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INKED GIRLS
STELLARIS, ALLEMAGNE
Depuis une dizaine d'années, les femmes ont largement investi le milieu du tatouage. Professionnelles ou
clientes, elle se juchent pratiquement à égalité avec les hommes qui ont tenu le haut de l'affiche pendant des
décennies. Certaines conventions, comme la Dutch Ladies aux Pays-Bas ou le Female Tattoo Show au
Royaume-Uni sont exclusivement réservées aux tatoueuses.
« Bodies of subversion », l'ouvrage de référence sur l'histoire des femmes dans cet art historiquement
trangressif a été réédité au début de l'année. Il retrace leur rôle, des spectacles itinérants du Far-West à la
télé-réalité (comme L.A. Ink), en passant par les premières artistes reconnues et les riot grrrl, mouvement
punk-rock féministe ayant émergé à Washington.
Mieux acceptées, les femmes massivement tatouées gardent indéniablement un pied dans la contre-
culture : beaucoup d'entre elles travaillent de près ou de loin dans le milieu des modifications corporelles,
certaines d'entre elles sont artistes ou modèles, entre autres pour le site américain de charme
SuicideGirls.com. Véritable institution de l'alternatif née à Portland en 2001, elle met en avant des filles
tatouées et/ou percées. Une référence à la notion de suicide social, terme fondateur de Survivor, le roman
de Chuck Palahniuk, retentissant auteur de Fight Club.
Alors, suicide social ou démarche émancipatrice ? Une quinzaine de femmes tatouées françaises,
américaines, belges, italiennes, s'expriment sur leur métiers, leurs quotidiens, leurs projets et leurs corps.
Des corps souvent reluqués mais toujours assumés, même s'ils barrent la voie à certaines vocations,
attendant impatiemment le fameux « changement de mentalités ».
Textes : Laure Siegel / Photos : P-Mod
PURDEY, GRAPHISTE, 27 ANS (PARIS, FRANCE)
Dos : Maud Dardeau - Tin-Tin tatouages, Paris
Pièce noire clavicules : David, Studio LC, Caen
Coeur de chat, coeur rose, Fleur de Lys, Nuage, poignets, perso sur les côtes: Cyril, Tapaki,Caen
Fille haut du bras : Jacky, Jacky Tattoos, Caen
Chat bras gauche : Lionel El Fahy, Out Of Step, on the road
Fleur jambe gauche : Chriss Dettmer, The Black Hole, Hambourg
Oiseaux : Mikado, Mikado Tattoos, Nantes
Lettrage sous poitrine, Montgolfière, manchette : Dwam / Sang noir – Nantes
J'ai commencé à me faire tatouer quelques jours après mes 18 ans, sur le doigt. Mes parents sont un petit
peu tatoués, ça m'a intrigué dès l'enfance. Ils avaient une maison d'édition où j'ai passé mon enfance et
adolescence à fouiner dans des bouquins, trouver des motifs, etc. Après j'ai été influencée par mes idoles
musicales, je feuilletais des magazines spécialisés, fouillait internet. Je m'intéresse au black metal, à
l'ésotérisme, aux univers sombres, à l'imagerie occulte. Je suis graphiste dans le collectif Fortifem qui
travaille beaucoup sur ces thèmes également. Mais j'aime la vie et le second degré quand même...
J'ai la chance de travailler dans un milieu où les tatouages sont très bien acceptés, alors la décision de me
faire tatouer les mains par exemple ne m'a posé aucun problème. Comme le fait de poser pour des
magazines ou sur internet. Le seul problème d'exposer ses tatouages est le risque de se faire piquer les
motifs par des gens qui se font tatouer la même chose. Au début ça m'énervait beaucoup et puis j'ai
relativisé. De toute façon ils ne sont jamais identiques et les miens viennent d'une vraie démarche, pas d'une
bête recherche sur internet.
Je suis fan d'arts visuels, j'aimerais avoir plus le temps de faire de la photographie et de la création et j'ai
dessiné certains de mes tatouages. Au début, je choisissais mon tatoueur un peu à l'aveuglette. Aintenant je
recherche des artistes dont l'univers visuel me parle à cent pour cent. J'aime bien collectionner des œuvres
autre part que sur des murs ou dans une bibliothèque.
Ma dernière pièce est sur mon dos, les quatre cavaliers de l'Apocalypse de Albrecht Dürer, qui a nécessité
25 heures de travail. Plus les années passent, plus ça fait mal : la mémoire du corps est une réalité. J'envie
ceux qui commencent plus tard parce que j'en viens à me poser la question : est-ce que je fais cette pièce
qui me plairait ou est-ce que la douleur va être trop forte ?
www.fortifem.fr
www.purdeydemille.net
MAUD, 29 ANS, TATOUEUSE (PARIS, FRANCE)
Main/Bras : Jondix - Holytrauma, Barcelone
J'ai été embauchée au bout de six mois d'apprentissage chez Tin-Tin, il y a un an et demi. J'ai été peintre
pendant six ans en collectif, j'ai commencé à me faire tatouer chez Tin-Tin puis j'ai déposé mon book et ça a
marché. Aujourd'hui il faut arriver avec un niveau de dessin impeccable dans les shops.
Dans le milieu, ça se détend au niveau machisme. Je n'ai pas vraiment de souci, maintenant les tatoueurs
me disent bonjour, il n'y en a plus beaucoup qui pensent que je suis la manageuse ou la « meuf de ». Et
sinon ils changent d'attitude quand ils me voient tatouer sur le stand.
C'est dur comme boulot, surtout en convention : il ne faut jamais relâcher l'attention pendant des heures,
avec la musique et les gens tout autour. Mais c'est un job rêvé, je ne peux pas rester 15 jours sans tatouer,
je veux faire un maximum de conventions, en profiter pour voyager.
Mes pièces sont des œuvres d'art, je les collectionne de la même façon. J'ai commencé à me faire tatouer
pratiquement en même temps que j'ai appris. Je choisis les gens qui me tatouent, je viens avec une peinture
ou un dessin de moi et je laisse la liberté au tatoueur de l'interpréter il faut que ça passe, je ne pourrais pas
porter la pièce de quelqu'un que je n'aime pas.
Sur le bras, ce sont deux personnes différentes qui ont fait la forme et le fond, mon corps est un patchwork
de tatouages. Quand j'étais apprentie, je me suis tatouée moi-même, pour m'entraîner...
https://www.facebook.com/MaudDardeauTinTinTatouages
KARI, 52 ANS, TATOUEUSE (LONG BEACH, CA – USA)
Je suis originaire de Minneapolis et j'ai commencé à tatouer en Californie, en 1979. Quatre ans après j'ai
ouvert mon propre shop. J'en gère sept maintenant et je fête cette année les 30 ans de ma chaîne. Un des
shops que j'ai racheté en 2003 est le plus ancien de toute l'Amérique encore en activité, qui a commencé en
1927 et le deuxième plus vieux du monde. J'en ai transformé une partie en musée pour rendre hommage
aux artistes du siècle passé de Long Beach et parce que c'est très important pour l'aspect historique du
tatouage.
C'est un ami qui m'a initié et m'a poussé à m'entraîner... sur mon mari au tout début ! Je n'ai pas fait d'études
universitaires, j'ai appris l'art en autodidacte. Dans ces années-là, on était 6-7 dans tous les Etats-Unis, les
hommes ne nous croyaient pas capables et ne voulaient pas nous apprendre. Je trouve ça super de croiser
autant de femmes reconnues aujourd'hui dans les conventions.
Cela peut paraître paradoxal mais je ne suis pas beaucoup tatouée, mon ex-mari m'en a fait quelques-uns
mais c'est tout. J'en ai cinq, je ne les ai pas dessiné moi-même et je ne me suis jamais tatouée moi-même
non plus. Le premier est une rose avec son nom dedans, sur le bras. Je porte les autres sur les jambes et
dans le dos, des parties non visibles. Pour ouvrir des shops il faut faire plein de démarches administratives
et « bien » présenter, du moins au début... Maintenant je m'en fiche et c'est beaucoup moins stigmatisé,
mais il faut que je trouve le temps pour recommencer !
Je créé également des images 3D de reconstruction mammaire pour le centre de soins du cancer du sein de
Long Beach car je reçois de plus en plus de femmes qui viennent se faire tatouer la poitrine après un cancer,
pour passer le cap.
Un article du Los Angeles Times sur Kari Barba en 1991.
www.outerlimitstattoo.com
KARINE, 36 ANS, RÉDACTRICE DOCUMENTALISTE (GRUISSAN, FRANCE)
Je suis rédactrice documentaliste et je travaille dans le milieu du tatouage depuis une dizaine d'années.
J'étais aussi pendant deux ans dans un studio, chargée de l'accueil des clients, de la gestion des rendez-
vous et de la stérilisation du matériel.
Mon premier tatouage a été réalisé en commun avec Alex, mon compagnon en 1999 : un petit dessin "tribal",
griffonné par Alex, et tatoué sur le haut du bras (droit pour moi, gauche pour Alex, les 2 tattoos pouvant se
"coller" si on approche les deux bras). J'ai adoré me faire tatouer, j'ai trouvé que ce n'était pas aussi
douloureux que ce à quoi je m'attendais, et j'ai immédiatement eu envie d'en faire un autre.
Mes tatouages sont tous liés à mon histoire personnelle : le premier représente le couple que je forme avec
Alex depuis 18 ans, et même s'il a été recouvert depuis, il est toujours là et le tatouage qui le recouvre
symbolise la même chose. Il s'agit de deux dragons, évidemment uniques. Pour moi, il représente en plus le
lien que j'ai avec le monde du tatouage, le dragon étant un motif emblématique de la culture du tatouage, et
Tin-Tin pouvant être, à mes yeux, le seul tatoueur à l'encrer sur ma peau. Les tatouages suivants sont là
encore le fruit de rencontres : Dimitri, pour mon bras gauche, a créé une composition décalée, drôle et très
colorée sur la base d'un thème biblique. Neusky a enrichi une petite peinture qu'il avait déjà créée : une
brochette (représentée par une aiguille à tatouer) de dauphin et de plusieurs autres petits éléments qui font
référence à ma personnalité, vue par le tatoueur en quelque sorte...
Exemple plus récent, mes deux pieds tatoués par Romain (Triptik Tattoo à Toulouse) et Tiraf (Altkirch et on
the road) en une seule séance pendant la Convention de tatouage de La Roche sur Yon en 2012 : le coq et
le cochon symbolisent une croyance marine faisant de ces animaux terrestres des éléments permettant de
rejoindre le rivage si on tombe à l'eau...
J'ai aussi des "coups de tête", ou plutôt des "coups de coeur", comme ça a été le cas avec Amy Mymouse,
une jeune tatoueuse très talentueuse que j'ai découvert lors de l'Holiday Ink à Pertuis en 2012. Je lui ai
demandé une grenouille tout simplement, histoire d'avoir un tattoo portant sa signature graphique : Le
tatouage cicatrise encore. Dans le même délire, Noon (Troyes et on the road) m'a aussi tatoué une
grenouille, dans son style bien particulier, dont je ne suis habituellement pourtant pas très friande : J'ai
surtout bien accroché avec ce tatoueur et craqué pour certains de ses tatouages.
Mes tatouages ne sont pas forcément longuement réfléchis mais ils procèdent d'une certaine maturité dans
la démarche : Pour moi, c'est le tatoueur la clé. Je choisis un tatoueur avant de choisir un motif ou un thème.
Une fois que le tatoueur est choisi, je définis à la fois un thème et un emplacement sur le corps, selon la
"surface" que j'ai envie de lui consacrer.
Avec le temps, j'ai appris à apprécier l'art du tatouage en tant que tel, à tel point que je le défends
activement au sein du SNAT depuis une dizaine d'années aux côtés de Tin-Tin et de tous ceux qui se
démènent avec beaucoup de volonté autour de nous.
Quasiment jamais de regrets, mais il faut dire que j'ai plongé dans le monde de l'encre peu de temps après
avoir fait mon premier tatouage, ça fausse les données.
Le seul souvenir "marquant" que je garde, c'est lorsque je me suis fait tatouer une petite grenouille sur
l'index gauche. A l'époque, je travaillais encore comme documentaliste dans un hôpital... Lorsque le directeur
a vu mon doigt en poupée, il s'est tout de suite inquiété de savoir ce qui m'était arrivée : je lui ai dit que je ne
m'étais pas blessée, que c'était juste un tatouage. Je l'ai vu écarquiller les yeux, me faire répéter le mot
"tatouage », puis il a fait semblant d'être rassuré et est parti se réfugier dans son bureau... Ce qui ne l'a pas
empêché de me proposer un poste définitif à plein temps ! Pour l'anecdote, j'ai décliné l'offre et j'ai
commencé à mettre un pied dans l'univers du tatouage : j'ai créé un site d'info et de documentation dans le
but de montrer une "vitrine" de mes compétences. J'ai choisi le tatouage, avec le site tatouagedoc.net .
Outre l'aspect professionnel, je n'ai aucun souci particulier dans ma vie quotidienne. J'accepte tout : les
regards insistants, curieux, admiratifs ou désapprobateurs... Je ne fais aucun effort particulier pour montrer
ou cacher mes tatouages, à part peut-être en convention, car je suis très fière d'exposer les œuvres de mes
tatoueurs.
Je ne me suis pas posée de limites en terme d'âge : tant que le tatoueur jugera ma peau bonne à tatouer, je
serai partante. Je tâche d'en prendre soin : hydratation régulière et exposition modérée et protégée.
Sur les parties du corps, a priori ma seule limite serait le visage, car c'est la première image que l'on renvoie
à quelqu'un. Un visage tatoué trompe la donne, son regard ou son sourire n'est plus le même... Aujourd'hui,
je n'envisagerai de me faire tatouer le visage qu'à un âge avancé, si je n'ai plus d'espace ailleurs, et si ma
peau n'est pas trop fripée !
Je ne me sens pas appartenir à une communauté de tatoués, bien que l'expression soit utile lorsqu'il s'agit
de défendre l'art du tatouage, les conditions de travail des tatoueurs, ou encore les rares discriminations
faites aux personnes tatouées. Je n'ai pas d'affinité a priori avec quelqu'un parce qu'il ou elle est très
tatoué(e). Le tatouage ne rend pas intelligent, même si ceux qui n'en ont pas ne sont pas moins cons !
Le tatouage m'a apporté bien plus que ce que je n'aurais pu imaginer : un art unique et vivant, fruit d'un
échange entre l'artiste et la personne "support". En me faisant tatouer, j'orne et j'habille mon corps, et je
porte les œuvres de mes tatoueurs jusqu'à ma mort. Ce qui me fait penser que j'ai aussi un "memento mori"
tatoué à l'envers sur le ventre, pour le lire régulièrement dans le miroir. Comme le dit Pascal Tourain : "Le
tatouage c'est du définitif sur du provisoire."
Au-delà de toute considération féministe, et aussi appréciable soit le corps féminin, je trouve que de beaux
tatouages bien placés exaltent la beauté des femmes.
Vivant sur un voilier, je serai probablement amenée à voyager et rencontrer des tatoueurs issus d'autres
cultures que la mienne. Je me laisserai certainement tenter par l'encrage d'un souvenir à l'occasion, afin de
marquer une escale et compléter ma collection...
