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SIMPLICITÉ DE LA MAISON JAPONAISE
TRADITIONNELLE: TRAIT CULTUREL?
SIMPLICITÉ DE LA MAISON JAPONAISE
TRADITIONNELLE: TRAIT CULTUREL?
Juliette Dubois
Sous la direction de Christine Schaut
Travail de Fin d’Etudes - 2014
Faculté d’Architecture ULB - La Cambre Horta
Remerciements
Je tiens avant tout à remercier mes parents, ma famille et mes amis pour
m'avoir soutenu tout au long de mes études d'architecture. Je tiens tout
particulièrement à remercier mes amies Esther Kotek, Roxane Quarré et
Béatrix Woringer pour avoir traversé ces moments de travail intense, et
pour m'avoir encouragé dans la réussite de mes études.
Dans le cadre de ce travail de fin d'études, mes remerciements vont à ma
promotrice, Christine Schaut pour ses conseils et son accompagnement
qui m'ont été précieux.
Merci à Andreas Thele d'avoir accepté avec un tel enthousiasme de lire
ce travail et de prodiguer son expertise dans ce sujet qui lui est si familier.
Enfin merci à ma mère qui a accepté de relire et de corriger maintes et
maintes fois les erreurs que j'avais pu faire.
Bonne lecture!
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS3
AVANT-PROPOS11
INTRODUCTION15
I. DESCRIPTION DE LA MAISON JAPONAISE 21
Chapitre 1. Composition de la maison japonaise 23
a. Structure de la maison 23
b. Différenciation à l’intérieur de la maison 27
c. Progression à travers la maison 29
d. Eléments mobiles intégrés à la maison 33
Chapitre 2. Temporalité de la maison japonaise Forme
immuable, matériaux éphémères 41
Chapitre 3. Construction de la maison japonaise par les
charpentiers - perpétuation des formes 43
a. Techniques et outils de construction 47
b. Etapes de la construction de la maison 51
II. VIE SOCIALE 55
Chapitre 1. Famille japonaise 57
a. Introduction théorique 57
a. Famille et individu au Japon 59
b. Famille et genres - habiter la maison au masculin et au
féminin60
c. Famille et tatami - modules de composition de la maison 61
d. Famille et rituels - apprendre à habiter dans la société 67
Chapitre 2. Communauté japonaise 69
a. Introduction théorique 69
b. Primauté de la communauté sur l’individu au Japon 70
c. Communauté et nation - habiter un espace homogène et
harmonieux74
d. Communauté et vie privée - envelopper le privé dans le
public75
e. Communauté et liens - créer la juste distance pour habiter en
harmonie77
III. ENVIRONNEMENT 83
Chapitre 1. Milieu naturel japonais 85
a. Introduction théorique 85
b. Japon: Isolement physique, milieu naturel inhospitalier et
rareté des ressources naturelles 87
c. Milieu naturel et l’Homme - vivre dans un cadre fragile et
éphémère89
d. Milieu naturel et temps - vivre ici et maintenant 94
e. Habiter le milieu naturel 95
f. Milieu naturel et son symbole, le jardin - vivre dans un espace
miniaturisé99
Chapitre 2. Politique Tokugawa à l'époque Edo 105
a. Introduction théorique 105
b. Les relations du Japon avec l’étranger avant la période Edo:
l’impact de la Chine 106
1. Politique d’importation et de japonisation d’éléments
étrangers107
2. Importation de la forme de la maison de l’étranger 109
c. Politique nationale protectionniste - lois somptuaires et
régulation de la société japonaise 110
1. Politique de codification de la société japonaise - habiter un
espace standardisé 112
2. Uniformisation de la façon de vivre en conséquence à la
politique - habiter un espace homogène 115
Chapitre 3. Religions et confucianisme 119
d. Introduction théorique 119
a. Religions et la maison - vivre la religion au quotidien 120
1. Shintoïsme, religion de la purification 121
2. Bouddhisme 124
Zen, atteinte de l’illumination par une discipline au
quotidien130
b. Confucianisme, base de la hiérarchie sociale 131
Chapitre 4. Esthétique japonaise et culte du thé 133
a. Introduction théorique 133
b. Le culte du thé au Japon - plaisir dans la simplicité 134
c. Esthétique du thé et maison - éprouver du plaisir à vivre dans
la simplicité 137
d. Pavillon de thé - épuration de l’esthétique de la simplicité 141
e. Nouvelle esthétique - vivre dans une forme fixe 145
CONCLUSIONS149
BIBLIOGRAPHIE167
家
PÉRIODE JOMON
(1500AC-400AC:
PÉRIODE KOFUN (250
PC - 600)
PÉRIODE NARA (645-
794)
PÉRIODE KAMAKURA
(1185-1332)
PÉRIODE MOMOYAMA
(1568-1615)
PÉRIODE YAYOI (. 400
AC - 250 PC)
PÉRIODE ASUKA
(538/552-645)
PÉRIODE HEIAN (794-
1185)
PÉRIODE MUROMACHI,
(1392-1568)
PÉRIODE EDO: (1615-
1867)
Avant-propos
En modifiant l’environnement dans lequel l’Homme vit et évolue,
l’architecte, par ses actes et ses réalisations, a une influence sur la société.
Cette influence débute dans notre quotidien où elle s’immisce par le biais
de nos habitations. L’architecte innove et évolue tout en tenant compte de
l’Homme, acteur essentiel au sein de ses projets. En effet, l’être humain
donne forme et sens à l’espace qu’il habite, et les différences entre les
formes d’habitat sont dues essentiellement à la culture de ceux qui l’ont
construit et qui y vivent.
J’ai donc voulu m’intéresser de plus près à cet aspect de l’architecture qui
est lié à la relation entre l’Homme et son foyer, au rapport entre sa culture
et sa maison. 
Pour illustrer et argumenter mon propos, j’ai choisi de me concentrer
sur l’exemple de la maison japonaise traditionnelle, car j’y ai trouvé une
simplicité qui se manifeste non seulement dans la maison elle-même, mais
aussi dans tous les aspects de la vie japonaise. Cette concordance m’a
semblé révélatrice du lien essentiel entre architecture et culture. De plus,
cette simplicité elle-même me plait beaucoup car elle va à l’essentiel. Il
m’a paru intéressant de partir de cet exemple pour illustrer mon propos
en analysant de manière approfondie la signification de la maison pour le
peuple japonais au sein de sa culture et, à partir de mes observations, de
12
tirer des conclusions pouvant s’appliquer à d’autres types d’habitations et
d’environnements.
Ce travail m’a permis de mieux comprendre le rapport entre l’Homme et
son habitation, ce qui me sera utile dans mon rôle de future architecte et
de découvrir des pistes que j’aurai plaisir à explorer à l’avenir.
Introduction
Sujet
A partir de l’exemple de la maison traditionnelle japonaise, ce travail
examine le lien étroit entre culture et architecture.
La maison sera le point central autour duquel le travail sera développé
parce qu’elle est le « noyau de la vie et de la culture1
 » d’un peuple, et c’est
elle qui exprime avec le plus de justesse sa conception de l’espace.
Entre tradition et innovation, nature et (hyper)civilisation, artisanat et
industrie, geisha et manga, le Japon est un pays de contrastes. Pourtant un
des traits marquant de sa culture est la simplicité de ses créations, le fait
de se concentrer sur l’essentiel dans de nombreux aspects de la vie. Cette
simplicité se retrouve dans les objets du quotidien comme les baguettes,
hashi (箸), deux morceaux de bois servant de couverts et d’ustensiles de
cuisine, les origami (折り紙), des carrés de papier pliés transformés en
véritables oeuvres d’arts, les sashimi (刺身), simples morceaux de poisson
cru qui ont été élevés au rang de la gastronomie, les haïku (俳句), célèbres
poèmes très courts, ou l’ie (家), la maison japonaise traditionnelle.
1  	 Rapoport, Amos, «  Culture, Architecture et Design  », Collection Archigraphy.
Témoignages, Gollion: Infolio, 2003, p 30.
16
La période considérée est la période Edo, de 1603 à 1867. C’est une époque
clé au Japon, car c’est au cours de celle-ci que le pays s’est isolé du reste
du monde. Cet isolement a donné lieu à l’affirmation dans la société, des
traits déjà existants permettant le développement d'une culture japonaise.
L’exemple choisi de la maison de la fin de l’époque Edo (début du XIXème
siècle), après plus de deux siècles d’isolement du Japon, représente l’apogée
d’une matérialisation des traits caractéristiques de la culture nippone.
Objectifs
De quelle manière la simplicité faisait-elle partie de la maison? La simplicité
a-t-elle été consciemment recherchée à l’époque Edo, et si oui, l’a-t-elle
été dans tous les aspects de la vie? Etait-elle toujours le résultat d’une
influence culturelle?
L’objectif est de comprendre comment une architecture exprime
les valeurs culturelles d’une société. L'analyse de la vie sociale et de
l'environnement au Japon ainsi que de ce qui a fait la maison traditionnelle
offrira les pistes permettant de comprendre l'origine de cette simplicité et
de sa concrétisation dans l'espace domestique. En analysant la vie sociale
et l’environnement au Japon il sera possible de comprendre l’origine de
cette simplicité, et sa concrétisation dans l’espace domestique.
Cadre
Ce travail part du principe que toute société, c’est-à-dire un « Ensemble
d’êtres humains vivant en groupe organisé »2
, est composée d’individus qui
2  	 « Société ». Le Petit Larousse Illustré, op. cit., p. 916.
17
ont un sentiment d’appartenance à elle au travers d’une identité collective3
.
Cette identité est fondée sur des traits partagés par les membres de la
société, qui la distinguent des autres, et la rendent unique. De manière
générale, la fondation de toute société suppose l’existence d’une culture
qui lui est propre, c’est-à-dire « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels
et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un
groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les
modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de
valeurs, les traditions et les croyances. »4
. Cette culture est en constante
évolution à cause des influences mutuelles que ses propres traits exercent
les uns sur les autres et parce qu'elle est influencée par les circonstances et
les époques.
L’évolution des formes de la maison familiale et la manière dont les traits
culturels japonais les ont influencées sera analysée. Par contre la relation
de chaque individu avec sa maison n’est pas abordée car le choix a été fait
de se placer au-dessus de l'individu et de baser ce travail sur les notions
liées à la collectivité en commençant par le noyau familial.
Méthode
Ce travail se limitera à mettre à jour certains éléments de la relation entre
la culture nippone et sa maison à travers la simplicité dans le contexte
japonais de l’époque Edo.
3  	 Augustin Berque, «  Vivre l’espace au Japon  », Espace et Liberté, Paris: Presses
universitaires de France, 1982, p. 15.
4  	 Définition de l’UNESCO de la culture, Déclaration de Mexico sur les politiques
culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6
août 1982.
18
Structure du travail
Le sujet est traité, à la manière japonaise, en partant du détail pour aller
vers les notions plus générales. Le travail débute par la description de la
maison, en tant qu’environnement concret et matériel, puis il s’agit de la
famille, de la formation et de la structure des communautés et de la société
en général, ensuite, ce sont les influences du milieu naturel, de la politique et
des religions qui sont expliquées pour terminer par la notion d’esthétique.
Les chapitres ne correspondent pas à une séquence chronologique mais
abordent simultanément un même sujet et une même période sous un
angle chaque fois différent.
I. DESCRIPTION DE LA MAISON JAPONAISE
1.  Villa Katsura (source: What is Japanese Architecture?)
23
Chapitre 1. Composition de la maison japonaise1
La standardisation de la maison était imposée par des lois qui ont été en
vigueur pendant des siècles. Ce chapitre se concentrera sur la description
de la maison traditionnelle japonaise de la fin de l'époque Edo.
a. Structure de la maison
Construite sur base d’un assemblage de poteaux et de poutres emboités
les uns dans les autres, la maison japonaise traditionnelle de l’époque
Edo était positionnée sur des pierres posées à même le sol qui faisaient
office de fondations. Certaines poutres faisaient office de pilotis car une
partie de la maison était surélevée. Le poids du toit la maintenait au sol.
Les autres éléments de la maison n’avaient aucun rôle structurel dans sa
construction, et ne faisaient que remplir les espaces vides de la charpente.
Comme chaque élément de la maison était standardisé, sa construction
était assez rapide.
1  	 Ce chapitre trouve ses sources dans les livres suivants : Shigenobu Nakayama, John
Bester, et Kazuya Inaba, « Japanese Homes and Lifestyles: An Illustrated Journey through
History », New York: Kodansha International, 2000 ; Kazuo Nishi, « What Is Japanese
Architecture?: A Survey of Traditional Japanese Architecture », New York: Kodansha
USA, 2012 ; Jacques Pezeu-Massabuau, « La maison japonaise », Bibliothèque Japonaise,
Paris: Publications orientalistes de France, 1981.
24 • DESCRIPTION DE LA MAISON
Types de planchers Types de plafonds
lattes en bambou
plancher
lattes en bambou
solives
latté
mur
écran translucide
volet en bois
écran translucide
volet en bois
écran translucide
volet pour la
pluie
véranda extérieure
écrans translucides
véranda extérieure
volet pour la pluie
Types de parois coulissantes
Toit en chaume
Toit en bardeaux
Toit en tuiles Toit en écorce de
cyprès
Types de toits
2.  Dessin d'une maison japonaise ( Source: What is Japanese Architecture?)
3.  Schémas des parties de la maison ( Source: Japanese Homes and Lifestyles)
COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 25
Des poutrelles venaient s’insérer dans la structure de poteaux-poutres
décrite précédemment, selon un entrecolonnement aux dimensions
standardisées appelées ken (間). La mesure du ken a varié au cours du
temps en fonction des lois qui le définissaient, mais, elle faisait toujours
la longueur d’un tatami1
(畳), tapis fait de paille de riz tressée. A l’époque
Edo, un tatami mesurait 182 cm de long sur 91cm de large et avait une
épaisseur de 2 à 3 cm2
.Il jouait un rôle essentiel dans les proportions de la
maison, qui sera expliqué plus tard.
Le plancher en bois de la maison était surélevé par rapport au niveau de
la terre.
Deux types de cloisons servaient à délimiter l’enceinte de la maison: celles
faites avec du torchis qui remplissait l’intervalle entre 2 poutrelles, et les
parois mobiles, tategu (建具), de la taille d’un ken. Une paroi mobile pouvait
être soit un shitomi (蔀), volet composé d’un treillis en bois, soit un shoji (障
子), porte coulissante composée d’une structure en bois sur laquelle était
collée du papier de riz, laissant passer la lumière.
Le toit, comme le reste de la maison, était formé d’une charpente en bois
qu’on recouvrait soit de chaume ou de roseau, soit avec des tuiles, et parfois
même avec des bardeaux ou de l’écorce. Il avait une forme différente en
fonction du matériau choisi, du type d’habitation et de la région, mais
tout cela était codifié par la standardisation. A l'époque Edo, des décisions
politiques prises pour diminuer le nombre d'incendies, ont imposé l'usage
des tuiles qui s'est généralisé dans les villes mais pas dans le reste du Japon.
1  	 Kazuo Nishi, «  What Is Japanese Architecture?: A Survey of Traditional Japanese
Architecture », New York: Kodansha USA, 2012, p. 12.
2	 Philippe Bonnin, Masatsugu Nishida, et Mizuki Cruz-Saito, « Le tatami et la spatialité
japonaise », Ebisu 38, no. 1, 2007, p. 55.
26 • DESCRIPTION DE LA MAISON
Irori
champ
corridor
zashiki
alcove
entrée
arrière
espace de
circulation
puit
accès à la
cuisine
genkan
accès principal
jardin
espace de
rangements
cuisine,
située dans
le doma
ima
armoire
accès du jardin
vers l'extérieur
engawa
4.  Extérieur de la Villa Katsura (source: internet)
5.  Organisation de l'espace intérieur de la maison( source: Japanese Homes and
lifestyles)
COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 27
De manière générale les maisons n’avaient qu’un étage, le rez-de-
chaussée, mais certaines maisons urbaines pouvaient comporter un étage
supplémentaire. Il s’agissait de l’exception.
L’aspect extérieur de la maison restait très simple, laissant les matériaux
apparents, les cloisons dépouillées, faisant d’elle l’expression honnête de
sa structure.
b. Différenciation à l’intérieur de la maison
Le type de sol définissait les différents espaces de la maison, selon qu’il
était nu et en terre, surélevé et avec du plancher, ou avec du plancher
recouvert de tatamis.
L’espace d’entrée et les espaces fonctionnels comme la cuisine, daidokoro
(台所) ou katte (勝手), la toilette, ou la salle de bain, étaient situés dans
la partie à même le sol, doma (土間). Les espaces de circulation, couloirs
ou circulations extérieures, avaient un plancher surélevé par rapport
au sol. Dans les espaces de vie, le plancher surrélevé était recouvert de
tatamis dont l'utilisation s’est généralisée au Japon à la fin de l’époque Edo
(XVIIIème siècle).
Différents types d’éléments verticaux délimitaient les pièces: des cloisons
fixes en torchis, généralement placées dans les espaces fonctionnels, ou des
parois coulissantes dans les espaces de vie. Celles-ci étaient modulables et
pouvaient être retirées ou remplacées selon les circonstances. Il s’agissait
du fusuma (襖), paroi opaque composée d’une structure en bois sur laquelle
étaient collée des papiers superposés qui était parfois peinte et devenait
alors un élément de décoration, utilisée généralement pour séparer les
espaces intérieurs entre eux, ou du shoji, porte translucide, aussi utilisée
28 • DESCRIPTION DE LA MAISON
6.  Intérieur d'une pièce à tatamis avec des fusuma et des shoji ( source: Ishimoto
Yasuhiro)
7.  La cuisine située dans le doma (source: internet)
COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 29
pour séparer les espaces intérieurs de l’extérieur. Les parois coulissantes
pouvaient être enlevées pour agrandir la pièce. Un dernier type de
cloisonnement pouvait délimiter les pièces: une armoire encastrée entre
deux colonnes, tana (棚).
Les espaces de vie étaient très peu différenciés physiquement puisque
composés pratiquement des mêmes éléments. C’était par leur organisation
spatiale au sein de l’organisme de la maison et ensuite par l’utilisation
de l’espace par les habitants qu’ils recevaient une « signification » , une
fonction particulière. Une autre différenciation était parfois faite entre les
différentes zones de la maison par le plafond, qui pouvait être laissé nu et
montrer la structure du toit dans la zone du doma, tandis que les autres
zones de la maison avaient un plafond suspendu cachant la structure du
toit.
c. Progression à travers la maison
Avant d’entrer dans l’espace intérieur d’une maison il fallait retirer ses
chaussures en s'asseyant sur le genkan et en posant ses pieds sur une pierre
située au sol, kutsunugi-ishii (沓脱石 )ce qui constituait un rituel typique
pratiqué dans tout le pays.
La taille et l’agencement des différentes pièces étaient standardisés et le
nombre de pièces et leurs dimensions étaient fixées selon la classe sociale
et la richesse des habitants. Les habitations de l’élite avaient un plus grand
nombre de pièces, avec des fonctions plus spécialisées.
Malgré ces différences, l’articulation entre les différentes zones de la
maison, quelle que soit la classe sociale, ne changeait pas, chacune ayant
une fonction spécifique au sein de la maison et par rapport au tout. Il
COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 31
s’agissait de l’avant, omote (表), du fond, le coeur, oku (奥), de l’arrière, ura
(裏), et des circulations, en (縁)3
.
Omote était accessible par un hall d’entrée officiel, genkan (玄関)4
, qui
menait vers les pièces de réception, zashiki (座敷). Cet espace était
positionné à l’avant de la maison et était le premier à être parcouru lors
du cheminement à travers la maison à partir de la rue. Sa fonction était
formelle, destinée à la réception des invités. Les pièces de réception étaient
tournées vers le jardin orienté au sud. Quand il n’y avait aucun invité, cette
zone était réservée au chef de famille.
Oku, voulant littéralement dire « ce qui est dans le coeur »5
, contenait
l’espace du quotidien. L’espace de vie principal, ima (居間), y était situé.
C’était le lieu où se déroulait la vie de famille tout au long de la journée.
Les habitants y mangeaient, y dormaient, y effectuaient des tâches d’ordre
sédentaire, s’y réunissaient en famille et y recevaient des parents ou amis
proches. Comme c’était l’espace des activités les plus intimes, il était situé
au coeur de la maison, et c’était par un cheminement à travers la maison
qu’on y arrivait, passant de la sphère publique à la sphère privée. C’était
aussi l’espace où les rites religieux étaient pratiqués.
Ura, l’arrière, était à l’arrière de la maison, et avait parfois un accès séparé.
Cette zone constituait l’espace des activités domestiques, avec la cuisine,
les espaces de rangements, voire même les chambres des servantes dans
3  	 Augustin Berque, «  Vivre L’espace Au Japon  », Espace et Liberté,Paris: Presses
universitaires de France, 1982, p. 124.
4  	 Le genkan était réservé à la noblesse au début de la période Edo, mais son utilisation a été
graduellement autorisée aux autres classes de la société au cours de la période Edo.
5  	 Ibid.
8.  Page ci-contre: le kutsunugi-ishii et le genkan ( source: Nobuo Furashi)
32 • DESCRIPTION DE LA MAISON
COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 33
les résidences des classes plus élevées. Il était généralement directement
attenant à l’oku, mais pouvait aussi se trouver dans un bâtiment séparé
dans le cas de demeures plus importantes.
En, la circulation, était de trois sortes: extérieur/intérieur, périphérique
et à l’intérieur. L’accès de l’extérieur se faisait par l’entrée principale,
genkan ou oodoguchi (大戸口)6
, ou par une entrée de service, katteguchi
(勝手口). La circulation périphérique se faisait par la véranda, engawa
(縁側), qui entourait une partie de la maison et était surmontée d’un toit.
Elle avait une fonction à la fois de continuation de l’espace intérieur à
l’extérieur, car elle se situait entre le jardin et la maison, et de moyen de
communication entre les différentes pièces de la maison. L’engawa était
souvent la seule circulation concrète entre les différentes pièces, qui étaient
généralement attenantes les unes aux autres. Quand les maisons étaient
plus grandes, des couloirs intérieurs étaient construits pour faciliter les
déplacements entre les différentes pièces. S’il y avait un étage, l’escalier qui
permettait d’y accéder était généralement assez raide.
d. Eléments mobiles intégrés à la maison
Le mobilier de l’époque Edo, kagu (家具), dont l’étymologie est « outil de
la maison », était de deux types: portable ou fixe. Qu’il soit l’un ou l’autre,
il était adapté aux dimensions de la maison, et s’y intégrait.
Le tatami, ce tapis amovible mentionné plus haut, est un exemple de cette
intégration. La vie quotidienne était vécue dessus. A la base un simple
6  	 L’entrée principale des fermes de l’époque Edo.
9.  Page ci-contre: circulation périphérique: l'engawa (source: internet)
34
COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 35
tapis constitué à partir de paille de riz tressée et placé dans les espaces de
réception, il a acquis un rôle plus important à l’époque Muromachi (XIV-
XVIème siècle)7
en restant au sol de manière permanente, et s’est ensuite
propagé des espaces de réception aux espaces de vie. A l’époque Edo, les
tatami servaient d’élément de mesure de la pièce et de composition de la
maison. Leur taille n’était pas absolue, variant selon les lois régionales, le
charpentier et le terrain, mais elle restait identique dans toute l’habitation
et respectait la proportion 1/2.
