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Numéro 3 - Juillet-Août 2013
Le capitalisme, c’est autant l’exploitation de l’Homme que de la nature.
Substituer la valeur
d’usage à la valeur marchande
entretien
Quelques pages pour discuter de Qu’est-ce
que la richesse ? avec Florence Jany-Catrice,
chercheuse et professeure d’économie à l’Uni-
versité de Lille 1. Spécialiste des indicateurs
socio-économiques, de l’emploi et des services
p. 11
Pour une société démocra-
tique, par Timothée Duverger
p. 8
Ouvrons le débat
avec Utopia
p. 18
socialistefaire le socialisme du 21e
siècle
éco
la revue
Dossier
?
Le débat qui s’ouvre sur les retraites témoigne
de la difficulté de poser toutes les probléma-
tiques de notre modèle économique, social et
environnemental.
L’option « mécano »
Pour équilibrer les comptes de la branche re-
traite l’équation est simple : trouver 7 milliards
d’euros à l’horizon 2020. Dès lors, une option
« mécano » est envisageable : soit on aug-
mente les recettes, soit on baisse la dépense.
C’est là où le clivage gauche-droite prend
tout son sens. La droite propose d’augmenter
la durée de la cotisation et de permettre de
partir à la retraite seulement à 65 ans, tout en
ouvrant la porte à la désindexation des pen-
sions de l’inflation. La gauche, elle, cherche
de nouvelles sources de financement pour
garantir le niveau des pensions sans repous-
ser l’âge de départ à la retraite : augmentation
des cotisations sociales salariés et entreprises,
taxation du capital, fusion de l’impôt sur le re-
venu et de la CSG. S’ajoute à cela la néces-
sité de corriger certaines inégalités : pour
les femmes qui ont des niveaux de pensions
extrêmement faibles, pour les jeunes qui du
fait du chômage et de la précarité cotisent de
moins en moins avant 25 ans, pour les salariés
qui du fait de la pénibilité de leur travail ont
une espérance de vie nettement inférieure.
Conduire ces réformes est indispensable, tant
pour remettre de la justice sociale dans le sys-
tème que pour ne pas creuser les déficits de
la sécurité sociale. De façon globale, les dé-
penses de la sécurité sociale vont augmenter
pour trois raisons : prise en charge nécessaire
de la dépendance, hausse des dépenses de re-
traite du fait de l’arrivée des « papy boomer »
et de la hausse des pensions des femmes, et
enfin hausse des dépenses de santé du fait de
l’allongement de la durée de la vie et d’une
médecine plus onéreuse. Creuser les déficits
alors que les dépenses vont augmenter n’est
pas viable.
Quelle pérennisation de
la protection sociale si la
croissance ne revient pas ?
La difficulté pour les socialistes, c’est que
nous avons pris l’habitude de considérer que
l’augmentation des dépenses de protections
sociales est couverte par la hausse de la
croissance. C’est ignorer que les forts taux de
croissance avant 2008 étaient principalement
le fruit des bulles financières et qu’aujourd’hui
le capitalisme se fracasse sur les limites de la
biosphère, l’explosion du coût de l’énergie
et des matières premières. C’est succomber
à une illusion qui consiste à penser que l’on
obtiendra - comme par miracle - un boom
de croissance qui permettra de réduire dras-
tiquement le chômage à 7%, puis de stabiliser
la croissance à un rythme annuel de 1,7% tout
en décarbonnant l’économie, en consom-
mant moins de matières premières, en met-
tant fin à l’étalement urbain, et en préservant
la biodiversité, bref, tous les éléments indis-
pensables à la bonne santé des individus et à
la survie de l’humanité.
Le système éclate alors de par ses contradic-
tions : il n’est pas possible de sauver le sys-
tème de protection sociale avec un remède
EDITO
Il ne s’agit pas de serrer les boulons mais
bien de changer le moteur
2
qui amplifierait d’autres maux qui font implo-
ser le système. Nous ne vivons pas une crise
qui nécessite quelques réglages mécaniques,
mais bien un effondrement qui implique de
changer le moteur.
Changeons le moteur
Une société décarbonée, économe en res-
sources et à forte teneur en emplois est pos-
sible en décolonisant nos esprits du mythe
de la croissance. Il s’agit d’admettre que nous
vivons dans un monde fini et dans une ère
de croissance structurellement faible. Créer
de l’emploi sans croissance passe forcément
par une réduction du temps de travail qui im-
plique de réfléchir à la place que celui-ci oc-
cupe dans nos vies. Inventer un modèle éco-
nomique qui rompe avec le productivisme
implique de poser la question de la sortie de
la société du tout-consommation et de la dé-
pendance aux énergies fossiles. Une société
où la croissance est limitée alors que les dé-
penses de protection sociale vont légitime-
ment augmenter et où les demandes de biens
et services collectifs vont croître a besoin
d’un grand débat démocratique pour savoir
ce qui est du ressort du public et ce qui est
du ressort du privé. Il nous faudra également
déterminer la part de richesse consacrée à
ces dépenses, qui seront d’un niveau très
probablement plus haut que celui que nous
connaissons aujourd’hui.
Notre tâche est ardue dans une période de
changement de monde. Nous devons rendre
plus juste le monde ancien tout en permettant
au nouveau monde d’émerger. Réaliser une
réforme juste des retraites dans l’immédiat
est nécessaire mais n’a de sens que si nous
empruntons, dans le même temps, le chemin
du changement de modèle. Soit la gauche
s’interroge sur son rapport à la croissance, à
la réduction du temps de travail, au partage
des richesses, au contrôle de la démocra-
tie sur l’économie et à la place accordés aux
questions écologiques ; soit – en se berçant
d’illusions – elle laissera dans la durée dispa-
raître, sans même s’en rendre compte, ce à
quoi nous sommes si attachés : le système de
protection sociale français et européen.
Thierry Marchal-Beck
Président des Jeunes Socialistes
d
Edito
Forum du Parti Socialiste sur la transition
écologique - 23 MArs 2013
3
Retrouvez sur notre site le discours
prononcé par Thierry Marchal-Beck,
Président des Jeunes Socialistes, lors du
Forum sur la transition écologique du
Parti Socialiste qui s’est tenu à Paris le 23
Mars 2013.
Plus d’infos sur ecosocialiste.fr
Directeur de la publication :
Thierry Marchal-Beck
Rédactrice en chef :
Juliette Perchepied
Maquette :
Richard Chesneau
Edito									2
Sociétéenmouvement							
La transition énergétique, moteur nécessaire de l’industrie			 5
Santé
La tuberculose, maladie de la précarité et maladie urbaine	 		6
Travail
La BPI, un nouvel outil pour l’Economie Sociale et Solidaire	 		7
Les télécentres, entreprises durables ?					 8
LEDOSSIER-Substituerlavaleurd’usageàlavaleurmarchande	 9
	 Pour une société démocratique				 	10
	Entretien - Qu’est-ce que la richesse ? avec Florence Jany-Catrice	 13
	 Zoom sur... - Manifeste du Parti Socialiste Unifié			 16
	 Fiche de lecture - La convivialité, Ivan Illich				 18
	 Débats - Utopia : Valeur d’usage, valeur marchande			 19
UniversitésPopulairesdel’Ecosocialisme -CycleGorz
Gorz, l’utopie autogestionnaire avec Timothée Duverger			 21
La nature a-t-elle un prix ? avec Geneviève Azam				 22
Gorz et la pensée Ecosocialiste avec Christophe Fourel			 23
L’actualité de l’écosocialisme						24
ILS ONT CONTRIBUÉ À CE NUMÉRO
Rose Michel
Stéphane Gonzalez
Floréale Mangin
Romain Bossis
Alizée Ostrowski
Rama Sall
Anthony Aly
Jean-Baptiste Gernet
Timothée Duverger
Juliette Perchepied
Mathilde Maulat
Lorenzo Salvador
Et merci à :
Denis Vicherat et Laure
Pascarel d’Utopia
Vous souhaitez participer à la création du prochain numéro de la revue
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revue@ecosocialiste.fr
4
SOMMAIRE
Imprimé par nos soins
Société en mouvement
La transition énergétique,
moteur nécessaire de l’industrie
La France a besoin d’une industrie forte,
d’une production suffisante pour couvrir des
besoins en matériaux comme en biens. Des
idées répandues opposent le développe-
ment industriel et la transition énergétique.
Au contraire, les deux sont complémentaires.
Un véritable investissement dans la transition
énergétique permet de développer de nou-
velles filières et peut être source de maintien
de l’activité industrielle, comme pour l’indus-
trie sidérurgique.
La fermeture annoncée du dernier haut-four-
neau sur le site Arcelor-Mittal de Florange en-
traine la disparition d’une partie de la filière.
Pourtant, la combinaison de la recherche et
des innovations en matière de développe-
ment durable par le biais d’ULCOS notam-
ment était une piste pour sauver des emplois
à Florange et assurer la pérennité du site.
ULCOS signifie « Processus sidérurgiques à
très basses émissions de CO2 ». Il s’agit d’un
consortium d’entreprises et d’organisations
issues de 15 pays européens et soutenu par
la Commission Européenne, réunies au sein
d’une initiative de coopération en R&D. Le
projet s’articule en deux volets visant au fi-
nal à produire de l’acier moins cher et moins
polluant (réduction d’au moins 50% des émis-
sions de CO2).
•	 En amont, au niveau de la filière liquide :
sur l’un des hauts-fourneaux une recircu-
lation des gaz de gueulard (émis lors de la
production de la fonte) afin de rendre le
processus de production plus efficace
•	 En aval : capturer le CO2 en sortie des che-
minées, le transporter via un gazoduc pour
enfin l’enfouir en sous-sol
ULCOS au secours de
Florange ?
Le projet aurait pu permettre de maintenir en
activité la phase liquide du site. Alors que la
commission européenne attendait les dos-
siers de demande d’agrément, Arcelor-Mit-
tal s’est retiré du processus. En réduisant ses
émissions de CO2 le groupe aurait pu écono-
miser l’achat de quotas d’émissions de CO2
à l’horizon 2020. Mais, le prix de la tonne
de CO2 a été divisé par 5 depuis 2008 et le
groupe ne voulait pas investir. Arcelor-Mittal a
privilégié une logique comptable à l’efficaci-
té industrielle et l’intérêt économique à long
terme.
Cette situation met en lumière deux éléments
nécessaires à l’avènement d’un nouveau mo-
dèle de développement. Le premier est lié à
l’investissement dans des politiques permet-
tant la transition d’un modèle d’économie
intensive, fortement consommatrice de res-
sources, vers un modèle faiblement émetteur
de carbone. Cette transition devra être juste,
respectant le dialogue social et être liée à un
plan de diversification de l’économie. C’est
l’objet du second élément : l’appropriation
citoyenne et démocratique de l’outil de pro-
duction détachant la détention du capital
d’une entreprise de la totale liberté de ges-
tion à laquelle elle est aujourd’hui liée. Pour
que demain des projets bénéfiques sur le plan
social comme sur le plan environnemental ne
soient plus sacrifiés au nom du profit à court
terme.
5
Photo:pasukaru76
La tuberculose est une des maladies infec-
tieuses parmi les plus meurtrières au monde,
juste après l’infection au VIH/Sida. En 2010,
l’OMS estime que 8,8 millions de personnes
ont eu une tuberculose maladie et que 1,4
millions en sont mortes. Un tiers de la popula-
tion mondiale est atteinte d’infection latente,
l’Afrique et l’Asie étant les régions les plus
touchées.
Elle est due au Bacille de Koch (BK) qui at-
teint le plus souvent les poumons, mais peut
toucher l’ensemble des organes. La conta-
gion est essentiellement familiale, mais peut
également avoir lieu au sein des milieux sco-
laires et professionnels. La France fait partie
des pays à faible incidence de tuberculose;
en 2010, 5187 cas de tuberculose maladie ont
été déclarés. L’incidence de la tuberculose
est en diminution constante depuis la fin des
années 1990, et en 2007 l’obligation vaccinale
du BCG pour les enfants a été suspendue à
l’exception de l’Île-de-France, des départe-
ments d’Outre Mer à forte incidence et des
populations jugées à risque pour qui subsiste
une très forte recommandation de vaccina-
tion.
L’Île-de-France a la plus forte incidence de tu-
berculose avec 16 cas pour 100 000 habitants
(contre environ 8 pour la France entière). La
Seine-Saint-Denis est la plus touchée avec
plus de 30 cas pour 100 000 habitants.
Parmi les malades, les personnes étrangères
ayant récemment vécu une migration sont les
plus nombreuses, ce qui explique en partie
l’incidence élevée signalée dans les départe-
ments de Guyane et d’Ile de France qui sont
des « départements d’accueil » pour les per-
sonnes arrivant sur le territoire national. En
effet, des personnes fragilisées par leur mi-
gration puis les conditions de vie précaires à
l’arrivée en France sont plus susceptibles de
développer une tuberculose jusque la restée
latente.
La politique de la droite entre 2002 et 2012
envers les étrangers n’a fait qu’aggraver la
situation des personnes les plus vulnérables
face au risque de tuberculose. Le recours aux
soins des étrangers en situation irrégulière et
sans ressources a été fortement entravé par la
politique du chiffre en matière d’expulsion et
donc la crainte d’être arrêté et la limitation de
l’accès à l’Aide Médicale d’Etat par une obli-
gation de résidence de trois mois puis d’une
franchise de 30 €. On constate alors en Ile de
France et en particulier en Seine-Saint-Denis
une stagnation du nombre de cas de tuber-
culose alors qu’elle diminue partout ailleurs.
Le gouvernement de François Hollande a
supprimé le droit d’entrée de 30 € à l’AME.
Afin d’améliorer la prévention sanitaire, on
pourrait envisager la fusion de la Couverture
Maladie Universelle avec l’AME, ainsi que la
Santé
La tuberculose, maladie de la
précarité et maladie urbaine
Photo:alainalele
6
Le Parlement a, le 19 décembre dernier, dé-
finitivement adopté la création de la Banque
Publique d’Investissement dont l’objectif est
de permettre la relance de la compétitivité
des entreprises françaises et par la même le
maintien et la création d’emplois en répon-
dant aux problèmes d’accès des entreprises
aux crédits, en particulier lorsqu’il s’agit d’une
économie sur le moyen ou long-terme..
Détenue à 50/50 par l’Etat et la Caisse de
dépôts et consignations, elle réunira dans
chaque région sous un guichet unique ayant
la charge de constituer des plateformes sur
mesure afin de répondre aux besoins et de
s’adapter aux dispositifs régionaux déjà en
œuvre.
Dotée d’une force de frappe de 40 milliards
d’euros, la BPI a pour missions principales
l’accord de prêts aux PME et aux entreprises
innovantes ainsi que l’investissement au ca-
pital de ces mêmes sociétés.
Si les sociétés visées par la BPI sont princi-
palement les entreprises industrielles, les
entreprises innovantes et les PME exporta-
trices, 500 millions d’euros ont été réservé
à l’Economies Sociale et Solidaire afin de
mieux accompagner le développement de
cette économie qui représente 10% du PIB
de notre pays.
L’Economie Sociale et Solidaire étant tout à
la fois, un vecteur de croissance et de créa-
tion d’emplois non délocalisables et cor-
respondant à une autre manière de gérer et
appréhender son entreprises sur des bases
plus démocratiques et respectueuses tant
des salariés que des citoyens et de l’environ-
nement, le Gouvernement a pour la première
fois en France fait le choix de véritablement
défendre et encourager cette économie.
Ainsi la BPI peut désormais apporter son aide
aux entreprises de l’ESS porteuses d’un projet
viable, innovant et économiquement justifié
et détentrices de fonds propres. Par la suite,
la loi-cadre sur l’économie sociale et soli-
daire qui entrainera notamment une labelli-
sation des entreprises d’économie sociale et
solidaire permettra de flécher ces fonds dé-
diés à l’innovation sociale.
Travail
La BPI, un nouvel outil pour l’Economie
Sociale et Solidaire
suppression de l’obligation de résidence de 3
mois pour en bénéficier.
