Qui sont les leaders d’opinion ? Quelles sont leurs caractéristiques distinctives ? Quel est
leur processus de fonctionnement ? Telles sont les questions clés qui animent notre recherche et posent les bases de notre problématique.
Identification des leaders d'opinion dans une communauté sociale et compréhension de leur mode de fonctionnement
1. Université Paris I Panthéon Sorbonne
Master de Recherche Marketing et Stratégie
Identification de leaders d’opinion
dans une communauté sociale
et
compréhension de leur mode de fonctionnement.
Contribution à l’éclairage du concept de leader d’opinion
Mémoire de Recherche présenté et soutenu par
Sandrine Fdida
Sous la direction de
Gollety Mathilde, Maître de Conférence
et Steyer Alexandre, Professeur,
à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne
2. Master 2 Recherche Marketing et Stratégie 2005/2006 -
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Remerciements
Je tiens à remercier Mathilde Gollety et Alexandre Steyer pour le temps et l’attention
qu’ils m’ont consacrés et leurs conseils et retour d’expérience sur le processus du travail
de recherche.
Par ailleurs, je souhaite exprimer ma gratitude à l’équipe pédagogique, sans qui ce travail
n’aurait pu se faire et en particulier Alice Le Flanchec, Corentin Curchod et Arnaud
Pellisier-Tanon pour sa persévérance à animer des réunions de travail, sa gentillesse et sa
disponibilité.
Parmi les collègues d’étude avec lesquels j’ai pu échanger, je remercie particulièrement
Lionel Le Nignol avec lequel nous avons pu allier rigueur de travail et échanges
humoristiques.
J’adresse aussi ici ma profonde reconnaissance à Patrick Bertrand qui m’a ouvert les portes
de sa structure et a joué un rôle moteur dans ma démarche ainsi qu’aux personnes que j’ai
pu rencontrer, avec lesquels les échanges ont pu être ouverts et riches.
Enfin, un grand merci à Nicole Fdida et Peggy Hinthal pour leur aide.
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Résumé
Ce mémoire s’intéresse aux leaders d’opinion dans une communauté sociale donnée.
L’objectif est d’identifier qui sont les leaders d’opinion et de comprendre leur modes de
fonctionnement dans un processus de bouche à oreille. La remise en cause de la validité du
construit du concept amène à adopter une démarche exploratoire et à imaginer de
nouvelles méthodes d’identification.
Au final, notre analyse révèle des caractéristiques personnelles et sociales ainsi que des
comportements spécifiques aux leaders d’opinion. Par ailleurs, si la réflexion sur les
méthodes est à pousser plus avant, notre travail d’exploitation du carré sémiotique d’une
façon nouvelle permet de donner une vision dynamique et systémique des actions
individuelles.
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Sommaire
Positionnement épistémologique ……………………………………………………….……………………………p 5
Introduction générale ……………………………………………………………………………………………………….p 8
Chapitre 1 : revue de littérature
I – Etat de l’art des théories sur le leader d’opinion ……………………………………………………….p 11
1. Les éléments fondateurs théoriques sur les leaders d’opinion ………………………… p 11
a. Les modèles de référence
b. Le cadre théorique du concept
c. Le concept de leader d’opinion et les concepts proches
d. Les outils d’identification et de mesure
2. Du concept fondateur à sa remise en cause actuelle …………………………………………….p 21
a. Peut-on parler d’une définition du concept de leader d’opinion ?
b. Les évolutions du concept dans le temps
c. Les points critiques
d. Les dernières recherches
II – Apports théoriques complémentaires à notre sujet d’étude ………………………………….. p 30
3. L’apport des théories sur les réseaux sociaux ……………………………………………………….P 30
a. Les points clés et les notions de centralité et pouvoir
b. La conception de capital social et les liens avec les leaders d’opinion
c. Les contributions théoriques retenues
4. L’apport des théories en marketing expérientiel et tribal ……………………………………p 39
a. Le marketing expérientiel et ses apports
b. Le marketing tribal et ses apports
5. L’apport des théories sur le bouche à oreille et marketing viral ………………………..p 42
a. Les principes du bouche à oreille retenus
b. Eléments clés du marketing viral intégrés
Chapitre 2 : mise en œuvre de la recherche
I – Objet et problématique de recherche …………………………………….…………………………………..p 48
II - Choix d’une stratégie d’accès au réel : l’étude de cas ……………………………………………..p 49
1. Une démarche exploratoire …………………………………………………………………………………..p 49
2. Justification d’une étude de cas ……………………………………………………………………………p 50
3. La sélection du cas …………………………………………………………………………………………………p 50
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III – Instruments de mesure et choix des méthodes d’analyse ………………………………………p 53
4. La définition des instruments et protocoles ……………………………………………………….p 53
5. Les étapes et méthodes d’analyse ……………………………………………………………….…….p 56
Chapitre 3 : résultats de la recherche
I - Les résultats de l’analyse quantitative ………………………………………………………………………p 61
1. Le tri et le classement des répondants ……………………………………………………………….p 61
2. L’identification de variables distinctives …………………………………………………………….p 64
3. Les tests statistiques des variables ……………………………………………………………………..p 67
II – Les résultats de l’analyse sémiotique …………………………………………………………………….….p 71
4. Les questions de départ ……………………………………………………………………………………..…p 71
5. Analyse interindividuelle : identification de typologies de comportement ? …....p 72
III – Les résultats de l’analyse de contenu ………………………………………………………………….…..p 76
6. Classification ………………………………………………………………………………………………………….p 77
7. Identification des caractéristiques distinctives des leaders d’opinion …………………p 80
8. Les autres caractéristiques …………………………………………………………………………………..p 86
9. Identification de corrélations ou combinaisons de variables ………………………………..p 86
10.Proposition d’un schéma conceptuel de leader d’opinion …………………………………….p 86
Chapitre 4 : discussion, apports et limites
I – Discussion et mise en perspectives des résultats ………………………………………………………..p 91
1. L’impact du contexte ……………………………………………………………………………………………..p 91
2. La méthode d’identification …………………………………………………………………………………..p 92
3. Comprendre qui sont les leaders d’opinion ….……………………………………………………….p 94
4. Appréhender leur mode de fonctionnement …………………………………………………………p 97
II – Apports et limites de cette recherche ……………………………………………………………………….p 99
5. Les implications théoriques de notre recherche …………………………………………………..p 99
6. Les implications managériales …………………………………………………………………………….p 100
7. Les limites et les questions de validité et fiabilité ……………………………………………..p 101
8. Les perspectives de recherche …………………………………………………………………………….p 104
Conclusion Générale ……………………………………………………………………………………………………..p 106
Bibliographie …………………….……………………………………………………………………………………………p 108
Annexes …………………………….……………………………………………………………………………………………p 112
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Positionnement Epistémologique
Comme de nombreuses actions humaines, la démarche de recherche est liée à la manière
dont le chercheur pense et envisage le monde dans lequel il vit et sa manière de
l’appréhender. Bien que néophyte sur le sujet, il nous a semblé important de donner notre
positionnement épistémologique sur ce travail de recherche.
