
Si entre 1880 et 1914, on peut évoquer une situation favorable à la langue
française, celle-ci perd de sa vitalité et de sa visibilité au sein de la société
hiérosolymitaine à la fin de la période ottomane. Le mandat britannique sur la
Palestine qui s’étend de 1920 à 1948 va contribuer à l’affaiblissement de la
francophonie dans cette zone. Une série de décrets visant à faire reculer la place du
français au sein de la société palestinienne voit le jour, ce qui ne va pas sans
déplaire aux Frères. En 1924, une loi stipule que la langue française n’est plus une
langue officielle pour les examens 27
. En 1933, l’Education Ordinance exige
notamment des licences d’enseignement pour les professeurs, des inspections des
agents de l’Education Department, et des heures d’enseignement d’anglais, avec
des formulaires annuels à envoyer au Haut-commissaire. 28
Face à cette
déconsidération de la langue française par les autorités britanniques, la France ne
tarde pas à encourager les Frères à mener leurs actions moins en faveur d’une
France catholique mais d’en donner l’image d’un pays dont les valeurs sont
universelles.
26
« Je pense que chacune de nos œuvres doit être considérée comme la pierre d’un édifice que la
France a lentement construit avec le dévouement de nos religieux et de nos religieuses ; c’est ce ciment
qui le maintien encore debout et assez fièrement mais l’aide financière de l’Etat est nécessaire, le
moment serait mal choisi pour la réduire. », AMAE, E 312/12, n°61, Extrait du rapport du Contre-
amiral Joubert, commandant la division navale du Levant au sujet des établissements français de
Palestine, le 9 décembre 1932.
27
AMAE, E 312/32, 26 avril 1924, « les langues d’examen […] sont, à l’exclusion de toute autre, les
trois langues officielles de la Palestine “anglais, arabe et hébreu” […] cette décision [est] de nature à
détourner les familles de nos maisons d’éducation où la langue d’enseignement est le français [M.
Bowman, le ministre de l’Education Department en Palestine déclare au Consul général de Jérusalem
que] dans l’avenir, les diplômes officiels donneraient seuls accès aux carrières officielles ou tout au
moins que les candidats jouiraient d’un droit de préférence. »
28
Tibawi, Abdul Latif, Arab Education in Mandatory Palestine : a story of three decades of British
administration, Luzac, 1956
16
2. La diffusion de la langue et de la culture françaises
dans un contexte de montée du nationalisme arabe, puis
palestinien
Les événements politiques de la fin des années 1920 conduisent à la montée du
sentiment nationaliste arabe. En avril 1920, ont lieu les émeutes de Jérusalem.
Elles ont lieu lors de la célébration de la fête religieuse de Nabi Moussa, la foule
arabe poussée à la violence par certains dirigeants nationalistes s’en prennent à la
population juive de la Vieille Ville. Ces émeutes firent une dizaine de morts et près
de 250 blessés.29
« Révérend directeur, après avoir appris que votre Collège compte des élèves
arabes et des élèves juifs […] :
Puisque notre fin et le but que nous poursuivons est d’arriver à la liberté, à
l’indépendance de notre pays, nous désirons beaucoup l’éducation de notre
jeunesse.
Nous sommes arabes avant d’être musulmans ou chrétiens. C’est pourquoi tous
ceux qui habitent notre pays doivent respecter notre patriotisme et nous
respecter…
Nous voulons que notre jeunesse soit patriote avant d’être philosophe et savante.
Le mélange de notre jeunesse avec élèves juifs affaiblit son patriotisme et produit
l’effet contraire à ce que nous avons mentionné ci-dessus.
C’est pour ces raisons que nous vous prions d’expulser tous les juifs de votre
collège et de leur défendre d’avoir des rapports avec nos enfants en employant
pour cela le moyen qui vous convient. »30
Cette montée du nationalisme arabe s’accompagne naturellement d’une
progression de la langue arabe en Palestine et ce, au détriment de la langue de
Molière. Comment est-il possible de faire aimer la langue et la culture françaises à
une population qui, du fait d’un contexte politique défavorable et menaçant pour
son identité, expérimente une montée du patriotisme, arabe en l’occurrence ?
Alors que depuis des siècles la cohabitation entre les Arabes et les Juifs vivant à
Jérusalem et dans les alentours, s’effectuait de manière tout à fait pacifique, à cette
époque, les Arabes de Palestine commencent à affirmer leurs différences sur
plusieurs plans vis-à-vis des communautés juives qui vivent également en
Palestine.
29
Segev Tom, Partie 1, chap.6,Nebi Musa, 1920 - section 2, 2001, pp.128-139.
30
Le général du district de Ramallah et de l’occident du Jourdain, le cheikh Abd El fath Mohamad, 28
octobre 1938, AMAE, SOFE, O 372.
17
On constate d’ailleurs souvent qu’un peuple ne prend réellement conscience de son
identité que lorsque celui-ci est confronté à un autre peuple dont les
caractéristiques ethniques, culturelles ou religieuses et dont les références
historico-religieuses sont par définition différentes. Cette prise de conscience est
d’autant plus puissante lorsque les deux dits peuples s’affrontent de manière
martiale pour un dû qu’ils estiment tous deux leur revenir.
Ainsi, du fait de la montée du sentiment sioniste en Palestine, les Arabes répondent
par une affirmation de leur appartenance au peuple arabe. On n’entend pas encore
parler de « peuple palestinien ». Comme le souligne très justement Frédéric Encel,
ce n’est que tardivement que les Arabes de Palestine ne seront considérés comme
un peuple à part entière au sein du monde arabe31
.
Alors qu’avant le début de l’immigration juive en Palestine, la question du
nationalisme arabe en Terre Sainte n’avait pas lieu d’être, la cohabitation avec le
peuple juif donne naissance à un patriotisme marqué, accompagné d’une
progression fulgurante de la langue arabe, au détriment de la langue française,
jusque-là très présente. Par la suite, avec la création de l’Etat d’Israël,
l’enseignement de l’hébreu connut une progression conséquente, tout comme
l’anglais qui offre des possibilités de débouchés plus intéressants que la langue
française, qui, dès lors, fut de moins en moins parlée.
Seulement depuis l’arrivée de l’Autorité Palestinienne en 1994, l’enseignement du
français refait surface. Depuis les années 1980, le français est enseigné dans les
centres culturels français (Jérusalem, Naplouse, Gaza et Ramallah) et dans les
écoles privées. On assiste effectivement à une résurrection de la langue française
en Palestine. Cela peut tenir à plusieurs facteurs et notamment l’arrivée dans les
territoires palestiniens de plusieurs centaines d’Arabes vivant dans les pays du
Maghreb. Ceux-ci étaient la plupart du temps des Palestiniens qui avaient émigré
en 1947, ou alors des Maghrébins mariés avec des Palestinien(ne)s. A leur arrivée,
ils ont désiré rester en contact avec le français qui était pour la plupart d’entre eux
soit leur langue d’étude, soit leur langue de travail.
Les Palestiniens francophones espèrent beaucoup de la France. Pour eux, une
alliance économique avec le pays des Droits de l’Homme pourrait permettre de
sortir leur pays du marasme dans lequel il se trouve actuellement. Ceci constitue
une des raisons pour lesquelles ils sont eux-mêmes très actifs dans la promotion du
français dans leur pays.
La France a d’ores et déjà joué un rôle important dans le domaine économique par
des aides gouvernementales accordées à l’Autorité palestinienne et par les visites
fréquentes de responsables : ministres, délégations, journalistes et par la visite
historique du président français Jacques Chirac le 22 octobre 1996. Tous ces
échanges ont eu une influence très positive sur les Palestiniens et il semblerait
qu’un vent de francophilie souffle à nouveau sur la Palestine.
31
Encel Frédéric, Géopolitique de Jérusalem, 2005, Nouvelle Edition
18
3. La diplomatie culturelle française actuelle dans la
Jérusalem divisée
De nos jours, la situation politique n’a guère évolué et la Cisjordanie ainsi que
Jérusalem-Est expérimente une situation d’occupation reconnue par la
communauté internationale. La ville de Jérusalem est divisée en deux parties
depuis 1967. Pour la communauté internationale, il s’agit de deux villes distinctes :
Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest. Seulement, Israël ne reconnaît pas cette division
depuis 1948/1949 et a proclamé Jérusalem capitale de l’Etat hébreu par une loi
promulguée en 1980.
La France est le seul pays au monde à disposer d’un institut français à Jérusalem-
Est et à Jérusalem-Ouest. Il est donc intéressant de se demander de quelle façon la
diplomatie culturelle peut s’exercer dans une ville divisée. Dans quelles mesures la
culture constitue-t-elle un moyen privilégié de rester en contact avec les deux
populations ? Quelles sont les différences que l’on peut observer entre les deux
façons de travailler des deux centres ? Mais quel est l’intérêt pour la France de
disposer d’un tel réseau ? A Jérusalem-Est, où les tensions sont palpables et où les
Palestiniens considèrent leur identité menacée par l’occupation israélienne,
comment est-il possible de diffuser la langue française et de promouvoir la culture
française ? Quel est l’intérêt d’un institut français dans un tel contexte ? La
formation d’une élite palestinienne francophone et francophile, qui fut un objectif
prioritaire de la France en Palestine durant la période ottomane, est-elle une
ambition actuelle ? D’un point de vue communicationnel, quel bénéfice la France
tire-t-elle d’un tel travail de promotion de sa langue et de sa culture à Jérusalem-
Est ? Enfin, du fait de la situation particulière de Jérusalem-Est et des territoires
palestiniens, est-il possible que la France ne s’attache pas seulement à la diffusion
de sa langue et de sa culture, mais qu’elle tienne à se positionner comme un soutien
pour la société palestinienne, ce qui lui assurerait une bonne image dans la région ?
La thèse principale du mémoire :
La culture peut être un bon moyen de s’adresser aux deux populations
israélienne et palestinienne dans le contexte du conflit et notamment de la
Jérusalem divisée.
Hypothèses :
Deux stratégies différentes sont mises en place dans le centre Chateaubriand
et dans le centre Romain Gary, pour s’adresser à deux publics différents
La diffusion de la langue et de la culture françaises reste une priorité pour
chacun d’eux
19
Un tel objectif est plus difficile à remplir à Jérusalem-Est du fait d’un
contexte d’affirmation forte de l’identité palestinienne
Pour répondre à de telles interrogations, une première partie récapitulera les enjeux
passés et présents de la France à Jérusalem. Des enjeux d’ordre religieux ont
précédé le dessein de diffusion de la langue et de la culture avec une institution
telle que le Collège des Frères qui existe encore de nos jours.
La partition de la ville implique de nouveaux enjeux et de nouveaux défis pour la
diplomatie culturelle française qui a tenu à installer un centre culturel à la fois à
Jérusalem-Est et à Jérusalem-Ouest. Nous étudierons donc les raisons et les
particularités d’une telle installation.
La seconde partie se focalisera sur le travail de l’antenne Chateaubriand située à
Jérusalem-Est en partie palestinienne. Il s’agira de mieux comprendre le travail de
cet institut et de le resituer dans un contexte plus large, celui des territoires
palestiniens occupés. Une étude sur le type de public qui fréquente l’institut sera
également menée. Dans cette partie un certain nombre de comparaisons avec
l’homologue de Jérusalem-Ouest sera effectué.
Enfin dans la dernière partie, nous nous attacherons à l’aspect communicationnel
de la diplomatie culturelle. En quoi un tel travail constitue-t-il une démarche de
communication ? Mais sur quoi les deux instituts ont-ils choisi de communiquer et
quelles sont leurs stratégies ?
20
II. Les enjeux passés et présents
de la présence culturelle et
religieuse de la France à
Jérusalem
A. Les origines de la présence française en Terre
Sainte
1. Le protectorat religieux de la France sur la Jérusalem
ottomane
L’actuelle présence française en Terre Sainte32
est le fruit d’une tradition séculaire.
Depuis des siècles, les dirigeants français se sont astreints à exercer une présence
dans cette région du monde où les enjeux sont multiples. Si la France a toujours
entendu jouer un rôle précis à Jérusalem (protectorat religieux, mission éducative
et religieuse, …), sa présence relève également de raisons politico-diplomatiques
sous-jacentes. Effectivement dès ses débuts, l’action de la France dans cette zone
mêle étroitement considérations religieuses et diplomatiques.
Depuis la prise de Jérusalem par le calife Omar en 638, la ville où Jésus vécu ses
dernières heures à l’endroit où se dresse aujourd’hui le Saint Sépulcre, l’un des
Lieux saints les plus importants du christianisme, n’est plus chrétienne. La ville est
aux mains des Musulmans, et lorsque Selîm III chasse les Mamelouks de
Jérusalem en 1517 intégrant ainsi la Palestine à l’empire ottoman, cela ne change
rien à la donne. L’Europe redoute particulièrement que les autorités musulmanes
n’interdisent l’accès des sanctuaires chrétiens aux pèlerins. Les pays européens
interviennent à plusieurs reprises afin d’assurer la sauvegarde du christianisme en
Terre Sainte. Ainsi, les Croisades, la tentative de l’empereur Frédéric II d’assurer
aux Chrétiens le libre accès à Jérusalem ou encore le patronat espagnol établi sur
les Franciscains de la Custodie au XVIe siècle sont autant d’immixtions des
royaumes européens en Palestine, motivées, au moins en partie, par une sollicitude
à l’égard du christianisme.
En 1535, François 1er
se trouve en grande difficulté face à son rival, l’empereur
Charles Quint. Il cherche alors à conclure une alliance avec l’empire ottoman en
21
vue de prendre son adversaire à revers. Un accord est alors signé avec Soliman le
Magnifique. Il s’agit là de la toute première alliance jamais conclue entre un Roi
chrétien et un monarque musulman, ce qui ne va pas sans choquer l’Europe
chrétienne. François 1er
utilise alors le prétexte de la protection des Chrétiens
d’Orient auprès des Européens en vue de concrétiser cette alliance. Dans un
premier temps, l’accord comprend exclusivement des clauses commerciales. Mais,
profitant des bonnes relations qui unissent le royaume de France et l’empire
ottoman, les émissaires français entament progressivement des élargissements dans
les clauses des capitulations signées avec la Porte33
. De tels élargissements des
clauses tiennent autant du devoir de protéger les Chrétiens que d’un certain
opportunisme politique. Ainsi les accords de 1673, signés par Louis XIV, ne font
que transformer l’Etat de fait en Etat de droit conférant à la France un droit de
protection sur les desservants des Lieux saints. De cette manière le roi souhaite
renforcer l’autorité de la France en Europe et son influence au Levant.34
La France
dévie donc les capitulations de leur sens initial. Alors qu’il ne s’agissait que de
traités commerciaux, la diplomatie française en fait d’emblée un instrument de
protection religieuse au service de la politique étrangère. La mise en place d’un
protectorat religieux, de première importance pour la France, lui apparait
également comme la solution idéale pour s’immiscer dans les affaires politiques
internes de l’empire ottoman.
François 1er et Soliman le Magnifique
33
Terme faisant référence au gouvernement ottoman
34
Nom donné au Moyen Age par les Italiens à la région incluant l’actuel Liban, l’actuelle Syrie,
l’actuelle Jordanie, Israël et les territoires palestiniens.
22
Alors que les capitulations présentaient une faille, à savoir le fait de n’être valides
que le temps du règne des souverains les ayant signées, la capitulation signée en
1740 abroge cette règle. Les capitulations se transmettent dès lors de souverains en
souverains jusqu’à ce que d’un commun accord, elles soient abrogées. Cette
capitulation est signée dans un contexte d’affaiblissement de l’empire ottoman,
menacé à tout moment par le démantèlement, chose inacceptable pour la France
dont les enjeux commerciaux sont colossaux au sein de l’empire. Celle-ci décide
d’intervenir et contre toute attente parvient à redresser la situation. Ainsi la France
profite d’un moment de faiblesse de l’empire ottoman afin d’obtenir des accords
portant atteinte à la souveraineté ottomane. Encore au milieu du XIXe siècle, ces
accords constituent la base du protectorat de la France au Levant. Le droit de
protection de tous les Chrétiens de la zone constitue alors l’instrument privilégié de
l’influence française au Proche Orient.