ANNE, CRÉATRICE DU MAGAZINE DE MODERN ART HEY ! AVEC JULIEN, 49 ANS (PARIS, FRANCE)
On vient du spectacle de rue, on avait une galerie d'art contemporain dans les années 90, avec déjà la
même ligne éditoriale que Hey !. Une troupe, « Hey la compagnie » fait un commentaire scénique de la
revue à chaque numéro, on est dix sur scène, un grammophone avec des 78 tours d'époque : cirque, néo-
burlesque, buto-hardcore, VJ, beatbox.
On est en croisade pour changer le paysage culturel français, la façon dont le marché de l'art traite les
artistes contemporains. Nous voulons incarner l'avenir, mettre en avant des artistes sous-estimés par la
marché de l'art car ils ne génèrent pas d'argent.
On va contre tout ce qui a été établi en France depuis les années 70, cet art conceptuel qui domine le
marché de l'art et on veut continuer à être bons.
Dans la vie, il faut faire des choix clairs et se donner les moyens de ses objectifs. Le matériel et l'argent ne
nous ont jamais importé. Une de nos obsessions est la transmission et le dialogue et l'art est un noyau dur
qui les provoque.
J'ai besoin de beauté pour vivre, de cette beauté subjective et éphémère. Le tatouage est une des formes
d'embellissement de la vie. Depuis mes 14 ans, j'ai toujours eu des amis tatoués, cela a toujours fait partie
de ma vie.
J'ai attendu longtemps avant de me faire tatouer, il y a douze ans chez Sacha du Mystery tattoo Club.
J'attendais la bonne personne, c'est comme si je rentrais dans un confessionnal. Je suis une toile blanche
pour mon tatoueur, je lui dis un mot ou deux et puis il se lance. C'est allé du poignet jusqu'au crâne alors que
ce n'était pas prémédité. Le tatouage c'est quelque chose de très sérieux, dans ce que ça t'apprends de toi-
même, très profond. C'est comme tomber amoureux : tu couches pas avec n'importe qui, le tatouage c'est
pareil.
Je le vis de façon aussi ornemental que mental. J'espère que tout ce qui gravite autour du tatouage ne va
pas se pervertir. J'espère qu'il ne va pas souffrir de ce que le milieu underground vit en ce moment.
Sur le poignet, cette spirale à l'encre blanche, c'est mon alliance, Julien a la même. Sacha s'est déplacé à la
mairie avec un petit kit pour nous le faire le jour même.
www.heyheyhey.fr
JOANNE, 33 ANS, COACH DE VIE (BRUXELLES, BELGIQUE)
Tous les tattoos : Olive / Abraxas / Paris
J'accompagne les artistes et créatifs dans l'atteinte de leurs objectifs et dans la gestion des périodes de
transition.
Aussi loin que je me souvienne, les tatouages m'ont toujours impressionnée ou fascinée. Pour autant, je
n'imaginais pas une seconde que je me ferais tatouer un jour. C'est finalement à 27 ans, dans une période
de transition importante, que j'en ai ressenti le besoin. Ça m'a obsédée chaque jour pendant plus d'un mois,
alors je l'ai fait. Au moment où je me faisais tatouer pour la première fois, je savais que ce ne serait pas la
dernière fois, mais j'ai attendu deux ans pour recommencer. Cette fois-ci en revanche, j'ai enchaîné les
séances. J'ai rencontré un tatoueur en qui j'ai eu rapidement entièrement confiance, et qui m'a encré toutes
les pièces suivantes. Certains de mes tatouages sont directement liés à mon histoire personnelle, d'autres
moins. Mais dans tous les cas, j'ai toujours voulu qu'ils ne véhiculent que du positif.
Aucun regret, ni de problème particulier... si ce n'est de devoir parfois supporter de se faire "tripoter" le bras
par de parfaits inconnus, ou d'entendre des avis non sollicités.
Je suis modèle depuis une dizaine d'années, même si je pose beaucoup moins maintenant, et presque
uniquement pour Suicide Girls. J'ai commencé à poser pour prendre confiance en moi, me trouver enfin jolie.
Ensuite, j'ai été animée par le plaisir de participer à une oeuvre artistique - j'apprécie l'art, mais je n'ai pas de
talent particulier en la matière - mais aussi parfois par l'envie de jouer à être quelqu'un d'autre.
Je ne me sens pas particulièrement appartenir à une communauté. Mais en tant que féministe, et du fait de
mon histoire personnelle, on peut effectivement lire dans le choix d'être tatouée : "mon corps m'appartient,
j'en fais ce que je veux, et ça ne m'empêche pas d'être quelqu'un de respectable"... même si ce n'est pas du
tout ce qui m'a motivée à la base.
http://coachnroll.com/
KALI - 24 ANS, BARMAID (PARIS, FRANCE)
Mains : Diogo - La casa de Leos - Brésil
Chest : Jojo - Royal Tattoo, Paris
Je suis à Paris depuis deux ans. J'ai fait des études d'aménagement paysager, que je n'ai pas pu
poursuivre. Aujourd'hui je m'adonne beaucoup à la peinture, au dessin, au cirque (cracheuse de feu,
équilibriste sur fil), au free fight (MMA). Je fais tout ça en autodidacte.
J'ai fait mon premier tatouage à 14 ans, un arbre à chats sur le bras, dans un festival à l'arrache. Le mec ne
m'a pas demandé si j'avais 18 ans, je faisais déjà plus que mon âge et je traînais avec plein de gens plus
âgés. J'ai fait rattraper ce premier tatouage à 17 ans.
C'est devenu une drogue. Mon oncle m'a payé mon premier piercing à 13 ans : c'est avec lui que j'ai
commencé tatouage et sports de combat.
J'ai continué à 18 ans au black chez des copines, mais elles travaillaient avant en shop alors les conditions
stérilisation et les normes étaient respectées. A ce moment-là, j'ai fait le rasoir dans l'intérieur du coude, le
coeur-sablier sur le flanc avec les horloges. Ce sont mes dessins que je me fais tatouer, je m'inspire
beaucoup du style Yann Black (Glamort, Montréal, QC) .
Mon bras avec des motifs cartoon est relié à l'enfance que je n'ai pas eu. Mon corps est séparé entre ce côté
couleur, enfantin, enjoué, positif et celui noir poétique, sombre, torturé, écorché. Suite à une mauvaise
rencontre et une agression, je me suis fait tatouer un portrait de moi ensanglanté sur le mollet.
Je ne me ferais plus tatouer sur le visage, j'en ai déjà deux. Mais j'ai prévu de me recouvrir entièrement le
corps, c'est décidé depuis toujours. Et de préférence avant d'être vieille et moche. Puis je ferais rire mes
petits-enfants en faisant bouger mes personnages avec ma peau flasque...
Je ne me drogue pas, je n'ai pas d'acccoutumance à trop de choses, c'est ça mon trip.
Y en a certains que j'ai regretté mais ils ont été recouverts. Ils ne me posent aucun problème dans ma vie
quotidienne, ce n'est pas pas un frein à ma vie professionnelle, en tout cas pas dans les métiers que je
compte pratiquer.
On est en 2013, les mœurs ont changé, on est vus comme des êtres humains avant tout. J'ai quand même
enlevé tous les piercings pour avoir un visage plus neutre.Tout le monde pense que c'est un enterrement
social mais les gens viennent me parler plus que jamais, c'est même un peu chiant de s'expliquer tout le
temps. Les gens veulent mettre leur doigt sur ma poitrine juste parce que j'ai un bateau dessus, je ne suis
pas une attraction ! Y a la Tour Eiffel à Paris !
Aujourd'hui on en est plus au taulard qui racontait ses meurtres sur sa peau, mais c'est devenu un effet de
mode et d'esthétisme.
Je fais partie de l'agence One Ted et cela fait six ans que je suis modèle : suspension, shibari, piercing,
trash, mode, portrait, pin-up, skin, nu... Je choisis les photographes, stylistes qui me plaisent. Bon, pas de
porno et pas de caca-pipi.
Certes il y a plus de femmes dans le tatouage mais cela est dû à une féminisation globale de la société, la
femme reprend le pouvoir dans tous les secteurs et tous les métiers.
Je ne suis pas du tout féministe, je pense que l'homme a plus sa place à certains endroits, mais la femme
doit avoir le choix d'être partout aussi. Etre tatouée n'est pas une revendication féministe, pas pour faire le
mec et montrer que j'en ai... Je n'ai pas assez de peau pour raconter mon histoire et cela n'a rien à voir avec
mon genre. Je suis dans l'idéal de la pin-up américaine, blonde platine, tatouage tout le corps et poitrine
refaite et je l'assume complètement.
Mon rêve absolu serait de devenir tatoueuse, je passe mon temps dans les salons à traîner avec les
tatoueurs. Je n'ose pas demander pour l'instant, je manque de confiance en moi face au niveau de tous les
gens qui sortent d'école d'art. Et c'est difficile, au début l'apprentissage n'est pas payé, et sans thunes à
Paris, c'est pas possible. Il y a presque plus de demandes pour être tatoueur qu'être tatoué en ce moment...
DWAM - 28 ANS, ARTISTE (NANTES, FRANCE)
Dos, genou et épaules : Joe Moo tattoo - Angoulême
Bras : Jubss - Contraseptik, Strasbourg
Pied : Reynald - Asphalt Jungle, Strasbourg
Cuisse : Juliette Paupiette - Freaky Family, Lille
www.sang-noir.net
Je suis tatoueuse depuis quatre ans. J'ai fait une école de bande dessinée et d'animation, puis les Beaux-
Arts d'Angoulême et j'ai travaillé un an dans un studio de dessin animé. J'adorais mais je suis partie pour ne
plus avoir de patron ni d'horaires : maintenant je peux voyager et bosser n'importe où, c'est devenu mon
truc. C'est un métier qui marche bien, ce qui est devenu rare dans les milieux artistiques : les conditions
dans la BD sont déplorables, c'est l'exemple extrême par rapport au tatouage.
Je voulais me faire tatouer depuis que j'étais ado, j'ai démarré à 20 ans avec des choses très symboliques.
Je viens d'une famille où les gens sont magnétiseur et à moitié sorcier, ma mère fait de l'astrologie alors je
baigne dans les représentations symboliques depuis très longtemps. Je ne voulais pas des tattoos mignons
de filles, mais des corbeaux, de la mythologie nordique. Une façon de dire : « Je ne me soumets pas à vos
codes ». Je ne le fais pas dans l'impulsif, je réfléchis pas mal au motif. Mais je fais aussi attention à
l'esthétique, que les tattoos soient bien intégrés sur le corps : comme je suis modèle, je trouve que c'est
important de garder une cohérence. J'ai commencé à me faire tatouer les mains et des parties plus visibles
quand je suis devenue tatoueuse.
Avec le tatouage, certaines filles ont pris conscience qu'elles peuvent faire quelque chose à leur corps sans
devoir demander la permission ni obéir à la pression sociale. Les clichés ont la vie dure, les tatouées sont
censée fumer, se droguer, coucher à tout va, etc mais on assiste quand même à un retournement et de plus
en plus de filles s'en foutent de ce que ça peut donner comme image, du discours « C'est pas beau sur une
fille »... Ma clientèle n'est composée pratiquement que de filles et je reçois notamment des femmes
divorcées d'un certain âge qui se disent : « Enfin je fais ce que j'ai envie, je n'ai plus de conjoint, de famille
pour me juger et me dire que ça ne se fait pas de se tatouer à fond ». C'est moins mal vu grâce au côté très
esthétisé du tatouage ces dernières années.
Je pense que je ne me tatouerais jamais le visage, pour passer neutre quand il faut. Là avec le retour de
l'été, j'appréhende déjà les regards alors que l'hiver on peut passer inaperçu dans nos manteaux...
Mais c'est une question de temps : dans 30 ans, on aura encore moins à se cacher et le tatouage dans le
cou sera démarginalisé.
Il y a énormément de gens qui viennent me toucher, je déteste ça ou des gros lourds qui me reluquent. Nos
tatouages ne sont pas un éventail pour les autres, on les fait pour nous. Ce n'est pas parce que c'est visible
que c'est public, on est pas en exhibition.
Ca reste un milieu très macho où il faut travailler plus dur que tous les autres, un peu comme partout. La
différence est qu'en tant qu'indépendant il n'y a pas d'esprit d'entreprise, de hiérarchie, tu peux faire ta vie
hors de toutes ces discriminations.
Etre modèle n'a jamais été un souci et c'est même très pratique au niveau réseau. Ce sont des gens qui ont
l'habitude, tu as moins le stigmate de « pute nue sur le net ». Néanmoins, beaucoup de modèles ont arrêté
quand elles se sont lancées tatoueuses parce que ça peut prendre des grosses proportions et il y a toujours
le risque que des gens utilisent ça pour nous décrédibiliser.
C'est un métier considéré comme marginal mais la plupart ont un style de vie très normal et l'esprit judoé-
chrétien – « montrer son corps c'est mal » - subsiste là aussi malheureusement. Alors pour avoir un
semblant de normalité, le milieu recrée des règles et reproduit ce genre de schémas.
L'homophobie, le privilège du mâle blanc sont ancrés dans le tatouage en Europe occidentale car le
tatouage vient des Blancs chez nous, alors on cultive ce traditionnalisme. En général, ce n'est pas un milieu
qui se lève pour défendre des droits.
Je suis aussi photographe mais de moins en moins, je n'ai pas beaucoup de temps libre. Je ne sais pas si je
ferais du tatouage toute ma vie mais c'est bien d'y vieillir : plus tu acquiers de l'expérience, plus t'es pris au
sérieux. J'assume de poser pour des sites de soft porn (Suicide Girls) : de toute façon nous sommes des
femmes, donc objectivisées et sexualisées alors autant le faire volontairement et comme nous avons envie.
Et avec le côté tattoo, tout de façon on se fait mater, alors autant y aller à fond. Quand tu poses nue, tout le
monde est contre toi : les mecs, qui aiment bien regarder mais te méprisent, les réacs, certaines féministes.
La nudité et la sexualité, c'est encore le mal.
Alors que poser permet de s'approprier son image, de l'aimer et ça fait franchement un bien fou à l'ego.
Beaucoup de filles ne réalisent pas l'impact positif que ça peut avoir. On discute beaucoup avec celles qui se
lancent, on leur explique que même sous pseudo, tout ce qui se retrouve sur internet est susceptible d'être
vu et qu'il vaut mieux l'assumer d'emblée. La plupart le gèrent bien. Et puis, une fois que t'as survécu aux
critiques de ta famille, tu survis à tout...
Il y a tellement de standards de beauté à battre en brèche : il faut savoir que plein de gens se tatouent des
parties du corps qu'ils n'aiment pas pour les embellir. C'est une manière de se rendre beau, de s'aimer, de
s'approprier son corps. Je décide de rédécorer ça à ma manière : on parle beaucoup du tatouage comme un
milieu identitaire et transgressif, mais ce n'est pas seulement ça, c'est surtout une forme d'esthétisme.
JULIETTE - 27 ANS, TATOUEUSE (LILLE, FRANCE)
Bras rouge - Mike, chiale baby - Lille
Chest, Nathan Kostechko LA
Bras noir, avant bras : Bertrand - bouzille deluxe Toulouse, le haut par Teo milev chez le marquis, Lyon
http://paupiette.carbonmade.com/
Je tatoue depuis trois ans, j'ai aussi fait l'école de bande dessinée et d'animation Pivaut.