Suivant la démarche de Thiétard (2003), nous énoncerons notre positionnement en trois
étapes :
- en indiquant notre vision de la réalité, de « la nature de la connaissance produite »
- en mettant en valeur quel est « le chemin de la connaissance » que nous avons
emprunté
- en synthétisant les critères de validité de la connaissance produite en fonction de la
démarche empruntée
La prise de conscience de ce positionnement s’est faite pendant le travail de recherche, en
prenant du recul durant le chemin parcouru, de manière « naturelle ».
En référence au cours d’Alice Le Flanchec sur l’épistémologie, les positivistes classiques,
suivant les voies de Comte et de Durkheim, pensent que le réel est extérieur, déterminé,
qu’il est « câblé » et qu’il est donc possible de découvrir des lois et règles qui le
gouvernent, qu’il répond à un principe de causalité, sous-jacent à tout phénomène, et à un
principe de réductionnisme offrant la possibilité de décomposer un phénomène en objets
simples expliquant le tout.
A l’inverse, et plus proche de notre choix, les interprétativistes et constructivistes
envisagent la « réalité », le monde qui nous entoure, comme le fruit de nos
représentations. La réalité n’a pas de sens en soi, sinon à travers les yeux des acteurs. Sa
compréhension sera alors « subjective et contextualisée » (Thiétard, 2003).
Ainsi, selon ce point de vue les leaders d’opinion n’auraient pas une réalité universelle, et
intemporelle mais ils existeraient dans un monde donné, en se définissant d’une certaine
manière à un moment donné. Ainsi comment imaginer qu’ils agissent et se définissent de la
même manière entre les années 50, où le concept est apparu, où les sociétés occidentales
en reconstruction après guerre, étaient portées par le mythe du Progrès et de la
Modernité, où chacun voulait suivre et ressembler aux élites dans un élan de mimétisme
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hiérarchique (De Vulpian, 1999), et aujourd’hui où le rejet des élites et des grandes
institutions est de mise ? Ainsi non seulement la réalité évolue dans le temps mais elle
prend sens, selon nous, à travers le vécu et l’interprétation des acteurs en présence.
Comment cheminer dans la voie de la connaissance ?
Quel choix est le nôtre entre celui de « découvrir les mécanismes qui conditionnent la
réalité » et rendre compte d’une chaîne de causes à effets entre des évènements
(Thiétard, 2003) ou bien celui de comprendre le sens que les acteurs donnent à cette
réalité ? Nous opterons pour la seconde vision, plus proche des démarches
interprétativistes et constructivistes. Notre objectif sera donc plus de décortiquer les
motivations, les attentes liées aux comportements plutôt que de rendre compte de faits.
Ces derniers seront des prétextes pour comprendre une pratique plus que le sujet central
de notre recherche. De plus, nous nous attacherons à rendre compte de cette pratique par
rapport à la finalité de notre recherche, focalisant notre attention et celle de nos
interlocuteurs sur certains points, participant par là à une prise de conscience commune et
ensuite, par un processus itératif, à la construction d’une connaissance, comme l’évoquent
les constructivistes.
Maintenant, s’agit-il de comprendre cette réalité sous un angle holistique et donc de
privilégier une vision collective où « l’individu serait dissous dans le groupe » (Birnbaum &
Leca, 1991) ou bien, suivant l’individualisme méthodologique de Weber, s’agit-il de se
focaliser sur l’individu pour identifier ses motivations et mieux comprendre son
comportement et le sens de son action ?
Si, dans la revue de littérature comme dans la phase empirique, nous nourrissons notre
réflexion d’une vision macro - sociale, c’est bien à partir de l’individu que celle-ci
s’organise. Comme l’évoquent Birnbaum et Leca, « il est indispensable de reconstruire les
motivations des individus concernés par le phénomène en question, et d’appréhender ce
phénomène comme le résultat de l’agrégation des comportements individuels dictés par
des motivations », et non l’inverse. Pour comprendre les comportements, suivant là aussi
l’approche Weberienne, nous tenterons d’identifier les valeurs individuelles, de
comprendre les prises de conscience mais aussi les finalités et rationalités sous-jacentes
des actes.
Ainsi, nous nous focaliserons sur l’individu pour comprendre son comportement et le sens
qu’il donne à ses actes, tout en ayant conscience de l’existence d’une interaction ayant
pour lien commun l’objet de notre étude.
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Enfin, concernant l’évaluation qualitative de notre recherche, en terme de validité et de
fiabilité, nous n’adopterons pas le courant de certains constructivistes qui, à l’image de
Mucchielli, souhaitent développer des méthodes spécifiques telles que l’acceptation
interne du chercheur par les acteurs de la recherche ou la complétude qui regroupe la
qualité des résultats de la recherche et la manière dont ils sont présentés. Nous nous
rapprocherons de la posture évoquée par Mmes Le Flanchec et Gollety d’utiliser les mêmes
critères d’évaluation sur une approche qualitative que sur une approche quantitative,
mêmes si ceux-ci seront évalués via des outils différents et suivant une logique différente.
Ainsi le principe de triangulation, le principe de saturation, la chaîne d’évidence selon Yin
(1994) ou les documents de suivi font partie des préoccupations qui ont encadré notre
démarche et des critères sur lesquels nous justifieront la qualité scientifique de notre
recherche. Ces éléments seront plus largement évoqués dans la présentation de la
méthode de recherche et dans la discussion de nos résultats.
Ainsi, nous avons conscience que ce positionnement a des implications sur notre recherche
et qu’il nous orientera moins vers la construction d’un modèle causal simplifié que vers
l’identification de repères nous permettant de mieux cerner le vécu des acteurs dans le
but d’avoir des leviers sur lesquels agir pour construire ou participer à la construction du
phénomène social qui nous intéresse.
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Introduction générale
Mass média contre bouche à oreille ?
La guerre des canaux est lancée depuis quelques années parmi les professionnels du
marketing et de la communication pour savoir lequel est le plus efficace.
Selon une récente étude réalisée par Ipsos(1)
si la découverte des produits et des marques
se fait toujours via la publicité media, son influence sur la décision d’achat a largement
diminué au profit du bouche à oreille. Un ratio « influence/exposition » révèle ainsi un
chiffre de l’ordre de 25 pour la publicité et de 89 pour le bouche à oreille. Ainsi le bouche
à oreille est devenu un vecteur privilégié d’influence dans la recherche d’information et la
prise de décision en matière d’achat et de consommation.
Mais les acteurs du bouche à oreille sont-ils tous égaux ?
La recherche en marketing a depuis longtemps révélé l’existence de leaders d’opinion
capables d’exercer une influence sur les choix de consommation (Katz et Lazerfeld, 1955).
Si, au début, les leaders d’opinion étaient surtout considérés comme des médiateurs entre
les mass media et les consommateurs, leur positionnement a changé au fil des années :
autant exposés aux mass media que les autres, ils ne sont plus à l’interface mais
s’inscrivent comme des consommateurs particuliers parmi les autres (Richins & Root-
Schaffer, 1988).
Ce sont surtout leur capacité à communiquer, à échanger et leur capacité d’influence qui
les ont distingués et ont constitué le socle du construit du concept (Childers, 1986 ; Ben
Miled &Le louarn, 1994) .