La tuberculose reste une maladie de la préca-
rité et une maladie urbaine, la densité de po-
pulation et les situations de promiscuité dans
les lieux d’hébergement favorisant la diffusion
du bacille de proche en proche. Les réponses
sont médicales, pour dépister et soigner les
personnes atteintes, mais aussi sociales et ur-
baines, pour permettre à tous de vivre dans
des conditions de logement dignes. Il subsiste
dans de nombreux quartiers populaires de nos
villes des îlots d’insalubrité et de suroccupa-
tion déjà dénoncés au 19e
siècle comme fac-
teurs de risques. La politique de la ville doit se
saisir des questions de santé, la réhabilitation
de quartiers fortement dégradés tarde à voir
le jour en particulier lorsque les immeubles
concernés appartiennent au parc privé.
Sources InVS, la tuberculose est une maladie à dé-
claration obligatoire
7
Le concept des télécentres émerge petit à
petit en France, notamment dans les terri-
toires ruraux, péri-urbains et urbains. Par-
tagés par plusieurs entreprises ou indépen-
dants, ils permettent le travail à distance
dans des locaux communs. De nombreuses
études menées à l’étranger ont montré les
nombreux atouts, parfois surprenants, que
peuvent avoir les télécentres, en matière
sociale (santé, bien-être), environnemen-
tale (efficacité énergétique des bâtiments et
transports) et économique (gain de la facture
immobilière de l’entreprise).
Quel est l’intérêt pour les
entreprises ?
Les entreprises françaises s’inscrivent de plus
en plus dans une logique de responsabili-
té sociale (RSE). La majeure partie du temps
cette démarche a pour but d’améliorer leur
image et s’inscrit dans une stratégie de com-
munication interne et externe. En offrant un
meilleur cadre de travail à ses employés, elle
les rend plus productifs, mais redore aussi
son image auprès du public.
Les télécentres font cependant l’objet de
nombreuses critiques de la part de mana-
gers méfiants qui partent du postulat qu’un
travailleur non surveillé est un travailleur qui
ne travaille pas. Le télétravail doit permettre
d’instaurer une relation de confiance entre
les salariés et les différentes strates qui com-
posent les entreprises.
L’intérêt est tout autre pour les TPE, les tra-
vailleurs indépendants et les entreprises nais-
santes, pour qui les télécentres sont un cadre
de travail de qualité qui facilite les rencontres
professionnelles en permettant à l’entreprise
de se développer.
Peut-on parler de progrès
social et environnemental ?
Les télécentres peuvent permettre de dimi-
nuer la facture des déplacements, et de dé-
velopper l’attractivité et l’économie du terri-
toire. C’est une solution qui permet d’avoir un
faible impact environnemental en réduisant
les transports. De plus, l’environnement des
télécentres se veut d’une qualité optimale
pour le bien-être des usagers. Par exemple
avec des espaces de détente que nous pou-
vons rarement retrouver dans les entreprises
« classiques ». Globalement, l’impact social
semble relativement positif…
Mais la défense syndicale est rendue plus
difficile. Les salariés étant séparés de la
maison-mère, leurs droits peuvent être très
différents. L’utilisation d’espaces partagés
diminue aussi les possibilités de discussion
ouverte sur la vie interne de l’entreprise.
Un chiffre : 4 millions. Ce sont les Français
qui travaillent au moins une journée par se-
maine en dehors du bureau, ce qui a été ren-
du possible par le développement des outils
informatiques. Cependant, ils se retrouvent
chez eux, dans un endroit qui n’est pas forcé-
ment aménagé et propice au travail avec des
horaires non-contrôlés (badgeuse) qui pose
de réelles questions en matière de défense
syndicale en cas d’attaque de l’employeur.
Travail
LES TELECENTRES : ENTREPRISES DURABLES ?
Photo:jamjar
8
DOSSIER
Substituer la valeur d’usage
à la valeur marchande
Aristote est le premier à évoquer la distinction
entre valeur d’usage et valeur d’échange. On
accorde d’abord une utilité à un objet, c’est
la valeur d’usage. Cette dernière permet en-
suite de l’échanger. Il existe aussi des chaînes
de valeur d’usage. Par exemple, lorsque la
farine issue de la transformation du blé est
achetée et utilisée pour faire du pain, c’est un
objet échangé qui est utilisé pour améliorer
une autre valeur d’usage. Par la suite, les éco-
nomistes classiques Adam Smith et Karl Marx
ont prolongé cette notion.
La valeur d’usage, qui signifie l’utilité de la
chose, est déterminée par les propriétés du
corps de la marchandise, qui a des caracté-
ristiques utiles à l’homme. Pour donner à la
chose une valeur d’échange, il faut apporter
une quantité de travail, au cours du proces-
sus de production, afin qu’elle devienne mar-
chandise et puisse être mise sur le marché.
Le capitalisme, dans sa logique constante
d’accumulation des profits, est à la recherche
d’ouverture de nouveaux marchés. Des sec-
teurs qui n’ont pas vocation à avoir une va-
leur d’échange comme l’eau, l’air, l’éduca-
tion, la santé… finissent par être happés dans
la logique marchande. L’enjeu est de dépas-
ser la course à la croissance qui étend les do-
maines marchands en changeant notre indi-
cateur de richesses pour prendre en compte
le bien-être et le lien social. Aller vers une
société de la convivialité, où nous cherchons
l’utilité sociale et environnementale, et non
plus seulement l’accumulation monétaire,
est la question posée dans ce dossier.
9
?
Les multitudes d’Indignés,
rhizomatiques, prolifé-
rantes, jaillies au printemps
2011, sont autant de révo-
lutions moléculaires qui en même temps dé-
noncent le vieux monde et énoncent le nou-
veau par leur praxis démocratique. Elles tissent
des liens entre des singularités anonymes qui
partagent une commune humanité, un même
projet d’autonomie, et produisent un monde
commun. Mais leur pouvoir constituant n’a
rien d’exclusif, il traverse de part en part l’en-
semble de la société.
Le moment 68 a ouvert une brèche dans la
modernité organisée arrivée à son apogée
après-guerre. S’y sont glissées les quelques
graines d’une nouvelle culture politique op-
posant à la verticalité l’horizontalité, à la gé-
néralité la particularité, à l’uniformité la plu-
ralité. Et aujourd’hui qu’elles ont germé, se
sont développées, ont investi les moindres
interstices, les moindres recoins cachés, les
plus petites faiblesses de la Tour des hiérar-
chies, elles sont prêtes à la faire éclater pour
instituer une société démocratique.
Car la démocratie n’est pas qu’un régime, un
système institutionnel, une affaire de sépara-
tion et d’équilibre des pouvoirs ou de suffrage
universel, c’est aussi – et surtout – une forme
sociale. La démocratie, c’est une mise en
forme spécifique des rapports sociaux, un art
du lien à l’autre, la poussée vers une société
des égaux. Or, avec l’irruption des nouvelles
technologies relationnelles de l’Internet,
s’ouvre l’ère 2.0, celle d’une société réticu-
laire partageuse d’information où l’individu
détourne les flux pour sculpter sa propre sub-
jectivité. Il actualise en cela les potentialités
d’émancipation qui, du sein même du capita-
lisme, œuvrent à son dépassement.
Avant donc d’explorer la voie d’une société
post-capitaliste, l’écosocialisme nécessite de
mieux saisir les mutations du capitalisme.
La société de marché
La théorie de la valeur est la pierre angulaire
du capitalisme. L’économie de marché fonc-
tionne par la mise sur le marché de toute la
production, soumise à la loi de l’offre et de
la demande. Mais le capitalisme n’atteint son
stade suprême, celui de la société de marché,
que lorsqu’il y a triple marchandisation du tra-
vail, de la terre et de la monnaie, marchan-
dises fictives puisqu’aucun des trois n’est pro-
duit pour la vente. Fixer une valeur d’échange
aux deux premiers termes revient à exploiter
l’homme et la nature dans un même mouve-
ment. Le faire pour la monnaie c’est ouvrir les
vannes de la libéralisation financière. Le mar-
ché devient alors autorégulateur, il se désen-
castre du social, s’autonomise au point d’en
menacer de détruire la société.
Le paroxysme de la modernité organisée est
atteint avec l’apparition d’un État de crois-
sance, combinant croissance économique
et croissance de l’État social. Ainsi d’un côté,
l’État modernisateur garantit le plein em-
ploi et le pouvoir d’achat, favorise l’émer-
gence d’une société de consommation. Et de
l’autre, il assure la protection sociale contre
les risques de la vie et la justice sociale par la
redistribution des richesses. L’achèvement de
l’extension du salariat permet l’accomplisse-
ment de la division du travail, il sécurise les
trajectoires individuelles autant qu’il les in-
tègre dans une société où la distribution des
DOSSIER - Substituer la valeur d’usage à la valeur marchande
Pour une société démocratique
Par Timothée Duverger
10
places s’effectue à partir d’un système d’équi-
valence, le diplôme. Pour l’économie clas-
sique, la valeur-travail est la reconnaissance
d’un bien sur un marché comme fraction d’un
travail social. C’est donc la quantité de travail,
de force-travail, devenue abstraite pour éta-
blir des équivalences entre productions, qui
fonde la valeur dans le capitalisme industriel.
Et c’est du travail que sont issus les droits so-
ciaux pour des situations de hors-travail (ma-
ladie, accident, vieillesse, chômage).
Mais l’édifice se lézarde dans les années 1970
avec l’essor des nouvelles technologies de
l’information et de la communication qui sont
une General purpose technology (rythme
de l’innovation fulgurant, diffusion large des
technologies, technologies qui rétroagis-
sant sur l’innovation elle-même). La valeur
se fonde désormais
moins sur la force-tra-
vail et davantage sur
la force-invention.
Le travail immatériel
est donc au cœur de
la formation de la valeur, la quantité de sa-
voirs et savoir-faire se cristallisant dans la
marchandise est toujours plus grande. Il en
résulte que le capital humain devient central
pour l’entreprise qui compte sur l’éducation,
la recherche et développement, la circulation
de l’information, etc. La valeur-savoir devient
un enjeu pour le capitalisme qui cherche à en
capter la substance, c’est-à-dire à la transfor-
mer en valeur d’échange. On peut en trouver
un exemple dans la biopiraterie. Les industries
pharmaceutique, agro-alimentaire et cosmé-
tique s’approprient des ressources de la bio-
diversité et des savoirs traditionnels autoch-
tones en les brevetant, sans rémunérer ou en
rémunérant très peu les populations locales.
Mais le phénomène ne se limite pas aux Suds.
Il concerne aussi les nouveaux travailleurs
cognitifs. Si l’intelligence et l’imagination sont
les nouvelles composantes de la valeur, l’ex-
torsion de la plus-value ne s’opère plus sur
le surtravail, mais sur le savoir incorporé par
le travailleur hors de son travail, sur toute la
richesse tirée de son monde vécu. Le capita-
lisme s’empare donc du bios, l’exploitation de
l’homme et de la nature n’étant plus circons-
crite au temps dédié à la production.
La société du commun
Pour sa survie, le capitalisme tente donc d’éri-
ger de nouvelles enclosures en privatisant le
commun. Cette appropriation lui est indis-
pensable pour alimenter le profit. Mais faisant
cela, il scie la banche sur laquelle il est assis.
Car il omet que les savoirs sont des biens non
rivaux, c’est-à-dire
qu’il n’y a pas de rare-
té, que leur usage si-
multané par plusieurs
agents n’entraîne pas
de perte ; mieux, qu’il
entraine même un gain. Ce qui signifie que la
bioproduction des multitudes nécessite un
libre accès au commun et que toute clôture
lui est un obstacle.
Lutter contre le capitalisme, c’est donc pous-
ser à son terme la contradiction. C’est sanc-
tuariser le commun, naturel et social, en le
co-construisant par la délibération, en res-
taurant l’espace public, en reconstruisant
la cité. Il s’agit, par une décision politique,
d’affirmer la valeur d’usage sur la valeur
d’échange. L’horizon deviendrait alors celui
d’une économie de la gratuité. Non pas cette
fausse gratuité offerte par la publicité, cheval
de Troie de la société de croissance dont les
trois piliers – publicité, crédit et obsolescence
DOSSIER
« L’autonomie, étymologique-
ment, c’est l’idée que les limites
que l’on se donne à soi-même
sont la condition de la liberté. »
11
programmée des produits – encagent dans
la consommation. Mais le couple « gratuité
de l’usage, cherté du mésusage » (l’exemple
classique, c’est l’eau gratuite pour boire ou se
laver et plus chère pour arroser sa piscine) qui
remet des limites là où le capitalisme, dans sa
soif démesurée de toujours plus, les a toutes
transgressées. Car l’autonomie, étymologi-
quement, c’est l’idée que les limites que l’on
se donne à soi-même sont la condition de la
liberté.
Le commun est lui-même produit, fruit de
l’échange ordinaire entre les individus. Il se
déploie dans toutes les formes d’économie
du partage. De l’économie de la fonction-
nalité, qui fait payer l’usage d’un bien plutôt
que sa propriété (autopartage, location, etc.),
aux styles de vie collaboratifs avec l’emblé-
matique Couchsurfing, en passant par les
systèmes de redistribution des biens entre
particuliers à travers des websites comme Le-
BonCoin, cette consommation collaborative
économise les ressources en démultipliant
leurs usages. Un principe qui se retrouve dans
l’économie circulaire, où il s’applique à la ma-
tière elle-même, puisque les déchets sont
transformés en matières premières pour être
réutilisés.
La modernité relationnelle
La crise du capitalisme est une tragédie. C’est
aussi une occasion. La krisis est un choix, un
kairos, moment opportun où l’impossible
devient possible, l’impensable pensable.
Elle peut certes atomiser, en renforçant les
égoïsmes, mais elle peut aussi lier, la solidari-
té vécue étant le dernier rempart à la violence
économique. C’est pourquoi l’économie du
partage a le vent en poupe. Le collectif appa-
rait supérieur à la somme des individualités,
donc d’autant plus à l’individu seul.
La logique du commun, poussée au bout,
arrive à la conclusion du revenu garanti. La
montée en puissance de la valeur-savoir
brouille la frontière entre travail et hors-tra-
vail, il y a dédifférenciation. Elle empêche
toute mesure du travail puisque le travail
tend à se confondre avec la vie elle-même.
Le revenu garanti, à la fois inconditionnel,
universel et cumulable, en même temps qu’il
mettrait fin à la société duale, instituerait une
société de multiactivité où les activités au-
tonomes gagneraient du terrain sur le travail
hétéronome, les valeurs d’usage sur les va-
leurs d’échange : le cadre de vie, l’éducation,
les arts, les sports, les liens de solidarité, etc.,
toutes choses qui éclairent la vie.
La voie d’une société démocratique, où les
singularités seraient libres de s’agencer entre
elles pour générer une biopolitique porteuse
d’harmonie avec soi, les autres et la nature,
est ouverte. La modernité relationnelle est en
route.
Christophe Fourel, André Gorz, un penseur
pour le XXIe siècle, éditions La Découverte,
2009, 224 pages, 19 €
André Gorz, Misères du présent Richesse du
Possible, éditions Galilée, 1997, 25,40 €
Collectif (Mouvement Utopia), Le travail,
quelles valeurs ?, éditions Utopia, 2012, 4 €
Jean Gadrey, Adieu à la croissance : Bien
vivre dans un monde solidaire, Les Petits
Matins, 2010, 190 pages, 15 €
pour aller plus loin
DOSSIER - Substituer la valeur d’usage à la valeur marchande
Timothée Duverger, La moder-
nité relationnelle, éditions Ère,
2013, 160 pages, 15 €
12
Dossier - Entretien
Qu’est-ce que la richesse ?
Florence Jany-Catrice est chercheuse et professeure d’économie à l’Univer-
sité de Lille 1. Spécialiste des indicateurs socio-économiques, de l’emploi et
des services, elle co-anime le Forum pour d’autres indicateurs de richesse, aux
côtés de Dominique Méda, que nous avons interviewée dans la revue n°2. Flo-
rence Jany-Catrice a récemment publié un ouvrage « La Performance totale.
Nouvel esprit du capitalisme ? »
Pour commencer, qu’est-ce qu’un indica-
teur de richesse ? Sans encore définir la
richesse, définissons un peu ce qu’il est…
A quoi sert-il et pourquoi ont-ils été inven-
tés ?