J'ai commencé à me faire tatouer à 19 ans, un truc tout simple, sans signification particulière. Je n'ai jamais
accordé trop d'importance à la signification des tatouages, pour moi c'est une démarche artistique,
ornementale et un échange avec les personnes. Cette envie ne part pas non plus d'une rencontre décisive.
Je ne donne pas un côté sacré au tatouage.
C'est comme si j'avais une bande dessinée sur les bras. J'ai aussi la poitrine et le cou, que je me suis fait
tatoué à partir du moment où j'étais tatoueuse professionnelle, comme un non-retour dans mon parcours.
Je ne m'en rends pas forcément compte, mais des filles aussi tatouées sont encore rares en France, même
à Paris. En Amérique du Nord, les gens sont moins effrayés, ont l'habitude des grandes pièces tatouées.
C'est pour ça qu'au shop, nous faisons un gros travail d'éducation, de mise en garde envers les jeunes, qui
viennent pour la première fois et veulent directement se faire piquer le cou, le visage, les mains. On leur dit :
« Fais gaffe, tu ne sais pas encore forcément ce que tu veux faire dans la vie et ça peut fermer des portes»
En France, c'est encore difficile alors qu'au Canada ou en Amérique, des serveurs tatoués de haut en bas ça
ne dérange personne.
Certains te prennent plus ou moins au sérieux, après tu y portes le crédit que tu veux, maintenant ça me
passe au-dessus. Je suis aussi modèle : j'assume tout ce que j'ai fait, avec ou sans pseudo, rien ne
m'atteint. Beaucoup d'archaïque et de vieille école, ça reste un truc à l'ancienne, dans la hiérarchie, le
machisme. Mais il y a aussi des gens très libéraux et ouverts même s'il n'y a pas beaucoup d'entre-deux
entre eux et la culture tattoo très virile, avec bikers et pin-up...
Je n'ai pas de prospective particulière, à part me remettre à la BD et garder un rythme de vie sain. Je fais
beaucoup de yoga, justement parce que c'est un boulot hyper prenant, physique. Tu es dans une position de
merde, crispée, avec des machines lourdes qui vibrent tout le temps, y a vraiment moyen de finir sourde,
myope et arthritique. On voyage tout le temps et ça fatigue aussi.
JESSICA - 30 ANS, PIERCEUSE, CHAMPIONNE DE FRANCE DE BODY FITNESS (COLMAR, FRANCE)
Tattoos : Olivier - Glamort, Montréal QG - Stoo - Iron Ink, Nantes - Tiraf, Fresh Ink, Mulhouse
Cela fait dix ans que je fais de la musculation, et quatre ans de la compétition. Pendant l'année, je consacre
quatre mois à préparer mon corps avec un régime draconien de diététique et de sport : pas d'alcool, pas de
fruits, etc. Ce qui me plait là dedans, c'est la rigueur et le plaisir de voir ton corps évoluer.
Je cherche à être musclée mais je veux garder des formes féminines, ça va très vite de gonfler et je veux
que ça reste harmonieux. Allonger les muscles, et non les épaissir. La compétition, c'est 80% d'alimentation
et 20% de sport. Je fais un peu de coaching aussi, pour apprendre les gens à s'entraîner.
Mes tattoos n'ont jamais posé problème pour les jurys et j'ai toujours revendiqué de ne pas être « la meuf
tatouée et musclée », j'ai un nom, une personnalité, une histoire. Je suis à fond dans les deux milieux, ce
n'est pas forcément compris par tout le monde mais moi je sais où je vais, je me sens bien.
Je ne fréquente pas ces milieux pour me marginaliser, je suis contente de croiser plein de gens différents.
J'ai commencé à travailler à 14 ans en apprentissage, j'ai fait un Bac pro dans la grande distribution et appris
à vendre de l'alimentation de merde aux gens : quand tu commences avec des conditions de travail aussi
pourries, tu peux tout faire. J'ai bossé dans la bijouterie, la restauration.
Un jour, j'allais à l'usine où j'emballais des collants et je me suis faite renverser à vélo. Pendant mon arrêt
maladie, j'ai passé tout mon temps chez ma perceuse . Ca y est j'avais trouvé ma voie, j'ai arrêté d'aller au
CIO où on me conseillait une formation de secrétaire médicale. Elle m'a tout appris sur le tas et depuis 1999,
c'est mon activité principale. On a ouvert un shop avec mon compagnon qui est tatoueur.
J'adore ce métier, où tu as un vrai contact avec les gens. J'ai percé une fille anorexique à la langue, je l'ai
appelé tous les jours pour lui demander si elle avait mangé et suivre sa cicatrisation. Les modifications
corporelles sont un vrai travail de fond, d'échange : avec le tatouage, ça va encore plus loin.
C'est pour ça que je ne pourrais pas tatouer, tu te prends toutes les histoires, les personnalités des gens
dans la gueule et je suis trop sensible, ça me ferait cogiter et me rendrait fêlée.
On fait également un suivi pour les tatoués : quand des gamins arrivent et veulent se faire tatouer le cou ou
l'étoile de Rihanna, on leur dit : « Tiens, prends une revue de tattoo et on va discuter ». On ne fait pas ce
genre de choses, sauf pour les gens aguerris.
On était installés dans le sud de la France pendant deux ans et j'ai épuisé des journées à expliquer aux gens
que la tattoo c'est personnel. On a même pensé à écrire un bouquin « Tribulations de tatoueurs » avec les
anecdotes les plus improbables...
J'ai fait mon premier tatouage dans un studio pas très recommandable, à Rennes, à 18 ans.
Mon père était dans la marine, a fait quatre fois le tour du monde et il me montrait des photos de voyage de
gens hyper-tatoués au Japon, dans les îles, ça me plaisait trop, je savais que je voulais des dessins sur la
peau. Mes poupées, je leur rasais les cheveux et je les tatouais déjà au feutre à six ans...
Mes bras racontent tous mes souvenirs d'enfance : des portraits jeunes de mon père et ma mère, un voilier,
une sirène, une geisha, un tiki de Polynésie, toutes les tribulations de marin de mon père. Puis j'ai viré vers
le rétro et le vintage, avec des tatoueurs que j'apprécie. J'ai aussi l'arbre du voyageur de Madagascar sur le
flanc, car c'est le pays d'origine de ma mère et la phrase Sambatra, « bonheur absolu » en malgache sur le
bas-ventre. J'y retourne tous les deux ans, voir mes tantes et cousines. Mon corps est ma carte d'identité.
Je ne ferais pas d'autres piercings, mais je n'ai pas de limites en terme de tattoos, hormis les cuisses peut-
être. Je ne pourrais pas dire pourquoi.
La décision de se tatouer n'a rien à voir avec le genre. Moi je sais où je suis, mais les autres ont du mal à
me caser. Un jour j'ai des talons de 10 cm vert fluo, le lendemain un baggy et casquette. Le seul truc
cohérent là-dedans, c'est que je suis la météo. Dans mon shop, on passe du Beethoven, du Rammstein, etc.
Je suis un pur produit de la mixité.
Je ne me rends même plus compte que je suis tatouée, à part en regardant des photos d'avant, mais je ne
pourrais plus me voir autrement. On se prend encore des remarques : un été sur la place, on se baladait
avec mon compagnon et ses enfants, des gens ont dit sur notre passage : « Et en plus ils se
reproduisent... » C'est incroyable, ce mépris sur l'apparence.
GOGO BLACKWATER - MODÈLE ET ENTREPRENEUSE (MILAN – ITALIE)
Je gère un shop en ligne, je suis fan de films indépendants, de musique et de loups.
J'ai commencé à 17 ans, parce que je traînais à cette époque avec des amis qui se faisaient tatouer tout le
temps. Mes tattoos viennent simplement de mon coup de coeur pour un artiste, son style, son attention pour
le détail... Je leur donne juste une idée générale et l'emplacement voulu puis je laisse opérer la magie ! La
plupart de mes tatouages sont pensés à l'avance, mais parfois je me laisse aller à l'impulsion, généralement
en conventions. Je n'en ai jamais regretté aucun, même si mes goûts ont changé et que je ne referais
probablement pas tous les mêmes.
Je suis modèle depuis plusieurs années, pour Suicide Girls notamment. Je vends d'ailleurs des impressions
de mes photos sur mon site, des fringues, ce qui me permet de développer mon business à côté, en
constante évolution.
Bien sûr, il y a eu une prédominance des hommes dans le milieu du tatouage pendant longtemps mais
maintenant je crois que les femmes sont bien acceptées. Je suis très fortement tatouée et mes plus grandes
pièces ont été faites par des femmes, comme Vale Lovette, qui tient un shop avec quelques tatoueurs en
dessous d'elle, qui travaillent pour elle...
VIRGINIE - PEINTRE, 28 ANS (BELGIQUE – LIÈGE)
Chest: David de Cobalt tattoo - Huy - Belgique (pour le coeur)
Sven de Scratcher Paradise - Berlin (poissons chat)
Bras droit: David de Cobalt tattoo
Piet du Congo - Rochefort - Belgique
Bras gauche: David de Cobalt tattoo
Dos: Fabian de Lucky Seven tattoo - Aywaille - Belgique
Mollet : Nana de Black Label - Hannut – Belgique
Je suis perceuse et tatoueuse, mais avant tout artiste peintre. Je travaille en ce moment sur un gros projet
culturel et humanitaire avec des femmes réfugiées à la frontière birmano-thailandaise, ce qui fait que je vais
quitter le milieu du tatouage pour pas mal de temps.
Je devais avoir 16 ans quand j'ai eu envie de mon premier tattoo. Une très bonne amie était déjà passée
sous les aiguilles à l'époque, je ne connaissais encore rien au milieu du tattoo, mais je voulais moi aussi en
avoir un. Et être une rebelle, tu vois. Mais j'ai surtout été une tapette et j'ai eu peur. Via le milieu punk métal
que je fréquentais à l'époque, j'ai commencé à m'intéresser de plus en plus au milieu du tatouage. Mes
tattoos proviennent d'une certaine appartenance à une culture.J'ai feuilleté de nombreux bouquins, je me
suis intéressée à différents artistes et divers styles. L'envie d'avoir mon premier tattoo s'est faite de plus en
plus forte, mais je ne suis pas passée sous les aiguilles avant mes 21 ans. Par contre après, je n'ai plus
réussi à m'arrêter, que Dieu ait pitié de mes pauvres parents.
Via mes tattoos, je ne recherche pas une esthétique particulière, ni a raconter l'histoire de ma vie, mon corps
est avant tout un vecteur dont je me sers pour m'exprimer, tout comme la peinture. J'aime pouvoir mélanger
des styles et des univers complètement différents, suivant mes envies. Je m'amuse même maintenant à
repasser sur des pièces plus anciennes.
Il m'est déjà arrivé de recevoir des remarques assez désagréables dans la rue, parfois même assez
violentes. J'avoue que je prenais ça fort à coeur à une époque, et ça me touchait pas mal. Maintenant, je
m'en fous complètement. Les gens peuvent poser le regard qu'ils veulent sur moi, et penser ce qu'ils
veulent, je sais ce que je vaux, et où je vais. Mes tatouages font partie intégrante de moi, jamais je ne les
regretterais, et ils ne me posent pas problème dans ma vie de tous les jours. Jamais je n'ai eu de soucis
pour trouver du boulot à cause de mes tatouages. Et s'il me faut porter des manches longues dans certains
endroits et en présence de certaines personnes, eh bien, qu'il en soit ainsi.
Je ne me suis pas posé de limite, j'évolue suivant mes envies. Je n'y réfléchis pas vraiment en fait. Mais il
est vrai que pour le moment, je suis dans une période de ma vie ou d'autre choses sont bien plus
importantes. J'ai toujours de nombreuses idées pour de futurs tattoos, j'aimerais finir mes bras, mais ce sera
pour plus tard. Pour le moment, je consacre mon temps et mon argent à mes futurs projets et de nobles
causes...
Je suis également modèle. Je pense qu'à une époque, ça m'a pas mal aidée pour me redonner confiance en
moi. J'arrivais à me trouver jolie sur les photos, ça m'a fait beaucoup de bien à un moment où je galèrais pas
mal avec mon image et la personne que j'étais.
Pouvoir arborer aussi facilement des tattoos en tant que femme est incroyable quand on y pense, c'est une
sorte de victoire ! Je pense qu'à une époque, on aurait fini directement sur le bûcher ou sous un tas de
cailloux. Evidemment, il reste pas mal de travail à faire sur l'ouverture d'esprit des gens et l'acceptation du
tattoo dans certains milieux, mais globalement, je sens que les regards posés sur moi sont de moins en
moins agressifs, et ça, c'est plutôt cool !
Maintenant, je n'aime pas tellement le mot arborer. J'ai la désagréable impression que de plus en plus de
personnes se font tatouer pour pouvoir les arborer fièrement en rue ou à la plage, comme des trophées,
sans avoir outre mesure réfléchi à l'acte. 'Regardez moi, je suis tatoué, je suis différent'. Malheureusement,
avec la démocratisation du tattoo en cours, il n'y a plus d'originalité à se faire tatouer. On fait tous partie du
même moule. Si je suis passée sous les aiguilles, c'est avant tout pour moi et après maintes et maintes
réflexions. Je me sens mieux avec ces tatouages sur le corps, et ils ont une signification forte à mes yeux,
mais je ne cherche pas à les montrer à tout prix. Et je ne me fais pas tatouer une zone en me disant que je
vais pouvoir l'exposer facilement. Mon identité ne se résume pas à mes tatouages.
TIFFANY - ÉCRIVAIN ET SERVEUSE, 29 ANS (PORTLAND, OR - USA)
Tous les tattoos : Ryan Mason - Scapegoat tattoo, Portland, Oregon
Je suis écrivain la nuit et serveuse le jour. Je vis avec des chats noirs et une collection de trucs étranges et
effrayants. Je bois aussi du café comme si ma vie en dépendait.
Enfant, j'ai toujours su que je serais tatouée quand je serais adulte. Au départ, j'ai voulu des tatouages qui
auraient signifié une transition entre des temps sombres et des temps heureux. Alors que mon bras gauche
était censé être la toile pour ce projet, j'ai fini par ne plus vouloir tant de tatouages sinistres et mes tatouages
sont définitivement beaucoup plus du côté absurde et décalé, ce qui est représentatif de ma vision de la vie.
Mon premier tatouage est un cadeau de mes amis d'enfance. Je suis allé le faire impulsivement, mais j'en
voulais un depuis longtemps. Depuis, je me suis liée d'amitié avec des tatoueurs, mais quand j'ai déménagé
à Portland, j'ai ressenti le besoin de retrouver un chez-moi loin de chez moi. Après avoir visité plusieurs
endroits, j'ai atterri à Scapegoat Tattoo. Un environnement propre, convivial, classe. Je me suis sentie à la
maison. Ryan Mason, mon tatoueur, est devenu un ami. Nous avons travaillé tellement longtemps sur mes
motifs. Je lui donne mon idée, il est capable de créer la pièce parfaite.