Or, les dernières recherches ont remis en cause la validité du construit et par là - même
les outils d’identification jusque là exploités (Vernette, 2006).
Notes
(1) Etude "Jeunes Attitudes" d’Ipsos réalisée pour le compte du portail Internet Lycos. Conduite auprès d'un
échantillon de 2.029 personnes âgées de 15 à 30 ans en octobre 2005, publiée le 3 fev. 06
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Comment dès lors aborder un concept vieux de plus de 50 ans aujourd’hui remis en
cause dans ses composantes conceptuelles ?
Nous avons choisi d’adopter une démarche qui combine exploration et validation de
connaissances antérieures dans un objectif de compréhension.
Qui sont les leaders d’opinion ? Quelles sont leurs caractéristiques distinctives ? Quel est
leur processus de fonctionnement ? Telles sont les questions clés qui animent notre
recherche et posent les bases de notre problématique.
Pour investiguer ce sujet, il est important de couvrir la littérature sur le concept de leader
d’opinion, bien sûr. Mais pas seulement.
Pour élargir le champ des possibles et s’inscrire dans une démarche de découverte, il est
essentiel d’aborder d’autres théories qui ont un lien avec notre thème de recherche : les
théories des réseaux sociaux, le marketing expérientiel et le marketing tribal, les théories
du bouche à oreille et du marketing viral. Chacune, à leur niveau apporte une contribution
à l’éclairage du sujet : les théories sur les réseaux sociaux offrent une vision de
l’environnement social et des liens entre individus adoptant ainsi une perspective macro –
sociale du sujet ; les marketing expérientiel et tribal se focalisent sur l’individu, son vécu
et ses valeurs ; le bouche à oreille et le buzz marketing mettent en relief les relations de
communication entre des consommateurs soit par voie orale, soit par voie écrite via
internet notamment.
Après cette revue de littérature qui constituera la première partie de notre étude, nous
aborderons la mise en oeuvre de notre recherche avec, en particulier, la présentation de
notre étude de cas et l’exploitation de plusieurs méthodes d’accès au réel et d’analyse. Là
aussi, la volonté est d’élargir le champ des possibles pour capter une richesse
d’information qui soit de nature à nourrir notre réflexion.
Dans la troisième partie nous exposerons les résultats de nos recherches pour chaque
méthodologie. Les analyses quantitatives et qualitatives permettront de discerner les
caractéristiques clés qui distinguent les leaders d’opinion et l’analyse par le carré
sémiotique permettra de mettre en valeur un mode de comportement et d’analyser ses
composantes et sa dynamique.
Enfin, nous achèverons cette étude par une discussion et la mise en avant des apports et
limites de notre travail ainsi que l’esquisse de perspectives de recherche.
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Chapitre 1 : revue de
littérature
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I – Etat de l’art des théories sur le leader d’opinion
1. Les éléments fondateurs de la théorie sur les leaders d’opinion
Les modèles de référence
Le concept de leader d’opinion, né en 1949 en communication politique, a mis en valeur le
rôle de certains individus particulièrement influents sur l’orientation des votes politiques
de ceux avec lesquels ils sont en contact.
Ce concept a été rapidement exploité au niveau marketing puisqu’il permettait d’identifier
un vecteur d’influence sur les attitudes et comportements des individus, donc des
consommateurs. Ainsi dès 1955, Katz et Lazerfeld ont développé des recherches sur ce
thème et donné une définition du leader d’opinion : « une personne qui, à travers des
contacts quotidiens avec son entourage, influence de manière régulière, l’opinion et la
décision des gens dans quelques domaines particuliers ».
De plus, ils ont établi un modèle devenu depuis une référence, le modèle « two step
flow » :
Ce modèle met en exergue deux éléments clés :
- la position privilégiée du leader d’opinion par rapport aux médias : plus largement
exposé aux médias, qui nourrissent ses connaissances, le leader d’opinion développe ainsi
une expertise qui lui permet de pouvoir jouer un rôle clé dans la recherche d’information
et l’influence des autres.
- la position dominante du leader par rapport aux autres consommateurs : la
communication se fait dans un seul sens, du leader vers les autres. L’influence est donc
univoque.
Media Consommateurs
Message
publicitaire
Filtrage
Leader
d’opinion
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De nombreuses recherches ont été développées à partir de ce modèle qui offrait en
particulier l’intérêt marketing d’identifier les leaders d’opinion comme cible media
privilégiée. Ainsi Vernette a réalisé une étude en 2004 sur les rapports entre les leaders
d’opinion et les médias : après identification des leaders d’opinion dans 27 catégories de
produits et services il a étudié leur consommation des medias presses magazines,
quotidiens, radio et télévision et a fait de même, via une seconde étude pour le média
internet. Ces études ont montré que le profil de consommation des leaders est
sensiblement différent de celui des non - leaders : si la radio et la télévision ne sont pas
des medias distinctifs, c’est la presse magazine qui différencie les scores d’affinité entre
leaders et non - leaders. D’autre part, même si internet ne ressort pas comme un media
privilégié, les sites de marques sont particulièrement visités par les leaders. Enfin, une
dernière analyse permet de mettre en relief la relation entre consommation de medias et
étendue du leadership sur plusieurs catégories de produits.
Cette étude permet de mettre en valeur l’intérêt de bâtir un plan media spécifique aux
leaders d’opinion pour démultiplier l’audience, en s’appuyant sur la tendance du leader à
parler des produits autour de soi, et renforcer la persuasion du message, puisque ses avis
seraient reconnus comme qualifiés et ses conseils suivis.
Ainsi de nombreuses études se sont focalisées sur le lien entre les medias et les leaders
d’opinion pour exploiter le rôle d’intermédiation de ces derniers.
Après le modèle « two step flow », un autre modèle « le modèle des interactions
multiples » a fait son apparition, développé par Richins et Root-Shaffer en 1988 et se
définit comme suit :
Les leaders d’opinion restent une cible médiatique, mais ils le sont autant que les autres
consommateurs, considérés comme autant exposés. L’intérêt de ce modèle est de mettre
en avant une communication à double sens, et non plus univoque, entre les leaders et les
autres consommateurs permettant de mettre en valeur un échange d’information entre ces
Media
Emetteur
Message
publicitaire
Leader
d’opinion
Consommateurs
visés
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derniers. L’impact direct du message publicitaire se trouve alors renforcé par l’influence
des leaders sur la cible visée.
Ainsi ce modèle ouvre des opportunités de communication intéressantes pour les marques
dont le discours publicitaire peut être source de méfiance pour les consommateurs mais
qui, construit pour et porté par des leaders d’opinion peut acquérir plus de crédit.
Cependant, nous y voyons deux inconvénients : celui de positionner les leaders d’opinion
par rapport aux medias, donc dans un rôle limité de renfort d’une communication
médiatique et, sous un angle méthodologique, celui d’exploiter un mode d’identification
des leaders d’opinion non pertinent car depuis peu remis en cause, comme nous le verrons
plus loin.
Le cadre théorique du concept
Au delà des recherches sur la position et l’impact du leader d’opinion sur les autres
consommateurs, de nombreux chercheurs ont aussi travaillé à qualifier les caractéristiques
individuelles des leaders d’opinion et à saisir leur mode de fonctionnement.