Mais loin d’être une exception, l’attitude de la France devient la norme et de
nombreux Etats européens tentent de tirer profit de la faiblesse passagère de
l’empire ottoman. Ainsi, face à une telle concurrence, la France ne peut exercer
librement son protectorat au sein de l’empire ottoman. Seule Jérusalem, région
isolée, désintéresse les pays européens. Ainsi la France concentre tous ses efforts
en termes de protectorat et de diplomatie sur la Ville Sainte. La protection des
religieux de Jérusalem devient alors fondamentale puisque c’est par ce biais que la
France peut espérer asseoir ses ambitions. Mais l’ouverture de la Palestine remet
en cause l’hégémonie paisible de la France sur les religieux hiérosolymitains.
Si jusqu’au milieu du XIXe siècle, la France, faute de combattants remportait la
bataille du protectorat à Jérusalem, les autres Etats européens commencent à
manifester un certain intérêt pour la Palestine et ce, pour des raisons autant
diplomatiques que culturelles. Par ailleurs, le fait que la France attache autant
d’importance à exercer une présence dans cette zone éveille chez ses voisins le
désir et la motivation d’y être également présents. Dès lors, la bataille pour la
protection des catholiques non indigènes fait rage entre les puissances
européennes. Effectivement, le protectorat apparait comme un moyen de rayonner
en Europe mais aussi d’accroitre son influence auprès des populations chrétiennes
de Jérusalem. En 1843, la France met en place un consulat de France en réponse à
la création d’un consulat par l’Angleterre cinq ans plus tôt. L’action du protectorat
religieux de la France jusque-là marginale et épisodique se consolide avec la mise
en place de ce consulat. C’était à la suite d’un incident survenu entre Franciscains
et Arméniens à la Grotte de la Nativité de Bethléem que le premier consul de
France avait été nommé "pour la gloire de Dieu et le soulagement des personnes
pieuses qui vont par dévotion visiter les Lieux Saints" par le roi Louis XIII, appelé
à rétablir le droit menacé des Latins.
Alors que Jérusalem était une région délaissée par tous, dès lors chacun y va de sa
revendication à propos de la légitimité de l’exercice d’un protectorat dans la Ville
Sainte. Cette situation ranime d’anciens titres que l’on croyait oubliés. Ainsi
Isabelle II d’Espagne s’appuie sur le fait que le pape Clément VI aurait remis à ses
23
ancêtres, les rois de Sicile, Robert d’Anjou et Sancha de Majorque le droit de
patronage sur les Lieux Saints, pour y revendiquer à son tour sa légitimité.35
Elle
réclame le droit d’entretenir les sanctuaires et d’y nommer les desservants.
L’Espagne et l’Autriche mettent en exergue leurs contributions financières afin
d’appuyer leurs revendications 36
. L’Espagne affirme adresser des sommes
considérables à la Custodie par l’intermédiaire d’un organisme créé par Philippe
IV et confié aux Franciscains, l’Obra pía.37
Puis Charles III s’octroyant le titre de
roi de Jérusalem, décrète que l’argent venu d’Espagne irait directement dans les
coffres du procureur espagnol de la Custodie. Mais toutes ces revendications
espagnoles restent toutefois du domaine du fantasme tant qu’aucun consul
espagnol n’est en mesure de les soutenir sur le terrain.
La guerre de Crimée qui oppose la France et la Russie au sujet du vol de l’étoile
d’argent de l’église de Bethléem avait surtout pour objectif du côté de la France de
mettre un terme aux prétentions russes mais également de maintenir sur pied
l’empire ottoman, alors largement fragilisé. La France sort victorieuse de cette
guerre, ce qui la conforte dans sa légitimité à œuvrer en tant que protectrice des
catholiques en Terre Sainte. C’est dans ce contexte (victoire de la guerre de Crimée
et création d’un consulat) que le protectorat religieux français devient vraiment
effectif. Cependant, afin de s’intégrer au mieux dans la vie religieuse de Jérusalem,
la France doit prouver qu’un tel protectorat est le fruit d’une longue tradition
française. Pour cela, elle s’appuie sur des figures telles que Charlemagne (à qui on
aurait confié les clés du Saint Sépulcre) ou Godefroy de Bouillon. Mais ce sont les
capitulations qui tiennent une place centrale et particulièrement celle de 1740 qui
accorde à perpétuité à la France le droit d’œuvrer en faveur des Chrétiens d’Orient
au sein de l’empire ottoman. Ceci constitue une base juridique au protectorat
religieux de la France mais également une preuve sur le long terme de son
engagement dans la protection des Chrétiens catholiques d’Orient. Cet attachement
au rôle religieux que veut jouer la France tient entre autres aux clichés de l’époque
sur le monde oriental selon lesquels la religion occuperait une place centrale dans
la société, d’où la volonté de la France d’intervenir en faveur des catholiques
d’Orient, même si de telles interventions sont en grande partie motivées par des
considérations politiques. Toutefois il convient de ne pas penser que la volonté de
la France d’agir en faveur des Chrétiens d’Orient n’était pas motivée par une foi
sincère.
Les fonctions du protectorat varient en fonction du rapport de force en présence
entre la France et les autres puissances catholiques. Au cours de la première
période, les prérogatives du consulat s’élargissent petit à petit. Alors que jusque
dans les années 1870, le consul de France se contentait de défendre les droits des
35
Brigitte Journeau, Eglise et Etat en Espagne au XIXe siècle, les enjeux du concordat de 1851,
Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002, p. 54.
36
ADN. Fonds Constantinople. Série D. Sous-série Jérusalem. 127. Feuillet 71. Copie de la dépêche du
5 avril 1853
37
AQO. Série mémoires et documents. Sous-série Turquie. 127. Feuillet 256. Note sur le patriarcat.
Novembre 1853.
24
religieux latins dans les sanctuaires ou de les assister face à la justice ottomane, en
1880, le consulat cherche à se positionner directement entre les religieux latins et
l’administration ottomane. Cette revendication relève de deux objectifs
principaux : d’une part il s’agit d’empêcher les autres puissances catholiques
d’établir une quelconque juridiction sur leurs ressortissants et d’autre part, cela
permettrait à la France d’exercer une pression plus forte sur l’empire ottoman tout
en prétextant les prérogatives du protectorat.
A partir des années 1890 il devient difficile de concilier le protectorat religieux à
Jérusalem et l’orientation générale de la politique française. Les pressions de
différents pays catholiques, obligent la France à abandonner certaines de ses
prérogatives. A cette époque, le protectorat religieux de la France ne concerne que
très peu de catholiques français. Ainsi dans un contexte d’affirmation des
nationalités en Europe, il n’est pas surprenant de constater que les religieux de
nationalité non française refusent l’hégémonie du protectorat français. Pourquoi
ces derniers utiliseraient-ils un passeport français, quand le consulat de leur propre
pays serait tout à fait apte à leur en fournir un ? L’Autriche et l’Espagne, bientôt
rejoints par l’Allemagne et l’Italie ne tardent pas à se dresser contre le protectorat
français à Jérusalem, déjà concurrencé par la Custodie et le Patriarcat dont
l’ancienneté prévaut.
Alors que le déclin du protectorat français se fait sentir, la France par maints
stratagèmes va tenter d’augmenter le nombre de Français au sein des institutions du
protectorat officiel, en vain. La domination numérique des Espagnols et des
Italiens est un fait dont la France ne semble rien pouvoir changer. Par ailleurs on
reproche à la France son comportement paradoxal ; quand sa politique externe
encourage la protection des catholiques en Orient, en interne la France favorise
largement une politique anticléricale. Ces paradoxes ne font que fragiliser un peu
plus le protectorat français. Pourtant, dans les années 1880, à côté du protectorat
officiel, la diplomatie française parvient à installer de nombreuses sociétés
missionnaires françaises en Palestine.
En 1914, c’est le coup de grâce pour le protectorat religieux de la France, l’empire
ottoman abroge les capitulations qui, aux yeux de la France constituaient les
preuves de la légitimité de son protectorat sur les religieux catholiques au sein de
l’empire et particulièrement à Jérusalem.
Il conviendrait tout de même de préciser qu’aujourd’hui encore, l’aspect religieux
tient une place importante dans la diplomatie française à Jérusalem. « Dans le
cadre de sa circonscription, le Consul général continue à assumer un rôle de
protection des communautés religieuses dans la ligne des accords signés avec les
Ottomans, toujours en vigueur par le jeu de la succession d’Etats. A cette
proposition diplomatique s’ajoutent des subventions, la mise à disposition de
coopérants et, dans le cas des domaines nationaux, la prise en charge de
l’entretien et du gardiennage. En échange, le Consul jouit, au nom de la
République, des honneurs liturgiques, comme en témoignent la cérémonie de son
25
entrée au Saint-Sépulcre qui rappelle la protection française sur les Lieux saints,
les messes consulaires, ou encore sa présence en uniforme aux célébrations de
Noël et de Pâques, aux côtés des autres consuls des pays catholiques. Si ce rôle
religieux assumé par le Consul général devient moins central, il demeure utile non
seulement eu égard à la tradition mais aussi au maintien d’équilibres
communautaires délicats et à l’avenir toujours incertain des Chrétiens dans la
région. »38
2. Le Collège des Frères ou la formation d’une élite
favorable à la France
Si le protectorat n’a pas perduré jusqu’à l’époque contemporaine, on ne peut nier le
fait qu’il a donné l’impulsion de la création de certaines institutions, que celles-ci
se consacrent à soigner, à enseigner, à recueillir des orphelins, à étudier l’histoire
biblique ou à prier, qui perdurent encore aujourd’hui. Effectivement dans les
années 1880, à côté du protectorat officiel, la diplomatie française parvient à
installer de nombreuses sociétés missionnaires françaises en Palestine. On ne peut
pas savoir si tout le réseau de diplomatie (y compris de diplomatie culturelle)
présent actuellement à Jérusalem est l’héritage du Protectorat. Cela pourrait faire
l’objet d’études intéressantes, mais ce n’est nullement le sujet de ce mémoire. En
revanche il ne semble pas absurde de penser que la France, à l’époque du
protectorat a ouvert la Palestine et notamment Jérusalem à l’Europe, encourageant
ainsi les grandes nations à y étendre une certaine influence en y exerçant une
présence de quelle que nature qu’elle soit.
Parmi toutes les institutions créées à cette époque, l’une d’entre elles a retenu
l’attention pour sa dimension à la fois religieuse, culturelle, linguistique et
diplomatique, il s’agit du Collège des Frères. La modernité des enjeux du Collège
des Frères est frappante. Par ailleurs, l’histoire de ce Collège est une excellente
illustration pour le point de vue défendu dans cette partie du document, à savoir
l’imbrication du religieux ou du culturel et de la diplomatie.
Si au début, le Collège était clairement guidé par la religion, petit à petit, les Frères
ont été priés par le consulat et le gouvernement français de laisser de côté l’aspect
religieux pour se concentrer sur la diffusion des valeurs de la France ainsi que de la
langue française. Ainsi, on peut constater une continuité en termes d’enjeux entre
le protectorat religieux de la France qui était en partie motivé par des
considérations diplomatiques, et le Collège des Frères qui, derrière une mission
éducative et religieuse, s’avère être aussi un instrument d’influence de la France.
38
Section « Histoire » du site du Consulat Général de France à Jérusalem http://www.consulfrance-
jerusalem.org/Histoire
26
Le Collège des Frères est créé en 1876 par l’ordre des Frères Lassalien, venus
d’Egypte. Rapidement le Collège des Frères devient un instrument de l’influence
française à Jérusalem. On pourrait presque parler de diplomatie culturelle dans le
sens où derrière le dessein religieux et éducationnel, puis culturel et linguistique se
dissimulent des enjeux diplomatiques et politiques pour la France. D’ailleurs à
l’époque de la création et du développement du Collège, la France qui ne se remet
toujours pas des chamboulements idéologiques de la Révolution, devient de plus en
plus anticléricale. Les religieux sont chassés de France, et certains se réfugient en
Palestine, au frais de cette même France qui pourtant les chasse du territoire
national. On note là le paradoxe qui souligne bien les enjeux diplomatiques de la
présence des Frères en Palestine et précisément à Jérusalem. L’école est également
créée dans un contexte où le protectorat religieux de la France est largement remis
en question, entre autres du fait du paradoxe précédemment évoqué. Mais, dans un
contexte d’éveil des nations en Europe, l’hégémonie de la France irrite les
religieux des autres nationalités. Ainsi, les Frères s’inquiètent dès la création du
Collège de la façon dont ils mèneront à bien leurs actions malgré le déclin du
protectorat français dans la Ville Sainte. C’est en 1924 que la France perd
définitivement son protectorat dans la Ville Sainte. Toutefois, cette perte du
protectorat ne s’accompagne nullement d’un recul de la langue française en
Palestine, ce qui assure pérennité au Collège des Frères.
Au départ, les Frères n’ouvrent qu’une école gratuite, en octobre 1878. Mais en
1904, à la demande de parents d’élèves bénéficiant d’un certain prestige social, une
section payante voit le jour. Le montant des frais d’inscription représente 5 fois le
salaire mensuel d’un ouvrier. 39
Ainsi cette séparation met en exergue les
différences sociales des élèves. Les Frères s’attachent avant tout à former une élite,
et la qualité de l’enseignement dispensé se fera rapidement connaître au-delà des
murs de Jérusalem. La langue française est largement favorisée par rapport à
l’arabe ou à l’anglais, au sein du Collège. La présence séculaire de la France face à
une présence britannique récente, confère un avantage de taille aux religieux du
Collège des Frères. A cette époque la langue française représente pour les non-
musulmans une langue de protection et d’éducation et pour les musulmans, le
français est jusqu’en 1918 la deuxième langue d’administration et d’empire, et sa
maitrise était indispensable pour quiconque voulait faire carrière à l’intérieur du
39
Karène Sanchez-Summerer, « Les élites francophones du collège des Frères de Jérusalem, 1922-
1939 », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 38/39 | 2007,
mis en ligne le 16 décembre 2010. URL http://dhfles.revues.org/146 « Durant cette période, Jérusalem
obtient progressivement un statut de capitale politique : une nouvelle classe moyenne est apparue à la
fin du XIXe siècle, constituée des membres des professions libérales (artisans, commerçants,
intellectuels, fonctionnaires, employés de services ajoutés aux couches sociales traditionnelles comme
les grands propriétaires fonciers, les notables, et les hauts fonctionnaires de l’administration). »
27
système ottoman rénové.40
Rapidement, le consulat français prend conscience des
possibilités diplomatiques offertes par le Collège et affiche un objectif clair pour
l’ensemble des institutions éducatives françaises : former une élite francophone et
francophile. « Il n’y a aucun intérêt à disséminer nos efforts et à soutenir de
nombreuses écoles dans les villages […] le français n’a jamais été la langue
véhiculaire des gens du peuple. En ce pays, le français ne peut et ne doit être que
la langue de l’élite. »41
Ainsi le Collège des Frères se fait l’instrument de tels
objectifs et s’attache à former à Jérusalem une élite francophone, favorable à la
France. Former une population élitaire au sein de la société hiérosolymitaine
comporte des enjeux fondamentaux pour la France. Effectivement, il s’agit
d’assurer une présence dans la Ville sainte, ce à quoi elle s’attache depuis plusieurs
siècles. L’éducation à la française d’une population élitaire favorable à la France,
facilite et élargit son influence à Jérusalem et plus largement, en Palestine.
Pourtant depuis le début, les Frères du Collège s’astreignent à dispenser leur
éducation à tout le monde sans vraiment porter attention à l’origine sociale, la
confession religieuse ou l’appartenance à telle ou telle nation, et ce en dépit des
revendications des uns et des autres. Au cours du mandat britannique le collège
s’ouvre peu à peu aux classes moyennes. Le collège représente encore au début des
années 1920 le lieu possible d’une certaine promotion sociale et de la formation
des élites chrétiennes (plus faiblement des élites musulmanes et juives). Les élites
formées par le Collège sont tout de même plurielles, ethniquement et
religieusement. La majorité des élèves est catholique sur l’ensemble de la période
du mandat britannique (50 % à 55% de la totalité des élèves), mais de nombreuses
communautés chrétiennes sont également présentes, ainsi que des musulmans et
des juifs (de 8 à 11% des élèves). En revanche, on compte peu d’Européens.42
A
partir de 1931, le collège compte 61 « non-chrétiens », dont 42 musulmans, par la
40
Henry Laurens, Orientales III, « Le Levant arabe à la fin de l’époque ottomane, 1880-1914 », CNRS,
2004. MAE, P. Dhorme, prieur de l’Ecole biblique et archéologique de Jérusalem, La langue française
en Palestine, AMAE, SOFE, O 172, 18 mai 1922. « Bien que la langue officielle de l’administration
était le turque et la langue des natifs l’arabe, le français langue des autorités, pour ceux qui
appartiennent à la société éduquée et pour communiquer avec les étrangers, après la langue maternelle,
le plus important était le français ». Le Collège de Jérusalem initie le mouvement d’expansion des
Frères à toute la Palestine mandataire en l’espace de 10 ans. Le présent article ne répondra pas à la
problématique du « modèle », moins pertinente dans le cas d’un établissement missionnaire que dans le
cas d’un établissement créé par les pouvoirs publics français avec pour vocation de répandre un modèle
éducatif (par exemple le lycée de Galatasaray à Istanbul, cf. la thèse de doctorat de Gülsün Güvenli
soutenue à l’EHESS en janvier 2007, Le lycée de Galatasaray (1868-1923). Histoire sociologique d’une
institution scolaire.