Avant de définir un indicateur de richesse, il
faut d’abord convenir de ce qu’est la richesse,
car on ne peut pas quantifier ce qu’on n’a pas
défini.
La richesse est définie par les économistes
comme toutes les activités de production qui
sont réalisées par les unités économiques (les
entreprises), auxquelles on ajoute une esti-
mation de la production de services rendus
par les administrations publiques. Mais au
fond, c’est une vision assez réductrice des
« richesses » d’un territoire ou d’une nation
pour différentes raisons qui tiennent aux
dégâts que provoque notre modèle de pro-
duction et de consommation. Et qui tiennent
également au fait qu’un nombre important
d’activités n’entre pas dans cette définition
de la richesse. Faites l’expérience : deman-
dez-vous ce que sont vos richesses, listez-les
sans vous restreindre et comparez avec celle
qui est fixée dans cette définition fournie par
l’économie. Les activités ignorées sont no-
tamment celles qui sont, pour des raisons sur-
tout conventionnelles, considérées comme
« non productives ». Parmi ces activités non
productives, on peut citer l’activité domes-
tique qui est réalisée au sein des ménages, sur
une base non monétaire et non marchande,
ou encore les activités bénévoles ou encore
d’entr’aide individuelle et collective.
Pourtant, pourquoi l’indicateur du PIB a-t-
il pris une si grande place dans nos écono-
mies et même notre société ? Est-ce que ce
choix ne nous dirait pas quelque chose sur
la notion même de richesse, de la valeur et
la définition qui lui est donnée aujourd’hui
dans le capitalisme ?
Au moment de la Grande dépression de 1929,
des économistes avaient en tête de construire
un indicateur synthétique qui puisse en
quelque sorte synthétiser l’ensemble des ac-
tivités produites une année donnée. Simon
Kuznets a ainsi produit un premier indica-
teur de revenu national à cette période. Cet
agrégat visait à enregistrer en un indicateur
les flux monétaires transitant sur le marché
sur une année. C’était sans doute une avan-
cée à une époque où seuls les flux physiques
étaient enregistrés, ce qui n’avait pas permis
d’anticiper la crise. Ensuite, il a fallu attendre
la construction des systèmes de comptes na-
tionaux, pour la France au retour de la 2nde
Guerre mondiale pour que se mette en place
un système comptable national intégré, qui
capterait non seulement des flux de biens et
services, mais aussi leur équivalent monétaire.
C’est là qu’intervient le Produit Intérieur Brut,
qui est un agrégat synthétique et qui reprend,
quantitativement, la définition que je vous ai
fourni plus haut : la richesse est actuellement
mesurée par le PIB et mesure la somme des
valeurs ajoutées des entreprises (on retient
la valeur ajoutée plutôt que la « production »
13
pour éviter les doubles comptes, mais au fond,
ce n’est pas très éloigné), à laquelle on ajoute
une estimation de la production des services
rendus par les administrations publiques me-
surée par les dépenses de ces services. Mais la
place excessive qu’il a prise dans le pilotage
de l’action publique notamment et dans les
médias s’est exacerbée dans ces dernières dé-
cennies, du fait que d’un indicateur de moyen,
il est progressivement devenue une fin (on
cherche la croissance pour la croissance).
Mais c’est aussi lié au fait que les média –et
les politiques- sont friands de quelques indi-
cateurs-clefs, considérés comme marquants
et qui puissent se diffuser rapidement.
L’indicateur de richesse le plus utilisé,
le PIB, longtemps seul, est aujourd’hui
contesté. Que lui reproche-t-on ?
D’abord la critique autour du PIB ne date pas
d’hier. A vrai dire, Simon Kuznets alertait déjà
sur les risques pris si l’on tentait d’utiliser le
PIB comme approximation du bien-être. Il
était lui-même conscient de l’imperfection
d’un tel indicateur, conçu à l’époque pour
enregistrer non seulement les flux de pro-
duction, mais aussi la progression de ces flux
en volume (c’est ce qu’on appelle la « crois-
sance »). Mais aujourd’hui, les critiques à son
encontre sont de deux ordres : pour les uns,
c’est un mauvais indicateur pour mesurer
le bien-être ou la qualité de vie, pour diffé-
rentes raisons : parce qu’il compte toute va-
leur ajoutée positivement, quels que soient
les effets de ces productions sur les sociétés
(autrement dit, toujours plus de production
militaire, de centrales nucléaires, de psy-
chotropes est aussi bon pour le PIB que plus
de santé, ou d’éducation). Deuxième raison,
parce que le PIB ignore des activités tout à
fait essentielles pour le bien-être collectif, en
particulier l’activité domestique (qui pourrait
représenter jusqu’à un tiers du PIB si on ten-
tait un exercice de monétarisation de cette
activité), les activités bénévoles, et une bonne
partie de ce que l’on appelle le « care » (le
soin aux autres, parfois inclus, souvent sous
évalué ou ignoré). Troisième raison, parce que
le PIB est indifférent aux inégalités, puisque
c’est un indicateur de moyenne. Et la crois-
sance économique l’est tout autant : on peut
avoir de fortes croissance et une très faible
redistribution ce qui signifie alors que seule
une minorité profite des bienfaits supposés de
cette croissance. Enfin, le PIB est indifférent
aux patrimoines de nos sociétés (patrimoine
écologique, social) qu’il nous revient de pré-
server. Pire, pour assurer la croissance, il faut
puiser dans ces ressources épuisables, dans
ces richesses patrimoniales, dans la qualité de
l’environnement, dans les ressources sociales.
Pour les autres, dans la lignée de cette der-
nière critique, c’est même l’obsession pour la
croissance économique qui serait devenue la
source d’une partie des crises que nous tra-
versons : crise financière, économique, so-
ciale, et crise de sens.
N’est-ce pas la notion même de richesse, et
du sens productif qui lui a été donné, qui
est devenu obsolète dans un contexte de
croissance nulle, voire durablement atone ?
La difficulté est bien là : la quête de croissance
pour la croissance, l’obsession pour l’aug-
mentation du PIB a confisqué une pensée
qui devrait retrouver le goût du sens : qu’est
ce que « faire société » ? et pourquoi pas «
quel monde voulons-nous » ? La domina-
tion de l’économie (elle-même dans sa forme
mainstream dominante) a rendu caduques ou
secondaires de telles questions. Il y a même
beaucoup d’arrogance de la part de certains
à considérer que ces questions sont futiles et
que l’important est dans la maximisation de…
(la croissance, le profit etc.). Les crises suc-
cessives dont les fondements sont bien liés à
des choix de politique économique, sont des
vrais freins pour penser la richesse autrement,
alors même qu’elles devraient au contraire
l’encourager.
DOSSIER - Substituer la valeur d’usage à la valeur marchande
14
Empreinte écologique, notion de bonheur,
capabilité d’Amatya Sen, des indicateurs
dits alternatifs sont apparus au fil des ans,
mais l’indicateur de richesse parfait existe-
t-il ? Comment mieux prendre en compte
l’état de notre patrimoine collectif social et
écologique dans la définition de la notion
de richesse ?
Il ne peut y avoir d’indicateur « parfait » (j’ima-
gine au sens où vous l’entendez, c’est-à-dire
qui reflèterait avec perfection la réalité) pour
deux raisons concomitantes. D’abord parce
que la réalité ne se donne à voir que par la
construction d’objets qui médiatisent cette
réalité (que ce soit des indicateurs, des dis-
cours etc.). Mais aussi, et c’est la deuxième
raison, parce que les indicateurs sont tou-
jours des construits sociaux, des conventions
sociopolitiques et ne sont jamais, de ce point
de vue, que le reflet de choix politiques d’une
représentation que l’on veut se faire de la réa-
lité, et de priorités que l’on se donne. C’est as-
sez lumineux dans le cas du PIB qui répondait,
au lendemain de la 2nde Guerre mondiale à
des impératifs politiques de reconstruction
des pays occidentaux sur une base indus-
trielle et sur une base marchande.
Cependant, de mon point de vue, il y a des
indicateurs moins imparfaits que d’autres.
En particulier, on ne peut laisser aux seuls
experts le soin de dire ce qu’est la richesse,
ou le monde que nous voulons. Nous de-
vons travailler pour cela en concertation, en
co-construction avec les mouvements ci-
toyens qui ont évidemment une parole à te-
nir sur ces questions d’intérêt général. D’un
autre côté, je ne suis pas non plus persuadée
que l’exploration métrique du bonheur indi-
viduel peut fournir des indications convain-
cantes pour régler les grands problèmes
économiques, sociaux et environnementaux
contemporains. Entre l’expertise et le son-
dage des individus, il reste une troisième voie,
à expérimenter. Et c’est ce que s’emploient à
faire de nombreux territoires, dans des expé-
rimentations qui, souvent ne font pas de bruit,
mais qui, néanmoins permettent de fournir
une autre vision des richesses des territoires.
Encore aujourd’hui, vous travaillez no-
tamment sur l’incapacité des indicateurs
de richesse à mesurer et à rendre compte
du «  travail » au sens large, distingué de
la notion d’emploi salarié. Doit-on tout
mesurer ? Doit-on par exemple prendre en
compte le travail domestique en tant qu’au-
toproduction ?
Vous avez raison, il y a là des ponts impor-
tants. Dans un article que nous avons rédigé
conjointement avec Dominique Méda, nous
avons essayé de montrer qu’il n’y avait au-
cune autre raison objective que des choix
très subjectifs ayant présidé à exclure des
comptes de la Nation le travail domestique,
réalisé majoritairement par les femmes. Mais
nous avons aussi montré qu’existaient des
tentatives de mesurer différemment la contri-
bution des femmes à l’activité « sociétale »
pourrions-nous dire.
D’ailleurs on retrouve la même probléma-
tique dans l’économie sociale et solidaire qui
est souvent disqualifiée lorsqu’on explore
ses performances sous l’angle de ses seules
performances économiques, tandis que si
l’on est créatif, on peut aussi montrer toute
la force d’une partie de cette économie, en
particulier autour des valeurs de proximité, de
citoyenneté qu’elle met en avant.
Mais on voit aussi les limites de cette expan-
sion de la quantification. Il faut aussi renouer
avec des formes plus qualitatives de démons-
tration des priorités que nous nous fixons, des
richesses et biens communs que nous vou-
lons collectivement préserver.
Dossier - Entretien
15
Le règne de la marchandise
Des biens autrefois gratuits deviennent objet
d’un commerce.
L’eau ne veut plus être utilisée librement, les
espaces naturels sont clôturés, les montagnes
sont vendues aux promoteurs, les bords de
mer sont envahis par les plages privées. Les
espaces verts sont remplacés par des im-
meubles.
Le règne du profit s’étend partout. Demain
l’air lui-même sera si pollué qu’il faudra payer
cher le droit de respirer un
air dépollué.
Tous les éléments de la vie
quotidienne deviennent ob-
jet d’un commerce.
Pour satisfaire les besoins
de transports on fait appel à
l’automobile individuelle au
lieu des transports collec-
tifs, car cela fait marcher les
usines et fournit les profits.
Le développement des
forces productives est tout
entier centré sur la produc-
tion croissante de biens sans s’interroger sur
leur destination et leur utilité sociale, mais
en aucun cas il ne permet de mieux assu-
rer les fonctions collectives, dont certaines
ne peuvent d’ailleurs même pas s’exprimer
(culture ou tourisme pour la classe ouvrière).
La marchandise est utilisée pour maintenir la
ségrégation entre les individus. A travail égal,
certains ont des salaires plus élevés qui leur
permettent de «garder leur rang», c’est à dire
d’acheter les mêmes produits que la classe
supérieure, tout en respectant la hiérarchie
sociale. De même, l’exemple des nombreux
modèles d’automobiles montre commet un
bien peut recréer la division sociale (voiture
populaire - voiture de luxe).
Pourquoi ce type de
croissance ?
Le développement de la société capitaliste
dépend de son aptitude à renforcer l’accu-
mulation de capital et à accroitre le capital
engagé dans la production. Les biens ne sont
produits qu’en vue de réaliser le capital.
Dans ces conditions, sont
systématiquement négli-
gées les productions qui ne
permettent pas l’utilisation
massive du capital accumu-
lé.
Enfin et surtout, la produc-
tion est orientée vers le pro-
fit. Seuls sont soumis sur le
marché des produits qui
permettent de dégager un
profit suffisant. (exemple :
la prolifération de biens dits
«de luxe».) Peu importe qure
les demandes des consom-
mateurs ne soient pas satis-
faites, que les fonctions essentielles ne soient
pas assurées, le produit n’est pas destiné à
satisfaire un besoin, il doit produire un profitL
Ce profit n’est même plus distribué entière-
ment aux actionnaires, iles immédiatement
réinvesti pour accroitre la dimension et la
puissance de la firme et réaliser des profits
encore supérieurs.
L’orientation de la consommation dépend
entièrement de la nécessité d’écouler la pro-
duction. Les producteurs doivent vendre leurs
produits pour récupérer les coûts de la pro-
Manifeste du PSU (1972)
Extrait des pages 38 à 42
Dossier - Zoom sur...
16
duction et obtenir le profil attendu. C’est ce
qu’on appelle la réalisation de la valeur.
Le consommateur est donc dirigé vers l’ac-
quisition des biens déjà produits. Tout est
mis en oeuvre pour que le producteur capi-
taliste soit le maitre tout en faisant croire au
consommateur qu’il décide de lui même.
Il est bien évident que la satisfaction des be-
soins collectifs n’intéresse pas les capitalistes
car elle ne permet pas le développement à
outrance de biens multiples, vite renouvelés
et qui permettent l’utilisation du capital accu-
mulé.
La croissance capitaliste repose sur la
non-concordance volontaire entre produc-
tion et consommation. Elle ne permet pas
d’assurer la satisfaction
de ce qui est ressen-
ti par les travailleurs
comme des besoins
essentiels (besoins
qui dépendent eux-
mêmes largement des conditions d’exploita-
tion des travailleurs et sont intimement liés au
mode de production dominant). Par ailleurs
elle créé des «besoins» totalement artificiels
et qui ne correspondent pas aux fonctions
les plus importantes dans la vie des individus
(éducation, loisirs, culture, transports, dé-
tente, consommation alimentaire).
L’ordre est totalement inversé. Ces fonctions
ne sont reconnues que si les moyens de les
satisfaire s’insèrent dans l’économie de profit.
Production et consommation sont orientées
sans que jamais les travailleurs interviennent.
Il y a totale aliénation du travailleur à travers
la coupure instaurée entre production et
consommation, travail et loisirs, vie sociale et
logement.
On voit précisément se développer au-
jourd’hui des luttes contre l’exploitation de
la vie quotidienne. Elles posent des questions
essentielles :
- qui définit les biens à produire ?
- qui décide des conditions de la production ?
- qui arbitre entre satisfactions individuelles
ou collectives ?
La question des finalités de la production est
donc incluse dans les luttes sociales elles-
mêmes. C’est important : rien n’est plus
étranger au mouvement ouvrier que la for-
mulation de finalités abstraites et utopiques
pour un modèle de consommation différent,
tant que n’a pas été établie une autre forme
de pouvoir politique et économique.
Si l’on considère l’orientation des consom-
mations individuelles et collectives (règne de
la marchandise,ségrégation sociale, inéga-
lités d’accès aux ser-
vices, à la culture…), on
constate que la classe
ouvrière est de plus en
plus dépossédée des
moyens de prendre en
mains son avenir. d’où l’importance des luttes
nouvelles qui se font jour, sur le mode de
consommation et les finalités de production.
Détruire l’économie de
profit
Le système capitaliste a imposé un système
de valeurs qui assure la ségrégation entre
les individus, la domination des valeurs mar-
chandes et la prééminence des producteurs.
Il se fonde sur deux idées essentielles : l’in-
dividualisme et le changement. La possession
individuelle de logements, d’automobiles, le
développement des phénomènes de mode,
des «gadgets», le renouvellement accéléré
de tous les biens, les facilités du crédit à la
consommation sont la traduction de ces deux
idées.