Comme les habitants vivaient et dormaient dans le même espace, les
meubles étaient souvent déplacés. Leurs dimensions en ont été affectées:
ils étaient de taille assez réduite8
. Le fait que la vie japonaise se passait au
sol a déterminé leur hauteur: tables et bureaux n’excédaient jamais 33cm
de hauteur9
.
7  	 Philippe Bonnin, Masatsugu Nishida, et Mizuki Cruz-Saito, « Le tatami et la spatialité
japonaise », op. cit., p. 77.
8  	 Berque, « Dictionnaire de la civilisation japonaise », Paris: Hazan, 1994, p. 322.
9  	 Pezeu-Massabuau, « La maison japonaise », op. cit., p. 56.
10.  Illustrations d'une table à écrire, Totaya Hokkei, 1810 et d'une étagère à livres,
Keisai Eisen, 1820 (Source: The Smithsonian's Museum of Asian Art)
11.  Page ci-contre: Engawa, tatami et shoji (source: Rekishi no Tabi)
36 • DESCRIPTION DE LA MAISON
Les espaces de rangements étaient mobiles, comme des coffres ou des
petites étagères, ou immobiles. Dans ces cas-là ils étaient situés sous le
plancher de la maison ou encastrés entre deux poutrelles On y rangeait,
aux différents endroits de la maison, aussi bien des ustensiles de cuisine,
que des vêtements ou des meubles. Environ 15%10
de la surface de la
maison était dédiée au rangement de tous ces objets.
Des alcôves étaient consacrées à la prière, comme l’étagère shintoïste,
kamidana (神棚), et l’autel bouddhique, butsudan (仏壇).
Les parois coulissantes étaient changées selon les saisons, et pouvaient être
retirées et rangées si besoin était. Des paravents, byobu (屏風), pouvant être
très décorés , servaient aussi à séparer les fonctions au sein d’un espace
quand c’était nécessaire.
10  	 Engel, « The Japanese House: A Tradition for Contemporary Architecture », op. cit., p.
228.
12.  Un coffre de rangement
(source: The Japanese House
in Space, memory and
Language)
13.  Paravent pour
séparer une pièce
(source: internet)
COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 37
Quand la maison avait un étage, l’escalier, kaidan (階段), qui permettait
d’y accéder était souvent mobile, et assez petit. Il combinait parfois la
fonction d’escalier avec celle de rangement pour gagner de la place. Appelé
hakokaidan (箱階段) il restait alors fixe.
L’éclairage de la maison était assuré par des lanternes, toro (灯籠),
composées pour la plupart d’un cadre en bois ou en fer et recouvertes de
papier de riz11
à l’intérieur desquelles on mettait une bougie ou une lampe
à huile, émettant une lumière diffuse. Celles-ci étaient placées à plusieurs
endroits dans la maison, posées à même le sol, comme les andon (行灯),
suspendues sur les poutres ou au plafond, comme les tsuridoro (釣灯籠).
11  	 Berque, « Dictionnaire de la civilisation japonaise », op. cit., p. 324.
15.  Lanterne (photo: Owen Murray)
14.  Escalier étagère (source: The Japanese House in
Space, memory and Language)
38
COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 39
16.  Page ci-contre: irori d'une mason traditionnelle (source: internet)
Pour se chauffer les habitants utilisaient principalement trois types de
dispositifs. Soit le kotatsu (炬燵), un récipient à charbon qui pouvait être
mis sous une table basse autour de laquelle les membres de la maison
se réunissaient pour se chauffer, soit un foyer encastré dans le sol,
irori (居炉裏), qui pouvait aussi servir à cuisiner, et ou un brasero, hibachi
(火鉢).
La salle de bain contenait des bassines et des cruches utilisées pour se laver
avant d’entrer dans le bain, furo (風呂), qui était constamment chauffé par
un four indépendant.
La cuisine, située dans le doma, comportait peu de meubles. Il y avait un
four, kamado (竈), généralement en terre ou en argile, posé à même le sol
ou intégré dans la partie en plancher qui liait la cuisine aux autres parties
de la maison; un buffet, daidokoro-todana (台所 戸棚), qui accueillait les
ustensiles de cuisine et la vaisselle; un évier pour laver les aliments, nagashi
(流し), dont l’usage dans les cuisines des classes aisées s’est propagé à
l’époque Edo et qui a remplacé l’emploi de bassines, oke (桶). Il était soit
en pierre soit en bois, et comme le four, il était placé à même le sol ou
encastré dans le plancher. Dans les résidences plus grandes il pouvait aussi
être situé dans un bâtiment séparé, près du puits, ido (井戸).
17.  Four et autres outils
servant à cuisiner ( source:
internet)
40 • DESCRIPTION DE LA MAISON
La description détaillée de la maison traditionnelle a permis de se rendre
compte des matériaux utilisés, de sa structure, de la manière dont les
espaces de vie étaient délimités et de ses traits particuliers comme
l’engawa, la galerie de circulation extérieure à la maison. La nature mobile
des cloisons tant intérieures qu’extérieures et les meubles qui devaient
être faciles à déplacer pour changer la nature des espaces, contribuaient à
rendre la maison adaptable au gré des circonstances sociales, quotidiennes
ou climatiques. Les dimensions du tatami, tapis de sol en paille de riz,
servaient à la mesure des espaces et des proportions de la maison.
Cette maison standardisée était simple et modulable tout en étant réfléchie
dans ses moindres détails.
41
Chapitre 2. Temporalité de la maison japonaise
Forme immuable, matériaux éphémères
La maison, tout comme les autres types de bâtiments au Japon à l’époque
Edo, était composée d’éléments s’usant facilement, nécessitant un entretien
et un remplacement régulier. La structure, le toit, les shoji ou les tatami,
étaient composés principalement d’éléments végétaux : le bois, le chaume
ou le papier de riz, qui se détérioraient facilement avec le temps à cause
du climat et de l’usure. Au fur et à mesure du vieillissement de la maison,
de plus en plus d’éléments la composant étaient remplacés, la matérialité
de la maison devenant finalement totalement différente de sa matérialité
originale, mais en gardant sa forme initiale.
Après un certain laps de temps la maison était démontée pour être
totalement reconstruite. Ce laps de temps était fonction soit de l’état de
la structure en bois, soit de la décision de la communauté. En effet, dans
les communautés rurales, chaque année1
, les membres choisissaient, en
fonction de l’état de toutes les maisons de la communauté, laquelle était en
plus mauvais état et la reconstruisaient. Ce rituel annuel se déroulait sous
la direction du charpentier.
1  	 Patricia Loison, « Faut Pas Rêver: Japon », Faut Pas Rêver, France 3, 13 août 2010.
42 • DESCRIPTION DE LA MAISON
La maison à reconstruire gardait sa forme mais pouvait être déplacée. De
nouvelles parties pouvaient être ajoutées si la famille s’agrandissait, ou si
elle s’était enrichie. Ces nouvelles parties s’attachaient à l’organisation de la
partie originale, mais leur style était généralement celui de l’époque où elles
étaient construites. Donc une maison pouvait regrouper différents styles.
La conservation de la forme de la maison était prééminente sur celle de sa
matière. Par cette réédification constante, « le présent réassimilait le passé
et le passé redevenait le présent ».
La durée de vie limitée de la maison a contribué à instaurer un système
de standardisation des ses éléments constructifs pour faciliter leur
remplacement, écourter la durée de construction, et maintenir la forme
jusque dans ses moindres détails.
43
Chapitre 3. Construction de la maison japonaise
par les charpentiers - perpétuation des formes
Lecharpentier,daiku(大工),appartenaitàlaclassedesartisans,kogyo(工業),
danslaquelleilavaitlapositionlaplusélevée.C’estaudébutdel’époqueEdo
que les artisans ont été organisés en différentes corporations spécialisées,
rendant chaque poste héréditaire selon la doctrine confucianiste1
. Chaque
corporation s’organisait selon un système hiérarchique à la tête duquel se
trouvaient des familles puissantes de maitres-charpentiers, toryo (棟梁).
Les maitres charpentiers étaient à la tête de différents corps de métiers: des
maçons, ishiku (石工), des plâtriers, sakan (左官), des couvreurs, yanefuki
daiku (屋根葺大工), des sculpteurs de bois, horimonoshi (彫物師), des
fabricants de tatami, tatamiya (畳屋), des fabricants de parois amovibles,
tategu daiku (大工 建具), et bien d’autres2
.
Pour devenir artisan, il fallait suivre un apprentissage de plusieurs années
durant lesquelles toutes les connaissances étaient transmises du maitre à
l’apprenti, un savoir-faire qui était gardé secret au sein de la famille des
charpentiers. Si l’apprenti n’appartenait pas à la famille directe de sont
1  	 Nishi, « What Is Japanese Architecture? », op. cit., p. 50.
2  	 Ibid.
46 • DESCRIPTION DE LA MAISON
maître, il allait souvent vivre dans sa maison, devenant un membre à part
entière de son ménage et était destiné à lui succéder. A l’époque Edo, des
manuels ont commencé à être écrits concernant ce savoir-faire. Le plus
ancien qui soit connu a été rédigé par Heinouchi Masanobu (平内政信),
c’est le Shomei (匠明), qui veut dire littéralement « mise en lumière des
techniques de charpenterie »3
.
Les maîtres-charpentiers ont, tout au long de l’Histoire du Japon, contribué
à l’amélioration, à la simplification des techniques de construction et à
la standardisation des éléments de la maison imposée par des décisions
politiques. Parmi leurs contributions il y a eu la diminution de la durée
de construction par l’utilisation d’éléments standardisés obéissant à un
système de proportions permettant de créer une harmonie, wa (和), dans
l’ensemble du bâtiment. Ils ont aussi amélioré les outils et les techniques
qui venaient à l'origine pour la majeure partie de Chine.
Le rôle du maître-charpentier était de concevoir et de dessiner le plan de
la maison, de décider de l’emplacement des piliers et de la forme du toit,
et de diriger le chantier et les différents corps de métier. Il avait aussi un
rôle spirituel, celui d’accompagner la cérémonie shintô de bénédiction du
terrain dans un but de purification avant le début du chantier, jichinsai (地
鎮祭), au cours de laquelle on priait pour la sécurité des travailleurs et
l’apaisement des dieux qui auraient pu être dérangés par la construction.
Comme à l’époque Edo, la maison était totalement standardisée, le travail
du charpentier consistait surtout à mettre à profit son expérience et son
3  	 Masatsugu Nishida, Philippe Bonnin, et Jean Sébastien Cluzel, « Authenticité et
reconstruction de la mémoire dans l’architecture monumentale japonaise », Espaces et
Sociétés, no. 131, 2007, p. 156.
18.  Page précédente: La scierie à Honjo, 36 vues du Mont Fuji, Hokusai (source:
The Metropolitan Museum of Arts)
CONSTRUCTION DE LA MAISON JAPONAISE PAR LES CHARPENTIERS • 47
savoir technique pour concevoir le plan de la maison. C’était « à l’intérieur
d’un réseau étroit et précis de matériaux et de dimensions, d’outils et de
gestes fixés par la tradition »4
qu’il faisait usage de ses compétences afin
d’assembler la maison.
Il était également le dépositaire des normes de l’habitation, les appliquant
à toutes les constructions et les transmettant aux futures générations par
l’intermédiaire des apprentis.
a. Techniques et outils de construction
La transmission du savoir-faire du charpentier passait par l’apprentissage
des gestes précis nécessaires à l’utilisation des outils, qui avaient autant
d’importance dans le métier de charpentier que la supervision du chantier.
Chaque outil était utilisé à une tâche précise dans la construction et
nécessitait un geste rigoureux.
Pour tracer le plan de la maison, le charpentier se servait d’un diagramme,
banzuke (番付), sur lequel chaque élément de la construction recevait un
nom et une mesure. Le nom de chaque élément était écrit dessus, avant
que la maison soit assemblée, afin de faciliter son remplacement futur.
Les mesures étaient faites avec une équerre, kanejaku (曲尺) ou sashigane (
指矩) en métal. Un pot à encre, sumitsubo (墨壷), servait à tracer les traits
de scie sur le tronc. Les scies, nokogiri (鋸), étaient essentielles à la découpe
du bois et de tailles différentes selon le bois à couper. Des scies à refend,
oga (大鋸), étaient employées pour la découpe des morceaux de bois
4  	 Jacques Pezeu-Massabuau, « La maison japonaise : standardisation de l’espace habité et
harmonie sociale », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations 32, no. 4, 1977, p. 678.
50 • DESCRIPTION DE LA MAISON
19.  Page précédente: Le Fuji des Montagnes du Totomi, 36 vues du Mont Fuji,
Hokusai (source: The Metropolitan Museum of Arts)
20.  Certains des outils utilisés pendant la construction, Kawahara Keiga, 1823
(Source: Musée des Beaux-Arts de Leiden)
21.  Certains des outils utilisés pendant la construction, Kawahara Keiga, 1823
(Source: Musée des Beaux-Arts de Leiden)
CONSTRUCTION DE LA MAISON JAPONAISE PAR LES CHARPENTIERS • 51
les plus grands, et étaient souvent utilisées par deux personnes, une de
chaque côté de la scie. La poutre pouvait être appuyée sur un chevalet, un
homme en dessous, l’autre au-dessus5
(voir image 16), chacun tirant de son
côté. Une herminette, chona (釿), était parfois employée pour régulariser
grossièrement la surface du morceau obtenu.
Ensuite l’essentiel des gestes s’effectuaient à même le sol, le charpentier
se positionnant assis au-dessus de son travail. Les poutres et les poteaux
étaient encastrés les uns dans les autres par des articulations selon une
technique appelée tsugite (接手), qui nécessitait une découpe précise de
chaque élément avant leur emboîtement.
Quand le morceau de bois était scié, le charpentier utilisait différents outils
pour obtenir cette découpe précise: un ciseau, nomi (鑿), un « ciseau à
frapper », tatakinomi (叩鑿), le petit ciseau, tsukinomi (突鑿), un marteau,
genno (玄能)ou tsuchi (槌), une vrille, kiri (錐), un rabot, kanna (鉋). Parfois
un onglet en bois, kikugi (木釘), était enfoncé à la jonction entre deux
éléments pour les solidariser.
b. Etapes de la construction de la maison
La première étape de la construction à proprement parler, consistait à
choisir et puis à abattre les arbres qui seraient utilisés pour former la
structure de la maison. Choisis selon leur qualité, ils étaient abattus à la
hache, ono (斧).
Puis, pour faire l’ossature de la maison, il fallait fabriquer les poteaux
et les poutres qui formeraient la structure par un système d'assemblage
5  	 Nishi, « What Is Japanese Architecture? », op. cit., p. 52.
52 • DESCRIPTION DE LA MAISON
22.  Travail du charpentier, Kawahara Keiga, 1823-29 (Source: Musée des Beaux-Arts
de Leiden)
23.  Illustration de la construction d'une maison, Kawahara Keiga, 1823 (source:
Musée des Beaux-Arts de Leiden)
CONSTRUCTION DE LA MAISON JAPONAISE PAR LES CHARPENTIERS • 53
grâce auquel les éléments étaient imbriqués les uns dans les autres selon
la technique tsugite (接手) déjà mentionnée. Chaque partie de l’arbre était
employée de façon optimale en tenant compte de sa solidité. Les poutres
servaient aussi de pilotis puisque une partie de la maison était surélevée
par rapport au sol.
Avant de pouvoir ériger la maison, les pierres qui servaient de fondations
et sur lesquelles reposaient les poutres, étaient posées sur le sol. Une fois
l’ossature terminée, elle pouvait être montée sur ces fondations.
La charpente du toit, fabriquée, elle aussi sur base d’une ossature en bois,
était alors posée et fixée sur les poteaux. Puis, la structure du toit était
recouverte de chaume, d’écorce, de bardeaux ou de tuiles. L’espace de la
maison se trouvant protégé des intempéries, la pose du plancher surélevé
et le remplissage des entrecolonnements par des shojis ou du torchis était
effectués.
A l’origine, la construction de la maison était une activité collective de
la communauté. C’était encore le cas dans les zones rurales à la fin de
l’époque Edo mais sous le contrôle et avec l’aide du maître-charpentier.
Le charpentier jouait un rôle important dans la matérialisation de la maison
traditionnelle japonaise en perpétuant les traditions, en faisant respecter les
règles imposées par les lois, en apportant son savoir-faire et son expérience
et en accompagnant les rites religieux destinés à la protéger ainsi que ses
habitants et ceux qui la bâtissaient. C’est à travers lui que la simplicité
propre à la culture japonaise se retrouvait concrètement dans l’habitation:
la construction, les matériaux et la maison elle-même en étant imprégnés.
II. VIE SOCIALE
22.  Page précédente: Soshu Nakahara, 36 vues du Mont Fuji, Hokusai, 1831(source:
internet)
57
Chapitre 1. Famille japonaise
a. Introduction théorique
La famille, définie comme l’« Ensemble des personnes unies par un lien
de parenté ou d’alliance. »1
est un groupe d’individus constituant le noyau
d’une société. La fonction et l’organisation de la famille à un endroit
et à un moment donné, reflètent et règlent, dans une certaine mesure,
l’organisation de la communauté dans son ensemble. Sa composition
et son rôle change selon l’époque et la civilisation, tout comme celle de
chaque famille individuelle change au fil du temps.
Les individus qui forment la famille vivent généralement au sein d’un même
foyer. Ils y partagent leur espace, et leur temps, en partie ou en totalité,
pour y vivre au quotidien. Ces relations se matérialisent dans l’espace de
la maison mais aussi dans l’espace de la collectivité quand les membres
de la famille entrent en contact avec elle. La famille tisse des liens avec la
collectivité, et selon la nature de ces liens, la laisse pénétrer l’enceinte de
la maison à certaines occasions, lors de cérémonies par exemple. Les lieux
dans lesquels les membres de la collectivité peuvent pénétrer dépendent
de la distinction qui est faite entre ce qui constitue le domaine privé et
1  	 « Famille », Le petit Larousse illustré. Paris: Larousse, 1999, p. 420.
58 • VIE SOCIALE
23.  Vivre en famille (source: Musée des Beaux-Arts de Leiden)
24.  Les 4 classes sociales de l’époque Edo(source: internet)
FAMILLE JAPONAISE • 59
public au sein de la maison, de la relation que l’habitant a avec la personne
extérieure, et de la situation2
. Parfois la sphère de la maison peut s’étendre
et devenir le lieu de la pratique d’une activité économique afin d’assurer la
survie de la famille.
La place de l'individu au sein de la famille conditionne la manière dont
il pourra occuper l'espace dans la maison. Cette place peut avoir une
importance dans la conception de la maison.
Dans ce chapitre, l’importance de la famille dans la culture japonaise sera
mise en lumière. La maison qu’elle habitait était à dimension humaine et
reflétait la mentalité et la société de l’époque.
a. Famille et individu au Japon
La famille, ie (家) était le chaînon de base de la société japonaise et de
sa hiérarchisation à l’époque Edo, selon l’enseignement confucianiste qui
régissait les règles au sein de la famille japonaise. Le mot ie signifie la famille,
la maison, le foyer, ce qui laisse supposer qu’il existe une relation étroite
entre ces concepts. Chaque personne habitant sous le même toit, qu’elle
soit liée aux autres par le sang ou non, était considérée comme un membre
de la famille à part entière, et avait des obligations et des responsabilités
en son sein. L’organisation hiérarchique de la famille se structurait selon
un patriarcat3
, l’homme le plus âgé étant le chef de famille. La famille avait
elle-même une position dans la hiérarchie de la communauté. En fait la
hiérarchie sociale de l’époque Edo, shinokosho (士農工商), organisait la
2  	 Pezeu-Massabuau, «  La maison, espace social  », Espace et Liberté, Paris: Presses
universitaires de France, 1983, p. 15.
3  	 Roger Davies, and Osamu Ikeno. « The Japanese Mind ». Singapore: Tuttle Pub, 2002, p.
153.
60 • VIE SOCIALE
communauté en différentes classes selon le métier exercé, les guerriers,
bushi (武士), étant à la tête de la hiérarchie, suivis des fermiers, nomin (農
民), qui produisaient une des richesse du pays: le riz, des artisans, kogyo (
工業), qui fabriquaient des biens, et enfin des marchands, shonin (商人),
qui vivaient du produit du travail des autres4
. Chaque famille avait donc un
métier qui déterminait sa position au sein de la société ainsi que le rang et
la fonction de chacun de ses membres dans cette hiérarchie.
b. Famille et genres - habiter la maison au masculin et
au féminin
A l'époque Edo, l’organisation de la famille japonaise obéissait aux règles
du confucianisme5
selon lesquelles la femme était l’inférieure de l’homme,
et lui devait obéissance et respect. Le chef de famille avait un pouvoir
absolu6
sur les membres de sa famille mais ce pouvoir s’accompagnait de
responsabilités: celles d’assurer la pérennité de la famille, et de représenter
la famille au sein de la collectivité. Le rôle de la femme au sein de la famille
consistait à effectuer les tâches domestiques. La femme du chef de famille
devait aussi assurer la lignée familiale. Dans la société japonaise chaque
personne avait un rôle public, tatemae (建前), et une nature profonde,
honne (本音), qu’il ne fallait pas montrer en société. L’homme et la femme
assuraient de manière complémentaire ces rôles au sein de la famille, celui
de l’homme étant plus public, officiel, tatemae, et celui la femme étant lié
au noyau familial, plus privé, honne.
4  	 Berque, « Dictionnaire de la civilisation japonaise », op. cit., p. 52.
5  	 Le confucianisme est un ensemble de préceptes de vie appliqués en Asie, en particuler
en Chine et au Japon. Certains éléments le concernant sont développé dans : III.
Environnement Chapitre 3. Religions et confucianisme au Japon.
6  	 Roger Davies, and Osamu Ikeno. « The Japanese Mind ». Singapore: Tuttle Pub, 2002, p.
120.
FAMILLE JAPONAISE • 61
La hiérarchie qui existait entre l’homme et la femme se concrétisait par
une séparation spatiale de la maison. Dans la zone à l’avant de la maison,
omote (表) se situait la salle de réception, zashiki (座敷), qui était surélevée
par un plancher sur lequel étaient posés des tatamis. Le chef de famille
y recevait officiellement les invités et y passait la plus grande partie de
son temps. La zone à l’arrière de la maison, ura (裏), dédiée au travail
domestique, était à même la terre battue. Cet espace était occupé par la
femme. L’espace situé dans le fond de la maison, oku (奥), était l’espace du
quotidien, de l’informel7
, l’espace de vie où la famille se réunissait. Alors
que la zone de réception était généralement décorée, l’arrière de la maison
restait assez sommaire.