Je ne regrette aucun de mes tatouages. Chacun raconte une histoire. Deux ont été recouverts, dont un par
une pièce plus large et qu'il n'y avait pas moyen de l'intégrer dans le nouveau motif. L'autre parce que le
tatoueur, pendant uen convention à Washington, n'a pas suivi le pochoir qu'il avait placé sur moi : le tattoo
était décentré et les lignes ne se connectaient pas bien... Ryan s'est bien moqué de moi en disant que ça
m'aura au moins appris à choisir un autre tatoueur.
Mon nom de modèle est Silencia Suicide sur le site SuicideGirls.com. Je fais partie de cette communauté
depuis 2006. J'ai grandi en idôlatrant la scène riot grrrl et en ai gardé beaucoup d'idéaux de la troisième
vague du féminisme. Quand je suis tombée par hasard sur le site, je me suis dit : « Enfin une communauté
qui colle à mes opinions : célébrer la femme et sa sexualité, de tous milieux, couleurs, formes, de façon
positive ! » Je trouve que Suicide Girls est audacieux, sexy, intelligent, fun et complètement valorisant. J'ai
naturellement voulu faire partie de ce mouvement et j'en apprécie chaque moment.
Je suis si heureuse que les femmes tatouées ne soient plus aussi taboues qu'il y a, disons, 20 ans... mais il
y a encore beaucoup de progrès à faire. Les femmes avec des tattoos sont encore très objétisées, et très
souvent, le nombre de tattoos est utilisé pour faire des suppositions sur leur vie sexuelle.
Se faire tatouer n'est pas une expérience sexuelle, ça fait super mal ! Je suis aussi absolument certaine que
ne pas être tatouée ferait de moi une partenaire sexuelle plus demandée sur le marché.
Les tattoos sont de l'art et mon corps est ma galerie. Purement et simplement. C'est incroyable de constater
comme les femmes très tatouées sont traitées différemment par l'opinion publique que les hommes. Par
exemple, avec des amies, il nous est arrivé de nous faire agripper par des inconnus dans la rue juste pour
qu'ils puissent voir nos tatouages. Agripper un total inconnu n'est jamais correct.
ERIKA MOEN, CARTOONIST, 30 ANS (PORTLAND, OR - USA)
Tattoo épaule droite : Dwam / Sang noir – Nantes ; Tido / Aix-en-Provence
Epaule gauche : Kim Durham / Prix Body Piercing, Los Angeles
www.periscopestudio.com
www.erikamoen.com
Je suis artiste et dessinatrice de bandes dessinées à plein temps au Periscope Studio à Portland. Pendant
mon temps libre, j'aime lire, regarder des émissions de télévision affligeantes et le pole dancing.
Chaque tatouage représente un événement spécifique ou un moment précis dans ma vie que j'ai voulu
marquer de façon permanente.
Dans l'ordre les étoiles sur l'arrière de mon épaule sont un symbole de l'art et de la création. Pour faire une
étoile en origami, tu prends un seul bout de papier, sans valeur, et le plie de plus en plus jusqu'à obtenir une
superbe petite étoile que les gens sont excités de recevoir en cadeau. C'est l'acte parfait de transformer
quelque chose sans importance en quelque chose qui a de la valeur pour les autres. En tant qu'artiste, c'est
un concept important pour moi.
L'arbre sur mon bras droit est dépuillé hormis les empreintes de mains rouges entre ses branches. Le tronc
représente ce que nous sommes dans notre essence, pour le meilleur ou le pire, mais une base
inchangeable alors que les branches qui mènent aux empreintes de mains illustrent les décisions que nous
faisons sans la vie. L'image montre que même si tu ne peux pas changer qui tu es, tu peux toujours
contrôler ce que tu fais de ta vie et finalement, qui tu deviens. Elle me rappelle que je peux être la personne
que je veux, et pas celle forcément celle que je suis née.
Quand j'ai été diplômée de l'université, je débordais d'énergie et d'idées, prête à m'attaquer au monde entier,
laors je me suis fait tatouer une ampoule électrique brillante sur le bras gauche pour marquer mon
optimisme et mon excitation quant à ma vie après l'école.
On ne choisit pas sa famille, mais ça ne nous empêche de vraiment trouver les membres de notre famille,
même si nous ne partageons pas le même sang. Pour cette raison, j'ai ajouté des racines à l'arbre sur mon
bras droit, pour montrer que mon cœur a trouvé sa famille après tout.
J'ai passé des semaines et des mois à travailler mes motifs, hormis celui des racines, que j'ai dessiné dans
la précipitation la nuit avant mon rendez-vous. Je remarque maintenant beaucoup d'erreurs dessus...
Je ne vois pas comme membre de la communauté des tatoués : j'ai simplement des tatouages qui ont une
signification personnelle pour moi. Je me sens plus appartenir à la communauté des comics, où j'ai toutes
mes relations de travail et mes amis.
Je suis parfois modèle, parce que j'aime mon corps et j'aime vraiment faire de l'art, que ce soit en dessinant
ou en posant. J'aime faire de belles images !
LAETITIA, 25 ANS, AGENT DE PRODUCTION EN INDUSTRIE (POITIERS, FRANCE)
Crâne chimère : Pascal - Sanhugi, Paris
Crâne réaliste : Volko - Realistik Trash Polka, Würzburg
Chest : Safwan - Imago, Montreal
Hanche : Anthony - Forbidden Colors, Quimper
Flan+cuisse : Pascal - Sanhugi, Paris
Ventre : Amy Mymouse - On the road
Dos : Jee Sayalero - Human Fly, Las Rozas de Madrid
Haut de cuisse (coeur sacré) : Bruffy la bagare - Montreuil
Cuisse : -sepent : Curtis Burgess - Tribal Rites, Colorado
-kitsuné : Jimmy Lajnen - Fisheye Ink, Karlstad
Genou : Jimmy Lajnen
Molet gauche+pied : Rafto - Utopia, Poitiers
Molet droit+pied : Keun's -Utopia, Poitiers
J'ai grandi à la campagne aux alentours de Poitiers, j'étais plutôt introvertie jusqu'au lycée. Je m'occupe de
la conduite d'une ligne de production constituée de machines automatisées.
J'adore tout ce qui touche de près ou de loin au tatouage, piercing et modification corporelle. Pour le reste,
je passe une bonne partie de mon temps libre à cuisiner, chercher de bons produits, dans un futur proche à
m'occuper de mon chien. Le feeling avec les animaux restera ma première passion. J'aime voyager,
m'enrichir des autres coutumes et modes de vie, marcher, être active, et être présente pour mes proches.
D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours été fascinée par ces tatouages à l'encre bleue que je
pouvais apercevoir. Deux jours après mes 18 ans, c'est à Utopia à Poitiers que jai fait mon premier tattoo
attendu depuis des années. À l'époque, la médiatisation était moindre, j'ai fait un tribal, certains diront erreur
de jeunesse, je dirais apprentissage, première marche de ma construction.
En quittant Poitiers pour étudier à Montpellier, l'envie de recouvrir mon corps de tattoos est devenue plus
claire. Sortie du cadre dans lequel j'avais grandi, je me suis rendue compte que cet art avait une place plus
importante que celle que je lui accordais. Je ne voyais pas le tattoo comme un truc sympa, mais comme un
art incroyable. La rencontre avec Dino m'a permis d'avoir le déclic et de me lancer. Il rêvait de devenir
tatoueur et moi d'un corps tatoué !
Puis en rentrant à Poitiers, j'ai fait faire mon phénix sur le mollet gauche, se consumant et renaissant de ses
cendres. Ma première convention a été le Tattoo Art Fest2 au Parc floral. J'ai pu rencontrer durant les
conventions nombre des personnes qui me tatouent aujourd'hui.
Mes tattoos sont réfléchis, en fait le choix de l'artiste l'est. Je lui parle d'un projet, d'un thème, et s'il est
emballé, je lui laisse carte blanche. Je pense que si on admire le travail d'un tatoueur, c'est en le laissant
créer qu'on obtient quelque chose d'incroyable. Je n'ai jamais eu de mauvaise surprise.
J'ai donc fait régulièrement des conventions afin de rencontrer les artistes et m'imprégner. J'ai passé
également beaucoup de temps au studio Utopia à Poitiers qui restera "ma maison". Ils m'ont transmis,
expliqué les valeurs du tattoo, plus particulierement du tatouage japonais, ils m'ont fait grandir.
D'ailleurs mes deux mollets faits par Keuns et Rafto sont les piliers de ma démarche tattoo.
Je suis une femme-enfant, spontanée et c'est avec le new school que j'ai pu exprimer cette facette riche en
couleurs et pleine de personnages-animaux.
Mon chest fait par Safwan est pour mettre le point sur l'instant présent, la vie, les moments manqués
irremplaçables. Avec Volko, par mon crâne, j'ai souhaité retrouver la construction d'un crâne réaliste traitée
de façon plus trash. La phrase qu'il m'a tatouée :" It will teach you to love what you're afraid off " résume tout.
(Cela va t'apprendre à aimer ce que tu crains)
Il m'arrive d'avoir un coup de cœur pour le travail d'un artiste en convention et de lui laisser un bout de ma
peau pour immortaliser son talent et notre rencontre. Même si la démarche de projet tattoo se fait par zone
(bras entier, dos, côtes...) je me suis réservé un emplacement pour les petites pièces. N'étant pas sûre de
l'avenir, j'ai préfère traiter des zones personnelles de mon corps au début. Puis j'ai attaqué mon crâne, et
aujourd'hui mon bras est en projet.
Porter des tattoos dans la vie quotidienne n'est pas un souci puisqu'ils font partie de moi. J'ai lu dans un
magazine plus jeune cette phrase qui illustre parfaitement mon ressenti "Je suis née tatouée, ils se révèlent
avec le temps". Au final, on s'imperméabilise au regard des autres, excepté lors d'une recherche d'emploi.
J'avoue qu'être tatouée à mon niveau en ne travaillant pas dans ce milieu est une difficulté supérieure. Le
délit de faciès opérant, les possibilités d'emploi sont plus rares. Il m'est arrivé qu'une agence d'intérim refuse
même de voir mon CV en me disant qu'ils n'avaient rien pour moi, ou que l'on me demande ma carte
d'identité lors d'un achat en carte bleue.
Je ne souhaite pas travailler toute ma vie en usine, mais le travail me permet également de m'épanouir, et
les possibilités à cause de mon look sont plus restreintes. Je ne sais pas quels opportunités se présenteront,
peut-être un shop de piercing avec mon compagnon...
Mais c'est un choix que j'ai fait, celui d'être moi même avant tout, et d'aller au bout des choses.
Ma famille a bien sûr eu du mal à accepter mon changement, mais je pense que ce qui compte avant tout,
c'est d'être bien dans sa peau, et de s'assumer.
Je ne suis pas modèle, peut être parce que la confiance en moi me manque, et le potentiel. J'ai quelques
photos prises en convention et suis enthousiaste à l'idée de faire une séance, des essais.
Je ne considère pas que porter des tattoos pour une femme est une forme de féminisme, je vis ma passion
à fond, et l'assume tout simplement. Je me considère comme extrêmement chanceuse, même si la vie de
tous les jours n'est pas toujours facile. C'est avant tout un message de respect et de tolérance que je
souhaite véhiculer.
PERSEPHONE, 30 ANS, ÉTUDIANTE EN BIOLOGIE (PORTLAND, OR - USA)
Mes loisirs consistent à dessiner des insectes et des araignées, passer du temps dans la forêt et prendre
des photos.
Depuis l'adolescence j'ai voulu des tatouages alors j'ai eu mon premier à 18 ans. Il était pas génial, je l'ai
recouvert quelques années plus tard. Mes tatouages ne sont pas plus personnels que ça, à part que je les
aime. Je suis biologiste et j'adore les animaux, donc la plupart de mes pièces représentent mes animaux
favoris : la mante religieuse, la chauve-souris, le nautile, l'opossum. J'ai aussi deux taotuages faits
spontanément, un à Bogota en Colombie : « maullar », « miaou » en espagnol. J'aime mieux certains
tatouages que d'autres mais jen 'ai aucun regret.
Je suis modèle pour Suicide Girls depuis 2002 et modèle artistique en freelance depuis deux ans. Au début,
j'ai fait ça pour l'argent mais maintenant c'est pour être créative et avoir de belles photos de moi à regarder
quand je serais vieille...
Je suppose que chaque fois que des femmes inflitrent une communauté masculine cela peut être vu comme
du féminisme, mais je ne l'ai pas vraiment ressenti ainsi pour le tatouage. Mais je ne désapprouve pas la
théorie, si le féminisme parled'égalité, pourquoi les femmes ne seraient pas autant impliquées que les
hommes dans l'industrie du tatouage ?
Je voudrais surtout que le tatouage soit plus accepté dans la société et dans le milieu professionnel.
Portland, là où je vis, est très ouverte au tatouage, on ne m'a jamais refusé un job ici à cause de mes
tatouages. Mais je sais que la situation n'est pas la même dans d'autres régions ou d'autres pays. J'espère
que les tatouages soient vus comme des ornements et pas comme des signes distinctifs d'appartenance à
des gangs ou à la case prison. En tant que scientifique en herbe, j'espère que je pourrais continuer à
travailler dans ce secteur sans que mes tatouages ne soient un problème !
ALEX, 23 ANS, DANSEUSE (SAN DIEGO, CA - USA)
Chest : Bill Canales - Full Circle Tattoo, San Diego, Ca
Manche : Thatcher Demamiel - Old Town Tattoo,Temecula, Ca
Dos : Doug Bowen
J'aime grimper aux roches, monter à cheval, faire du yoga, de la photographie et de l'art.
J'ai toujours voulu des tatouages. Je viens d'une famille très religieuse, mais ouverte d'esprit, et personne
n'est tatoué dans mon entourage familial ou amical proche. Mais j'ai grandi en adorant le tatouage dès mon
plus jeune âge et je savais que j'aurais les miens.
Ils n'ont pas extrêmement de signification, ce sont surtout des choix esthétiques. La plupart du temps, ça se
borne à « J'aime les corbeaux donc j'en ai sur moi ». J'ai eu de la chance d'avoir été tatouée dès le début
par des artistes corrects. Je réfléchis assez de temps à mes tatouages pour que ça soit vraiment regrettable
s'ils ne sont pas comme je l'avais imaginé à la fin.
J'ai une grande pièce sur l'épaule, parfois je souhaiterais qu'elle ne soit pas là. Ce n'est pas parce que je ne
l'aime pas, c'est surtout qu'elle m'empêche de me faire une belle grande pièce sur le dos parce qu'elle serait
« sur le chemin ».
La plupart de mon travail sur le corps a été pensé avec assez d'application pour ne pas collectionner les
« j'aimerais qu'ils disparaissent ».
Je suis modèle, principalement pour SuicideGirls. C'est ce site qui m'a permis de me considérer comme une
modèle. Je ne le suis parce que j'aime regarder des photos de moi-même ! J'ai remarqué que la plupart des
modèles saines d'esprit n'aiment pas forcément regarder des photos d'elles-mêmes, à part certaines. Ceci
étant dit, honnêtement , je ne sais pas complètement pourquoi je suis modèle. Un psychologue dirait
sûrement que cela renforce le sentiment d'appartenance que les humains tendent à ressentir, mais je n'ai
pas cette impression que faire des photos me rend plus populaire ou plus appréciable !