41
Annales du collège, discours du Consul général lors de la remise des diplômes, 1931 ; AMAE,
SOFE, O 139, Consulat général de France à Jérusalem, n°118, « Allocations Palestine – 1930 ».
42
Données recueillies dans le Blue Book, Education Department, Annual Reports ; statistiques fournies
au consulat chaque année, Annales du collège et MAE, SOFE.
28
suite ce chiffre ne cesse de croitre. Les élèves orthodoxes et protestants constituent
entre 30 et 35% des élèves.43
A partir des années 1930, le Consulat général insiste auprès des Frères sur
l’importance de donner l’image d’une France moins chrétienne : « Après la
religion, c’est la culture, la vraie, qui devient l’outil d’une pénétration française en
Palestine »44
. Le consul G. Maugras lui-même déclare aux Frères qu’il convient
d’ « éduquer de bons chrétiens qui connaissent la langue de leurs formateurs ».
Dès 1919, le rapport du Frère Justinus souligne leur double inspiration, à travers
« une politique d’expansion à l’étranger sous la double inspiration de la foi
religieuse et du sentiment patriotique ». 45
Cette forme de patriotisme ne va
d’ailleurs pas sans inquiéter les autorités supérieures des Frères.46
En 1927, P.
Dhorme, prieur des Dominicains, déclare se féliciter « du triple lien Patrie
Education Religion qui garantit la pérennité de l’union que tant de causes tendent
à dissoudre ».47
Le gouvernement français incite également le Collège à laisser de côté la
dimension religieuse au profit de valeurs plus universalistes. Il serait intéressant de
noter à quel point il parait évident que la France tente d’utiliser le Collège à des
fins politico-diplomatiques. Ce fait est encore davantage mis en exergue par les
43
Karène Sanchez-Summerer, « Les élites francophones du collège des Frères de Jérusalem, 1922-1939
», Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 38/39 | 2007, mis en
ligne le 16 décembre 2010, consulté le 11 février 2013. URL : http://dhfles.revues.org/146
44
Trimbur Dominique, « L’ambition culturelle de la France en Palestine dans l’entre-deux guerres », in
Entre rayonnement et réciprocité. Contributions à l’histoire de la diplomatie culturelle, Publications de
la Sorbonne, 2002, p. 41-72. Les changements de position par rapport au français et le public juif et les
représentants sionistes sont aussi marqués par ce changement. La France sort du strict cadre de l’AIU
pour prendre en compte d’autres représentants. Ces aspects ne sont pas explicités dans cette étude.
Fabrizio, Daniela, La battaglia delle scuole in Palestina : tradizione e modernità nell’educazione
giovanile ebraica, Franco Angeli, 2003.
45
Rapport du Frère Justinius sur les établissements des Frères au Proche-Orient, Chambre de commerce
de Marseille, Congres français de la Syrie (3, 4 et 5 janvier 1919), Séances et travaux, fascicule III,
Section de l’enseignement, Paris- Marseille 1919. Egalement Maurice Barres, Enquête aux pays du
Levant, tome 1, Paris, Plon, 1923, p 193. Il est d’avis de donner “plus de poids” aux actions françaises,
“plus spirituelles”, qui doivent permettre de s’attacher le cœur des orientaux. Nous devons maintenir
nos positions et par conséquent garder nos pièces maitresses, à savoir nos congrégations enseignantes et
charitables”.
46
AMG, Lettre du Frère Alexis François, Procureur de l’Institut, au Frère Allais Charles, de Rome le 16
mai 1924 : la communauté des Religieux craint que le Frère Visiteur de Jérusalem ait commis des
imprudences de langage en parlant de la “mission patriotique” des Frères sans citer leur apostolat
religieux, Cf chapitre 5.
47
ACJ, Historique, 1927. [TRIMBUR, 2002a, p 42] ; “En 1918, la France en métropole semble
retrouver ce qu’on a toujours voulu qu’elle reste notamment en Orient : la France des traditions, une
vraie France, la France catholique. Apres l’union sacrée c’est la chambre bleue horizon qui doit mettre
un terme à des années de lutte intestine entre cléricaux et anti cléricaux. La France qui se retrouve a le
soucis de renouer avec ce passe à l’intérieur de ses frontières comme à l’extérieur [. . .] le rétablissement
des liens avec le Vatican lui permet d’offrir à nouveau une image uniforme.”
29
soutiens financiers que perçoit le Collège de la part du Ministère des Affaires
étrangères, comme nous pouvons le constater dans le tableau suivant qui fait é
tat des allocations du gouvernement français perçues par les différentes écoles des
Frères du district de Jérusalem. L’intérêt du tableau n’est pas tant une analyse
évolutive de ces allocations mais plus un moyen de constater que le gouvernement
français aide financièrement les écoles des Frères avec régularité, ce qui démontre
l’importance des enjeux de l’action des Frères pour la France.
TAB. 4.1: Allocations du gouvernement français aux écoles des Frères, District de
Jérusalem, en francs (ACJ)
1932 1933 1934 1935
Bethléem 29500 34000 24000 24000
Caiffa 24000 30000 28000 25000
Jaffa 27500 36000 32000 32000
Jérusalem 38000 45000 45000 42000
Nazareth 22000 27000 24000 24000
TOTAL 141000 17200 153000 147000
Cependant toutes ces directives imposées par le Consulat général ainsi que le
gouvernement français sont de plus en plus difficiles à mettre en œuvre pour les
Frères du fait de la politique du mandat britannique. Effectivement les autorités
mandataires semblent tout mettre en œuvre afin de faire reculer la place du français
au sein de la société palestinienne. Ainsi en 1924, une loi stipule que la langue
française n’est plus une langue officielle pour les examens48
. En 1933, l’Education
Ordinance exige notamment des licences d’enseignement pour les professeurs, des
inspections des agents de l’Education Department, et des heures d’enseignement
d’anglais, avec des formulaires annuels à envoyer au Haut-commissaire.49
48
AMAE, E 312/32, 26 avril 1924, « les langues d’examen […] sont, à l’exclusion de toute autre, les
trois langues officielles de la Palestine “anglais, arabe et hébreu” […] cette décision [est] de nature à
détourner les familles de nos maisons d’éducation où la langue d’enseignement est le français [M.
Bowman, le ministre de l’Education Department en Palestine déclare au Consul général de Jérusalem
que] dans l’avenir, les diplômes officiels donneraient seuls accès aux carrières officielles ou tout au
moins que les candidats jouiraient d’un droit de préférence. »
49
Tibawi, Abdul Latif, Arab Education in Mandatory Palestine : a story of three decades of British
administration, Luzac, 1956
30
Ainsi les Frères se voient contraints d’effectuer leur « mission pour la France » tout
en s’accommodant des volontés britanniques. Afin de conserver sa réputation
d’excellence, mais également pour pouvoir continuer à enseigner la langue et
transmettre la culture française, les Frères intègrent peu à peu des cours d’anglais
dans leur programme, notamment des cours du soir.
« Je me suis efforcé de leur expliquer qu’il fallait s’incliner devant les accords
passés par le gouvernement [. . .] tout en se gardant bien de jouer un rôle
politique, ils doivent, leur ai-je dit, continuer à faire aimer la France, à faire le
bien en son nom et à développer son influence morale ».50
Diplomatiquement, le consulat oriente les Frères vers une coopération minimale
avec les puissances mandataires. La stratégie progressivement adoptée consiste à
introduire l’anglais et accepter les lois mandataires, comme moyen de diffusion de
la culture française ; la langue apparait alors comme un refuge pour la culture.
Seulement, si le Collège ne perd pas vraiment d’élèves, et si l’on constate que le
français ne décroit pas en termes de francophones dans la région, les autres langues
(dont l’anglais) sont de plus en plus parlées. La concurrence se fait ressentir pour la
langue française, qui même si elle n’est pas délaissée, est considérée comme un
luxe par les élites qui la parlaient autrefois également pour ses possibilités en
termes de débouchés. Désormais, c’est l’anglais qu’il convient de parler. « Les
enfants des milieux qui fréquentent habituellement nos écoles montrent une
tendance de plus en plus marquée à aller faire leurs études à l’université
américaine de Beyrouth [...] L’école des Frères de Jérusalem risque de péricliter
sérieusement de ce fait […] Cette tendance s’explique si l’on conçoit que ces
diplômes anglais ou palestiniens sont nécessaires aux jeunes Palestiniens qui se
destinent aux carrières administratives ou même à ceux qui désirent trouver une
place dans les établissements importants bancaires ou commerciaux de Jérusalem.
Pour ces jeunes, qui forment une partie la plus importante de notre clientèle, notre
culture est un luxe qui ne suffit plus à leur assurer un avenir. »51
Par ailleurs, à partir des années 1920, le patriotisme exacerbé des Frères semble
passer avant les considérations religieuses. En 1923, les Frères présentent leur
réseau aux autorités françaises comme « un réseau missionnaire destiné à
développer non pas la foi chrétienne mais l’influence extérieure de la France ».52
Un tel patriotisme de la part de religieux ne tarde pas à faire l’objet de rappel à
50
AMAE, E 312-1, n˚90, 14 septembre 1920, Escadre de la méditerranée orientale, commandant en
chef, viceamiral de Bon, “Nous devons donc trouver un modus vivendi, basé sur le récent accord
franco-britannique [. . .] pour les nombreux établissements français installés dans toute la Palestine. Il
importe à mon avis d’établir le plus tôt possible un accord afin d’avoir à éviter d’être amené à chaque
fois à traiter des cas particuliers”, [. . .] “Pour l’instant ils [les établissements] ont besoin d’être guidés.
Très mal renseignés, les uns ne peuvent croire que la renonciation de la France soit définitive”.
51
AMAE, Nantes, série B, 274, n˚24, Le ministre au Consul Général, 17 juillet 1934.
52
AMG, JA 720, Institut missionnaire, M. Barrès, Rapport et avis sur le projet de loi tendant à autoriser
l’Institut missionnaire des Frères des écoles chrétiennes ; chambre des députés, session de 1923,
Librairie générale.
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  • 1. UNIVERSITE EUROPEENNE DE BRETAGNE RENNES 2 - UFR ALC MASTER 2 COMMUNICATION PARCOURS ETUDES ET PROJETS D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION La diplomatie culturelle en contexte de tensions politiques dans une ville divisée : l’exemple de l’Institut Français de Jérusalem. COSTA Hermine SEPTEMBRE 2013
  • 2.
  • 3. Remerciements : La rédaction de ce mémoire s’inscrit dans la continuité du stage réalisé au sein du Centre de Recherches français de Jérusalem (CRFJ). Par conséquent, mes remerciements commenceront par toute l’équipe du CRFJ qui m’a offert le cadre de travail idéal pour mes recherches. Un grand merci à mon ancienne directrice de stage, Mme Caroline du Plessix, ainsi qu’au directeur du Centre, M. Olivier Tourny, qui se sont toujours montrés disponibles pour m’aider à avancer dans mon travail. Ils m’ont aussi été d’une aide précieuse dans la recherche des entretiens à Jérusalem. Je remercie toutes les personnes qui m’ont accordé de leur temps pour un entretien à Jérusalem, à Ramallah et à Paris pour m’expliquer avec patience tous les rouages de la diplomatie culturelle. Je pense à M. Thierry Vielle, Adjoint au chef de la Mission du réseau (DGM/SPR/RES) au Ministère des Affaires étrangères, à M. Benoît Tadié, directeur de l’Institut français de Jérusalem, à M. Yves Corbel, directeur de l’institut Chateaubriand, à Mme Cécile Caillou-Robert, directrice de l’institut Romain Gary, et à M. Julien Chiappone, directeur de l’institut franco- allemand de Ramallah. Un remerciement tout spécial à tout le personnel de l’institut Chateaubriand qui s’est montré d’une gentillesse et d’une patience, malgré les heures passées là-bas à les questionner. Je remercie également Mlle Emmanuelle Martinez, qui s’est montrée disponible depuis le début pour me fournir de précieuses informations. Pour l’encadrement de mes recherches, je remercie M. Yves Helias, qui malgré un emploi du temps chargé a accepté de me suivre dans ce mémoire hors normes. Il s'est rendu disponible, m'a accueillie et m'a prodigué de bons conseils pour mener à bien ce projet de mémoire de recherche qui me tenait à cœur. Je remercie également tous ceux qui m'ont aidé dans le travail de rédaction de la relecture à la correction orthographique. Je pense encore à Mme Caroline du Plessix, mais aussi à Denis D., Jérémy D., Mathilde C. et Anne-Gaëlle M. pour ses conseils et ses encouragements et Sophie L. pour son aide et son soutien. Enfin, j’adresse un clin d’œil tout particulier à mes parents, sans qui rien de tout cela n’aurait été possible.