L’occupation des espaces de la maison exprimait la hiérarchie entre
l’homme et la femme par l’opposition de l’avant et l’arrière, de la zone
masculine et féminine, de la fonction officielle, publique, et domestique,
privée. Cette hiérarchie se matérialisait aussi dans la troisième dimension
par la surélévation de l’espace de l’homme par rapport à celui de la femme.
c. Famille et tatami - modules de composition de la
maison
Le tatami, le revêtement de sol de l’espace de vie de la maison, était fabriqué
à une échelle intrinsèquement humaine8
. Il faisait généralement 91 cm de
large par 182 cm, c'est-à-dire 6 pieds ou shaku de long et il couvrait une aire
de 1, 65m2. Il pouvait accueillir une personne couchée, ou deux personnes
assises. La personne étant assise et réveillée, la dimension du tatami lui
permettait de se mettre en relation avec l’autre, alors que couchée, elle ne
7  	 Berque, « Vivre L’espace Au Japon », op. cit., p. 131.
8  	 Philippe Bonnin, Nishida Masatsugu, et Mizuki Cruz-Saito, « Le tatami et la spatialité
japonaise »,op. cit., p. 55.
62 • VIE SOCIALE
FAMILLE JAPONAISE • 63
pouvait qu'être seule sur son tatami. Déjà à l’échelle de la conception de cet
objet la relation à l’autre était réfléchie. La généralisation de son utilisation
qui a débuté dans les salons de thé, puis a été reprise par l’aristocratie, pour
se retrouver dans toutes les maisons japonaises, a conduit à une unification
et une harmonisation des dimensions de la maison, chaque pièce étant
mesurée en nombres de tatamis.
Dans l’usage du tatami aussi, la relation à l’autre avait son importance.
En effet, le tatami était la dimension à travers laquelle chacun apprenait
à évaluer la distance à maintenir vis-à-vis d’une autre personne dans
l’espace, en fonction de la relation hiérarchique qui existait entre ces deux
personnes, et de la situation. Quand la personne était un parent proche
la distance n’existait pas, et deux personnes s’asseyaient alors côte à côte,
partageant un même tatami. S’il s’agissait d’un invité plusieurs tatamis
étaient nécessaires entre lui et les autres pour montrer le respect accordé
à l’invité, la personne la plus proche étant toujours le chef de famille. De
plus l’invité d’honneur était invité à s’asseoir sur le meilleur tatami de la
maison.
Le tatami était aussi le module de composition de la maison. C’était par
l’assemblage de tatamis en pièces que la maison traditionnelle japonaise
se développait, généralement dans le plan horizontal. On partait de la
partie, le tatami, pour composer la pièce, et aboutir au tout, la maison dans
son ensemble. Cela influençait grandement la perception de l’espace, qui
était réfléchi de l’intérieur vers l’extérieur, de la fraction vers le tout. Cela
permettait de faciliter l’ajout d’éléments à l’ensemble selon l’évolution des
besoins, car la maison n’était pas fixée dans un cadre.
L’influence de la religion shintoïste, qui sera décrite plus loin, est visible
dans cette manière de composer, car l’accent est mis sur l’importance de
25.  Plusieurs pièces à tatami(source: internet)
64 • VIE SOCIALE
FAMILLE JAPONAISE • 65
66 • VIE SOCIALE
26.  Page précédente: pièce à tatami (source: internet)
chaque élément dans la formation du tout.
A travers le tatami l’échelle de l’Homme se retrouvait dans toutes les
dimensions et proportions de l’espace construit, donnant un résultat
harmonieux à l’ensemble du corps bâti, pas seulement dans le plan
horizontal mais aussi dans le plan vertical, avec l’entrecolonnement
qui, selon un système standardisé, correspondait à la mesure du tatami,
et par extension à celle de l’homme. Les shoji et les fusuma, ces parois
coulissantes, qui y étaient placées, avaient elles aussi les mêmes dimensions
que celles du tatami.
L’usage du tatami comme unité de composition de la maison a fait de celle-
ci la représentation de la famille, étant humainement proportionnée en
fonction du nombre de personnes y habitant, et s’agrandissant facilement
s’il y avait de nouveaux membres.
Le tatami n’était pas seulement la base qui composait proportionnellement
la maison, c’était dessus que s’organisait la vie de ses habitants. En effet,
la vie dans la maison se passait à même le sol, sur le tatami. Alors qu’en
Chine dès le Xème siècle, l’usage de la chaise s’est généralisé, cette pratique
ne s’est pas propagée9
au Japon après son importation sans doute parce
9  	 Philippe Bonnin, Benoît Jacquet, et Nishida Masatsugu, « Dispositifs et notions de la
spatialité japonaise », Architecture, Lausanne: Presses polytechniques et universitaires
romandes, 2014, p. 227.
27.  Composition des tatamis en pièce (source: internet)
COMMUNAUTÉ JAPONAISE • 67
que les Japonais n’ont pas trouvé dans leur culture la nécessité de se mettre
à distance du sol de la maison pour y vivre.
Cette position a influencé considérablement la relation entre l’homme
et son environnement. Il avait une relation directe avec l’architecture à
travers le contact qu’il avait avec le tatami impliquant à certains moments
tout son corps.
Le toucher n’était pas le seul sens qui entrait en contact avec le tatami, et
par extension avec l’espace environnant qui était, bien sûr, appréhendé par
d’autres sens, la vue et l’odorat10
. En effectuant la plupart de ses tâches
assis sur le tatami, l’individu se retrouvait avec le regard à un mètre du sol,
lui donnant une perspective particulière sur le monde.
L'utilisation du tatami est un exemple de simplicité dans la maison.
d. Famille et rituels - apprendre à habiter dans la société
Les fêtes, généralement religieuses, rythmant l’année et la vie, comme
le nouvel an ou le mariage, se déroulaient la plupart du temps dans la
maison. Ces rites étaient un bon moyen pour la famille, les voisins, et la
communauté de resserrer les liens qui les unissaient. Chacun y prenait
part selon son rang et sa fonction dans le groupe. Les religions se sont
progressivement intégrées, notamment à travers la maison, dans le réseau
des obligations sociales. C’est dans le moule de la hiérarchie sociale que
se sont coulés les idéaux spirituels de la société japonaise, tout comme
les idéaux spirituels ont fourni une base aux règles du comportement en
société. « La maison japonaise enseignait à tous une certaine conception
10  	 Berque, « Vivre L’espace Au Japon », op. cit., p. 76.
68 • VIE SOCIALE
de l’espace défini par la place que le corps devait y occuper11
. »
L’empreinte que les valeurs philosophiques ont laissé dans les formes et
les fonctions de la maison japonaise de l’époque Edo a contribué à faire
de celle-ci le moule contraignant et uniforme de la société elle-même, qui
s’exerçait en permanence sur l’individu et sur la famille12
. Elle représentait
la famille autant physiquement, en étant aux dimensions parfaites de
celle-ci dans sa fonction sociale, que mentalement dans le champ limité
(standardisation, modularité, lois, règles sociales) auquel elle pouvait
s’appliquer.
11  	 Pezeu-Massabuau, « La maison japonaise : standardisation de l’espace habité et harmonie
sociale », op. cit., p. 694.
12  	 Pezeu-Massabuau, « La maison japonaise  », op. cit., p. 472.
69
Chapitre 2. Communauté japonaise
« Le clou qui sort est martelé. »1
a. Introduction théorique
La communauté, définie comme l’ « Ensemble de personnes unies par des
liens d’intérêts, des habitudes communes, des opinions ou des caractères
communs; ensemble des habitants d’un même lieu, d’un même Etat. »2
est
le premier regroupement organisé d’individus qui mène à toute société3
et
est déterminante dans la formation de son caractère par son organisation
structurelle, ses règles de comportement et ses valeurs universelles. Tout
comme le milieu naturel, la politique et la philosophie, elle a un rôle
fondamental dans la conception spatiale de l’Homme à un endroit et à un
moment donné, et par extension dans celle de la maison.
1  	 Deru kui wa utareru (出る 杭 は 打たれる): Ce proverbe illustre le concept japonais de
primauté de la communauté, du groupe, sur l’individu.
2  	 « Communauté ». Le petit Larousse illustré, op. cit., p. 239.
3  	 La société étant définie comme le « Milieu humain dans lequel quelqu’un vit, caractérisé
par ses institutions, ses lois, ses règles. »: « Société ». ibid., p. 916.
70 • VIE SOCIALE
En effet, la communauté positionne l’individu dans sa relation avec
les autres et lui donne une place en son sein. Elle lui enseigne « (…) sa
position dans l’espace et le temps en l’enfermant dans un réseau familier
de symboles, de rites, de gestes (…) »4
qu’il applique ensuite à son habitat.
Elle soumet aussi directement l’habitat à « l’ordre général de la vie collective
organisée »5
.
L’influence de la communauté sur la maison peut être de différente nature:
soit elle incite son développement, son amélioration, en combinant les
efforts individuels, soit elle en restreint les possibilités de création en fixant
des règles qui limitent les libertés individuelles6
.
Ce chapitre va servir à étudier la communauté afin de comprendre son
impact sur la culture japonaise et sur la maison. Le fait que la communauté
était toujours prioritaire par rapport à l’individu se retrouvait dans la
conception dans la maison.
b. Primauté de la communauté sur l’individu au Japon
La communauté ou clan, uji (氏), a débuté par le regroupement primitif des
ancêtres des japonais7
, et est devenu par la suite, un modèle d’organisation
de la société japonaise qui a eu sur elle un impact politique, économique,
social et philosophique.
4  	 Pezeu-Massabuau, « Le Japon à l’ère mégalopolitaine », op. cit., p. 815.
5  	 Engel, « The Japanese House », op. cit., p. 378.
6  	 Ibid.
7  	 A la période Yayoi surtout: Nakayama, Bester, et Inaba, « Japanese Homes and Lifestyles:
An Illustrated Journey through History », op. cit, p. 18.
COMMUNAUTÉ JAPONAISE • 71
Des facteurs historiques et naturels ont été déterminants dans le
regroupement spontané des individus en communautés organisées au
Japon.
Premièrement le relief composé de montagnes sur la grande majorité du
territoire le rendait difficilement habitable. Cela a limité les endroits où les
hommes pouvaient s’installer, et les a poussés à vivre à proximité les uns
des autres.
Deuxièmement, le climat a favorisé l’introduction de la riziculture irriguée
audébutdelapériodeYayoi(-300AC)quinécessitaituntravailconsidérable
tout au long de l’année, de la plantation à la récolte. Les gens se sont
donc organisés en groupes pour combiner leurs efforts et augmenter les
rendements afin d’assurer leur survie8
. Comme elle nécessitait un travail
considérable tout au long de l’année, de la plantation à la récolte, les gens
se sont organisés en groupes pour combiner leurs efforts et augmenter
les rendements afin d’assurer leur survie . D’importantes quantités d’eau
étant nécessaires pour cultiver le riz, cela demandait à chacun de répondre
à cette exigence en consacrant une grande partie de l’eau dont il disposait
au bénéfice de la communauté. En se sacrifiant et en travaillant pour la
collectivité, le groupe soutenait l’individu . C’est comme ça, en s’unissant
dans le travail et par la mise en commun des ressources, que la communauté
rurale, le village, mura (村9
), est née. Son chef était désigné par les membres
en tenant compte de son expérience et de son ancienneté.
L’autre facteur qui a uni les individus, et leur a donné un sentiment
d’appartenance à une même communauté, était d’ordre spirituel. Au fil des
siècles les gens en sont venus à adorer les mêmes dieux, et les rites religieux
8  	 Davies et Ikeno, « The Japanese Mind », op. cit., p. 7.
9  	 Berque, « Vivre l’espace au Japon », op. cit., p. 60.
COMMUNAUTÉ JAPONAISE
74 • VIE SOCIALE
et les coutumes qu’ils pratiquaient en groupe ont contribué à consolider
la communauté. L’intermédiaire entre les dieux et la communauté était
à l’origine le chef de la communauté10
, qui transmettait aussi les mêmes
concepts religieux à tous.
La combinaison des efforts individuels avec pour objectif la survie de
chacun et du groupe, et la vénération des mêmes divinités a mené à une
conscience collective forte, dans laquelle la communauté prenait le dessus
sur l’individu. Le maintien de l’harmonie, wa (和), du groupe est devenue
une notion centrale dans la société japonaise. Elle était aussi prônée par
les religions.
c. Communauté etnation-habiterunespacehomogène
et harmonieux
Les communautés se sont développées selon la même organisation
hiérarchique, pour finir par former une communauté plus étendue. Elles
étaient réunies à l’échelle la plus large en une communauté nationale,
à la tête de laquelle se trouvait la famille impériale. Selon les croyances
shintoïstes11
, la famille impériale descendait directement de la déesse
Amaterasu, fille d’Izanagi, faisant d’elle la famille-mère des Japonais et
la plaçant à la tête de la nation japonaise. Cette appartenance de toute la
nation japonaise à une même lignée renforçait la conscience collective et
lui donnait une validité supplémentaire.
10  	 Ibid., p. 187.
11  	 Voir « III. Environnement japonais Chapitre 3. Philosophies a. Philosophies et la maison
- Shintoïsme ».
28.  Page précédente: Moulin à eau à Onden, 36 vues du Mont Fuji, Hokusai, 1831
(source: The Metropolitan Museum of Arts)
COMMUNAUTÉ JAPONAISE • 75
La prééminence du groupe sur l’individu a donné lieu à une organisation
sociale qui dès la naissance situait chaque individu dans cette hiérarchie en
fonction de la position occupée par sa famille.
Le système des relations étant vertical, c’était à l'échelon le plus haut,
celui de la nation, qu’il fallait introduire des nouvelles valeurs, règles ou
concepts pour qu’ils pénètrent à tous les niveaux de la société. C’était
par l’intermédiaire du chef que ces concepts étaient ensuite transmis à la
communauté.
De ce système hiérarchique est né le système de classes, que le pouvoir en
place à l’époque Edo, a rigidifié par de nombreuses lois.
Pour ce qui est de la maison, la nation a eu sur elle une influence notoire
par l’imposition de sa standardisation. Celle-ci était acceptée, dans une
grande mesure, par une société où l’intérêt de la communauté primait sur
le désir individuel. Cette standardisation a participé à l’homogénéisation
de la société et de l’espace habité au Japon12
. Cette homogénéisation
participait au fort sentiment d’appartenance à une même communauté.
d. Communauté et vie privée - envelopper le privé dans
le public13
Comme la communauté était prédominante sur l’individu, celui s’identifiait
à elle et disparaissait derrière sa volonté ultime. Il avait des responsabilités
au sein de la communauté, celles de maintenir son rang et d’accomplir la
12  	 Voir «  III. Environnement Chapitre 2. Politique Tokigawa b. Politique nationale
protectionniste »
13  	 Notion abordée par Augustin Berque dans « Vivre l’espace au Japon », op. cit., p. 128.
76 • VIE SOCIALE
fonction qu’on lui attribuait. En étant à la hauteur de ses responsabilités
et en suivant l’avis de la majorité, il soutenait le groupe, la famille et à
une autre échelle, la nation, aux dépens parfois de ses intérêts personnels.
Quand il était à l’extérieur de la famille, il était le représentant de son
groupe dans la hiérarchie sociale. Il y avait peu de distinction entre public
et privé14
, entre individu et communauté, entre communauté et nation.
Il est intéressant de noter que le mot personne ou être humain, ningen (
人間), est formé du caractère du mot humain, hito (人), représentant une
personne se penchant vers une autre, et le caractère ma (間), représentant
l’intervalle ou l’espace. Cela suggère que l’Homme définissait son existence
par sa place dans l’espace et sa relation avec les autres.
La prééminence de la communauté sur l’individu se concrétisait dans la
maison, où la zone de réception, situé à l’avant, omote (表) occupait une
proportion importante de l’espace total. Ensuite plus la personne avançait
vers l’intérieur de la maison, « plus l’espace devenait secret et sacré15
 ».
L’espace du quotidien, le coeur, oku (奥), y était enfoui. Seuls les membres
de la famille et les parents proches y avaient accès. Dans cet espace, la
personne pouvait se libérer de sa fonction publique, tatemae (建前),et
révéler sa vraie nature, honne (本音).
Comme l'espace plus privé était situé au coeur de la maison, c'était par le
déplacement vers ses profondeurs que l'Homme ressentait la transition
de l'espace plus public vers l'espace plus privé, et changeait d'état d'esprit,
passant de tatemae à honne et adaptait son comportement en conséquence.
L’espace était pensé de façon dynamique, pas statique. Le concept de ma
14  	 Ibid., p. 170.
15  	 Ibid.., p. 40.
COMMUNAUTÉ JAPONAISE • 77
(間), l’intervalle, le temps, l’espace, la pièce, rempli de sens était central
dans la conception de l'espace japonais. C'était par le déplacement dans
l'espace que l’individu lui donnait une signification.
La transition vers l’espace plus privé était aussi ressentie à cause de la baisse
de luminosité qui l’accompagnait. L’avant de la maison était le domaine
de la lumière, tandis que le fond était le domaine de l’ombre, de l’espace
tamisé comme la lumière diffusée par les lanternes.
e. Communauté et liens - créer la juste distance pour
habiter en harmonie
« Si tu es pressé, fais un détour16
. »
Pour maintenir l’harmonie au sein de cette société, les Japonais ont mis
en place de nombreux mécanismes pour faciliter les relations, et éviter
les confrontations en particulier en instaurant des distances entre les
individus. Ces mécanismes sont apparus dans une société verticale dans
laquelle la connaissance de la position de chacun au sein de la hiérarchie
était primordiale pour le maintien de l’harmonie. En effet chacun modifiait
son comportement en fonction de la position sociale de la personne avec
qui il était en contact, ce qui l’obligeait à comprendre quel était son lien
avec son interlocuteur pour se situer par rapport à lui. Ici encore le ma
était essentiel.
Cette hiérarchie sociale a évolué tout au long de l'Histoire du Japon, mais
16  	 isogaba maware, « 急がば 回れ »: Proverbe japonais
29.  Page suivante: Enveloppement de l’espace et mise à distance par les shikii et le
positionnement de shoji. (source: internet)
78 • VIE SOCIALE
COMMUNAUTÉ JAPONAISE • 79
80 • VIE SOCIALE
a été fixée dans les lois. En effet, à l’époque Edo le pouvoir en place a
renforcé les différences entre les communautés par l’instauration de lois
somptuaires selon lesquelles chacun devait s’habiller selon son rang, et
maintenir une distance par rapport à son interlocuteur en fonction de
leur relation hiérarchique. De nombreuses formules de politesse étaient
employées pour instaurer une distance entre les individus. Il n’était pas rare,
lors de négociations, d’utiliser un intermédiaire pour les faciliter, comme
par exemple dans le cas d’un mariage arrangé. Quand les personnes avaient
une relation d’égal à égal, les distances disparaissaient.
Cette mise à distance se retrouvait dans la maison dont les espaces étaient
à la fois liés et séparés. Leur jonction se matérialisait sous forme d’un
espace à part entière, un seuil, shikii, (敷居), qui assurait une transition
fluide d’un espace à un autre. L’espace d’entrée, qui ne faisait partie ni de la
rue ni de l’espace de la maison, les écrans mobiles, dont la paroi en papier
de riz tamisait la lumière, tout était fait pour faciliter la transition, atténuer
les sentiments éclatants, et éviter la confrontation directe.
C’était dans cet espace entre-deux, le shikii, que se trouvait la porte, shoji
(障子). Même ouverte elle ne pénétrait ni dans un espace ni dans l’autre
car il fallait la faire coulisser pour l’ouvrir. Elle restait cet intermédiaire,
séparant tout en joignant deux espaces. De plus, quand elle était fermée,
elle n’était pas totalement isolante, laissant passer le bruit, le vent et parfois
la lumière. Elle pouvait aussi être ôtée facilement, laissant alors les deux
pièces communiquer entre elles. Elle pourrait être considérée comme une
expression de la dissolution aisée des frontières entre sphère privée et
sphère publique, entre le dedans, uchi (内), et le dehors, soto (外), comme
cela se passait au niveau de l’individu vis-à-vis de la famille, entre la famille
et la communauté, la communauté et la nation. Par l’utilisation d’un
élément aussi simple que la paroi coulissante, l’individu était constamment
en contact avec la communauté, mais en en étant malgré tout séparé. Ainsi,
une personne pouvait demander à parler à une figure d’autorité à travers le
COMMUNAUTÉ JAPONAISE • 81
shoji afin d’éviter une confrontation directe.
Un autre espace qui mettait à distance était l’engawa (縁側), cette véranda
située sous le toit mais ouverte sur l’extérieur, qui permettait d’entrer en
contact avec l’extérieur sans y être totalement.
Le seul espace où les distances entre les individus disparaissaient totalement
était l’oku, l’espace de l’informel. Ici les politesses n’étaient pas nécessaires,
les détours non plus. Chacun parlait franchement et ouvertement, révélant
sa vraie nature, car il était au sein de sa famille. C’est là aussi que les
membres de la famille dormaient les uns près des autres.
Même si cette manière de construire et d’agencer la maison pourrait
être considérée comme compliquant physiquement l’espace, en fait
cela le simplifiait mentalement. Les enchaînements entre les différents
espaces étaient facilités, ainsi qu’entre les membres de la société, car la
confrontation n’était jamais directe. D’autre part le contact n’était jamais
rompu, et l’individu était toujours en lien avec la communauté.
La maison traditionnelle de l’époque Edo, par sa structure, ses proportions
et les fonctions qu’elle intègre, reflète la prééminence de la communauté
sur l’individu et l’importance du maintien constant du lien avec la
communauté.
III. ENVIRONNEMENT
28.  Page précédente:L’aurore à Isawa, Hokusai, 36 vues du Mont Fuji, Hokusai,
1831. (source: internet)
85
Chapitre 1. Milieu naturel japonais
« Le monde est comme le cerisier que l’on ne regarde pas pendant
trois jours. »1
a. Introduction théorique
Le milieu naturel, défini comme l’ « entité « objective » douée des trais
spécifiques (climatiques, topographiques, édaphiques, biologiques) et
s’offrant à son occupant avec une adéquation plus ou moins poussée à ses
techniques et à ses besoins. »2
a eu une grande influence sur la composition
de la maison car c’est pour s’en protéger que l’Homme a cherché un abri,
et ensuite a pris l’initiative d’en construire un3
. La maison a initialement été
une réponse contre les forces de la nature.
1  	 proverbe japonais: Yononaka wa mikka minu ma no sakura ka na, « 世の中は三日見ぬ
間の桜かな », qui signifie que le monde change continuellement.
2  	 Pezeu-Massabuau. « Le Japon à l’ère mégalopolitaine : éclatement de l’espace traditionnel
et insularité culturelle ». Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 36e année. no. 5.
1981. p. 817.
3  	 Engel, « The Japanese House: A Tradition for Contemporary Architecture », op. cit., p.
350.
MILIEU NATUREL JAPONAIS • 87
Du point de vue culturel, c’est au contact du milieu naturel que l’Homme
a développé sa conception du monde et de l’espace, et a pu par la suite, lui
donner du sens. La nature joue aussi un rôle dans le développement de la
manière de vivre d’un peuple.