Etre tatouée ne fait pas du tout de moi une féministe. Ca aurait été le cas dans les années 50 mais
actuellement c'est tellement mainstream que je trouve ça neutre. Dans mon milieu professionnel et l'endroit
où je vis, c'est compliqué de trouver une fille sans un seul tatouage. La plupart du temps, ils sont tellement
mal faits, mal pensés et clichés que j'ai plutôt l'impression d'appartenir à un clan de poufiasses qu'à un
groupe qui respire la puissance et le progrès. Cependant il y a toujours des femmes qui représentent ça et
me rappellent pourquoi j'aime cette forme d'art.
*****
Travaux argentiques / Hasselblad (2005-2013)
© Juillet 2013

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  • 1. INKED GIRLS STELLARIS, ALLEMAGNE Depuis une dizaine d'années, les femmes ont largement investi le milieu du tatouage. Professionnelles ou clientes, elle se juchent pratiquement à égalité avec les hommes qui ont tenu le haut de l'affiche pendant des décennies. Certaines conventions, comme la Dutch Ladies aux Pays-Bas ou le Female Tattoo Show au Royaume-Uni sont exclusivement réservées aux tatoueuses. « Bodies of subversion », l'ouvrage de référence sur l'histoire des femmes dans cet art historiquement trangressif a été réédité au début de l'année. Il retrace leur rôle, des spectacles itinérants du Far-West à la télé-réalité (comme L.A. Ink), en passant par les premières artistes reconnues et les riot grrrl, mouvement punk-rock féministe ayant émergé à Washington. Mieux acceptées, les femmes massivement tatouées gardent indéniablement un pied dans la contre- culture : beaucoup d'entre elles travaillent de près ou de loin dans le milieu des modifications corporelles, certaines d'entre elles sont artistes ou modèles, entre autres pour le site américain de charme SuicideGirls.com. Véritable institution de l'alternatif née à Portland en 2001, elle met en avant des filles tatouées et/ou percées. Une référence à la notion de suicide social, terme fondateur de Survivor, le roman de Chuck Palahniuk, retentissant auteur de Fight Club. Alors, suicide social ou démarche émancipatrice ? Une quinzaine de femmes tatouées françaises, américaines, belges, italiennes, s'expriment sur leur métiers, leurs quotidiens, leurs projets et leurs corps. Des corps souvent reluqués mais toujours assumés, même s'ils barrent la voie à certaines vocations, attendant impatiemment le fameux « changement de mentalités ». Textes : Laure Siegel / Photos : P-Mod
  • 2. PURDEY, GRAPHISTE, 27 ANS (PARIS, FRANCE) Dos : Maud Dardeau - Tin-Tin tatouages, Paris Pièce noire clavicules : David, Studio LC, Caen Coeur de chat, coeur rose, Fleur de Lys, Nuage, poignets, perso sur les côtes: Cyril, Tapaki,Caen Fille haut du bras : Jacky, Jacky Tattoos, Caen Chat bras gauche : Lionel El Fahy, Out Of Step, on the road Fleur jambe gauche : Chriss Dettmer, The Black Hole, Hambourg Oiseaux : Mikado, Mikado Tattoos, Nantes Lettrage sous poitrine, Montgolfière, manchette : Dwam / Sang noir – Nantes J'ai commencé à me faire tatouer quelques jours après mes 18 ans, sur le doigt. Mes parents sont un petit peu tatoués, ça m'a intrigué dès l'enfance. Ils avaient une maison d'édition où j'ai passé mon enfance et adolescence à fouiner dans des bouquins, trouver des motifs, etc. Après j'ai été influencée par mes idoles musicales, je feuilletais des magazines spécialisés, fouillait internet. Je m'intéresse au black metal, à l'ésotérisme, aux univers sombres, à l'imagerie occulte. Je suis graphiste dans le collectif Fortifem qui travaille beaucoup sur ces thèmes également. Mais j'aime la vie et le second degré quand même... J'ai la chance de travailler dans un milieu où les tatouages sont très bien acceptés, alors la décision de me faire tatouer les mains par exemple ne m'a posé aucun problème. Comme le fait de poser pour des magazines ou sur internet. Le seul problème d'exposer ses tatouages est le risque de se faire piquer les
  • 3. motifs par des gens qui se font tatouer la même chose. Au début ça m'énervait beaucoup et puis j'ai relativisé. De toute façon ils ne sont jamais identiques et les miens viennent d'une vraie démarche, pas d'une bête recherche sur internet. Je suis fan d'arts visuels, j'aimerais avoir plus le temps de faire de la photographie et de la création et j'ai dessiné certains de mes tatouages. Au début, je choisissais mon tatoueur un peu à l'aveuglette. Aintenant je recherche des artistes dont l'univers visuel me parle à cent pour cent. J'aime bien collectionner des œuvres autre part que sur des murs ou dans une bibliothèque. Ma dernière pièce est sur mon dos, les quatre cavaliers de l'Apocalypse de Albrecht Dürer, qui a nécessité 25 heures de travail. Plus les années passent, plus ça fait mal : la mémoire du corps est une réalité. J'envie ceux qui commencent plus tard parce que j'en viens à me poser la question : est-ce que je fais cette pièce qui me plairait ou est-ce que la douleur va être trop forte ? www.fortifem.fr www.purdeydemille.net
  • 4. MAUD, 29 ANS, TATOUEUSE (PARIS, FRANCE) Main/Bras : Jondix - Holytrauma, Barcelone J'ai été embauchée au bout de six mois d'apprentissage chez Tin-Tin, il y a un an et demi. J'ai été peintre pendant six ans en collectif, j'ai commencé à me faire tatouer chez Tin-Tin puis j'ai déposé mon book et ça a marché. Aujourd'hui il faut arriver avec un niveau de dessin impeccable dans les shops. Dans le milieu, ça se détend au niveau machisme. Je n'ai pas vraiment de souci, maintenant les tatoueurs me disent bonjour, il n'y en a plus beaucoup qui pensent que je suis la manageuse ou la « meuf de ». Et sinon ils changent d'attitude quand ils me voient tatouer sur le stand. C'est dur comme boulot, surtout en convention : il ne faut jamais relâcher l'attention pendant des heures, avec la musique et les gens tout autour. Mais c'est un job rêvé, je ne peux pas rester 15 jours sans tatouer, je veux faire un maximum de conventions, en profiter pour voyager. Mes pièces sont des œuvres d'art, je les collectionne de la même façon. J'ai commencé à me faire tatouer pratiquement en même temps que j'ai appris. Je choisis les gens qui me tatouent, je viens avec une peinture ou un dessin de moi et je laisse la liberté au tatoueur de l'interpréter il faut que ça passe, je ne pourrais pas porter la pièce de quelqu'un que je n'aime pas. Sur le bras, ce sont deux personnes différentes qui ont fait la forme et le fond, mon corps est un patchwork
  • 5. de tatouages. Quand j'étais apprentie, je me suis tatouée moi-même, pour m'entraîner... https://www.facebook.com/MaudDardeauTinTinTatouages
  • 6. KARI, 52 ANS, TATOUEUSE (LONG BEACH, CA – USA) Je suis originaire de Minneapolis et j'ai commencé à tatouer en Californie, en 1979. Quatre ans après j'ai ouvert mon propre shop. J'en gère sept maintenant et je fête cette année les 30 ans de ma chaîne. Un des shops que j'ai racheté en 2003 est le plus ancien de toute l'Amérique encore en activité, qui a commencé en 1927 et le deuxième plus vieux du monde. J'en ai transformé une partie en musée pour rendre hommage aux artistes du siècle passé de Long Beach et parce que c'est très important pour l'aspect historique du tatouage. C'est un ami qui m'a initié et m'a poussé à m'entraîner... sur mon mari au tout début ! Je n'ai pas fait d'études universitaires, j'ai appris l'art en autodidacte. Dans ces années-là, on était 6-7 dans tous les Etats-Unis, les hommes ne nous croyaient pas capables et ne voulaient pas nous apprendre. Je trouve ça super de croiser autant de femmes reconnues aujourd'hui dans les conventions. Cela peut paraître paradoxal mais je ne suis pas beaucoup tatouée, mon ex-mari m'en a fait quelques-uns mais c'est tout. J'en ai cinq, je ne les ai pas dessiné moi-même et je ne me suis jamais tatouée moi-même non plus. Le premier est une rose avec son nom dedans, sur le bras. Je porte les autres sur les jambes et dans le dos, des parties non visibles. Pour ouvrir des shops il faut faire plein de démarches administratives et « bien » présenter, du moins au début... Maintenant je m'en fiche et c'est beaucoup moins stigmatisé, mais il faut que je trouve le temps pour recommencer !
  • 7. Je créé également des images 3D de reconstruction mammaire pour le centre de soins du cancer du sein de Long Beach car je reçois de plus en plus de femmes qui viennent se faire tatouer la poitrine après un cancer, pour passer le cap. Un article du Los Angeles Times sur Kari Barba en 1991. www.outerlimitstattoo.com
  • 8. KARINE, 36 ANS, RÉDACTRICE DOCUMENTALISTE (GRUISSAN, FRANCE) Je suis rédactrice documentaliste et je travaille dans le milieu du tatouage depuis une dizaine d'années. J'étais aussi pendant deux ans dans un studio, chargée de l'accueil des clients, de la gestion des rendez- vous et de la stérilisation du matériel. Mon premier tatouage a été réalisé en commun avec Alex, mon compagnon en 1999 : un petit dessin "tribal", griffonné par Alex, et tatoué sur le haut du bras (droit pour moi, gauche pour Alex, les 2 tattoos pouvant se "coller" si on approche les deux bras). J'ai adoré me faire tatouer, j'ai trouvé que ce n'était pas aussi douloureux que ce à quoi je m'attendais, et j'ai immédiatement eu envie d'en faire un autre. Mes tatouages sont tous liés à mon histoire personnelle : le premier représente le couple que je forme avec Alex depuis 18 ans, et même s'il a été recouvert depuis, il est toujours là et le tatouage qui le recouvre symbolise la même chose. Il s'agit de deux dragons, évidemment uniques. Pour moi, il représente en plus le lien que j'ai avec le monde du tatouage, le dragon étant un motif emblématique de la culture du tatouage, et Tin-Tin pouvant être, à mes yeux, le seul tatoueur à l'encrer sur ma peau. Les tatouages suivants sont là encore le fruit de rencontres : Dimitri, pour mon bras gauche, a créé une composition décalée, drôle et très colorée sur la base d'un thème biblique. Neusky a enrichi une petite peinture qu'il avait déjà créée : une brochette (représentée par une aiguille à tatouer) de dauphin et de plusieurs autres petits éléments qui font référence à ma personnalité, vue par le tatoueur en quelque sorte...
  • 9. Exemple plus récent, mes deux pieds tatoués par Romain (Triptik Tattoo à Toulouse) et Tiraf (Altkirch et on the road) en une seule séance pendant la Convention de tatouage de La Roche sur Yon en 2012 : le coq et le cochon symbolisent une croyance marine faisant de ces animaux terrestres des éléments permettant de rejoindre le rivage si on tombe à l'eau... J'ai aussi des "coups de tête", ou plutôt des "coups de coeur", comme ça a été le cas avec Amy Mymouse, une jeune tatoueuse très talentueuse que j'ai découvert lors de l'Holiday Ink à Pertuis en 2012. Je lui ai demandé une grenouille tout simplement, histoire d'avoir un tattoo portant sa signature graphique : Le tatouage cicatrise encore. Dans le même délire, Noon (Troyes et on the road) m'a aussi tatoué une grenouille, dans son style bien particulier, dont je ne suis habituellement pourtant pas très friande : J'ai surtout bien accroché avec ce tatoueur et craqué pour certains de ses tatouages. Mes tatouages ne sont pas forcément longuement réfléchis mais ils procèdent d'une certaine maturité dans la démarche : Pour moi, c'est le tatoueur la clé. Je choisis un tatoueur avant de choisir un motif ou un thème. Une fois que le tatoueur est choisi, je définis à la fois un thème et un emplacement sur le corps, selon la "surface" que j'ai envie de lui consacrer. Avec le temps, j'ai appris à apprécier l'art du tatouage en tant que tel, à tel point que je le défends activement au sein du SNAT depuis une dizaine d'années aux côtés de Tin-Tin et de tous ceux qui se démènent avec beaucoup de volonté autour de nous. Quasiment jamais de regrets, mais il faut dire que j'ai plongé dans le monde de l'encre peu de temps après avoir fait mon premier tatouage, ça fausse les données. Le seul souvenir "marquant" que je garde, c'est lorsque je me suis fait tatouer une petite grenouille sur l'index gauche. A l'époque, je travaillais encore comme documentaliste dans un hôpital... Lorsque le directeur a vu mon doigt en poupée, il s'est tout de suite inquiété de savoir ce qui m'était arrivée : je lui ai dit que je ne m'étais pas blessée, que c'était juste un tatouage. Je l'ai vu écarquiller les yeux, me faire répéter le mot "tatouage », puis il a fait semblant d'être rassuré et est parti se réfugier dans son bureau... Ce qui ne l'a pas empêché de me proposer un poste définitif à plein temps ! Pour l'anecdote, j'ai décliné l'offre et j'ai commencé à mettre un pied dans l'univers du tatouage : j'ai créé un site d'info et de documentation dans le but de montrer une "vitrine" de mes compétences. J'ai choisi le tatouage, avec le site tatouagedoc.net . Outre l'aspect professionnel, je n'ai aucun souci particulier dans ma vie quotidienne. J'accepte tout : les regards insistants, curieux, admiratifs ou désapprobateurs... Je ne fais aucun effort particulier pour montrer ou cacher mes tatouages, à part peut-être en convention, car je suis très fière d'exposer les œuvres de mes tatoueurs. Je ne me suis pas posée de limites en terme d'âge : tant que le tatoueur jugera ma peau bonne à tatouer, je serai partante. Je tâche d'en prendre soin : hydratation régulière et exposition modérée et protégée. Sur les parties du corps, a priori ma seule limite serait le visage, car c'est la première image que l'on renvoie à quelqu'un. Un visage tatoué trompe la donne, son regard ou son sourire n'est plus le même... Aujourd'hui, je n'envisagerai de me faire tatouer le visage qu'à un âge avancé, si je n'ai plus d'espace ailleurs, et si ma peau n'est pas trop fripée ! Je ne me sens pas appartenir à une communauté de tatoués, bien que l'expression soit utile lorsqu'il s'agit de défendre l'art du tatouage, les conditions de travail des tatoueurs, ou encore les rares discriminations faites aux personnes tatouées. Je n'ai pas d'affinité a priori avec quelqu'un parce qu'il ou elle est très tatoué(e). Le tatouage ne rend pas intelligent, même si ceux qui n'en ont pas ne sont pas moins cons ! Le tatouage m'a apporté bien plus que ce que je n'aurais pu imaginer : un art unique et vivant, fruit d'un échange entre l'artiste et la personne "support". En me faisant tatouer, j'orne et j'habille mon corps, et je porte les œuvres de mes tatoueurs jusqu'à ma mort. Ce qui me fait penser que j'ai aussi un "memento mori" tatoué à l'envers sur le ventre, pour le lire régulièrement dans le miroir. Comme le dit Pascal Tourain : "Le tatouage c'est du définitif sur du provisoire." Au-delà de toute considération féministe, et aussi appréciable soit le corps féminin, je trouve que de beaux tatouages bien placés exaltent la beauté des femmes. Vivant sur un voilier, je serai probablement amenée à voyager et rencontrer des tatoueurs issus d'autres cultures que la mienne. Je me laisserai certainement tenter par l'encrage d'un souvenir à l'occasion, afin de marquer une escale et compléter ma collection...
