Quelques témoignages de viticulteurs des quatre coins de l’hexagone, mais aussi de Denis Dubourdieu et Stéphane Derenoncourt sur ce qui a fondamentalement changé depuis dix ans.
Revue de presse - Champagne Philipponnat Décembre 2013
Le temps des vendanges - Octobre 2011
1. LE TEMPS DES VENDANGES
L e chemin qui conduit de la grappe de raisin au vin semble immuable et à l’écart des idées
révolutionnaires. Pourtant depuis 10 ans, le regard sur les vendanges n’a cessé d’évoluer.
Observations, bon sens et intuitions ont profondément bouleversé les choses et modifié la
conquête d’un millésime.
D es vignerons de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne et de Provence apportent
leurs témoignages sur l’évolution des vendanges. Merci à Denis Dubourdieu d’ouvrir la
route en focalisant sur les points essentiels qui ont, selon lui, marqué ces dix dernières années.
Merci à Stéphane Derenoncourt qui nous résume ensuite en quelques lignes les évolutions
techniques les plus significatives de cette première décennie du XXIè siècle.
DENIS DUBOURDIEU
Agronome, professeur d’œnologie à l’Université de Bordeaux,
membre de l’INAO
Les rendements et idéale pour chaque parcelle. Sur la
Rive Droite, la recherche de maturation
Taille plus sévère, ébourgeonnages,
des merlots est devenue une compétition
vendanges vertes, ils ont baissé d’au
locale. Il n’est pas exclu que certains soient
moins 20% dans toutes les appellations
allés trop loin.
et dans tous les crus… L’idée est de
faire naturellement des vins plus (trop ?)
concentrés. Le tri des raisins
Chaque raisin qui entre dans une cuve
La chaptalisation et la concentration doit être parfait. Tous les moyens possibles
des moûts sont mis en œuvre, manuel, mécanique,
optique pour arriver à un tel résultat.
La baisse des rendements mais aussi
une série climatique exceptionnelle ont
mis ces pratiques au placard (même à
Le retour du petit verdot
sauternes). La proportion de cabernet et de petit
verdot augmente dans le premier vin des
L’identification des parcelles crus de la rive gauche.
La cartographie a permis de mieux
connaître les parcelles et partant, de
L’arrivée du bio
pénétrer dans l’intimité des vignobles. Les La sensibilité environnementale des crus
meilleurs terroirs de graves, d’argile ou de s’éveille. Beaucoup de châteaux ont des
calcaire sont aujourd’hui parfaitement essais «bio». Certains (rares) ont sauté le
identifiés. Dans les domaines ambitieux, pas et sont en conversion pour la totalité
les sols sableux, limoneux et/ou humides, de leur surface. Les autres observent
au potentiel limité, sont désormais prudemment.
systématiquement affectés au second vin
dont la proportion est croissante.
A Sauternes
Le temps des vendanges Fait remarquable du vignoble liquoreux : les
vendanges sont de plus en plus précoces…
45 jours après la véraison il y a dix ans, La pourriture noble qui forge l’âme des
60 jours aujourd’hui, les vendanges des sauternes apparaît massivement de plus
raisins rouges se fait de plus en plus tard. en plus tôt.
Le but ? Atteindre la maturité complète 1
2. STEPHANE DERENONCOURT
Vigneron consultant
C’est la décennie du respect et de la Les tapis pour trier s’enrichissent des
sélection de la grappe. Les remorques techniques de vibration. Les pompes
à vendange, bennes à vis et tout autre à vendanges, à piston ou hélicoïdale
moyen de transporter la vendange sont disparaissent au profit du péristaltique
remplacés par des cagettes. Les érafloirs pour éviter les actions mécaniques. Les
sont repensés et deviennent plus doux, plus soucieux optent pour le convoyage.
plus respectueux de la grappe.