  • 4. Table des matières I. Introduction :............................................................................................................1 A. Qu’est-ce que la diplomatie culturelle ?...........................................................................................................3 1. Définition de la diplomatie culturelle............................................................................................................3 2. Les origines de la diplomatie culturelle en France ..................................................................................6 3. Quel lien entre culture et politique ?........................................................................................................... 10 B. La diplomatie culturelle française à Jérusalem .........................................................................................13 1. La place du français en Palestine de la période ottomane au mandat britannique............... 13 2. La diffusion de la langue et de la culture françaises dans un contexte de montée du nationalisme arabe, puis palestinien............................................................................................................... 16 3. La diplomatie culturelle française actuelle dans la Jérusalem divisée......................................... 18 II. Les enjeux passés et présents de la présence culturelle et religieuse de la France à Jérusalem.........................................................................................................20 A. Les origines de la présence française en Terre Sainte...........................................................................20 1. Le protectorat religieux de la France sur la Jérusalem ottomane.................................................. 20 2. Le Collège des Frères ou la formation d’une élite favorable à la France..................................... 25 B. Partition de Jérusalem : de nouveaux enjeux pour la France dans la ville Sainte ?.................31 1. Les répercussions diplomatiques de 1967 ................................................................................................ 32 2. Deux instituts de part et d’autre de la Ligne Verte ............................................................................... 35 III. L’institut Chateaubriand : quelles offres pour quels publics ? .............................49 A. La politique de l’institut Chateaubriand au sein d’un dispositif plus large..................................49 1. Le morcellement de la population palestinienne................................................................................... 53 2. Le développement culturel des différentes villes palestiniennes..................................................... 56 B. Des objectifs en fonction d’un contexte.........................................................................................................59 C. Les acteurs et la vision de leur rôle.................................................................................................................63 D. Etude sur le public...................................................................................................................................................72 IV. La communication : quels supports ? ..................................................................80 A. Communiquer, pour quoi ? Sur quoi ?............................................................................................................80 B. La communication en fonction des « produits ».......................................................................................89 C. Le public et la communication...........................................................................................................................99 V. Conclusion : .....................................................................................................103 VI. Bibliographie.....................................................................................................111 VII. Glossaire ...........................................................................................................114 VIII. Annexes ........................................................................................................115 A. Rapport de stage.................................................................................................................................................... 115 1. Entretien Benoit Tadié, directeur de l’Institut français de Jérusalem le 6.6.13.....................122 2. Entretien Cécile Caillou-Robert, directrice de l’institut Romain Gary le 24/06/13..............124 3. Entretien avec Yves Corbel, directeur de l’institut Chateaubriand le 18/06/13....................126 B. Tableau de répartition des activités des instituts................................................................................. 132
  • 5. 1 I. Introduction : La place d’un Etat sur la scène internationale se mesure à l’aune de sa puissance économique, de sa force militaire, mais aussi de son attractivité et de sa capacité à projeter des valeurs. Cette puissance douce qu’est l’influence s’exerce, selon Nicolas Tenzer 1 , plus spécifiquement à travers la contribution aux normes élaborées par les organisations internationales, l’aptitude à figurer parmi les leaders de l’expertise internationale et la présence dans les sphères académiques et médiatiques. Mais elle s’exerce aussi à travers la capacité à diffuser une culture et une langue. La présence sur la scène culturelle ainsi que la place de la langue dans le monde sont autant d’indices pour mesurer la place d’un Etat sur la scène internationale. Depuis des siècles la France s’attache donc à exercer une présence culturelle, linguistique, politique ou même militaire autour du globe. Ce mémoire traitera du cas particulier de Jérusalem et des enjeux pour la France d’y diffuser sa langue et sa culture. Il sera démontré que la culture semble être un moyen privilégié pour s’adresser à deux populations différentes dans un contexte de tension, comme celui de Jérusalem. L’étude portera plus spécifiquement sur le travail de l’antenne Chateaubriand de l’Institut français de Jérusalem dans la diffusion de la langue française et la promotion de la culture française, dans le contexte spécifique de Jérusalem-Est. Dans un premier temps, il serait bon de définir des termes centraux de cette étude, à savoir « diplomatie », « culture », « ville divisée » et « diplomatie culturelle ». La diplomatie est une branche de la science politique qui concerne les relations internationales. Elle concerne l’action et la manière de représenter son pays auprès d'une nation étrangère et dans les négociations internationales. Pour M. Badie, la diplomatie, « c'est l'art de gérer les "séparations" de manière à les rendre supportables. Le diplomate a pour rôle principal d'agir dans le sens d'une réduction des fossés entre acteurs, et notamment des fossés entre Etats. Logiquement, une arme diplomatique devrait s'inscrire dans cette ligne et définir toute une batterie d'instruments destinés à favoriser, directement ou indirectement, des rapprochements, sans ne rien céder, bien sûr, des intérêts nationaux que chaque Etat doit promouvoir. »2 1 Tenzer Nicolas , Devin Guillaume , Badel Laurence , Pierre Cyrille , Lefebvre Maxime , Challenges and vehicles of soft diplomacy Numéro 9 de Mondes, les Cahiers du Quai d'Orsay, 2012, Grasset & Fasquelle, 211 pages 2 Badie Bertrand, La sanction internationale est plus associée à la puissance qu’au consensus, Décembre 2012, Le Monde
  • 6. 2 Le terme « culture » revêt un certain nombre de définitions, d’où l’importance de le clarifier. Le dictionnaire Larousse 2012 en propose 5 :  Enrichissement de l'esprit par des exercices intellectuels.  Connaissances dans un domaine particulier : Elle a une vaste culture médicale.  Ensemble des phénomènes matériels et idéologiques qui caractérisent un groupe ethnique ou une nation, une civilisation, par opposition à un autre groupe ou à une autre nation : La culture occidentale.  Dans un groupe social, ensemble de signes caractéristiques du comportement de quelqu'un (langage, gestes, vêtements, etc.) qui le différencient de quelqu'un appartenant à une autre couche sociale que lui : Culture bourgeoise, ouvrière.  Ensemble de traditions technologiques et artistiques caractérisant tel ou tel stade de la préhistoire. Dans notre étude, la « culture » renvoie à l’ensemble des phénomènes matériels et idéologiques qui caractérise un groupe ethnique ou une nation, une civilisation, par opposition à un autre groupe ou une autre nation. La culture comprend donc à un ensemble de traditions propres à un peuple ou une civilisation, mais concerne également tout le patrimoine historique et artistique du peuple en question. C’est dans ce sens que le mot « culture » sera employé dans cette étude. Enfin le terme de « ville divisée » rappelle le statut de Berlin durant la Guerre Froide. Une ville divisée est une ville qui est géographiquement coupée en deux. Sauf pour le cas de Berlin, la plupart du temps, chaque partie est habitée par deux populations différentes qui la revendiquent toute deux. Souvent, la division de la ville se manifeste de manière concrète (par la construction d’un mur comme à Berlin par exemple). D’autre fois, la frontière est naturelle, c’est le cas de la ville de Kosovska Mitrovica, au Kosovo, qui est séparée de Nord en Sud par la rivière Ibar, au Nord on compte une population majoritairement serbe, alors que le Sud est peuplé principalement par des Albanais. Pour le cas de Jérusalem, aucune frontière visible n’existe. Pourtant, on a bien à faire à une ville divisée, comme le reconnait la communauté internationale : deux populations différentes, deux contextes économiques différents, etc. Au fil des siècles tout un réseau de diplomatie culturelle a été mis en place par la France à Jérusalem. Mais avant de s’attarder sur les détails de la présence culturelle française à Jérusalem, il convient de s’intéresser à la notion de « diplomatie culturelle ». Ce document s’adresse effectivement à un public formé en Sciences de l’Information et de la Communication pour qui ce terme, central dans cette étude, est loin d’être évident. C’est la raison pour laquelle il est important de souligner la place significative que prendra l’explication de ce qu’est la « diplomatie culturelle française » dans l’introduction de ce mémoire. Comment la
  • 7. 3 France utilise-t-elle sa culture à des fins diplomatiques, et pourquoi ? Qu’est-ce que la diplomatie culturelle ? A quoi sert-elle ? A. Qu’est-ce que la diplomatie culturelle ? 1. Définition de la diplomatie culturelle Il est impossible de concevoir la diplomatie culturelle sans faire référence à l’ « Autre », que l’on imagine en tant que puissance. Ainsi, l’Autre est perçu comme une puissance et donc, comme un danger potentiel. A ce propos, l’exemple des Etats-Unis est intéressant dans la mesure où l’on en parle comme d’une puissance militaire, mais également comme d’une puissance culturelle. L’ « uniformisation » ou la « mondialisation » sont des termes très à la mode pour définir les effets de la « domination culturelle » des Etats-Unis dans le monde. Toutefois cette dimension culturelle de la relation entre Etats reste relativement moderne. Aristote et les grands penseurs grecs en général ne parlent que de l’aspect militaire, c’est uniquement sous cet angle que se pensent les rapports entre les Etats. Certes, lorsqu’on est une cité forte, la question des rapports avec les autres cités ne se pose pas vraiment. Mais la question est davantage : que faire lorsque l’on n’est pas le plus fort ? Le modèle alternatif à la guerre reste l’alliance, ce qui implique la négociation et donc l’intervention de l’émissaire ou du diplomate, ou dans tous les cas d’un médiateur. Il convient néanmoins de nuancer les propos précédents. En effet si le rapport à l’Autre n’est pas un point central de la pensée grecque, il est tout de même pensé, comme on peut le constater dans l’Iliade3 . On note, entre autres, des séquences qui mettent en scène la transmission de messages exactement comme celle-ci est pratiquée dans la diplomatie moderne (on appelle cela des « éléments de langage »). L’exemple du chant n°24 est intéressant de ce point de vue. Il s’agit du moment où Hermès, messager des Dieux ayant pris l’apparence d’un jeune prince tente de convaincre Priam de se rendre chez l’ennemi afin d’y réclamer la dépouille de son fils, Hector. Pour convaincre Priam, Hermès utilise tous les procédés de la diplomatie actuelle. Tout d’abord il doit gagner la confiance de son propre camp. Pour se faire, il installe un rapport filial entre Priam et lui-même « mais je ne veux pas te faire de mal, […] en toi je reconnais les traits de mon père ». Puis il doit être en mesure de donner les bonnes informations concernant le 3 Homère, L’Iliade, 1834, Folio Classique
  • 8. 4 camp adverse. Tout se joue sur un plan protocolaire, mais aussi émotionnel. Hermès suit véritablement la démarche de la diplomatie moderne. La diplomatie culturelle repose, selon Antonin Baudry4 , sur quatre caractéristiques fondamentales.  Tout d’abord, il s’agit d’une politique étrangère. Le but n’est pas culturel. Le dessein final dans la mission n’est pas de promouvoir tel artiste ou tel aspect culturel. L’objectif est de travailler la relation, de rapprocher les deux pays. C’est en second lieu, ou plus justement de manière superposée, que l’on s’efforce de promouvoir la langue, la culture française et l’éducation. On utilise la culture de manière indirecte pour rapprocher deux pays. En vérité, c’est la superposition de l’idéal et des intérêts qui fonde l’essence même de la diplomatie culturelle. Néanmoins, il convient de ne pas y voir une instrumentalisation de la culture par la diplomatie dans la mesure où la volonté de diffusion de la culture reste un objectif en soi.  Ensuite il faut souligner le fait que la diplomatie culturelle repose sur un effet indirect : elle est commanditée par l’Autre. Ceci constitue une différence avec la diplomatie classique : le caractère indirect est au cœur du mode d’action de la diplomatie culturelle. Quand un service culturel américain, par exemple, reçoit une demande de subvention d’une structure française, il n’y prête pas vraiment attention. Il ne s’intéressera à une telle demande que si celle-ci émane d’un établissement du pays d’implantation, en l’occurrence les Etats-Unis. L’idée de développer un service culturel français aux Etats-Unis vient de Paul Claudel, dramaturge, poète, essayiste et diplomate français du XIXe siècle. Selon lui, si on veut accroitre l’influence de la France aux Etats- Unis, il faut passer par la question de la culture. Pour lui, certains Américains seraient mieux à même de promouvoir la culture française que n’importe quelle institution française, c’est pourquoi il a appelé de ses vœux la création d’un service culturel dont le but serait d’aider les Américains à introduire certaines composantes de la culture française dans la société américaine. La question de l’influence est au cœur du mode d’action de la diplomatie culturelle. Il s’agit toutefois d’une notion très utilisée mais qui reste peu théorisée. L’influence, c’est en quelque sorte un objet vide. Alors que dans la diplomatie de chancellerie, l’objectif est d’obtenir gain de cause dans une négociation, pour la diplomatie culturelle il s’agit en fait de gagner la capacité d’écoute de l’Autre qui va du degré 0, c’est-à-dire l’indifférence ou l’hostilité, au degré 100, à savoir, l’hypnose.  La troisième caractéristique de la diplomatie culturelle qui la différencie de la diplomatie classique, c’est le fait que les commanditaires de l’action 4 Séminaire d’Antonin Baudry, Conseiller culturel à l’Ambassade de France aux Etats-Unis, Professeur associé à la filière diplomatie de l’ENS, 30 mai 2012 de 19h à 20h30, Salle des Actes 45 rue d’Ulm 75005 Paris
  • 9. 5 sont des éléments de la société civile du pays d’accueil, alors que pour la diplomatie de chancellerie, le commanditaire c’est l’ambassadeur auquel est rattaché le service culturel. A ce propos, une grande idée du Front Populaire fait encore écho : dans les grandes démocraties modernes, c’est l’opinion qui gouverne. C’est en s’adressant à la société civile que l’on peut obtenir de l’influence. Il convient d’agir sur l’opinion publique, pour qu’elle-même fasse pression sur les décideurs et sur le gouvernement, par exemple en cas de guerre.  Enfin, la dernière caractéristique que nous citerons concerne la question du temps. Elle oppose largement la diplomatie classique et la diplomatie culturelle. Effectivement quand l’objectif visé sur une négociation concerne le court-terme ou l’immédiat, la mission des services culturels est d’obtenir une écoute dans le temps long. En fait, la diplomatie culturelle en tant que tel est un thème normatif des sciences politiques depuis une quinzaine d’années. Pour Samuel Huntington, la diplomatie culturelle est un nouveau paradigme, il s’agit d’une nouvelle grille d’analyse des conflits contemporains 5 . Ce phénomène est né en Europe de la volonté de consolider et de préserver certaines zones d’influence. On note par ailleurs que la diplomatie culturelle est particulièrement active au cours des périodes de graves tensions. Les deux guerres mondiales furent effectivement le théâtre de l’expansion du dispositif culturel extérieur, les opérateurs de la diplomatie culturelle (Alliance française principalement) furent largement instrumentalisés en vue de donner une image positive de la France. La place de la culture a évolué au sein des Affaires Etrangères jusqu’à devenir un réel point de référence. L’arrivée de nouveaux acteurs sur la scène internationale implique une présence culturelle forte dans des pays tiers, ce qui assure à un Etat d’y améliorer son image, de s’y faire des alliés, des partenaires, des clients mais aussi d’y échanger des idées et des valeurs. Ainsi, le recours à la culture au sein des politiques étrangères des pays a pris place dans le règlement classique des affaires internationales, qui auparavant s’effectuait souvent par voie militaire. Dorénavant ce ne sont plus uniquement les diplomates et les militaires qui façonnent les relations internationales, mais aussi les écrivains, les artistes et les scientifiques. La culture devient une mission consulaire comme une autre. La convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, conclue sous les auspices de l'ONU, déclare expressément dans son article 3: « Les fonctions d'une mission diplomatique consistent notamment à promouvoir des relations amicales et développer les relations économiques, culturelles, et scientifiques entre l'Etat accréditant et l'Etat accrédité ». La seconde convention de Vienne du 23 avril 1963 sur les relations consulaires inclut également le développement culturel parmi les fonctions dévolues aux 5 Huntington Samuel P., Le choc des civilisations, 1997, Odile Jacob