D’autre part le milieu naturel fournit les matières premières avec lesquelles
l’Homme a bâti la maison en devant tenir compte de leur disponibilité et
de leurs caractéristiques physiques.
Dans ce chapitre une description du milieu naturel japonais, ses
caractéristiques géographiques, géologiques et climatiques, sera présentée.
Elle sera suivie d’un aperçu de la relation que les Japonais entretenaient
avec le milieu naturel à l’époque Edo. Cette relation était centrale à la vie
japonaise et elle était préservée au sein de la maison traditionnelle qui
faisait l’objet d’un renouvellement constant.
b. Japon:Isolementphysique,milieunaturelinhospitalier
et rareté des ressources naturelles
Le Japon est géographiquement séparé du reste du monde car il est
composé uniquement d’îles4
, situées entre l’Océan Pacifique et la mer du
Japon, au large de ce qui constituent aujourd’hui la Chine, la Corée du
Nord et la Corée du Sud. C’est un pays qui couvre 378 000 km25
le long
4  	 C’est un archipel de 8645 îles, dont les 4 principales forment 97% du territoire: Richard
John Bowring et Peter Francis Kornicki, « The Cambridge Encyclopedia of Japan »,
Cambridge: Cambridge University Press, 1993, p. 2.
5  	 Ibid.
29.  Page précédente: Mont Fuji (source: Hiro Nakamura)
88 • ENVIRONNEMENT
d’un axe Nord/Sud, avec un relief composé essentiellement de montagnes6
et de côtes. Du fait de cette situation géographique particulière, le Japon
présente des conditions climatiques différentes, parfois très sévères,
d’un bout à l’autre de son territoire. De plus, ses îles sont confrontées
aux éléments depuis la nuit des temps. De nombreux séismes7
, typhons,
cyclones, éruptions volcaniques8
les touchent régulièrement chaque année.
Le Japon a, en plus de ses quatre saisons: printemps, été, automne et hiver,
une saison des pluies, qui a lieu en juin et juillet pratiquement partout dans
le pays, et d’août à octobre c’est la saison des typhons, qui arrivent du
Pacifique Sud9
.
Le Japon est un pays dont les ressources naturelles sont pauvres à cause
de son relief montagneux et son sol pauvre. Seul le bois et l'eau étaient
toujours accessibles à cause de la grande étendue de ses forêts et les
précipitations abondantes. Pour survivre les ancêtres des Japonais ont
commencé à cultiver les quelques plantes indigènes à l’archipel comme
le soja. Par la suite, avec l'importation du riz, et de la riziculture de Chine
en passant par la Corée dès l’époque Yayoi10
(300 AC), le riz est devenu la
base alimentaire du pays.
6  	 Les montagnes couvrent 3/4 de la surface du Japon: Ibid.
7  	 Il y a en moyenne 7500 secousses sismiques au Japon chaque année: Masuda Tomoya.
« Japon ». Architecture Universelle. Fribourg: Office du livre. 1969. p. 7.
8  	 Le Japon compte 60 volcans toujours en activité, soit 10% de l’activité volcanique
mondiale actuelle: Bowring et Kornicki, « The Cambridge Encyclopedia of Japan. », op.
cit., p. 2.
9  	 Davies et Ikeno. « The Japanese Mind ». Singapore: Tuttle Pub, 2002, p. 153.
10  	 Shigenobu Nakayama, John Bester, et Kazuya Inaba, « Japanese Homes and Lifestyles:
An Illustrated Journey through History », New York: Kodansha International, 2000, p.
11.
MILIEU NATUREL JAPONAIS • 89
Dans ces conditions assez extrêmes, quelle était l’attitude des Japonais
par rapport au milieu naturel à l’époque Edo, et en quoi cela a-t-il eu une
conséquence sur la maison japonaise?
c. Milieu naturel et l’Homme - vivre dans un cadre fragile
et éphémère
Dans un milieu naturel aussi puissant, l’individu ne pouvait que s’y
contraindre, l’accepter, s’effacer derrière lui et s’y adapter. L’instabilité du
milieu naturel a donné aux Japonais le sentiment que tout est temporaire,
que rien, ni «  l’Homme ni ses oeuvres11
  », n’était permanent. Ils ont
accepté cette instabilité, contre laquelle ils étaient impuissants et cela a eu
une grande influence sur leur façon de penser et de vivre. Ils concevaient
la vie comme unique et constante mais ses matérialisations se faisaient
par un changement constant dans un éternel recommencement. C’est
par le bouddhisme que les Japonais ont conceptualisé ce sentiment
d’impermanence qui lui était sans doute préexistant12
.
Cette conception du monde s’est concrétisée dans la maisons japonaise de
l’époque Edo. Elle qui était particulièrement fragile par rapport au milieu
naturel japonais, et à ses différents climats, étant construite sur pilotis et
avec des poteaux en bois posés sur des pierres faisant office de fondation.
Ce choix du bois était meilleur dans le cas de séismes que, par exemple,
celui de la pierre, à cause de son élasticité. Mais, d’autre part, le manque
de contreventement latéral de cette construction à structure légère en bois
rendait la maison vulnérable aux typhons13
. De plus, le bois exposait aussi
11  	 Pezeu-Massabuau, « Le Japon à l’ère mégalopolitaine. », op. cit., p. 816.
12  	 Id., « La notion d’emprise sur le milieu géographique : l’exemple japonais », Annales.
Économies, Sociétés, Civilisations 27, no. 1, 1972, p. 105.
13  	 Engel, « The Japanese House », op. cit., p. 357.
90 • ENVIRONNEMENT
MILIEU NATUREL JAPONAIS • 91
92 • ENVIRONNEMENT
30.  La structure de la maison était fragile, et éphémère. (source: Musée des Beaux-
Arts de Leiden)
31.  Vue extérieure de la maison. Le toit est un élément qui participe à maintenir la
structure et à protéger des intempéries, tandis que les parois verticales sont fragiles et
amovibles(source: internet)
MILIEU NATUREL JAPONAIS • 93
la maison à la menace du feu. Et puis, le cycle de vie du bois étant assez
court (environ 50 ans), la maison demandait une réédification constante.
Les murs n’avaient pas de rôle structurel dans la construction de la maison.
La plupart des murs sont d’ailleurs devenus des éléments mobiles, très
fins, et laissant passer l’air. Le toit, yane (屋根), surdimensionné et lourd,
stabilisait la structure, mais en cas de séisme, il s’écroulait facilement à
cause du mouvement des piliers. Par contre il protégeait efficacement
contre les pluies importantes, et du soleil estival, car il dépassait largement
le mur extérieur de la maison. Les caractères du mot yane veulent dire la
« racine de la maison »14
, terme assez juste car le toit était le seul élément
qui fixait la maison au sol tout en la séparant de l’extérieur en protégeant
les habitants de la pluie. Le caractère du mot maison, ie (家), montre lui
aussi l’importance de la toiture dans la maison de manière très imagée. Il est
composé de 2 signes, un cochon sauvage sous un toit. Cette prédominance
et importance de la couverture se concrétisait dans tous les éléments de
la maison eux-aussi protégés par un auvent, comme la véranda, l’engawa (
縁側), le puits, ou encore les clôtures. C’était en fait le seul élément qui
offrait une protection plus ou moins efficace par rapport au climat, tout
en restant lui-même vulnérable à certains éléments.
Le cycle de la vie et les changements constants ayant toujours fait partie de
son existence, la société japonaise n’a pas combattu les éléments, mais les a
intégrés dans son principe de construction. La maison est alors devenue « 
[…] l’expression du sentiment de l’éphémère15
[…] », conception centrale
dans la culture japonaise.
14  	 Pezeu-Massabuau., « La Maison Japonaise », op. cit., p. 30.
15  	 Kato Shuichi, traduit par Christophe Sabouret, « Le temps et l’espace dans la culture
japonaise », Réseau Asie, Paris: CNRS Éditions, 2009, p150.
94 • ENVIRONNEMENT
d. Milieu naturel et temps - vivre ici et maintenant
Le caractère instable du milieu naturel a mené à une conception japonaise
particulière du temps et de l’espace. Il fallait vivre ici et maintenant16
. Ce
concept de l’expérience immédiate, selon lequel la « réalité des choses est
saisissable immédiatement, telle qu’elle se donne au lieu et à l’instant mêmes
de l’expérience »17
, a été central dans le développement de l’enseignement
zen au Japon.
Un parallèle peut être fait entre cette pensée japonaise et la maison
traditionnelle de l’époque Edo. En effet, la structure de la maison,
constituée de piliers et d’un toit, permettait un usage flexible de l’espace
intérieur resté vide. Il pouvait être adapté à l’usage désiré à chaque instant.
Alors que la salle de bain, la cuisine et les espaces de transition étaient des
espaces fixes, l’espace de vie changeait constamment, étant tour à tour
salon, salle à manger, chambre ou même salle de réception dans les petites
maisons. Pour ce faire, les parois coulissantes, shoji (障子) ou fusuma (襖),
et les meubles, étaient mobiles. En combinant les deux l’espace acquerrait
une signification.
L’espace était dynamique, il se métamorphosait constamment par la sortie
ou le rangement d’un meuble, par l’ouverture ou la fermeture d’un shoji
selon la situation, la saison ou les personnes présentes dans la pièce.
L’Homme ne se déplaçait pas d’un espace à l’autre, mais restait dans le
même espace tandis que celui-ci était constamment redéfini en fonction
des circonstances de son quotidien.
Le mot pour salle de vie, ima (居間), se prononce d’ailleurs comme le mot
16  	 Sujet abordé dans: Kato et Sabouret, « Le temps et l’espace dans la culture japonaise ».
17  	 Berque, « Vivre l’espace au Japon », op. cit., p. 51.
MILIEU NATUREL JAPONAIS • 95
maintenant, ima (今), en japonais. Cette notion d’immédiateté de l’espace
habité est très présente, jusque dans le mot lui-même.
Un seul espace devenait pluriel, diminuant considérablement les besoins
en espace brut et par conséquent la surface de la maison japonaise.
Avec le changement d’aménagement et de fonction de la pièce, le
comportement de ses occupants changeait aussi, devenant plus formel
quand l’espace devenait une salle de réception, ou plus familier quand
les habitants étaient entre eux. Chacun devait constamment réévaluer la
situation et adapter son comportement en conséquence.
La société japonaise vivait donc ici et maintenant, et c’est uniquement dans
l’instant présent que l’espace recevait une signification. Pour comprendre
la signification de l’espace la personne devait connaitre les signes présents
dans l’espace et adapter son comportement en fonction de cela. Ainsi
l’espace et l’individu assimilaient constamment une nouvelle signification.
e. Habiter le milieu naturel
Avant que le Japon ne développe des contacts continus avec la Chine
(VIIème siècle), les Japonais n’avaient pas de mot pour exprimer le
milieu naturel. Ils ne faisaient pas de distinction entre eux-mêmes et le
milieu naturel qui les entourait18
, ils en étaient la continuité. Comme il
était toujours présent, et malgré qu’il soit toujours changeant, les Japonais
vivaient en parfaite harmonie avec lui. Ils ont adopté le mot pour exprimer
la nature, shizen (自然), de Chine.
18  	 Berque, « Vivre l’espace au Japon », op. cit., p. 152.
96 • ENVIRONNEMENT
MILIEU NATUREL JAPONAIS • 97
La maison elle-même était l’expression de cette conception de cohésion
entre l’Homme et la nature. Elle exposait totalement ses habitants aux
élémentsnaturels.Commeelle« étaitpratiquementtoujoursàlatempérature
extérieure »19
les habitants vivaient au rythme des saisons en façonnant des
objets qui leur permettaient de survivre aux conditions climatiques.
En hiver un bain chaud, furo (風呂), tous les jours, servait à se réchauffer.
On portait aussi des vêtements plus épais, et on changeait tous les éléments
mobiles de la maisons, comme les portes coulissantes, les shoji (障子) et les
fusuma (襖). La nuit, on remplissait un récipient à charbon, appelé kotatsu
(炬燵), qu’on plaçait ensuite entre le sol et la couette, futon (布団), et qui
offrait la chaleur nécessaire jusqu’au lendemain matin. On utilisait d’autres
moyens pour se chauffer la journée, comme l’irori (居炉裏), le foyer pour
cuisiner, l’hibachi (火鉢), un brasero, ou un kotatsu plus grand, qu’on
mettait dans une sorte de cage en bois, sur laquelle on disposait un plateau
qui servait alors de table. Une couette était alors placée autour du kotatsu,
et on venait se réchauffer les jambes en les mettant sous la couette20
. « On
chauffe donc ici la personne »21
.
Avec l’arrivée du printemps, le kotatsu était rangé, on changeait les parois
coulissantes (les shoji et les fusuma) pour mettre des portes qui laissaient
passer l’air. Un écran en bambou était posé sur la véranda pour protéger
du soleil bas de fin de journée, et les panneaux muraux extérieurs étaient
totalement enlevés afin de permettre au vent de passer à travers la maison.
Tous les sens étaient alors en contact avec la nature.
19  	 Pezeu-Massabuau, « Problèmes géographiques de la maison japonaise. » Annales de
Géographie 75, no. 409, 1966, p. 286
20  	 Engel, « The Japanese House », op. cit., p. 361.
21  	 Pezeu-Massabuau, « Problèmes géographiques de la maison japonaise », op. cit., p. 291.
32.  Courtisane et la neige, Utagawa Toyokuni, 1800 (source: internet)
98 • ENVIRONNEMENT
MILIEU NATUREL JAPONAIS • 99
Le toit et le sol débordaient de l’aire de la maison proprement dite, et
formaient l’engawa (縁側), espace de transition n’appartenant ni à l’intérieur
ni à l’extérieur. Celui-ci servait à protéger la maison des intempéries, mais
avait une autre fonction, plus symbolique. C’était le prolongement de la
nature dans la maison et de la maison dans la nature.
L’engawa et les parois coulissantes contribuaient à dissoudre les frontières
entre l’intérieur et l’extérieur, physiquement et mentalement. Chacun
pouvait laisser la nature pénétrer totalement dans l’espace de vie en
ouvrant les shoji, et y était alors confronté avec tous ses sens. « La pièce
était intégrée à la nature, la nature à la pièce. »22
. La nature et ses effets
animaient la pièce et lui donnaient un sens particulier.
Alors que la personne était toujours en relation avec la nature elle l’était
aussi avec la communauté, à travers la maison dont la structure permettait
cette correspondance.
La maison n’isolant pas complètement l’intérieur de l’extérieur, les Japonais
maintenaient des rapports étroits avec la nature, ressentant physiquement
ses effets, observant ses changements constants, vivant au rythme des
saisons, et subissant les bouleversements soudains de ses catastrophes.
f. Milieu naturel et son symbole, le jardin - vivre dans un
espace miniaturisé
Les Japonais ont d’emblée dû composer avec peu de ressources. Une
22  	 Robert Klanten, « Sublime: New Design and Architecture from Japan », Berlin, Die
Gestalten Verlag, 2011, p. 3.
33.  Jardin Ryoan-Ji (source: internet)
100 • ENVIRONNEMENT
34.  Plan de jardin de l’époque Edo (source: Musée des Beaux-Arts de Leiden)
MILIEU NATUREL JAPONAIS • 101
grande partie du territoire est restée sauvage car difficilement habitable23
.
Les Japonais ont donc dû apprendre à vivre les uns avec les autres en vivant
dans des petits espaces. La rareté des ressources naturelles, l’espace limité,
les phénomènes climatiques violents ont été des facteurs déterminants
dans l’évolution de la maison. Il fallait aussi beaucoup travailler pour
survivre, ce qui a eu un impact énorme sur le caractère des Japonais. Dans
la construction de la maison cela signifiait aller au plus simple et prévoir
un espace minimum nécessaire à la vie d’une famille.
Cette capacité de réduction de l’espace trouvait son apogée dans la
conception du jardin, teien (庭園). C’était une représentation à échelle
réduite d’une image idéale de la nature. Il représentait les concepts
esthétiques du zen bouddhiste selon lesquels la totalité de l’univers existait
dans un petit espace.
Quand il entourait la maison il avait un rôle purement esthétique, mais
c’est à travers son rôle méditatif qu’il a été développé par les moines
bouddhistes.
Le jardin était une représentation miniature, une évocation de la réalité
représentée par des symboles: la pierre représentant la montagne, l’étang
la mer24
. De nombreux traités sont apparus codifiant la mise en forme du
jardin, le plus célèbre étant le Sakuteiki (作庭記), écrit à la fin de la période
Heian (XIème siècle25
) sans doute par Tachibana Toshitsuna (橘俊綱)(1028-
94), qui donnaient des règles bien précises pour la conception du jardin.
23  	 Bowring et Kornicki, « The Cambridge Encyclopedia of Japan. », op. cit., p. 25.
24  	 Buckley, Sandra, Encyclopedia of Contemporary Japanese Culture. London: Routledge,
2002, p. 163.
25  	 Ibid.
102 • ENVIRONNEMENT
MILIEU NATUREL JAPONAIS • 103
104 • ENVIRONNEMENT
Le jardin japonais était un processus de codification et d’artificialisation
extrême, nécessitant un travail minutieux, qui a mené à une miniaturisation
et une simplification extrême de l’espace, mais ayant énormément de
signification.
Plusieurs caractéristiques de l’environnement naturel du Japon ont
influencé le peuple japonais dans ses croyances et dans sa manière de
vivre : l’insularité qui l’a isolé, les phénomènes naturels parfois violents
et destructeurs, la rareté des matières premières, le manque d’espace
habitable. Cela a mené à un sentiment d’impermanence et au concept de
l’éternel recommencement ce qui n’a pas empêché les Japonais de vouloir
rester très proches de la nature.
Auniveaude lamaisontraditionnelle,celasetraduisaitparlareconstruction
ou la rénovation régulière, par une conception permettant de rester en
contact avec la nature et les éléments et par la possibilité d’adaptation de
l’aménagement des espaces de l’habitation aux circonstances.
105
Chapitre 2. Politique Tokugawa à l'époque Edo
a. Introduction théorique
La politique, définie comme l’« ensemble des options prises collectivement
ou individuellement par les gouvernants d’un État dans quelque domaine
que s’exerce leur autorité (domaine législatif, économique ou social,
relations extérieures) »26
est déterminante dans toute société car le pouvoir
en place à un endroit et à un moment donné prend des décisions d’ordre
économique, culturel, social, artistique, concernant les relations avec
l’étranger, qui ont un impact sur son évolution culturelle.
La naissance, le développement et l’évolution d’une nation, et de son
habitation, sont fonction notamment des relations qu’elle entretient avec
les nations qui l’entourent. La nature de ces relations et leur évolution
dans le temps entraine l’importation et l’adoption, à des degrés divers,
de traits venant de l’étranger, et touchant tous les aspects de la vie. Ces
traits vont avoir un impact sur l’habitat: directement par «  l’adoption
de caractéristiques architecturales »27
; indirectement par « l’introduction
26  	 « Politique». Le Petit Larousse Illustré. Paris: Larousse, 1999. p. 800.
27  	 Engel, « The Japanese House », op. cit., p. 339.
106 • ENVIRONNEMENT
de pensée ou tradition étrangère, qui sera ensuite concrétisée dans le
bâtiment.»28
.
La position géographique du pays influence initialement son rapport avec
les autres pays, mais ce sont surtout les décisions prises par les politiciens
concernant les relations entretenues avec les pays tiers qui auront un
impact sur leurs influences mutuelles.
Dans le cadre de ce travail la politique sera abordée de manière
chronologique, en tentant de comprendre d’abord des rapports entre le
Japon et les pays proches de lui avant l’époque Edo, pour ensuite aborder
la fermeture des frontières du Japon en 1639, et la politique intérieure du
pays pendant toute l’époque Edo. La question qui se pose est de savoir
en quoi les relations du Japon avec ses pays voisins, et avec d’autres pays
tiers, ont eu des conséquences sur la culture japonaise et la formation de
son habitat.
b. Les relations du Japon avec l’étranger avant la période
Edo: l’impact de la Chine
La position géographique particulière du Japon a été mentionnée
précédemment: pays insulaire, il est à la fois proche du continent asiatique,
mais malgré tout, séparé de la Chine et de la Corée, par la mer. Cette
position l’a protégé des invasions.
D’autre part, l’insularité du Japon a permis au pays de réguler son ouverture
vis-à-vis des autres pays, les favorisant à certains moments de son Histoire,
28  	 Ibid.
POLITIQUE TOKUGAWA À L'ÉPOQUE EDO • 107
les freinant à d’autres. Ainsi, déjà au milieu de l’époque Heian29
(IXème
siècle) le Japon a mis fin aux relations avec la Chine en ordonnant la
fermeture de l’ambassade chinoise et en interdisant de s’y rendre. Ce n’est
que deux siècles plus tard que les contacts ont été rétablis officiellement.
Cette isolement politique et commercial du pays a été répété à l’époque
Edo.
Cette position géographique a aussi eu des conséquences sur l’introduction
d’éléments étrangers dans le pays. En effet, ce n’est qu’à travers la Chine
et la Corée que le Japon importait des éléments culturels étrangers qui
avaient déjà subi un processus d’absorption dans ces deux pays, créant
ainsi un « filtre » entre le Japon et le reste du monde.
Finalement, le Japon a entretenu des relations commerciales privilégiées
avec la Chine, son voisin géographique, et les a étendues aux missionnaires
venus d’Europe à l’époque Muromachi (XVIème siècle)30
.
Tantôt très protectionniste, tantôt formant des alliances politiques, tantôt
cherchant à se positionner au sein du commerce mondial, le Japon a profité
de son isolement mais l’a aussi subi. Cela a été une question d’époque,
d’opportunité mais surtout de choix économique et politique.
1. Politique d’importation et de japonisation d’éléments étrangers
Le Japon a adopté de nombreux traits de la société chinoise31
tout au long de
son Histoire, mais la mer qui le sépare de la Chine entrainait un processus
particulier d’assimilation à la culture japonaise, créant une coupure entre
29  	 Kato et Sabouret, « Le Temps et l’espace dans la culture japonaise », op. cit., p. 160.
30  	 Bowring et Kornicki, « The Cambridge Encyclopedia of Japan. », op. cit., p. 328.
31  	 Kato et Sabouret, « Le temps et l’espace dans la culture japonaise », op. cit., p. 157.
108 • ENVIRONNEMENT
l’original et sa reproduction japonaise. D’abord seuls les traits créant un
écho dans la culture japonaise y restaient durablement, les autres ne s’y
implantant pas définitivement. Ainsi la chaise qui avait été importée de
Chine ne s’est jamais répandue à tout le pays32
.
Le trait introduit à la culture japonaise n’était qu’une imitation formelle, et
non sa signification, son essence. Les Japonais lui donnaient alors un sens,
et l’assimilaient à leur propre culture. Ces importations ont affecté tous
les aspects culturels et sociaux de la vie japonaise: écriture, arts, système
économique, philosophies, technique, urbanisme et bien sûr architecture33
.
