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Ô monde injuste !
Onitopia, la naissance d’une guilde
35
Chapitre 35
Illustration : Kralkatorrik (auteur inconnu)
: Ælwynn Wintersong (humaine, élémentaliste)
: Svynge (norn, gardienne)
: Nezumy (asura, ingénieur)
: Pug (asura, élémentaliste)
: Alia Arkady (humaine, voleuse)
: Shalimar (sylvari, élémentaliste)
: Ayrin Fields (humaine, guerrière)
: Aboune (asura, envoûteur)
: Stathor (asura, ingénieur)
: Guess (humaine, élémentaliste)
: Lianis (sylvari, élémentaliste)
: Agaéti (sylvari, gardienne)
: Altyon (sylvari, voleur)
: Lazare (humain, nécromant)
: Pogonar (humain, guerrier)
: Gledinia (norn, rôdeuse)
: Pajim (norn, rôdeuse)
: Yaddle (charr, guerrière)
: Oméga (asura, guerrier)
: Splif (asura, élémentaliste)
: Pan d’Orr ( ?)
J’ai passé toute la nuit à veiller. A rêvasser devant le désert, une étendue sableuse et froide
que je voyais pour la première fois. Oh, d’autres des miens ont déjà vécu cette expérience
et l’ont partagée dans le Rêve mais… Mais sentir le sable glisser entre les mains, s’enfuir
entre les doigts, s’incruster dans les moindres replis de ses habits… Ça ne se rêve pas, ça se
vit. Combien de temps ai-je passé à marcher dans le sable au beau milieu de la nuit pour
sentir son contact froid et doux sous mes pieds ? Trop de sabliers probablement.
La nuit était calme, fort calme, malgré le vent violent qui soufflait les grains au visage et qui fouettait
la peau nue. La nuit était fraîche, très fraîche. Et d’une clarté limpide. L’horizon lointain gondolé de
grandes dunes tranchait avec les cieux étoilés d’un azur sombre surprenant, d’une clarté étonnante.
Jamais je n’ai vu autant d’étoiles, même dans les endroits les plus reculés de la jungle de Maguuma.
C’était comme-ci le sable du désert les faisait briller de mille feux, comme si ici elles vivaient et
s’épanouissaient de toute leur luminescence ici. Pas le moindre nuage pour souiller le paysage
onirique, d’une telle quiétude malgré les bourrasques. Ce vent soufflait sans intermittence depuis
des heures maintenant et continuait son chemin jusqu’aux rives de l’océan.
Notre campement s’était installé autour de l’aéronef, cette énorme masse de planches, de
technologies et de voilures, dont la silhouette se dégageait en travers des cieux étoilés. De solides
chaines de métal le retenaient pour qu’il ne soit pas porté de manière impromptue par les rafales.
Ces chaines cliquetaient au gré des rafales et sonnaient comme un doux carillon à mes oreilles. La
crête de roches qui se dressait à quelques dizaines de mètres de nous avait une allure inquiétante et
sinistre : les épines de pierre aussi haute que l’aéronef plongeaient dans le sable comme autant de
griffes acérées, et s’étendaient plus loin que portait mon regard, parfaitement alignées, comme
l’échine d’un animal gigantesque qui sommeillerait sous le sable du désert.
Le sommeil ne venait toujours pas.
Agaéti dormait du sommeil du juste. Splif aussi (peut on vraiment parler de justice ?). Quant à Alia et
Lianis… Beaucoup moins malheureusement. Toutes les deux ne cessaient de se mouvoir, avec des
gestes brusques parfois, dans leur sommeil. Ca me chagrinait pour Lianis, si c’est vraiment une
Oracle, ses tourments ne faisaient que commencer. A bien y regarder, au fil de leurs rêveries… Alia et
Lianis reproduisaient parfois les mêmes gestes. Qu’est-ce que cela veut dire ? Alors que les
magnifiques lueurs orangées du soleil commençaient à poindre, je m’approchai de Lianis, pour
essayer de la réconforter. Elle ouvrit soudainement les yeux, grands et blancs, la pupille absente.
Derrière moi, j’entendis Alia sortir en trombe de sa tente, dague en main. Un oiseau devant elle, que
je n’avais pas repéré la première fois, s’envola l’air de rien. Lianis marmonnait des choses
incompréhensibles, je finis par la secouer, un peu brusquement peut être. Ses pupilles redevinrent
normales, et elle me regardait, totalement ailleurs.
- J’ai fait un rêve.
- Ce n’est rien, lui répondis-je. Rien qu’un mauvais rêve.
- J’ai vu Alia, deux ailes grandes et belles dans son dos. Elle me tenait dans ses bras alors que
je rendais mon dernier souffle.
- …
- Tu sais ce que ça veut dire ?
- Je n’en ai aucune idée, mais je te jure qu’il ne se réalisera pas. Allez, repose-toi, essaye de
dormir encore un peu.
Elle ferma de nouveau les yeux et se rendormit paisiblement, sans rêve semblait-il. Je n’aimais pas du
tout ce qu’elle venait de me raconter. Pas le moins du monde. Je les surveillerai attentivement toutes
les deux, à mon avis, il va y avoir un gros souci dans les ruines à côté de nous. Le soleil prenait de
l’ampleur quand tout à coup, la diabolique machine à temps de Splif réveilla tous les compagnons, et
le désert par la même occasion, tant le vacarme était assourdissant !
Mgnnn, les nuits sont décidément trop courtes, où qu’on soit : montagne, jungle, océan,
maison en écailles de guivre, désert… J’espérais un tant soit peu que les nuits dans les
déserts seraient plus longues… Mais non. Monde injuste ! Comme tu es injuste avec moi, ô
monde injuste ! J’ai un temps de sommeil injuste, un père injuste, une sœur injuste, et quoi
encore ? Hein hein ? Groumph, c’est elle qui dirige l’expédition en plus. Regardez-là, là, à se
pavaner au milieu de l’équipage, à leur donner des ordres du haut de ses trois pommes. C’est moi qui
aurait du être à sa place ! Ô monde cruel. Que tu es cruel avec moi ! Et injuste ! Je vais me consoler
avec une tartine de confiture de baie d’ommon tiens, c’est pas bon, mais c’est plein de vitamines.
- Splif, ramène-toi ! On a besoin de toi pour les bagages !
Splif, ramène-toi, gnagnagna gna.
- Eh oh je suis pas le porte valise de tout le monde moi, ma p’tite dame !
- Tu veux que je le dise à père ?
- OK OK ça marche, je les porte vos valises, voilà, je les porte !
Ô monde injuste. Mmh, avec un peu de chance, cette charr va m’aider. Il faut la jouer fine. Facile
pour un asura, nous sommes tellement supérieurs en intelligence, alors utiliser un charr, c’est dans
mes cordes.
- Yaddle ?
- Mmh ?
- Tu peux m’aider à porter les bagages ?
- Crève !
Ô monde injuste, tu me tourmentes, tu te joues de moi ! L’ai-je pas joué assez fine ? Pourtant, j’ai
essayé d’amener le sujet discrètement. Enfin bon. L’équipage venait de terminer la préparation des
équipes. En avant !
- A l’assaut ! dis-je pour haranguer les troupes !
- Splif ?
- Splouf ? Ma chère sœur ?
- C’est qui qui commande ici.
- C’est pas lui là-bas. Ni lui. Ni elle. Je vois pas décidément.
- Cherche bien.
- C’est bon c’est bon, c’est toi, ô sœur injuste et cruelle !
- C’est bien. Alors tu ne bouges pas, et tu attends.
Tu ne bouges pas et tu attends… Gna gna gna gna gna. Je ne bougerai pas et j’attendrai alors ! Soit !
Très bien ! Attendons !
- Yaddle ? dis-je, un poil agacé.
- Quoi encore ?
- Si j’étais votre chef d’équipe, on n’attendrait pas. Ca te dit ?
- Non.
- Allez !
- Non.
Monde injuste.
Pas tout à fait réveillée, et après un sommaire petit déjeuner, je finis par rejoindre Splouf,
et trois des compagnons d’équipage triés sur le volet par notre commandante.
- Bien dormi, Alia ?
- Pas vraiment… Quelles sont les nouvelles ?
- On va opérer en quatre équipes si vous êtes d’accord. Vous avez la charge de l’équipe une,
prenez les membres qui vous siéent le plus.
- Très bien.
- On est là pour récupérer d’anciens artefacts avant tout, mais n’hésitez-pas à rechercher ce
pour quoi vous êtes venue.
- Comptez-sur moi.
- Très peu sont rentrés dans les ruines de Rata-Louran, encore moins en sont ressortis.
D’anciennes magies et d’antiques systèmes de défense sommeillent dans ces vieux couloirs,
d’autant plus que les laquais de Kralkatorrik ne doivent pas être très loin. Alors prenez garde,
je ne voudrais pas vous ramener en plusieurs morceaux.
Certains membres de l’équipage frémirent au nom du dragon ancestral.
- Bien noté, repris-je, confiante.
- On va éviter de s’aventurer trop profondément. Tous les soirs, les groupes doivent
impérativement être sortis et on se retrouve ici pour faire un topo. On a trois jours devant
nous. Est-ce que ça vous convient.
- C’est parfait.
- Alors, bonne chance à vous.
- De même, que les augures vous soient favorables.
Splouf me regarda en fronçant les sourcils, puis fut la première à partir avec son équipage composé
de cinq membres. Je reprenais mes esprits, et me retournai vers mes compagnons.
- Bon, plus le droit de reculer une fois qu’on est dedans. Vous êtes surs d’aller jusqu’au bout ?
- On ne peut plus surs !
- Merci, je vous revaudrai ça.
- T’en fais pas.
Lianis me regardait bizarrement.
- Lianis, ça va ?
- Je crois oui.
- Encore un mauvais rêve ?
- Probablement.
- Tu veux en parler ?
- Je préférerai éviter.
- Ah… Très bien. Je n’insisterai pas.
Étrange. Mais bon, pas le temps de m’occuper de ça malheureusement, trois jours c’est peu. C’est le
temps qu’il m’avait fallu pour connaître le rez de chaussée de Rata Sum, alors si Rata Louran est dix
fois plus grande, je n’avais pas de temps à perdre malheureusement. Mais bon, au moins, je
connaissais les membres de mon équipe. Lianis, Agaéti, Altyon, Yaddle, Splif et moi-même. Un joli
petit groupe de six, revenus d’entre les flammes de Primordus pour affronter les pires de ses
serviteurs.
- En avant !
Splif… Encore.
- Splif ?
- Alia ?
- C’est qui le chef d’après toi ?
- Euh… Toi ?
- Gagné.
C’est qui le chef d’après toi, gna gna gna gna gna. Ô monde cruel, reconnaîtras-tu un jour
mes qualités ? Plus sérieusement, je pouvais la comprendre, on était là pour retrouver sa
maman et, après quelques secondes d’hésitation, elle devait prendre la charge des
opérations, même si, au sein d’Onitopia, il n’y a jamais eu vraiment de chef. Plus des
coordonnateurs je dirai, des lanceurs d’idées.
En regardant les autres groupes s’enfoncer dans les ombres de Rata Louran, je remarquai que
chaque groupe avait son asura. Cela pouvait se comprendre aussi. Si Rata Louran est construite sur
les mêmes schémas que Rata Sum, alors oui, un asura ne sera pas de trop. A défaut d’être chef, je
serai un guide clairvoyant ! Ce n’est pas si mal.
Et il était interdit de se tromper. Nous autres asuras avons la fâcheuse manie de protéger nos
laboratoires et autres ateliers avec des systèmes complexes de technologie, des golems gardiens ou
autres, tous plus dangereux les uns que les autres. A demi enfouie dans le sable subsistait une tour
d’observatoire, le toit du télescope éventré par les ravages du temps. C’est par cette entrée
officieuse que nous pénétrâmes dans les couloirs oubliés de Rata Louran.
Le changement d’ambiance fut saisissant dès que nous mîmes le premier pas dans les
ruines. Aux cris et rugissements du vent qui s’étaient intensifiés en ce début de matinée se
substituaient le silence et la moiteur des lieux. Nous passâmes par ce qui s’appelait un
observatoire aux dires de Splif, un lieu fantastique qui permettait de regarder les étoiles de
plus près. Je ne savais même pas qu’une telle prouesse était possible. Se rapprocher des
étoiles ? Ne sont-ce point les projections des rêves ?