CHÂTEAU CANTEMERLE, CRU CLASSE DE HAUT-MEDOC
Philippe Dambrine, Directeur
A Cantermerle, le vignoble a été replanté en grande partie dans les années 80 quand la
Société Mutuelle Agricole du Bâtiment et des Travaux Publiques a acheté le domaine. Cela
a permis un enracinement profond de la vigne. Aujourd’hui, la vigne arrive dans la fleur de
l’âge, cela se ressent à la dégustation des vins : ils ont gagné en intensité, une progression qui
n’a pas échappé aux fidèles observateurs du cru.
Au fil des ans, la conduite de la vigne s’est faite plus précise et plus respectueuse de
l’environnement. Dans le même temps, la connaissance de la maturité des raisins a progressé
grâce aux analyses sophistiquées des laboratoires. Cet examen de la maturité s’accompagne
aussi de la dégustation des raisins, elle reste déterminante pour apprécier la texture de la peau
et le goût des pépins.
Les vendanges ont aussi évolué vers une plus grande délicatesse dans le ramassage. Le tri
sélectif, aujourd’hui bien maîtrisé permet de préserver l’intégrité des baies jusqu’au foulage.
CHÂTEAU TALBOT, CRU CLASSE SAINT-JULIEN
Christian Hostein, Directeur de production
Les règles qui fixaient les dates des vendanges ont disparu… La recherche de la maturité
optimale passe désormais par une prise de risque de plus en plus importante… Il faut
désormais agir vite et bien.
Nous avons ainsi modifié notre capacité de ramassage des raisins en augmentant les effectifs
des vendangeurs. Nous avons aussi cherché à les fidéliser et à les « fixer » à Talbot en mettant
à leur disposition de nouvelles installations, en leur proposant un « contrat ». Côté technique,
nous faisons évoluer chaque année les chaînes de traitement de la vendange. Tout est mis
en place, de la vigne à l’érafloir, dans le but de respecter au maximum l’intégrité des raisins.
Cela passe par des contenants plus respectueux des baies et l’optimisation du tri par flottation
avant un dernier tri manuel avant l’encuvage.
Pour l’élaboration du Grand Vin, l’individualité des parcelles a pris une place de plus en plus
importante. Les assemblages sont désormais plus tardifs, cela permet des mariages plus fins
et la mise en place de synergies porteuses de minéralité. Des éléments qui concourent à la
recherche de la complexité.
2
3. CHÂTEAU CARBONNIEUX, CRU CLASSE DE GRAVES
Eric et Philibert Perrin, Co-propriétaires
La règle est intangible, pour faire un bon vin, il faut de beaux raisins… Les principales
évolutions observées ces dernières années concernent le vignoble. C’est dans cette direction
que nous travaillons le plus en espérant nous améliorer au fil des années.
Un vignoble mieux connu et mieux ressenti a autorisé une gestion parcellaire plus pointue.
La taille et les amendements se font sur mesure, ils sont adaptés à la personnalité de chaque
parcelle et même de chaque portion de parcelle. Le palissage de certaines vignes a été rehaussé
pour améliorer la surface foliaire. Cette connaissance et cette technique ont conduit à une
maîtrise plus naturelle des rendements. Les vendanges vertes ont pratiquement disparu, à
l’exception des jeunes vignes trop ardentes.
Le vignoble de Carbonnieux, en rouge et en blanc, atteint aujourd’hui un âge vénérable.
Chaque année, nous veillons à son renouvellement en replantant environ 2% de l’ensemble
du domaine. Cela permet de gommer les erreurs du passé. Notamment celle qui consistait à
planter des cépages précoces sur des terroirs précoces pour éviter tout risque de gel.
Longtemps reconnu pour ses blancs, Carbonnieux l’est aujourd’hui tout autant pour ses rouges.
Pour autant, le style n’a pas fondamentalement changé si ce n’est un peu plus de profondeur et
de précision pour les rouges, à peine moins de bois pour les blancs. Une obligation : respecter
le fruit, objet de tant d’attention…
CHÂTEAU SOUTARD, GRAND CRU CLASSE DE SAINT-EMILION
Claire Thomas-Chenard, Directrice d’exploitation
Trois choses m’apparaissent essentielles dans le vécu des vendanges depuis 10 ans.