  • 10. ANNE, CRÉATRICE DU MAGAZINE DE MODERN ART HEY ! AVEC JULIEN, 49 ANS (PARIS, FRANCE) On vient du spectacle de rue, on avait une galerie d'art contemporain dans les années 90, avec déjà la même ligne éditoriale que Hey !. Une troupe, « Hey la compagnie » fait un commentaire scénique de la revue à chaque numéro, on est dix sur scène, un grammophone avec des 78 tours d'époque : cirque, néo- burlesque, buto-hardcore, VJ, beatbox. On est en croisade pour changer le paysage culturel français, la façon dont le marché de l'art traite les artistes contemporains. Nous voulons incarner l'avenir, mettre en avant des artistes sous-estimés par la marché de l'art car ils ne génèrent pas d'argent. On va contre tout ce qui a été établi en France depuis les années 70, cet art conceptuel qui domine le marché de l'art et on veut continuer à être bons. Dans la vie, il faut faire des choix clairs et se donner les moyens de ses objectifs. Le matériel et l'argent ne nous ont jamais importé. Une de nos obsessions est la transmission et le dialogue et l'art est un noyau dur qui les provoque. J'ai besoin de beauté pour vivre, de cette beauté subjective et éphémère. Le tatouage est une des formes
  • 11. d'embellissement de la vie. Depuis mes 14 ans, j'ai toujours eu des amis tatoués, cela a toujours fait partie de ma vie. J'ai attendu longtemps avant de me faire tatouer, il y a douze ans chez Sacha du Mystery tattoo Club. J'attendais la bonne personne, c'est comme si je rentrais dans un confessionnal. Je suis une toile blanche pour mon tatoueur, je lui dis un mot ou deux et puis il se lance. C'est allé du poignet jusqu'au crâne alors que ce n'était pas prémédité. Le tatouage c'est quelque chose de très sérieux, dans ce que ça t'apprends de toi- même, très profond. C'est comme tomber amoureux : tu couches pas avec n'importe qui, le tatouage c'est pareil. Je le vis de façon aussi ornemental que mental. J'espère que tout ce qui gravite autour du tatouage ne va pas se pervertir. J'espère qu'il ne va pas souffrir de ce que le milieu underground vit en ce moment. Sur le poignet, cette spirale à l'encre blanche, c'est mon alliance, Julien a la même. Sacha s'est déplacé à la mairie avec un petit kit pour nous le faire le jour même. www.heyheyhey.fr
  • 12. JOANNE, 33 ANS, COACH DE VIE (BRUXELLES, BELGIQUE) Tous les tattoos : Olive / Abraxas / Paris J'accompagne les artistes et créatifs dans l'atteinte de leurs objectifs et dans la gestion des périodes de transition. Aussi loin que je me souvienne, les tatouages m'ont toujours impressionnée ou fascinée. Pour autant, je n'imaginais pas une seconde que je me ferais tatouer un jour. C'est finalement à 27 ans, dans une période de transition importante, que j'en ai ressenti le besoin. Ça m'a obsédée chaque jour pendant plus d'un mois, alors je l'ai fait. Au moment où je me faisais tatouer pour la première fois, je savais que ce ne serait pas la dernière fois, mais j'ai attendu deux ans pour recommencer. Cette fois-ci en revanche, j'ai enchaîné les séances. J'ai rencontré un tatoueur en qui j'ai eu rapidement entièrement confiance, et qui m'a encré toutes les pièces suivantes. Certains de mes tatouages sont directement liés à mon histoire personnelle, d'autres moins. Mais dans tous les cas, j'ai toujours voulu qu'ils ne véhiculent que du positif. Aucun regret, ni de problème particulier... si ce n'est de devoir parfois supporter de se faire "tripoter" le bras par de parfaits inconnus, ou d'entendre des avis non sollicités. Je suis modèle depuis une dizaine d'années, même si je pose beaucoup moins maintenant, et presque uniquement pour Suicide Girls. J'ai commencé à poser pour prendre confiance en moi, me trouver enfin jolie. Ensuite, j'ai été animée par le plaisir de participer à une oeuvre artistique - j'apprécie l'art, mais je n'ai pas de
  • 13. talent particulier en la matière - mais aussi parfois par l'envie de jouer à être quelqu'un d'autre. Je ne me sens pas particulièrement appartenir à une communauté. Mais en tant que féministe, et du fait de mon histoire personnelle, on peut effectivement lire dans le choix d'être tatouée : "mon corps m'appartient, j'en fais ce que je veux, et ça ne m'empêche pas d'être quelqu'un de respectable"... même si ce n'est pas du tout ce qui m'a motivée à la base. http://coachnroll.com/
  • 14. KALI - 24 ANS, BARMAID (PARIS, FRANCE) Mains : Diogo - La casa de Leos - Brésil Chest : Jojo - Royal Tattoo, Paris Je suis à Paris depuis deux ans. J'ai fait des études d'aménagement paysager, que je n'ai pas pu poursuivre. Aujourd'hui je m'adonne beaucoup à la peinture, au dessin, au cirque (cracheuse de feu, équilibriste sur fil), au free fight (MMA). Je fais tout ça en autodidacte. J'ai fait mon premier tatouage à 14 ans, un arbre à chats sur le bras, dans un festival à l'arrache. Le mec ne m'a pas demandé si j'avais 18 ans, je faisais déjà plus que mon âge et je traînais avec plein de gens plus âgés. J'ai fait rattraper ce premier tatouage à 17 ans. C'est devenu une drogue. Mon oncle m'a payé mon premier piercing à 13 ans : c'est avec lui que j'ai commencé tatouage et sports de combat. J'ai continué à 18 ans au black chez des copines, mais elles travaillaient avant en shop alors les conditions stérilisation et les normes étaient respectées. A ce moment-là, j'ai fait le rasoir dans l'intérieur du coude, le coeur-sablier sur le flanc avec les horloges. Ce sont mes dessins que je me fais tatouer, je m'inspire beaucoup du style Yann Black (Glamort, Montréal, QC) . Mon bras avec des motifs cartoon est relié à l'enfance que je n'ai pas eu. Mon corps est séparé entre ce côté couleur, enfantin, enjoué, positif et celui noir poétique, sombre, torturé, écorché. Suite à une mauvaise
  • 15. rencontre et une agression, je me suis fait tatouer un portrait de moi ensanglanté sur le mollet. Je ne me ferais plus tatouer sur le visage, j'en ai déjà deux. Mais j'ai prévu de me recouvrir entièrement le corps, c'est décidé depuis toujours. Et de préférence avant d'être vieille et moche. Puis je ferais rire mes petits-enfants en faisant bouger mes personnages avec ma peau flasque... Je ne me drogue pas, je n'ai pas d'acccoutumance à trop de choses, c'est ça mon trip. Y en a certains que j'ai regretté mais ils ont été recouverts. Ils ne me posent aucun problème dans ma vie quotidienne, ce n'est pas pas un frein à ma vie professionnelle, en tout cas pas dans les métiers que je compte pratiquer. On est en 2013, les mœurs ont changé, on est vus comme des êtres humains avant tout. J'ai quand même enlevé tous les piercings pour avoir un visage plus neutre.Tout le monde pense que c'est un enterrement social mais les gens viennent me parler plus que jamais, c'est même un peu chiant de s'expliquer tout le temps. Les gens veulent mettre leur doigt sur ma poitrine juste parce que j'ai un bateau dessus, je ne suis pas une attraction ! Y a la Tour Eiffel à Paris ! Aujourd'hui on en est plus au taulard qui racontait ses meurtres sur sa peau, mais c'est devenu un effet de mode et d'esthétisme. Je fais partie de l'agence One Ted et cela fait six ans que je suis modèle : suspension, shibari, piercing, trash, mode, portrait, pin-up, skin, nu... Je choisis les photographes, stylistes qui me plaisent. Bon, pas de porno et pas de caca-pipi. Certes il y a plus de femmes dans le tatouage mais cela est dû à une féminisation globale de la société, la femme reprend le pouvoir dans tous les secteurs et tous les métiers. Je ne suis pas du tout féministe, je pense que l'homme a plus sa place à certains endroits, mais la femme doit avoir le choix d'être partout aussi. Etre tatouée n'est pas une revendication féministe, pas pour faire le mec et montrer que j'en ai... Je n'ai pas assez de peau pour raconter mon histoire et cela n'a rien à voir avec mon genre. Je suis dans l'idéal de la pin-up américaine, blonde platine, tatouage tout le corps et poitrine refaite et je l'assume complètement. Mon rêve absolu serait de devenir tatoueuse, je passe mon temps dans les salons à traîner avec les tatoueurs. Je n'ose pas demander pour l'instant, je manque de confiance en moi face au niveau de tous les gens qui sortent d'école d'art. Et c'est difficile, au début l'apprentissage n'est pas payé, et sans thunes à Paris, c'est pas possible. Il y a presque plus de demandes pour être tatoueur qu'être tatoué en ce moment...
  • 16. DWAM - 28 ANS, ARTISTE (NANTES, FRANCE) Dos, genou et épaules : Joe Moo tattoo - Angoulême Bras : Jubss - Contraseptik, Strasbourg Pied : Reynald - Asphalt Jungle, Strasbourg Cuisse : Juliette Paupiette - Freaky Family, Lille www.sang-noir.net Je suis tatoueuse depuis quatre ans. J'ai fait une école de bande dessinée et d'animation, puis les Beaux- Arts d'Angoulême et j'ai travaillé un an dans un studio de dessin animé. J'adorais mais je suis partie pour ne plus avoir de patron ni d'horaires : maintenant je peux voyager et bosser n'importe où, c'est devenu mon truc. C'est un métier qui marche bien, ce qui est devenu rare dans les milieux artistiques : les conditions dans la BD sont déplorables, c'est l'exemple extrême par rapport au tatouage. Je voulais me faire tatouer depuis que j'étais ado, j'ai démarré à 20 ans avec des choses très symboliques. Je viens d'une famille où les gens sont magnétiseur et à moitié sorcier, ma mère fait de l'astrologie alors je baigne dans les représentations symboliques depuis très longtemps. Je ne voulais pas des tattoos mignons de filles, mais des corbeaux, de la mythologie nordique. Une façon de dire : « Je ne me soumets pas à vos codes ». Je ne le fais pas dans l'impulsif, je réfléchis pas mal au motif. Mais je fais aussi attention à l'esthétique, que les tattoos soient bien intégrés sur le corps : comme je suis modèle, je trouve que c'est important de garder une cohérence. J'ai commencé à me faire tatouer les mains et des parties plus visibles quand je suis devenue tatoueuse.
  • 17. Avec le tatouage, certaines filles ont pris conscience qu'elles peuvent faire quelque chose à leur corps sans devoir demander la permission ni obéir à la pression sociale. Les clichés ont la vie dure, les tatouées sont censée fumer, se droguer, coucher à tout va, etc mais on assiste quand même à un retournement et de plus en plus de filles s'en foutent de ce que ça peut donner comme image, du discours « C'est pas beau sur une fille »... Ma clientèle n'est composée pratiquement que de filles et je reçois notamment des femmes divorcées d'un certain âge qui se disent : « Enfin je fais ce que j'ai envie, je n'ai plus de conjoint, de famille pour me juger et me dire que ça ne se fait pas de se tatouer à fond ». C'est moins mal vu grâce au côté très esthétisé du tatouage ces dernières années. Je pense que je ne me tatouerais jamais le visage, pour passer neutre quand il faut. Là avec le retour de l'été, j'appréhende déjà les regards alors que l'hiver on peut passer inaperçu dans nos manteaux... Mais c'est une question de temps : dans 30 ans, on aura encore moins à se cacher et le tatouage dans le cou sera démarginalisé. Il y a énormément de gens qui viennent me toucher, je déteste ça ou des gros lourds qui me reluquent. Nos tatouages ne sont pas un éventail pour les autres, on les fait pour nous. Ce n'est pas parce que c'est visible que c'est public, on est pas en exhibition. Ca reste un milieu très macho où il faut travailler plus dur que tous les autres, un peu comme partout. La différence est qu'en tant qu'indépendant il n'y a pas d'esprit d'entreprise, de hiérarchie, tu peux faire ta vie hors de toutes ces discriminations. Etre modèle n'a jamais été un souci et c'est même très pratique au niveau réseau. Ce sont des gens qui ont l'habitude, tu as moins le stigmate de « pute nue sur le net ». Néanmoins, beaucoup de modèles ont arrêté quand elles se sont lancées tatoueuses parce que ça peut prendre des grosses proportions et il y a toujours le risque que des gens utilisent ça pour nous décrédibiliser. C'est un métier considéré comme marginal mais la plupart ont un style de vie très normal et l'esprit judoé- chrétien – « montrer son corps c'est mal » - subsiste là aussi malheureusement. Alors pour avoir un semblant de normalité, le milieu recrée des règles et reproduit ce genre de schémas. L'homophobie, le privilège du mâle blanc sont ancrés dans le tatouage en Europe occidentale car le tatouage vient des Blancs chez nous, alors on cultive ce traditionnalisme. En général, ce n'est pas un milieu qui se lève pour défendre des droits. Je suis aussi photographe mais de moins en moins, je n'ai pas beaucoup de temps libre. Je ne sais pas si je ferais du tatouage toute ma vie mais c'est bien d'y vieillir : plus tu acquiers de l'expérience, plus t'es pris au sérieux. J'assume de poser pour des sites de soft porn (Suicide Girls) : de toute façon nous sommes des femmes, donc objectivisées et sexualisées alors autant le faire volontairement et comme nous avons envie. Et avec le côté tattoo, tout de façon on se fait mater, alors autant y aller à fond. Quand tu poses nue, tout le monde est contre toi : les mecs, qui aiment bien regarder mais te méprisent, les réacs, certaines féministes. La nudité et la sexualité, c'est encore le mal. Alors que poser permet de s'approprier son image, de l'aimer et ça fait franchement un bien fou à l'ego. Beaucoup de filles ne réalisent pas l'impact positif que ça peut avoir. On discute beaucoup avec celles qui se lancent, on leur explique que même sous pseudo, tout ce qui se retrouve sur internet est susceptible d'être vu et qu'il vaut mieux l'assumer d'emblée. La plupart le gèrent bien. Et puis, une fois que t'as survécu aux critiques de ta famille, tu survis à tout... Il y a tellement de standards de beauté à battre en brèche : il faut savoir que plein de gens se tatouent des parties du corps qu'ils n'aiment pas pour les embellir. C'est une manière de se rendre beau, de s'aimer, de s'approprier son corps. Je décide de rédécorer ça à ma manière : on parle beaucoup du tatouage comme un milieu identitaire et transgressif, mais ce n'est pas seulement ça, c'est surtout une forme d'esthétisme.