Après avoir utilisé différentes échelles en métal qui nous entraînaient plus profondément dans les
abîmes de la ville et après avoir laissé derrière nous le désert, ses roches sordides et sa tempête,
nous allumâmes nos torches. Un souffle indistinct souffla sur nos flammes et, très brièvement, j’eus
l’impression d’entendre un murmure, quelque chose d’indistinct, dont seuls trois mots m’ont été
audibles :
- Venez-à moi…
En regardant autour de moi, personne ne semblait avoir prononcé mot, et personne ne réagissait. Le
fruit de mon imagination ? Nous continuâmes au gré des couloirs. Beaucoup de salles que nous
traversâmes avaient déjà été pillées par des brigands de passage et il ne restait plus rien. Clairement,
il fallait s’avancer plus profondément pour trouver ripaille.
Nous suivions Splif qui régulièrement examinait des inscriptions et des cartes gravées dans
les parois, en langage asurien. Nous n’avions guère le choix que de lui faire confiance. Oh,
ce n’est pas la confiance qui me faisait défaut concernant Splif, malgré son attitude
excentrique, je savais pouvoir lui faire confiance, mais c’était surtout qu’en cas de déroute,
si le groupe venait à se disperser, pourrions-nous retrouver la sortie dans ce dédale sans
l’aide de Splif ? J’en doute. Au croisement de quatre chemins, nous laissâmes les empreintes de pas
laissées par les groupes précédents pour suivre notre propre chemin. De minces filets de sables
s’écoulaient parfois à travers le plafond, comme une fine pluie poussiéreuse, auxquelles se mêlaient
des toiles d’araignées inertes, aux fils parfois démesurément gros, ce qui ne me rassurait guère sur
les éventuelles habitantes des lieux. La taille des proies ficelées dans les toiles allaient jusqu’au
renard des sables ce qui n’avait rien de bien rassurant. Mais pour le moment, tout était calme. Trop
calme.
En écoutant attentivement, dans les rares pauses que l’on s’accordait, je jurerai entendre un bruit
profond, discret et pourtant omniprésent et récurrent comme… Comme le battement d’un cœur
gigantesque. Probablement le poids du sable qui met à mal les ruines en exerçant une grande
pression sur elles.
Mais ce rythme est tellement régulier. Si puissant. Tellement inquiétant.
Splif nous expliqua que nous nous dirigions vers un ancien nœud commerçant, un nœud de jonction
immense où à l’époque, tous les peuples s’y retrouvaient pour troquer. Effectivement, quelques
minutes plus tard, nous entrâmes dans une vaste salle bâtie sur le modèle de Rata Sum, sauf que
cette fois nous étions au cœur d’une pyramide souterraine et gigantesque. Les habitations classiques
des asuras s’y retrouvaient : universités pyramidales, habitations géométriques, chemins de traverses
s’éparpillant dans tous les sens, le tout recouvert par une poussière immaculée. A travers les parois
tout en haut filtraient quelques rayons de soleil par certains orifices dans lesquels tombaient parfois
de petites cascades de sable poussées par la tempête au-dessus de nos têtes.
Je gardai un mince espoir de trouver de quelconques indices sur le passage de ma mère dans cet
endroit, aussi nous passâmes la journée à fouiller et à récupérer divers bibelots pour s’acquitter des
frais de notre voyage : anciens cristaux qui pouvaient servir à la confection de golems aux dires de
Splif, anciens manuscrits, tablettes ou autres artefacts pouvant avoir selon nous une quelconque
utilité. Nous nous éparpillâmes dans la ville pour accélérer le processus. En passant devant une
bâtisse à l’allure un peu différente, entourée de colonne, je remarquai une grande porte en bois
soutenue par deux puissantes colonnes. Sur la porte figuraient de nombreux animaux mythiques,
allant du griffon à l’hydre, du dragon à… Des créatures que je ne connaissais pas.
La porte grinça et la poussière tomba en fins nuages lorsque je décidai d’entrer. Le bruit de mes pas
résonnait dans ce bâtiment désespérément loin, comme s’il n’avait pas de fin. Une dizaine de mètres
devant moi, au milieu de l’allée de colonnes, se dressait un étrange bloc de pierre rectangulaire et
massif, qu’entouraient deux sphinx bleus. En m’approchant, je remarquai que la pierre bleutée était
translucide et que la lumière de ma torche leur donnait un semblant de vie. Alors que tout le reste de
l’édifice était couvert de poussière, l’autel central était propre de toute souillure. Je passai le doigt
dessus mais comme je m’y attendais, il ne se passa rien, même si le contact de la pierre me semblait
chaud à la première impression.
Un bruit derrière moi me fit sursauter. Je me retournai vivement pour voir, à ma grande
stupéfaction…
Pug ?! Une torche à la main, en train de scruter une des façades du bâtiment.
En un clignement de yeux, il avait disparu. Serait-ce le fruit de la fatigue ? Je m’approchai de l’endroit
où je vis Pug, mais le sol était vierge de passage, la poussière en témoignait. Je passai une bonne
heure au cœur de cette demeure sans obtenir plus de résultat, et finis par me résoudre à sortir. A ma
grande surprise, encore, je vis un destructeur, un de ces scarabées de Primordus que nous avions
affrontés quelques temps auparavant, s’enfuir à toute allure pour se dissimuler dans les ruines de la
cité. Qu’est-ce donc que cela ? Un destructeur ici ? C’est bien trop loin pour eux, le domaine de leur
maître ne s’étend pas jusque là ! Que fait ce scarabée solitaire ici ?
Perplexe, je finis par rejoindre les autres et participer aux fouilles. Au bout de quelques heures, nous
étions chargés de richesses en tout genre et nous prîmes le chemin du retour, un peu à contre cœur
pour ma part. Nous vîmes une araignée plutôt dodue tisser sa toile sur le couloir que nous voulions
emprunter pour rentrer. Elle mesurait l’équivalent d’un asura ! Yaddle avait déjà sorti son arme pour
la découper, mais l’animal, guère rassuré, s’enfuit aussitôt à notre approche, à la grande déception
de Yaddle.
Le soir venu, nous étions de nouveau à la surface, en compagnie des autres, au milieu de la tempête
qui avait redoublé d’intensité. Un des matelots souffrait le martyr sous l’une des tentes, auprès
duquel j’allai m’enquérir :
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Une faucheuse des sables l’a mordu.
- Une faucheuse des sables ? C’est très grave !
- Oui, s’il passe la nuit, alors il s’en sortira, sinon…
- Je prierai pour lui.
Les faucheuses des sables, de vraies plaies. Ce sont des araignées à taille modeste, le corps n’étant
pas plus gros qu’une gourde, mais aux pattes extrêmement longues et fines. Ces pestes se
camouflent dans les interstices des murs et mordent leur proie qui passent à portée de leurs
mandibules, attendant ensuite que le poison fasse effet pour les dévorer tranquillement.
- Au moins, nous aurons eu cette saloperie, surenchérit Splouf.
- D’autres choses à signaler, demandai-je, curieuse de tout renseignement ?
- Si vous voulez des choses concernant votre mère, je suis au regret de vous dire que nous
n’avons rien vu.
- Pas grave, merci.
- Entre nous, pourquoi se terrerait-elle dans ces ruines ?
- Une intuition.
La nuit fut de nouveau agitée, l’air du désert ne devait pas être fait pour moi. La dernière image que
je vis avant de me réveiller en sursaut, c’était moi, à l’âge de cinq ou six ans, en train de jouer à la
balle avec une petite fille une ou deux années plus jeunes que moi.
Ce n’était pas un rêve… C’était un souvenir.
Splif, Splouf, Splif, j’en soupe avec leurs disputes incessantes ! Si c’est ça étudier les autres
cultures, j’ai la même chose chez moi, pas de quoi en faire un fromage ! Il va être beau mon
rapport tiens ! L’autre matelot a clamsé dans la nuit, pas su encaisser le poison. Faudra faire
gaffe à ces saloperies, j’aime pas le poison.
On est descendu le deuxième jour, rebelote, dans les entrailles moisies de ce bordel sans nom qu’est
une ville asura. Quelle idée de faire un truc aussi bordélique pour une ville ? Puis la hauteur des
couloirs, m’en parlez pas ! Tout le temps pliée en deux la Yaddle, pouvaient pas penser aux visiteurs
de passage eux, avec leurs cerveaux soi disant géniaux ? J’te jure.
On était descendu au troisième étage cette fois-ci. Pas glorieux les farfouilles. Chou blanc même. A
part quelques babioles sans intérêt et quelques friandises découpées (je parle des araignées bien sur,
j’ai pu en passer quelques unes au fil de mon épée, ça fera d’excellentes brochettes pour ce soir),
rien à déclarer. Ah si. Un violent tremblement de terre peut être, qui fit trembler sols et édifices
plutôt violemment. Deux trois minutes peut être bien. J’ai bien cru que le ciel allait me tomber sur la
tête. Mais non, heureusement. Les secousses se sont arrêtées et il n’y en eut plus d’autres de la
journée.
Le soir nous étions de nouveau au niveau de l’aéronef. La déception se lisait sur le visage d’Alia, mais
que pouvions nous y faire ?
Alors que la nuit tombait, quelque chose clochait. Un groupe n’était toujours pas revenu. En retard
de deux heures. Ca sentait pas bon. Splouf faisait les cent pas.
- On redescend, dit-elle, rouge de colère !
Splif intervint.
- Grande sœur, tu déconnes ? Ce serait folie de descendre maintenant, alors que nous
sommes tous au bord de l’épuisement !
- Ils ne sont toujours pas revenus, on va à leur recherche !
- Et quoi ! Tu veux fouiller dans ce labyrinthe ? On ne sait même pas où ils sont ! Ce serait
chercher un golem dans une botte de dragon !
- On ne peut pas les laisser là-dedans, finit-elle par dire en commençant à pleurer.
- Et tu le sais très bien, on risque plus de pertes à les rechercher au hasard ! Reprends ta raison
Splouf, on partira plus tôt demain et on tentera de les retrouver.
Maître Splouf finit par garder le silence. Je comprenais son désarroi. Moi aussi j’avais perdu des
compagnons dans les ruines d’Ascalon et il n’y a pas de choix plus difficile que de les abandonner à
leur funeste sort pour la survie des autres. Un poids qu’on porte jusqu’à son dernier jour. Splouf se
résigna et retourna dans l’aéronef, dans son cabinet. Elle ne dormit pas de la nuit.
Étrange, très étrange. Il y a quelque chose qui ne va pas au niveau de notre campement.
Comme si… Comme s’il s’était déplacé au cours de la journée. Je ne reconnaissais pas la
disposition de notre campement par rapport à la crête. Mauvais souvenir ? Quelque chose
clochait, j’en étais convaincu.
Troisième, et dernier jour, avant de remballer. A part le côté exquis des lieux, et le
dépaysement, force est de constater que nous n’étions pas parvenus à concrétiser nos
recherches. Après les confidences d’Altyon, j’ai passé les deux premiers jours extrêmement
inquiet à propos des rêves de Lianis. Moi non plus je n’aimais pas du tout cette image. Mais
à la vue de la fin de cette expédition, l’espoir revenait, et je me disais que ce ne fut qu’un
mauvais rêve.
Malheureusement, les événements furent tout autres, et confirmèrent les songes de l’Oracle…
En ce troisième jour donc, nous avions pour mission de rechercher l’équipe disparue et la mère
d’Alia, toujours. La recherche d’artefacts n’était plus une priorité. Nous commencions à connaître le
chemin et tôt fait nous étions déjà au troisième étage plus bas. Les trois équipes se séparèrent pour
rentabiliser les recherches. Nous arpentâmes les couloirs, à la recherche de quelconques indices dans
la poussière ou n’importe où ailleurs. Les heures s’écoulaient et rien ne se dévoilait.
A la jonction du troisième et du quatrième étage, marquée par une voie large et pentue, nous
butâmes sur un golem endormi. Une grosse masse de ferraille de forme humanoïde, de la taille d’un
norn un peu rondouillard, bloquait le passage. A notre arrivée, il se réveilla. Tous nous dégainâmes.
Splif nous avait parlé du rôle de ces machines, et certains été fait pour la défense. Nous retenions
notre respiration tandis que le golem dérouillait ses articulations et que son unique œil brillait
maintenant d’une vive lumière bleue. Il se retourna vers nous dans un bruit métallique, et une voix
mécanique et grésillante se fit entendre.
- Bienvenue à Rata Louran, chers visiteurs. En quoi puis-je vous aider ?
- Ouf, un golem de protocole, soupira Splif. Il va nous aider. Golem ? As-tu vu des personnes
passer ici récemment ?
D’où nous étions, nous entendions les mécaniques grésiller dans la tête de la machine ?
- Précisez votre question.
- Ah ! C’est du vieux protocole, nous confia Splif, on n’est pas sorti de la taverne.
- De l’auberge on dit.
- C’est pareil. Golem ? A quand remonte la dernière activité active à laquelle tu as été
confrontée ?