Ces analyses ont permis d’élaborer un cadre théorique du concept de leader d’opinion en
incluant des antécédents, des caractéristiques déterminantes, des dimensions permettant
la mesure de l’action et des conséquences.
A ce jour aucun consensus général n’existe sur ce cadre théorique qui reste encore ouvert
aux recherches. L’une des problématiques majeures réside dans l’universalité du concept :
un leader d’opinion l’est-il de manière universelle, quelque soit les produits, les cultures,
les époques ? Au fil des études, il apparaît que ce concept n’est pas universel et que
certaines caractéristiques peuvent être liées à la catégorie de produits.
Ceci dit, même si l’universalité n’est pas de mise, il nous apparaît important de continuer
à travailler sur un schéma théorique afin d’avoir un cadre de référence, qui pourra être
modulé, dans ses résultats, en fonction du terrain. Comme certaines études stratégiques
définissent un « framework » intégrant tous les éléments à analyser face à un problème
donné, nous entendons ce cadre théorique dans ce même sens : il sert moins à donner une
vision précise d’une réalité qu’à donner des repères d’analyse pour comprendre un terrain
et y adapter l’analyse.
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Nous proposons ci-dessous une synthèse du cadre théorique avec les auteurs référents:
Déterminants Eléments Auteurs
Traits de personnalité Personnalité et expertise ; forte
personnalité (charisme)
Traits de caractère :volonté
différenciation, individuation,
ouverture d’esprit, curiosité
Capacité à innover, créativité
Confiance et estime de soi
Extraversion
Caractère consciencieux
Empathie
Noelle-Neumann (1987);
Weimannn (1991, 1994) ;
Chan & Misra (1990) (1991)
Gatignon & Robertson (1985); Chan & Misra
(1990)
Myers & Roberston (1972) ; Summers (1970)
Childers (1986) ; Gatignon & Robertson
(1985)
Goldsmith & Desbordes (1991)
Judge & al (2002) cités par Vernette (2006)
Frentinos (1996), Kobe & al (2001) cités par
Vernette (2006) ; Vernette (2006)
Caractéristiques sociales Position dans les réseaux sociaux
avec visibilité sociale
Variables socio démographiques
(âge, position sociale, profession)
Aisance relationnelle et activité
sociale plus fortes
Typologies de liens
Gatignon & Robertson(1985) Reingen &
Kernan (1986) ; Valente (1996) ; Burt
(1999)
Gatignon & Robertson (1985) ; Midgley &
Dowling (1978) ; Robertson, Zielinski and
Ward (1984) ; Rogers (1983) ; Sempé (2000)
Beltrandias (2003)
Summers (1970) ; Engel J.E, Blackweell R.D
et Miniard P.W (1995) cités par Vernette
(2004)
Granovetter (1973)
Autres caractéristiques Expertise, familiarité, connaissances
objectives et subjectives
Jacoby et Hoyer (1981) ; Price et feick
(1984) ; Leonard-Barton (1985) ; Assaël
(1987) (19Venkatraman (1990) ; Gilly et al
(1998) ; Theng et Lau (1999)
Crédibilité Vernette (2006)
Désintérêt Vernette (2006)
Implication Venkatraman (1990), Vernette (2006)
Dimensions du Concept
Unidimensionnel Capacité d’influence Reynolds & Wells (1977) ; Flynn & alii
(1996) ; Goldsmith&De Witt (2003)
Echange d’information King & Summers (1970) ; Engel & alii
(1995) ; Gilly&alii (1998) ; Gatignon &
Robertson (1985) Gatignon & Robertson
(1985)
Bidimensionnel Capacité d’influence + échange
d’info
Ben Miled&Le louarn (1994) ;
Mowen(1995) ; Sheth&alii(1999)
Conséquences
Capacité à influencer les opinions,
attitudes, décisions et
comportements des autres
Katz & Lazarfeld (1955) ; Reynolds & Wells
(1977) ; Ben Miled & Le Louarn (1994) ;
Flynn, Reinecke, Goldsmith & Eastman
(1996) ; Beltrandias (2003) ; Vernette
(2004)
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Quelques explications nous paraissent nécessaires pour mieux comprendre certains
éléments :
L’implication par rapport à la famille de produits/services, sous-entend une
capacité et une motivation à échanger des points de vue sur celui-ci. Parce que je suis
impliqué, j’ai plutôt tendance à discuter sur le sujet qui m’intéresse. Par ailleurs, si le rôle
du leader ne se limite pas à l’échange d’informations, il est capable de rendre plus
compréhensible l’exploitation du produit et donc de réduire l’effort cognitif nécessaire à
son utilisation, sa consommation. C’est cette aide en terme de connaissances et
compétences, et donc aussi son expertise, qui lui permet d’avoir une influence sur autrui.
Caractéristiques socio - démographiques : si certains auteurs ont pu mettre en
avant un niveau d’éducation plus élevé, des revenus plus élevés, une mobilité sociale plus
forte et un âge plus jeune, la majorité s’entendent pour dire aujourd’hui que ces
caractéristiques sont surtout liés à la catégorie de produit.
Parmi les traits de personnalité, on peut en ressortir deux, plus délicats à
comprendre et spécifiques au concept : l’individuation et la personnalité forte.
L’individuation est comprise comme un état où la personne se sent différente des autres et
choisit d’agir différemment. Chan et Misra (1990, 1991) ont pu montrer qu’il existait un
lien significatif de l’individuation avec le concept de leader d’opinion, en relation avec
l’implication personnelle et la familiarité au produit donc l’individuation ne permet pas à
elle seule d’identifier les leaders d’opinion, pas plus que les deux autres variables citées
ci-dessus prises isolément. Cependant, l’ensemble des trois variables permet une plus juste
identification des leaders d’opinion. Ainsi en terme d’implication, les auteurs suggèrent de
prendre, parmi les lecteurs d’une revue, ceux qui présentent un degré élevé
d’individuation et d’identifier les classes de produit avec lesquels ils sont les plus familiers
et impliqués. Parmi les limites retenues par les auteurs, celle sur la catégorie de
consommation ostentatoire vs privée nous paraît particulièrement pertinente.
La « personnalité forte » est une notion qui provient d’une échelle de mesure développée
en Allemagne, qui met en avant le charisme présenté comme la capacité à diffuser de la
force et de l’énergie (en opposition au fait d’apparaître ennuyeux), la capacité à donner
l’impression d’être un modèle pour les autres, la confiance en soi. Dix items sont ainsi
proposés aux personnes qui s’auto - évaluent. Weimann (1991, 1994) a exploité cette
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échelle sur deux populations, en particulier dans un kibboutz israélien, où il a en même
temps développé une analyse sociométrique de ce réseau social et de la position de
chacun. Son étude a validé l’échelle de force comme un outil permettant d’identifier les
personnes les plus actives en terme de communication et les plus influentes. Elle a permis
de montrer un lien entre les traits de personnalité et des caractéristiques sociales, avec en
particulier une corrélation forte entre l’activité de communication et la centralité dans le
réseau.