  • 10. 6 consuls. De plus, les rencontres entre diverses personnes chargées de fonctions d'Etat se terminent rarement sans communiqué faisant référence aux relations culturelles. En fin de compte, pour certains, la diplomatie culturelle correspond à une instrumentalisation de la culture par la diplomatie à des fins politiques. Toutefois cette définition semble insinuer que le culturel se réduit à n’être qu’un instrument de la diplomatie. Or, selon Willy Brandt6 la diplomatie se compose de trois piliers : le politique, l’économique et le culturel. Dans ce cas, c’est la diplomatie qui se met au service de chacun de ces trois piliers et le rapport est inversé : c’est la culture qui se sert de la diplomatie. Il semblerait plus proche de la réalité d’affirmer que la diplomatie culturelle correspond à une imbrication d’objectifs diplomatiques et culturels. 2. Les origines de la diplomatie culturelle en France Il est possible de situer les commencements de la diplomatie culturelle française avec la création de l’Alliance française en 1883 puisque c’est à partir de ce moment que l’on a réellement pris conscience et institutionnalisé le fait que la culture puisse être un élément de la diplomatie. Avant d’étudier ce phénomène, il serait pertinent de s’attarder sur la place de la culture en France avant cette date afin de comprendre que l’association culture et diplomatie provient d’une longue tradition en France et existait bien avant son institutionnalisation officielle par la création de l’Alliance française. Dès le XIIe siècle, la France associe des considérations diplomatiques aux affaires culturelles du pays. Au XVIIe siècle, Richelieu puis Mazarin attachent une importance particulière aux qualités d’humanistes et de diplomates des ambassadeurs qu’ils nomment, ces derniers devant se montrer à la hauteur des attentes du souverain auprès duquel ils représentent le roi de France. Mais déjà, le règne de François 1er marque les esprits en termes de présence culturelle à l’étranger. Alors que l’art italien commence à pénétrer les terres françaises, le souverain encourage ce phénomène. Il commande en effet de nombreux travaux d’artistes qu’il fait venir en France. Parmi eux on peut citer Andrea del Sarto, Giovanni Battista di Jacopo, le Primatice, Sebastiano Serlio, Benvenuto Cellini et Leonard de Vinci. Le roi rassemble un grand nombre de leurs œuvres au château de Fontainebleau. La France de François 1er se dote de 6 Willy Brandt, né Herbert Ernst Karl Frahm le 18 décembre 1913 à Lübeck et mort le 8 octobre 1992 à Unkel, est un homme politique ouest-allemand du Parti social-démocrate (SPD)
  • 11. 7 monuments et d’œuvres d’art majeurs et parallèlement, le roi parvient à constituer une des plus riches bibliothèques qu’il met à disposition des intellectuels et des humanistes de l’époque. François 1er avait compris que par l’intermédiaire de leurs œuvres, tous ces artistes servaient les intérêts français. Mais afin d’illustrer au mieux les périodes prospères de la France sur le plan de la culture, il convient de s’intéresser à sa capitale : Paris, centre névralgique de l’Europe du XVIIIe siècle, qui a vu naître les Beaux-Arts. A cette même époque, la France de Louis XIV est un refuge où les artistes catholiques chassés de chez eux pour des motifs religieux, trouvent à la fois moyens et honneurs. Le roi développe les collections entreprises par son prédécesseur François 1er et met en place les tout premiers systèmes de commande et de mécénat en France. Grâce aux nombreux artistes qui y affluent, la France devient le centre de gravité de l’Europe. Paris devient capitale des arts, détrônant ainsi Rome. Les académies ne cessent de se développer. Elles se voient accorder la protection de Louis XIV et rompent définitivement avec les corporations d’artisans. Le savoir-faire autrefois passé de père en fils, de maître à disciple devient un enseignement académique qui apporte aux élèves, au-delà de la technique, des notions de géométrie, d'arithmétique ou de philosophie. L'académie fixe alors les nouvelles normes esthétiques et développe les notions de "bon-goût" et de "belle nature". 7 C’est donc de toute cette période culturellement prospère, que la France et particulièrement Paris tirent leurs premières lettres de noblesse en ce qui concerne l’art et la culture. Cette position a longtemps permis à la France de se développer à travers le monde sur le plan culturel mais aussi d’y asseoir son influence c’est-à- dire de gagner la capacité d’écoute des habitants de la zone géographique dans laquelle elle s’implantait et de produire du changement de manière non coercitive8 . Au XVIIIe siècle, le développement des transports et des moyens de communication rendent possible la représentation de spectacles vivants à travers la France mais aussi à l’étranger. Cependant face à l’impossibilité de l’Etat d’organiser lui-même de telles tournées nationales ou internationales, l’entrepreneur de spectacle endosse petit à petit le rôle d’auxiliaire de diplomate. Le XIXe siècle, qui de ce point de vue se caractérise par un véritable printemps culturel en Europe, voit les échanges culturels entre les peuples se multiplier. Mais c’est au début du XXe siècle que l’Etat réalise pleinement qu’il est possible de prendre soin de l’image du pays par l’intermédiaire de la culture et précisément des films et du cinéma. D’ailleurs, cela sera fort bien compris par les Américains au même moment, dont la culture cinématographique sera bientôt sur les écrans du 7 Loïc Gerbault, La diplomatie culturelle française : la culture face à de nouveaux enjeux ?, 2008, mémoire de l’IEP de Toulouse 8 Séminaire d’Antonin Baudry, Conseiller culturel à l’Ambassade de France aux Etats-Unis, Professeur associé à la filière diplomatie de l’ENS, le 30 mai 2012, Salle des Actes 45 rue d’Ulm 75005 Paris
  • 12. 8 monde entier, exhibant une Amérique où tout est possible. On parle alors de « propagande artistique » 9 . L’emploi d’une telle expression par Dubosclard démontre pleinement l’instrumentalisation des arts par le politique. Au début de l’année 1914, des tournées dans des villes telles que Lausanne, Genève ou Bruxelles sont encouragées par les autorités françaises qui y voient un bon moyen de cultiver la langue sur les marches de la République comme dans les provinces perdues10 . Ainsi l’art se met au service de l’Etat en vue de soigner l’image de la France. D’ailleurs dès l’origine, les programmes Galas Karsenty portent la mention « pour la propagation de l’art français par le théâtre à travers le monde », ce qui exprime tout à fait la volonté politique derrière le dessein culturel et artistique. Les tourneurs, c’est-à-dire ceux qui mettent en place toute la logistique d’une tournée, prennent petit à petit à charge la promotion de la culture française à l’étranger. Effectivement les tournées nécessitent une organisation et des possibilités financières importantes auxquelles aucune structure centralisée (Etat) ne pourrait survivre seule, d’où la nécessité de sous-traiter aux tourneurs par exemple. Dans un contexte de Guerre Froide, ces derniers acquièrent des qualités de négociateurs, notamment pour aller jouer en Chine ou en URSS. Aussi, de bonnes relations d’homme à homme relèvent d’une importance capitale. Lumbroso le souligne lui-même, il s’efforce d’entretenir de bonnes relations avec le vice-ministre de la culture chinoise, Tchang HsiSian. Ces bons contacts facilitent un certain nombre de tracasseries. Par exemple, au départ, la réception d’artistes en URSS ou la représentation d’artistes soviétiques hors URSS n’était pas prévue, donc non règlementée. A Moscou, il fallut attendre quelques années avant qu’un bureau des concerts ne soit ouvert dans l’organigramme du Ministère de la Culture. Dans un tel contexte, inutile de préciser à quel point le fait de bénéficier de bons rapports avec les intéressés facilitait l’affaire. En outre, plus les relations entre le tourneur par exemple et un membre haut placé du Ministère de la Culture du pays où doit avoir lieu le spectacle, sont bonnes, plus on aura de chances de pouvoir jouer sans trop de difficultés. Toutefois, si celles-ci sont mauvaises, il sera plus difficile pour le tourneur d’obtenir la permission de produire son spectacle. De plus, l’image de la France sera dévalorisée et les relations avec le pays en question risqueraient donc d’être altérées sur les plans politique et diplomatique. Le contexte politique revêt d’ailleurs une importance capitale dans la programmation artistique. En 1970, deux ans après le printemps de Prague, la France hésite longuement avant d’autoriser l’Opéra Bolchoï à venir se représenter à l’opéra de Paris, au regard de la situation politique. Finalement c’est Malraux, alors ministre de la culture, qui finira par trancher et donnera l’autorisation à l’opéra soviétique. A cette époque, la France est le principal partenaire culturel de l’URSS, ce qui leur assure par voie de conséquence des relations politiques 9 Dubosclard Alain, L’action artistique de la France aux Etats-Unis, 1915-1969, 2003, Extraits 10 Petit Bleu, 9 Septembre 1924, Comœdia, 7 Novembre 1923 et Le Figaro 7 Novembre 1923
  • 13. 9 relativement bonnes. Ainsi, par cette anecdote on note bien que les possibilités en termes de représentations culturelles dépendent largement du contexte politique. D’ailleurs le tourneur se voit parfois interdire ou au contraire encourager tel ou tel projet pour des raisons politiques. Petit à petit, l’Etat réalise le fait que la culture peut servir les intérêts français à l’étranger. Comme cela a été précisé, nous pourrions dater le moment où l’on a réellement pris conscience et institutionnalisé cela, avec la création de l’Alliance française le 21 juillet 1883 autour principalement de Pierre Foncin et Paul Cambon. C’est effectivement à la fin du XIXe siècle que l’on commence réellement à prendre conscience des possibilités politiques et diplomatiques qu’offre la culture. Mais la création de l’Alliance française s’inscrit dans un contexte spécifique qu’il conviendrait de replacer. La conférence de Berlin qui a lieu du 15 novembre 1884 au 26 février 1885 réunit un certain nombre de pays sur la question du partage de l’Afrique. Ce continent devient alors un enjeu diplomatique et commercial d’envergure. A cette époque plusieurs puissances européennes se trouvent en concurrence sur les terres africaines. L’objectif de cette conférence est d’éviter tout conflit armé entre elles. Le continent est alors délimité par de nouvelles frontières, créant ainsi des territoires coloniaux. Avec ce partage on passe de l’occupation à la colonisation. Chaque Etat tente alors d’asseoir son influence sur la zone qui lui a été attribuée, la langue et la culture deviennent rapidement des éléments stratégiques afin de soumettre des populations à la tutelle européenne. C’est ainsi que la France se lance dans un vaste déploiement de ces moyens d’influence, parmi lesquelles figure l’Alliance française. Le 21 juillet 1883 est créée l’ « Association nationale pour la propagation de la langue française dans les colonies et à l’étranger », renommée « Alliance française » et reconnue d’utilité publique en 1886. C’est dans ce contexte bien précis que se développe la rhétorique du rayonnement de la France et que l’Etat, non seulement prend conscience de la puissance stratégique de la langue et de la culture mais surtout institutionnalise cela avec la création de l’Alliance française. Celle-ci perdure avec pour objectif principal la diffusion de la langue française à travers le monde. Elle fût tantôt dotée d’une grande autonomie, tantôt largement instrumentalisée par l’Etat en vue de faciliter certaines démarches politiques ou diplomatiques. Durant les deux guerres mondiales, l’Alliance française s’avère être un outil privilégié afin de séduire le public. A cette époque, rares sont les grands Etats qui ne se dotent pas d’un dispositif culturel extérieur. Après la guerre, l’Alliance française se concentre sur son objectif premier : l’enseignement du français. L’Alliance perçoit de nombreux financements en provenance du MAE. Par exemple celui-ci lui accorde un appui financier au siège
  • 14. 10 de l’association en 1920 avec une subvention de 500 000 F, ramenée en 1921 et 1922 à 400 000 F, 250 000 F en 1923. A ces sommes il faudrait ajouter celles versées par le Service des Œuvres aux divers groupements de l’Alliance, soit 246 000 F en 1922.11 Il va de soi que la contrepartie de ces engagements consistait en un plus grand contrôle de l’Etat. Ainsi l’instrumentalisation plus ou moins marquée de l’association du boulevard Raspail12 (et donc indirectement de la langue française) par le politique et la diplomatie est difficilement contestable. Toutefois il est important de ne pas afficher clairement cette relation politique/culturel pour que la diffusion de la culture et de la langue françaises ne soit pas perçue comme de la propagande. « Si l’organisation existe pour servir de relais à une propagande française à caractère politique de ce pays, je peux dire sans réserve ou hésitation que, en tant que citoyen américain, je n’accepterai plus aucun lien avec elle et quitterai mes fonctions de responsable dans chacune des sociétés franco-américaines qui lui sont affiliées. »13 3. Quel lien entre culture et politique ? François Chaubet différencie la « propagande culturelle » des « politiques culturelles ». Selon lui, on peut classer les pays en deux grandes catégories, particulièrement dans les années 1930 avec la montée des régimes totalitaires : ceux qui pratiquent la propagande culturelle et ceux qui ont recours à une politique culturelle. « Au motif de plaire ou de séduire son public, la politique culturelle dispose d’une autonomie certaine à l’égard du pouvoir politique, dont témoigne la pluralité plus ou moins organisée des acteurs, garante de la transmission de représentations relativement complexes ; au calcul d’exercer une emprise massive et unitaire sur les esprits et de les manipuler, la propagande culturelle fait fond sur une action centralisée et sur des considérations strictement politiques pour diffuser une image équivoque de soi. Univocité du message ne signifie pas forcément d’ailleurs uniformité de l’argumentaire, et une relative adaptation aux différentes conditions locales peut parfois être suspectée. Surtout le dessein manipulateur de la propagande culturelle nécessite l’ombre alors que la politique culturelle, tout en s’accommodant d’une certaine pénombre, ne peut se réduire à la fabrique de projets secrets dans quelques ‘cabinets noirs’».14 Mais on peut se demander si même la « politique culturelle » n’est pas une forme de propagande puisqu’il s’agit bel et bien d’influencer autrui, de l’émouvoir. Selon les termes du philosophe 11 Voir la note de la Direction des affaires politiques et commerciales, 7 mars 1923, SOFE, Carton 60, A.MA.E.N. 12 L’association du boulevard Raspail correspond à la Fondation Alliance française 13 Cité et traduit par Alain Dubosclard, l’Action culturelle de la France aux Etats-Unis, op. cit., note 1 p. 175 14 Chaubet François, La politique culturelle de la France et la diplomatie de la langue, 2006, L’Harmattan, p. 265.266
  • 15. 11 Walter Benjamin en face de « l’esthétisation de la politique » menée par les puissances totalitaires, on a la « politisation du culturel » de la part des démocraties.15 Dans tous les cas, on peut affirmer qu’il semble naïf de considérer qu’il n’y a aucun lien entre la diplomatie ou le politique et la culture, notamment dans le cadre d’actions menées par des structures de l’Etat français à l’étranger. Pourtant, suite à un certain nombre d’entretiens qui ont été menés pour les besoins de ce mémoire, il est possible de noter que, pour certains acteurs de la diplomatie culturelle, leurs actions n’ont aucun lien avec quelque affaire politique que ce soit. Dans ce cadre, encore faudrait-il nous accorder sur ce que l’on entend par « politique », particulièrement dans un contexte aussi complexe que celui de Jérusalem. La politique sera définie comme tout ce qui a trait au gouvernement d’une communauté ou d’un Etat, le politique concerne tous les domaines d’un Etat (économie, éducation, justice, …), ainsi que tous les niveaux de son champ d’action (régional, national, international, etc.). Ainsi d’après cette définition tout est plus ou moins « politique ». Tout du moins, on peut affirmer que toute action menée par un gouvernement ou par une structure soutenue par un gouvernement quelle que soit la nature de ce dernier, est une action politique. Le mot politique vient du grec « politikos » qui signifie « de la cité » ; ainsi plus largement on pourrait affirmer qu’est politique toute affaire de la cité- de la ville, de l’Etat, de la nation ou autre.16 Il convient d’effectuer une différenciation entre la politique et le politique. On pourrait traduire cette différence en disant que le politique précède la politique. « Toutes les sociétés humaines, d’aussi loin que nous les connaissions, ont été des sociétés politiques. Dans l’aire européenne, c’est un pouvoir, généralement d’allure monarchique, investi d’une autorité qui tombe du ciel et qui mêle la force des armes à la légitimité religieuse. C’est cela qui constitue jusqu’à une date tout à fait récente - nous en avons encore une très grande empreinte dans le paysage en Europe - le politique (caractéristique de toutes les sociétés humaines qui tiennent par un pouvoir). » 17 La politique quant à elle correspond au pouvoir par représentation. En outre, d’après une telle définition, le lien entre culture et politique dans le cadre d’actions menées par exemple par le service de coopération et d’action culturelle (SCAC18 ) d’une ambassade basée au Japon n’est pas à démontrer. Néanmoins, il est possible que les personnes ayant été interrogées lors des entretiens n’avaient pas la même définition à l’esprit. Effectivement, dans le contexte de Jérusalem et plus largement d’Israël et des territoires palestiniens, la 15 Walter Benjamin, L’Œuvre d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée - Numéro 1 de Zeitschrift für Sozialforschung, 1936, F. Lacan, 31 pages 16 Dictionnaire encyclopédique Auzon de 2005 17 Gauchet Marcel, Le politique versus la politique, 25 octobre 2007, Le blog de Marcel Gauchet 18 Service de Coopération et d’Actions Culturelles
  • 16. 12 situation politique est telle que le simple mot « politique » fait frémir. Ainsi, il est fort probable que lorsqu’une possible relation entre le culturel et le politique a été évoquée, ces derniers ont certainement pensé que nous faisions référence à la situation politique de Jérusalem, ou plus simplement à la politique. Ainsi, il est possible que ces interlocuteurs aient perçu dans le discours tenu, les propos suivants : « Vos actions culturelles ont-elles pour objet de revendiquer un avis quelconque sur le conflit israélo-palestinien ? ». Ceci pourrait expliquer la frilosité des interlocuteurs face à l’emploi de ce mot. Toutefois, il reste de la part des acteurs de la diplomatie culturelle française une certaine réserve, voir une certaine gêne à admettre les considérations politico- diplomatiques accordées à la culture. L’analyse de l’utilisation récurrente de l’expression « rayonnement culturel » peut le démontrer. On entend effectivement souvent parler de « rayonnement culturel de la France ». La question du rayonnement semble avoir une place importante pour le MAE19 . On ne trouve pas moins de 140 résultats lorsque l’on entre cette requête sur le site20 . En réalité, l’évolution du terme « rayonnement » est intéressante et renvoie finalement à la notion d’influence. En 1694, la 1ère édition du Dictionnaire de l’Académie française, propose la définition suivante pour le terme de rayonnement : « Action de rayonner. Rayonnement des astres. Il a peu d’usage. Rayonnement signifie aussi, Mouvement des esprits qui se répandent du cerveau dans toutes les autres parties du corps. Les obstructions dans les nerfs empeschent le rayonnement des esprits. Il ne se dit que dans le dogmatique. » Ainsi à cette époque le mot est encore très peu usité, il est exclusivement réservé au domaine de l’astronomie pour décrire les rayons lumineux des astres. Dans un sens physiologique, il s’inscrit dans les théories médicales de l’époque où l’esprit désignait le souffle vital par lequel on expliquait le mouvement du sang dans le corps. Le mot évolue peu jusqu’en 1832 où il redevient à la mode sous l’impulsion des avancées scientifiques, notamment de la physique thermodynamique. Cette année- là, la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie inscrit la définition suivante : « RAYONNEMENT. s. m. Action de rayonner. Le rayonnement des astres. Le rayonnement du feu, de la flamme, de la lumière. Le rayonnement du calorique. La transmission du calorique a lieu par rayonnement ou par contact. » On constate que le mot n’a toujours pas de connotation politique et culturelle. En 1878, dans la septième édition du Dictionnaire de l’Académie française on note une évolution du terme rayonnement. « RAYONNEMENT, RAYONNER. Jeter, envoyer des rayons. Le soleil commençait à rayonner sur la cime des montagnes. Signifie quelquefois figurément, Faire sentir son action sur une certaine étendue. De ce point central, l’armée rayonnait sur les pays voisins. ». Pour la première fois, le rayonnement est associé à une action d’influence (Faire sentir son 19 Ministère des Affaires étrangères 20 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/