Le résultat de ce processus d’assimilation a été que, pendant longtemps,
la société nippone n’a plus vraiment tenté d’innover mais cherchait plutôt
à importer du continent les progrès sociaux et les nouveautés culturelles.
Cela dit il y a toujours eu une « japonisation » des importations (c’est-à-dire
une adaptation des éléments importés aux caractéristiques de la société
japonaise) grâce à laquelle le peuple a gardé sa personnalité nationale.
L’Histoire du Japon, qui a permis la coexistence34
entre le shintoïsme, le
bouddhisme peut expliquer ce mécanisme. Avec l’importation de Chine,
du bouddhisme au début de la période Asuka (en 55235
), l’emprise du
shintoïsme, qui légitimait le pouvoir de la famille impériale, a diminué.
Seulement, comme le bouddhisme renforçait l’autorité du pouvoir en
place en facilitant la centralisation de l’Etat36
, une solution a été cherchée
32  	 Philippe Bonnin, Benoît Jacquet, and Nishida Masatsugu, « Dispositifs et notions de la
spatialité japonaise », op. cit., p. 283.
33  	 Engel, « The Japanese House », op. cit., p. 344.
34  	 Bowring et Kornicki, « The Cambridge Encyclopedia of Japan », op. cit., p. 158.
35  	 Ibid..
36  	 Berque, « Dictionnaire de la civilisation japonaise », op. cit., p. 52.
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  • 1. SIMPLICITÉ DE LA MAISON JAPONAISE TRADITIONNELLE: TRAIT CULTUREL?
  • 2.
  • 3. SIMPLICITÉ DE LA MAISON JAPONAISE TRADITIONNELLE: TRAIT CULTUREL? Juliette Dubois Sous la direction de Christine Schaut Travail de Fin d’Etudes - 2014 Faculté d’Architecture ULB - La Cambre Horta
  • 4.
  • 5. Remerciements Je tiens avant tout à remercier mes parents, ma famille et mes amis pour m'avoir soutenu tout au long de mes études d'architecture. Je tiens tout particulièrement à remercier mes amies Esther Kotek, Roxane Quarré et Béatrix Woringer pour avoir traversé ces moments de travail intense, et pour m'avoir encouragé dans la réussite de mes études. Dans le cadre de ce travail de fin d'études, mes remerciements vont à ma promotrice, Christine Schaut pour ses conseils et son accompagnement qui m'ont été précieux. Merci à Andreas Thele d'avoir accepté avec un tel enthousiasme de lire ce travail et de prodiguer son expertise dans ce sujet qui lui est si familier. Enfin merci à ma mère qui a accepté de relire et de corriger maintes et maintes fois les erreurs que j'avais pu faire. Bonne lecture!
  • 6.
  • 7. TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENTS3 AVANT-PROPOS11 INTRODUCTION15 I. DESCRIPTION DE LA MAISON JAPONAISE 21 Chapitre 1. Composition de la maison japonaise 23 a. Structure de la maison 23 b. Différenciation à l’intérieur de la maison 27 c. Progression à travers la maison 29 d. Eléments mobiles intégrés à la maison 33 Chapitre 2. Temporalité de la maison japonaise Forme immuable, matériaux éphémères 41 Chapitre 3. Construction de la maison japonaise par les charpentiers - perpétuation des formes 43 a. Techniques et outils de construction 47 b. Etapes de la construction de la maison 51 II. VIE SOCIALE 55 Chapitre 1. Famille japonaise 57 a. Introduction théorique 57 a. Famille et individu au Japon 59 b. Famille et genres - habiter la maison au masculin et au féminin60
  • 8. c. Famille et tatami - modules de composition de la maison 61 d. Famille et rituels - apprendre à habiter dans la société 67 Chapitre 2. Communauté japonaise 69 a. Introduction théorique 69 b. Primauté de la communauté sur l’individu au Japon 70 c. Communauté et nation - habiter un espace homogène et harmonieux74 d. Communauté et vie privée - envelopper le privé dans le public75 e. Communauté et liens - créer la juste distance pour habiter en harmonie77 III. ENVIRONNEMENT 83 Chapitre 1. Milieu naturel japonais 85 a. Introduction théorique 85 b. Japon: Isolement physique, milieu naturel inhospitalier et rareté des ressources naturelles 87 c. Milieu naturel et l’Homme - vivre dans un cadre fragile et éphémère89 d. Milieu naturel et temps - vivre ici et maintenant 94 e. Habiter le milieu naturel 95 f. Milieu naturel et son symbole, le jardin - vivre dans un espace miniaturisé99 Chapitre 2. Politique Tokugawa à l'époque Edo 105 a. Introduction théorique 105 b. Les relations du Japon avec l’étranger avant la période Edo: l’impact de la Chine 106 1. Politique d’importation et de japonisation d’éléments étrangers107 2. Importation de la forme de la maison de l’étranger 109 c. Politique nationale protectionniste - lois somptuaires et régulation de la société japonaise 110
  • 9. 1. Politique de codification de la société japonaise - habiter un espace standardisé 112 2. Uniformisation de la façon de vivre en conséquence à la politique - habiter un espace homogène 115 Chapitre 3. Religions et confucianisme 119 d. Introduction théorique 119 a. Religions et la maison - vivre la religion au quotidien 120 1. Shintoïsme, religion de la purification 121 2. Bouddhisme 124 Zen, atteinte de l’illumination par une discipline au quotidien130 b. Confucianisme, base de la hiérarchie sociale 131 Chapitre 4. Esthétique japonaise et culte du thé 133 a. Introduction théorique 133 b. Le culte du thé au Japon - plaisir dans la simplicité 134 c. Esthétique du thé et maison - éprouver du plaisir à vivre dans la simplicité 137 d. Pavillon de thé - épuration de l’esthétique de la simplicité 141 e. Nouvelle esthétique - vivre dans une forme fixe 145 CONCLUSIONS149 BIBLIOGRAPHIE167
  • 10.
  • 11. 家 PÉRIODE JOMON (1500AC-400AC: PÉRIODE KOFUN (250 PC - 600) PÉRIODE NARA (645- 794) PÉRIODE KAMAKURA (1185-1332) PÉRIODE MOMOYAMA (1568-1615) PÉRIODE YAYOI (. 400 AC - 250 PC) PÉRIODE ASUKA (538/552-645) PÉRIODE HEIAN (794- 1185) PÉRIODE MUROMACHI, (1392-1568) PÉRIODE EDO: (1615- 1867)
  • 12.
  • 13. Avant-propos En modifiant l’environnement dans lequel l’Homme vit et évolue, l’architecte, par ses actes et ses réalisations, a une influence sur la société. Cette influence débute dans notre quotidien où elle s’immisce par le biais de nos habitations. L’architecte innove et évolue tout en tenant compte de l’Homme, acteur essentiel au sein de ses projets. En effet, l’être humain donne forme et sens à l’espace qu’il habite, et les différences entre les formes d’habitat sont dues essentiellement à la culture de ceux qui l’ont construit et qui y vivent. J’ai donc voulu m’intéresser de plus près à cet aspect de l’architecture qui est lié à la relation entre l’Homme et son foyer, au rapport entre sa culture et sa maison.  Pour illustrer et argumenter mon propos, j’ai choisi de me concentrer sur l’exemple de la maison japonaise traditionnelle, car j’y ai trouvé une simplicité qui se manifeste non seulement dans la maison elle-même, mais aussi dans tous les aspects de la vie japonaise. Cette concordance m’a semblé révélatrice du lien essentiel entre architecture et culture. De plus, cette simplicité elle-même me plait beaucoup car elle va à l’essentiel. Il m’a paru intéressant de partir de cet exemple pour illustrer mon propos en analysant de manière approfondie la signification de la maison pour le peuple japonais au sein de sa culture et, à partir de mes observations, de
  • 14. 12 tirer des conclusions pouvant s’appliquer à d’autres types d’habitations et d’environnements. Ce travail m’a permis de mieux comprendre le rapport entre l’Homme et son habitation, ce qui me sera utile dans mon rôle de future architecte et de découvrir des pistes que j’aurai plaisir à explorer à l’avenir.
  • 15.
  • 16.
  • 17. Introduction Sujet A partir de l’exemple de la maison traditionnelle japonaise, ce travail examine le lien étroit entre culture et architecture. La maison sera le point central autour duquel le travail sera développé parce qu’elle est le « noyau de la vie et de la culture1  » d’un peuple, et c’est elle qui exprime avec le plus de justesse sa conception de l’espace. Entre tradition et innovation, nature et (hyper)civilisation, artisanat et industrie, geisha et manga, le Japon est un pays de contrastes. Pourtant un des traits marquant de sa culture est la simplicité de ses créations, le fait de se concentrer sur l’essentiel dans de nombreux aspects de la vie. Cette simplicité se retrouve dans les objets du quotidien comme les baguettes, hashi (箸), deux morceaux de bois servant de couverts et d’ustensiles de cuisine, les origami (折り紙), des carrés de papier pliés transformés en véritables oeuvres d’arts, les sashimi (刺身), simples morceaux de poisson cru qui ont été élevés au rang de la gastronomie, les haïku (俳句), célèbres poèmes très courts, ou l’ie (家), la maison japonaise traditionnelle. 1   Rapoport, Amos, «  Culture, Architecture et Design  », Collection Archigraphy. Témoignages, Gollion: Infolio, 2003, p 30.
  • 18. 16 La période considérée est la période Edo, de 1603 à 1867. C’est une époque clé au Japon, car c’est au cours de celle-ci que le pays s’est isolé du reste du monde. Cet isolement a donné lieu à l’affirmation dans la société, des traits déjà existants permettant le développement d'une culture japonaise. L’exemple choisi de la maison de la fin de l’époque Edo (début du XIXème siècle), après plus de deux siècles d’isolement du Japon, représente l’apogée d’une matérialisation des traits caractéristiques de la culture nippone. Objectifs De quelle manière la simplicité faisait-elle partie de la maison? La simplicité a-t-elle été consciemment recherchée à l’époque Edo, et si oui, l’a-t-elle été dans tous les aspects de la vie? Etait-elle toujours le résultat d’une influence culturelle? L’objectif est de comprendre comment une architecture exprime les valeurs culturelles d’une société. L'analyse de la vie sociale et de l'environnement au Japon ainsi que de ce qui a fait la maison traditionnelle offrira les pistes permettant de comprendre l'origine de cette simplicité et de sa concrétisation dans l'espace domestique. En analysant la vie sociale et l’environnement au Japon il sera possible de comprendre l’origine de cette simplicité, et sa concrétisation dans l’espace domestique. Cadre Ce travail part du principe que toute société, c’est-à-dire un « Ensemble d’êtres humains vivant en groupe organisé »2 , est composée d’individus qui 2   « Société ». Le Petit Larousse Illustré, op. cit., p. 916.
  • 19. 17 ont un sentiment d’appartenance à elle au travers d’une identité collective3 . Cette identité est fondée sur des traits partagés par les membres de la société, qui la distinguent des autres, et la rendent unique. De manière générale, la fondation de toute société suppose l’existence d’une culture qui lui est propre, c’est-à-dire « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. »4 . Cette culture est en constante évolution à cause des influences mutuelles que ses propres traits exercent les uns sur les autres et parce qu'elle est influencée par les circonstances et les époques. L’évolution des formes de la maison familiale et la manière dont les traits culturels japonais les ont influencées sera analysée. Par contre la relation de chaque individu avec sa maison n’est pas abordée car le choix a été fait de se placer au-dessus de l'individu et de baser ce travail sur les notions liées à la collectivité en commençant par le noyau familial. Méthode Ce travail se limitera à mettre à jour certains éléments de la relation entre la culture nippone et sa maison à travers la simplicité dans le contexte japonais de l’époque Edo. 3   Augustin Berque, «  Vivre l’espace au Japon  », Espace et Liberté, Paris: Presses universitaires de France, 1982, p. 15. 4   Définition de l’UNESCO de la culture, Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982.
  • 20. 18 Structure du travail Le sujet est traité, à la manière japonaise, en partant du détail pour aller vers les notions plus générales. Le travail débute par la description de la maison, en tant qu’environnement concret et matériel, puis il s’agit de la famille, de la formation et de la structure des communautés et de la société en général, ensuite, ce sont les influences du milieu naturel, de la politique et des religions qui sont expliquées pour terminer par la notion d’esthétique. Les chapitres ne correspondent pas à une séquence chronologique mais abordent simultanément un même sujet et une même période sous un angle chaque fois différent.
  • 21.
  • 22.
  • 23. I. DESCRIPTION DE LA MAISON JAPONAISE
  • 24. 1.  Villa Katsura (source: What is Japanese Architecture?)
  • 25. 23 Chapitre 1. Composition de la maison japonaise1 La standardisation de la maison était imposée par des lois qui ont été en vigueur pendant des siècles. Ce chapitre se concentrera sur la description de la maison traditionnelle japonaise de la fin de l'époque Edo. a. Structure de la maison Construite sur base d’un assemblage de poteaux et de poutres emboités les uns dans les autres, la maison japonaise traditionnelle de l’époque Edo était positionnée sur des pierres posées à même le sol qui faisaient office de fondations. Certaines poutres faisaient office de pilotis car une partie de la maison était surélevée. Le poids du toit la maintenait au sol. Les autres éléments de la maison n’avaient aucun rôle structurel dans sa construction, et ne faisaient que remplir les espaces vides de la charpente. Comme chaque élément de la maison était standardisé, sa construction était assez rapide. 1   Ce chapitre trouve ses sources dans les livres suivants : Shigenobu Nakayama, John Bester, et Kazuya Inaba, « Japanese Homes and Lifestyles: An Illustrated Journey through History », New York: Kodansha International, 2000 ; Kazuo Nishi, « What Is Japanese Architecture?: A Survey of Traditional Japanese Architecture », New York: Kodansha USA, 2012 ; Jacques Pezeu-Massabuau, « La maison japonaise », Bibliothèque Japonaise, Paris: Publications orientalistes de France, 1981.
  • 26. 24 • DESCRIPTION DE LA MAISON Types de planchers Types de plafonds lattes en bambou plancher lattes en bambou solives latté mur écran translucide volet en bois écran translucide volet en bois écran translucide volet pour la pluie véranda extérieure écrans translucides véranda extérieure volet pour la pluie Types de parois coulissantes Toit en chaume Toit en bardeaux Toit en tuiles Toit en écorce de cyprès Types de toits 2.  Dessin d'une maison japonaise ( Source: What is Japanese Architecture?) 3.  Schémas des parties de la maison ( Source: Japanese Homes and Lifestyles)
  • 27. COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 25 Des poutrelles venaient s’insérer dans la structure de poteaux-poutres décrite précédemment, selon un entrecolonnement aux dimensions standardisées appelées ken (間). La mesure du ken a varié au cours du temps en fonction des lois qui le définissaient, mais, elle faisait toujours la longueur d’un tatami1 (畳), tapis fait de paille de riz tressée. A l’époque Edo, un tatami mesurait 182 cm de long sur 91cm de large et avait une épaisseur de 2 à 3 cm2 .Il jouait un rôle essentiel dans les proportions de la maison, qui sera expliqué plus tard. Le plancher en bois de la maison était surélevé par rapport au niveau de la terre. Deux types de cloisons servaient à délimiter l’enceinte de la maison: celles faites avec du torchis qui remplissait l’intervalle entre 2 poutrelles, et les parois mobiles, tategu (建具), de la taille d’un ken. Une paroi mobile pouvait être soit un shitomi (蔀), volet composé d’un treillis en bois, soit un shoji (障 子), porte coulissante composée d’une structure en bois sur laquelle était collée du papier de riz, laissant passer la lumière. Le toit, comme le reste de la maison, était formé d’une charpente en bois qu’on recouvrait soit de chaume ou de roseau, soit avec des tuiles, et parfois même avec des bardeaux ou de l’écorce. Il avait une forme différente en fonction du matériau choisi, du type d’habitation et de la région, mais tout cela était codifié par la standardisation. A l'époque Edo, des décisions politiques prises pour diminuer le nombre d'incendies, ont imposé l'usage des tuiles qui s'est généralisé dans les villes mais pas dans le reste du Japon. 1   Kazuo Nishi, «  What Is Japanese Architecture?: A Survey of Traditional Japanese Architecture », New York: Kodansha USA, 2012, p. 12. 2 Philippe Bonnin, Masatsugu Nishida, et Mizuki Cruz-Saito, « Le tatami et la spatialité japonaise », Ebisu 38, no. 1, 2007, p. 55.
  • 28. 26 • DESCRIPTION DE LA MAISON Irori champ corridor zashiki alcove entrée arrière espace de circulation puit accès à la cuisine genkan accès principal jardin espace de rangements cuisine, située dans le doma ima armoire accès du jardin vers l'extérieur engawa 4.  Extérieur de la Villa Katsura (source: internet) 5.  Organisation de l'espace intérieur de la maison( source: Japanese Homes and lifestyles)
  • 29. COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 27 De manière générale les maisons n’avaient qu’un étage, le rez-de- chaussée, mais certaines maisons urbaines pouvaient comporter un étage supplémentaire. Il s’agissait de l’exception. L’aspect extérieur de la maison restait très simple, laissant les matériaux apparents, les cloisons dépouillées, faisant d’elle l’expression honnête de sa structure. b. Différenciation à l’intérieur de la maison Le type de sol définissait les différents espaces de la maison, selon qu’il était nu et en terre, surélevé et avec du plancher, ou avec du plancher recouvert de tatamis. L’espace d’entrée et les espaces fonctionnels comme la cuisine, daidokoro (台所) ou katte (勝手), la toilette, ou la salle de bain, étaient situés dans la partie à même le sol, doma (土間). Les espaces de circulation, couloirs ou circulations extérieures, avaient un plancher surélevé par rapport au sol. Dans les espaces de vie, le plancher surrélevé était recouvert de tatamis dont l'utilisation s’est généralisée au Japon à la fin de l’époque Edo (XVIIIème siècle). Différents types d’éléments verticaux délimitaient les pièces: des cloisons fixes en torchis, généralement placées dans les espaces fonctionnels, ou des parois coulissantes dans les espaces de vie. Celles-ci étaient modulables et pouvaient être retirées ou remplacées selon les circonstances. Il s’agissait du fusuma (襖), paroi opaque composée d’une structure en bois sur laquelle étaient collée des papiers superposés qui était parfois peinte et devenait alors un élément de décoration, utilisée généralement pour séparer les espaces intérieurs entre eux, ou du shoji, porte translucide, aussi utilisée
  • 30. 28 • DESCRIPTION DE LA MAISON 6.  Intérieur d'une pièce à tatamis avec des fusuma et des shoji ( source: Ishimoto Yasuhiro) 7.  La cuisine située dans le doma (source: internet)
  • 31. COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 29 pour séparer les espaces intérieurs de l’extérieur. Les parois coulissantes pouvaient être enlevées pour agrandir la pièce. Un dernier type de cloisonnement pouvait délimiter les pièces: une armoire encastrée entre deux colonnes, tana (棚). Les espaces de vie étaient très peu différenciés physiquement puisque composés pratiquement des mêmes éléments. C’était par leur organisation spatiale au sein de l’organisme de la maison et ensuite par l’utilisation de l’espace par les habitants qu’ils recevaient une « signification » , une fonction particulière. Une autre différenciation était parfois faite entre les différentes zones de la maison par le plafond, qui pouvait être laissé nu et montrer la structure du toit dans la zone du doma, tandis que les autres zones de la maison avaient un plafond suspendu cachant la structure du toit. c. Progression à travers la maison Avant d’entrer dans l’espace intérieur d’une maison il fallait retirer ses chaussures en s'asseyant sur le genkan et en posant ses pieds sur une pierre située au sol, kutsunugi-ishii (沓脱石 )ce qui constituait un rituel typique pratiqué dans tout le pays. La taille et l’agencement des différentes pièces étaient standardisés et le nombre de pièces et leurs dimensions étaient fixées selon la classe sociale et la richesse des habitants. Les habitations de l’élite avaient un plus grand nombre de pièces, avec des fonctions plus spécialisées. Malgré ces différences, l’articulation entre les différentes zones de la maison, quelle que soit la classe sociale, ne changeait pas, chacune ayant une fonction spécifique au sein de la maison et par rapport au tout. Il
  • 32.