Le modèle de consommation que nous subis-
Dossier - Manifeste du PSU
« Le système capitaliste a im-
posé un système de valeurs qui
assure la ségrégation entre les
individus. »
17
Fiche de lecture
La convivialité, Ivan Illich
IvanIllich, La convivialité
Editions Points, 2003, 158
pages, 5€
comme le satisfecit maximal du plus grand
nombre par la plus importante consomma-
tion de biens et de services mutile de façon
intolérable l’autonomie de la personne. Le
manque est industrialisé, quantifié, mesu-
rable, institutionnalisé. De même, l’industria-
lisation des besoins réduit toute satisfaction
à un acte de vérification opérationnelle, rem-
place la joie de vivre par le plaisir d’appliquer
une mesure.
Il développe comment, depuis le milieu du
XIXème siècle, le progrès réalisé dans les
grandes industries et les activités productives
mais aussi l’éducation, les postes, l’assistance
sociale, les transports, deviennent un moyen
d’exploiter l’ensemble du corps social. Ces
activités sont mises au service des valeurs
d’une élite spécialisée, garante de sa propre
valeur et qui en détermine elle-même les in-
dicateurs. La spécialisation des tâches, l’insti-
tutionnalisation des valeurs, la centralisation
du pouvoir sont les illustrations de ce mono-
pole radical. Ainsi, l’école produit en série une
Ivan Illich est un penseur de l’écologie poli-
tique. En 1973, il publie « Tools for convivia-
lity  », dans lequel il critique la sacralisation
de la société industrielle et son dogme de la
croissance accélérée et instable, aux dépens
de la convivialité. Ce petit livre déconstruit la
vision traditionnelle du progrès, souvent per-
çu comme le « bien » et nous invite à repenser
radicalement la structure de la société indus-
trielle. L’autonomie doit être le cap de cette
société, conçue autour de la convivialité.
La mise au pas de l’autonomie
Pour Illich, une société qui définit le bien
Dossier
sons est imposé par la classe dominante : l’es-
prit de compétition y trouve donc largement
sa place. Chacune des catégories sociales est
«invitée» à prendre exemple sur les classes
supérieures. Tout l’appareil idéologique - pu-
blicité, journaux, culture, télé, école - utilise
le modèle de vie des classes dominantes
comme le but à atteindre ; ils développent les
effets d’imitation qui sont les stimulants les
plus efficaces de la consommation.
Ce système de valeurs trouve son fondement
dans la hiérarchie sociale entre les individus
et dans l’opposition entre classe dominante
et classe dominée. Il traduit la hiérarchie so-
ciale dans la vie quotidienne en même temps
qu’il sert à la reproduire dans la production.
Toute lutte contre l’exploitation capitaliste
implique donc le renversement de ce système
de valeurs et la volonté d’une transformation
radicale des rapports sociaux de production.
Alors, mais alors seulement, une société so-
cialiste pourra tenter de rendre compatible
la recherche d’une production utile et l’épa-
nouissement des hommes qui fournissent
cette production.
C’est pourquoi le socialisme commence à ap-
paraitre de mieux en mieux comme la solu-
tion d’avenir dans notre société.
18
main-d’œuvre spécialisée, des consomma-
teurs dociles, des usagers résignés tandis que
le système de transport devient obligatoire,
puisqu’il devient évident qu’il faut se déplacer
de plus en plus vite.
La domination de l’outil
Le mode industriel de production a mis en
place des systèmes qui sont des outils de
conditionnement puissants qui ont débouché
sur la prise de l’outil sur l’homme. L’outil est
inhérent à la relation sociale. Lorsque j’agis
en tant qu’homme, je me sers d’outils. Suivant
que je le maîtrise ou qu’il me domine, l’outil
me relie ou me lie au corps social. Pour au-
tant que je maîtrise l’outil, je charge le monde
de mon sens; pour autant que l’outil me do-
mine, sa structure me façonne et informe la
représentation que j’ai de moi-même. Or,
l’outil destructeur accroît les inégalités, l’uni-
formisation, la dépendance, l’exploitation,
l’impuissance et dérobe au pauvre sa part de
convivialité pour mieux frustrer le riche de
la sienne. A travers lui, un autre que moi dé-
termine ma demande, rétrécit ma marge de
contrôle et régit mon sens.
Pour Illich, « l’homme a besoin d’un outil avec
lequel travailler, non d’un outillage qui tra-
vaille à sa place. Il a besoin d’une technolo-
gie qui tire le meilleur parti de l’énergie et de
l’imagination personnelles, non d’une tech-
nologie qui l’asservisse et le programme ».
L’outil est au service d’une intentionnalité et
laisse la plus grande latitude et le plus grand
pouvoir pour changer le monde.
La société conviviale
Une société conviviale offre à l’homme la
possibilité d’exercer l’action la plus autonome
et la plus créative. Passer de la productivité
à la convivialité, c’est substituer à la valeur
technique une valeur éthique, à une valeur
matérialisée une valeur réalisée. Cela néces-
site l’inversion des institutions industrielles,
à travers la redéfinition de nos besoins et
donc notre système de production afin qu’il
recouvre sa dimension personnelle et com-
munautaire.
DOSSIER - Substituer la valeur d’usage à la valeur marchande
Ouvrons le débat...
Utopia : « valeur d’usage, valeur marchande »
Que l’on assiste depuis une trentaine d’année
à une accélération de la « marchandisation
du monde », plus guère de personne ne le
conteste. Privatisation des services publics,
des biens communs, brevetage du vivant, ac-
caparement des terres, disparition des droits
coutumiers, monétarisation de l’eau ou du
carbone…
Certains s’en félicitent, selon cette vieille
croyance qui voudrait que la valeur des biens
et des services et l’utilité ne se mesurent qu’en
valeur monétaire, et que l’intérêt général n’est
que la somme des intérêts individuels. En fait,
ce mouvement est au cœur de l’idéologie hy-
per libérale.
D’Aristote à Marx en passant par Adam Smith,
philosophes et économistes ont bien identi-
fié la dualité contenue dans les biens et ser-
vices, en distinguant leur valeur d’usage et
leur valeur d’échange. Marx distinguait le
Pour ce numéro nous avons le plaisir d’accueillir le mouvement Utopia qui a apporté sa contri-
bution à notre reflexion « valeur d’usage, valeur marchande ».
19
travail concret, c’est à dire la valeur d’usage
des biens et services produits, et le travail
abstrait, c’est à dire sa valeur marchande. Si
on évaluait les produits et services au regard
de leur valeur d’usage, cela pourrait avoir du
sens, mais ces deux valeurs sont de plus en
plus déconnectées. La valeur symbolique,
créée par une rareté artificielle ou l’aura d’une
marque, prend le pas sur la valeur d’usage.
Cette dernière, à l’origine seule motivation du
travail, perd régulièrement du terrain devant
la valeur d’échange. Il y a de moins en moins
de rapport entre l’utilité sociale et individuelle
d’un produit ou d’un service, le temps passé
et la matière utilisée pour sa réalisation, et sa
valeur marchande. Parallèlement, on observe
un glissement et une réduction de la valeur
d’échange à la valeur marchande. L’échange
ne pourrait donc être qu’économique et mo-
nétaire.
Comment enrayer ce mouvement, inhérent
au capitalisme, qui souhaite réduire toute
chose à sa valeur monétaire, décidée et
contrôlée par ceux qui détiennent le capital ?
Comment introduire la notion de valeur «
d’usage social », la déconnecter des lois du
marché et en faire une priorité ?
Deux réponses selon nous :
•	 Soustraire de la sphère marchande ce
que l’on appelle les biens communs :
Par ce vocable, nous entendons les biens
d’usage communs à tous, vitaux pour l’huma-
nité et la planète : l’eau, la forêt, les fleuves,
les mers, le climat, la biodiversité, le patri-
moine génétique, les semences, la science, la
culture, les connaissances… Ces biens com-
muns doivent être gérés dans une démarche
participative et collaborative par les per-
sonnes et communautés concernées .
•	 Etendre le domaine de la gratuité sur les
biens et services fondamentaux :
Sans avoir accès à l’eau et à l’assainissement,
à un minimum de ressources énergétiques et
de nourriture, sans avoir accès à une informa-
tion libre et indépendante, sans l’accès à une
éducation gratuite, la démocratie représen-
tative a-t-elle un sens ? L’accès, quelles que
soient sa situation sociale et son origine, à un
minimum de ressources en nature permettant
une vie décente doit être assuré pour tous.
En disant cela, on ne fait qu’appliquer l’article
XXV-1 de la Déclaration universelle des droits
de l’homme: « Toute personne a droit à un
niveau de vie suffisant pour assurer sa santé,
son bien-être et ceux de sa famille, notam-
ment pour l’alimentation, l’habillement, le lo-
gement, les soins médicaux ainsi que pour les
services sociaux nécessaires… »
Pour ce faire, indépendamment des situations
financières ou sociales de chacun, devront
être en libre accès et donc gratuits les pre-
mières tranches d’eau, d’électricité, de télé-
communication, les transports collectifs ur-
bains et péri-urbains. Le financement de ces
droits, notamment pour l’accès à l’eau et à
l’énergie, sera essentiellement assuré par une
surfacturation progressive des tranches si-
tuées au-dessus de ces minima. Le calcul sera
fait de manière à ce que les gros consomma-
teurs paient pour les plus sobres ou les plus
démunis. Un tel système devrait inciter cha-
cun à réduire ses consommations et servirait
donc également de signal écologique.
Les conditions d’accès à ces biens communs
inaliénables, inconditionnels et universels
dépendront évidemment de leur nature. Ils
pourront, selon les cas, être fournis par des
entreprises publiques ou par l’économie so-
ciale et solidaire. Ils devront tous échapper,
par des règlementations ou régulations, à la
loi du profit issue de la marchandisation ou
de la privatisation.
Denis Vicherat : membre du PS et Président
des Editions Utopia.
Laure Pascarel : membre du Conseil Natio-
nal du PS et secrétaire fédérale à l’écologie
à Paris, Animatrice du mouvement Utopia et
co-présidente des éditions Utopia
20
Université Populaires de l’Ecosocialisme - Cycle Gorz
Gorz, l’utopie autogestionnaire avec Timothée Duverger
« Il faut accepter d’être fini »
André Gorz
Au sortir de la Guerre, le capitalisme indus-
triel organise une société de masse irriguée
par une croissance économique qu’on croit
éternelle et qui repose sur une forte de-
mande, une énergie bon marché, le progrès
technique et le plein emploi. Mai 68 exacerbe
cependant à l’extrême une tension toujours
présente en son sein : la promesse de l’auto-
nomie se heurte à la réalité de l’aliénation. Si
la société de consommation semble libérer
l’homme de la rareté, elle l’enchaine à l’abon-
dance, l’enfermant ainsi dans le désenchante-
ment et l’inauthenticité.
Un courant autogestionnaire émerge alors,
traversé par la pensée d’Illich, qui fait la cri-
tique radicale de toutes les grandes insti-
tutions (école, médecine, travail, etc.). L’un
de ses introducteurs en France, André Gorz,
journaliste né à Vienne en 1923, influencé par
l’existentialisme et le marxisme avant de se
faire l’un des hérauts de l’écologie politique
naissante, développe dans les années 1970
ses idées autour de la question de l’autono-
mie. Dénonçant la société industrielle, aussi
bien sous ses formes communistes que ca-
pitalistes, il offre une perspective au socia-
lisme en définissant une société conviviale, à
échelle humaine, insérée dans la biosphère,
fondée sur l’atelier autogéré qui serait le lieu
de la transformation sociale : c’est l’utopie
auto-gestionnaire.
Rompre avec l’idée de croissance pour reva-
loriser l’intelligence de la main deviendra ainsi
la colonne vertébrale de la pensée écosocia-
liste. Cette utopie autogestionnaire s’actua-
lise aujourd’hui à travers la multitude d’initia-
tives de la société collaborative, facilitée par
les technologies de l’Internet.
Les Jeunes Socialistes revisitent la pensée gor-
zienne pour porter un message fondamental
à notre famille politique : nous sommes éco-
logiste parce que nous sommes socialiste. Ce
message nous le portons qui plus est quand
la gauche, aujourd’hui au pouvoir, serait ten-
tée par les vieux outils de relance keynésienne
s’appuyant sur plus de production par plus de
consommation. Nous passerions ainsi outre
un constat fondamental : le capitalisme, en
exploitant l’homme et la terre au nom de la
croissance et de la technique, vide le travail
de la vie et de la culture.
Alors, c’est à notre génération de redéfinir un
nouveau modèle de développement au profit
de l’égalité, de la démocratie et de l’écologie.
Retrouvez l’intégralité de cet entretien en
vidéo sur le site ecosocialiste.fr
21
Université Populaires de l’Ecosocialisme - Cycle Gorz
La nature a-t-elle un prix ? avec Geneviève Azam
Le mercredi 29 mai, Geneviève Azam, cher-
cheuse à l’université de Toulouse et maître de
conférences en économie, est venue échan-
ger avec les Jeunes Socialistes dans le cadre
de la deuxième Université Populaire de l’Eco-
socialisme. Le thème du jour : La nature a-t-
elle un prix ?
Pourquoi cette
problématique ?
La crise écologique a été très longtemps
niée. Dès le XIXème siècle apparaissent les
premières craintes écologiques dues aux dé-
forestations. Mais la pensée dominante pose
alors la nature comme étrangère à l’huma-
nité, afin qu’un pays soit considéré comme
développé celui-ci doit s’arracher à la nature.
Les sciences économiques se développent
alors en totale indépendance des sciences
naturelles. La nature est considérée comme
n’ayant aucune valeur économique car la
notion de rareté n’existe pas, seul le travail et
le capital sont alors rare. L’idée répandue est
que le capital naturel fini pourra toujours être
remplacé par un capital technique.
Il y a à ce moment une conception du temps
infiniment réversible dans la pensée éco-
nomique : l’économie est autoréférentielle.
L’être humain est dans l’illusion que chaque
besoin pourra toujours être retiré à la nature.
Avec l’évolution de la technique, l’efficacité
énergétique augmente mais en parallèle le
volume de produits créés s’accroit. Il y a donc
un effet rebond et les ressources naturelles
diminuent.
Au début des années 70 la crise écologique
ne peut plus être niée, les gouvernements,
institutions, et autres acteurs se rendent
comptent que la pollution implique un coût
économique et social extrêmement impor-
tant.
D’où l’intérêt des instances de saisir l’écologie
d’un point de vue économique.
Ces dernières décennies l’espèce humaine
prend conscience que le temps n’est pas ré-
versible (pollution nucléaire irréversible, …) et
les économistes prennent en compte l’envi-
ronnement afin de pouvoir concilier écono-
mie et environnement.
En effet des acteurs polluent sans consé-
quences directes pour eux même alors que
les conséquences se font ressentir pour la
collectivité.
Retrouvez l’intégralité de cet entretien en
vidéo sur le site ecosocialiste.fr
22
Université Populaires de l’Ecosocialisme - Cycle Gorz
Gorz et la pensée Ecosocialiste avec Christophe Fourel
Avant de parler de son oeuvre, il faut essayer
de comprendre qui était André Gorz. Ingé-
nieur de formation, il s’éloigne de son do-
maine de recherche, la chimie, et se consacre
à la résolution de problèmes existentiels et
à la lecture de philosophie. Autodidacte, il
écrit un prolongement de l’Être et le Néant
de Sartre qu’il intitule Fondement pour une
morale.
Journaliste à Paris à partir de la fin des années
40, il fondera le Nouvel Observateur en 1964.
Son œuvre
Gorz ne conçoit pas la philosophie comme
une façon de concevoir le monde. Beaucoup
plus pragmatique, sa réflexion est étroitement
liée aux mouvements sociaux, aux syndicats,
et aux partis politiques.
Durant sa période existentialiste, Gorz essaie
de comprendre la société de consommation.
Pourquoi sa propension à gagner du terrain
est-elle si grande ? Quelle est sa logique ? Il
traverse l’œuvre de Marx et en déduit que le
capitalisme produit une déconnexion crois-
sante entre les individus qui consomment et
ceux qui produisent, à cause notamment de la
division du travail. La société travaille à la fa-
brication du consommateur et de la consom-
matrice.
Le capitalisme ignore les besoins collectifs.
Pire : la logique du système est de transfor-
mer tous les besoins en besoins individualisés.