Le golem réfléchissait.
- A une minute.
- Je vois. Il parle de nous ce boulet. Et avant ça ?
- Veuillez préciser votre demande.
- Ah ! Je vais devenir fou !
Lianis prit les devants :
- Golem ?
- Oui sylvarie ?
- Peux-tu nous emmener dans la salle la plus sombre de Rata Louran ?
Le golem compulsait.
- Oui sylvarie, suivez-moi.
- La salle la plus sombre, demanda Splif, pourquoi on irait dans la salle la plus sombre ?
Altyon se précipita avec moi auprès de notre chère Lianis. Je savais bien où elle voulait en venir : à
l’introduction de son rêve ! Le néant par lequel il a commencé !
- Lianis, ne fais pas ça je t’en prie.
- Votre sollicitude me touche, mes frères, mais vous savez comme moi que nous sommes ici
pour un objectif.
Alia nous regardait, curieuse et visiblement incompréhensive.
- Tu es sure de toi ?
- Oui.
Je finis par soupirer.
- Alors soit, allons jusqu’u bout du rêve. Ou du cauchemar…
En l’occurrence, ils me cachaient quelque chose. De ce que j’en déduis, c’était pour la
sécurité de Lianis. Ca sautait aux yeux. Que ne voulaient-ils ne pas me dire ? Pourquoi
gardaient-ils un tel silence maintenant que nous suivions le golem plus profondément à travers les
étages de cette immense ville ? L’air devenait épais, fileux, lourd. D’araignées ? Il n’y en avait plus de
traces, ni de rien d’autres d’ailleurs. Les pas métalliques du golem résonnaient à travers les couloirs
et se répercutaient dans le dédale. A un moment, nous nous trouvions dans une énorme caverne
d’où partaient des tunnels dans toutes les directions. Cet endroit n’avait plus rien à voir avec
l’architecture des asuras que nous avions croisée jusque là. Nous empruntâmes un de ces tunnels qui
offraient d’autres passages sur toute sa longueur, certains avec des portes, d’autres avec des grilles.
Au septième de ces passages, le golem s’arrêta finalement devant une immense porte grise, d’une
matière qui ressemblait à de l’ardoise, bordée de métal, deux fois plus haute que moi. Le golem se
retourna vers Lianis:
- Voici la salle la plus sombre, sylvarie. Puis-je vous…
Avant qu’il ne termine sa phrase, la porte s’ouvrit violemment. Le golem fut aspiré aussitôt dans la
salle et une bruit d’explosion nous plaqua sur les murs du couloir. La tête du golem, et seule la tête,
ressortit et s’écrasa sur le mur à côté de nous, pour chuter au sol dans un bruit métallique. Son
dernier mot, dans une voix grésillante et descendante, fut « utiiiiile », et son œil s’éteint à jamais.
Je me risquai un coup d’œil à travers la porte. Les ténèbres étaient profondes. Des lignes de lumière
mauve se dessinèrent tout à coup sur le sol, s’étendaient, se croisaient, se mêlaient, comme des
lignes d’étincelles pétillantes. Elles formaient un entrelac subtil et puissant de courbes et
d’harmonies, qui éclairaient la salle d’une lumière violette, une grande salle sans fioriture, d’une
cinquantaine de mètres de long, et d’une centaine de mètre de large. Au cœur de ce labyrinthe de
lumières et de courbes qui s’estompaient un peu maintenant se dressait une personne, une
humaine, entourée de neuf molosses impressionnants. Les mastocs pesaient leur pesant de
d’haricots ! Massifs et costauds, leur peau semblait être faite de cristaux violets solides et acérés. Les
babines retroussés, ils nous fixaient de leurs yeux rouges en grognant tout en tournant autour de
leur maîtresse. Maîtresse qui avait aussi la peau violette comme formée d’écailles de cristaux râpeux,
et qui lui déformaient le visage et le corps. Elle leva mécaniquement et lentement son visage vers
nous, un sourire déformé par ses difformités :
- Entre, ma fille, je t’en prie. Tes amis sont les bienvenus aussi. Seuls ceux qui sont autorisés à
pénétrer dans cette salle peuvent y rentrer.
Inconsciemment, comme attirée par une force qui m’était familière, j’entrai, sans même prendre
conscience du choix de mes compagnons.
- C’est bien, ma fille. Comme tu es devenue grande et belle.
- Maman ?
- Depuis le temps que j’attendais ta venue ma belle. Viens. Viens dans mes bras.
Toujours poussée par la même force, je m’approchai d’elle sans vraiment le réaliser. Les molosses
s’aplatissaient autour de moi, comme s’agenouillant devant ma présence.
- Comme tu m’as manquée ma belle. Plus jamais nous serons séparés maintenant, je te le
promets.
Ses bras déformés, longs et rachitiques, s’ouvraient pour m’enlacer. Comme hypnotisée, j’avais à la
fois le désir d’embrasser ma douce mère, à la fois le désir de m’enfuir à toute jambe. En essayant de
reprendre le contrôle de mon corps d’ailleurs, je réalisai très vite que je n’en avais plus le contrôle !
Je me faisais aspirer par ma maman, totalement impuissante. En la voyant maintenant de très près,
son visage n’avait plus rien d’humain : les orbites vides, je ne voyais pas ses yeux ! Une bouche
difforme d’où brillaient de longues dents acérées, une peau écailleuse qui n’avait rien d’humain. Plus
je m’approchais, plus son visage m’effrayait, plus son aura m’écrasait. Soudainement, de part et
d’autre je vis Altyon et Agaéti passer à mes côtés et se jeter sur ma mère, arme au poing !
Bon, plus le moment de rigoler. Mère ou pas, ça craignait sévère. Les vies de Lianis et d’Alia
étaient en jeu, et même si Alia avait une attitude étrange, je ne serai pas surpris qu’elle soit
victime d’un maléfice quelconque. Depuis le temps que je la connaissais, elle n’aurait jamais
agi aussi naïvement.
Agaéti sortit son espadon en un éclair, qui brilla dans la salle comme un diamant. Il se jeta sur elle,
lame en avant, qu’elle para de son avant bras ! Je me glissai derrière elle pour la percer de mes
dagues, mais elle avança son bras dans ma direction et je fus projeté une dizaine de mètres en
arrière, violemment !
- Sombres idiots ! Comment osez vous vous attaquer à Kralkatorrik ?!
La voix stridente de ma mère me fit reprendre mes esprits. Et son contenu plus encore !
Mes compagnons venaient de me sauver la vie en rentrant dans la gueule du loup ! Mère
n’avait plus rien d’humain, et qu’est-ce qui serait advenu de moi si j’étais tombée dans ses
bras ? Je sortais mes dagues, prête à en découdre. La blesser suffisamment pour l’affaiblir
et trouver un remède, je ne voyais plus que ça.
J’entendis un des molosses derrière moi se jeter dans mon dos. Pas bien difficile de l’esquiver, j’en
profitai même pour lui asséner un coup de dague bien placé dans le ventre. Ma lame ricocha sur sa
peau, sans aucune égratignure ! La bête se réceptionna quelques mètres plus loin, et grogna à mon
intention.
- Repaissez-vous, mes fidèles. Nourrissez-vous de leur sang et de leurs âmes ! Délectez-vous !
Les molosses se mirent tous en position d’attaque. Ca allait chauffer sévère.
Purée de purée de purée, monde injuste ! Le toutou qui s’avançait vers moi était deux fois
plus gros que moi ! Sale bête pss pss, va t’en ! Je ramassai un reste de bras du golem pour
le jeter comme un bâton à son gentil toutou. Le molosse regarda le bras, puis finit par
retourner toute son attention sur moi. Flûte, c’aurait été trop simple. Je commençai à
courir très très vite dans la salle, le temps d’invoquer les éléments, poursuivi par un
maouss costaud qui voyait en moi une magnifique croquette de premier choix.
Un des molosses avait décidé de s’intéresser à moi, alors que j’étais restée en retrait pour
prendre le temps de m’adresser aux éléments. Grognant dans ma direction, je m’équipai de
mon cher bâton, don de Mère, en espérant que les éléments me soient favorables dans un
tel milieu. Effectivement, ils étaient présents dans la salle, tous, mais dans un chaos des plus
total. Comme si une force étrange les faisaient se mêler et s’entremêler dans une zizanie
chaotique.
Le molosse se jeta sur moi, très rapidement. J’eus du mal à l’esquiver. Il percuta le mur derrière moi,
mais au prix d’une méchante griffure dans mon dos. Rien de grave. Je faisais tournoyer mon bâton
pour en appeler au feu. Un tourbillon de flammes prit naissance autour de l’animal et l’enveloppa. Le
chien en sortit, totalement indemne ! Je commençais à reculer, inquiète. Derrière moi, la mère d’Alia,
devant moi, le chien qui m’obligeait à reculer.
Lianis est dans la gueule du chien, merde ! Mais avec les deux autres molosses en face de
moi, impossible de l’aider. Un des chiens essaya de me mordre à la jambe, que je levai au
dernier moment pour éviter une douloureuse blessure. L’autre essaya de me saisir le bras.
Je lui donnai un vigoureux coup de coude dans l’abajoue pour le détourner de son projet.
Sa peau était froide. Terriblement froide. Et tellement solide ! Le premier repassa à
l’attaque. Je sautai par-dessus lui pour me retrouver dans son dos. D’un coup précis, j’abattais mon
arme au niveau de son cou. Elle ricocha sans rien lui faire. Saleté ! Les deux me faisaient face
maintenant et je commençai à me retrouver collé au mur.
Aux côtés d’Alia, dos à dos, nous repoussions les attaques des molosses tant bien que mal,
en se partageant les positions, en travaillant en équipe, en permettant une vision globale de
la scène, en assurant nos arrières avec un compagnon de confiance. Les chiens ne
parvenaient pas à nous toucher, mais nos coups ne semblaient pas leur porter atteinte.
Le chien qui me faisait face avait pris un peu de recul, pour s’élancer à toute allure. D’un coup de
coude, je prévins Alia d’esquiver du bon côté. Le chien sauta, gueule ouverte. Je me baissai d’un coup
tandis qu’Alia s’était mise de côté et, sous le bestiau, j’assénai un direct du gauche, qui referma sa
mâchoire, dans un violent claquement. J’aurais juré avoir entendu des dents se briser. Alia, profitant
de la situation, n’eut guère de mal à percer par deux coups bien portés, les yeux de l’animal. Un
liquide violet et visqueux sortit des orbites, et le chien hurla à la mort. Il errait dans la salle,
totalement perdu. Hors jeu. Un de moins !
Commence à me gonfler les bestiaux ! A claquer des mâchoires comme ça, faut arrêter les
conneries ! Je me suis retourné d’un coup pour courir droit sur le mur, poursuivi aussitôt
par mes deux adversaires. Avec l’élan, je pris appui sur la paroi, pour me retrouver au
dessus de mes ennemis, totalement désemparés. Avec la hauteur que j’avais ainsi gagnée,
je me laissai retomber, lame en avant, dans le dos d’un des chiens. Mon poids, l’élan, la
volonté, ma lame, tout ça me permit de traverser l’armure de l’animal qui avait maintenant le corps
percé de part en part. Cloué au sol. Hors jeu !
Et court et court le petit Splif. Vite une idée mince, j’ai une réputation à tenir !
Par ici le clébard. C’est bien. Viens dire bonjour à tata Yaddle. Mignon toutou. Je déteste les
clébards. Une race purement inutile. Une belle fiente dans la création. Je pris l’initiative, à
sa surprise, alors qu’il se préparait à se ruer sur moi, c’est moi qui me ruait sur lui.
De ce que j’ai vu, les armes n’avaient guère l’air efficace sur ces bestiaux. J’avais rangé mon
espadon dans mon dos et me ruait maintenant sur lui, à quatre pattes. Il réagit pareil. Le choc fut
brutal. Sa gueule à quelques centimètres de mon visage. Mais j’avais l’avantage niveau poids.
J’entraînai le cleps dans mon élan, le tenant solidement par les oreilles. Nous roulâmes sur le sol,
essayant de porter chacun le coup fatal à l’autre. Parfois moi au-dessus lui, d’autres fois lui, nous
mettions toute notre énergie à avoir l’avantage.
Une erreur de sa part. C’est con un cleps, puisque je vous le disais. Je réussis à me trouver dans son
dos, les mains toujours agrippées à sa gueule. D’un violent coup de rein, d’une forte poigne et d’un
puissant rugissement, je mis toutes mes forces à lui briser le cou. Ce qui se passa d’un coup sec.
Crac ! Hors-jeu !