  • 33. COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 31 s’agissait de l’avant, omote (表), du fond, le coeur, oku (奥), de l’arrière, ura (裏), et des circulations, en (縁)3 . Omote était accessible par un hall d’entrée officiel, genkan (玄関)4 , qui menait vers les pièces de réception, zashiki (座敷). Cet espace était positionné à l’avant de la maison et était le premier à être parcouru lors du cheminement à travers la maison à partir de la rue. Sa fonction était formelle, destinée à la réception des invités. Les pièces de réception étaient tournées vers le jardin orienté au sud. Quand il n’y avait aucun invité, cette zone était réservée au chef de famille. Oku, voulant littéralement dire « ce qui est dans le coeur »5 , contenait l’espace du quotidien. L’espace de vie principal, ima (居間), y était situé. C’était le lieu où se déroulait la vie de famille tout au long de la journée. Les habitants y mangeaient, y dormaient, y effectuaient des tâches d’ordre sédentaire, s’y réunissaient en famille et y recevaient des parents ou amis proches. Comme c’était l’espace des activités les plus intimes, il était situé au coeur de la maison, et c’était par un cheminement à travers la maison qu’on y arrivait, passant de la sphère publique à la sphère privée. C’était aussi l’espace où les rites religieux étaient pratiqués. Ura, l’arrière, était à l’arrière de la maison, et avait parfois un accès séparé. Cette zone constituait l’espace des activités domestiques, avec la cuisine, les espaces de rangements, voire même les chambres des servantes dans 3   Augustin Berque, «  Vivre L’espace Au Japon  », Espace et Liberté,Paris: Presses universitaires de France, 1982, p. 124. 4   Le genkan était réservé à la noblesse au début de la période Edo, mais son utilisation a été graduellement autorisée aux autres classes de la société au cours de la période Edo. 5   Ibid. 8.  Page ci-contre: le kutsunugi-ishii et le genkan ( source: Nobuo Furashi)
  • 34. 32 • DESCRIPTION DE LA MAISON
  • 35. COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 33 les résidences des classes plus élevées. Il était généralement directement attenant à l’oku, mais pouvait aussi se trouver dans un bâtiment séparé dans le cas de demeures plus importantes. En, la circulation, était de trois sortes: extérieur/intérieur, périphérique et à l’intérieur. L’accès de l’extérieur se faisait par l’entrée principale, genkan ou oodoguchi (大戸口)6 , ou par une entrée de service, katteguchi (勝手口). La circulation périphérique se faisait par la véranda, engawa (縁側), qui entourait une partie de la maison et était surmontée d’un toit. Elle avait une fonction à la fois de continuation de l’espace intérieur à l’extérieur, car elle se situait entre le jardin et la maison, et de moyen de communication entre les différentes pièces de la maison. L’engawa était souvent la seule circulation concrète entre les différentes pièces, qui étaient généralement attenantes les unes aux autres. Quand les maisons étaient plus grandes, des couloirs intérieurs étaient construits pour faciliter les déplacements entre les différentes pièces. S’il y avait un étage, l’escalier qui permettait d’y accéder était généralement assez raide. d. Eléments mobiles intégrés à la maison Le mobilier de l’époque Edo, kagu (家具), dont l’étymologie est « outil de la maison », était de deux types: portable ou fixe. Qu’il soit l’un ou l’autre, il était adapté aux dimensions de la maison, et s’y intégrait. Le tatami, ce tapis amovible mentionné plus haut, est un exemple de cette intégration. La vie quotidienne était vécue dessus. A la base un simple 6   L’entrée principale des fermes de l’époque Edo. 9.  Page ci-contre: circulation périphérique: l'engawa (source: internet)
  • 36. 34
  • 37. COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 35 tapis constitué à partir de paille de riz tressée et placé dans les espaces de réception, il a acquis un rôle plus important à l’époque Muromachi (XIV- XVIème siècle)7 en restant au sol de manière permanente, et s’est ensuite propagé des espaces de réception aux espaces de vie. A l’époque Edo, les tatami servaient d’élément de mesure de la pièce et de composition de la maison. Leur taille n’était pas absolue, variant selon les lois régionales, le charpentier et le terrain, mais elle restait identique dans toute l’habitation et respectait la proportion 1/2. Comme les habitants vivaient et dormaient dans le même espace, les meubles étaient souvent déplacés. Leurs dimensions en ont été affectées: ils étaient de taille assez réduite8 . Le fait que la vie japonaise se passait au sol a déterminé leur hauteur: tables et bureaux n’excédaient jamais 33cm de hauteur9 . 7   Philippe Bonnin, Masatsugu Nishida, et Mizuki Cruz-Saito, « Le tatami et la spatialité japonaise », op. cit., p. 77. 8   Berque, « Dictionnaire de la civilisation japonaise », Paris: Hazan, 1994, p. 322. 9   Pezeu-Massabuau, « La maison japonaise », op. cit., p. 56. 10.  Illustrations d'une table à écrire, Totaya Hokkei, 1810 et d'une étagère à livres, Keisai Eisen, 1820 (Source: The Smithsonian's Museum of Asian Art) 11.  Page ci-contre: Engawa, tatami et shoji (source: Rekishi no Tabi)
  • 38. 36 • DESCRIPTION DE LA MAISON Les espaces de rangements étaient mobiles, comme des coffres ou des petites étagères, ou immobiles. Dans ces cas-là ils étaient situés sous le plancher de la maison ou encastrés entre deux poutrelles On y rangeait, aux différents endroits de la maison, aussi bien des ustensiles de cuisine, que des vêtements ou des meubles. Environ 15%10 de la surface de la maison était dédiée au rangement de tous ces objets. Des alcôves étaient consacrées à la prière, comme l’étagère shintoïste, kamidana (神棚), et l’autel bouddhique, butsudan (仏壇). Les parois coulissantes étaient changées selon les saisons, et pouvaient être retirées et rangées si besoin était. Des paravents, byobu (屏風), pouvant être très décorés , servaient aussi à séparer les fonctions au sein d’un espace quand c’était nécessaire. 10   Engel, « The Japanese House: A Tradition for Contemporary Architecture », op. cit., p. 228. 12.  Un coffre de rangement (source: The Japanese House in Space, memory and Language) 13.  Paravent pour séparer une pièce (source: internet)
  • 39. COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 37 Quand la maison avait un étage, l’escalier, kaidan (階段), qui permettait d’y accéder était souvent mobile, et assez petit. Il combinait parfois la fonction d’escalier avec celle de rangement pour gagner de la place. Appelé hakokaidan (箱階段) il restait alors fixe. L’éclairage de la maison était assuré par des lanternes, toro (灯籠), composées pour la plupart d’un cadre en bois ou en fer et recouvertes de papier de riz11 à l’intérieur desquelles on mettait une bougie ou une lampe à huile, émettant une lumière diffuse. Celles-ci étaient placées à plusieurs endroits dans la maison, posées à même le sol, comme les andon (行灯), suspendues sur les poutres ou au plafond, comme les tsuridoro (釣灯籠). 11   Berque, « Dictionnaire de la civilisation japonaise », op. cit., p. 324. 15.  Lanterne (photo: Owen Murray) 14.  Escalier étagère (source: The Japanese House in Space, memory and Language)
  • 40. 38
  • 41. COMPOSITION DE LA MAISON JAPONAISE • 39 16.  Page ci-contre: irori d'une mason traditionnelle (source: internet) Pour se chauffer les habitants utilisaient principalement trois types de dispositifs. Soit le kotatsu (炬燵), un récipient à charbon qui pouvait être mis sous une table basse autour de laquelle les membres de la maison se réunissaient pour se chauffer, soit un foyer encastré dans le sol, irori (居炉裏), qui pouvait aussi servir à cuisiner, et ou un brasero, hibachi (火鉢). La salle de bain contenait des bassines et des cruches utilisées pour se laver avant d’entrer dans le bain, furo (風呂), qui était constamment chauffé par un four indépendant. La cuisine, située dans le doma, comportait peu de meubles. Il y avait un four, kamado (竈), généralement en terre ou en argile, posé à même le sol ou intégré dans la partie en plancher qui liait la cuisine aux autres parties de la maison; un buffet, daidokoro-todana (台所 戸棚), qui accueillait les ustensiles de cuisine et la vaisselle; un évier pour laver les aliments, nagashi (流し), dont l’usage dans les cuisines des classes aisées s’est propagé à l’époque Edo et qui a remplacé l’emploi de bassines, oke (桶). Il était soit en pierre soit en bois, et comme le four, il était placé à même le sol ou encastré dans le plancher. Dans les résidences plus grandes il pouvait aussi être situé dans un bâtiment séparé, près du puits, ido (井戸). 17.  Four et autres outils servant à cuisiner ( source: internet)
  • 42. 40 • DESCRIPTION DE LA MAISON La description détaillée de la maison traditionnelle a permis de se rendre compte des matériaux utilisés, de sa structure, de la manière dont les espaces de vie étaient délimités et de ses traits particuliers comme l’engawa, la galerie de circulation extérieure à la maison. La nature mobile des cloisons tant intérieures qu’extérieures et les meubles qui devaient être faciles à déplacer pour changer la nature des espaces, contribuaient à rendre la maison adaptable au gré des circonstances sociales, quotidiennes ou climatiques. Les dimensions du tatami, tapis de sol en paille de riz, servaient à la mesure des espaces et des proportions de la maison. Cette maison standardisée était simple et modulable tout en étant réfléchie dans ses moindres détails.
  • 43. 41 Chapitre 2. Temporalité de la maison japonaise Forme immuable, matériaux éphémères La maison, tout comme les autres types de bâtiments au Japon à l’époque Edo, était composée d’éléments s’usant facilement, nécessitant un entretien et un remplacement régulier. La structure, le toit, les shoji ou les tatami, étaient composés principalement d’éléments végétaux : le bois, le chaume ou le papier de riz, qui se détérioraient facilement avec le temps à cause du climat et de l’usure. Au fur et à mesure du vieillissement de la maison, de plus en plus d’éléments la composant étaient remplacés, la matérialité de la maison devenant finalement totalement différente de sa matérialité originale, mais en gardant sa forme initiale. Après un certain laps de temps la maison était démontée pour être totalement reconstruite. Ce laps de temps était fonction soit de l’état de la structure en bois, soit de la décision de la communauté. En effet, dans les communautés rurales, chaque année1 , les membres choisissaient, en fonction de l’état de toutes les maisons de la communauté, laquelle était en plus mauvais état et la reconstruisaient. Ce rituel annuel se déroulait sous la direction du charpentier. 1   Patricia Loison, « Faut Pas Rêver: Japon », Faut Pas Rêver, France 3, 13 août 2010.
  • 44. 42 • DESCRIPTION DE LA MAISON La maison à reconstruire gardait sa forme mais pouvait être déplacée. De nouvelles parties pouvaient être ajoutées si la famille s’agrandissait, ou si elle s’était enrichie. Ces nouvelles parties s’attachaient à l’organisation de la partie originale, mais leur style était généralement celui de l’époque où elles étaient construites. Donc une maison pouvait regrouper différents styles. La conservation de la forme de la maison était prééminente sur celle de sa matière. Par cette réédification constante, « le présent réassimilait le passé et le passé redevenait le présent ». La durée de vie limitée de la maison a contribué à instaurer un système de standardisation des ses éléments constructifs pour faciliter leur remplacement, écourter la durée de construction, et maintenir la forme jusque dans ses moindres détails.
  • 45. 43 Chapitre 3. Construction de la maison japonaise par les charpentiers - perpétuation des formes Lecharpentier,daiku(大工),appartenaitàlaclassedesartisans,kogyo(工業), danslaquelleilavaitlapositionlaplusélevée.C’estaudébutdel’époqueEdo que les artisans ont été organisés en différentes corporations spécialisées, rendant chaque poste héréditaire selon la doctrine confucianiste1 . Chaque corporation s’organisait selon un système hiérarchique à la tête duquel se trouvaient des familles puissantes de maitres-charpentiers, toryo (棟梁). Les maitres charpentiers étaient à la tête de différents corps de métiers: des maçons, ishiku (石工), des plâtriers, sakan (左官), des couvreurs, yanefuki daiku (屋根葺大工), des sculpteurs de bois, horimonoshi (彫物師), des fabricants de tatami, tatamiya (畳屋), des fabricants de parois amovibles, tategu daiku (大工 建具), et bien d’autres2 . Pour devenir artisan, il fallait suivre un apprentissage de plusieurs années durant lesquelles toutes les connaissances étaient transmises du maitre à l’apprenti, un savoir-faire qui était gardé secret au sein de la famille des charpentiers. Si l’apprenti n’appartenait pas à la famille directe de sont 1   Nishi, « What Is Japanese Architecture? », op. cit., p. 50. 2   Ibid.
  • 46.
  • 47.
  • 48. 46 • DESCRIPTION DE LA MAISON maître, il allait souvent vivre dans sa maison, devenant un membre à part entière de son ménage et était destiné à lui succéder. A l’époque Edo, des manuels ont commencé à être écrits concernant ce savoir-faire. Le plus ancien qui soit connu a été rédigé par Heinouchi Masanobu (平内政信), c’est le Shomei (匠明), qui veut dire littéralement « mise en lumière des techniques de charpenterie »3 . Les maîtres-charpentiers ont, tout au long de l’Histoire du Japon, contribué à l’amélioration, à la simplification des techniques de construction et à la standardisation des éléments de la maison imposée par des décisions politiques. Parmi leurs contributions il y a eu la diminution de la durée de construction par l’utilisation d’éléments standardisés obéissant à un système de proportions permettant de créer une harmonie, wa (和), dans l’ensemble du bâtiment. Ils ont aussi amélioré les outils et les techniques qui venaient à l'origine pour la majeure partie de Chine. Le rôle du maître-charpentier était de concevoir et de dessiner le plan de la maison, de décider de l’emplacement des piliers et de la forme du toit, et de diriger le chantier et les différents corps de métier. Il avait aussi un rôle spirituel, celui d’accompagner la cérémonie shintô de bénédiction du terrain dans un but de purification avant le début du chantier, jichinsai (地 鎮祭), au cours de laquelle on priait pour la sécurité des travailleurs et l’apaisement des dieux qui auraient pu être dérangés par la construction. Comme à l’époque Edo, la maison était totalement standardisée, le travail du charpentier consistait surtout à mettre à profit son expérience et son 3   Masatsugu Nishida, Philippe Bonnin, et Jean Sébastien Cluzel, « Authenticité et reconstruction de la mémoire dans l’architecture monumentale japonaise », Espaces et Sociétés, no. 131, 2007, p. 156. 18.  Page précédente: La scierie à Honjo, 36 vues du Mont Fuji, Hokusai (source: The Metropolitan Museum of Arts)
  • 49. CONSTRUCTION DE LA MAISON JAPONAISE PAR LES CHARPENTIERS • 47 savoir technique pour concevoir le plan de la maison. C’était « à l’intérieur d’un réseau étroit et précis de matériaux et de dimensions, d’outils et de gestes fixés par la tradition »4 qu’il faisait usage de ses compétences afin d’assembler la maison. Il était également le dépositaire des normes de l’habitation, les appliquant à toutes les constructions et les transmettant aux futures générations par l’intermédiaire des apprentis. a. Techniques et outils de construction La transmission du savoir-faire du charpentier passait par l’apprentissage des gestes précis nécessaires à l’utilisation des outils, qui avaient autant d’importance dans le métier de charpentier que la supervision du chantier. Chaque outil était utilisé à une tâche précise dans la construction et nécessitait un geste rigoureux. Pour tracer le plan de la maison, le charpentier se servait d’un diagramme, banzuke (番付), sur lequel chaque élément de la construction recevait un nom et une mesure. Le nom de chaque élément était écrit dessus, avant que la maison soit assemblée, afin de faciliter son remplacement futur. Les mesures étaient faites avec une équerre, kanejaku (曲尺) ou sashigane ( 指矩) en métal. Un pot à encre, sumitsubo (墨壷), servait à tracer les traits de scie sur le tronc. Les scies, nokogiri (鋸), étaient essentielles à la découpe du bois et de tailles différentes selon le bois à couper. Des scies à refend, oga (大鋸), étaient employées pour la découpe des morceaux de bois 4   Jacques Pezeu-Massabuau, « La maison japonaise : standardisation de l’espace habité et harmonie sociale », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations 32, no. 4, 1977, p. 678.
  • 50.
  • 51.
  • 52. 50 • DESCRIPTION DE LA MAISON 19.  Page précédente: Le Fuji des Montagnes du Totomi, 36 vues du Mont Fuji, Hokusai (source: The Metropolitan Museum of Arts) 20.  Certains des outils utilisés pendant la construction, Kawahara Keiga, 1823 (Source: Musée des Beaux-Arts de Leiden) 21.  Certains des outils utilisés pendant la construction, Kawahara Keiga, 1823 (Source: Musée des Beaux-Arts de Leiden)
  • 53. CONSTRUCTION DE LA MAISON JAPONAISE PAR LES CHARPENTIERS • 51 les plus grands, et étaient souvent utilisées par deux personnes, une de chaque côté de la scie. La poutre pouvait être appuyée sur un chevalet, un homme en dessous, l’autre au-dessus5 (voir image 16), chacun tirant de son côté. Une herminette, chona (釿), était parfois employée pour régulariser grossièrement la surface du morceau obtenu. Ensuite l’essentiel des gestes s’effectuaient à même le sol, le charpentier se positionnant assis au-dessus de son travail. Les poutres et les poteaux étaient encastrés les uns dans les autres par des articulations selon une technique appelée tsugite (接手), qui nécessitait une découpe précise de chaque élément avant leur emboîtement. Quand le morceau de bois était scié, le charpentier utilisait différents outils pour obtenir cette découpe précise: un ciseau, nomi (鑿), un « ciseau à frapper », tatakinomi (叩鑿), le petit ciseau, tsukinomi (突鑿), un marteau, genno (玄能)ou tsuchi (槌), une vrille, kiri (錐), un rabot, kanna (鉋). Parfois un onglet en bois, kikugi (木釘), était enfoncé à la jonction entre deux éléments pour les solidariser. b. Etapes de la construction de la maison La première étape de la construction à proprement parler, consistait à choisir et puis à abattre les arbres qui seraient utilisés pour former la structure de la maison. Choisis selon leur qualité, ils étaient abattus à la hache, ono (斧). Puis, pour faire l’ossature de la maison, il fallait fabriquer les poteaux et les poutres qui formeraient la structure par un système d'assemblage 5   Nishi, « What Is Japanese Architecture? », op. cit., p. 52.
  • 54. 52 • DESCRIPTION DE LA MAISON 22.  Travail du charpentier, Kawahara Keiga, 1823-29 (Source: Musée des Beaux-Arts de Leiden) 23.  Illustration de la construction d'une maison, Kawahara Keiga, 1823 (source: Musée des Beaux-Arts de Leiden)
  • 55. CONSTRUCTION DE LA MAISON JAPONAISE PAR LES CHARPENTIERS • 53 grâce auquel les éléments étaient imbriqués les uns dans les autres selon la technique tsugite (接手) déjà mentionnée. Chaque partie de l’arbre était employée de façon optimale en tenant compte de sa solidité. Les poutres servaient aussi de pilotis puisque une partie de la maison était surélevée par rapport au sol. Avant de pouvoir ériger la maison, les pierres qui servaient de fondations et sur lesquelles reposaient les poutres, étaient posées sur le sol. Une fois l’ossature terminée, elle pouvait être montée sur ces fondations. La charpente du toit, fabriquée, elle aussi sur base d’une ossature en bois, était alors posée et fixée sur les poteaux. Puis, la structure du toit était recouverte de chaume, d’écorce, de bardeaux ou de tuiles. L’espace de la maison se trouvant protégé des intempéries, la pose du plancher surélevé et le remplissage des entrecolonnements par des shojis ou du torchis était effectués. A l’origine, la construction de la maison était une activité collective de la communauté. C’était encore le cas dans les zones rurales à la fin de l’époque Edo mais sous le contrôle et avec l’aide du maître-charpentier. Le charpentier jouait un rôle important dans la matérialisation de la maison traditionnelle japonaise en perpétuant les traditions, en faisant respecter les règles imposées par les lois, en apportant son savoir-faire et son expérience et en accompagnant les rites religieux destinés à la protéger ainsi que ses habitants et ceux qui la bâtissaient. C’est à travers lui que la simplicité propre à la culture japonaise se retrouvait concrètement dans l’habitation: la construction, les matériaux et la maison elle-même en étant imprégnés.
  • 56.
  • 58. 22.  Page précédente: Soshu Nakahara, 36 vues du Mont Fuji, Hokusai, 1831(source: internet)
  • 59. 57 Chapitre 1. Famille japonaise a. Introduction théorique La famille, définie comme l’« Ensemble des personnes unies par un lien de parenté ou d’alliance. »1 est un groupe d’individus constituant le noyau d’une société. La fonction et l’organisation de la famille à un endroit et à un moment donné, reflètent et règlent, dans une certaine mesure, l’organisation de la communauté dans son ensemble. Sa composition et son rôle change selon l’époque et la civilisation, tout comme celle de chaque famille individuelle change au fil du temps. Les individus qui forment la famille vivent généralement au sein d’un même foyer. Ils y partagent leur espace, et leur temps, en partie ou en totalité, pour y vivre au quotidien. Ces relations se matérialisent dans l’espace de la maison mais aussi dans l’espace de la collectivité quand les membres de la famille entrent en contact avec elle. La famille tisse des liens avec la collectivité, et selon la nature de ces liens, la laisse pénétrer l’enceinte de la maison à certaines occasions, lors de cérémonies par exemple. Les lieux dans lesquels les membres de la collectivité peuvent pénétrer dépendent de la distinction qui est faite entre ce qui constitue le domaine privé et 1   « Famille », Le petit Larousse illustré. Paris: Larousse, 1999, p. 420.
  • 60. 58 • VIE SOCIALE 23.  Vivre en famille (source: Musée des Beaux-Arts de Leiden) 24.  Les 4 classes sociales de l’époque Edo(source: internet)
  • 61. FAMILLE JAPONAISE • 59 public au sein de la maison, de la relation que l’habitant a avec la personne extérieure, et de la situation2 . Parfois la sphère de la maison peut s’étendre et devenir le lieu de la pratique d’une activité économique afin d’assurer la survie de la famille. La place de l'individu au sein de la famille conditionne la manière dont il pourra occuper l'espace dans la maison. Cette place peut avoir une importance dans la conception de la maison. Dans ce chapitre, l’importance de la famille dans la culture japonaise sera mise en lumière. La maison qu’elle habitait était à dimension humaine et reflétait la mentalité et la société de l’époque. a. Famille et individu au Japon La famille, ie (家) était le chaînon de base de la société japonaise et de sa hiérarchisation à l’époque Edo, selon l’enseignement confucianiste qui régissait les règles au sein de la famille japonaise. Le mot ie signifie la famille, la maison, le foyer, ce qui laisse supposer qu’il existe une relation étroite entre ces concepts. Chaque personne habitant sous le même toit, qu’elle soit liée aux autres par le sang ou non, était considérée comme un membre de la famille à part entière, et avait des obligations et des responsabilités en son sein. L’organisation hiérarchique de la famille se structurait selon un patriarcat3 , l’homme le plus âgé étant le chef de famille. La famille avait elle-même une position dans la hiérarchie de la communauté. En fait la hiérarchie sociale de l’époque Edo, shinokosho (士農工商), organisait la 2   Pezeu-Massabuau, «  La maison, espace social  », Espace et Liberté, Paris: Presses universitaires de France, 1983, p. 15. 3   Roger Davies, and Osamu Ikeno. « The Japanese Mind ». Singapore: Tuttle Pub, 2002, p. 153.
  • 62. 60 • VIE SOCIALE communauté en différentes classes selon le métier exercé, les guerriers, bushi (武士), étant à la tête de la hiérarchie, suivis des fermiers, nomin (農 民), qui produisaient une des richesse du pays: le riz, des artisans, kogyo ( 工業), qui fabriquaient des biens, et enfin des marchands, shonin (商人), qui vivaient du produit du travail des autres4 . Chaque famille avait donc un métier qui déterminait sa position au sein de la société ainsi que le rang et la fonction de chacun de ses membres dans cette hiérarchie. b. Famille et genres - habiter la maison au masculin et au féminin A l'époque Edo, l’organisation de la famille japonaise obéissait aux règles du confucianisme5 selon lesquelles la femme était l’inférieure de l’homme, et lui devait obéissance et respect. Le chef de famille avait un pouvoir absolu6 sur les membres de sa famille mais ce pouvoir s’accompagnait de responsabilités: celles d’assurer la pérennité de la famille, et de représenter la famille au sein de la collectivité. Le rôle de la femme au sein de la famille consistait à effectuer les tâches domestiques. La femme du chef de famille devait aussi assurer la lignée familiale. Dans la société japonaise chaque personne avait un rôle public, tatemae (建前), et une nature profonde, honne (本音), qu’il ne fallait pas montrer en société. L’homme et la femme assuraient de manière complémentaire ces rôles au sein de la famille, celui de l’homme étant plus public, officiel, tatemae, et celui la femme étant lié au noyau familial, plus privé, honne. 4   Berque, « Dictionnaire de la civilisation japonaise », op. cit., p. 52. 5   Le confucianisme est un ensemble de préceptes de vie appliqués en Asie, en particuler en Chine et au Japon. Certains éléments le concernant sont développé dans : III. Environnement Chapitre 3. Religions et confucianisme au Japon. 6   Roger Davies, and Osamu Ikeno. « The Japanese Mind ». Singapore: Tuttle Pub, 2002, p. 120.