La réflexion de Gorz est aussi influencée
par Marcuse et par Ivan Illich. Gorz introduit
la pensée d’Illich en France et importe ses
concepts, notamment celui d’écologie po-
litique, centrée sur les milieux de vie, la dé-
fense de la qualité de vie et de la civilisation.
En 1984 parait, Les chemins du paradis dans
lequel est discutée la baisse du temps de tra-
vail, nécessité selon Gorz.
Gorz y défend aussi l’idée d’un revenu social,
déconnecté du temps de travail qui permet-
trait, non plus de survivre, mais de vivre. Il dé-
veloppera plus tard l’idée d’un revenu d’exis-
tence
Visionnaire, Gorz déclarait déjà en 1980 :
« La crise est un processus long et se fera par
l’effondrement des grandes banques et des
Etats, par une diminution des valeur domi-
nantes. Les choses ne peuvent plus continuer
comme elles sont, il faut une alternative ra-
dicale à ce qui existe. Mais je ne souhaite pas
pour autant que la société s’effondre »
Retrouvez l’intégralité de cet entretien en
vidéo sur le site ecosocialiste.fr
23
L’actualité de l’écosocialisme
Quelques lectures
écosocialistes pour l’été
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bution des Jeunes
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Collectif roosevelt un autre partage du travail
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Revue Ecosocialiste n°3

  • 1. Numéro 3 - Juillet-Août 2013 Le capitalisme, c’est autant l’exploitation de l’Homme que de la nature. Substituer la valeur d’usage à la valeur marchande entretien Quelques pages pour discuter de Qu’est-ce que la richesse ? avec Florence Jany-Catrice, chercheuse et professeure d’économie à l’Uni- versité de Lille 1. Spécialiste des indicateurs socio-économiques, de l’emploi et des services p. 11 Pour une société démocra- tique, par Timothée Duverger p. 8 Ouvrons le débat avec Utopia p. 18 socialistefaire le socialisme du 21e siècle éco la revue Dossier ?
  • 2. Le débat qui s’ouvre sur les retraites témoigne de la difficulté de poser toutes les probléma- tiques de notre modèle économique, social et environnemental. L’option « mécano » Pour équilibrer les comptes de la branche re- traite l’équation est simple : trouver 7 milliards d’euros à l’horizon 2020. Dès lors, une option « mécano » est envisageable : soit on aug- mente les recettes, soit on baisse la dépense. C’est là où le clivage gauche-droite prend tout son sens. La droite propose d’augmenter la durée de la cotisation et de permettre de partir à la retraite seulement à 65 ans, tout en ouvrant la porte à la désindexation des pen- sions de l’inflation. La gauche, elle, cherche de nouvelles sources de financement pour garantir le niveau des pensions sans repous- ser l’âge de départ à la retraite : augmentation des cotisations sociales salariés et entreprises, taxation du capital, fusion de l’impôt sur le re- venu et de la CSG. S’ajoute à cela la néces- sité de corriger certaines inégalités : pour les femmes qui ont des niveaux de pensions extrêmement faibles, pour les jeunes qui du fait du chômage et de la précarité cotisent de moins en moins avant 25 ans, pour les salariés qui du fait de la pénibilité de leur travail ont une espérance de vie nettement inférieure. Conduire ces réformes est indispensable, tant pour remettre de la justice sociale dans le sys- tème que pour ne pas creuser les déficits de la sécurité sociale. De façon globale, les dé- penses de la sécurité sociale vont augmenter pour trois raisons : prise en charge nécessaire de la dépendance, hausse des dépenses de re- traite du fait de l’arrivée des « papy boomer » et de la hausse des pensions des femmes, et enfin hausse des dépenses de santé du fait de l’allongement de la durée de la vie et d’une médecine plus onéreuse. Creuser les déficits alors que les dépenses vont augmenter n’est pas viable. Quelle pérennisation de la protection sociale si la croissance ne revient pas ? La difficulté pour les socialistes, c’est que nous avons pris l’habitude de considérer que l’augmentation des dépenses de protections sociales est couverte par la hausse de la croissance. C’est ignorer que les forts taux de croissance avant 2008 étaient principalement le fruit des bulles financières et qu’aujourd’hui le capitalisme se fracasse sur les limites de la biosphère, l’explosion du coût de l’énergie et des matières premières. C’est succomber à une illusion qui consiste à penser que l’on obtiendra - comme par miracle - un boom de croissance qui permettra de réduire dras- tiquement le chômage à 7%, puis de stabiliser la croissance à un rythme annuel de 1,7% tout en décarbonnant l’économie, en consom- mant moins de matières premières, en met- tant fin à l’étalement urbain, et en préservant la biodiversité, bref, tous les éléments indis- pensables à la bonne santé des individus et à la survie de l’humanité. Le système éclate alors de par ses contradic- tions : il n’est pas possible de sauver le sys- tème de protection sociale avec un remède EDITO Il ne s’agit pas de serrer les boulons mais bien de changer le moteur 2
  • 3. qui amplifierait d’autres maux qui font implo- ser le système. Nous ne vivons pas une crise qui nécessite quelques réglages mécaniques, mais bien un effondrement qui implique de changer le moteur. Changeons le moteur Une société décarbonée, économe en res- sources et à forte teneur en emplois est pos- sible en décolonisant nos esprits du mythe de la croissance. Il s’agit d’admettre que nous vivons dans un monde fini et dans une ère de croissance structurellement faible. Créer de l’emploi sans croissance passe forcément par une réduction du temps de travail qui im- plique de réfléchir à la place que celui-ci oc- cupe dans nos vies. Inventer un modèle éco- nomique qui rompe avec le productivisme implique de poser la question de la sortie de la société du tout-consommation et de la dé- pendance aux énergies fossiles. Une société où la croissance est limitée alors que les dé- penses de protection sociale vont légitime- ment augmenter et où les demandes de biens et services collectifs vont croître a besoin d’un grand débat démocratique pour savoir ce qui est du ressort du public et ce qui est du ressort du privé. Il nous faudra également déterminer la part de richesse consacrée à ces dépenses, qui seront d’un niveau très probablement plus haut que celui que nous connaissons aujourd’hui. Notre tâche est ardue dans une période de changement de monde. Nous devons rendre plus juste le monde ancien tout en permettant au nouveau monde d’émerger. Réaliser une réforme juste des retraites dans l’immédiat est nécessaire mais n’a de sens que si nous empruntons, dans le même temps, le chemin du changement de modèle. Soit la gauche s’interroge sur son rapport à la croissance, à la réduction du temps de travail, au partage des richesses, au contrôle de la démocra- tie sur l’économie et à la place accordés aux questions écologiques ; soit – en se berçant d’illusions – elle laissera dans la durée dispa- raître, sans même s’en rendre compte, ce à quoi nous sommes si attachés : le système de protection sociale français et européen. Thierry Marchal-Beck Président des Jeunes Socialistes d Edito Forum du Parti Socialiste sur la transition écologique - 23 MArs 2013 3 Retrouvez sur notre site le discours prononcé par Thierry Marchal-Beck, Président des Jeunes Socialistes, lors du Forum sur la transition écologique du Parti Socialiste qui s’est tenu à Paris le 23 Mars 2013. Plus d’infos sur ecosocialiste.fr
  • 4. Directeur de la publication : Thierry Marchal-Beck Rédactrice en chef : Juliette Perchepied Maquette : Richard Chesneau Edito 2 Sociétéenmouvement La transition énergétique, moteur nécessaire de l’industrie 5 Santé La tuberculose, maladie de la précarité et maladie urbaine 6 Travail La BPI, un nouvel outil pour l’Economie Sociale et Solidaire 7 Les télécentres, entreprises durables ? 8 LEDOSSIER-Substituerlavaleurd’usageàlavaleurmarchande 9 Pour une société démocratique 10 Entretien - Qu’est-ce que la richesse ? avec Florence Jany-Catrice 13 Zoom sur... - Manifeste du Parti Socialiste Unifié 16 Fiche de lecture - La convivialité, Ivan Illich 18 Débats - Utopia : Valeur d’usage, valeur marchande 19 UniversitésPopulairesdel’Ecosocialisme -CycleGorz Gorz, l’utopie autogestionnaire avec Timothée Duverger 21 La nature a-t-elle un prix ? avec Geneviève Azam 22 Gorz et la pensée Ecosocialiste avec Christophe Fourel 23 L’actualité de l’écosocialisme 24 ILS ONT CONTRIBUÉ À CE NUMÉRO Rose Michel Stéphane Gonzalez Floréale Mangin Romain Bossis Alizée Ostrowski Rama Sall Anthony Aly Jean-Baptiste Gernet Timothée Duverger Juliette Perchepied Mathilde Maulat Lorenzo Salvador Et merci à : Denis Vicherat et Laure Pascarel d’Utopia Vous souhaitez participer à la création du prochain numéro de la revue écosocialiste ou à la vie du site ecosocialiste.fr ? Envoyez vos contributions par mail à l’adresse revue@ecosocialiste.fr 4 SOMMAIRE Imprimé par nos soins
  • 5. Société en mouvement La transition énergétique, moteur nécessaire de l’industrie La France a besoin d’une industrie forte, d’une production suffisante pour couvrir des besoins en matériaux comme en biens. Des idées répandues opposent le développe- ment industriel et la transition énergétique. Au contraire, les deux sont complémentaires. Un véritable investissement dans la transition énergétique permet de développer de nou- velles filières et peut être source de maintien de l’activité industrielle, comme pour l’indus- trie sidérurgique. La fermeture annoncée du dernier haut-four- neau sur le site Arcelor-Mittal de Florange en- traine la disparition d’une partie de la filière. Pourtant, la combinaison de la recherche et des innovations en matière de développe- ment durable par le biais d’ULCOS notam- ment était une piste pour sauver des emplois à Florange et assurer la pérennité du site. ULCOS signifie « Processus sidérurgiques à très basses émissions de CO2 ». Il s’agit d’un consortium d’entreprises et d’organisations issues de 15 pays européens et soutenu par la Commission Européenne, réunies au sein d’une initiative de coopération en R&D. Le projet s’articule en deux volets visant au fi- nal à produire de l’acier moins cher et moins polluant (réduction d’au moins 50% des émis- sions de CO2). • En amont, au niveau de la filière liquide : sur l’un des hauts-fourneaux une recircu- lation des gaz de gueulard (émis lors de la production de la fonte) afin de rendre le processus de production plus efficace • En aval : capturer le CO2 en sortie des che- minées, le transporter via un gazoduc pour enfin l’enfouir en sous-sol ULCOS au secours de Florange ? Le projet aurait pu permettre de maintenir en activité la phase liquide du site. Alors que la commission européenne attendait les dos- siers de demande d’agrément, Arcelor-Mit- tal s’est retiré du processus. En réduisant ses émissions de CO2 le groupe aurait pu écono- miser l’achat de quotas d’émissions de CO2 à l’horizon 2020. Mais, le prix de la tonne de CO2 a été divisé par 5 depuis 2008 et le groupe ne voulait pas investir. Arcelor-Mittal a privilégié une logique comptable à l’efficaci- té industrielle et l’intérêt économique à long terme. Cette situation met en lumière deux éléments nécessaires à l’avènement d’un nouveau mo- dèle de développement. Le premier est lié à l’investissement dans des politiques permet- tant la transition d’un modèle d’économie intensive, fortement consommatrice de res- sources, vers un modèle faiblement émetteur de carbone. Cette transition devra être juste, respectant le dialogue social et être liée à un plan de diversification de l’économie. C’est l’objet du second élément : l’appropriation citoyenne et démocratique de l’outil de pro- duction détachant la détention du capital d’une entreprise de la totale liberté de ges- tion à laquelle elle est aujourd’hui liée. Pour que demain des projets bénéfiques sur le plan social comme sur le plan environnemental ne soient plus sacrifiés au nom du profit à court terme. 5 Photo:pasukaru76
  • 6. La tuberculose est une des maladies infec- tieuses parmi les plus meurtrières au monde, juste après l’infection au VIH/Sida. En 2010, l’OMS estime que 8,8 millions de personnes ont eu une tuberculose maladie et que 1,4 millions en sont mortes. Un tiers de la popula- tion mondiale est atteinte d’infection latente, l’Afrique et l’Asie étant les régions les plus touchées. Elle est due au Bacille de Koch (BK) qui at- teint le plus souvent les poumons, mais peut toucher l’ensemble des organes. La conta- gion est essentiellement familiale, mais peut également avoir lieu au sein des milieux sco- laires et professionnels. La France fait partie des pays à faible incidence de tuberculose; en 2010, 5187 cas de tuberculose maladie ont été déclarés. L’incidence de la tuberculose est en diminution constante depuis la fin des années 1990, et en 2007 l’obligation vaccinale du BCG pour les enfants a été suspendue à l’exception de l’Île-de-France, des départe- ments d’Outre Mer à forte incidence et des populations jugées à risque pour qui subsiste une très forte recommandation de vaccina- tion. L’Île-de-France a la plus forte incidence de tu- berculose avec 16 cas pour 100 000 habitants (contre environ 8 pour la France entière). La Seine-Saint-Denis est la plus touchée avec plus de 30 cas pour 100 000 habitants. Parmi les malades, les personnes étrangères ayant récemment vécu une migration sont les plus nombreuses, ce qui explique en partie l’incidence élevée signalée dans les départe- ments de Guyane et d’Ile de France qui sont des « départements d’accueil » pour les per- sonnes arrivant sur le territoire national. En effet, des personnes fragilisées par leur mi- gration puis les conditions de vie précaires à l’arrivée en France sont plus susceptibles de développer une tuberculose jusque la restée latente. La politique de la droite entre 2002 et 2012 envers les étrangers n’a fait qu’aggraver la situation des personnes les plus vulnérables face au risque de tuberculose. Le recours aux soins des étrangers en situation irrégulière et sans ressources a été fortement entravé par la politique du chiffre en matière d’expulsion et donc la crainte d’être arrêté et la limitation de l’accès à l’Aide Médicale d’Etat par une obli- gation de résidence de trois mois puis d’une franchise de 30 €. On constate alors en Ile de France et en particulier en Seine-Saint-Denis une stagnation du nombre de cas de tuber- culose alors qu’elle diminue partout ailleurs. Le gouvernement de François Hollande a supprimé le droit d’entrée de 30 € à l’AME. Afin d’améliorer la prévention sanitaire, on pourrait envisager la fusion de la Couverture Maladie Universelle avec l’AME, ainsi que la Santé La tuberculose, maladie de la précarité et maladie urbaine Photo:alainalele 6
  • 7. Le Parlement a, le 19 décembre dernier, dé- finitivement adopté la création de la Banque Publique d’Investissement dont l’objectif est de permettre la relance de la compétitivité des entreprises françaises et par la même le maintien et la création d’emplois en répon- dant aux problèmes d’accès des entreprises aux crédits, en particulier lorsqu’il s’agit d’une économie sur le moyen ou long-terme.. Détenue à 50/50 par l’Etat et la Caisse de dépôts et consignations, elle réunira dans chaque région sous un guichet unique ayant la charge de constituer des plateformes sur mesure afin de répondre aux besoins et de s’adapter aux dispositifs régionaux déjà en œuvre. Dotée d’une force de frappe de 40 milliards d’euros, la BPI a pour missions principales l’accord de prêts aux PME et aux entreprises innovantes ainsi que l’investissement au ca- pital de ces mêmes sociétés. Si les sociétés visées par la BPI sont princi- palement les entreprises industrielles, les entreprises innovantes et les PME exporta- trices, 500 millions d’euros ont été réservé à l’Economies Sociale et Solidaire afin de mieux accompagner le développement de cette économie qui représente 10% du PIB de notre pays. L’Economie Sociale et Solidaire étant tout à la fois, un vecteur de croissance et de créa- tion d’emplois non délocalisables et cor- respondant à une autre manière de gérer et appréhender son entreprises sur des bases plus démocratiques et respectueuses tant des salariés que des citoyens et de l’environ- nement, le Gouvernement a pour la première fois en France fait le choix de véritablement défendre et encourager cette économie. Ainsi la BPI peut désormais apporter son aide aux entreprises de l’ESS porteuses d’un projet viable, innovant et économiquement justifié et détentrices de fonds propres. Par la suite, la loi-cadre sur l’économie sociale et soli- daire qui entrainera notamment une labelli- sation des entreprises d’économie sociale et solidaire permettra de flécher ces fonds dé- diés à l’innovation sociale. Travail La BPI, un nouvel outil pour l’Economie Sociale et Solidaire suppression de l’obligation de résidence de 3 mois pour en bénéficier. La tuberculose reste une maladie de la préca- rité et une maladie urbaine, la densité de po- pulation et les situations de promiscuité dans les lieux d’hébergement favorisant la diffusion du bacille de proche en proche. Les réponses sont médicales, pour dépister et soigner les personnes atteintes, mais aussi sociales et ur- baines, pour permettre à tous de vivre dans des conditions de logement dignes. Il subsiste dans de nombreux quartiers populaires de nos villes des îlots d’insalubrité et de suroccupa- tion déjà dénoncés au 19e siècle comme fac- teurs de risques. La politique de la ville doit se saisir des questions de santé, la réhabilitation de quartiers fortement dégradés tarde à voir le jour en particulier lorsque les immeubles concernés appartiennent au parc privé. Sources InVS, la tuberculose est une maladie à dé- claration obligatoire 7