Ils étaient deux maintenant, à me faire reculer impitoyablement dans les griffes de la mère
d’Alia. La magie élémentaire n’avait aucun effet sur eux et semblait les distraire plus
qu’autre chose. Dans la panique, me vint une idée que j’aurais ne jamais espéré penser. Je
pointais mon bâton vers l’un d’eux, et en aspirait à l’élément de l’eau. L’eau est présente
dans tout être vivant, même dans ces monstres maudits. J’en appelai à l’élément pour faire
ce que l’Arbre nous avait toujours interdit : altérer la vie directement. Me concentrant sur le premier
chien, j’aspirai l’eau qui était dans son corps. Il se figea net, et de la vapeur commençait à sortir de
son corps. Il finit par déglutir l’eau contenue dans son corps par tous ses pores, naseaux, yeux,
oreilles… Il gémissait des glapissements horribles. Il se roulait par terre, souffrant le martyr, se
desséchant à vue d’œil. Pour ne plus bouger, enfin, au bout d’interminables agonies. La voix
diabolique de la mère d’Alia résonna dans la salle après un rire sadique :
- Oh oh, très bien petite sylvarie, très bien. Tu viens de franchir une porte qui t’ouvrira un
monde merveilleux. Viens avec moi, mon enfant, accepte la puissance de Kralkatorrik que je
t’offrirai.
C’est pas vrai ! Mes yeux ne m’avaient pas joué de tours j’en étais sur ! J’en connaissais peu
sur les élémentalistes, mais suffisamment pour savoir une chose : ils avaient le droit de
manipuler les éléments externes à toute enveloppe, mais aucunement interne, reliés à un être
vivant ! Il leur a toujours été interdit d’envisager cette solution, encore moins de l’utiliser ! Merde !
- Jamais ! lui répondis-je d’une voix ferme, mais tellement inquiète à la fois.
La mère d’Alia me regarda en fronçant les sourcils, la fureur se lisait sur son visage. Après
quelques secondes, elle me répondit d’une voix sinistre :
- Tant pis pour toi, sylvarie.
Elle tendit son bras dans ma direction, ce qui m’attira d’un coup violemment et irrémédiablement
vers elle. Sa poigne glacée m’enserra le cou. Le froid et la mort se répandirent instantanément dans
mon corps. L’air me manquait, je suffoquais. Une douleur terrible s’insinuait dans tout mon corps.
Lianis ! Portée à bout de bras, comme une simple poupée ! La vie qui s’échappait de son
corps était nettement perceptible ! Les veines de son corps devenaient violettes ! Mais
quatre chiens nous faisaient un barrage entre nous et leurs maîtresses, impossible de
passer. Altyon et moi tentâmes de forcer le passage, mais les chiens étaient déchainés, et
c’était courir au suicide que de franchir ce barrage. Mais le temps jouait contre nous, dans
quelques secondes, Lianis allait…
Dans notre champ de vision, nous vîmes tous passer Splif à quelques mètres de nous, toujours
poursuivi par un chien. Splif chuta sur le seul caillou de la salle et trébucha. Il devait y avoir un seul
caillou en tout et pour tout ici, et il a réussi à trébucher dessus. Le chien se lança dans son dos et se
déchaina sur son sac, l’éventrant avec ses crocs. Toutes les babioles furent projetées dans toutes les
directions, lorsque soudain…
Une violente sonnerie retentit. A nous déchirer les tympans. Les molosses se figèrent
aussitôt. Le plus proche de Splif s’arrêta net, fut parcouru de spasmes, et explosa sous nos
yeux ! La mère d’Alia criait au supplice, tenant toujours fermement Lianis, mais totalement
déconcentrée. Je me jetai à toute allure sur la machine à temps que, d’un lancer ferme, je
jetai au milieu des quatre chiens restants. La machine arriva au milieu d’eux, et la
résonance de la sonnerie les fit parcourir de spasmes. Ils explosèrent à leur tour !
- Vous allez me le payer ! rugit la mère d’Alia.
Elle pointa son bras valide vers la machine à temps et ferma sa paume. La machine explosa, et le
silence se fit. Enfin presque.
- Ma machine, ça va pas la tête, il m’a fallu des jours pour la concevoir !
- Pauvres fous ! Illusions que votre victoire ! hurla-t-elle.
Elle agita son bras dans la direction de nous tous, de nous tout à l’exception d’Alia, un par un, et nous
fûmes enfermés dans des geôles d’énergie violette, incapables de bouger. Lianis continuait de
suffoquer au bout de l’autre bras. Son agonie était atroce, et j’avais beau me dechaîner sur ma
prison, rien n’y faisait !
- Viens ma fille, ma petite Alia, lions-nous à jamais dans la puissance du dragon.
Alia s’avança, hypnotisée ou pas, je ne saurai le dire, vers sa mère.
Libre de mes mouvements, constatant que tous mes compagnons étaient paralysés, je
n’avais d’autres choix. Implorer sa clémence, quitte à me sacrifier. Cet adversaire, ma mère,
la servante de Kralkatorrik, était bien trop fort pour nous. C’était du suicide que de
l’affronter. Mais pouvions-nous le savoir ? Et même si nous le savions, aurions-nous fait
demi-tour ? J’en doute.
- C’est bien. Tu retrouves ta raison.
- Mère ?
- Tue ton amie, et à jamais tu seras libre. Nous serons de nouveau réunies, mère et fille, pour
l’éternité.
- Mère… Je ne peux…
- Tue-là ! Ou meurs !
Je regardai le visage de ma mère, déformée par les rictus de haine et de pouvoir. Ce n’était pas elle.
Je regardai Lianis, au bort de l’autre monde, son cœur battant de moins en moins fort. Elle me
regarda en retour. Son visage parcouru de veinules violettes trahissait tant d’émotions. Elle me sourit
dans un dernier effort, comme pour m’inciter à prendre le choix de ma mère, en se sacrifiant elle. En
espérant sauver les autres.
Si j’accepte la proposition de mère, les autres pourront-ils partir en vie ? Les laissera-t-elle partir ?
Pire encore… Les laisserai-je partir ?
Mère me fixait de ses yeux vides. Plus rien d’humain. A mon grand désespoir…
- Mère je suis désolée…
Elle hurla de rage ! A ce moment, je sentis l’orbe de l’Onitopie que je m’étais accrochée au cou se
réchauffer. Elle émit une faible lueur qui irradia une petite lumière blanche. La lumière brillait sur les
écailles de mère qui lui faisait office de peau. Partout. Sauf à un endroit. Au niveau du cœur. A cause
de la sonnerie de la machine à temps de Splif peut être, mais une chose est ure : elle n’avait pas de
protection à ce niveau. Au quart de tour, pour mes amis, pour Onitopia, au nom de la Vie, je plantai
ma dague dans son cœur, dans le cœur de ma mère, celle qui m’a enfantée, celle qui m’a engendrée.
Maman.
Tout à coup, je chutai au sol, sans réussir à véritablement me réceptionner, tant le souffle
me manquait. Je suffoquais, je toussais pour espérer que le souffle me revienne. J’agrippai le
sol en me brisant les ongles. L’air revenait dans mes poumons, à mon grand soulagement. Ma vision
devenait moins floue.
J’essayai de me relever.
Alia était à genoux, deux ailes blanches dans le dos, grandes et belles. Sa mère dans ses bras. Le sang
coulait a flot sur les bras d’Alia. Le sang de sa maman. La peau violette de l’infortunée commençait à
se craqueler, les écailles tombaient en poussière, une à une, révélant tout ce qu’il y a de plus humain
dans cette personne.
Alia pleurait. C’était mon rêve. Mais ce n’était pas moi dans ses bras. Pourquoi ? Qu’a-t-il bien pu se
passer ? M’étais-je projeté dans les rêves de sa mère ? A-t-on changé l’avenir ?
Était-ce vraiment important ? Alia venait de tuer sa maman, qui mourrait maintenant dans ses bras.
Elle avait l’air… si paisible.
Je pleurais à en brouiller ma vue. Je tenais maman dans mes bras, dont le souffle se faisait
de plus en plus faible. Sa main m’effleura les yeux, pour m’essuyer mes larmes.
- Ma fille, ma petite Alia, je suis si heureuse de te revoir.
- Mère, je t’en prie… Je suis désolée…
- Il ne faut pas. Tu m’as délivrée… Tu as fait preuve d’un grand courage. Je suis si fière de toi.
- Je ne voulais pas…
- Mais tu as bien fait… Comme tu es belle. Je suis si heureuse…
Maman fut prise d’une violente quinte de toux, crachant du sang par la bouche. Il lui restait si peu à
vivre. Son visage avait retrouvé tout ce qu’il y a de plus humain, et était si magnifique. De fines rides
ornaient délicatement son visage, sa bouche fine blanchissait à vue d’œil, ses yeux brillaient de mille
étoiles, de milles sagesses.
- Maman. Pourquoi… ?
- Le temps me manque… Mon amour… Essaye… Essaye de retrouver ta sœur.
- Ma sœur ?
Une nouvelle quinte de toux crispa maman dans une douleur terrible, elle s’agrippait à moi avec ses
dernière forces.
- Elle est… Très fragile… Elle a… Besoin de toi…
- Où est-elle ? Qui est-ce ? Dis-le moi je t’en prie.
- Mais tu la connais déjà mon amour. Elle est… Tout près de toi…
Alors que ses yeux se figeaient et que son souffle s’éteignait, les derniers mots de maman me
figèrent et me glacèrent jusqu’à l’échine.
- Elle s’appelle maintenant… Pan… d’Orr. Elle… Elle a besoin… de toi… ma petite… fille…
Tout se bousculait dans ma tête. Le dernier souffle de mère se posa sur mes joues. La vie venait de la
quitter. Sa tête se fit lourde. Je sanglotais silencieusement, combien de temps, je ne saurai le dire.
Des minutes, des heures. Je m’en foutais royalement !
Nous ne pouvions assister, qu’impuissant, au terrible spectacle qui s’offrait à nous. Jamais
victoire n’eût un goût aussi amer et, malgré la révélation, tous nous gardâmes le silence, et
le garderons tant qu’Alia n’en aurait pas décidé autrement. Nous nous assîmes autour du
corps de sa mère et partageâmes la prière d’Alia adressée aux six dieux humains.
Pan d’Orr… Sa sœur ?
Cette grognasse, sa sœur ?
Ma machine à temps, purée ! Mais… Mais pauvre petite Alia, ça doit être dur. Et l’autre
brutasse, sa sœur ? C’est quoi cette famille de malade ?
Je crois que les choses vont de mal en pis. Lianis venait d’effleurer le cauchemar et avait
ouvert une porte qu’il était sage de garder sceller. Alia venait de perdre sa mère. Et cette
révélation sur Pan d’Orr… Je ne sais pas pourquoi, mais je le sentaiss pas. Une victoire
certes, l’annonciatrice d’une guerre ? Allez savoir ?
Mais…
Mais dans ces ténèbres qui nous entouraient il y avait eu une petite lumière. Une petite lumière :
celle de l’amitié, celle de l’amour, celle du sacrifice. Celle de l’espoir. La force de convictions. Où la
fille n’a pas hésité a tuer sa mère pour protéger cette petite lumière tellement significative. Au nom
de quoi ? Au nom d’Onitopia je crois. Cette lumière a un nom oui, Onitopia, cette lumière a un sens,
elle nous lie tous dans les liens de la guilde, pour protéger ces valeurs si précieuses.
Nous nous mîmes en marche à la fin de la prière. La fille portait sa mère pour lui offrir une
sépulture décente. Sans un mot. En fermant la porte de la salle derrière moi, je vis à ma
grande surprise les ligne d’étincelles reprendre leur ballet à fleur de sol, s’entremêlant et
s’enlaçant dans des formes harmonieuses et blanches cette fois-ci. Qu’est-ce donc que ce
lieu ? Malheureusement, il était temps de partir, et de laisser cette énigme derrière moi.
Dorénavant, je savais pleinement ce qu’Onitopia signifiait pour moi. Ce n’était pas qu’un
simple emblème, ce n’était pas qu’une simple fédération d’âmes, c’était un choix. Un choix
de valeur à protéger. Ca me convenait parfaitement.
Le désert enfin nous apparut, où Alia prit le temps d’offrir une sépulture décente à sa
maman. Splouf était revenue des entrailles de Rata Louran, sans avoir eu l’occasion de retrouver le
groupe disparu malheureusement. Quelques-uns de ses proches étaient blessés. Il était temps de
partir.
Derrière nous, un oiseau blanc se posa sur la tombe de la maman d’Alia.
L’aéronef prit son envol.