L’analyse des dimensions du construit met en valeur une double approche, soit
unidimensionnelle, soit bi - dimensionnelle.
Les approches unidimensionnelles : sont mises en avant soit la dimension
« échange, communication interpersonnelle » (Engel, 1995 ; Gatignon et Roberston, 1985)
soit la dimension « capacité d’influence » (Reynolds et Wells, 1977 ; Flynn et alli 1996).
L’approche bi - dimensionnelle mêle ces deux dimensions. C’est généralement
cette dernière approche qui est privilégiée dans les dernières recherches sur le concept.
19. Master 2 Recherche Marketing et Stratégie 2005/2006 -
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Le concept de leader d’opinion et les concepts proches
Pour éclairer davantage ce concept de leader d’opinion, il nous paraît utile de le comparer
à des concepts proches tels que les concepts de « market marven », « gate keeper »,
« référent », « lead user », « early adopteur ».
Le tableau ci-dessous synthétise la définition de chaque concept avec les auteurs de
référence :
Concept Définition Auteurs
Market Marven « Un individu qui détient des informations sur tous les
produits, lieux d’achats et autres éléments concernant
les marchés, qui initie les discussions avec les
consommateurs et répond à leur demande »
Feick et Price (1987)
Gate keeper ou
portier
« Individu qui introduit ou freine le changement à
l’intérieur du groupe » : « il a la capacité de décider si
les autres membres du groupe reçoivent ou pas
l’information »
Vernette (2004)
Aassel (1983)
Référent « Concept valise regroupant un individu ou un groupe
d’individus ayant comme caractéristique commune
l’exercice d’une influence significative sur les attitudes
et comportements »
Groupes de référence
Beltrandias (2003)
Stafford (1966) ;
Bringberg et Plimpton
(1986) ; Grimm et al
(1999)
Lead User « Utilisateur qui, dans un domaine donné, développe une
expertise à partir de besoins insatisfaits, imagine,
conçoit et développe de nouveaux produits et services
espérant obtenir un grand bénéfice d’usage ».
Von Hippel (1978) ;
Gollety et Bêcheur
(2000)
Early adopter,
adopteur précoce
Les premiers adopteurs d’un produit Rogers et Schoemaker
(1971)
En quoi ces concepts sont-ils différents du concept de leader d’opinion ?
Le market marven n’est pas limité en terme de sphère d’influence, il intervient
sur tous les produits, alors que cette dimension sur le leader d’opinion est loin d’être
validée ; le champ d’action du market marven est limité à la recherche d’information alors
que le leader d’opinion est supposé avoir une influence au niveau de la prise de décision ;
enfin le pouvoir du market marven est circonscrit autour de sa capacité à avoir et donner
de l’information alors que le concept de leader d’opinion sous-tend un pouvoir d’influence.
Le gate keeper est conscient de son pouvoir et en joue : il donne ou pas
l’information, introduit ou pas un changement dans un groupe donné alors que le leader
d’opinion est plutôt défini comme un acteur désintéressé ; par ailleurs le contexte
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placerait le gate keeper en relation avec un groupe alors que le leader d’opinion peut être
étudié dans une dyade.
Le référent est un concept global pouvant englober le concept de leader d’opinion
comme celui de gate keeper.
Le lead-user est un concept situé dans un contexte d’innovation alors que celui du
leader d’opinion est plus large et il se caractérise par sa capacité à produire des idées
nouvelles, mettre en œuvre des réalisations nouvelles. Un lead-user est souvent leader
d’opinion concernant ses propres innovations alors que l’inverse n’est pas forcément vrai.
Même si certaines recherches ont pu mettre en avant la créativité ou la capacité à innover
du leader d’opinion (Summers, 1970 ; Myers & Roberston, 1972), ces caractéristiques sont
loin de faire l’unanimité.
l’adopteur précoce est lui aussi un concept présent dans les recherches sur
l’innovation ou la diffusion de nouveaux produits. Il est le premier adopteur d’un nouveau
produit et se distingue par sa propension à être informé et à posséder, avant tout le
monde, un nouveau produit. Si certains leaders d’opinion peuvent avoir ce signe distinctif,
notamment dans le cas d’une consommation ostentatoire ou dans le cadre d’un processus
d’imitation, ce n’est pas la possession qui particularise un leader d’opinion mais bien,
comme son nom l’indique, son opinion. Ces deux concepts peuvent donc se superposer
dans certains contextes de consommation.
Les outils d’identification des leaders d’opinion et de mesure du leadership
d’opinion
La littérature marketing distingue trois méthodes d’identification des leaders d’opinion :
la méthode sociométrique : les interviewés sont invités à citer nominativement les
personnes auprès desquelles ils prennent conseil. Comme l’évoquent Colin, Hawks et Davis
(2000, cités par Vernette 2002) une étude menée aux USA auprès de 20 000 médecins
généralistes et spécialistes a montré que chaque médecin prend en moyenne des avis
techniques auprès de cinq confrères et des conseils amicaux auprès de trois autres
confrères.
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La méthode de désignation ou de l’informateur clé : le membre d’un groupe, un
observateur, désigne la ou les personnes qui jouent le rôle de leader.
L’auto-désignation : les répondants évaluent eux-mêmes leur influence dans une
catégorie de produits ou services à l’aide de questions standardisées. Cette méthode
favorise une démarche quantitative.
Issues des Etats-Unis, deux échelles font référence : celle de Childers T.L. (1986) et celle
de King C.W et Summers J.O (1970).
En France, Ben Miled et Le Louarn (1994) ont adapté ces échelles au contexte national et
exploitent une échelle de Likert en cinq points où les répondants graduent leurs réponses
en fonction de leur degré d’accord et/ou de désaccord avec des propositions.
Quels sont les avantages et inconvénients de chaque méthode ? Quand les utiliser ?
Avantages Inconvénients
Sociométrique Objectivité : les leaders retenus sont
ceux désignés par le plus grand nombre
de personnes
Adapté à un contexte social
fonctionnant en réseau ou avec des
référents
Difficile à utiliser sur une grande
population
Démarche terrain pouvant être longue
Peu d’informations qualitatives sur le
mode de communication ou d’influence.
Informateur clé Adapté à des recherches
organisationnelles ou sur des produits
de consommation ostentatoire avec un
phénomène d’imitation
Fournit des informations qualitatives
riches en données verbales et non-
verbales
Temps d’exploitation long
L’intervention d’un tiers peut conduire
à des biais de subjectivité
Pose le problème de bien identifier et
sélectionner l’informateur clé
Auto-désignation Adaptée à une approche quantitative,
pour des recherches en marketing de
grande consommation
Rapidité et facilité d’exploitation
Risque lié à la sur ou la sous-évaluation
du répondant
Peu adapté dans des contextes de
consommation complexes ou peu
courants ou des services
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2. De l’évolution du concept fondateur à sa remise en cause actuelle
Peut-on réellement parler d’une définition du leader d’opinion ?
Concept difficile à saisir car soumis à un jeu implicite de communication et d’influence, le
leader d’opinion est un personnage compliqué à appréhender et à définir. De nombreux
auteurs ont travaillé sur le sujet et transmis leurs définitions.