  • 8. Le concept des télécentres émerge petit à petit en France, notamment dans les terri- toires ruraux, péri-urbains et urbains. Par- tagés par plusieurs entreprises ou indépen- dants, ils permettent le travail à distance dans des locaux communs. De nombreuses études menées à l’étranger ont montré les nombreux atouts, parfois surprenants, que peuvent avoir les télécentres, en matière sociale (santé, bien-être), environnemen- tale (efficacité énergétique des bâtiments et transports) et économique (gain de la facture immobilière de l’entreprise). Quel est l’intérêt pour les entreprises ? Les entreprises françaises s’inscrivent de plus en plus dans une logique de responsabili- té sociale (RSE). La majeure partie du temps cette démarche a pour but d’améliorer leur image et s’inscrit dans une stratégie de com- munication interne et externe. En offrant un meilleur cadre de travail à ses employés, elle les rend plus productifs, mais redore aussi son image auprès du public. Les télécentres font cependant l’objet de nombreuses critiques de la part de mana- gers méfiants qui partent du postulat qu’un travailleur non surveillé est un travailleur qui ne travaille pas. Le télétravail doit permettre d’instaurer une relation de confiance entre les salariés et les différentes strates qui com- posent les entreprises. L’intérêt est tout autre pour les TPE, les tra- vailleurs indépendants et les entreprises nais- santes, pour qui les télécentres sont un cadre de travail de qualité qui facilite les rencontres professionnelles en permettant à l’entreprise de se développer. Peut-on parler de progrès social et environnemental ? Les télécentres peuvent permettre de dimi- nuer la facture des déplacements, et de dé- velopper l’attractivité et l’économie du terri- toire. C’est une solution qui permet d’avoir un faible impact environnemental en réduisant les transports. De plus, l’environnement des télécentres se veut d’une qualité optimale pour le bien-être des usagers. Par exemple avec des espaces de détente que nous pou- vons rarement retrouver dans les entreprises « classiques ». Globalement, l’impact social semble relativement positif… Mais la défense syndicale est rendue plus difficile. Les salariés étant séparés de la maison-mère, leurs droits peuvent être très différents. L’utilisation d’espaces partagés diminue aussi les possibilités de discussion ouverte sur la vie interne de l’entreprise. Un chiffre : 4 millions. Ce sont les Français qui travaillent au moins une journée par se- maine en dehors du bureau, ce qui a été ren- du possible par le développement des outils informatiques. Cependant, ils se retrouvent chez eux, dans un endroit qui n’est pas forcé- ment aménagé et propice au travail avec des horaires non-contrôlés (badgeuse) qui pose de réelles questions en matière de défense syndicale en cas d’attaque de l’employeur. Travail LES TELECENTRES : ENTREPRISES DURABLES ? Photo:jamjar 8
  • 9. DOSSIER Substituer la valeur d’usage à la valeur marchande Aristote est le premier à évoquer la distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange. On accorde d’abord une utilité à un objet, c’est la valeur d’usage. Cette dernière permet en- suite de l’échanger. Il existe aussi des chaînes de valeur d’usage. Par exemple, lorsque la farine issue de la transformation du blé est achetée et utilisée pour faire du pain, c’est un objet échangé qui est utilisé pour améliorer une autre valeur d’usage. Par la suite, les éco- nomistes classiques Adam Smith et Karl Marx ont prolongé cette notion. La valeur d’usage, qui signifie l’utilité de la chose, est déterminée par les propriétés du corps de la marchandise, qui a des caracté- ristiques utiles à l’homme. Pour donner à la chose une valeur d’échange, il faut apporter une quantité de travail, au cours du proces- sus de production, afin qu’elle devienne mar- chandise et puisse être mise sur le marché. Le capitalisme, dans sa logique constante d’accumulation des profits, est à la recherche d’ouverture de nouveaux marchés. Des sec- teurs qui n’ont pas vocation à avoir une va- leur d’échange comme l’eau, l’air, l’éduca- tion, la santé… finissent par être happés dans la logique marchande. L’enjeu est de dépas- ser la course à la croissance qui étend les do- maines marchands en changeant notre indi- cateur de richesses pour prendre en compte le bien-être et le lien social. Aller vers une société de la convivialité, où nous cherchons l’utilité sociale et environnementale, et non plus seulement l’accumulation monétaire, est la question posée dans ce dossier. 9 ?
  • 10. Les multitudes d’Indignés, rhizomatiques, prolifé- rantes, jaillies au printemps 2011, sont autant de révo- lutions moléculaires qui en même temps dé- noncent le vieux monde et énoncent le nou- veau par leur praxis démocratique. Elles tissent des liens entre des singularités anonymes qui partagent une commune humanité, un même projet d’autonomie, et produisent un monde commun. Mais leur pouvoir constituant n’a rien d’exclusif, il traverse de part en part l’en- semble de la société. Le moment 68 a ouvert une brèche dans la modernité organisée arrivée à son apogée après-guerre. S’y sont glissées les quelques graines d’une nouvelle culture politique op- posant à la verticalité l’horizontalité, à la gé- néralité la particularité, à l’uniformité la plu- ralité. Et aujourd’hui qu’elles ont germé, se sont développées, ont investi les moindres interstices, les moindres recoins cachés, les plus petites faiblesses de la Tour des hiérar- chies, elles sont prêtes à la faire éclater pour instituer une société démocratique. Car la démocratie n’est pas qu’un régime, un système institutionnel, une affaire de sépara- tion et d’équilibre des pouvoirs ou de suffrage universel, c’est aussi – et surtout – une forme sociale. La démocratie, c’est une mise en forme spécifique des rapports sociaux, un art du lien à l’autre, la poussée vers une société des égaux. Or, avec l’irruption des nouvelles technologies relationnelles de l’Internet, s’ouvre l’ère 2.0, celle d’une société réticu- laire partageuse d’information où l’individu détourne les flux pour sculpter sa propre sub- jectivité. Il actualise en cela les potentialités d’émancipation qui, du sein même du capita- lisme, œuvrent à son dépassement. Avant donc d’explorer la voie d’une société post-capitaliste, l’écosocialisme nécessite de mieux saisir les mutations du capitalisme. La société de marché La théorie de la valeur est la pierre angulaire du capitalisme. L’économie de marché fonc- tionne par la mise sur le marché de toute la production, soumise à la loi de l’offre et de la demande. Mais le capitalisme n’atteint son stade suprême, celui de la société de marché, que lorsqu’il y a triple marchandisation du tra- vail, de la terre et de la monnaie, marchan- dises fictives puisqu’aucun des trois n’est pro- duit pour la vente. Fixer une valeur d’échange aux deux premiers termes revient à exploiter l’homme et la nature dans un même mouve- ment. Le faire pour la monnaie c’est ouvrir les vannes de la libéralisation financière. Le mar- ché devient alors autorégulateur, il se désen- castre du social, s’autonomise au point d’en menacer de détruire la société. Le paroxysme de la modernité organisée est atteint avec l’apparition d’un État de crois- sance, combinant croissance économique et croissance de l’État social. Ainsi d’un côté, l’État modernisateur garantit le plein em- ploi et le pouvoir d’achat, favorise l’émer- gence d’une société de consommation. Et de l’autre, il assure la protection sociale contre les risques de la vie et la justice sociale par la redistribution des richesses. L’achèvement de l’extension du salariat permet l’accomplisse- ment de la division du travail, il sécurise les trajectoires individuelles autant qu’il les in- tègre dans une société où la distribution des DOSSIER - Substituer la valeur d’usage à la valeur marchande Pour une société démocratique Par Timothée Duverger 10
  • 11. places s’effectue à partir d’un système d’équi- valence, le diplôme. Pour l’économie clas- sique, la valeur-travail est la reconnaissance d’un bien sur un marché comme fraction d’un travail social. C’est donc la quantité de travail, de force-travail, devenue abstraite pour éta- blir des équivalences entre productions, qui fonde la valeur dans le capitalisme industriel. Et c’est du travail que sont issus les droits so- ciaux pour des situations de hors-travail (ma- ladie, accident, vieillesse, chômage). Mais l’édifice se lézarde dans les années 1970 avec l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui sont une General purpose technology (rythme de l’innovation fulgurant, diffusion large des technologies, technologies qui rétroagis- sant sur l’innovation elle-même). La valeur se fonde désormais moins sur la force-tra- vail et davantage sur la force-invention. Le travail immatériel est donc au cœur de la formation de la valeur, la quantité de sa- voirs et savoir-faire se cristallisant dans la marchandise est toujours plus grande. Il en résulte que le capital humain devient central pour l’entreprise qui compte sur l’éducation, la recherche et développement, la circulation de l’information, etc. La valeur-savoir devient un enjeu pour le capitalisme qui cherche à en capter la substance, c’est-à-dire à la transfor- mer en valeur d’échange. On peut en trouver un exemple dans la biopiraterie. Les industries pharmaceutique, agro-alimentaire et cosmé- tique s’approprient des ressources de la bio- diversité et des savoirs traditionnels autoch- tones en les brevetant, sans rémunérer ou en rémunérant très peu les populations locales. Mais le phénomène ne se limite pas aux Suds. Il concerne aussi les nouveaux travailleurs cognitifs. Si l’intelligence et l’imagination sont les nouvelles composantes de la valeur, l’ex- torsion de la plus-value ne s’opère plus sur le surtravail, mais sur le savoir incorporé par le travailleur hors de son travail, sur toute la richesse tirée de son monde vécu. Le capita- lisme s’empare donc du bios, l’exploitation de l’homme et de la nature n’étant plus circons- crite au temps dédié à la production. La société du commun Pour sa survie, le capitalisme tente donc d’éri- ger de nouvelles enclosures en privatisant le commun. Cette appropriation lui est indis- pensable pour alimenter le profit. Mais faisant cela, il scie la banche sur laquelle il est assis. Car il omet que les savoirs sont des biens non rivaux, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de rare- té, que leur usage si- multané par plusieurs agents n’entraîne pas de perte ; mieux, qu’il entraine même un gain. Ce qui signifie que la bioproduction des multitudes nécessite un libre accès au commun et que toute clôture lui est un obstacle. Lutter contre le capitalisme, c’est donc pous- ser à son terme la contradiction. C’est sanc- tuariser le commun, naturel et social, en le co-construisant par la délibération, en res- taurant l’espace public, en reconstruisant la cité. Il s’agit, par une décision politique, d’affirmer la valeur d’usage sur la valeur d’échange. L’horizon deviendrait alors celui d’une économie de la gratuité. Non pas cette fausse gratuité offerte par la publicité, cheval de Troie de la société de croissance dont les trois piliers – publicité, crédit et obsolescence DOSSIER « L’autonomie, étymologique- ment, c’est l’idée que les limites que l’on se donne à soi-même sont la condition de la liberté. » 11
  • 12. programmée des produits – encagent dans la consommation. Mais le couple « gratuité de l’usage, cherté du mésusage » (l’exemple classique, c’est l’eau gratuite pour boire ou se laver et plus chère pour arroser sa piscine) qui remet des limites là où le capitalisme, dans sa soif démesurée de toujours plus, les a toutes transgressées. Car l’autonomie, étymologi- quement, c’est l’idée que les limites que l’on se donne à soi-même sont la condition de la liberté. Le commun est lui-même produit, fruit de l’échange ordinaire entre les individus. Il se déploie dans toutes les formes d’économie du partage. De l’économie de la fonction- nalité, qui fait payer l’usage d’un bien plutôt que sa propriété (autopartage, location, etc.), aux styles de vie collaboratifs avec l’emblé- matique Couchsurfing, en passant par les systèmes de redistribution des biens entre particuliers à travers des websites comme Le- BonCoin, cette consommation collaborative économise les ressources en démultipliant leurs usages. Un principe qui se retrouve dans l’économie circulaire, où il s’applique à la ma- tière elle-même, puisque les déchets sont transformés en matières premières pour être réutilisés. La modernité relationnelle La crise du capitalisme est une tragédie. C’est aussi une occasion. La krisis est un choix, un kairos, moment opportun où l’impossible devient possible, l’impensable pensable. Elle peut certes atomiser, en renforçant les égoïsmes, mais elle peut aussi lier, la solidari- té vécue étant le dernier rempart à la violence économique. C’est pourquoi l’économie du partage a le vent en poupe. Le collectif appa- rait supérieur à la somme des individualités, donc d’autant plus à l’individu seul. La logique du commun, poussée au bout, arrive à la conclusion du revenu garanti. La montée en puissance de la valeur-savoir brouille la frontière entre travail et hors-tra- vail, il y a dédifférenciation. Elle empêche toute mesure du travail puisque le travail tend à se confondre avec la vie elle-même. Le revenu garanti, à la fois inconditionnel, universel et cumulable, en même temps qu’il mettrait fin à la société duale, instituerait une société de multiactivité où les activités au- tonomes gagneraient du terrain sur le travail hétéronome, les valeurs d’usage sur les va- leurs d’échange : le cadre de vie, l’éducation, les arts, les sports, les liens de solidarité, etc., toutes choses qui éclairent la vie. La voie d’une société démocratique, où les singularités seraient libres de s’agencer entre elles pour générer une biopolitique porteuse d’harmonie avec soi, les autres et la nature, est ouverte. La modernité relationnelle est en route. Christophe Fourel, André Gorz, un penseur pour le XXIe siècle, éditions La Découverte, 2009, 224 pages, 19 € André Gorz, Misères du présent Richesse du Possible, éditions Galilée, 1997, 25,40 € Collectif (Mouvement Utopia), Le travail, quelles valeurs ?, éditions Utopia, 2012, 4 € Jean Gadrey, Adieu à la croissance : Bien vivre dans un monde solidaire, Les Petits Matins, 2010, 190 pages, 15 € pour aller plus loin DOSSIER - Substituer la valeur d’usage à la valeur marchande Timothée Duverger, La moder- nité relationnelle, éditions Ère, 2013, 160 pages, 15 € 12