Le désert en contrebas était calme. Vu d’en haut, c’était un océan de sable qui noyait des vestiges et
des drames silencieux. La crête que j’avais observée le premier soir traversait l’étendue comme une
gigantesque échine d’un animal gigantesque. Mais était-ce le fruit de mon imagination ? Je jurerai
qu’elle n’est pas au même endroit que lorsque nous arrivâmes il y a trois jours. Qu’elle s’était
déplacée de quelques mètres, qu’elle n’était pas tout à fait la même. Qu’est-ce que cela voulait dire ?
L’aéronef filait à toute allure, et jamais je ne saurai si mes impressions étaient fondées ou pas. Cette
pierre était vivante !

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Rata Louram

  • 1. Ô monde injuste ! Onitopia, la naissance d’une guilde 35 Chapitre 35 Illustration : Kralkatorrik (auteur inconnu)
  • 2. : Ælwynn Wintersong (humaine, élémentaliste) : Svynge (norn, gardienne) : Nezumy (asura, ingénieur) : Pug (asura, élémentaliste) : Alia Arkady (humaine, voleuse) : Shalimar (sylvari, élémentaliste) : Ayrin Fields (humaine, guerrière) : Aboune (asura, envoûteur) : Stathor (asura, ingénieur) : Guess (humaine, élémentaliste) : Lianis (sylvari, élémentaliste) : Agaéti (sylvari, gardienne) : Altyon (sylvari, voleur) : Lazare (humain, nécromant) : Pogonar (humain, guerrier) : Gledinia (norn, rôdeuse) : Pajim (norn, rôdeuse) : Yaddle (charr, guerrière) : Oméga (asura, guerrier) : Splif (asura, élémentaliste) : Pan d’Orr ( ?)
  • 3. J’ai passé toute la nuit à veiller. A rêvasser devant le désert, une étendue sableuse et froide que je voyais pour la première fois. Oh, d’autres des miens ont déjà vécu cette expérience et l’ont partagée dans le Rêve mais… Mais sentir le sable glisser entre les mains, s’enfuir entre les doigts, s’incruster dans les moindres replis de ses habits… Ça ne se rêve pas, ça se vit. Combien de temps ai-je passé à marcher dans le sable au beau milieu de la nuit pour sentir son contact froid et doux sous mes pieds ? Trop de sabliers probablement. La nuit était calme, fort calme, malgré le vent violent qui soufflait les grains au visage et qui fouettait la peau nue. La nuit était fraîche, très fraîche. Et d’une clarté limpide. L’horizon lointain gondolé de grandes dunes tranchait avec les cieux étoilés d’un azur sombre surprenant, d’une clarté étonnante. Jamais je n’ai vu autant d’étoiles, même dans les endroits les plus reculés de la jungle de Maguuma. C’était comme-ci le sable du désert les faisait briller de mille feux, comme si ici elles vivaient et s’épanouissaient de toute leur luminescence ici. Pas le moindre nuage pour souiller le paysage onirique, d’une telle quiétude malgré les bourrasques. Ce vent soufflait sans intermittence depuis des heures maintenant et continuait son chemin jusqu’aux rives de l’océan. Notre campement s’était installé autour de l’aéronef, cette énorme masse de planches, de technologies et de voilures, dont la silhouette se dégageait en travers des cieux étoilés. De solides chaines de métal le retenaient pour qu’il ne soit pas porté de manière impromptue par les rafales. Ces chaines cliquetaient au gré des rafales et sonnaient comme un doux carillon à mes oreilles. La crête de roches qui se dressait à quelques dizaines de mètres de nous avait une allure inquiétante et sinistre : les épines de pierre aussi haute que l’aéronef plongeaient dans le sable comme autant de griffes acérées, et s’étendaient plus loin que portait mon regard, parfaitement alignées, comme l’échine d’un animal gigantesque qui sommeillerait sous le sable du désert. Le sommeil ne venait toujours pas. Agaéti dormait du sommeil du juste. Splif aussi (peut on vraiment parler de justice ?). Quant à Alia et Lianis… Beaucoup moins malheureusement. Toutes les deux ne cessaient de se mouvoir, avec des gestes brusques parfois, dans leur sommeil. Ca me chagrinait pour Lianis, si c’est vraiment une Oracle, ses tourments ne faisaient que commencer. A bien y regarder, au fil de leurs rêveries… Alia et Lianis reproduisaient parfois les mêmes gestes. Qu’est-ce que cela veut dire ? Alors que les magnifiques lueurs orangées du soleil commençaient à poindre, je m’approchai de Lianis, pour essayer de la réconforter. Elle ouvrit soudainement les yeux, grands et blancs, la pupille absente. Derrière moi, j’entendis Alia sortir en trombe de sa tente, dague en main. Un oiseau devant elle, que je n’avais pas repéré la première fois, s’envola l’air de rien. Lianis marmonnait des choses incompréhensibles, je finis par la secouer, un peu brusquement peut être. Ses pupilles redevinrent normales, et elle me regardait, totalement ailleurs. - J’ai fait un rêve. - Ce n’est rien, lui répondis-je. Rien qu’un mauvais rêve. - J’ai vu Alia, deux ailes grandes et belles dans son dos. Elle me tenait dans ses bras alors que je rendais mon dernier souffle. - … - Tu sais ce que ça veut dire ? - Je n’en ai aucune idée, mais je te jure qu’il ne se réalisera pas. Allez, repose-toi, essaye de dormir encore un peu.
  • 4. Elle ferma de nouveau les yeux et se rendormit paisiblement, sans rêve semblait-il. Je n’aimais pas du tout ce qu’elle venait de me raconter. Pas le moins du monde. Je les surveillerai attentivement toutes les deux, à mon avis, il va y avoir un gros souci dans les ruines à côté de nous. Le soleil prenait de l’ampleur quand tout à coup, la diabolique machine à temps de Splif réveilla tous les compagnons, et le désert par la même occasion, tant le vacarme était assourdissant ! Mgnnn, les nuits sont décidément trop courtes, où qu’on soit : montagne, jungle, océan, maison en écailles de guivre, désert… J’espérais un tant soit peu que les nuits dans les déserts seraient plus longues… Mais non. Monde injuste ! Comme tu es injuste avec moi, ô monde injuste ! J’ai un temps de sommeil injuste, un père injuste, une sœur injuste, et quoi encore ? Hein hein ? Groumph, c’est elle qui dirige l’expédition en plus. Regardez-là, là, à se pavaner au milieu de l’équipage, à leur donner des ordres du haut de ses trois pommes. C’est moi qui aurait du être à sa place ! Ô monde cruel. Que tu es cruel avec moi ! Et injuste ! Je vais me consoler avec une tartine de confiture de baie d’ommon tiens, c’est pas bon, mais c’est plein de vitamines. - Splif, ramène-toi ! On a besoin de toi pour les bagages ! Splif, ramène-toi, gnagnagna gna. - Eh oh je suis pas le porte valise de tout le monde moi, ma p’tite dame ! - Tu veux que je le dise à père ? - OK OK ça marche, je les porte vos valises, voilà, je les porte ! Ô monde injuste. Mmh, avec un peu de chance, cette charr va m’aider. Il faut la jouer fine. Facile pour un asura, nous sommes tellement supérieurs en intelligence, alors utiliser un charr, c’est dans mes cordes. - Yaddle ? - Mmh ? - Tu peux m’aider à porter les bagages ? - Crève ! Ô monde injuste, tu me tourmentes, tu te joues de moi ! L’ai-je pas joué assez fine ? Pourtant, j’ai essayé d’amener le sujet discrètement. Enfin bon. L’équipage venait de terminer la préparation des équipes. En avant ! - A l’assaut ! dis-je pour haranguer les troupes ! - Splif ? - Splouf ? Ma chère sœur ? - C’est qui qui commande ici. - C’est pas lui là-bas. Ni lui. Ni elle. Je vois pas décidément. - Cherche bien. - C’est bon c’est bon, c’est toi, ô sœur injuste et cruelle ! - C’est bien. Alors tu ne bouges pas, et tu attends.
  • 5. Tu ne bouges pas et tu attends… Gna gna gna gna gna. Je ne bougerai pas et j’attendrai alors ! Soit ! Très bien ! Attendons ! - Yaddle ? dis-je, un poil agacé. - Quoi encore ? - Si j’étais votre chef d’équipe, on n’attendrait pas. Ca te dit ? - Non. - Allez ! - Non. Monde injuste. Pas tout à fait réveillée, et après un sommaire petit déjeuner, je finis par rejoindre Splouf, et trois des compagnons d’équipage triés sur le volet par notre commandante. - Bien dormi, Alia ? - Pas vraiment… Quelles sont les nouvelles ? - On va opérer en quatre équipes si vous êtes d’accord. Vous avez la charge de l’équipe une, prenez les membres qui vous siéent le plus. - Très bien. - On est là pour récupérer d’anciens artefacts avant tout, mais n’hésitez-pas à rechercher ce pour quoi vous êtes venue. - Comptez-sur moi. - Très peu sont rentrés dans les ruines de Rata-Louran, encore moins en sont ressortis. D’anciennes magies et d’antiques systèmes de défense sommeillent dans ces vieux couloirs, d’autant plus que les laquais de Kralkatorrik ne doivent pas être très loin. Alors prenez garde, je ne voudrais pas vous ramener en plusieurs morceaux. Certains membres de l’équipage frémirent au nom du dragon ancestral. - Bien noté, repris-je, confiante. - On va éviter de s’aventurer trop profondément. Tous les soirs, les groupes doivent impérativement être sortis et on se retrouve ici pour faire un topo. On a trois jours devant nous. Est-ce que ça vous convient. - C’est parfait. - Alors, bonne chance à vous. - De même, que les augures vous soient favorables. Splouf me regarda en fronçant les sourcils, puis fut la première à partir avec son équipage composé de cinq membres. Je reprenais mes esprits, et me retournai vers mes compagnons. - Bon, plus le droit de reculer une fois qu’on est dedans. Vous êtes surs d’aller jusqu’au bout ? - On ne peut plus surs ! - Merci, je vous revaudrai ça. - T’en fais pas.
  • 6. Lianis me regardait bizarrement. - Lianis, ça va ? - Je crois oui. - Encore un mauvais rêve ? - Probablement. - Tu veux en parler ? - Je préférerai éviter. - Ah… Très bien. Je n’insisterai pas. Étrange. Mais bon, pas le temps de m’occuper de ça malheureusement, trois jours c’est peu. C’est le temps qu’il m’avait fallu pour connaître le rez de chaussée de Rata Sum, alors si Rata Louran est dix fois plus grande, je n’avais pas de temps à perdre malheureusement. Mais bon, au moins, je connaissais les membres de mon équipe. Lianis, Agaéti, Altyon, Yaddle, Splif et moi-même. Un joli petit groupe de six, revenus d’entre les flammes de Primordus pour affronter les pires de ses serviteurs. - En avant ! Splif… Encore. - Splif ? - Alia ? - C’est qui le chef d’après toi ? - Euh… Toi ? - Gagné. C’est qui le chef d’après toi, gna gna gna gna gna. Ô monde cruel, reconnaîtras-tu un jour mes qualités ? Plus sérieusement, je pouvais la comprendre, on était là pour retrouver sa maman et, après quelques secondes d’hésitation, elle devait prendre la charge des opérations, même si, au sein d’Onitopia, il n’y a jamais eu vraiment de chef. Plus des coordonnateurs je dirai, des lanceurs d’idées. En regardant les autres groupes s’enfoncer dans les ombres de Rata Louran, je remarquai que chaque groupe avait son asura. Cela pouvait se comprendre aussi. Si Rata Louran est construite sur les mêmes schémas que Rata Sum, alors oui, un asura ne sera pas de trop. A défaut d’être chef, je serai un guide clairvoyant ! Ce n’est pas si mal. Et il était interdit de se tromper. Nous autres asuras avons la fâcheuse manie de protéger nos laboratoires et autres ateliers avec des systèmes complexes de technologie, des golems gardiens ou autres, tous plus dangereux les uns que les autres. A demi enfouie dans le sable subsistait une tour d’observatoire, le toit du télescope éventré par les ravages du temps. C’est par cette entrée officieuse que nous pénétrâmes dans les couloirs oubliés de Rata Louran.