- des degrés qui dans l’ensemble ont augmenté,
- l’arrivée du tri optique qui autorise une fenêtre de ramassage plus précise et une meilleure
sélection des raisins,
- la chambre froide qui permet d’homogénéiser la température des raisins arrivant au chai
tout en favorisant une meilleure macération préfermentaire.
CHÂTEAU GUIRAUD, CRU CLASSE DE SAUTERNES
Xavier Planty, Co-propriétaire et directeur
L’évolution ? Une précision grandissante dans la plupart des grands crus, la prise de conscience
que concentration et qualité ne vont pas de paire, une passion toujours grandissante pour le
vin.
MAISON LOUIS JADOT DE BOURGOGNE
Manuela Mouroux, Chargée de communication
Pour la maison Jadot, les quantités de raisins vinifiés ont sensiblement augmenté en raison
de l’achat de vignes mais aussi avec la signature de nouveaux contrats avec des producteurs.
Ce qui n’a pas changé chez Louis Jadot :
- les vendanges manuelles,
- les petites caisses pour le transport des raisins,
- le tri des raisins.
Nos points de progrès : 3
4. - le tri qui s’opère désormais sur toutes les appellations, du Beaujolais-Villages aux Grands
Crus en passant par le Bourgogne générique, une démarche unique dans notre région,
- un tri non stop à la cuverie quelque soit l’état sanitaire de la vendange. Tous les raisins sans
exception passent par la table de tri,
- des transports plus fréquents de la vigne à la cuverie pour éviter les débuts d’oxydation et
« traiter » les baies dans les meilleurs délais.
CHAMPAGNES PHILIPPONNAT
Charles Philipponnat, Président-Directeur-Général
Pour le vin à bulles, trois choses essentielles ont fait évolué les mentalités durant les vendanges :
- le cycle de maturation des raisins qui se révèle plus rapide et plus variable oblige à être plus
réactif pour rentrer le raisin au plus vite. En 2011, les équipes de vendangeurs ont été renforcées
pour cueillir les pinots noirs le plus rapidement possible. Les chardonnays ont été ramassés après
les pinots, c’est un pied de nez à la tradition.
- le regard sur les raisins s’est considérablement affiné. L’objectif s’est fait plus précis de ramasser
les baies au point culminant de leur maturité, ni avant ni après. Cela implique aussi de pratiquer
un tri strict des grappes à la vigne en observant une parfaite discipline de cueillette.
Ces nouvelles disciplines s’avèrent d’autant plus essentielles que les vendanges hâtives sont souvent
plus mûres et partant, plus fragiles.
DOMAINE DE LA BEGUDE A BANDOL
Guillaume et Soledad Tari, Propriétaires du domaine
Voilà 15 ans, nous avons repris un vignoble méditerranéen et nous avons pris la décision de
le cultiver en « bio ».
Première conséquence : un rendement beaucoup moins élevé, environ 25 hl à l’hectare, une
production infime qui entraîne quelques moments d’inquiétude.
Autres conséquences, plus gratifiantes : la vigne apparaît plus résistante aux maladies et à la
sécheresse qui précèdent les vendanges, l’effet millésime est beaucoup plus marqué, chaque
vendange a désormais sa personnalité. Les vins présentent plus de fraîcheur.
Un autre changement pourrait être la prise en compte du cycle lunaire pour les dates de
vendanges. La base du bandol, c’est le mourvèdre et il se révèle très lunatique…
Nous avons remarqué des dates de vendanges un peu plus précoces, moins espacées. Et nous
sommes toujours les derniers à rendre notre copie. La Bégude est en effet située sur le point
culminant de l’appellation Bandol.
Lettres de Châteaux
Marie-Stéphane Malbec
Tél. : 05 56 44 63 50 - Fax : 05 56 44 69 45
E-mail : marie-stephane.malbec@wanadoo.fr
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