  • 13. Dossier - Entretien Qu’est-ce que la richesse ? Florence Jany-Catrice est chercheuse et professeure d’économie à l’Univer- sité de Lille 1. Spécialiste des indicateurs socio-économiques, de l’emploi et des services, elle co-anime le Forum pour d’autres indicateurs de richesse, aux côtés de Dominique Méda, que nous avons interviewée dans la revue n°2. Flo- rence Jany-Catrice a récemment publié un ouvrage « La Performance totale. Nouvel esprit du capitalisme ? » Pour commencer, qu’est-ce qu’un indica- teur de richesse ? Sans encore définir la richesse, définissons un peu ce qu’il est… A quoi sert-il et pourquoi ont-ils été inven- tés ? Avant de définir un indicateur de richesse, il faut d’abord convenir de ce qu’est la richesse, car on ne peut pas quantifier ce qu’on n’a pas défini. La richesse est définie par les économistes comme toutes les activités de production qui sont réalisées par les unités économiques (les entreprises), auxquelles on ajoute une esti- mation de la production de services rendus par les administrations publiques. Mais au fond, c’est une vision assez réductrice des « richesses » d’un territoire ou d’une nation pour différentes raisons qui tiennent aux dégâts que provoque notre modèle de pro- duction et de consommation. Et qui tiennent également au fait qu’un nombre important d’activités n’entre pas dans cette définition de la richesse. Faites l’expérience : deman- dez-vous ce que sont vos richesses, listez-les sans vous restreindre et comparez avec celle qui est fixée dans cette définition fournie par l’économie. Les activités ignorées sont no- tamment celles qui sont, pour des raisons sur- tout conventionnelles, considérées comme « non productives ». Parmi ces activités non productives, on peut citer l’activité domes- tique qui est réalisée au sein des ménages, sur une base non monétaire et non marchande, ou encore les activités bénévoles ou encore d’entr’aide individuelle et collective. Pourtant, pourquoi l’indicateur du PIB a-t- il pris une si grande place dans nos écono- mies et même notre société ? Est-ce que ce choix ne nous dirait pas quelque chose sur la notion même de richesse, de la valeur et la définition qui lui est donnée aujourd’hui dans le capitalisme ? Au moment de la Grande dépression de 1929, des économistes avaient en tête de construire un indicateur synthétique qui puisse en quelque sorte synthétiser l’ensemble des ac- tivités produites une année donnée. Simon Kuznets a ainsi produit un premier indica- teur de revenu national à cette période. Cet agrégat visait à enregistrer en un indicateur les flux monétaires transitant sur le marché sur une année. C’était sans doute une avan- cée à une époque où seuls les flux physiques étaient enregistrés, ce qui n’avait pas permis d’anticiper la crise. Ensuite, il a fallu attendre la construction des systèmes de comptes na- tionaux, pour la France au retour de la 2nde Guerre mondiale pour que se mette en place un système comptable national intégré, qui capterait non seulement des flux de biens et services, mais aussi leur équivalent monétaire. C’est là qu’intervient le Produit Intérieur Brut, qui est un agrégat synthétique et qui reprend, quantitativement, la définition que je vous ai fourni plus haut : la richesse est actuellement mesurée par le PIB et mesure la somme des valeurs ajoutées des entreprises (on retient la valeur ajoutée plutôt que la « production » 13
  • 14. pour éviter les doubles comptes, mais au fond, ce n’est pas très éloigné), à laquelle on ajoute une estimation de la production des services rendus par les administrations publiques me- surée par les dépenses de ces services. Mais la place excessive qu’il a prise dans le pilotage de l’action publique notamment et dans les médias s’est exacerbée dans ces dernières dé- cennies, du fait que d’un indicateur de moyen, il est progressivement devenue une fin (on cherche la croissance pour la croissance). Mais c’est aussi lié au fait que les média –et les politiques- sont friands de quelques indi- cateurs-clefs, considérés comme marquants et qui puissent se diffuser rapidement. L’indicateur de richesse le plus utilisé, le PIB, longtemps seul, est aujourd’hui contesté. Que lui reproche-t-on ? D’abord la critique autour du PIB ne date pas d’hier. A vrai dire, Simon Kuznets alertait déjà sur les risques pris si l’on tentait d’utiliser le PIB comme approximation du bien-être. Il était lui-même conscient de l’imperfection d’un tel indicateur, conçu à l’époque pour enregistrer non seulement les flux de pro- duction, mais aussi la progression de ces flux en volume (c’est ce qu’on appelle la « crois- sance »). Mais aujourd’hui, les critiques à son encontre sont de deux ordres : pour les uns, c’est un mauvais indicateur pour mesurer le bien-être ou la qualité de vie, pour diffé- rentes raisons : parce qu’il compte toute va- leur ajoutée positivement, quels que soient les effets de ces productions sur les sociétés (autrement dit, toujours plus de production militaire, de centrales nucléaires, de psy- chotropes est aussi bon pour le PIB que plus de santé, ou d’éducation). Deuxième raison, parce que le PIB ignore des activités tout à fait essentielles pour le bien-être collectif, en particulier l’activité domestique (qui pourrait représenter jusqu’à un tiers du PIB si on ten- tait un exercice de monétarisation de cette activité), les activités bénévoles, et une bonne partie de ce que l’on appelle le « care » (le soin aux autres, parfois inclus, souvent sous évalué ou ignoré). Troisième raison, parce que le PIB est indifférent aux inégalités, puisque c’est un indicateur de moyenne. Et la crois- sance économique l’est tout autant : on peut avoir de fortes croissance et une très faible redistribution ce qui signifie alors que seule une minorité profite des bienfaits supposés de cette croissance. Enfin, le PIB est indifférent aux patrimoines de nos sociétés (patrimoine écologique, social) qu’il nous revient de pré- server. Pire, pour assurer la croissance, il faut puiser dans ces ressources épuisables, dans ces richesses patrimoniales, dans la qualité de l’environnement, dans les ressources sociales. Pour les autres, dans la lignée de cette der- nière critique, c’est même l’obsession pour la croissance économique qui serait devenue la source d’une partie des crises que nous tra- versons : crise financière, économique, so- ciale, et crise de sens. N’est-ce pas la notion même de richesse, et du sens productif qui lui a été donné, qui est devenu obsolète dans un contexte de croissance nulle, voire durablement atone ? La difficulté est bien là : la quête de croissance pour la croissance, l’obsession pour l’aug- mentation du PIB a confisqué une pensée qui devrait retrouver le goût du sens : qu’est ce que « faire société » ? et pourquoi pas « quel monde voulons-nous » ? La domina- tion de l’économie (elle-même dans sa forme mainstream dominante) a rendu caduques ou secondaires de telles questions. Il y a même beaucoup d’arrogance de la part de certains à considérer que ces questions sont futiles et que l’important est dans la maximisation de… (la croissance, le profit etc.). Les crises suc- cessives dont les fondements sont bien liés à des choix de politique économique, sont des vrais freins pour penser la richesse autrement, alors même qu’elles devraient au contraire l’encourager. DOSSIER - Substituer la valeur d’usage à la valeur marchande 14
  • 15. Empreinte écologique, notion de bonheur, capabilité d’Amatya Sen, des indicateurs dits alternatifs sont apparus au fil des ans, mais l’indicateur de richesse parfait existe- t-il ? Comment mieux prendre en compte l’état de notre patrimoine collectif social et écologique dans la définition de la notion de richesse ? Il ne peut y avoir d’indicateur « parfait » (j’ima- gine au sens où vous l’entendez, c’est-à-dire qui reflèterait avec perfection la réalité) pour deux raisons concomitantes. D’abord parce que la réalité ne se donne à voir que par la construction d’objets qui médiatisent cette réalité (que ce soit des indicateurs, des dis- cours etc.). Mais aussi, et c’est la deuxième raison, parce que les indicateurs sont tou- jours des construits sociaux, des conventions sociopolitiques et ne sont jamais, de ce point de vue, que le reflet de choix politiques d’une représentation que l’on veut se faire de la réa- lité, et de priorités que l’on se donne. C’est as- sez lumineux dans le cas du PIB qui répondait, au lendemain de la 2nde Guerre mondiale à des impératifs politiques de reconstruction des pays occidentaux sur une base indus- trielle et sur une base marchande. Cependant, de mon point de vue, il y a des indicateurs moins imparfaits que d’autres. En particulier, on ne peut laisser aux seuls experts le soin de dire ce qu’est la richesse, ou le monde que nous voulons. Nous de- vons travailler pour cela en concertation, en co-construction avec les mouvements ci- toyens qui ont évidemment une parole à te- nir sur ces questions d’intérêt général. D’un autre côté, je ne suis pas non plus persuadée que l’exploration métrique du bonheur indi- viduel peut fournir des indications convain- cantes pour régler les grands problèmes économiques, sociaux et environnementaux contemporains. Entre l’expertise et le son- dage des individus, il reste une troisième voie, à expérimenter. Et c’est ce que s’emploient à faire de nombreux territoires, dans des expé- rimentations qui, souvent ne font pas de bruit, mais qui, néanmoins permettent de fournir une autre vision des richesses des territoires. Encore aujourd’hui, vous travaillez no- tamment sur l’incapacité des indicateurs de richesse à mesurer et à rendre compte du «  travail » au sens large, distingué de la notion d’emploi salarié. Doit-on tout mesurer ? Doit-on par exemple prendre en compte le travail domestique en tant qu’au- toproduction ? Vous avez raison, il y a là des ponts impor- tants. Dans un article que nous avons rédigé conjointement avec Dominique Méda, nous avons essayé de montrer qu’il n’y avait au- cune autre raison objective que des choix très subjectifs ayant présidé à exclure des comptes de la Nation le travail domestique, réalisé majoritairement par les femmes. Mais nous avons aussi montré qu’existaient des tentatives de mesurer différemment la contri- bution des femmes à l’activité « sociétale » pourrions-nous dire. D’ailleurs on retrouve la même probléma- tique dans l’économie sociale et solidaire qui est souvent disqualifiée lorsqu’on explore ses performances sous l’angle de ses seules performances économiques, tandis que si l’on est créatif, on peut aussi montrer toute la force d’une partie de cette économie, en particulier autour des valeurs de proximité, de citoyenneté qu’elle met en avant. Mais on voit aussi les limites de cette expan- sion de la quantification. Il faut aussi renouer avec des formes plus qualitatives de démons- tration des priorités que nous nous fixons, des richesses et biens communs que nous vou- lons collectivement préserver. Dossier - Entretien 15
  • 16. Le règne de la marchandise Des biens autrefois gratuits deviennent objet d’un commerce. L’eau ne veut plus être utilisée librement, les espaces naturels sont clôturés, les montagnes sont vendues aux promoteurs, les bords de mer sont envahis par les plages privées. Les espaces verts sont remplacés par des im- meubles. Le règne du profit s’étend partout. Demain l’air lui-même sera si pollué qu’il faudra payer cher le droit de respirer un air dépollué. Tous les éléments de la vie quotidienne deviennent ob- jet d’un commerce. Pour satisfaire les besoins de transports on fait appel à l’automobile individuelle au lieu des transports collec- tifs, car cela fait marcher les usines et fournit les profits. Le développement des forces productives est tout entier centré sur la produc- tion croissante de biens sans s’interroger sur leur destination et leur utilité sociale, mais en aucun cas il ne permet de mieux assu- rer les fonctions collectives, dont certaines ne peuvent d’ailleurs même pas s’exprimer (culture ou tourisme pour la classe ouvrière). La marchandise est utilisée pour maintenir la ségrégation entre les individus. A travail égal, certains ont des salaires plus élevés qui leur permettent de «garder leur rang», c’est à dire d’acheter les mêmes produits que la classe supérieure, tout en respectant la hiérarchie sociale. De même, l’exemple des nombreux modèles d’automobiles montre commet un bien peut recréer la division sociale (voiture populaire - voiture de luxe). Pourquoi ce type de croissance ? Le développement de la société capitaliste dépend de son aptitude à renforcer l’accu- mulation de capital et à accroitre le capital engagé dans la production. Les biens ne sont produits qu’en vue de réaliser le capital. Dans ces conditions, sont systématiquement négli- gées les productions qui ne permettent pas l’utilisation massive du capital accumu- lé. Enfin et surtout, la produc- tion est orientée vers le pro- fit. Seuls sont soumis sur le marché des produits qui permettent de dégager un profit suffisant. (exemple : la prolifération de biens dits «de luxe».) Peu importe qure les demandes des consom- mateurs ne soient pas satis- faites, que les fonctions essentielles ne soient pas assurées, le produit n’est pas destiné à satisfaire un besoin, il doit produire un profitL Ce profit n’est même plus distribué entière- ment aux actionnaires, iles immédiatement réinvesti pour accroitre la dimension et la puissance de la firme et réaliser des profits encore supérieurs. L’orientation de la consommation dépend entièrement de la nécessité d’écouler la pro- duction. Les producteurs doivent vendre leurs produits pour récupérer les coûts de la pro- Manifeste du PSU (1972) Extrait des pages 38 à 42 Dossier - Zoom sur... 16
  • 17. duction et obtenir le profil attendu. C’est ce qu’on appelle la réalisation de la valeur. Le consommateur est donc dirigé vers l’ac- quisition des biens déjà produits. Tout est mis en oeuvre pour que le producteur capi- taliste soit le maitre tout en faisant croire au consommateur qu’il décide de lui même. Il est bien évident que la satisfaction des be- soins collectifs n’intéresse pas les capitalistes car elle ne permet pas le développement à outrance de biens multiples, vite renouvelés et qui permettent l’utilisation du capital accu- mulé. La croissance capitaliste repose sur la non-concordance volontaire entre produc- tion et consommation. Elle ne permet pas d’assurer la satisfaction de ce qui est ressen- ti par les travailleurs comme des besoins essentiels (besoins qui dépendent eux- mêmes largement des conditions d’exploita- tion des travailleurs et sont intimement liés au mode de production dominant). Par ailleurs elle créé des «besoins» totalement artificiels et qui ne correspondent pas aux fonctions les plus importantes dans la vie des individus (éducation, loisirs, culture, transports, dé- tente, consommation alimentaire). L’ordre est totalement inversé. Ces fonctions ne sont reconnues que si les moyens de les satisfaire s’insèrent dans l’économie de profit. Production et consommation sont orientées sans que jamais les travailleurs interviennent. Il y a totale aliénation du travailleur à travers la coupure instaurée entre production et consommation, travail et loisirs, vie sociale et logement. On voit précisément se développer au- jourd’hui des luttes contre l’exploitation de la vie quotidienne. Elles posent des questions essentielles : - qui définit les biens à produire ? - qui décide des conditions de la production ? - qui arbitre entre satisfactions individuelles ou collectives ? La question des finalités de la production est donc incluse dans les luttes sociales elles- mêmes. C’est important : rien n’est plus étranger au mouvement ouvrier que la for- mulation de finalités abstraites et utopiques pour un modèle de consommation différent, tant que n’a pas été établie une autre forme de pouvoir politique et économique. Si l’on considère l’orientation des consom- mations individuelles et collectives (règne de la marchandise,ségrégation sociale, inéga- lités d’accès aux ser- vices, à la culture…), on constate que la classe ouvrière est de plus en plus dépossédée des moyens de prendre en mains son avenir. d’où l’importance des luttes nouvelles qui se font jour, sur le mode de consommation et les finalités de production. Détruire l’économie de profit Le système capitaliste a imposé un système de valeurs qui assure la ségrégation entre les individus, la domination des valeurs mar- chandes et la prééminence des producteurs. Il se fonde sur deux idées essentielles : l’in- dividualisme et le changement. La possession individuelle de logements, d’automobiles, le développement des phénomènes de mode, des «gadgets», le renouvellement accéléré de tous les biens, les facilités du crédit à la consommation sont la traduction de ces deux idées. Le modèle de consommation que nous subis- Dossier - Manifeste du PSU « Le système capitaliste a im- posé un système de valeurs qui assure la ségrégation entre les individus. » 17