  • 7. Le changement d’ambiance fut saisissant dès que nous mîmes le premier pas dans les ruines. Aux cris et rugissements du vent qui s’étaient intensifiés en ce début de matinée se substituaient le silence et la moiteur des lieux. Nous passâmes par ce qui s’appelait un observatoire aux dires de Splif, un lieu fantastique qui permettait de regarder les étoiles de plus près. Je ne savais même pas qu’une telle prouesse était possible. Se rapprocher des étoiles ? Ne sont-ce point les projections des rêves ? Après avoir utilisé différentes échelles en métal qui nous entraînaient plus profondément dans les abîmes de la ville et après avoir laissé derrière nous le désert, ses roches sordides et sa tempête, nous allumâmes nos torches. Un souffle indistinct souffla sur nos flammes et, très brièvement, j’eus l’impression d’entendre un murmure, quelque chose d’indistinct, dont seuls trois mots m’ont été audibles : - Venez-à moi… En regardant autour de moi, personne ne semblait avoir prononcé mot, et personne ne réagissait. Le fruit de mon imagination ? Nous continuâmes au gré des couloirs. Beaucoup de salles que nous traversâmes avaient déjà été pillées par des brigands de passage et il ne restait plus rien. Clairement, il fallait s’avancer plus profondément pour trouver ripaille. Nous suivions Splif qui régulièrement examinait des inscriptions et des cartes gravées dans les parois, en langage asurien. Nous n’avions guère le choix que de lui faire confiance. Oh, ce n’est pas la confiance qui me faisait défaut concernant Splif, malgré son attitude excentrique, je savais pouvoir lui faire confiance, mais c’était surtout qu’en cas de déroute, si le groupe venait à se disperser, pourrions-nous retrouver la sortie dans ce dédale sans l’aide de Splif ? J’en doute. Au croisement de quatre chemins, nous laissâmes les empreintes de pas laissées par les groupes précédents pour suivre notre propre chemin. De minces filets de sables s’écoulaient parfois à travers le plafond, comme une fine pluie poussiéreuse, auxquelles se mêlaient des toiles d’araignées inertes, aux fils parfois démesurément gros, ce qui ne me rassurait guère sur les éventuelles habitantes des lieux. La taille des proies ficelées dans les toiles allaient jusqu’au renard des sables ce qui n’avait rien de bien rassurant. Mais pour le moment, tout était calme. Trop calme. En écoutant attentivement, dans les rares pauses que l’on s’accordait, je jurerai entendre un bruit profond, discret et pourtant omniprésent et récurrent comme… Comme le battement d’un cœur gigantesque. Probablement le poids du sable qui met à mal les ruines en exerçant une grande pression sur elles. Mais ce rythme est tellement régulier. Si puissant. Tellement inquiétant. Splif nous expliqua que nous nous dirigions vers un ancien nœud commerçant, un nœud de jonction immense où à l’époque, tous les peuples s’y retrouvaient pour troquer. Effectivement, quelques minutes plus tard, nous entrâmes dans une vaste salle bâtie sur le modèle de Rata Sum, sauf que cette fois nous étions au cœur d’une pyramide souterraine et gigantesque. Les habitations classiques des asuras s’y retrouvaient : universités pyramidales, habitations géométriques, chemins de traverses s’éparpillant dans tous les sens, le tout recouvert par une poussière immaculée. A travers les parois
  • 8. tout en haut filtraient quelques rayons de soleil par certains orifices dans lesquels tombaient parfois de petites cascades de sable poussées par la tempête au-dessus de nos têtes. Je gardai un mince espoir de trouver de quelconques indices sur le passage de ma mère dans cet endroit, aussi nous passâmes la journée à fouiller et à récupérer divers bibelots pour s’acquitter des frais de notre voyage : anciens cristaux qui pouvaient servir à la confection de golems aux dires de Splif, anciens manuscrits, tablettes ou autres artefacts pouvant avoir selon nous une quelconque utilité. Nous nous éparpillâmes dans la ville pour accélérer le processus. En passant devant une bâtisse à l’allure un peu différente, entourée de colonne, je remarquai une grande porte en bois soutenue par deux puissantes colonnes. Sur la porte figuraient de nombreux animaux mythiques, allant du griffon à l’hydre, du dragon à… Des créatures que je ne connaissais pas. La porte grinça et la poussière tomba en fins nuages lorsque je décidai d’entrer. Le bruit de mes pas résonnait dans ce bâtiment désespérément loin, comme s’il n’avait pas de fin. Une dizaine de mètres devant moi, au milieu de l’allée de colonnes, se dressait un étrange bloc de pierre rectangulaire et massif, qu’entouraient deux sphinx bleus. En m’approchant, je remarquai que la pierre bleutée était translucide et que la lumière de ma torche leur donnait un semblant de vie. Alors que tout le reste de l’édifice était couvert de poussière, l’autel central était propre de toute souillure. Je passai le doigt dessus mais comme je m’y attendais, il ne se passa rien, même si le contact de la pierre me semblait chaud à la première impression. Un bruit derrière moi me fit sursauter. Je me retournai vivement pour voir, à ma grande stupéfaction… Pug ?! Une torche à la main, en train de scruter une des façades du bâtiment. En un clignement de yeux, il avait disparu. Serait-ce le fruit de la fatigue ? Je m’approchai de l’endroit où je vis Pug, mais le sol était vierge de passage, la poussière en témoignait. Je passai une bonne heure au cœur de cette demeure sans obtenir plus de résultat, et finis par me résoudre à sortir. A ma grande surprise, encore, je vis un destructeur, un de ces scarabées de Primordus que nous avions affrontés quelques temps auparavant, s’enfuir à toute allure pour se dissimuler dans les ruines de la cité. Qu’est-ce donc que cela ? Un destructeur ici ? C’est bien trop loin pour eux, le domaine de leur maître ne s’étend pas jusque là ! Que fait ce scarabée solitaire ici ? Perplexe, je finis par rejoindre les autres et participer aux fouilles. Au bout de quelques heures, nous étions chargés de richesses en tout genre et nous prîmes le chemin du retour, un peu à contre cœur pour ma part. Nous vîmes une araignée plutôt dodue tisser sa toile sur le couloir que nous voulions emprunter pour rentrer. Elle mesurait l’équivalent d’un asura ! Yaddle avait déjà sorti son arme pour la découper, mais l’animal, guère rassuré, s’enfuit aussitôt à notre approche, à la grande déception de Yaddle. Le soir venu, nous étions de nouveau à la surface, en compagnie des autres, au milieu de la tempête qui avait redoublé d’intensité. Un des matelots souffrait le martyr sous l’une des tentes, auprès duquel j’allai m’enquérir : - Qu’est-ce qui s’est passé ? - Une faucheuse des sables l’a mordu. - Une faucheuse des sables ? C’est très grave !
  • 9. - Oui, s’il passe la nuit, alors il s’en sortira, sinon… - Je prierai pour lui. Les faucheuses des sables, de vraies plaies. Ce sont des araignées à taille modeste, le corps n’étant pas plus gros qu’une gourde, mais aux pattes extrêmement longues et fines. Ces pestes se camouflent dans les interstices des murs et mordent leur proie qui passent à portée de leurs mandibules, attendant ensuite que le poison fasse effet pour les dévorer tranquillement. - Au moins, nous aurons eu cette saloperie, surenchérit Splouf. - D’autres choses à signaler, demandai-je, curieuse de tout renseignement ? - Si vous voulez des choses concernant votre mère, je suis au regret de vous dire que nous n’avons rien vu. - Pas grave, merci. - Entre nous, pourquoi se terrerait-elle dans ces ruines ? - Une intuition. La nuit fut de nouveau agitée, l’air du désert ne devait pas être fait pour moi. La dernière image que je vis avant de me réveiller en sursaut, c’était moi, à l’âge de cinq ou six ans, en train de jouer à la balle avec une petite fille une ou deux années plus jeunes que moi. Ce n’était pas un rêve… C’était un souvenir. Splif, Splouf, Splif, j’en soupe avec leurs disputes incessantes ! Si c’est ça étudier les autres cultures, j’ai la même chose chez moi, pas de quoi en faire un fromage ! Il va être beau mon rapport tiens ! L’autre matelot a clamsé dans la nuit, pas su encaisser le poison. Faudra faire gaffe à ces saloperies, j’aime pas le poison. On est descendu le deuxième jour, rebelote, dans les entrailles moisies de ce bordel sans nom qu’est une ville asura. Quelle idée de faire un truc aussi bordélique pour une ville ? Puis la hauteur des couloirs, m’en parlez pas ! Tout le temps pliée en deux la Yaddle, pouvaient pas penser aux visiteurs de passage eux, avec leurs cerveaux soi disant géniaux ? J’te jure. On était descendu au troisième étage cette fois-ci. Pas glorieux les farfouilles. Chou blanc même. A part quelques babioles sans intérêt et quelques friandises découpées (je parle des araignées bien sur, j’ai pu en passer quelques unes au fil de mon épée, ça fera d’excellentes brochettes pour ce soir), rien à déclarer. Ah si. Un violent tremblement de terre peut être, qui fit trembler sols et édifices plutôt violemment. Deux trois minutes peut être bien. J’ai bien cru que le ciel allait me tomber sur la tête. Mais non, heureusement. Les secousses se sont arrêtées et il n’y en eut plus d’autres de la journée. Le soir nous étions de nouveau au niveau de l’aéronef. La déception se lisait sur le visage d’Alia, mais que pouvions nous y faire ? Alors que la nuit tombait, quelque chose clochait. Un groupe n’était toujours pas revenu. En retard de deux heures. Ca sentait pas bon. Splouf faisait les cent pas. - On redescend, dit-elle, rouge de colère !
  • 10. Splif intervint. - Grande sœur, tu déconnes ? Ce serait folie de descendre maintenant, alors que nous sommes tous au bord de l’épuisement ! - Ils ne sont toujours pas revenus, on va à leur recherche ! - Et quoi ! Tu veux fouiller dans ce labyrinthe ? On ne sait même pas où ils sont ! Ce serait chercher un golem dans une botte de dragon ! - On ne peut pas les laisser là-dedans, finit-elle par dire en commençant à pleurer. - Et tu le sais très bien, on risque plus de pertes à les rechercher au hasard ! Reprends ta raison Splouf, on partira plus tôt demain et on tentera de les retrouver. Maître Splouf finit par garder le silence. Je comprenais son désarroi. Moi aussi j’avais perdu des compagnons dans les ruines d’Ascalon et il n’y a pas de choix plus difficile que de les abandonner à leur funeste sort pour la survie des autres. Un poids qu’on porte jusqu’à son dernier jour. Splouf se résigna et retourna dans l’aéronef, dans son cabinet. Elle ne dormit pas de la nuit. Étrange, très étrange. Il y a quelque chose qui ne va pas au niveau de notre campement. Comme si… Comme s’il s’était déplacé au cours de la journée. Je ne reconnaissais pas la disposition de notre campement par rapport à la crête. Mauvais souvenir ? Quelque chose clochait, j’en étais convaincu. Troisième, et dernier jour, avant de remballer. A part le côté exquis des lieux, et le dépaysement, force est de constater que nous n’étions pas parvenus à concrétiser nos recherches. Après les confidences d’Altyon, j’ai passé les deux premiers jours extrêmement inquiet à propos des rêves de Lianis. Moi non plus je n’aimais pas du tout cette image. Mais à la vue de la fin de cette expédition, l’espoir revenait, et je me disais que ce ne fut qu’un mauvais rêve. Malheureusement, les événements furent tout autres, et confirmèrent les songes de l’Oracle… En ce troisième jour donc, nous avions pour mission de rechercher l’équipe disparue et la mère d’Alia, toujours. La recherche d’artefacts n’était plus une priorité. Nous commencions à connaître le chemin et tôt fait nous étions déjà au troisième étage plus bas. Les trois équipes se séparèrent pour rentabiliser les recherches. Nous arpentâmes les couloirs, à la recherche de quelconques indices dans la poussière ou n’importe où ailleurs. Les heures s’écoulaient et rien ne se dévoilait. A la jonction du troisième et du quatrième étage, marquée par une voie large et pentue, nous butâmes sur un golem endormi. Une grosse masse de ferraille de forme humanoïde, de la taille d’un norn un peu rondouillard, bloquait le passage. A notre arrivée, il se réveilla. Tous nous dégainâmes. Splif nous avait parlé du rôle de ces machines, et certains été fait pour la défense. Nous retenions notre respiration tandis que le golem dérouillait ses articulations et que son unique œil brillait maintenant d’une vive lumière bleue. Il se retourna vers nous dans un bruit métallique, et une voix mécanique et grésillante se fit entendre.