  • 18. JULIETTE - 27 ANS, TATOUEUSE (LILLE, FRANCE) Bras rouge - Mike, chiale baby - Lille Chest, Nathan Kostechko LA Bras noir, avant bras : Bertrand - bouzille deluxe Toulouse, le haut par Teo milev chez le marquis, Lyon http://paupiette.carbonmade.com/ Je tatoue depuis trois ans, j'ai aussi fait l'école de bande dessinée et d'animation Pivaut. J'ai commencé à me faire tatouer à 19 ans, un truc tout simple, sans signification particulière. Je n'ai jamais accordé trop d'importance à la signification des tatouages, pour moi c'est une démarche artistique, ornementale et un échange avec les personnes. Cette envie ne part pas non plus d'une rencontre décisive. Je ne donne pas un côté sacré au tatouage. C'est comme si j'avais une bande dessinée sur les bras. J'ai aussi la poitrine et le cou, que je me suis fait tatoué à partir du moment où j'étais tatoueuse professionnelle, comme un non-retour dans mon parcours. Je ne m'en rends pas forcément compte, mais des filles aussi tatouées sont encore rares en France, même à Paris. En Amérique du Nord, les gens sont moins effrayés, ont l'habitude des grandes pièces tatouées. C'est pour ça qu'au shop, nous faisons un gros travail d'éducation, de mise en garde envers les jeunes, qui viennent pour la première fois et veulent directement se faire piquer le cou, le visage, les mains. On leur dit : « Fais gaffe, tu ne sais pas encore forcément ce que tu veux faire dans la vie et ça peut fermer des portes»
  • 19. En France, c'est encore difficile alors qu'au Canada ou en Amérique, des serveurs tatoués de haut en bas ça ne dérange personne. Certains te prennent plus ou moins au sérieux, après tu y portes le crédit que tu veux, maintenant ça me passe au-dessus. Je suis aussi modèle : j'assume tout ce que j'ai fait, avec ou sans pseudo, rien ne m'atteint. Beaucoup d'archaïque et de vieille école, ça reste un truc à l'ancienne, dans la hiérarchie, le machisme. Mais il y a aussi des gens très libéraux et ouverts même s'il n'y a pas beaucoup d'entre-deux entre eux et la culture tattoo très virile, avec bikers et pin-up... Je n'ai pas de prospective particulière, à part me remettre à la BD et garder un rythme de vie sain. Je fais beaucoup de yoga, justement parce que c'est un boulot hyper prenant, physique. Tu es dans une position de merde, crispée, avec des machines lourdes qui vibrent tout le temps, y a vraiment moyen de finir sourde, myope et arthritique. On voyage tout le temps et ça fatigue aussi.
  • 20. JESSICA - 30 ANS, PIERCEUSE, CHAMPIONNE DE FRANCE DE BODY FITNESS (COLMAR, FRANCE) Tattoos : Olivier - Glamort, Montréal QG - Stoo - Iron Ink, Nantes - Tiraf, Fresh Ink, Mulhouse Cela fait dix ans que je fais de la musculation, et quatre ans de la compétition. Pendant l'année, je consacre quatre mois à préparer mon corps avec un régime draconien de diététique et de sport : pas d'alcool, pas de fruits, etc. Ce qui me plait là dedans, c'est la rigueur et le plaisir de voir ton corps évoluer. Je cherche à être musclée mais je veux garder des formes féminines, ça va très vite de gonfler et je veux que ça reste harmonieux. Allonger les muscles, et non les épaissir. La compétition, c'est 80% d'alimentation et 20% de sport. Je fais un peu de coaching aussi, pour apprendre les gens à s'entraîner. Mes tattoos n'ont jamais posé problème pour les jurys et j'ai toujours revendiqué de ne pas être « la meuf tatouée et musclée », j'ai un nom, une personnalité, une histoire. Je suis à fond dans les deux milieux, ce n'est pas forcément compris par tout le monde mais moi je sais où je vais, je me sens bien. Je ne fréquente pas ces milieux pour me marginaliser, je suis contente de croiser plein de gens différents. J'ai commencé à travailler à 14 ans en apprentissage, j'ai fait un Bac pro dans la grande distribution et appris à vendre de l'alimentation de merde aux gens : quand tu commences avec des conditions de travail aussi pourries, tu peux tout faire. J'ai bossé dans la bijouterie, la restauration. Un jour, j'allais à l'usine où j'emballais des collants et je me suis faite renverser à vélo. Pendant mon arrêt maladie, j'ai passé tout mon temps chez ma perceuse . Ca y est j'avais trouvé ma voie, j'ai arrêté d'aller au
  • 21. CIO où on me conseillait une formation de secrétaire médicale. Elle m'a tout appris sur le tas et depuis 1999, c'est mon activité principale. On a ouvert un shop avec mon compagnon qui est tatoueur. J'adore ce métier, où tu as un vrai contact avec les gens. J'ai percé une fille anorexique à la langue, je l'ai appelé tous les jours pour lui demander si elle avait mangé et suivre sa cicatrisation. Les modifications corporelles sont un vrai travail de fond, d'échange : avec le tatouage, ça va encore plus loin. C'est pour ça que je ne pourrais pas tatouer, tu te prends toutes les histoires, les personnalités des gens dans la gueule et je suis trop sensible, ça me ferait cogiter et me rendrait fêlée. On fait également un suivi pour les tatoués : quand des gamins arrivent et veulent se faire tatouer le cou ou l'étoile de Rihanna, on leur dit : « Tiens, prends une revue de tattoo et on va discuter ». On ne fait pas ce genre de choses, sauf pour les gens aguerris. On était installés dans le sud de la France pendant deux ans et j'ai épuisé des journées à expliquer aux gens que la tattoo c'est personnel. On a même pensé à écrire un bouquin « Tribulations de tatoueurs » avec les anecdotes les plus improbables... J'ai fait mon premier tatouage dans un studio pas très recommandable, à Rennes, à 18 ans. Mon père était dans la marine, a fait quatre fois le tour du monde et il me montrait des photos de voyage de gens hyper-tatoués au Japon, dans les îles, ça me plaisait trop, je savais que je voulais des dessins sur la peau. Mes poupées, je leur rasais les cheveux et je les tatouais déjà au feutre à six ans... Mes bras racontent tous mes souvenirs d'enfance : des portraits jeunes de mon père et ma mère, un voilier, une sirène, une geisha, un tiki de Polynésie, toutes les tribulations de marin de mon père. Puis j'ai viré vers le rétro et le vintage, avec des tatoueurs que j'apprécie. J'ai aussi l'arbre du voyageur de Madagascar sur le flanc, car c'est le pays d'origine de ma mère et la phrase Sambatra, « bonheur absolu » en malgache sur le bas-ventre. J'y retourne tous les deux ans, voir mes tantes et cousines. Mon corps est ma carte d'identité. Je ne ferais pas d'autres piercings, mais je n'ai pas de limites en terme de tattoos, hormis les cuisses peut- être. Je ne pourrais pas dire pourquoi. La décision de se tatouer n'a rien à voir avec le genre. Moi je sais où je suis, mais les autres ont du mal à me caser. Un jour j'ai des talons de 10 cm vert fluo, le lendemain un baggy et casquette. Le seul truc cohérent là-dedans, c'est que je suis la météo. Dans mon shop, on passe du Beethoven, du Rammstein, etc. Je suis un pur produit de la mixité. Je ne me rends même plus compte que je suis tatouée, à part en regardant des photos d'avant, mais je ne pourrais plus me voir autrement. On se prend encore des remarques : un été sur la place, on se baladait avec mon compagnon et ses enfants, des gens ont dit sur notre passage : « Et en plus ils se reproduisent... » C'est incroyable, ce mépris sur l'apparence.
  • 22. GOGO BLACKWATER - MODÈLE ET ENTREPRENEUSE (MILAN – ITALIE) Je gère un shop en ligne, je suis fan de films indépendants, de musique et de loups. J'ai commencé à 17 ans, parce que je traînais à cette époque avec des amis qui se faisaient tatouer tout le temps. Mes tattoos viennent simplement de mon coup de coeur pour un artiste, son style, son attention pour le détail... Je leur donne juste une idée générale et l'emplacement voulu puis je laisse opérer la magie ! La plupart de mes tatouages sont pensés à l'avance, mais parfois je me laisse aller à l'impulsion, généralement en conventions. Je n'en ai jamais regretté aucun, même si mes goûts ont changé et que je ne referais probablement pas tous les mêmes. Je suis modèle depuis plusieurs années, pour Suicide Girls notamment. Je vends d'ailleurs des impressions de mes photos sur mon site, des fringues, ce qui me permet de développer mon business à côté, en constante évolution. Bien sûr, il y a eu une prédominance des hommes dans le milieu du tatouage pendant longtemps mais maintenant je crois que les femmes sont bien acceptées. Je suis très fortement tatouée et mes plus grandes pièces ont été faites par des femmes, comme Vale Lovette, qui tient un shop avec quelques tatoueurs en dessous d'elle, qui travaillent pour elle...
  • 23. VIRGINIE - PEINTRE, 28 ANS (BELGIQUE – LIÈGE) Chest: David de Cobalt tattoo - Huy - Belgique (pour le coeur) Sven de Scratcher Paradise - Berlin (poissons chat) Bras droit: David de Cobalt tattoo Piet du Congo - Rochefort - Belgique Bras gauche: David de Cobalt tattoo Dos: Fabian de Lucky Seven tattoo - Aywaille - Belgique Mollet : Nana de Black Label - Hannut – Belgique Je suis perceuse et tatoueuse, mais avant tout artiste peintre. Je travaille en ce moment sur un gros projet culturel et humanitaire avec des femmes réfugiées à la frontière birmano-thailandaise, ce qui fait que je vais quitter le milieu du tatouage pour pas mal de temps. Je devais avoir 16 ans quand j'ai eu envie de mon premier tattoo. Une très bonne amie était déjà passée sous les aiguilles à l'époque, je ne connaissais encore rien au milieu du tattoo, mais je voulais moi aussi en avoir un. Et être une rebelle, tu vois. Mais j'ai surtout été une tapette et j'ai eu peur. Via le milieu punk métal que je fréquentais à l'époque, j'ai commencé à m'intéresser de plus en plus au milieu du tatouage. Mes tattoos proviennent d'une certaine appartenance à une culture.J'ai feuilleté de nombreux bouquins, je me suis intéressée à différents artistes et divers styles. L'envie d'avoir mon premier tattoo s'est faite de plus en plus forte, mais je ne suis pas passée sous les aiguilles avant mes 21 ans. Par contre après, je n'ai plus
  • 24. réussi à m'arrêter, que Dieu ait pitié de mes pauvres parents. Via mes tattoos, je ne recherche pas une esthétique particulière, ni a raconter l'histoire de ma vie, mon corps est avant tout un vecteur dont je me sers pour m'exprimer, tout comme la peinture. J'aime pouvoir mélanger des styles et des univers complètement différents, suivant mes envies. Je m'amuse même maintenant à repasser sur des pièces plus anciennes. Il m'est déjà arrivé de recevoir des remarques assez désagréables dans la rue, parfois même assez violentes. J'avoue que je prenais ça fort à coeur à une époque, et ça me touchait pas mal. Maintenant, je m'en fous complètement. Les gens peuvent poser le regard qu'ils veulent sur moi, et penser ce qu'ils veulent, je sais ce que je vaux, et où je vais. Mes tatouages font partie intégrante de moi, jamais je ne les regretterais, et ils ne me posent pas problème dans ma vie de tous les jours. Jamais je n'ai eu de soucis pour trouver du boulot à cause de mes tatouages. Et s'il me faut porter des manches longues dans certains endroits et en présence de certaines personnes, eh bien, qu'il en soit ainsi. Je ne me suis pas posé de limite, j'évolue suivant mes envies. Je n'y réfléchis pas vraiment en fait. Mais il est vrai que pour le moment, je suis dans une période de ma vie ou d'autre choses sont bien plus importantes. J'ai toujours de nombreuses idées pour de futurs tattoos, j'aimerais finir mes bras, mais ce sera pour plus tard. Pour le moment, je consacre mon temps et mon argent à mes futurs projets et de nobles causes... Je suis également modèle. Je pense qu'à une époque, ça m'a pas mal aidée pour me redonner confiance en moi. J'arrivais à me trouver jolie sur les photos, ça m'a fait beaucoup de bien à un moment où je galèrais pas mal avec mon image et la personne que j'étais. Pouvoir arborer aussi facilement des tattoos en tant que femme est incroyable quand on y pense, c'est une sorte de victoire ! Je pense qu'à une époque, on aurait fini directement sur le bûcher ou sous un tas de cailloux. Evidemment, il reste pas mal de travail à faire sur l'ouverture d'esprit des gens et l'acceptation du tattoo dans certains milieux, mais globalement, je sens que les regards posés sur moi sont de moins en moins agressifs, et ça, c'est plutôt cool ! Maintenant, je n'aime pas tellement le mot arborer. J'ai la désagréable impression que de plus en plus de personnes se font tatouer pour pouvoir les arborer fièrement en rue ou à la plage, comme des trophées, sans avoir outre mesure réfléchi à l'acte. 'Regardez moi, je suis tatoué, je suis différent'. Malheureusement, avec la démocratisation du tattoo en cours, il n'y a plus d'originalité à se faire tatouer. On fait tous partie du même moule. Si je suis passée sous les aiguilles, c'est avant tout pour moi et après maintes et maintes réflexions. Je me sens mieux avec ces tatouages sur le corps, et ils ont une signification forte à mes yeux, mais je ne cherche pas à les montrer à tout prix. Et je ne me fais pas tatouer une zone en me disant que je vais pouvoir l'exposer facilement. Mon identité ne se résume pas à mes tatouages.
  • 25. TIFFANY - ÉCRIVAIN ET SERVEUSE, 29 ANS (PORTLAND, OR - USA) Tous les tattoos : Ryan Mason - Scapegoat tattoo, Portland, Oregon Je suis écrivain la nuit et serveuse le jour. Je vis avec des chats noirs et une collection de trucs étranges et effrayants. Je bois aussi du café comme si ma vie en dépendait. Enfant, j'ai toujours su que je serais tatouée quand je serais adulte. Au départ, j'ai voulu des tatouages qui auraient signifié une transition entre des temps sombres et des temps heureux. Alors que mon bras gauche était censé être la toile pour ce projet, j'ai fini par ne plus vouloir tant de tatouages sinistres et mes tatouages sont définitivement beaucoup plus du côté absurde et décalé, ce qui est représentatif de ma vision de la vie. Mon premier tatouage est un cadeau de mes amis d'enfance. Je suis allé le faire impulsivement, mais j'en voulais un depuis longtemps. Depuis, je me suis liée d'amitié avec des tatoueurs, mais quand j'ai déménagé à Portland, j'ai ressenti le besoin de retrouver un chez-moi loin de chez moi. Après avoir visité plusieurs endroits, j'ai atterri à Scapegoat Tattoo. Un environnement propre, convivial, classe. Je me suis sentie à la maison. Ryan Mason, mon tatoueur, est devenu un ami. Nous avons travaillé tellement longtemps sur mes motifs. Je lui donne mon idée, il est capable de créer la pièce parfaite. Je ne regrette aucun de mes tatouages. Chacun raconte une histoire. Deux ont été recouverts, dont un par une pièce plus large et qu'il n'y avait pas moyen de l'intégrer dans le nouveau motif. L'autre parce que le tatoueur, pendant uen convention à Washington, n'a pas suivi le pochoir qu'il avait placé sur moi : le tattoo était décentré et les lignes ne se connectaient pas bien... Ryan s'est bien moqué de moi en disant que ça m'aura au moins appris à choisir un autre tatoueur. Mon nom de modèle est Silencia Suicide sur le site SuicideGirls.com. Je fais partie de cette communauté depuis 2006. J'ai grandi en idôlatrant la scène riot grrrl et en ai gardé beaucoup d'idéaux de la troisième vague du féminisme. Quand je suis tombée par hasard sur le site, je me suis dit : « Enfin une communauté qui colle à mes opinions : célébrer la femme et sa sexualité, de tous milieux, couleurs, formes, de façon positive ! » Je trouve que Suicide Girls est audacieux, sexy, intelligent, fun et complètement valorisant. J'ai naturellement voulu faire partie de ce mouvement et j'en apprécie chaque moment. Je suis si heureuse que les femmes tatouées ne soient plus aussi taboues qu'il y a, disons, 20 ans... mais il y a encore beaucoup de progrès à faire. Les femmes avec des tattoos sont encore très objétisées, et très souvent, le nombre de tattoos est utilisé pour faire des suppositions sur leur vie sexuelle.