  • 18. Fiche de lecture La convivialité, Ivan Illich IvanIllich, La convivialité Editions Points, 2003, 158 pages, 5€ comme le satisfecit maximal du plus grand nombre par la plus importante consomma- tion de biens et de services mutile de façon intolérable l’autonomie de la personne. Le manque est industrialisé, quantifié, mesu- rable, institutionnalisé. De même, l’industria- lisation des besoins réduit toute satisfaction à un acte de vérification opérationnelle, rem- place la joie de vivre par le plaisir d’appliquer une mesure. Il développe comment, depuis le milieu du XIXème siècle, le progrès réalisé dans les grandes industries et les activités productives mais aussi l’éducation, les postes, l’assistance sociale, les transports, deviennent un moyen d’exploiter l’ensemble du corps social. Ces activités sont mises au service des valeurs d’une élite spécialisée, garante de sa propre valeur et qui en détermine elle-même les in- dicateurs. La spécialisation des tâches, l’insti- tutionnalisation des valeurs, la centralisation du pouvoir sont les illustrations de ce mono- pole radical. Ainsi, l’école produit en série une Ivan Illich est un penseur de l’écologie poli- tique. En 1973, il publie « Tools for convivia- lity  », dans lequel il critique la sacralisation de la société industrielle et son dogme de la croissance accélérée et instable, aux dépens de la convivialité. Ce petit livre déconstruit la vision traditionnelle du progrès, souvent per- çu comme le « bien » et nous invite à repenser radicalement la structure de la société indus- trielle. L’autonomie doit être le cap de cette société, conçue autour de la convivialité. La mise au pas de l’autonomie Pour Illich, une société qui définit le bien Dossier sons est imposé par la classe dominante : l’es- prit de compétition y trouve donc largement sa place. Chacune des catégories sociales est «invitée» à prendre exemple sur les classes supérieures. Tout l’appareil idéologique - pu- blicité, journaux, culture, télé, école - utilise le modèle de vie des classes dominantes comme le but à atteindre ; ils développent les effets d’imitation qui sont les stimulants les plus efficaces de la consommation. Ce système de valeurs trouve son fondement dans la hiérarchie sociale entre les individus et dans l’opposition entre classe dominante et classe dominée. Il traduit la hiérarchie so- ciale dans la vie quotidienne en même temps qu’il sert à la reproduire dans la production. Toute lutte contre l’exploitation capitaliste implique donc le renversement de ce système de valeurs et la volonté d’une transformation radicale des rapports sociaux de production. Alors, mais alors seulement, une société so- cialiste pourra tenter de rendre compatible la recherche d’une production utile et l’épa- nouissement des hommes qui fournissent cette production. C’est pourquoi le socialisme commence à ap- paraitre de mieux en mieux comme la solu- tion d’avenir dans notre société. 18
  • 19. main-d’œuvre spécialisée, des consomma- teurs dociles, des usagers résignés tandis que le système de transport devient obligatoire, puisqu’il devient évident qu’il faut se déplacer de plus en plus vite. La domination de l’outil Le mode industriel de production a mis en place des systèmes qui sont des outils de conditionnement puissants qui ont débouché sur la prise de l’outil sur l’homme. L’outil est inhérent à la relation sociale. Lorsque j’agis en tant qu’homme, je me sers d’outils. Suivant que je le maîtrise ou qu’il me domine, l’outil me relie ou me lie au corps social. Pour au- tant que je maîtrise l’outil, je charge le monde de mon sens; pour autant que l’outil me do- mine, sa structure me façonne et informe la représentation que j’ai de moi-même. Or, l’outil destructeur accroît les inégalités, l’uni- formisation, la dépendance, l’exploitation, l’impuissance et dérobe au pauvre sa part de convivialité pour mieux frustrer le riche de la sienne. A travers lui, un autre que moi dé- termine ma demande, rétrécit ma marge de contrôle et régit mon sens. Pour Illich, « l’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non d’un outillage qui tra- vaille à sa place. Il a besoin d’une technolo- gie qui tire le meilleur parti de l’énergie et de l’imagination personnelles, non d’une tech- nologie qui l’asservisse et le programme ». L’outil est au service d’une intentionnalité et laisse la plus grande latitude et le plus grand pouvoir pour changer le monde. La société conviviale Une société conviviale offre à l’homme la possibilité d’exercer l’action la plus autonome et la plus créative. Passer de la productivité à la convivialité, c’est substituer à la valeur technique une valeur éthique, à une valeur matérialisée une valeur réalisée. Cela néces- site l’inversion des institutions industrielles, à travers la redéfinition de nos besoins et donc notre système de production afin qu’il recouvre sa dimension personnelle et com- munautaire. DOSSIER - Substituer la valeur d’usage à la valeur marchande Ouvrons le débat... Utopia : « valeur d’usage, valeur marchande » Que l’on assiste depuis une trentaine d’année à une accélération de la « marchandisation du monde », plus guère de personne ne le conteste. Privatisation des services publics, des biens communs, brevetage du vivant, ac- caparement des terres, disparition des droits coutumiers, monétarisation de l’eau ou du carbone… Certains s’en félicitent, selon cette vieille croyance qui voudrait que la valeur des biens et des services et l’utilité ne se mesurent qu’en valeur monétaire, et que l’intérêt général n’est que la somme des intérêts individuels. En fait, ce mouvement est au cœur de l’idéologie hy- per libérale. D’Aristote à Marx en passant par Adam Smith, philosophes et économistes ont bien identi- fié la dualité contenue dans les biens et ser- vices, en distinguant leur valeur d’usage et leur valeur d’échange. Marx distinguait le Pour ce numéro nous avons le plaisir d’accueillir le mouvement Utopia qui a apporté sa contri- bution à notre reflexion « valeur d’usage, valeur marchande ». 19
  • 20. travail concret, c’est à dire la valeur d’usage des biens et services produits, et le travail abstrait, c’est à dire sa valeur marchande. Si on évaluait les produits et services au regard de leur valeur d’usage, cela pourrait avoir du sens, mais ces deux valeurs sont de plus en plus déconnectées. La valeur symbolique, créée par une rareté artificielle ou l’aura d’une marque, prend le pas sur la valeur d’usage. Cette dernière, à l’origine seule motivation du travail, perd régulièrement du terrain devant la valeur d’échange. Il y a de moins en moins de rapport entre l’utilité sociale et individuelle d’un produit ou d’un service, le temps passé et la matière utilisée pour sa réalisation, et sa valeur marchande. Parallèlement, on observe un glissement et une réduction de la valeur d’échange à la valeur marchande. L’échange ne pourrait donc être qu’économique et mo- nétaire. Comment enrayer ce mouvement, inhérent au capitalisme, qui souhaite réduire toute chose à sa valeur monétaire, décidée et contrôlée par ceux qui détiennent le capital ? Comment introduire la notion de valeur « d’usage social », la déconnecter des lois du marché et en faire une priorité ? Deux réponses selon nous : • Soustraire de la sphère marchande ce que l’on appelle les biens communs : Par ce vocable, nous entendons les biens d’usage communs à tous, vitaux pour l’huma- nité et la planète : l’eau, la forêt, les fleuves, les mers, le climat, la biodiversité, le patri- moine génétique, les semences, la science, la culture, les connaissances… Ces biens com- muns doivent être gérés dans une démarche participative et collaborative par les per- sonnes et communautés concernées . • Etendre le domaine de la gratuité sur les biens et services fondamentaux : Sans avoir accès à l’eau et à l’assainissement, à un minimum de ressources énergétiques et de nourriture, sans avoir accès à une informa- tion libre et indépendante, sans l’accès à une éducation gratuite, la démocratie représen- tative a-t-elle un sens ? L’accès, quelles que soient sa situation sociale et son origine, à un minimum de ressources en nature permettant une vie décente doit être assuré pour tous. En disant cela, on ne fait qu’appliquer l’article XXV-1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme: « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notam- ment pour l’alimentation, l’habillement, le lo- gement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires… » Pour ce faire, indépendamment des situations financières ou sociales de chacun, devront être en libre accès et donc gratuits les pre- mières tranches d’eau, d’électricité, de télé- communication, les transports collectifs ur- bains et péri-urbains. Le financement de ces droits, notamment pour l’accès à l’eau et à l’énergie, sera essentiellement assuré par une surfacturation progressive des tranches si- tuées au-dessus de ces minima. Le calcul sera fait de manière à ce que les gros consomma- teurs paient pour les plus sobres ou les plus démunis. Un tel système devrait inciter cha- cun à réduire ses consommations et servirait donc également de signal écologique. Les conditions d’accès à ces biens communs inaliénables, inconditionnels et universels dépendront évidemment de leur nature. Ils pourront, selon les cas, être fournis par des entreprises publiques ou par l’économie so- ciale et solidaire. Ils devront tous échapper, par des règlementations ou régulations, à la loi du profit issue de la marchandisation ou de la privatisation. Denis Vicherat : membre du PS et Président des Editions Utopia. Laure Pascarel : membre du Conseil Natio- nal du PS et secrétaire fédérale à l’écologie à Paris, Animatrice du mouvement Utopia et co-présidente des éditions Utopia 20
  • 21. Université Populaires de l’Ecosocialisme - Cycle Gorz Gorz, l’utopie autogestionnaire avec Timothée Duverger « Il faut accepter d’être fini » André Gorz Au sortir de la Guerre, le capitalisme indus- triel organise une société de masse irriguée par une croissance économique qu’on croit éternelle et qui repose sur une forte de- mande, une énergie bon marché, le progrès technique et le plein emploi. Mai 68 exacerbe cependant à l’extrême une tension toujours présente en son sein : la promesse de l’auto- nomie se heurte à la réalité de l’aliénation. Si la société de consommation semble libérer l’homme de la rareté, elle l’enchaine à l’abon- dance, l’enfermant ainsi dans le désenchante- ment et l’inauthenticité. Un courant autogestionnaire émerge alors, traversé par la pensée d’Illich, qui fait la cri- tique radicale de toutes les grandes insti- tutions (école, médecine, travail, etc.). L’un de ses introducteurs en France, André Gorz, journaliste né à Vienne en 1923, influencé par l’existentialisme et le marxisme avant de se faire l’un des hérauts de l’écologie politique naissante, développe dans les années 1970 ses idées autour de la question de l’autono- mie. Dénonçant la société industrielle, aussi bien sous ses formes communistes que ca- pitalistes, il offre une perspective au socia- lisme en définissant une société conviviale, à échelle humaine, insérée dans la biosphère, fondée sur l’atelier autogéré qui serait le lieu de la transformation sociale : c’est l’utopie auto-gestionnaire. Rompre avec l’idée de croissance pour reva- loriser l’intelligence de la main deviendra ainsi la colonne vertébrale de la pensée écosocia- liste. Cette utopie autogestionnaire s’actua- lise aujourd’hui à travers la multitude d’initia- tives de la société collaborative, facilitée par les technologies de l’Internet. Les Jeunes Socialistes revisitent la pensée gor- zienne pour porter un message fondamental à notre famille politique : nous sommes éco- logiste parce que nous sommes socialiste. Ce message nous le portons qui plus est quand la gauche, aujourd’hui au pouvoir, serait ten- tée par les vieux outils de relance keynésienne s’appuyant sur plus de production par plus de consommation. Nous passerions ainsi outre un constat fondamental : le capitalisme, en exploitant l’homme et la terre au nom de la croissance et de la technique, vide le travail de la vie et de la culture. Alors, c’est à notre génération de redéfinir un nouveau modèle de développement au profit de l’égalité, de la démocratie et de l’écologie. Retrouvez l’intégralité de cet entretien en vidéo sur le site ecosocialiste.fr 21
  • 22. Université Populaires de l’Ecosocialisme - Cycle Gorz La nature a-t-elle un prix ? avec Geneviève Azam Le mercredi 29 mai, Geneviève Azam, cher- cheuse à l’université de Toulouse et maître de conférences en économie, est venue échan- ger avec les Jeunes Socialistes dans le cadre de la deuxième Université Populaire de l’Eco- socialisme. Le thème du jour : La nature a-t- elle un prix ? Pourquoi cette problématique ? La crise écologique a été très longtemps niée. Dès le XIXème siècle apparaissent les premières craintes écologiques dues aux dé- forestations. Mais la pensée dominante pose alors la nature comme étrangère à l’huma- nité, afin qu’un pays soit considéré comme développé celui-ci doit s’arracher à la nature. Les sciences économiques se développent alors en totale indépendance des sciences naturelles. La nature est considérée comme n’ayant aucune valeur économique car la notion de rareté n’existe pas, seul le travail et le capital sont alors rare. L’idée répandue est que le capital naturel fini pourra toujours être remplacé par un capital technique. Il y a à ce moment une conception du temps infiniment réversible dans la pensée éco- nomique : l’économie est autoréférentielle. L’être humain est dans l’illusion que chaque besoin pourra toujours être retiré à la nature. Avec l’évolution de la technique, l’efficacité énergétique augmente mais en parallèle le volume de produits créés s’accroit. Il y a donc un effet rebond et les ressources naturelles diminuent. Au début des années 70 la crise écologique ne peut plus être niée, les gouvernements, institutions, et autres acteurs se rendent comptent que la pollution implique un coût économique et social extrêmement impor- tant. D’où l’intérêt des instances de saisir l’écologie d’un point de vue économique. Ces dernières décennies l’espèce humaine prend conscience que le temps n’est pas ré- versible (pollution nucléaire irréversible, …) et les économistes prennent en compte l’envi- ronnement afin de pouvoir concilier écono- mie et environnement. En effet des acteurs polluent sans consé- quences directes pour eux même alors que les conséquences se font ressentir pour la collectivité. Retrouvez l’intégralité de cet entretien en vidéo sur le site ecosocialiste.fr 22
  • 23. Université Populaires de l’Ecosocialisme - Cycle Gorz Gorz et la pensée Ecosocialiste avec Christophe Fourel Avant de parler de son oeuvre, il faut essayer de comprendre qui était André Gorz. Ingé- nieur de formation, il s’éloigne de son do- maine de recherche, la chimie, et se consacre à la résolution de problèmes existentiels et à la lecture de philosophie. Autodidacte, il écrit un prolongement de l’Être et le Néant de Sartre qu’il intitule Fondement pour une morale. Journaliste à Paris à partir de la fin des années 40, il fondera le Nouvel Observateur en 1964. Son œuvre Gorz ne conçoit pas la philosophie comme une façon de concevoir le monde. Beaucoup plus pragmatique, sa réflexion est étroitement liée aux mouvements sociaux, aux syndicats, et aux partis politiques. Durant sa période existentialiste, Gorz essaie de comprendre la société de consommation. Pourquoi sa propension à gagner du terrain est-elle si grande ? Quelle est sa logique ? Il traverse l’œuvre de Marx et en déduit que le capitalisme produit une déconnexion crois- sante entre les individus qui consomment et ceux qui produisent, à cause notamment de la division du travail. La société travaille à la fa- brication du consommateur et de la consom- matrice. Le capitalisme ignore les besoins collectifs. Pire : la logique du système est de transfor- mer tous les besoins en besoins individualisés. La réflexion de Gorz est aussi influencée par Marcuse et par Ivan Illich. Gorz introduit la pensée d’Illich en France et importe ses concepts, notamment celui d’écologie po- litique, centrée sur les milieux de vie, la dé- fense de la qualité de vie et de la civilisation. En 1984 parait, Les chemins du paradis dans lequel est discutée la baisse du temps de tra- vail, nécessité selon Gorz. Gorz y défend aussi l’idée d’un revenu social, déconnecté du temps de travail qui permet- trait, non plus de survivre, mais de vivre. Il dé- veloppera plus tard l’idée d’un revenu d’exis- tence Visionnaire, Gorz déclarait déjà en 1980 : « La crise est un processus long et se fera par l’effondrement des grandes banques et des Etats, par une diminution des valeur domi- nantes. Les choses ne peuvent plus continuer comme elles sont, il faut une alternative ra- dicale à ce qui existe. Mais je ne souhaite pas pour autant que la société s’effondre » Retrouvez l’intégralité de cet entretien en vidéo sur le site ecosocialiste.fr 23
  • 24. L’actualité de l’écosocialisme Quelques lectures écosocialistes pour l’été Découvrez la contri- bution des Jeunes Socialistes au débat national sur la transition énergétique sur le site : jeunes-socialistes.fr Pour une transition énergétique sociale, écologique et citoyenne ecosocialiste.fr L’écosocialite est aussi présent sur les réseaux sociaux : @l_ecosocialiste Recevez la revue Renvoyez ce coupon au 10 rue de Solférino, 75 007 Paris Nom Prénom Adresse Ville CP facebook.com/lecosocialiste 24 Rendez-vous sur le site ecosocialiste.fr et retrouvezlesvidéosdesuniversitéspopulaires de l’écosocialisme et des contenus inédits. Pour une transition énergétique sociale, écologique et citoyenne Le capitalisme en 10 leçons Textes de Michel Husson et des- sins de Charb Editions Zones 2012, 256 pages, 16 € La véritable richesse, Une écono- mie du temps retrouvé Juliet Schor Editions Charles-Leopold Mayer 2013, 260 pages, 20 € Mon PSU Guy Philippon Editions Les Petits Matins 2013, 320 pages, 20 € Penser à gauche, Figures de la pensée critique d’aujourd’hui Collectif Editions Amsterdam 2011, 512 pages, 21 € Penser l’après capitalisme avec André Gorz Revue EcoRev’ n°33 2009 Le commun ou la relocalisation du politique Revue EcoRev’ n°39 2012