  • 17. 13 action dans une certaine étendue) dans un domaine autre que la physique (par exemple l’armée) mais qui reste dans le domaine physique (l’étendue spatiale, les pays voisins). Remarquons que cet usage métaphorique est encore rare (Signifie quelquefois figurément). La définition de la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie française en 1932 marque un tournant : « RAYONNEMENT. n. m. Action de rayonner. Le rayonnement du soleil. Le rayonnement des astres. Le rayonnement du feu, de la flamme, de la lumière. Fig., Le rayonnement de la joie, du bonheur. On dit aussi : Le rayonnement d’une doctrine, d’une civilisation, son expansion. » Désormais, on parle du rayonnement d’une civilisation dans le sens de sa diffusion. Sachant que la rédaction et la publication du Dictionnaire de l’Académie prennent de nombreuses années (la 9e édition a ainsi commencé en 1986 et, à ce jour, s’arrête au mot PRESIDE), ce nouveau sens de « rayonnement » n’est pas celui de 1932 mais de plusieurs années, voire une vingtaine d’années avant. Il prend donc acte d’une évolution intervenue au début du XXe siècle. Ainsi l’idée de rayonnement de la France à l’étranger fait son chemin jusqu’à devenir, même pour les Français, un acquis en soi. Seulement il semble être devenu un handicap puisque les acteurs de la diplomatie culturelle s’appuient sur ce rayonnement passé qui n’encourage pas la mise en place d’une véritable politique culturelle extérieure, pourtant nécessaire au vu de la concurrence internationale. De même, on note un complexe de l’influence chez les Français, il semblerait que ces derniers aient du mal à assumer le fait d’exercer une quelconque influence, de quelque nature soit-elle, d’où l’utilisation abusive de l’expression « rayonnement » au lieu du terme « influence ».21 B. La diplomatie culturelle française à Jérusalem 1. La place du français en Palestine de la période ottomane au mandat britannique Dès le début des volontés de diffusion du français à travers le monde, la France a cultivé une vision élitaire de sa langue et cette réputation perdure encore de nos jours. « Le français est une langue d’élite, de beauté et d’amitié ».22 La langue française renvoie effectivement l’image d’une langue parlée par les élites de ce monde, même si elle a considérablement perdu en popularité et que le déclin de la langue de Molière est indéniable. Comme le souligne Samir Marzouki pour le cas de la Tunisie, le français «en dépit de son recul, continue de jouer le rôle de signe 21 Pelletier Benjamin, D’où vient le « rayonnement de la France »?, 27 Décembre 2010, http://gestion- des-risques-interculturels.com 22 Hassan F. Balawi, fondateur et secrétaire général de la section palestinienne de l’UFP, Les autres visages de la francophonie, Novembre 2005, http://www.afrik.com
  • 18. 14 d’identification à l’élite sociale et/ou intellectuelle. Il n’est remplacé par aucune autre langue dans cet usage social»23 . Si cela est vrai en Tunisie, il semblerait que cette règle ne fasse pas figure d’exception en Palestine d’après les déclarations, précédemment citées, du secrétaire général de la section palestinienne de l’UFP Hassan F. Balawi. La présence séculaire de la France au Proche Orient se caractérise, dans un premier temps par l’action des religieux. Pour la communauté catholique française, la Palestine demeure « la plus française des Terres d’Orient ».24 Cette importance de la France à Jérusalem tient sans doute à son ancienneté. Effectivement, la présence de la France dans la Ville Sainte et plus largement en Palestine se compte en siècles. En 1535, François 1er conclut la première alliance jamais signée entre un Roi Très Chrétien et un monarque musulman. Par cette alliance François 1er obtient de Soliman le Magnifique le droit de protéger les Chrétiens de Terre Sainte. Puis par le traité de 1536 et les suivants qui portent le nom de Capitulations, il peut entretenir les églises, nommer des consuls dans toutes les villes de l’empire ottoman, garantir la liberté commerciale, civile et religieuse des sujets. Louis XIII, à la suite d’un incident entre Franciscains et Arméniens à la Grotte de la Nativité de Bethléem, décide de nommer un consul de France à Jérusalem afin de protéger le droit menacé des Latins. Afin d’accroitre son influence, le consul prend appui sur le puissant mouvement missionnaire catholique français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Qu’elles se consacrent à soigner, à enseigner, à recueillir des orphelins, à étudier l’histoire biblique ou à prier, ces communautés renforcent la présence française dans la région avant la Première guerre mondiale. Parmi celles-ci on étudiera l’exemple parlant du Collège des Frères, fondé en 1876, qui a largement contribué à la diffusion du français en Palestine et particulièrement à Jérusalem. L’œuvre des Frères apparait rapidement comme une plateforme d’influence et la volonté de former une élite qui soit favorable à la France est clairement affichée : « Il n’y a aucun intérêt à disséminer nos efforts et à soutenir de nombreuses écoles dans les villages […] le français n’a jamais été la langue véhiculaire des gens du peuple. En ce pays, le français ne peut et ne doit être que la langue de l’élite. »25 Aussi, les gouvernements successifs de la France (y compris les plus anticléricaux) encouragent vivement l’action du Collège des Frères en tant que diffuseur de la culture et de la langue françaises. La formation d’une élite locale francophone et francophile semble figurer parmi les priorités. Un soutien financier est d’ailleurs mis en place par le MAE afin de 23 Marzouki Samir, La francophonie des élites: le cas de la Tunisie, Hérodote, 2007/3 n°126, p42. DOI : 10.3917/her.126.0035 24 Annuaire de l’œuvre d’Orient, Bulletin de 1919 25 Annales du collège, discours du Consul général lors de la remise des diplômes, 1931 ; AMAE, SOFE, O 139, Consulat général de France à Jérusalem, n°118, « Allocations Palestine – 1930 ».
  • 19. 15 soutenir au maximum l’éducation « à la française » dispensée par les Frères. « Ces établissements font […] une œuvre éminemment française, si notre influence se maintien en Palestine, c’est uniquement grâce à eux. Leur disparition serait désastreuse pour nous dans tout l’Orient ».26 L’excellence de l’éducation dispensée par les Frères ne tardera pas à s’étendre au- delà des murs de la Ville Sainte. Toutefois cette éducation sera vivement décriée par les écoles d’autres nations (notamment allemande). Les Frères donnaient l’exclusivité à la langue française, tous les cours (histoire, géographie, etc.) étaient dispensés en français ; la langue maternelle d’une grande majorité des élèves, à savoir l’arabe étant laissée de côté. Les écoles allemandes ou anglaises, au contraire privilégient leur langue maternelle. Petit à petit, les parents d’élèves vont exiger l’enseignement de la langue arabe pour leurs enfants, fait dont souffrira quelque peu le Collège des Frères. Si entre 1880 et 1914, on peut évoquer une situation favorable à la langue française, celle-ci perd de sa vitalité et de sa visibilité au sein de la société hiérosolymitaine à la fin de la période ottomane. Le mandat britannique sur la Palestine qui s’étend de 1920 à 1948 va contribuer à l’affaiblissement de la francophonie dans cette zone. Une série de décrets visant à faire reculer la place du français au sein de la société palestinienne voit le jour, ce qui ne va pas sans déplaire aux Frères. En 1924, une loi stipule que la langue française n’est plus une langue officielle pour les examens 27 . En 1933, l’Education Ordinance exige notamment des licences d’enseignement pour les professeurs, des inspections des agents de l’Education Department, et des heures d’enseignement d’anglais, avec des formulaires annuels à envoyer au Haut-commissaire. 28 Face à cette déconsidération de la langue française par les autorités britanniques, la France ne tarde pas à encourager les Frères à mener leurs actions moins en faveur d’une France catholique mais d’en donner l’image d’un pays dont les valeurs sont universelles. 26 « Je pense que chacune de nos œuvres doit être considérée comme la pierre d’un édifice que la France a lentement construit avec le dévouement de nos religieux et de nos religieuses ; c’est ce ciment qui le maintien encore debout et assez fièrement mais l’aide financière de l’Etat est nécessaire, le moment serait mal choisi pour la réduire. », AMAE, E 312/12, n°61, Extrait du rapport du Contre- amiral Joubert, commandant la division navale du Levant au sujet des établissements français de Palestine, le 9 décembre 1932. 27 AMAE, E 312/32, 26 avril 1924, « les langues d’examen […] sont, à l’exclusion de toute autre, les trois langues officielles de la Palestine “anglais, arabe et hébreu” […] cette décision [est] de nature à détourner les familles de nos maisons d’éducation où la langue d’enseignement est le français [M. Bowman, le ministre de l’Education Department en Palestine déclare au Consul général de Jérusalem que] dans l’avenir, les diplômes officiels donneraient seuls accès aux carrières officielles ou tout au moins que les candidats jouiraient d’un droit de préférence. » 28 Tibawi, Abdul Latif, Arab Education in Mandatory Palestine : a story of three decades of British administration, Luzac, 1956
  • 20. 16 2. La diffusion de la langue et de la culture françaises dans un contexte de montée du nationalisme arabe, puis palestinien Les événements politiques de la fin des années 1920 conduisent à la montée du sentiment nationaliste arabe. En avril 1920, ont lieu les émeutes de Jérusalem. Elles ont lieu lors de la célébration de la fête religieuse de Nabi Moussa, la foule arabe poussée à la violence par certains dirigeants nationalistes s’en prennent à la population juive de la Vieille Ville. Ces émeutes firent une dizaine de morts et près de 250 blessés.29 « Révérend directeur, après avoir appris que votre Collège compte des élèves arabes et des élèves juifs […] : Puisque notre fin et le but que nous poursuivons est d’arriver à la liberté, à l’indépendance de notre pays, nous désirons beaucoup l’éducation de notre jeunesse. Nous sommes arabes avant d’être musulmans ou chrétiens. C’est pourquoi tous ceux qui habitent notre pays doivent respecter notre patriotisme et nous respecter… Nous voulons que notre jeunesse soit patriote avant d’être philosophe et savante. Le mélange de notre jeunesse avec élèves juifs affaiblit son patriotisme et produit l’effet contraire à ce que nous avons mentionné ci-dessus. C’est pour ces raisons que nous vous prions d’expulser tous les juifs de votre collège et de leur défendre d’avoir des rapports avec nos enfants en employant pour cela le moyen qui vous convient. »30 Cette montée du nationalisme arabe s’accompagne naturellement d’une progression de la langue arabe en Palestine et ce, au détriment de la langue de Molière. Comment est-il possible de faire aimer la langue et la culture françaises à une population qui, du fait d’un contexte politique défavorable et menaçant pour son identité, expérimente une montée du patriotisme, arabe en l’occurrence ? Alors que depuis des siècles la cohabitation entre les Arabes et les Juifs vivant à Jérusalem et dans les alentours, s’effectuait de manière tout à fait pacifique, à cette époque, les Arabes de Palestine commencent à affirmer leurs différences sur plusieurs plans vis-à-vis des communautés juives qui vivent également en Palestine. 29 Segev Tom, Partie 1, chap.6,Nebi Musa, 1920 - section 2, 2001, pp.128-139. 30 Le général du district de Ramallah et de l’occident du Jourdain, le cheikh Abd El fath Mohamad, 28 octobre 1938, AMAE, SOFE, O 372.
  • 21. 17 On constate d’ailleurs souvent qu’un peuple ne prend réellement conscience de son identité que lorsque celui-ci est confronté à un autre peuple dont les caractéristiques ethniques, culturelles ou religieuses et dont les références historico-religieuses sont par définition différentes. Cette prise de conscience est d’autant plus puissante lorsque les deux dits peuples s’affrontent de manière martiale pour un dû qu’ils estiment tous deux leur revenir. Ainsi, du fait de la montée du sentiment sioniste en Palestine, les Arabes répondent par une affirmation de leur appartenance au peuple arabe. On n’entend pas encore parler de « peuple palestinien ». Comme le souligne très justement Frédéric Encel, ce n’est que tardivement que les Arabes de Palestine ne seront considérés comme un peuple à part entière au sein du monde arabe31 . Alors qu’avant le début de l’immigration juive en Palestine, la question du nationalisme arabe en Terre Sainte n’avait pas lieu d’être, la cohabitation avec le peuple juif donne naissance à un patriotisme marqué, accompagné d’une progression fulgurante de la langue arabe, au détriment de la langue française, jusque-là très présente. Par la suite, avec la création de l’Etat d’Israël, l’enseignement de l’hébreu connut une progression conséquente, tout comme l’anglais qui offre des possibilités de débouchés plus intéressants que la langue française, qui, dès lors, fut de moins en moins parlée. Seulement depuis l’arrivée de l’Autorité Palestinienne en 1994, l’enseignement du français refait surface. Depuis les années 1980, le français est enseigné dans les centres culturels français (Jérusalem, Naplouse, Gaza et Ramallah) et dans les écoles privées. On assiste effectivement à une résurrection de la langue française en Palestine. Cela peut tenir à plusieurs facteurs et notamment l’arrivée dans les territoires palestiniens de plusieurs centaines d’Arabes vivant dans les pays du Maghreb. Ceux-ci étaient la plupart du temps des Palestiniens qui avaient émigré en 1947, ou alors des Maghrébins mariés avec des Palestinien(ne)s. A leur arrivée, ils ont désiré rester en contact avec le français qui était pour la plupart d’entre eux soit leur langue d’étude, soit leur langue de travail. Les Palestiniens francophones espèrent beaucoup de la France. Pour eux, une alliance économique avec le pays des Droits de l’Homme pourrait permettre de sortir leur pays du marasme dans lequel il se trouve actuellement. Ceci constitue une des raisons pour lesquelles ils sont eux-mêmes très actifs dans la promotion du français dans leur pays. La France a d’ores et déjà joué un rôle important dans le domaine économique par des aides gouvernementales accordées à l’Autorité palestinienne et par les visites fréquentes de responsables : ministres, délégations, journalistes et par la visite historique du président français Jacques Chirac le 22 octobre 1996. Tous ces échanges ont eu une influence très positive sur les Palestiniens et il semblerait qu’un vent de francophilie souffle à nouveau sur la Palestine. 31 Encel Frédéric, Géopolitique de Jérusalem, 2005, Nouvelle Edition
  • 22. 18 3. La diplomatie culturelle française actuelle dans la Jérusalem divisée De nos jours, la situation politique n’a guère évolué et la Cisjordanie ainsi que Jérusalem-Est expérimente une situation d’occupation reconnue par la communauté internationale. La ville de Jérusalem est divisée en deux parties depuis 1967. Pour la communauté internationale, il s’agit de deux villes distinctes : Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest. Seulement, Israël ne reconnaît pas cette division depuis 1948/1949 et a proclamé Jérusalem capitale de l’Etat hébreu par une loi promulguée en 1980. La France est le seul pays au monde à disposer d’un institut français à Jérusalem- Est et à Jérusalem-Ouest. Il est donc intéressant de se demander de quelle façon la diplomatie culturelle peut s’exercer dans une ville divisée. Dans quelles mesures la culture constitue-t-elle un moyen privilégié de rester en contact avec les deux populations ? Quelles sont les différences que l’on peut observer entre les deux façons de travailler des deux centres ? Mais quel est l’intérêt pour la France de disposer d’un tel réseau ? A Jérusalem-Est, où les tensions sont palpables et où les Palestiniens considèrent leur identité menacée par l’occupation israélienne, comment est-il possible de diffuser la langue française et de promouvoir la culture française ? Quel est l’intérêt d’un institut français dans un tel contexte ? La formation d’une élite palestinienne francophone et francophile, qui fut un objectif prioritaire de la France en Palestine durant la période ottomane, est-elle une ambition actuelle ? D’un point de vue communicationnel, quel bénéfice la France tire-t-elle d’un tel travail de promotion de sa langue et de sa culture à Jérusalem- Est ? Enfin, du fait de la situation particulière de Jérusalem-Est et des territoires palestiniens, est-il possible que la France ne s’attache pas seulement à la diffusion de sa langue et de sa culture, mais qu’elle tienne à se positionner comme un soutien pour la société palestinienne, ce qui lui assurerait une bonne image dans la région ? La thèse principale du mémoire : La culture peut être un bon moyen de s’adresser aux deux populations israélienne et palestinienne dans le contexte du conflit et notamment de la Jérusalem divisée. Hypothèses : Deux stratégies différentes sont mises en place dans le centre Chateaubriand et dans le centre Romain Gary, pour s’adresser à deux publics différents La diffusion de la langue et de la culture françaises reste une priorité pour chacun d’eux
  • 23. 19 Un tel objectif est plus difficile à remplir à Jérusalem-Est du fait d’un contexte d’affirmation forte de l’identité palestinienne Pour répondre à de telles interrogations, une première partie récapitulera les enjeux passés et présents de la France à Jérusalem. Des enjeux d’ordre religieux ont précédé le dessein de diffusion de la langue et de la culture avec une institution telle que le Collège des Frères qui existe encore de nos jours. La partition de la ville implique de nouveaux enjeux et de nouveaux défis pour la diplomatie culturelle française qui a tenu à installer un centre culturel à la fois à Jérusalem-Est et à Jérusalem-Ouest. Nous étudierons donc les raisons et les particularités d’une telle installation. La seconde partie se focalisera sur le travail de l’antenne Chateaubriand située à Jérusalem-Est en partie palestinienne. Il s’agira de mieux comprendre le travail de cet institut et de le resituer dans un contexte plus large, celui des territoires palestiniens occupés. Une étude sur le type de public qui fréquente l’institut sera également menée. Dans cette partie un certain nombre de comparaisons avec l’homologue de Jérusalem-Ouest sera effectué. Enfin dans la dernière partie, nous nous attacherons à l’aspect communicationnel de la diplomatie culturelle. En quoi un tel travail constitue-t-il une démarche de communication ? Mais sur quoi les deux instituts ont-ils choisi de communiquer et quelles sont leurs stratégies ?