Le tableau ci-dessous répertorie plusieurs définitions et offre la possibilité de voir les
différences d’appréciation des auteurs sur le concept, la variété des éléments pouvant
définir un leader d’opinion et les sujets de controverse.
Date Auteurs Définitions
1955 Katz et Lazarfeld « une personne qui, à travers des contacts quotidiens avec son
entourage, influence de manière régulière, l’opinion et la
décision des gens dans quelques domaines particuliers »
1970 King et Summers "La capacité à donner des informations sur un sujet et le fait
d'être sollicité par son entourage sur ce sujet"
1977 Reynolds et Wells "Une personne qui influence de manière informelle le
comportement d'autres personnes dans une direction souhaitée"
1994 Ben Miled et Le
Louarn
"Suppose une communication interpersonnelle qui se traduit par
un échange d'informations entre les individus, mais également
par une certaine influence personnelle du leader sur les
attitudes et les comportements"
Mowen "Une personne qui fournit plus souvent des informations que les
autres. Un consommateur qui influence les décisions d'achat des
autres"
1995
Engel, Blackwell et
Miniard
"Personne crédible auprès de laquelle un consommateur
s'enquiert de conseils pour des biens et services "
"Un transmetteur d'opinions sur les biens et services "
1996 Flynn, Reinecke,
Goldsmith et
Eastman
"Un individu qui cherche à influencer le comportement d'achat
d'autres consommateurs dans une catégorie de produit
spécifique"
1997 Eliashberg &
Shugan
« une personne possédant des connaissances et une expertise sur
un sujet donné » et donc
« une source d’information et de conseil appropriée »
1998 Gilly, Graham,
Wolfinbarger, Yale
"Une capacité et une motivation à partager des informations"
1999 Sheth, Mittal et
Newman
"Donneur d'informations et de conseils qui conduisent le
receveur de l'opinion à accepter la position conseillée"
2003 Beltrandias « un type de référent particulier, situé dans l’entourage du
consommateur, implicitement choisi par lui, et qui exerce une
influence significative sur ses attitudes et/ou ses
comportements »
2004 Vernette « une personne qui influence de façon informelle le
comportement d’autres personnes dans une direction souhaitée.
Cette influence s’exerce directement (par bouche à oreille) ou
indirectement (par imitation de son comportement). »
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De ces définitions, nous tirons quatre axes d’analyse sur le concept de leader d’opinion :
Comment le leader d’opinion se situe par rapport aux autres et en particulier la
dyade ?
De 1955 aux années 2000, la plupart des auteurs se sont focalisés sur le seul leader
d’opinion, comme acteur principal. A partir des années 2000, avec l’introduction des
nouvelles technologies et le développement du buzz, les sujets de recherche sur le bouche
à oreille renaissent. Le receveur de l’information est intégré dans l’analyse et prend un
rôle d’acceptation de l’influence pour Seth, Mittal et Newman (1999) jusqu’à être celui qui
choisit le leader, renversant alors complètement la nature de la relation « choisi - subi »
jusque là proposée.
Cette dernière vision peut correspondre au caractère désintéressé qui, pour certains,
distingue le leader : en effet, désintéressé, le leader ne choisit pas d’être leader. Cette
place lui est donnée par les autres qui lui reconnaissent des qualités pour y être. Cette
vision du leader concorde avec la vision classique du leader politique. Ainsi pour Xénophon,
cité par Dorner dans son ouvrage sur le leader charismatique (1998), le chef est « celui qui
sait commander en vertu de l’ascendant conquis par lui, à raison de ses qualités, sa
capacité et sa dignité. En toutes affaires, les hommes consentent à obéir à ceux qu’ils
jugent supérieurs ». Etre chef se mérite. Le pouvoir se fonde donc sur le consentement des
autres. De même, pour Weber tout pouvoir aspire à la légitimité, à être reconnu et
accepté par le peuple. Ce sont les liens d’adhésion ou de confiance, entre gouvernants et
gouvernés qui déterminent la nature de la légitimité, donc la présence ou l’absence de
pouvoir reconnu.
Si tel est le cas, que le leadership se donne plus qu’il ne s’acquiert, alors il devient
nécessaire d’interroger les autres et analyser le contexte d’action pour identifier le leader
et mieux comprendre sa démarche.
Quelles sont les actions d’un leader d’opinion ?
Les actions sont déclinées suivant une graduation de pouvoir : de l’action la moins
influente jusqu’à l’influence.
le leader est engagé dans des « communications interpersonnelles »
il « donne des informations » et « transmets des opinions »
il « est sollicité » et va donc répondre et « donner des conseils »
il « influence les opinions, attitudes, décisions et comportements » des autres
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Ces différences de points de vue alimentent la controverse de savoir si le leader d’opinion
est un diffuseur d’informations, plus actif que les autres, ou bien s’il est capable d’exercer
un pouvoir de persuasion sur les autres. Une autre vision consiste à rassembler les deux
aspects : c’est un diffuseur d’informations qui, dans ses communications interpersonnelles,
est capable non seulement d’informer mais aussi de convaincre.
Comment agit-il ?
« de façon informelle »
« directement, par bouche à oreille »
« indirectement, par voie d’imitation »
Le caractère informel de l’action du leader est un vrai élément distinctif. C’est ce qui le
différencie d’autres référents, tels que les vendeurs.
Mais on peut se demander si la manière d’agir est exclusive, c’est-à-dire soit directe, soit
indirecte ou si elle se nourrit des deux. Par ailleurs, cette manière d’agir ne serait-elle pas
liée à la catégorie de produits dans laquelle se situe le leader d’opinion ? Pour un produit
ostentatoire, le leadership fonctionnera plus par imitation du comportement, pour un
produit émotionnel, tel que le cinéma, le bouche à oreille, donc la voie orale, semble plus
adapté.
Quels sont les déterminants qui président son action ?
la crédibilité
les connaissances et l’expertise
la capacité et la motivation à partager
la volonté d’influence
La crédibilité renvoie à des notions de confiance et peut être aussi corrélée à l’expertise :
en effet, c’est parce qu’il est expert que le leader est crédible. Cette expertise peut être
théorique et s’exprimer en terme de savoirs mais aussi empirique, nourrie par l’usage et
l’expérience. Certains auteurs, ont d’ailleurs proposé d’introduire cette notion d’expertise
dans les dimensions du construit.
La capacité à partager avec les autres peut renvoyer à la notion d’intelligence
relationnelle, développée par Goleman (1997) qu’il définit comme la capacité de bien
s’entendre avec les autres et d’avoir une facilité de contact, la capacité à identifier les
sentiments des autres et y répondre de manière appropriée. Plusieurs de ses études,
réalisées en ressources humaines dans un contexte managérial, ont montré un lien entre le
leadership et des compétences relationnelles et émotionnelles, qu’il classe en quatre
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rubriques : la conscience de soi (capacité d’autoévaluation, confiance en soi …), des
compétences managériales (adaptabilité, capacité à inspirer confiance …), l’ouverture
sociale (empathie …) et des compétences sociales (sens du service, communication,
influence …).
La motivation à partager rejoint l’envie de partager et le besoin d’une ouverture sociale.
