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GWALAZ magazine Skipper octobre 2013
1. Vie nautique
Innovation
« On navigue
sur un champ
de lin »
Roland Jourdain est enthousiaste. Le prototype de Tricat
23.5 en bio-composite (fibre de lin, balsa et liège) vient de
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passer haut la main son premier test en navigation.
Objectif « plaisance durable » pour Roland Jourdain (ici à bord de Gwalaz).
skippers voile & océan
Texte ) Pierre Meyer
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La société Kairos du navigateur Roland Jourdain n’a pas froid aux
yeux. Résolument tournée vers la compétition (MOD 70 notamment),
mais aussi l’éco-innovation, elle a accompagné sur le plan technique la
construction au chantier Tricat du premier trimaran familial en fibre de
lin. Gwalaz (herbe marine en breton) est l’exacte réplique du Tricat 23.5
(7m11) ; aucun bateau de cette taille n’avait jusqu’ici été construit de
A à Z en bio-composite. Sa particularité : en lieu et place de l’habituelle
fibre de verre, gourmande en énergie et très difficile à recycler, un
sandwich composé de fibre de lin, de balsa et de liège pour l’âme, et de
résine bio-sourcée à 30%.
Le déclic : trois surfeurs innovants
Tout a démarré lors de la rencontre, en décembre 2011 au Nautic de Paris, de Antoine
Houdet, le patron de Tricat, et de trois jeunes
surfeurs bretons – Ronan Gladu, Ewen Le
Goff et Aurel Jacob. Ces derniers préparent
pour l’hiver 2014 une expédition dans les îles
Salomon et souhaitaient acquérir un bateau
rapide et éco-conçu pour passer d’île en île.
Vivement intéressé, Antoine Houdet admet ne
2. Les trois surfeurs bretons n’ont pas ménagé leur monture lors du tour de Bretagne réalisé en juin dernier.
rien connaître à ces matériaux. C’est alors que les surfeurs mettent,
au printemps 2012, Tricat et Kairos en contact. Bonne pioche, puisque
Kairos travaille depuis 2009 avec l’Ifremer et l’Université de BretagneSud sur les bio-composites, notamment pour la fabrication de surfs. De
cette association naîtra le projet Gwalaz : après cinq mois de construction, le bateau est mis à l’eau le 28 mai 2013.
Et c’est une réussite. Durant un mois de navigation autour de la
Bretagne (voir la vidéo sur www.lostintheswell.com), le voilier en lin fait
merveille, malgré son poids plus élevé, de l’ordre de 15%, qu’un Tricat
de série, car tous les paramètres ont été augmentés d’une forte marge
de sécurité (Antoine Houdet pense que l’on
pourrait réduire le différentiel à 5%). Poussé
dans ces derniers retranchements par les trois
surfeurs, Gwalaz a atteint allègrement les
19,3 nœuds, à un cheveu du record de vitesse
du trimaran de série. « Le bateau est très sain.
Il n’a pas bougé et s’est révélé plus raide longitudinalement que son sistership en fibre de
verre, se réjouit Roland Jourdain. La fibre de
lin, que l’on peut observer à certains endroits
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3. Vie nautique
à travers un gelcoat translucide, est impeccable. Bref, on navigue sur un champ de lin ! »
Les 110 kilos de fibres de lin utilisés pour
construire Gwalaz correspondent à un peu
plus de 1/10 hectare. Maintenant, il va falloir
attendre quelques années pour connaître la
résistance de la fibre au vieillissement.
œuvre que le polyester-fibre de verre. En attendant, nous avons un excellent retour d’expérience et notre petite équipe (4 personnes) s’est impliquée à fond dans le projet. Les tests portant sur l’échantillonnage et les
qualités mécaniques du tissu ayant été confiés à Kairos et à l’Ifremer,
le chantier s’est concentré sur la construction elle-même, en utilisant
la technique d’infusion sous vide. La bonne surprise a été le matériau,
très agréable à travailler et ne provoquant aucune allergie. Pour le ponçage, on a l’impression de travailler du bois. En revanche, deux difficultés
ont dû être surmontées : le stockage de la fibre, un matériau vivant, qui
nécessite davantage d’attention (contrôle permanent de l’hygrométrie) et
la recherche du temps d’infusion idéal : de très nombreux tests ont été
nécessaires. »
Autre difficulté : dénicher le tissu désiré. « Un des points les plus critiques a été la recherche d’une entreprise en mesure de nous proposer
le tissu spécial que nous souhaitions, indique Ludovic Bosser, le spécialiste bio-composite chez Kairos. En tant que matière première, le lin est
parfaitement maîtrisé (la production mondiale est à 70% française !) ;
en revanche, le bio-composite nécessite un tissage particulier (grammage très régulier et fibre bi-axiale à plat) que seule une entreprise
italienne (Selcom Group) a été en mesure de nous livrer ».
Le chantier très satisfait
« Pour l’instant, il n’est pas question de passer à la production en série, précise Antoine
Houdet. Nous avons d’ailleurs refusé la demande d’un client. Si, dans trois-quatre ans,
nous constatons que le bio-composite a
conservé 100% de ses caractéristiques, nous
aviserons car il est plus onéreux à mettre en
La construction d’un bateau en bio-composite n’a pas
vraiment dépaysé le chantier Tricat. Le lin est, de plus,
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skippers voile & océan
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très agréable à travailler.
Priorité aux fibres locales
Le choix du lin n’est pas fortuit. « Il pousse à côté de chez nous, souligne Roland Jourdain. Or, dans notre approche de l’éco-conception,
il est très important de penser circuit court, afin d’optimiser le bilan
carbone du transport. Mais si le lin s’impose ici, ce n’est pas forcément le cas ailleurs. J’étais au Bangladesh cet hiver ; là-bas, on utilisera
plutôt la fibre de jute ». Le navigateur voit d’ailleurs plus loin que la
seule construction de bateau en bio-composite : « notre rêve, à long
terme, serait de favoriser l’émergence d’une filière lin en Bretagne et
de la conforter en Normandie en augmentant les surfaces cultivées
(70.000 hectares actuellement, mais jusqu’à 200.000 hectares dans le
passé). Non seulement le lin exige moins d’eau et d’herbicide à cultiver
que d’autres végétaux, mais il peut aussi satisfaire de multiples applications sur mer (capots, aménagements intérieurs, etc.) comme sur terre
(ameublement, articles sportifs, aménagements urbains, voire santé
humaine – huile de lin) ».
Convaincu de la nécessité d’explorer toutes les pistes menant à un
nouveau modèle de production et de consommation durable, Roland
Jourdain considère Gwalaz comme une réalisation très encourageante.
« Depuis la mise à l’eau du bateau, j’ai été approché par plusieurs personnes intéressées par des applications potentielles. Il appartient à
Kairos de continuer à apporter son expertise auprès des entreprises
souhaitant évoluer vers l’éco-conception de leurs produits composites ». Il poursuit : « L’analyse de cycle de vie (ACV) va nous permettre
de bien comprendre les impacts environnementaux et de pointer les
éléments sur lesquels on peut encore s’améliorer. L’utilisation de matériaux issus de la biomasse est forcément un plus, ne serait-ce que
leur valorisation énergétique en fin de vie qui est excellente. »
Quant à Antoine Houdet, il est confiant dans l’avenir des bio-composites et a rejoint l’association EcoNav (un réseau de 70 entreprises),
dont l’objectif principal est le développement de l’éco-navigation. Une
filière bio-composite est ainsi clairement en gestation, avec le solide
soutien de la région Bretagne.