  • 24. 20 II. Les enjeux passés et présents de la présence culturelle et religieuse de la France à Jérusalem A. Les origines de la présence française en Terre Sainte 1. Le protectorat religieux de la France sur la Jérusalem ottomane L’actuelle présence française en Terre Sainte32 est le fruit d’une tradition séculaire. Depuis des siècles, les dirigeants français se sont astreints à exercer une présence dans cette région du monde où les enjeux sont multiples. Si la France a toujours entendu jouer un rôle précis à Jérusalem (protectorat religieux, mission éducative et religieuse, …), sa présence relève également de raisons politico-diplomatiques sous-jacentes. Effectivement dès ses débuts, l’action de la France dans cette zone mêle étroitement considérations religieuses et diplomatiques. Depuis la prise de Jérusalem par le calife Omar en 638, la ville où Jésus vécu ses dernières heures à l’endroit où se dresse aujourd’hui le Saint Sépulcre, l’un des Lieux saints les plus importants du christianisme, n’est plus chrétienne. La ville est aux mains des Musulmans, et lorsque Selîm III chasse les Mamelouks de Jérusalem en 1517 intégrant ainsi la Palestine à l’empire ottoman, cela ne change rien à la donne. L’Europe redoute particulièrement que les autorités musulmanes n’interdisent l’accès des sanctuaires chrétiens aux pèlerins. Les pays européens interviennent à plusieurs reprises afin d’assurer la sauvegarde du christianisme en Terre Sainte. Ainsi, les Croisades, la tentative de l’empereur Frédéric II d’assurer aux Chrétiens le libre accès à Jérusalem ou encore le patronat espagnol établi sur les Franciscains de la Custodie au XVIe siècle sont autant d’immixtions des royaumes européens en Palestine, motivées, au moins en partie, par une sollicitude à l’égard du christianisme. En 1535, François 1er se trouve en grande difficulté face à son rival, l’empereur Charles Quint. Il cherche alors à conclure une alliance avec l’empire ottoman en
  • 25. 21 vue de prendre son adversaire à revers. Un accord est alors signé avec Soliman le Magnifique. Il s’agit là de la toute première alliance jamais conclue entre un Roi chrétien et un monarque musulman, ce qui ne va pas sans choquer l’Europe chrétienne. François 1er utilise alors le prétexte de la protection des Chrétiens d’Orient auprès des Européens en vue de concrétiser cette alliance. Dans un premier temps, l’accord comprend exclusivement des clauses commerciales. Mais, profitant des bonnes relations qui unissent le royaume de France et l’empire ottoman, les émissaires français entament progressivement des élargissements dans les clauses des capitulations signées avec la Porte33 . De tels élargissements des clauses tiennent autant du devoir de protéger les Chrétiens que d’un certain opportunisme politique. Ainsi les accords de 1673, signés par Louis XIV, ne font que transformer l’Etat de fait en Etat de droit conférant à la France un droit de protection sur les desservants des Lieux saints. De cette manière le roi souhaite renforcer l’autorité de la France en Europe et son influence au Levant.34 La France dévie donc les capitulations de leur sens initial. Alors qu’il ne s’agissait que de traités commerciaux, la diplomatie française en fait d’emblée un instrument de protection religieuse au service de la politique étrangère. La mise en place d’un protectorat religieux, de première importance pour la France, lui apparait également comme la solution idéale pour s’immiscer dans les affaires politiques internes de l’empire ottoman. François 1er et Soliman le Magnifique 33 Terme faisant référence au gouvernement ottoman 34 Nom donné au Moyen Age par les Italiens à la région incluant l’actuel Liban, l’actuelle Syrie, l’actuelle Jordanie, Israël et les territoires palestiniens.
  • 26. 22 Alors que les capitulations présentaient une faille, à savoir le fait de n’être valides que le temps du règne des souverains les ayant signées, la capitulation signée en 1740 abroge cette règle. Les capitulations se transmettent dès lors de souverains en souverains jusqu’à ce que d’un commun accord, elles soient abrogées. Cette capitulation est signée dans un contexte d’affaiblissement de l’empire ottoman, menacé à tout moment par le démantèlement, chose inacceptable pour la France dont les enjeux commerciaux sont colossaux au sein de l’empire. Celle-ci décide d’intervenir et contre toute attente parvient à redresser la situation. Ainsi la France profite d’un moment de faiblesse de l’empire ottoman afin d’obtenir des accords portant atteinte à la souveraineté ottomane. Encore au milieu du XIXe siècle, ces accords constituent la base du protectorat de la France au Levant. Le droit de protection de tous les Chrétiens de la zone constitue alors l’instrument privilégié de l’influence française au Proche Orient. Mais loin d’être une exception, l’attitude de la France devient la norme et de nombreux Etats européens tentent de tirer profit de la faiblesse passagère de l’empire ottoman. Ainsi, face à une telle concurrence, la France ne peut exercer librement son protectorat au sein de l’empire ottoman. Seule Jérusalem, région isolée, désintéresse les pays européens. Ainsi la France concentre tous ses efforts en termes de protectorat et de diplomatie sur la Ville Sainte. La protection des religieux de Jérusalem devient alors fondamentale puisque c’est par ce biais que la France peut espérer asseoir ses ambitions. Mais l’ouverture de la Palestine remet en cause l’hégémonie paisible de la France sur les religieux hiérosolymitains. Si jusqu’au milieu du XIXe siècle, la France, faute de combattants remportait la bataille du protectorat à Jérusalem, les autres Etats européens commencent à manifester un certain intérêt pour la Palestine et ce, pour des raisons autant diplomatiques que culturelles. Par ailleurs, le fait que la France attache autant d’importance à exercer une présence dans cette zone éveille chez ses voisins le désir et la motivation d’y être également présents. Dès lors, la bataille pour la protection des catholiques non indigènes fait rage entre les puissances européennes. Effectivement, le protectorat apparait comme un moyen de rayonner en Europe mais aussi d’accroitre son influence auprès des populations chrétiennes de Jérusalem. En 1843, la France met en place un consulat de France en réponse à la création d’un consulat par l’Angleterre cinq ans plus tôt. L’action du protectorat religieux de la France jusque-là marginale et épisodique se consolide avec la mise en place de ce consulat. C’était à la suite d’un incident survenu entre Franciscains et Arméniens à la Grotte de la Nativité de Bethléem que le premier consul de France avait été nommé "pour la gloire de Dieu et le soulagement des personnes pieuses qui vont par dévotion visiter les Lieux Saints" par le roi Louis XIII, appelé à rétablir le droit menacé des Latins. Alors que Jérusalem était une région délaissée par tous, dès lors chacun y va de sa revendication à propos de la légitimité de l’exercice d’un protectorat dans la Ville Sainte. Cette situation ranime d’anciens titres que l’on croyait oubliés. Ainsi Isabelle II d’Espagne s’appuie sur le fait que le pape Clément VI aurait remis à ses
  • 27. 23 ancêtres, les rois de Sicile, Robert d’Anjou et Sancha de Majorque le droit de patronage sur les Lieux Saints, pour y revendiquer à son tour sa légitimité.35 Elle réclame le droit d’entretenir les sanctuaires et d’y nommer les desservants. L’Espagne et l’Autriche mettent en exergue leurs contributions financières afin d’appuyer leurs revendications 36 . L’Espagne affirme adresser des sommes considérables à la Custodie par l’intermédiaire d’un organisme créé par Philippe IV et confié aux Franciscains, l’Obra pía.37 Puis Charles III s’octroyant le titre de roi de Jérusalem, décrète que l’argent venu d’Espagne irait directement dans les coffres du procureur espagnol de la Custodie. Mais toutes ces revendications espagnoles restent toutefois du domaine du fantasme tant qu’aucun consul espagnol n’est en mesure de les soutenir sur le terrain. La guerre de Crimée qui oppose la France et la Russie au sujet du vol de l’étoile d’argent de l’église de Bethléem avait surtout pour objectif du côté de la France de mettre un terme aux prétentions russes mais également de maintenir sur pied l’empire ottoman, alors largement fragilisé. La France sort victorieuse de cette guerre, ce qui la conforte dans sa légitimité à œuvrer en tant que protectrice des catholiques en Terre Sainte. C’est dans ce contexte (victoire de la guerre de Crimée et création d’un consulat) que le protectorat religieux français devient vraiment effectif. Cependant, afin de s’intégrer au mieux dans la vie religieuse de Jérusalem, la France doit prouver qu’un tel protectorat est le fruit d’une longue tradition française. Pour cela, elle s’appuie sur des figures telles que Charlemagne (à qui on aurait confié les clés du Saint Sépulcre) ou Godefroy de Bouillon. Mais ce sont les capitulations qui tiennent une place centrale et particulièrement celle de 1740 qui accorde à perpétuité à la France le droit d’œuvrer en faveur des Chrétiens d’Orient au sein de l’empire ottoman. Ceci constitue une base juridique au protectorat religieux de la France mais également une preuve sur le long terme de son engagement dans la protection des Chrétiens catholiques d’Orient. Cet attachement au rôle religieux que veut jouer la France tient entre autres aux clichés de l’époque sur le monde oriental selon lesquels la religion occuperait une place centrale dans la société, d’où la volonté de la France d’intervenir en faveur des catholiques d’Orient, même si de telles interventions sont en grande partie motivées par des considérations politiques. Toutefois il convient de ne pas penser que la volonté de la France d’agir en faveur des Chrétiens d’Orient n’était pas motivée par une foi sincère. Les fonctions du protectorat varient en fonction du rapport de force en présence entre la France et les autres puissances catholiques. Au cours de la première période, les prérogatives du consulat s’élargissent petit à petit. Alors que jusque dans les années 1870, le consul de France se contentait de défendre les droits des 35 Brigitte Journeau, Eglise et Etat en Espagne au XIXe siècle, les enjeux du concordat de 1851, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002, p. 54. 36 ADN. Fonds Constantinople. Série D. Sous-série Jérusalem. 127. Feuillet 71. Copie de la dépêche du 5 avril 1853 37 AQO. Série mémoires et documents. Sous-série Turquie. 127. Feuillet 256. Note sur le patriarcat. Novembre 1853.