  • 26. Se faire tatouer n'est pas une expérience sexuelle, ça fait super mal ! Je suis aussi absolument certaine que ne pas être tatouée ferait de moi une partenaire sexuelle plus demandée sur le marché. Les tattoos sont de l'art et mon corps est ma galerie. Purement et simplement. C'est incroyable de constater comme les femmes très tatouées sont traitées différemment par l'opinion publique que les hommes. Par exemple, avec des amies, il nous est arrivé de nous faire agripper par des inconnus dans la rue juste pour qu'ils puissent voir nos tatouages. Agripper un total inconnu n'est jamais correct.
  • 27. ERIKA MOEN, CARTOONIST, 30 ANS (PORTLAND, OR - USA) Tattoo épaule droite : Dwam / Sang noir – Nantes ; Tido / Aix-en-Provence Epaule gauche : Kim Durham / Prix Body Piercing, Los Angeles www.periscopestudio.com www.erikamoen.com Je suis artiste et dessinatrice de bandes dessinées à plein temps au Periscope Studio à Portland. Pendant mon temps libre, j'aime lire, regarder des émissions de télévision affligeantes et le pole dancing. Chaque tatouage représente un événement spécifique ou un moment précis dans ma vie que j'ai voulu marquer de façon permanente. Dans l'ordre les étoiles sur l'arrière de mon épaule sont un symbole de l'art et de la création. Pour faire une étoile en origami, tu prends un seul bout de papier, sans valeur, et le plie de plus en plus jusqu'à obtenir une superbe petite étoile que les gens sont excités de recevoir en cadeau. C'est l'acte parfait de transformer quelque chose sans importance en quelque chose qui a de la valeur pour les autres. En tant qu'artiste, c'est un concept important pour moi. L'arbre sur mon bras droit est dépuillé hormis les empreintes de mains rouges entre ses branches. Le tronc représente ce que nous sommes dans notre essence, pour le meilleur ou le pire, mais une base
  • 28. inchangeable alors que les branches qui mènent aux empreintes de mains illustrent les décisions que nous faisons sans la vie. L'image montre que même si tu ne peux pas changer qui tu es, tu peux toujours contrôler ce que tu fais de ta vie et finalement, qui tu deviens. Elle me rappelle que je peux être la personne que je veux, et pas celle forcément celle que je suis née. Quand j'ai été diplômée de l'université, je débordais d'énergie et d'idées, prête à m'attaquer au monde entier, laors je me suis fait tatouer une ampoule électrique brillante sur le bras gauche pour marquer mon optimisme et mon excitation quant à ma vie après l'école. On ne choisit pas sa famille, mais ça ne nous empêche de vraiment trouver les membres de notre famille, même si nous ne partageons pas le même sang. Pour cette raison, j'ai ajouté des racines à l'arbre sur mon bras droit, pour montrer que mon cœur a trouvé sa famille après tout. J'ai passé des semaines et des mois à travailler mes motifs, hormis celui des racines, que j'ai dessiné dans la précipitation la nuit avant mon rendez-vous. Je remarque maintenant beaucoup d'erreurs dessus... Je ne vois pas comme membre de la communauté des tatoués : j'ai simplement des tatouages qui ont une signification personnelle pour moi. Je me sens plus appartenir à la communauté des comics, où j'ai toutes mes relations de travail et mes amis. Je suis parfois modèle, parce que j'aime mon corps et j'aime vraiment faire de l'art, que ce soit en dessinant ou en posant. J'aime faire de belles images !
  • 29. LAETITIA, 25 ANS, AGENT DE PRODUCTION EN INDUSTRIE (POITIERS, FRANCE) Crâne chimère : Pascal - Sanhugi, Paris Crâne réaliste : Volko - Realistik Trash Polka, Würzburg Chest : Safwan - Imago, Montreal Hanche : Anthony - Forbidden Colors, Quimper Flan+cuisse : Pascal - Sanhugi, Paris Ventre : Amy Mymouse - On the road Dos : Jee Sayalero - Human Fly, Las Rozas de Madrid Haut de cuisse (coeur sacré) : Bruffy la bagare - Montreuil Cuisse : -sepent : Curtis Burgess - Tribal Rites, Colorado -kitsuné : Jimmy Lajnen - Fisheye Ink, Karlstad Genou : Jimmy Lajnen Molet gauche+pied : Rafto - Utopia, Poitiers Molet droit+pied : Keun's -Utopia, Poitiers J'ai grandi à la campagne aux alentours de Poitiers, j'étais plutôt introvertie jusqu'au lycée. Je m'occupe de la conduite d'une ligne de production constituée de machines automatisées. J'adore tout ce qui touche de près ou de loin au tatouage, piercing et modification corporelle. Pour le reste, je passe une bonne partie de mon temps libre à cuisiner, chercher de bons produits, dans un futur proche à
  • 30. m'occuper de mon chien. Le feeling avec les animaux restera ma première passion. J'aime voyager, m'enrichir des autres coutumes et modes de vie, marcher, être active, et être présente pour mes proches. D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours été fascinée par ces tatouages à l'encre bleue que je pouvais apercevoir. Deux jours après mes 18 ans, c'est à Utopia à Poitiers que jai fait mon premier tattoo attendu depuis des années. À l'époque, la médiatisation était moindre, j'ai fait un tribal, certains diront erreur de jeunesse, je dirais apprentissage, première marche de ma construction. En quittant Poitiers pour étudier à Montpellier, l'envie de recouvrir mon corps de tattoos est devenue plus claire. Sortie du cadre dans lequel j'avais grandi, je me suis rendue compte que cet art avait une place plus importante que celle que je lui accordais. Je ne voyais pas le tattoo comme un truc sympa, mais comme un art incroyable. La rencontre avec Dino m'a permis d'avoir le déclic et de me lancer. Il rêvait de devenir tatoueur et moi d'un corps tatoué ! Puis en rentrant à Poitiers, j'ai fait faire mon phénix sur le mollet gauche, se consumant et renaissant de ses cendres. Ma première convention a été le Tattoo Art Fest2 au Parc floral. J'ai pu rencontrer durant les conventions nombre des personnes qui me tatouent aujourd'hui. Mes tattoos sont réfléchis, en fait le choix de l'artiste l'est. Je lui parle d'un projet, d'un thème, et s'il est emballé, je lui laisse carte blanche. Je pense que si on admire le travail d'un tatoueur, c'est en le laissant créer qu'on obtient quelque chose d'incroyable. Je n'ai jamais eu de mauvaise surprise. J'ai donc fait régulièrement des conventions afin de rencontrer les artistes et m'imprégner. J'ai passé également beaucoup de temps au studio Utopia à Poitiers qui restera "ma maison". Ils m'ont transmis, expliqué les valeurs du tattoo, plus particulierement du tatouage japonais, ils m'ont fait grandir. D'ailleurs mes deux mollets faits par Keuns et Rafto sont les piliers de ma démarche tattoo. Je suis une femme-enfant, spontanée et c'est avec le new school que j'ai pu exprimer cette facette riche en couleurs et pleine de personnages-animaux. Mon chest fait par Safwan est pour mettre le point sur l'instant présent, la vie, les moments manqués irremplaçables. Avec Volko, par mon crâne, j'ai souhaité retrouver la construction d'un crâne réaliste traitée de façon plus trash. La phrase qu'il m'a tatouée :" It will teach you to love what you're afraid off " résume tout. (Cela va t'apprendre à aimer ce que tu crains) Il m'arrive d'avoir un coup de cœur pour le travail d'un artiste en convention et de lui laisser un bout de ma peau pour immortaliser son talent et notre rencontre. Même si la démarche de projet tattoo se fait par zone (bras entier, dos, côtes...) je me suis réservé un emplacement pour les petites pièces. N'étant pas sûre de l'avenir, j'ai préfère traiter des zones personnelles de mon corps au début. Puis j'ai attaqué mon crâne, et aujourd'hui mon bras est en projet. Porter des tattoos dans la vie quotidienne n'est pas un souci puisqu'ils font partie de moi. J'ai lu dans un magazine plus jeune cette phrase qui illustre parfaitement mon ressenti "Je suis née tatouée, ils se révèlent avec le temps". Au final, on s'imperméabilise au regard des autres, excepté lors d'une recherche d'emploi. J'avoue qu'être tatouée à mon niveau en ne travaillant pas dans ce milieu est une difficulté supérieure. Le délit de faciès opérant, les possibilités d'emploi sont plus rares. Il m'est arrivé qu'une agence d'intérim refuse même de voir mon CV en me disant qu'ils n'avaient rien pour moi, ou que l'on me demande ma carte d'identité lors d'un achat en carte bleue. Je ne souhaite pas travailler toute ma vie en usine, mais le travail me permet également de m'épanouir, et les possibilités à cause de mon look sont plus restreintes. Je ne sais pas quels opportunités se présenteront, peut-être un shop de piercing avec mon compagnon... Mais c'est un choix que j'ai fait, celui d'être moi même avant tout, et d'aller au bout des choses. Ma famille a bien sûr eu du mal à accepter mon changement, mais je pense que ce qui compte avant tout, c'est d'être bien dans sa peau, et de s'assumer. Je ne suis pas modèle, peut être parce que la confiance en moi me manque, et le potentiel. J'ai quelques photos prises en convention et suis enthousiaste à l'idée de faire une séance, des essais. Je ne considère pas que porter des tattoos pour une femme est une forme de féminisme, je vis ma passion à fond, et l'assume tout simplement. Je me considère comme extrêmement chanceuse, même si la vie de tous les jours n'est pas toujours facile. C'est avant tout un message de respect et de tolérance que je souhaite véhiculer.
  • 31. PERSEPHONE, 30 ANS, ÉTUDIANTE EN BIOLOGIE (PORTLAND, OR - USA) Mes loisirs consistent à dessiner des insectes et des araignées, passer du temps dans la forêt et prendre des photos. Depuis l'adolescence j'ai voulu des tatouages alors j'ai eu mon premier à 18 ans. Il était pas génial, je l'ai recouvert quelques années plus tard. Mes tatouages ne sont pas plus personnels que ça, à part que je les aime. Je suis biologiste et j'adore les animaux, donc la plupart de mes pièces représentent mes animaux favoris : la mante religieuse, la chauve-souris, le nautile, l'opossum. J'ai aussi deux taotuages faits spontanément, un à Bogota en Colombie : « maullar », « miaou » en espagnol. J'aime mieux certains tatouages que d'autres mais jen 'ai aucun regret. Je suis modèle pour Suicide Girls depuis 2002 et modèle artistique en freelance depuis deux ans. Au début, j'ai fait ça pour l'argent mais maintenant c'est pour être créative et avoir de belles photos de moi à regarder quand je serais vieille... Je suppose que chaque fois que des femmes inflitrent une communauté masculine cela peut être vu comme du féminisme, mais je ne l'ai pas vraiment ressenti ainsi pour le tatouage. Mais je ne désapprouve pas la théorie, si le féminisme parled'égalité, pourquoi les femmes ne seraient pas autant impliquées que les hommes dans l'industrie du tatouage ?
  • 32. Je voudrais surtout que le tatouage soit plus accepté dans la société et dans le milieu professionnel. Portland, là où je vis, est très ouverte au tatouage, on ne m'a jamais refusé un job ici à cause de mes tatouages. Mais je sais que la situation n'est pas la même dans d'autres régions ou d'autres pays. J'espère que les tatouages soient vus comme des ornements et pas comme des signes distinctifs d'appartenance à des gangs ou à la case prison. En tant que scientifique en herbe, j'espère que je pourrais continuer à travailler dans ce secteur sans que mes tatouages ne soient un problème !
  • 33. ALEX, 23 ANS, DANSEUSE (SAN DIEGO, CA - USA) Chest : Bill Canales - Full Circle Tattoo, San Diego, Ca Manche : Thatcher Demamiel - Old Town Tattoo,Temecula, Ca Dos : Doug Bowen J'aime grimper aux roches, monter à cheval, faire du yoga, de la photographie et de l'art. J'ai toujours voulu des tatouages. Je viens d'une famille très religieuse, mais ouverte d'esprit, et personne n'est tatoué dans mon entourage familial ou amical proche. Mais j'ai grandi en adorant le tatouage dès mon plus jeune âge et je savais que j'aurais les miens. Ils n'ont pas extrêmement de signification, ce sont surtout des choix esthétiques. La plupart du temps, ça se borne à « J'aime les corbeaux donc j'en ai sur moi ». J'ai eu de la chance d'avoir été tatouée dès le début par des artistes corrects. Je réfléchis assez de temps à mes tatouages pour que ça soit vraiment regrettable s'ils ne sont pas comme je l'avais imaginé à la fin. J'ai une grande pièce sur l'épaule, parfois je souhaiterais qu'elle ne soit pas là. Ce n'est pas parce que je ne l'aime pas, c'est surtout qu'elle m'empêche de me faire une belle grande pièce sur le dos parce qu'elle serait « sur le chemin ». La plupart de mon travail sur le corps a été pensé avec assez d'application pour ne pas collectionner les « j'aimerais qu'ils disparaissent ».
  • 34. Je suis modèle, principalement pour SuicideGirls. C'est ce site qui m'a permis de me considérer comme une modèle. Je ne le suis parce que j'aime regarder des photos de moi-même ! J'ai remarqué que la plupart des modèles saines d'esprit n'aiment pas forcément regarder des photos d'elles-mêmes, à part certaines. Ceci étant dit, honnêtement , je ne sais pas complètement pourquoi je suis modèle. Un psychologue dirait sûrement que cela renforce le sentiment d'appartenance que les humains tendent à ressentir, mais je n'ai pas cette impression que faire des photos me rend plus populaire ou plus appréciable ! Etre tatouée ne fait pas du tout de moi une féministe. Ca aurait été le cas dans les années 50 mais actuellement c'est tellement mainstream que je trouve ça neutre. Dans mon milieu professionnel et l'endroit où je vis, c'est compliqué de trouver une fille sans un seul tatouage. La plupart du temps, ils sont tellement mal faits, mal pensés et clichés que j'ai plutôt l'impression d'appartenir à un clan de poufiasses qu'à un groupe qui respire la puissance et le progrès. Cependant il y a toujours des femmes qui représentent ça et me rappellent pourquoi j'aime cette forme d'art. ***** Travaux argentiques / Hasselblad (2005-2013) © Juillet 2013