  • 63. FAMILLE JAPONAISE • 61 La hiérarchie qui existait entre l’homme et la femme se concrétisait par une séparation spatiale de la maison. Dans la zone à l’avant de la maison, omote (表) se situait la salle de réception, zashiki (座敷), qui était surélevée par un plancher sur lequel étaient posés des tatamis. Le chef de famille y recevait officiellement les invités et y passait la plus grande partie de son temps. La zone à l’arrière de la maison, ura (裏), dédiée au travail domestique, était à même la terre battue. Cet espace était occupé par la femme. L’espace situé dans le fond de la maison, oku (奥), était l’espace du quotidien, de l’informel7 , l’espace de vie où la famille se réunissait. Alors que la zone de réception était généralement décorée, l’arrière de la maison restait assez sommaire. L’occupation des espaces de la maison exprimait la hiérarchie entre l’homme et la femme par l’opposition de l’avant et l’arrière, de la zone masculine et féminine, de la fonction officielle, publique, et domestique, privée. Cette hiérarchie se matérialisait aussi dans la troisième dimension par la surélévation de l’espace de l’homme par rapport à celui de la femme. c. Famille et tatami - modules de composition de la maison Le tatami, le revêtement de sol de l’espace de vie de la maison, était fabriqué à une échelle intrinsèquement humaine8 . Il faisait généralement 91 cm de large par 182 cm, c'est-à-dire 6 pieds ou shaku de long et il couvrait une aire de 1, 65m2. Il pouvait accueillir une personne couchée, ou deux personnes assises. La personne étant assise et réveillée, la dimension du tatami lui permettait de se mettre en relation avec l’autre, alors que couchée, elle ne 7   Berque, « Vivre L’espace Au Japon », op. cit., p. 131. 8   Philippe Bonnin, Nishida Masatsugu, et Mizuki Cruz-Saito, « Le tatami et la spatialité japonaise »,op. cit., p. 55.
  • 64. 62 • VIE SOCIALE
  • 65. FAMILLE JAPONAISE • 63 pouvait qu'être seule sur son tatami. Déjà à l’échelle de la conception de cet objet la relation à l’autre était réfléchie. La généralisation de son utilisation qui a débuté dans les salons de thé, puis a été reprise par l’aristocratie, pour se retrouver dans toutes les maisons japonaises, a conduit à une unification et une harmonisation des dimensions de la maison, chaque pièce étant mesurée en nombres de tatamis. Dans l’usage du tatami aussi, la relation à l’autre avait son importance. En effet, le tatami était la dimension à travers laquelle chacun apprenait à évaluer la distance à maintenir vis-à-vis d’une autre personne dans l’espace, en fonction de la relation hiérarchique qui existait entre ces deux personnes, et de la situation. Quand la personne était un parent proche la distance n’existait pas, et deux personnes s’asseyaient alors côte à côte, partageant un même tatami. S’il s’agissait d’un invité plusieurs tatamis étaient nécessaires entre lui et les autres pour montrer le respect accordé à l’invité, la personne la plus proche étant toujours le chef de famille. De plus l’invité d’honneur était invité à s’asseoir sur le meilleur tatami de la maison. Le tatami était aussi le module de composition de la maison. C’était par l’assemblage de tatamis en pièces que la maison traditionnelle japonaise se développait, généralement dans le plan horizontal. On partait de la partie, le tatami, pour composer la pièce, et aboutir au tout, la maison dans son ensemble. Cela influençait grandement la perception de l’espace, qui était réfléchi de l’intérieur vers l’extérieur, de la fraction vers le tout. Cela permettait de faciliter l’ajout d’éléments à l’ensemble selon l’évolution des besoins, car la maison n’était pas fixée dans un cadre. L’influence de la religion shintoïste, qui sera décrite plus loin, est visible dans cette manière de composer, car l’accent est mis sur l’importance de 25.  Plusieurs pièces à tatami(source: internet)
  • 66. 64 • VIE SOCIALE
  • 68. 66 • VIE SOCIALE 26.  Page précédente: pièce à tatami (source: internet) chaque élément dans la formation du tout. A travers le tatami l’échelle de l’Homme se retrouvait dans toutes les dimensions et proportions de l’espace construit, donnant un résultat harmonieux à l’ensemble du corps bâti, pas seulement dans le plan horizontal mais aussi dans le plan vertical, avec l’entrecolonnement qui, selon un système standardisé, correspondait à la mesure du tatami, et par extension à celle de l’homme. Les shoji et les fusuma, ces parois coulissantes, qui y étaient placées, avaient elles aussi les mêmes dimensions que celles du tatami. L’usage du tatami comme unité de composition de la maison a fait de celle- ci la représentation de la famille, étant humainement proportionnée en fonction du nombre de personnes y habitant, et s’agrandissant facilement s’il y avait de nouveaux membres. Le tatami n’était pas seulement la base qui composait proportionnellement la maison, c’était dessus que s’organisait la vie de ses habitants. En effet, la vie dans la maison se passait à même le sol, sur le tatami. Alors qu’en Chine dès le Xème siècle, l’usage de la chaise s’est généralisé, cette pratique ne s’est pas propagée9 au Japon après son importation sans doute parce 9   Philippe Bonnin, Benoît Jacquet, et Nishida Masatsugu, « Dispositifs et notions de la spatialité japonaise », Architecture, Lausanne: Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014, p. 227. 27.  Composition des tatamis en pièce (source: internet)
  • 69. COMMUNAUTÉ JAPONAISE • 67 que les Japonais n’ont pas trouvé dans leur culture la nécessité de se mettre à distance du sol de la maison pour y vivre. Cette position a influencé considérablement la relation entre l’homme et son environnement. Il avait une relation directe avec l’architecture à travers le contact qu’il avait avec le tatami impliquant à certains moments tout son corps. Le toucher n’était pas le seul sens qui entrait en contact avec le tatami, et par extension avec l’espace environnant qui était, bien sûr, appréhendé par d’autres sens, la vue et l’odorat10 . En effectuant la plupart de ses tâches assis sur le tatami, l’individu se retrouvait avec le regard à un mètre du sol, lui donnant une perspective particulière sur le monde. L'utilisation du tatami est un exemple de simplicité dans la maison. d. Famille et rituels - apprendre à habiter dans la société Les fêtes, généralement religieuses, rythmant l’année et la vie, comme le nouvel an ou le mariage, se déroulaient la plupart du temps dans la maison. Ces rites étaient un bon moyen pour la famille, les voisins, et la communauté de resserrer les liens qui les unissaient. Chacun y prenait part selon son rang et sa fonction dans le groupe. Les religions se sont progressivement intégrées, notamment à travers la maison, dans le réseau des obligations sociales. C’est dans le moule de la hiérarchie sociale que se sont coulés les idéaux spirituels de la société japonaise, tout comme les idéaux spirituels ont fourni une base aux règles du comportement en société. « La maison japonaise enseignait à tous une certaine conception 10   Berque, « Vivre L’espace Au Japon », op. cit., p. 76.
  • 70. 68 • VIE SOCIALE de l’espace défini par la place que le corps devait y occuper11 . » L’empreinte que les valeurs philosophiques ont laissé dans les formes et les fonctions de la maison japonaise de l’époque Edo a contribué à faire de celle-ci le moule contraignant et uniforme de la société elle-même, qui s’exerçait en permanence sur l’individu et sur la famille12 . Elle représentait la famille autant physiquement, en étant aux dimensions parfaites de celle-ci dans sa fonction sociale, que mentalement dans le champ limité (standardisation, modularité, lois, règles sociales) auquel elle pouvait s’appliquer. 11   Pezeu-Massabuau, « La maison japonaise : standardisation de l’espace habité et harmonie sociale », op. cit., p. 694. 12   Pezeu-Massabuau, « La maison japonaise  », op. cit., p. 472.
  • 71. 69 Chapitre 2. Communauté japonaise « Le clou qui sort est martelé. »1 a. Introduction théorique La communauté, définie comme l’ « Ensemble de personnes unies par des liens d’intérêts, des habitudes communes, des opinions ou des caractères communs; ensemble des habitants d’un même lieu, d’un même Etat. »2 est le premier regroupement organisé d’individus qui mène à toute société3 et est déterminante dans la formation de son caractère par son organisation structurelle, ses règles de comportement et ses valeurs universelles. Tout comme le milieu naturel, la politique et la philosophie, elle a un rôle fondamental dans la conception spatiale de l’Homme à un endroit et à un moment donné, et par extension dans celle de la maison. 1   Deru kui wa utareru (出る 杭 は 打たれる): Ce proverbe illustre le concept japonais de primauté de la communauté, du groupe, sur l’individu. 2   « Communauté ». Le petit Larousse illustré, op. cit., p. 239. 3   La société étant définie comme le « Milieu humain dans lequel quelqu’un vit, caractérisé par ses institutions, ses lois, ses règles. »: « Société ». ibid., p. 916.
  • 72. 70 • VIE SOCIALE En effet, la communauté positionne l’individu dans sa relation avec les autres et lui donne une place en son sein. Elle lui enseigne « (…) sa position dans l’espace et le temps en l’enfermant dans un réseau familier de symboles, de rites, de gestes (…) »4 qu’il applique ensuite à son habitat. Elle soumet aussi directement l’habitat à « l’ordre général de la vie collective organisée »5 . L’influence de la communauté sur la maison peut être de différente nature: soit elle incite son développement, son amélioration, en combinant les efforts individuels, soit elle en restreint les possibilités de création en fixant des règles qui limitent les libertés individuelles6 . Ce chapitre va servir à étudier la communauté afin de comprendre son impact sur la culture japonaise et sur la maison. Le fait que la communauté était toujours prioritaire par rapport à l’individu se retrouvait dans la conception dans la maison. b. Primauté de la communauté sur l’individu au Japon La communauté ou clan, uji (氏), a débuté par le regroupement primitif des ancêtres des japonais7 , et est devenu par la suite, un modèle d’organisation de la société japonaise qui a eu sur elle un impact politique, économique, social et philosophique. 4   Pezeu-Massabuau, « Le Japon à l’ère mégalopolitaine », op. cit., p. 815. 5   Engel, « The Japanese House », op. cit., p. 378. 6   Ibid. 7   A la période Yayoi surtout: Nakayama, Bester, et Inaba, « Japanese Homes and Lifestyles: An Illustrated Journey through History », op. cit, p. 18.
  • 73. COMMUNAUTÉ JAPONAISE • 71 Des facteurs historiques et naturels ont été déterminants dans le regroupement spontané des individus en communautés organisées au Japon. Premièrement le relief composé de montagnes sur la grande majorité du territoire le rendait difficilement habitable. Cela a limité les endroits où les hommes pouvaient s’installer, et les a poussés à vivre à proximité les uns des autres. Deuxièmement, le climat a favorisé l’introduction de la riziculture irriguée audébutdelapériodeYayoi(-300AC)quinécessitaituntravailconsidérable tout au long de l’année, de la plantation à la récolte. Les gens se sont donc organisés en groupes pour combiner leurs efforts et augmenter les rendements afin d’assurer leur survie8 . Comme elle nécessitait un travail considérable tout au long de l’année, de la plantation à la récolte, les gens se sont organisés en groupes pour combiner leurs efforts et augmenter les rendements afin d’assurer leur survie . D’importantes quantités d’eau étant nécessaires pour cultiver le riz, cela demandait à chacun de répondre à cette exigence en consacrant une grande partie de l’eau dont il disposait au bénéfice de la communauté. En se sacrifiant et en travaillant pour la collectivité, le groupe soutenait l’individu . C’est comme ça, en s’unissant dans le travail et par la mise en commun des ressources, que la communauté rurale, le village, mura (村9 ), est née. Son chef était désigné par les membres en tenant compte de son expérience et de son ancienneté. L’autre facteur qui a uni les individus, et leur a donné un sentiment d’appartenance à une même communauté, était d’ordre spirituel. Au fil des siècles les gens en sont venus à adorer les mêmes dieux, et les rites religieux 8   Davies et Ikeno, « The Japanese Mind », op. cit., p. 7. 9   Berque, « Vivre l’espace au Japon », op. cit., p. 60.
  • 74.
  • 76. 74 • VIE SOCIALE et les coutumes qu’ils pratiquaient en groupe ont contribué à consolider la communauté. L’intermédiaire entre les dieux et la communauté était à l’origine le chef de la communauté10 , qui transmettait aussi les mêmes concepts religieux à tous. La combinaison des efforts individuels avec pour objectif la survie de chacun et du groupe, et la vénération des mêmes divinités a mené à une conscience collective forte, dans laquelle la communauté prenait le dessus sur l’individu. Le maintien de l’harmonie, wa (和), du groupe est devenue une notion centrale dans la société japonaise. Elle était aussi prônée par les religions. c. Communauté etnation-habiterunespacehomogène et harmonieux Les communautés se sont développées selon la même organisation hiérarchique, pour finir par former une communauté plus étendue. Elles étaient réunies à l’échelle la plus large en une communauté nationale, à la tête de laquelle se trouvait la famille impériale. Selon les croyances shintoïstes11 , la famille impériale descendait directement de la déesse Amaterasu, fille d’Izanagi, faisant d’elle la famille-mère des Japonais et la plaçant à la tête de la nation japonaise. Cette appartenance de toute la nation japonaise à une même lignée renforçait la conscience collective et lui donnait une validité supplémentaire. 10   Ibid., p. 187. 11   Voir « III. Environnement japonais Chapitre 3. Philosophies a. Philosophies et la maison - Shintoïsme ». 28.  Page précédente: Moulin à eau à Onden, 36 vues du Mont Fuji, Hokusai, 1831 (source: The Metropolitan Museum of Arts)
  • 77. COMMUNAUTÉ JAPONAISE • 75 La prééminence du groupe sur l’individu a donné lieu à une organisation sociale qui dès la naissance situait chaque individu dans cette hiérarchie en fonction de la position occupée par sa famille. Le système des relations étant vertical, c’était à l'échelon le plus haut, celui de la nation, qu’il fallait introduire des nouvelles valeurs, règles ou concepts pour qu’ils pénètrent à tous les niveaux de la société. C’était par l’intermédiaire du chef que ces concepts étaient ensuite transmis à la communauté. De ce système hiérarchique est né le système de classes, que le pouvoir en place à l’époque Edo, a rigidifié par de nombreuses lois. Pour ce qui est de la maison, la nation a eu sur elle une influence notoire par l’imposition de sa standardisation. Celle-ci était acceptée, dans une grande mesure, par une société où l’intérêt de la communauté primait sur le désir individuel. Cette standardisation a participé à l’homogénéisation de la société et de l’espace habité au Japon12 . Cette homogénéisation participait au fort sentiment d’appartenance à une même communauté. d. Communauté et vie privée - envelopper le privé dans le public13 Comme la communauté était prédominante sur l’individu, celui s’identifiait à elle et disparaissait derrière sa volonté ultime. Il avait des responsabilités au sein de la communauté, celles de maintenir son rang et d’accomplir la 12   Voir «  III. Environnement Chapitre 2. Politique Tokigawa b. Politique nationale protectionniste » 13   Notion abordée par Augustin Berque dans « Vivre l’espace au Japon », op. cit., p. 128.
  • 78. 76 • VIE SOCIALE fonction qu’on lui attribuait. En étant à la hauteur de ses responsabilités et en suivant l’avis de la majorité, il soutenait le groupe, la famille et à une autre échelle, la nation, aux dépens parfois de ses intérêts personnels. Quand il était à l’extérieur de la famille, il était le représentant de son groupe dans la hiérarchie sociale. Il y avait peu de distinction entre public et privé14 , entre individu et communauté, entre communauté et nation. Il est intéressant de noter que le mot personne ou être humain, ningen ( 人間), est formé du caractère du mot humain, hito (人), représentant une personne se penchant vers une autre, et le caractère ma (間), représentant l’intervalle ou l’espace. Cela suggère que l’Homme définissait son existence par sa place dans l’espace et sa relation avec les autres. La prééminence de la communauté sur l’individu se concrétisait dans la maison, où la zone de réception, situé à l’avant, omote (表) occupait une proportion importante de l’espace total. Ensuite plus la personne avançait vers l’intérieur de la maison, « plus l’espace devenait secret et sacré15  ». L’espace du quotidien, le coeur, oku (奥), y était enfoui. Seuls les membres de la famille et les parents proches y avaient accès. Dans cet espace, la personne pouvait se libérer de sa fonction publique, tatemae (建前),et révéler sa vraie nature, honne (本音). Comme l'espace plus privé était situé au coeur de la maison, c'était par le déplacement vers ses profondeurs que l'Homme ressentait la transition de l'espace plus public vers l'espace plus privé, et changeait d'état d'esprit, passant de tatemae à honne et adaptait son comportement en conséquence. L’espace était pensé de façon dynamique, pas statique. Le concept de ma 14   Ibid., p. 170. 15   Ibid.., p. 40.
  • 79. COMMUNAUTÉ JAPONAISE • 77 (間), l’intervalle, le temps, l’espace, la pièce, rempli de sens était central dans la conception de l'espace japonais. C'était par le déplacement dans l'espace que l’individu lui donnait une signification. La transition vers l’espace plus privé était aussi ressentie à cause de la baisse de luminosité qui l’accompagnait. L’avant de la maison était le domaine de la lumière, tandis que le fond était le domaine de l’ombre, de l’espace tamisé comme la lumière diffusée par les lanternes. e. Communauté et liens - créer la juste distance pour habiter en harmonie « Si tu es pressé, fais un détour16 . » Pour maintenir l’harmonie au sein de cette société, les Japonais ont mis en place de nombreux mécanismes pour faciliter les relations, et éviter les confrontations en particulier en instaurant des distances entre les individus. Ces mécanismes sont apparus dans une société verticale dans laquelle la connaissance de la position de chacun au sein de la hiérarchie était primordiale pour le maintien de l’harmonie. En effet chacun modifiait son comportement en fonction de la position sociale de la personne avec qui il était en contact, ce qui l’obligeait à comprendre quel était son lien avec son interlocuteur pour se situer par rapport à lui. Ici encore le ma était essentiel. Cette hiérarchie sociale a évolué tout au long de l'Histoire du Japon, mais 16   isogaba maware, « 急がば 回れ »: Proverbe japonais 29.  Page suivante: Enveloppement de l’espace et mise à distance par les shikii et le positionnement de shoji. (source: internet)
  • 80. 78 • VIE SOCIALE
  • 82. 80 • VIE SOCIALE a été fixée dans les lois. En effet, à l’époque Edo le pouvoir en place a renforcé les différences entre les communautés par l’instauration de lois somptuaires selon lesquelles chacun devait s’habiller selon son rang, et maintenir une distance par rapport à son interlocuteur en fonction de leur relation hiérarchique. De nombreuses formules de politesse étaient employées pour instaurer une distance entre les individus. Il n’était pas rare, lors de négociations, d’utiliser un intermédiaire pour les faciliter, comme par exemple dans le cas d’un mariage arrangé. Quand les personnes avaient une relation d’égal à égal, les distances disparaissaient. Cette mise à distance se retrouvait dans la maison dont les espaces étaient à la fois liés et séparés. Leur jonction se matérialisait sous forme d’un espace à part entière, un seuil, shikii, (敷居), qui assurait une transition fluide d’un espace à un autre. L’espace d’entrée, qui ne faisait partie ni de la rue ni de l’espace de la maison, les écrans mobiles, dont la paroi en papier de riz tamisait la lumière, tout était fait pour faciliter la transition, atténuer les sentiments éclatants, et éviter la confrontation directe. C’était dans cet espace entre-deux, le shikii, que se trouvait la porte, shoji (障子). Même ouverte elle ne pénétrait ni dans un espace ni dans l’autre car il fallait la faire coulisser pour l’ouvrir. Elle restait cet intermédiaire, séparant tout en joignant deux espaces. De plus, quand elle était fermée, elle n’était pas totalement isolante, laissant passer le bruit, le vent et parfois la lumière. Elle pouvait aussi être ôtée facilement, laissant alors les deux pièces communiquer entre elles. Elle pourrait être considérée comme une expression de la dissolution aisée des frontières entre sphère privée et sphère publique, entre le dedans, uchi (内), et le dehors, soto (外), comme cela se passait au niveau de l’individu vis-à-vis de la famille, entre la famille et la communauté, la communauté et la nation. Par l’utilisation d’un élément aussi simple que la paroi coulissante, l’individu était constamment en contact avec la communauté, mais en en étant malgré tout séparé. Ainsi, une personne pouvait demander à parler à une figure d’autorité à travers le
  • 83. COMMUNAUTÉ JAPONAISE • 81 shoji afin d’éviter une confrontation directe. Un autre espace qui mettait à distance était l’engawa (縁側), cette véranda située sous le toit mais ouverte sur l’extérieur, qui permettait d’entrer en contact avec l’extérieur sans y être totalement. Le seul espace où les distances entre les individus disparaissaient totalement était l’oku, l’espace de l’informel. Ici les politesses n’étaient pas nécessaires, les détours non plus. Chacun parlait franchement et ouvertement, révélant sa vraie nature, car il était au sein de sa famille. C’est là aussi que les membres de la famille dormaient les uns près des autres. Même si cette manière de construire et d’agencer la maison pourrait être considérée comme compliquant physiquement l’espace, en fait cela le simplifiait mentalement. Les enchaînements entre les différents espaces étaient facilités, ainsi qu’entre les membres de la société, car la confrontation n’était jamais directe. D’autre part le contact n’était jamais rompu, et l’individu était toujours en lien avec la communauté. La maison traditionnelle de l’époque Edo, par sa structure, ses proportions et les fonctions qu’elle intègre, reflète la prééminence de la communauté sur l’individu et l’importance du maintien constant du lien avec la communauté.
  • 84.
  • 86. 28.  Page précédente:L’aurore à Isawa, Hokusai, 36 vues du Mont Fuji, Hokusai, 1831. (source: internet)
  • 87. 85 Chapitre 1. Milieu naturel japonais « Le monde est comme le cerisier que l’on ne regarde pas pendant trois jours. »1 a. Introduction théorique Le milieu naturel, défini comme l’ « entité « objective » douée des trais spécifiques (climatiques, topographiques, édaphiques, biologiques) et s’offrant à son occupant avec une adéquation plus ou moins poussée à ses techniques et à ses besoins. »2 a eu une grande influence sur la composition de la maison car c’est pour s’en protéger que l’Homme a cherché un abri, et ensuite a pris l’initiative d’en construire un3 . La maison a initialement été une réponse contre les forces de la nature. 1   proverbe japonais: Yononaka wa mikka minu ma no sakura ka na, « 世の中は三日見ぬ 間の桜かな », qui signifie que le monde change continuellement. 2   Pezeu-Massabuau. « Le Japon à l’ère mégalopolitaine : éclatement de l’espace traditionnel et insularité culturelle ». Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 36e année. no. 5. 1981. p. 817. 3   Engel, « The Japanese House: A Tradition for Contemporary Architecture », op. cit., p. 350.
  • 88.