  • 28. 24 religieux latins dans les sanctuaires ou de les assister face à la justice ottomane, en 1880, le consulat cherche à se positionner directement entre les religieux latins et l’administration ottomane. Cette revendication relève de deux objectifs principaux : d’une part il s’agit d’empêcher les autres puissances catholiques d’établir une quelconque juridiction sur leurs ressortissants et d’autre part, cela permettrait à la France d’exercer une pression plus forte sur l’empire ottoman tout en prétextant les prérogatives du protectorat. A partir des années 1890 il devient difficile de concilier le protectorat religieux à Jérusalem et l’orientation générale de la politique française. Les pressions de différents pays catholiques, obligent la France à abandonner certaines de ses prérogatives. A cette époque, le protectorat religieux de la France ne concerne que très peu de catholiques français. Ainsi dans un contexte d’affirmation des nationalités en Europe, il n’est pas surprenant de constater que les religieux de nationalité non française refusent l’hégémonie du protectorat français. Pourquoi ces derniers utiliseraient-ils un passeport français, quand le consulat de leur propre pays serait tout à fait apte à leur en fournir un ? L’Autriche et l’Espagne, bientôt rejoints par l’Allemagne et l’Italie ne tardent pas à se dresser contre le protectorat français à Jérusalem, déjà concurrencé par la Custodie et le Patriarcat dont l’ancienneté prévaut. Alors que le déclin du protectorat français se fait sentir, la France par maints stratagèmes va tenter d’augmenter le nombre de Français au sein des institutions du protectorat officiel, en vain. La domination numérique des Espagnols et des Italiens est un fait dont la France ne semble rien pouvoir changer. Par ailleurs on reproche à la France son comportement paradoxal ; quand sa politique externe encourage la protection des catholiques en Orient, en interne la France favorise largement une politique anticléricale. Ces paradoxes ne font que fragiliser un peu plus le protectorat français. Pourtant, dans les années 1880, à côté du protectorat officiel, la diplomatie française parvient à installer de nombreuses sociétés missionnaires françaises en Palestine. En 1914, c’est le coup de grâce pour le protectorat religieux de la France, l’empire ottoman abroge les capitulations qui, aux yeux de la France constituaient les preuves de la légitimité de son protectorat sur les religieux catholiques au sein de l’empire et particulièrement à Jérusalem. Il conviendrait tout de même de préciser qu’aujourd’hui encore, l’aspect religieux tient une place importante dans la diplomatie française à Jérusalem. « Dans le cadre de sa circonscription, le Consul général continue à assumer un rôle de protection des communautés religieuses dans la ligne des accords signés avec les Ottomans, toujours en vigueur par le jeu de la succession d’Etats. A cette proposition diplomatique s’ajoutent des subventions, la mise à disposition de coopérants et, dans le cas des domaines nationaux, la prise en charge de l’entretien et du gardiennage. En échange, le Consul jouit, au nom de la République, des honneurs liturgiques, comme en témoignent la cérémonie de son
  • 29. 25 entrée au Saint-Sépulcre qui rappelle la protection française sur les Lieux saints, les messes consulaires, ou encore sa présence en uniforme aux célébrations de Noël et de Pâques, aux côtés des autres consuls des pays catholiques. Si ce rôle religieux assumé par le Consul général devient moins central, il demeure utile non seulement eu égard à la tradition mais aussi au maintien d’équilibres communautaires délicats et à l’avenir toujours incertain des Chrétiens dans la région. »38 2. Le Collège des Frères ou la formation d’une élite favorable à la France Si le protectorat n’a pas perduré jusqu’à l’époque contemporaine, on ne peut nier le fait qu’il a donné l’impulsion de la création de certaines institutions, que celles-ci se consacrent à soigner, à enseigner, à recueillir des orphelins, à étudier l’histoire biblique ou à prier, qui perdurent encore aujourd’hui. Effectivement dans les années 1880, à côté du protectorat officiel, la diplomatie française parvient à installer de nombreuses sociétés missionnaires françaises en Palestine. On ne peut pas savoir si tout le réseau de diplomatie (y compris de diplomatie culturelle) présent actuellement à Jérusalem est l’héritage du Protectorat. Cela pourrait faire l’objet d’études intéressantes, mais ce n’est nullement le sujet de ce mémoire. En revanche il ne semble pas absurde de penser que la France, à l’époque du protectorat a ouvert la Palestine et notamment Jérusalem à l’Europe, encourageant ainsi les grandes nations à y étendre une certaine influence en y exerçant une présence de quelle que nature qu’elle soit. Parmi toutes les institutions créées à cette époque, l’une d’entre elles a retenu l’attention pour sa dimension à la fois religieuse, culturelle, linguistique et diplomatique, il s’agit du Collège des Frères. La modernité des enjeux du Collège des Frères est frappante. Par ailleurs, l’histoire de ce Collège est une excellente illustration pour le point de vue défendu dans cette partie du document, à savoir l’imbrication du religieux ou du culturel et de la diplomatie. Si au début, le Collège était clairement guidé par la religion, petit à petit, les Frères ont été priés par le consulat et le gouvernement français de laisser de côté l’aspect religieux pour se concentrer sur la diffusion des valeurs de la France ainsi que de la langue française. Ainsi, on peut constater une continuité en termes d’enjeux entre le protectorat religieux de la France qui était en partie motivé par des considérations diplomatiques, et le Collège des Frères qui, derrière une mission éducative et religieuse, s’avère être aussi un instrument d’influence de la France. 38 Section « Histoire » du site du Consulat Général de France à Jérusalem http://www.consulfrance- jerusalem.org/Histoire
  • 30. 26 Le Collège des Frères est créé en 1876 par l’ordre des Frères Lassalien, venus d’Egypte. Rapidement le Collège des Frères devient un instrument de l’influence française à Jérusalem. On pourrait presque parler de diplomatie culturelle dans le sens où derrière le dessein religieux et éducationnel, puis culturel et linguistique se dissimulent des enjeux diplomatiques et politiques pour la France. D’ailleurs à l’époque de la création et du développement du Collège, la France qui ne se remet toujours pas des chamboulements idéologiques de la Révolution, devient de plus en plus anticléricale. Les religieux sont chassés de France, et certains se réfugient en Palestine, au frais de cette même France qui pourtant les chasse du territoire national. On note là le paradoxe qui souligne bien les enjeux diplomatiques de la présence des Frères en Palestine et précisément à Jérusalem. L’école est également créée dans un contexte où le protectorat religieux de la France est largement remis en question, entre autres du fait du paradoxe précédemment évoqué. Mais, dans un contexte d’éveil des nations en Europe, l’hégémonie de la France irrite les religieux des autres nationalités. Ainsi, les Frères s’inquiètent dès la création du Collège de la façon dont ils mèneront à bien leurs actions malgré le déclin du protectorat français dans la Ville Sainte. C’est en 1924 que la France perd définitivement son protectorat dans la Ville Sainte. Toutefois, cette perte du protectorat ne s’accompagne nullement d’un recul de la langue française en Palestine, ce qui assure pérennité au Collège des Frères. Au départ, les Frères n’ouvrent qu’une école gratuite, en octobre 1878. Mais en 1904, à la demande de parents d’élèves bénéficiant d’un certain prestige social, une section payante voit le jour. Le montant des frais d’inscription représente 5 fois le salaire mensuel d’un ouvrier. 39 Ainsi cette séparation met en exergue les différences sociales des élèves. Les Frères s’attachent avant tout à former une élite, et la qualité de l’enseignement dispensé se fera rapidement connaître au-delà des murs de Jérusalem. La langue française est largement favorisée par rapport à l’arabe ou à l’anglais, au sein du Collège. La présence séculaire de la France face à une présence britannique récente, confère un avantage de taille aux religieux du Collège des Frères. A cette époque la langue française représente pour les non- musulmans une langue de protection et d’éducation et pour les musulmans, le français est jusqu’en 1918 la deuxième langue d’administration et d’empire, et sa maitrise était indispensable pour quiconque voulait faire carrière à l’intérieur du 39 Karène Sanchez-Summerer, « Les élites francophones du collège des Frères de Jérusalem, 1922- 1939 », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 38/39 | 2007, mis en ligne le 16 décembre 2010. URL http://dhfles.revues.org/146 « Durant cette période, Jérusalem obtient progressivement un statut de capitale politique : une nouvelle classe moyenne est apparue à la fin du XIXe siècle, constituée des membres des professions libérales (artisans, commerçants, intellectuels, fonctionnaires, employés de services ajoutés aux couches sociales traditionnelles comme les grands propriétaires fonciers, les notables, et les hauts fonctionnaires de l’administration). »
  • 31. 27 système ottoman rénové.40 Rapidement, le consulat français prend conscience des possibilités diplomatiques offertes par le Collège et affiche un objectif clair pour l’ensemble des institutions éducatives françaises : former une élite francophone et francophile. « Il n’y a aucun intérêt à disséminer nos efforts et à soutenir de nombreuses écoles dans les villages […] le français n’a jamais été la langue véhiculaire des gens du peuple. En ce pays, le français ne peut et ne doit être que la langue de l’élite. »41 Ainsi le Collège des Frères se fait l’instrument de tels objectifs et s’attache à former à Jérusalem une élite francophone, favorable à la France. Former une population élitaire au sein de la société hiérosolymitaine comporte des enjeux fondamentaux pour la France. Effectivement, il s’agit d’assurer une présence dans la Ville sainte, ce à quoi elle s’attache depuis plusieurs siècles. L’éducation à la française d’une population élitaire favorable à la France, facilite et élargit son influence à Jérusalem et plus largement, en Palestine. Pourtant depuis le début, les Frères du Collège s’astreignent à dispenser leur éducation à tout le monde sans vraiment porter attention à l’origine sociale, la confession religieuse ou l’appartenance à telle ou telle nation, et ce en dépit des revendications des uns et des autres. Au cours du mandat britannique le collège s’ouvre peu à peu aux classes moyennes. Le collège représente encore au début des années 1920 le lieu possible d’une certaine promotion sociale et de la formation des élites chrétiennes (plus faiblement des élites musulmanes et juives). Les élites formées par le Collège sont tout de même plurielles, ethniquement et religieusement. La majorité des élèves est catholique sur l’ensemble de la période du mandat britannique (50 % à 55% de la totalité des élèves), mais de nombreuses communautés chrétiennes sont également présentes, ainsi que des musulmans et des juifs (de 8 à 11% des élèves). En revanche, on compte peu d’Européens.42 A partir de 1931, le collège compte 61 « non-chrétiens », dont 42 musulmans, par la 40 Henry Laurens, Orientales III, « Le Levant arabe à la fin de l’époque ottomane, 1880-1914 », CNRS, 2004. MAE, P. Dhorme, prieur de l’Ecole biblique et archéologique de Jérusalem, La langue française en Palestine, AMAE, SOFE, O 172, 18 mai 1922. « Bien que la langue officielle de l’administration était le turque et la langue des natifs l’arabe, le français langue des autorités, pour ceux qui appartiennent à la société éduquée et pour communiquer avec les étrangers, après la langue maternelle, le plus important était le français ». Le Collège de Jérusalem initie le mouvement d’expansion des Frères à toute la Palestine mandataire en l’espace de 10 ans. Le présent article ne répondra pas à la problématique du « modèle », moins pertinente dans le cas d’un établissement missionnaire que dans le cas d’un établissement créé par les pouvoirs publics français avec pour vocation de répandre un modèle éducatif (par exemple le lycée de Galatasaray à Istanbul, cf. la thèse de doctorat de Gülsün Güvenli soutenue à l’EHESS en janvier 2007, Le lycée de Galatasaray (1868-1923). Histoire sociologique d’une institution scolaire. 41 Annales du collège, discours du Consul général lors de la remise des diplômes, 1931 ; AMAE, SOFE, O 139, Consulat général de France à Jérusalem, n°118, « Allocations Palestine – 1930 ». 42 Données recueillies dans le Blue Book, Education Department, Annual Reports ; statistiques fournies au consulat chaque année, Annales du collège et MAE, SOFE.
  • 32. 28 suite ce chiffre ne cesse de croitre. Les élèves orthodoxes et protestants constituent entre 30 et 35% des élèves.43 A partir des années 1930, le Consulat général insiste auprès des Frères sur l’importance de donner l’image d’une France moins chrétienne : « Après la religion, c’est la culture, la vraie, qui devient l’outil d’une pénétration française en Palestine »44 . Le consul G. Maugras lui-même déclare aux Frères qu’il convient d’ « éduquer de bons chrétiens qui connaissent la langue de leurs formateurs ». Dès 1919, le rapport du Frère Justinus souligne leur double inspiration, à travers « une politique d’expansion à l’étranger sous la double inspiration de la foi religieuse et du sentiment patriotique ». 45 Cette forme de patriotisme ne va d’ailleurs pas sans inquiéter les autorités supérieures des Frères.46 En 1927, P. Dhorme, prieur des Dominicains, déclare se féliciter « du triple lien Patrie Education Religion qui garantit la pérennité de l’union que tant de causes tendent à dissoudre ».47 Le gouvernement français incite également le Collège à laisser de côté la dimension religieuse au profit de valeurs plus universalistes. Il serait intéressant de noter à quel point il parait évident que la France tente d’utiliser le Collège à des fins politico-diplomatiques. Ce fait est encore davantage mis en exergue par les 43 Karène Sanchez-Summerer, « Les élites francophones du collège des Frères de Jérusalem, 1922-1939 », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 38/39 | 2007, mis en ligne le 16 décembre 2010, consulté le 11 février 2013. URL : http://dhfles.revues.org/146 44 Trimbur Dominique, « L’ambition culturelle de la France en Palestine dans l’entre-deux guerres », in Entre rayonnement et réciprocité. Contributions à l’histoire de la diplomatie culturelle, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 41-72. Les changements de position par rapport au français et le public juif et les représentants sionistes sont aussi marqués par ce changement. La France sort du strict cadre de l’AIU pour prendre en compte d’autres représentants. Ces aspects ne sont pas explicités dans cette étude. Fabrizio, Daniela, La battaglia delle scuole in Palestina : tradizione e modernità nell’educazione giovanile ebraica, Franco Angeli, 2003. 45 Rapport du Frère Justinius sur les établissements des Frères au Proche-Orient, Chambre de commerce de Marseille, Congres français de la Syrie (3, 4 et 5 janvier 1919), Séances et travaux, fascicule III, Section de l’enseignement, Paris- Marseille 1919. Egalement Maurice Barres, Enquête aux pays du Levant, tome 1, Paris, Plon, 1923, p 193. Il est d’avis de donner “plus de poids” aux actions françaises, “plus spirituelles”, qui doivent permettre de s’attacher le cœur des orientaux. Nous devons maintenir nos positions et par conséquent garder nos pièces maitresses, à savoir nos congrégations enseignantes et charitables”. 46 AMG, Lettre du Frère Alexis François, Procureur de l’Institut, au Frère Allais Charles, de Rome le 16 mai 1924 : la communauté des Religieux craint que le Frère Visiteur de Jérusalem ait commis des imprudences de langage en parlant de la “mission patriotique” des Frères sans citer leur apostolat religieux, Cf chapitre 5. 47 ACJ, Historique, 1927. [TRIMBUR, 2002a, p 42] ; “En 1918, la France en métropole semble retrouver ce qu’on a toujours voulu qu’elle reste notamment en Orient : la France des traditions, une vraie France, la France catholique. Apres l’union sacrée c’est la chambre bleue horizon qui doit mettre un terme à des années de lutte intestine entre cléricaux et anti cléricaux. La France qui se retrouve a le soucis de renouer avec ce passe à l’intérieur de ses frontières comme à l’extérieur [. . .] le rétablissement des liens avec le Vatican lui permet d’offrir à nouveau une image uniforme.”
  • 33. 29 soutiens financiers que perçoit le Collège de la part du Ministère des Affaires étrangères, comme nous pouvons le constater dans le tableau suivant qui fait é tat des allocations du gouvernement français perçues par les différentes écoles des Frères du district de Jérusalem. L’intérêt du tableau n’est pas tant une analyse évolutive de ces allocations mais plus un moyen de constater que le gouvernement français aide financièrement les écoles des Frères avec régularité, ce qui démontre l’importance des enjeux de l’action des Frères pour la France. TAB. 4.1: Allocations du gouvernement français aux écoles des Frères, District de Jérusalem, en francs (ACJ) 1932 1933 1934 1935 Bethléem 29500 34000 24000 24000 Caiffa 24000 30000 28000 25000 Jaffa 27500 36000 32000 32000 Jérusalem 38000 45000 45000 42000 Nazareth 22000 27000 24000 24000 TOTAL 141000 17200 153000 147000 Cependant toutes ces directives imposées par le Consulat général ainsi que le gouvernement français sont de plus en plus difficiles à mettre en œuvre pour les Frères du fait de la politique du mandat britannique. Effectivement les autorités mandataires semblent tout mettre en œuvre afin de faire reculer la place du français au sein de la société palestinienne. Ainsi en 1924, une loi stipule que la langue française n’est plus une langue officielle pour les examens48 . En 1933, l’Education Ordinance exige notamment des licences d’enseignement pour les professeurs, des inspections des agents de l’Education Department, et des heures d’enseignement d’anglais, avec des formulaires annuels à envoyer au Haut-commissaire.49 48 AMAE, E 312/32, 26 avril 1924, « les langues d’examen […] sont, à l’exclusion de toute autre, les trois langues officielles de la Palestine “anglais, arabe et hébreu” […] cette décision [est] de nature à détourner les familles de nos maisons d’éducation où la langue d’enseignement est le français [M. Bowman, le ministre de l’Education Department en Palestine déclare au Consul général de Jérusalem que] dans l’avenir, les diplômes officiels donneraient seuls accès aux carrières officielles ou tout au moins que les candidats jouiraient d’un droit de préférence. » 49 Tibawi, Abdul Latif, Arab Education in Mandatory Palestine : a story of three decades of British administration, Luzac, 1956
  • 34. 30 Ainsi les Frères se voient contraints d’effectuer leur « mission pour la France » tout en s’accommodant des volontés britanniques. Afin de conserver sa réputation d’excellence, mais également pour pouvoir continuer à enseigner la langue et transmettre la culture française, les Frères intègrent peu à peu des cours d’anglais dans leur programme, notamment des cours du soir. « Je me suis efforcé de leur expliquer qu’il fallait s’incliner devant les accords passés par le gouvernement [. . .] tout en se gardant bien de jouer un rôle politique, ils doivent, leur ai-je dit, continuer à faire aimer la France, à faire le bien en son nom et à développer son influence morale ».50 Diplomatiquement, le consulat oriente les Frères vers une coopération minimale avec les puissances mandataires. La stratégie progressivement adoptée consiste à introduire l’anglais et accepter les lois mandataires, comme moyen de diffusion de la culture française ; la langue apparait alors comme un refuge pour la culture. Seulement, si le Collège ne perd pas vraiment d’élèves, et si l’on constate que le français ne décroit pas en termes de francophones dans la région, les autres langues (dont l’anglais) sont de plus en plus parlées. La concurrence se fait ressentir pour la langue française, qui même si elle n’est pas délaissée, est considérée comme un luxe par les élites qui la parlaient autrefois également pour ses possibilités en termes de débouchés. Désormais, c’est l’anglais qu’il convient de parler. « Les enfants des milieux qui fréquentent habituellement nos écoles montrent une tendance de plus en plus marquée à aller faire leurs études à l’université américaine de Beyrouth [...] L’école des Frères de Jérusalem risque de péricliter sérieusement de ce fait […] Cette tendance s’explique si l’on conçoit que ces diplômes anglais ou palestiniens sont nécessaires aux jeunes Palestiniens qui se destinent aux carrières administratives ou même à ceux qui désirent trouver une place dans les établissements importants bancaires ou commerciaux de Jérusalem. Pour ces jeunes, qui forment une partie la plus importante de notre clientèle, notre culture est un luxe qui ne suffit plus à leur assurer un avenir. »51 Par ailleurs, à partir des années 1920, le patriotisme exacerbé des Frères semble passer avant les considérations religieuses. En 1923, les Frères présentent leur réseau aux autorités françaises comme « un réseau missionnaire destiné à développer non pas la foi chrétienne mais l’influence extérieure de la France ».52 Un tel patriotisme de la part de religieux ne tarde pas à faire l’objet de rappel à 50 AMAE, E 312-1, n˚90, 14 septembre 1920, Escadre de la méditerranée orientale, commandant en chef, viceamiral de Bon, “Nous devons donc trouver un modus vivendi, basé sur le récent accord franco-britannique [. . .] pour les nombreux établissements français installés dans toute la Palestine. Il importe à mon avis d’établir le plus tôt possible un accord afin d’avoir à éviter d’être amené à chaque fois à traiter des cas particuliers”, [. . .] “Pour l’instant ils [les établissements] ont besoin d’être guidés. Très mal renseignés, les uns ne peuvent croire que la renonciation de la France soit définitive”. 51 AMAE, Nantes, série B, 274, n˚24, Le ministre au Consul Général, 17 juillet 1934. 52 AMG, JA 720, Institut missionnaire, M. Barrès, Rapport et avis sur le projet de loi tendant à autoriser l’Institut missionnaire des Frères des écoles chrétiennes ; chambre des députés, session de 1923, Librairie générale.