  • 11. - Bienvenue à Rata Louran, chers visiteurs. En quoi puis-je vous aider ? - Ouf, un golem de protocole, soupira Splif. Il va nous aider. Golem ? As-tu vu des personnes passer ici récemment ? D’où nous étions, nous entendions les mécaniques grésiller dans la tête de la machine ? - Précisez votre question. - Ah ! C’est du vieux protocole, nous confia Splif, on n’est pas sorti de la taverne. - De l’auberge on dit. - C’est pareil. Golem ? A quand remonte la dernière activité active à laquelle tu as été confrontée ? Le golem réfléchissait. - A une minute. - Je vois. Il parle de nous ce boulet. Et avant ça ? - Veuillez préciser votre demande. - Ah ! Je vais devenir fou ! Lianis prit les devants : - Golem ? - Oui sylvarie ? - Peux-tu nous emmener dans la salle la plus sombre de Rata Louran ? Le golem compulsait. - Oui sylvarie, suivez-moi. - La salle la plus sombre, demanda Splif, pourquoi on irait dans la salle la plus sombre ? Altyon se précipita avec moi auprès de notre chère Lianis. Je savais bien où elle voulait en venir : à l’introduction de son rêve ! Le néant par lequel il a commencé ! - Lianis, ne fais pas ça je t’en prie. - Votre sollicitude me touche, mes frères, mais vous savez comme moi que nous sommes ici pour un objectif. Alia nous regardait, curieuse et visiblement incompréhensive. - Tu es sure de toi ? - Oui. Je finis par soupirer. - Alors soit, allons jusqu’u bout du rêve. Ou du cauchemar… En l’occurrence, ils me cachaient quelque chose. De ce que j’en déduis, c’était pour la sécurité de Lianis. Ca sautait aux yeux. Que ne voulaient-ils ne pas me dire ? Pourquoi
  • 12. gardaient-ils un tel silence maintenant que nous suivions le golem plus profondément à travers les étages de cette immense ville ? L’air devenait épais, fileux, lourd. D’araignées ? Il n’y en avait plus de traces, ni de rien d’autres d’ailleurs. Les pas métalliques du golem résonnaient à travers les couloirs et se répercutaient dans le dédale. A un moment, nous nous trouvions dans une énorme caverne d’où partaient des tunnels dans toutes les directions. Cet endroit n’avait plus rien à voir avec l’architecture des asuras que nous avions croisée jusque là. Nous empruntâmes un de ces tunnels qui offraient d’autres passages sur toute sa longueur, certains avec des portes, d’autres avec des grilles. Au septième de ces passages, le golem s’arrêta finalement devant une immense porte grise, d’une matière qui ressemblait à de l’ardoise, bordée de métal, deux fois plus haute que moi. Le golem se retourna vers Lianis: - Voici la salle la plus sombre, sylvarie. Puis-je vous… Avant qu’il ne termine sa phrase, la porte s’ouvrit violemment. Le golem fut aspiré aussitôt dans la salle et une bruit d’explosion nous plaqua sur les murs du couloir. La tête du golem, et seule la tête, ressortit et s’écrasa sur le mur à côté de nous, pour chuter au sol dans un bruit métallique. Son dernier mot, dans une voix grésillante et descendante, fut « utiiiiile », et son œil s’éteint à jamais. Je me risquai un coup d’œil à travers la porte. Les ténèbres étaient profondes. Des lignes de lumière mauve se dessinèrent tout à coup sur le sol, s’étendaient, se croisaient, se mêlaient, comme des lignes d’étincelles pétillantes. Elles formaient un entrelac subtil et puissant de courbes et d’harmonies, qui éclairaient la salle d’une lumière violette, une grande salle sans fioriture, d’une cinquantaine de mètres de long, et d’une centaine de mètre de large. Au cœur de ce labyrinthe de lumières et de courbes qui s’estompaient un peu maintenant se dressait une personne, une humaine, entourée de neuf molosses impressionnants. Les mastocs pesaient leur pesant de d’haricots ! Massifs et costauds, leur peau semblait être faite de cristaux violets solides et acérés. Les babines retroussés, ils nous fixaient de leurs yeux rouges en grognant tout en tournant autour de leur maîtresse. Maîtresse qui avait aussi la peau violette comme formée d’écailles de cristaux râpeux, et qui lui déformaient le visage et le corps. Elle leva mécaniquement et lentement son visage vers nous, un sourire déformé par ses difformités : - Entre, ma fille, je t’en prie. Tes amis sont les bienvenus aussi. Seuls ceux qui sont autorisés à pénétrer dans cette salle peuvent y rentrer. Inconsciemment, comme attirée par une force qui m’était familière, j’entrai, sans même prendre conscience du choix de mes compagnons. - C’est bien, ma fille. Comme tu es devenue grande et belle. - Maman ? - Depuis le temps que j’attendais ta venue ma belle. Viens. Viens dans mes bras. Toujours poussée par la même force, je m’approchai d’elle sans vraiment le réaliser. Les molosses s’aplatissaient autour de moi, comme s’agenouillant devant ma présence. - Comme tu m’as manquée ma belle. Plus jamais nous serons séparés maintenant, je te le promets.
  • 13. Ses bras déformés, longs et rachitiques, s’ouvraient pour m’enlacer. Comme hypnotisée, j’avais à la fois le désir d’embrasser ma douce mère, à la fois le désir de m’enfuir à toute jambe. En essayant de reprendre le contrôle de mon corps d’ailleurs, je réalisai très vite que je n’en avais plus le contrôle ! Je me faisais aspirer par ma maman, totalement impuissante. En la voyant maintenant de très près, son visage n’avait plus rien d’humain : les orbites vides, je ne voyais pas ses yeux ! Une bouche difforme d’où brillaient de longues dents acérées, une peau écailleuse qui n’avait rien d’humain. Plus je m’approchais, plus son visage m’effrayait, plus son aura m’écrasait. Soudainement, de part et d’autre je vis Altyon et Agaéti passer à mes côtés et se jeter sur ma mère, arme au poing ! Bon, plus le moment de rigoler. Mère ou pas, ça craignait sévère. Les vies de Lianis et d’Alia étaient en jeu, et même si Alia avait une attitude étrange, je ne serai pas surpris qu’elle soit victime d’un maléfice quelconque. Depuis le temps que je la connaissais, elle n’aurait jamais agi aussi naïvement. Agaéti sortit son espadon en un éclair, qui brilla dans la salle comme un diamant. Il se jeta sur elle, lame en avant, qu’elle para de son avant bras ! Je me glissai derrière elle pour la percer de mes dagues, mais elle avança son bras dans ma direction et je fus projeté une dizaine de mètres en arrière, violemment ! - Sombres idiots ! Comment osez vous vous attaquer à Kralkatorrik ?! La voix stridente de ma mère me fit reprendre mes esprits. Et son contenu plus encore ! Mes compagnons venaient de me sauver la vie en rentrant dans la gueule du loup ! Mère n’avait plus rien d’humain, et qu’est-ce qui serait advenu de moi si j’étais tombée dans ses bras ? Je sortais mes dagues, prête à en découdre. La blesser suffisamment pour l’affaiblir et trouver un remède, je ne voyais plus que ça. J’entendis un des molosses derrière moi se jeter dans mon dos. Pas bien difficile de l’esquiver, j’en profitai même pour lui asséner un coup de dague bien placé dans le ventre. Ma lame ricocha sur sa peau, sans aucune égratignure ! La bête se réceptionna quelques mètres plus loin, et grogna à mon intention. - Repaissez-vous, mes fidèles. Nourrissez-vous de leur sang et de leurs âmes ! Délectez-vous ! Les molosses se mirent tous en position d’attaque. Ca allait chauffer sévère. Purée de purée de purée, monde injuste ! Le toutou qui s’avançait vers moi était deux fois plus gros que moi ! Sale bête pss pss, va t’en ! Je ramassai un reste de bras du golem pour le jeter comme un bâton à son gentil toutou. Le molosse regarda le bras, puis finit par retourner toute son attention sur moi. Flûte, c’aurait été trop simple. Je commençai à courir très très vite dans la salle, le temps d’invoquer les éléments, poursuivi par un maouss costaud qui voyait en moi une magnifique croquette de premier choix.
  • 14. Un des molosses avait décidé de s’intéresser à moi, alors que j’étais restée en retrait pour prendre le temps de m’adresser aux éléments. Grognant dans ma direction, je m’équipai de mon cher bâton, don de Mère, en espérant que les éléments me soient favorables dans un tel milieu. Effectivement, ils étaient présents dans la salle, tous, mais dans un chaos des plus total. Comme si une force étrange les faisaient se mêler et s’entremêler dans une zizanie chaotique. Le molosse se jeta sur moi, très rapidement. J’eus du mal à l’esquiver. Il percuta le mur derrière moi, mais au prix d’une méchante griffure dans mon dos. Rien de grave. Je faisais tournoyer mon bâton pour en appeler au feu. Un tourbillon de flammes prit naissance autour de l’animal et l’enveloppa. Le chien en sortit, totalement indemne ! Je commençais à reculer, inquiète. Derrière moi, la mère d’Alia, devant moi, le chien qui m’obligeait à reculer. Lianis est dans la gueule du chien, merde ! Mais avec les deux autres molosses en face de moi, impossible de l’aider. Un des chiens essaya de me mordre à la jambe, que je levai au dernier moment pour éviter une douloureuse blessure. L’autre essaya de me saisir le bras. Je lui donnai un vigoureux coup de coude dans l’abajoue pour le détourner de son projet. Sa peau était froide. Terriblement froide. Et tellement solide ! Le premier repassa à l’attaque. Je sautai par-dessus lui pour me retrouver dans son dos. D’un coup précis, j’abattais mon arme au niveau de son cou. Elle ricocha sans rien lui faire. Saleté ! Les deux me faisaient face maintenant et je commençai à me retrouver collé au mur. Aux côtés d’Alia, dos à dos, nous repoussions les attaques des molosses tant bien que mal, en se partageant les positions, en travaillant en équipe, en permettant une vision globale de la scène, en assurant nos arrières avec un compagnon de confiance. Les chiens ne parvenaient pas à nous toucher, mais nos coups ne semblaient pas leur porter atteinte. Le chien qui me faisait face avait pris un peu de recul, pour s’élancer à toute allure. D’un coup de coude, je prévins Alia d’esquiver du bon côté. Le chien sauta, gueule ouverte. Je me baissai d’un coup tandis qu’Alia s’était mise de côté et, sous le bestiau, j’assénai un direct du gauche, qui referma sa mâchoire, dans un violent claquement. J’aurais juré avoir entendu des dents se briser. Alia, profitant de la situation, n’eut guère de mal à percer par deux coups bien portés, les yeux de l’animal. Un liquide violet et visqueux sortit des orbites, et le chien hurla à la mort. Il errait dans la salle, totalement perdu. Hors jeu. Un de moins ! Commence à me gonfler les bestiaux ! A claquer des mâchoires comme ça, faut arrêter les conneries ! Je me suis retourné d’un coup pour courir droit sur le mur, poursuivi aussitôt par mes deux adversaires. Avec l’élan, je pris appui sur la paroi, pour me retrouver au dessus de mes ennemis, totalement désemparés. Avec la hauteur que j’avais ainsi gagnée, je me laissai retomber, lame en avant, dans le dos d’un des chiens. Mon poids, l’élan, la