La volonté d’influence enfin, suppose une démarche rationnelle et volontaire.
Les évolutions du concept dans le temps
Dans un même objectif de compréhension de l’évolution du concept, nous avons réalisé
une synthèse dans le tableau ci-dessous qui reprend, à travers le temps, l’exploitation de
ce dernier dans différentes théories marketing, de la diffusion des innovations au
marketing viral. Outre une vision historique, cette synthèse montre aussi toute la richesse
d’exploitation du concept, qui peut aller bien au-delà du champ publicitaire et
médiatique, comme cela a été le cas pendant les premières années.
Période Lieu Contexte
théorique
Auteurs
référents
Définition
50’s Etats-
Unis
Marketing Katz et Lazarfeld Le leader, davantage exposé aux médias, traite et
répercute sur son entourage les informations reçues. Il
est une source d’information privilégiée. Formalisation
du modèle « two step flow »
60’s,
70’s
Etats-
Unis
Marketing Dichter,
Montgomerry &
Silk, Newman &
Staelin
Sollicitation spontanée du leader par son entourage
avant ou après l’achat d’un produit ; focalisation sur les
moments d’influence du leader dans l’acte de
consommation
80’s,
90’s
Etats-
Unis
France
Marketing,
bouche à
oreille
Price et Feick,
Herr & Kardes &
Kim, Moulins
Les informations échangées par le bouche à oreille
exercent une influence plus forte sur les décisions
d’achat que la publicité => les avis du leader d’opinion
ont plus de poids que les messages publicitaires =>
leader d’opinion mis en valeur par rapport aux autres
medias
83 Etats-
Unis
Diffusion
des
innovation
Rogers Le leader intervient après les innovateurs ; il détient la
clé du succès futur du nouveau produit. S’il a des
croyances négatives, alors le risque d’échec est fort.
=> le concept est exploité pour valider une innovation et
accélérer sa diffusion ; cette théorie permet de voir
quand et pourquoi utiliser un leader d’opinion dans la
diffusion d’une innovation
85 à
2000
Théorie des
réseaux
sociaux
Granovetter,
Iacobucci &
Hopkins, Sempé,
Burt
Les individus sont intégrés dans des réseaux sociaux dont
la forme et les liens sont analysés. C’est la position
sociale des individus qui permet d’expliquer le rôle joué
par rapport aux autres. Les leaders d’opinion sont soit au
centre, soit à la périphérie => le leader d’opinion est
analysé comme un acteur social particulier
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95, 96 Approche
post-
moderne
Firat &
Venkatesh, Cova,
Stafford
La consommation s’inscrit dans un monde de symboles et
de spectacles. Consommer c’est montrer un signe
d’appartenance à un réseau social. Les avis du leader
seraient privilégiés et imités par son entourage car ils
représentent une adhésion aux normes du groupe =>
mise en valeur du phénomène d’imitation et du pouvoir
d’attraction du leader
96,
2000
Approches
tribales on-
line
Brodin, Kozinets,
Cova & Carriere,
Wellman et
Guilia
Le web a créé des communautés virtuelles avec un fort
pouvoir tribal. Certains individus interviennent plus
fréquemment, plus durablement et échangent avec un
plus grand nombre d’internautes, ils sont appelés « e-
influenceurs », ils sont les moteurs qui influencent le
groupe => confusion et ambiguïté entre concept de
leader d’opinion et d’e-influenceur ; le concept d’e-
influenceur se focalise sur l’échange verbal (écrit) et
apparaît ainsi plus restrictif
2001,
2002
Etats-
Unis,
France
Marketing
viral
Buzz
Marketing
Stambouli et
Briones, Godin
Imitation et auto-propagation sont les fondamentaux du
buzz. Certains internautes sont écoutés et suivis quand
ils parlent. Loin d’être un trait personnel, ce rôle est
dévolu à certains, limité dans un domaine, dépendant de
la compétence, des relations, du mode d’expression en
ligne et de la légitimité de l’e-consommateur.
Pour qu’une idée se diffuse il faut qu’il y ait un
« contaminateur c’est-à-dire une personne prédisposée à
parler de l’idée aux autres et qui bénéficie d’une
crédibilité et d’une confiance lui permettant d’être
entendue, écoutée et crue » => intégration du concept
de leader d’opinion dans un processus de bouche à
oreille on line ; met en valeur l’importance réciproque
de la dyade dans l’influence du leader d’opinion
Les points critiques
Malgré l’ampleur des recherches, leur ancienneté et la variété des champs d’exploitation
du leadership d’opinion, le concept est remis en cause à différents niveaux :
Sur le caractère universel du construit : un leader d’opinion l’est-il quelque soit
les catégories de produit ? Les recherches tendent à montrer que le leadership d’opinion
est contingent à la catégorie de produits (Vernette, 2004). Ainsi le produit peut jouer un
rôle modérateur sur la relation « expertise - leadership d’opinion - quantités consommées »
et sur les CSP permettant d’identifier un leader.
Par ailleurs on peut se demander si un leader d’opinion est leader à vie ? Est-ce alors un
concept intemporel ou situationnel, dépendant d’un contexte de consommation ?
Sur la position privilégiée du leader par rapport aux medias où le concept
d’origine met en valeur une exposition plus forte que les non leaders aux medias.
Cependant, dès 1957, Katz indique que « quoique plus exposés aux medias que les non
leaders, les leaders d’opinion rapportent que l’influence personnelle est un facteur
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prédominant dans leurs prises de décisions par rapport aux medias ». Weimann (1991)
confirme cette vision en indiquant que les influents font plus confiance à leurs sources
personnelles et à leur propre jugement qu’aux conseils donnés dans les medias. Le concept
de leader d’opinion doit-il donc être à tout prix corrélé avec les medias et une exposition
médiatique ?
Sur la dichotomie leader - suiveur et sur la position dominante du leader par
rapport aux autres dans le processus de communication interpersonnelle. Si la position
dominante a déjà été remise en cause par le modèle des interactions multiples, la
dichotomie leader - suiveur a pu être contestée par Lin (1973) et Weimann (1991) en
mettant plus en avant l’influence comme variable continue.
Les dimensions du construit sont-elles pertinentes et suffisantes ? Vernette (2004)
en propose une troisième : l’expertise.
l’échelle de mesure d’auto - évaluation a été récemment remise en cause par
Vernette et Gianneloni (2004) qui, à travers de nouvelles études empiriques, ont remis en
cause la validité de contenu du concept et sa dimensionnalité.
Enfin, on peut identifier via les études sur les réseaux sociaux un dernier axe de
différenciation : le leader d’opinion a t-il une position centrale dans un réseau, comme
l’évoque Weimann (1994), ou bien est-il à la frontière des réseaux, entre les groupes, à
l’image de l’étude de Burt (1999) ? Cette distinction ne permet t-elle pas un éclairage sur
l’émergence d’une typologie de leaders d’opinion qui mettrait en avant d’une part un
acteur central, actif dans un groupe social donné, agissant comme un leader normatif,
celui qui donne le ton au groupe et d’autre part un acteur périphérique, actif entre les
groupes, agissant comme un recruteur ou un « insuffleur » d’idées nouvelles ? Les théories
de marketing tribal et les différents acteurs de la tribu peuvent être une source de
croisement intéressante sur ce sujet, à l’intersection entre théorie du leader d’opinion et
théorie des réseaux sociaux.