  • 89. MILIEU NATUREL JAPONAIS • 87 Du point de vue culturel, c’est au contact du milieu naturel que l’Homme a développé sa conception du monde et de l’espace, et a pu par la suite, lui donner du sens. La nature joue aussi un rôle dans le développement de la manière de vivre d’un peuple. D’autre part le milieu naturel fournit les matières premières avec lesquelles l’Homme a bâti la maison en devant tenir compte de leur disponibilité et de leurs caractéristiques physiques. Dans ce chapitre une description du milieu naturel japonais, ses caractéristiques géographiques, géologiques et climatiques, sera présentée. Elle sera suivie d’un aperçu de la relation que les Japonais entretenaient avec le milieu naturel à l’époque Edo. Cette relation était centrale à la vie japonaise et elle était préservée au sein de la maison traditionnelle qui faisait l’objet d’un renouvellement constant. b. Japon:Isolementphysique,milieunaturelinhospitalier et rareté des ressources naturelles Le Japon est géographiquement séparé du reste du monde car il est composé uniquement d’îles4 , situées entre l’Océan Pacifique et la mer du Japon, au large de ce qui constituent aujourd’hui la Chine, la Corée du Nord et la Corée du Sud. C’est un pays qui couvre 378 000 km25 le long 4   C’est un archipel de 8645 îles, dont les 4 principales forment 97% du territoire: Richard John Bowring et Peter Francis Kornicki, « The Cambridge Encyclopedia of Japan », Cambridge: Cambridge University Press, 1993, p. 2. 5   Ibid. 29.  Page précédente: Mont Fuji (source: Hiro Nakamura)
  • 90. 88 • ENVIRONNEMENT d’un axe Nord/Sud, avec un relief composé essentiellement de montagnes6 et de côtes. Du fait de cette situation géographique particulière, le Japon présente des conditions climatiques différentes, parfois très sévères, d’un bout à l’autre de son territoire. De plus, ses îles sont confrontées aux éléments depuis la nuit des temps. De nombreux séismes7 , typhons, cyclones, éruptions volcaniques8 les touchent régulièrement chaque année. Le Japon a, en plus de ses quatre saisons: printemps, été, automne et hiver, une saison des pluies, qui a lieu en juin et juillet pratiquement partout dans le pays, et d’août à octobre c’est la saison des typhons, qui arrivent du Pacifique Sud9 . Le Japon est un pays dont les ressources naturelles sont pauvres à cause de son relief montagneux et son sol pauvre. Seul le bois et l'eau étaient toujours accessibles à cause de la grande étendue de ses forêts et les précipitations abondantes. Pour survivre les ancêtres des Japonais ont commencé à cultiver les quelques plantes indigènes à l’archipel comme le soja. Par la suite, avec l'importation du riz, et de la riziculture de Chine en passant par la Corée dès l’époque Yayoi10 (300 AC), le riz est devenu la base alimentaire du pays. 6   Les montagnes couvrent 3/4 de la surface du Japon: Ibid. 7   Il y a en moyenne 7500 secousses sismiques au Japon chaque année: Masuda Tomoya. « Japon ». Architecture Universelle. Fribourg: Office du livre. 1969. p. 7. 8   Le Japon compte 60 volcans toujours en activité, soit 10% de l’activité volcanique mondiale actuelle: Bowring et Kornicki, « The Cambridge Encyclopedia of Japan. », op. cit., p. 2. 9   Davies et Ikeno. « The Japanese Mind ». Singapore: Tuttle Pub, 2002, p. 153. 10   Shigenobu Nakayama, John Bester, et Kazuya Inaba, « Japanese Homes and Lifestyles: An Illustrated Journey through History », New York: Kodansha International, 2000, p. 11.
  • 91. MILIEU NATUREL JAPONAIS • 89 Dans ces conditions assez extrêmes, quelle était l’attitude des Japonais par rapport au milieu naturel à l’époque Edo, et en quoi cela a-t-il eu une conséquence sur la maison japonaise? c. Milieu naturel et l’Homme - vivre dans un cadre fragile et éphémère Dans un milieu naturel aussi puissant, l’individu ne pouvait que s’y contraindre, l’accepter, s’effacer derrière lui et s’y adapter. L’instabilité du milieu naturel a donné aux Japonais le sentiment que tout est temporaire, que rien, ni «  l’Homme ni ses oeuvres11   », n’était permanent. Ils ont accepté cette instabilité, contre laquelle ils étaient impuissants et cela a eu une grande influence sur leur façon de penser et de vivre. Ils concevaient la vie comme unique et constante mais ses matérialisations se faisaient par un changement constant dans un éternel recommencement. C’est par le bouddhisme que les Japonais ont conceptualisé ce sentiment d’impermanence qui lui était sans doute préexistant12 . Cette conception du monde s’est concrétisée dans la maisons japonaise de l’époque Edo. Elle qui était particulièrement fragile par rapport au milieu naturel japonais, et à ses différents climats, étant construite sur pilotis et avec des poteaux en bois posés sur des pierres faisant office de fondation. Ce choix du bois était meilleur dans le cas de séismes que, par exemple, celui de la pierre, à cause de son élasticité. Mais, d’autre part, le manque de contreventement latéral de cette construction à structure légère en bois rendait la maison vulnérable aux typhons13 . De plus, le bois exposait aussi 11   Pezeu-Massabuau, « Le Japon à l’ère mégalopolitaine. », op. cit., p. 816. 12   Id., « La notion d’emprise sur le milieu géographique : l’exemple japonais », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations 27, no. 1, 1972, p. 105. 13   Engel, « The Japanese House », op. cit., p. 357.
  • 94. 92 • ENVIRONNEMENT 30.  La structure de la maison était fragile, et éphémère. (source: Musée des Beaux- Arts de Leiden) 31.  Vue extérieure de la maison. Le toit est un élément qui participe à maintenir la structure et à protéger des intempéries, tandis que les parois verticales sont fragiles et amovibles(source: internet)
  • 95. MILIEU NATUREL JAPONAIS • 93 la maison à la menace du feu. Et puis, le cycle de vie du bois étant assez court (environ 50 ans), la maison demandait une réédification constante. Les murs n’avaient pas de rôle structurel dans la construction de la maison. La plupart des murs sont d’ailleurs devenus des éléments mobiles, très fins, et laissant passer l’air. Le toit, yane (屋根), surdimensionné et lourd, stabilisait la structure, mais en cas de séisme, il s’écroulait facilement à cause du mouvement des piliers. Par contre il protégeait efficacement contre les pluies importantes, et du soleil estival, car il dépassait largement le mur extérieur de la maison. Les caractères du mot yane veulent dire la « racine de la maison »14 , terme assez juste car le toit était le seul élément qui fixait la maison au sol tout en la séparant de l’extérieur en protégeant les habitants de la pluie. Le caractère du mot maison, ie (家), montre lui aussi l’importance de la toiture dans la maison de manière très imagée. Il est composé de 2 signes, un cochon sauvage sous un toit. Cette prédominance et importance de la couverture se concrétisait dans tous les éléments de la maison eux-aussi protégés par un auvent, comme la véranda, l’engawa ( 縁側), le puits, ou encore les clôtures. C’était en fait le seul élément qui offrait une protection plus ou moins efficace par rapport au climat, tout en restant lui-même vulnérable à certains éléments. Le cycle de la vie et les changements constants ayant toujours fait partie de son existence, la société japonaise n’a pas combattu les éléments, mais les a intégrés dans son principe de construction. La maison est alors devenue «  […] l’expression du sentiment de l’éphémère15 […] », conception centrale dans la culture japonaise. 14   Pezeu-Massabuau., « La Maison Japonaise », op. cit., p. 30. 15   Kato Shuichi, traduit par Christophe Sabouret, « Le temps et l’espace dans la culture japonaise », Réseau Asie, Paris: CNRS Éditions, 2009, p150.
  • 96. 94 • ENVIRONNEMENT d. Milieu naturel et temps - vivre ici et maintenant Le caractère instable du milieu naturel a mené à une conception japonaise particulière du temps et de l’espace. Il fallait vivre ici et maintenant16 . Ce concept de l’expérience immédiate, selon lequel la « réalité des choses est saisissable immédiatement, telle qu’elle se donne au lieu et à l’instant mêmes de l’expérience »17 , a été central dans le développement de l’enseignement zen au Japon. Un parallèle peut être fait entre cette pensée japonaise et la maison traditionnelle de l’époque Edo. En effet, la structure de la maison, constituée de piliers et d’un toit, permettait un usage flexible de l’espace intérieur resté vide. Il pouvait être adapté à l’usage désiré à chaque instant. Alors que la salle de bain, la cuisine et les espaces de transition étaient des espaces fixes, l’espace de vie changeait constamment, étant tour à tour salon, salle à manger, chambre ou même salle de réception dans les petites maisons. Pour ce faire, les parois coulissantes, shoji (障子) ou fusuma (襖), et les meubles, étaient mobiles. En combinant les deux l’espace acquerrait une signification. L’espace était dynamique, il se métamorphosait constamment par la sortie ou le rangement d’un meuble, par l’ouverture ou la fermeture d’un shoji selon la situation, la saison ou les personnes présentes dans la pièce. L’Homme ne se déplaçait pas d’un espace à l’autre, mais restait dans le même espace tandis que celui-ci était constamment redéfini en fonction des circonstances de son quotidien. Le mot pour salle de vie, ima (居間), se prononce d’ailleurs comme le mot 16   Sujet abordé dans: Kato et Sabouret, « Le temps et l’espace dans la culture japonaise ». 17   Berque, « Vivre l’espace au Japon », op. cit., p. 51.
  • 97. MILIEU NATUREL JAPONAIS • 95 maintenant, ima (今), en japonais. Cette notion d’immédiateté de l’espace habité est très présente, jusque dans le mot lui-même. Un seul espace devenait pluriel, diminuant considérablement les besoins en espace brut et par conséquent la surface de la maison japonaise. Avec le changement d’aménagement et de fonction de la pièce, le comportement de ses occupants changeait aussi, devenant plus formel quand l’espace devenait une salle de réception, ou plus familier quand les habitants étaient entre eux. Chacun devait constamment réévaluer la situation et adapter son comportement en conséquence. La société japonaise vivait donc ici et maintenant, et c’est uniquement dans l’instant présent que l’espace recevait une signification. Pour comprendre la signification de l’espace la personne devait connaitre les signes présents dans l’espace et adapter son comportement en fonction de cela. Ainsi l’espace et l’individu assimilaient constamment une nouvelle signification. e. Habiter le milieu naturel Avant que le Japon ne développe des contacts continus avec la Chine (VIIème siècle), les Japonais n’avaient pas de mot pour exprimer le milieu naturel. Ils ne faisaient pas de distinction entre eux-mêmes et le milieu naturel qui les entourait18 , ils en étaient la continuité. Comme il était toujours présent, et malgré qu’il soit toujours changeant, les Japonais vivaient en parfaite harmonie avec lui. Ils ont adopté le mot pour exprimer la nature, shizen (自然), de Chine. 18   Berque, « Vivre l’espace au Japon », op. cit., p. 152.
  • 99. MILIEU NATUREL JAPONAIS • 97 La maison elle-même était l’expression de cette conception de cohésion entre l’Homme et la nature. Elle exposait totalement ses habitants aux élémentsnaturels.Commeelle« étaitpratiquementtoujoursàlatempérature extérieure »19 les habitants vivaient au rythme des saisons en façonnant des objets qui leur permettaient de survivre aux conditions climatiques. En hiver un bain chaud, furo (風呂), tous les jours, servait à se réchauffer. On portait aussi des vêtements plus épais, et on changeait tous les éléments mobiles de la maisons, comme les portes coulissantes, les shoji (障子) et les fusuma (襖). La nuit, on remplissait un récipient à charbon, appelé kotatsu (炬燵), qu’on plaçait ensuite entre le sol et la couette, futon (布団), et qui offrait la chaleur nécessaire jusqu’au lendemain matin. On utilisait d’autres moyens pour se chauffer la journée, comme l’irori (居炉裏), le foyer pour cuisiner, l’hibachi (火鉢), un brasero, ou un kotatsu plus grand, qu’on mettait dans une sorte de cage en bois, sur laquelle on disposait un plateau qui servait alors de table. Une couette était alors placée autour du kotatsu, et on venait se réchauffer les jambes en les mettant sous la couette20 . « On chauffe donc ici la personne »21 . Avec l’arrivée du printemps, le kotatsu était rangé, on changeait les parois coulissantes (les shoji et les fusuma) pour mettre des portes qui laissaient passer l’air. Un écran en bambou était posé sur la véranda pour protéger du soleil bas de fin de journée, et les panneaux muraux extérieurs étaient totalement enlevés afin de permettre au vent de passer à travers la maison. Tous les sens étaient alors en contact avec la nature. 19   Pezeu-Massabuau, « Problèmes géographiques de la maison japonaise. » Annales de Géographie 75, no. 409, 1966, p. 286 20   Engel, « The Japanese House », op. cit., p. 361. 21   Pezeu-Massabuau, « Problèmes géographiques de la maison japonaise », op. cit., p. 291. 32.  Courtisane et la neige, Utagawa Toyokuni, 1800 (source: internet)
  • 101. MILIEU NATUREL JAPONAIS • 99 Le toit et le sol débordaient de l’aire de la maison proprement dite, et formaient l’engawa (縁側), espace de transition n’appartenant ni à l’intérieur ni à l’extérieur. Celui-ci servait à protéger la maison des intempéries, mais avait une autre fonction, plus symbolique. C’était le prolongement de la nature dans la maison et de la maison dans la nature. L’engawa et les parois coulissantes contribuaient à dissoudre les frontières entre l’intérieur et l’extérieur, physiquement et mentalement. Chacun pouvait laisser la nature pénétrer totalement dans l’espace de vie en ouvrant les shoji, et y était alors confronté avec tous ses sens. « La pièce était intégrée à la nature, la nature à la pièce. »22 . La nature et ses effets animaient la pièce et lui donnaient un sens particulier. Alors que la personne était toujours en relation avec la nature elle l’était aussi avec la communauté, à travers la maison dont la structure permettait cette correspondance. La maison n’isolant pas complètement l’intérieur de l’extérieur, les Japonais maintenaient des rapports étroits avec la nature, ressentant physiquement ses effets, observant ses changements constants, vivant au rythme des saisons, et subissant les bouleversements soudains de ses catastrophes. f. Milieu naturel et son symbole, le jardin - vivre dans un espace miniaturisé Les Japonais ont d’emblée dû composer avec peu de ressources. Une 22   Robert Klanten, « Sublime: New Design and Architecture from Japan », Berlin, Die Gestalten Verlag, 2011, p. 3. 33.  Jardin Ryoan-Ji (source: internet)
  • 102. 100 • ENVIRONNEMENT 34.  Plan de jardin de l’époque Edo (source: Musée des Beaux-Arts de Leiden)
  • 103. MILIEU NATUREL JAPONAIS • 101 grande partie du territoire est restée sauvage car difficilement habitable23 . Les Japonais ont donc dû apprendre à vivre les uns avec les autres en vivant dans des petits espaces. La rareté des ressources naturelles, l’espace limité, les phénomènes climatiques violents ont été des facteurs déterminants dans l’évolution de la maison. Il fallait aussi beaucoup travailler pour survivre, ce qui a eu un impact énorme sur le caractère des Japonais. Dans la construction de la maison cela signifiait aller au plus simple et prévoir un espace minimum nécessaire à la vie d’une famille. Cette capacité de réduction de l’espace trouvait son apogée dans la conception du jardin, teien (庭園). C’était une représentation à échelle réduite d’une image idéale de la nature. Il représentait les concepts esthétiques du zen bouddhiste selon lesquels la totalité de l’univers existait dans un petit espace. Quand il entourait la maison il avait un rôle purement esthétique, mais c’est à travers son rôle méditatif qu’il a été développé par les moines bouddhistes. Le jardin était une représentation miniature, une évocation de la réalité représentée par des symboles: la pierre représentant la montagne, l’étang la mer24 . De nombreux traités sont apparus codifiant la mise en forme du jardin, le plus célèbre étant le Sakuteiki (作庭記), écrit à la fin de la période Heian (XIème siècle25 ) sans doute par Tachibana Toshitsuna (橘俊綱)(1028- 94), qui donnaient des règles bien précises pour la conception du jardin. 23   Bowring et Kornicki, « The Cambridge Encyclopedia of Japan. », op. cit., p. 25. 24   Buckley, Sandra, Encyclopedia of Contemporary Japanese Culture. London: Routledge, 2002, p. 163. 25   Ibid.
  • 106. 104 • ENVIRONNEMENT Le jardin japonais était un processus de codification et d’artificialisation extrême, nécessitant un travail minutieux, qui a mené à une miniaturisation et une simplification extrême de l’espace, mais ayant énormément de signification. Plusieurs caractéristiques de l’environnement naturel du Japon ont influencé le peuple japonais dans ses croyances et dans sa manière de vivre : l’insularité qui l’a isolé, les phénomènes naturels parfois violents et destructeurs, la rareté des matières premières, le manque d’espace habitable. Cela a mené à un sentiment d’impermanence et au concept de l’éternel recommencement ce qui n’a pas empêché les Japonais de vouloir rester très proches de la nature. Auniveaude lamaisontraditionnelle,celasetraduisaitparlareconstruction ou la rénovation régulière, par une conception permettant de rester en contact avec la nature et les éléments et par la possibilité d’adaptation de l’aménagement des espaces de l’habitation aux circonstances.
  • 107. 105 Chapitre 2. Politique Tokugawa à l'époque Edo a. Introduction théorique La politique, définie comme l’« ensemble des options prises collectivement ou individuellement par les gouvernants d’un État dans quelque domaine que s’exerce leur autorité (domaine législatif, économique ou social, relations extérieures) »26 est déterminante dans toute société car le pouvoir en place à un endroit et à un moment donné prend des décisions d’ordre économique, culturel, social, artistique, concernant les relations avec l’étranger, qui ont un impact sur son évolution culturelle. La naissance, le développement et l’évolution d’une nation, et de son habitation, sont fonction notamment des relations qu’elle entretient avec les nations qui l’entourent. La nature de ces relations et leur évolution dans le temps entraine l’importation et l’adoption, à des degrés divers, de traits venant de l’étranger, et touchant tous les aspects de la vie. Ces traits vont avoir un impact sur l’habitat: directement par «  l’adoption de caractéristiques architecturales »27 ; indirectement par « l’introduction 26   « Politique». Le Petit Larousse Illustré. Paris: Larousse, 1999. p. 800. 27   Engel, « The Japanese House », op. cit., p. 339.
  • 108. 106 • ENVIRONNEMENT de pensée ou tradition étrangère, qui sera ensuite concrétisée dans le bâtiment.»28 . La position géographique du pays influence initialement son rapport avec les autres pays, mais ce sont surtout les décisions prises par les politiciens concernant les relations entretenues avec les pays tiers qui auront un impact sur leurs influences mutuelles. Dans le cadre de ce travail la politique sera abordée de manière chronologique, en tentant de comprendre d’abord des rapports entre le Japon et les pays proches de lui avant l’époque Edo, pour ensuite aborder la fermeture des frontières du Japon en 1639, et la politique intérieure du pays pendant toute l’époque Edo. La question qui se pose est de savoir en quoi les relations du Japon avec ses pays voisins, et avec d’autres pays tiers, ont eu des conséquences sur la culture japonaise et la formation de son habitat. b. Les relations du Japon avec l’étranger avant la période Edo: l’impact de la Chine La position géographique particulière du Japon a été mentionnée précédemment: pays insulaire, il est à la fois proche du continent asiatique, mais malgré tout, séparé de la Chine et de la Corée, par la mer. Cette position l’a protégé des invasions. D’autre part, l’insularité du Japon a permis au pays de réguler son ouverture vis-à-vis des autres pays, les favorisant à certains moments de son Histoire, 28   Ibid.
  • 109. POLITIQUE TOKUGAWA À L'ÉPOQUE EDO • 107 les freinant à d’autres. Ainsi, déjà au milieu de l’époque Heian29 (IXème siècle) le Japon a mis fin aux relations avec la Chine en ordonnant la fermeture de l’ambassade chinoise et en interdisant de s’y rendre. Ce n’est que deux siècles plus tard que les contacts ont été rétablis officiellement. Cette isolement politique et commercial du pays a été répété à l’époque Edo. Cette position géographique a aussi eu des conséquences sur l’introduction d’éléments étrangers dans le pays. En effet, ce n’est qu’à travers la Chine et la Corée que le Japon importait des éléments culturels étrangers qui avaient déjà subi un processus d’absorption dans ces deux pays, créant ainsi un « filtre » entre le Japon et le reste du monde. Finalement, le Japon a entretenu des relations commerciales privilégiées avec la Chine, son voisin géographique, et les a étendues aux missionnaires venus d’Europe à l’époque Muromachi (XVIème siècle)30 . Tantôt très protectionniste, tantôt formant des alliances politiques, tantôt cherchant à se positionner au sein du commerce mondial, le Japon a profité de son isolement mais l’a aussi subi. Cela a été une question d’époque, d’opportunité mais surtout de choix économique et politique. 1. Politique d’importation et de japonisation d’éléments étrangers Le Japon a adopté de nombreux traits de la société chinoise31 tout au long de son Histoire, mais la mer qui le sépare de la Chine entrainait un processus particulier d’assimilation à la culture japonaise, créant une coupure entre 29   Kato et Sabouret, « Le Temps et l’espace dans la culture japonaise », op. cit., p. 160. 30   Bowring et Kornicki, « The Cambridge Encyclopedia of Japan. », op. cit., p. 328. 31   Kato et Sabouret, « Le temps et l’espace dans la culture japonaise », op. cit., p. 157.
  • 110. 108 • ENVIRONNEMENT l’original et sa reproduction japonaise. D’abord seuls les traits créant un écho dans la culture japonaise y restaient durablement, les autres ne s’y implantant pas définitivement. Ainsi la chaise qui avait été importée de Chine ne s’est jamais répandue à tout le pays32 . Le trait introduit à la culture japonaise n’était qu’une imitation formelle, et non sa signification, son essence. Les Japonais lui donnaient alors un sens, et l’assimilaient à leur propre culture. Ces importations ont affecté tous les aspects culturels et sociaux de la vie japonaise: écriture, arts, système économique, philosophies, technique, urbanisme et bien sûr architecture33 . Le résultat de ce processus d’assimilation a été que, pendant longtemps, la société nippone n’a plus vraiment tenté d’innover mais cherchait plutôt à importer du continent les progrès sociaux et les nouveautés culturelles. Cela dit il y a toujours eu une « japonisation » des importations (c’est-à-dire une adaptation des éléments importés aux caractéristiques de la société japonaise) grâce à laquelle le peuple a gardé sa personnalité nationale. L’Histoire du Japon, qui a permis la coexistence34 entre le shintoïsme, le bouddhisme peut expliquer ce mécanisme. Avec l’importation de Chine, du bouddhisme au début de la période Asuka (en 55235 ), l’emprise du shintoïsme, qui légitimait le pouvoir de la famille impériale, a diminué. Seulement, comme le bouddhisme renforçait l’autorité du pouvoir en place en facilitant la centralisation de l’Etat36 , une solution a été cherchée 32   Philippe Bonnin, Benoît Jacquet, and Nishida Masatsugu, « Dispositifs et notions de la spatialité japonaise », op. cit., p. 283. 33   Engel, « The Japanese House », op. cit., p. 344. 34   Bowring et Kornicki, « The Cambridge Encyclopedia of Japan », op. cit., p. 158. 35   Ibid.. 36   Berque, « Dictionnaire de la civilisation japonaise », op. cit., p. 52.