  • 15. volonté, ma lame, tout ça me permit de traverser l’armure de l’animal qui avait maintenant le corps percé de part en part. Cloué au sol. Hors jeu ! Et court et court le petit Splif. Vite une idée mince, j’ai une réputation à tenir ! Par ici le clébard. C’est bien. Viens dire bonjour à tata Yaddle. Mignon toutou. Je déteste les clébards. Une race purement inutile. Une belle fiente dans la création. Je pris l’initiative, à sa surprise, alors qu’il se préparait à se ruer sur moi, c’est moi qui me ruait sur lui. De ce que j’ai vu, les armes n’avaient guère l’air efficace sur ces bestiaux. J’avais rangé mon espadon dans mon dos et me ruait maintenant sur lui, à quatre pattes. Il réagit pareil. Le choc fut brutal. Sa gueule à quelques centimètres de mon visage. Mais j’avais l’avantage niveau poids. J’entraînai le cleps dans mon élan, le tenant solidement par les oreilles. Nous roulâmes sur le sol, essayant de porter chacun le coup fatal à l’autre. Parfois moi au-dessus lui, d’autres fois lui, nous mettions toute notre énergie à avoir l’avantage. Une erreur de sa part. C’est con un cleps, puisque je vous le disais. Je réussis à me trouver dans son dos, les mains toujours agrippées à sa gueule. D’un violent coup de rein, d’une forte poigne et d’un puissant rugissement, je mis toutes mes forces à lui briser le cou. Ce qui se passa d’un coup sec. Crac ! Hors-jeu ! Ils étaient deux maintenant, à me faire reculer impitoyablement dans les griffes de la mère d’Alia. La magie élémentaire n’avait aucun effet sur eux et semblait les distraire plus qu’autre chose. Dans la panique, me vint une idée que j’aurais ne jamais espéré penser. Je pointais mon bâton vers l’un d’eux, et en aspirait à l’élément de l’eau. L’eau est présente dans tout être vivant, même dans ces monstres maudits. J’en appelai à l’élément pour faire ce que l’Arbre nous avait toujours interdit : altérer la vie directement. Me concentrant sur le premier chien, j’aspirai l’eau qui était dans son corps. Il se figea net, et de la vapeur commençait à sortir de son corps. Il finit par déglutir l’eau contenue dans son corps par tous ses pores, naseaux, yeux, oreilles… Il gémissait des glapissements horribles. Il se roulait par terre, souffrant le martyr, se desséchant à vue d’œil. Pour ne plus bouger, enfin, au bout d’interminables agonies. La voix diabolique de la mère d’Alia résonna dans la salle après un rire sadique : - Oh oh, très bien petite sylvarie, très bien. Tu viens de franchir une porte qui t’ouvrira un monde merveilleux. Viens avec moi, mon enfant, accepte la puissance de Kralkatorrik que je t’offrirai. C’est pas vrai ! Mes yeux ne m’avaient pas joué de tours j’en étais sur ! J’en connaissais peu sur les élémentalistes, mais suffisamment pour savoir une chose : ils avaient le droit de
  • 16. manipuler les éléments externes à toute enveloppe, mais aucunement interne, reliés à un être vivant ! Il leur a toujours été interdit d’envisager cette solution, encore moins de l’utiliser ! Merde ! - Jamais ! lui répondis-je d’une voix ferme, mais tellement inquiète à la fois. La mère d’Alia me regarda en fronçant les sourcils, la fureur se lisait sur son visage. Après quelques secondes, elle me répondit d’une voix sinistre : - Tant pis pour toi, sylvarie. Elle tendit son bras dans ma direction, ce qui m’attira d’un coup violemment et irrémédiablement vers elle. Sa poigne glacée m’enserra le cou. Le froid et la mort se répandirent instantanément dans mon corps. L’air me manquait, je suffoquais. Une douleur terrible s’insinuait dans tout mon corps. Lianis ! Portée à bout de bras, comme une simple poupée ! La vie qui s’échappait de son corps était nettement perceptible ! Les veines de son corps devenaient violettes ! Mais quatre chiens nous faisaient un barrage entre nous et leurs maîtresses, impossible de passer. Altyon et moi tentâmes de forcer le passage, mais les chiens étaient déchainés, et c’était courir au suicide que de franchir ce barrage. Mais le temps jouait contre nous, dans quelques secondes, Lianis allait… Dans notre champ de vision, nous vîmes tous passer Splif à quelques mètres de nous, toujours poursuivi par un chien. Splif chuta sur le seul caillou de la salle et trébucha. Il devait y avoir un seul caillou en tout et pour tout ici, et il a réussi à trébucher dessus. Le chien se lança dans son dos et se déchaina sur son sac, l’éventrant avec ses crocs. Toutes les babioles furent projetées dans toutes les directions, lorsque soudain… Une violente sonnerie retentit. A nous déchirer les tympans. Les molosses se figèrent aussitôt. Le plus proche de Splif s’arrêta net, fut parcouru de spasmes, et explosa sous nos yeux ! La mère d’Alia criait au supplice, tenant toujours fermement Lianis, mais totalement déconcentrée. Je me jetai à toute allure sur la machine à temps que, d’un lancer ferme, je jetai au milieu des quatre chiens restants. La machine arriva au milieu d’eux, et la résonance de la sonnerie les fit parcourir de spasmes. Ils explosèrent à leur tour ! - Vous allez me le payer ! rugit la mère d’Alia. Elle pointa son bras valide vers la machine à temps et ferma sa paume. La machine explosa, et le silence se fit. Enfin presque. - Ma machine, ça va pas la tête, il m’a fallu des jours pour la concevoir ! - Pauvres fous ! Illusions que votre victoire ! hurla-t-elle. Elle agita son bras dans la direction de nous tous, de nous tout à l’exception d’Alia, un par un, et nous fûmes enfermés dans des geôles d’énergie violette, incapables de bouger. Lianis continuait de
  • 17. suffoquer au bout de l’autre bras. Son agonie était atroce, et j’avais beau me dechaîner sur ma prison, rien n’y faisait ! - Viens ma fille, ma petite Alia, lions-nous à jamais dans la puissance du dragon. Alia s’avança, hypnotisée ou pas, je ne saurai le dire, vers sa mère. Libre de mes mouvements, constatant que tous mes compagnons étaient paralysés, je n’avais d’autres choix. Implorer sa clémence, quitte à me sacrifier. Cet adversaire, ma mère, la servante de Kralkatorrik, était bien trop fort pour nous. C’était du suicide que de l’affronter. Mais pouvions-nous le savoir ? Et même si nous le savions, aurions-nous fait demi-tour ? J’en doute. - C’est bien. Tu retrouves ta raison. - Mère ? - Tue ton amie, et à jamais tu seras libre. Nous serons de nouveau réunies, mère et fille, pour l’éternité. - Mère… Je ne peux… - Tue-là ! Ou meurs ! Je regardai le visage de ma mère, déformée par les rictus de haine et de pouvoir. Ce n’était pas elle. Je regardai Lianis, au bort de l’autre monde, son cœur battant de moins en moins fort. Elle me regarda en retour. Son visage parcouru de veinules violettes trahissait tant d’émotions. Elle me sourit dans un dernier effort, comme pour m’inciter à prendre le choix de ma mère, en se sacrifiant elle. En espérant sauver les autres. Si j’accepte la proposition de mère, les autres pourront-ils partir en vie ? Les laissera-t-elle partir ? Pire encore… Les laisserai-je partir ? Mère me fixait de ses yeux vides. Plus rien d’humain. A mon grand désespoir… - Mère je suis désolée… Elle hurla de rage ! A ce moment, je sentis l’orbe de l’Onitopie que je m’étais accrochée au cou se réchauffer. Elle émit une faible lueur qui irradia une petite lumière blanche. La lumière brillait sur les écailles de mère qui lui faisait office de peau. Partout. Sauf à un endroit. Au niveau du cœur. A cause de la sonnerie de la machine à temps de Splif peut être, mais une chose est ure : elle n’avait pas de protection à ce niveau. Au quart de tour, pour mes amis, pour Onitopia, au nom de la Vie, je plantai ma dague dans son cœur, dans le cœur de ma mère, celle qui m’a enfantée, celle qui m’a engendrée. Maman. Tout à coup, je chutai au sol, sans réussir à véritablement me réceptionner, tant le souffle me manquait. Je suffoquais, je toussais pour espérer que le souffle me revienne. J’agrippai le
  • 18. sol en me brisant les ongles. L’air revenait dans mes poumons, à mon grand soulagement. Ma vision devenait moins floue. J’essayai de me relever. Alia était à genoux, deux ailes blanches dans le dos, grandes et belles. Sa mère dans ses bras. Le sang coulait a flot sur les bras d’Alia. Le sang de sa maman. La peau violette de l’infortunée commençait à se craqueler, les écailles tombaient en poussière, une à une, révélant tout ce qu’il y a de plus humain dans cette personne. Alia pleurait. C’était mon rêve. Mais ce n’était pas moi dans ses bras. Pourquoi ? Qu’a-t-il bien pu se passer ? M’étais-je projeté dans les rêves de sa mère ? A-t-on changé l’avenir ? Était-ce vraiment important ? Alia venait de tuer sa maman, qui mourrait maintenant dans ses bras. Elle avait l’air… si paisible. Je pleurais à en brouiller ma vue. Je tenais maman dans mes bras, dont le souffle se faisait de plus en plus faible. Sa main m’effleura les yeux, pour m’essuyer mes larmes. - Ma fille, ma petite Alia, je suis si heureuse de te revoir. - Mère, je t’en prie… Je suis désolée… - Il ne faut pas. Tu m’as délivrée… Tu as fait preuve d’un grand courage. Je suis si fière de toi. - Je ne voulais pas… - Mais tu as bien fait… Comme tu es belle. Je suis si heureuse… Maman fut prise d’une violente quinte de toux, crachant du sang par la bouche. Il lui restait si peu à vivre. Son visage avait retrouvé tout ce qu’il y a de plus humain, et était si magnifique. De fines rides ornaient délicatement son visage, sa bouche fine blanchissait à vue d’œil, ses yeux brillaient de mille étoiles, de milles sagesses. - Maman. Pourquoi… ? - Le temps me manque… Mon amour… Essaye… Essaye de retrouver ta sœur. - Ma sœur ? Une nouvelle quinte de toux crispa maman dans une douleur terrible, elle s’agrippait à moi avec ses dernière forces. - Elle est… Très fragile… Elle a… Besoin de toi… - Où est-elle ? Qui est-ce ? Dis-le moi je t’en prie. - Mais tu la connais déjà mon amour. Elle est… Tout près de toi… Alors que ses yeux se figeaient et que son souffle s’éteignait, les derniers mots de maman me figèrent et me glacèrent jusqu’à l’échine. - Elle s’appelle maintenant… Pan… d’Orr. Elle… Elle a besoin… de toi… ma petite… fille…
  • 19. Tout se bousculait dans ma tête. Le dernier souffle de mère se posa sur mes joues. La vie venait de la quitter. Sa tête se fit lourde. Je sanglotais silencieusement, combien de temps, je ne saurai le dire. Des minutes, des heures. Je m’en foutais royalement ! Nous ne pouvions assister, qu’impuissant, au terrible spectacle qui s’offrait à nous. Jamais victoire n’eût un goût aussi amer et, malgré la révélation, tous nous gardâmes le silence, et le garderons tant qu’Alia n’en aurait pas décidé autrement. Nous nous assîmes autour du corps de sa mère et partageâmes la prière d’Alia adressée aux six dieux humains. Pan d’Orr… Sa sœur ? Cette grognasse, sa sœur ? Ma machine à temps, purée ! Mais… Mais pauvre petite Alia, ça doit être dur. Et l’autre brutasse, sa sœur ? C’est quoi cette famille de malade ? Je crois que les choses vont de mal en pis. Lianis venait d’effleurer le cauchemar et avait ouvert une porte qu’il était sage de garder sceller. Alia venait de perdre sa mère. Et cette révélation sur Pan d’Orr… Je ne sais pas pourquoi, mais je le sentaiss pas. Une victoire certes, l’annonciatrice d’une guerre ? Allez savoir ? Mais… Mais dans ces ténèbres qui nous entouraient il y avait eu une petite lumière. Une petite lumière : celle de l’amitié, celle de l’amour, celle du sacrifice. Celle de l’espoir. La force de convictions. Où la fille n’a pas hésité a tuer sa mère pour protéger cette petite lumière tellement significative. Au nom de quoi ? Au nom d’Onitopia je crois. Cette lumière a un nom oui, Onitopia, cette lumière a un sens, elle nous lie tous dans les liens de la guilde, pour protéger ces valeurs si précieuses. Nous nous mîmes en marche à la fin de la prière. La fille portait sa mère pour lui offrir une sépulture décente. Sans un mot. En fermant la porte de la salle derrière moi, je vis à ma grande surprise les ligne d’étincelles reprendre leur ballet à fleur de sol, s’entremêlant et s’enlaçant dans des formes harmonieuses et blanches cette fois-ci. Qu’est-ce donc que ce lieu ? Malheureusement, il était temps de partir, et de laisser cette énigme derrière moi.
  • 20. Dorénavant, je savais pleinement ce qu’Onitopia signifiait pour moi. Ce n’était pas qu’un simple emblème, ce n’était pas qu’une simple fédération d’âmes, c’était un choix. Un choix de valeur à protéger. Ca me convenait parfaitement. Le désert enfin nous apparut, où Alia prit le temps d’offrir une sépulture décente à sa maman. Splouf était revenue des entrailles de Rata Louran, sans avoir eu l’occasion de retrouver le groupe disparu malheureusement. Quelques-uns de ses proches étaient blessés. Il était temps de partir. Derrière nous, un oiseau blanc se posa sur la tombe de la maman d’Alia. L’aéronef prit son envol. Le désert en contrebas était calme. Vu d’en haut, c’était un océan de sable qui noyait des vestiges et des drames silencieux. La crête que j’avais observée le premier soir traversait l’étendue comme une gigantesque échine d’un animal gigantesque. Mais était-ce le fruit de mon imagination ? Je jurerai qu’elle n’est pas au même endroit que lorsque nous arrivâmes il y a trois jours. Qu’elle s’était déplacée de quelques mètres, qu’elle n’était pas tout à fait la même. Qu’est-ce que cela voulait dire ? L’aéronef filait à toute allure, et jamais je ne saurai si mes impressions étaient fondées ou pas. Cette pierre était vivante !