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Les dernières recherches
Les dernières recherches sur le concept de leader d’opinion empruntent différents
chemins :
Redécouverte du concept de leader d’opinion dans la lignée du modèle « two step
flow », donc comme intermédiaire et influent d’une communication médiatique.
L’analyse du dernier article de Vernette au 5ème
Congrès de Venise en janvier 2006, intitulé
« une nouvelle vision du leader d’opinion en marketing : une approche
phénoménologique » nous apporte plusieurs éclairages.
L’objectif de cet article est de proposer une nouvelle vision du concept de leader
d’opinion, à partir du modèle « two step flow ». L’approche qualitative par entretiens
phénoménologiques permet de se baser sur l’expérience et les faits pour mieux rendre
compte du sens du vécu.
L’étude porte sur les populations de deux catégories de produits : le parfum et la bière.
Les résultats permettent de proposer un nouveau schéma théorique du concept de leader
d’opinion qui met en valeur deux attributs du leader d’opinion : une force d’attraction
« qui repose sur son empathie et son exemplarité » et une force de conviction « qui
dépend de la crédibilité de ses avis et comportements ».
Les caractéristiques physiques, psychologiques et sociales permettent d’analyser la force
d’attraction tandis que l’expertise perçue et le désintéressement sont reliés à la force de
conviction.
Cet article met aussi en valeur deux formes d’influence qui peuvent se juxtaposer :
l’influence verbale et l’influence visuelle, cette dernière se traduisant par un attrait
physique, dont on peut douter du caractère objectif, et par un mimétisme de
comportement qui nous paraît plus recevable.
Par ailleurs, les éléments identifiés comme des antécédents par Vernette, qui sont
l’implication, la visibilité sociale (entendue comme la notoriété) et l’impact des medias ne
sont pas confirmés comme pertinents et seraient très dépendants de la catégorie de
produits.
L’intérêt de cette étude réside dans la méthode phénoménologique exploitée qui permet
de mieux rendre compte du vécu et apparaît moins soumise à réinterprétation que
l’entretien semi-directif. D’autre part elle ouvre le champ sur la variété des formes
d’influence du leader d’opinion.
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La limite réside dans l’analyse peu approfondie des caractéristiques sociales et dans la
volonté de rattachement du concept aux medias, laissant parfois peu de place à la
spontanéité du répondant.
Au delà des apports et limites, c’est aussi sur le chemin pris par cette recherche et le
zoom mis sur le rôle du leader et son pouvoir qu’il nous apparaît pertinent de considérer.
Le leader d’opinion est analysé comme une cible stratégique majeure ayant du pouvoir.
Tout l’intérêt est alors de comprendre comment s’exerce ce pouvoir.
Analyse du concept de leader d’opinion comme acteur influent dans un processus
de communication interpersonnelle.
L’analyse de la thèse de Beltrandias soutenue le 17 mars 2006 intitulée « sélection et
influence des sources personnelles d’informations du consommateur » nous offre un autre
point de vue.
Cette thèse concentre son analyse sur les échanges inter – personnels et en particulier sur
le choix des sources d’informations. Parmi les cinq objectifs de cette thèse, deux
intéressent particulièrement notre sujet : l’un entend explorer et clarifier la relation entre
l’influence interpersonnelle et la sélection des sources et l’autre mettre à jour le profil de
sources ayant une forte probabilité d’être sélectionnées.
Le chercheur est donc amené à analyser les leaders d’opinion et leur rôle en tant que
source particulière d’information dans un processus de bouche à oreille. A travers son
analyse, l’auteur met en avant trois éléments significatifs de comportement des leaders
d’opinion :
la tendance à communiquer et échanger des informations sur le produit : il existe un
monomorphisme par rapport à la catégorie de produit, l’engagement du leader d’opinion
dans un processus de bouche à oreille est lié à son implication durable par rapport à la
catégorie de produit.
la capacité à influencer : l’influence est liée à la compétence du leader d’opinion, perçu
comme un expert.
la fréquence de sollicitation : une position structurale centrale plus accessible favorise
la fréquence de sollicitation ; la visibilité sociale, conséquence d’une activité sociale
importante, engendre des connections avec un grand nombre de personnes.
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Les résultats de son étude mettent en avant trois caractéristiques des sources les plus
fréquemment choisies :
la force des liens : plus le lien est fort, plus l’influence sera grande
le niveau élevé de leadership
le niveau élevé d’expertise
Par ailleurs, il préconise une voie d’identification des leaders d’opinion en favorisant la
fréquence de sollicitation : c’est en identifiant les sources les plus fréquemment sollicitées
qu’on pourra le mieux identifier les leaders d’opinion.
Enfin, en montrant que le leadership d’opinion a une influence directe sur la sélection des
sources et l’influence attribuée, il révèle la valeur prédictive du concept de leadership
d’opinion sur l’influence et confirme l’utilité et la valeur de la méthode d’auto-désignation
qu’il qualifie « d’utile » et « d’efficace ».
Les apports de cette analyse résident dans la mise en valeur de la nature des liens et leur
impact sur l’influence ainsi que la mise en valeur de la fréquence de sollicitation, éclairant
le concept de leader d’opinion par la perception des autres acteurs.
Les limites de cette approche résident dans l’orientation même de la problématique : le
leader d’opinion est analysé comme une source particulière d’informations et non dans
comme un acteur influant dans la décision et le comportement des autres individus. Cette
orientation de la problématique a donc un impact sur l’analyse finale du rôle, du mode de
fonctionnement et la méthode d’identification de l’auteur.
Par ailleurs, comme dans le cas précédent, c’est aussi le chemin pris par cette recherche
que nous voulons souligner et le zoom mis sur les autres acteurs et la valeur ou le rôle
perçu du leader d’opinion. Le leader d’opinion est analysé comme un acteur, parmi
d’autres, impliqué dans un processus de bouche à oreille, se différenciant par la valeur que
lui confèrent les autres.
Dans cette optique de bouche à oreille, on peut se demander s’il est pertinent de parler de
leader d’opinion ou s’il faut parler, à l’instar de Weimann (1994), d’influent ?
Weimann avait lancé cette idée il y a une quinzaine d’années, en mettant en avant le poids
des traits de personnalité et des caractéristiques sociales comme constituants clés de
l’influenceur, ou pour reprendre sa vision, du « concept de leader d’opinion remanié ».
Affranchi d’une exposition médiatique, acceptant des activités d’influence dans différents
domaines avec des chevauchements, allant au delà de la dichotomie leader - suiveur pour
prendre l’influence comme une variable continue.
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Les axes de recherche qu’il propose alors, s’orientent sur l’identification des leaders
d’opinion via une échelle de mesure de Personnalité, l’étude des sources d’information des
influenceurs et l’étude de leur process de prise de décision. Il préconise ainsi de combiner
une recherche sociale et avec une approche en communication persuasive.
Notre approche s’inspire des deux orientations évoquées ci-dessus : nous allons étudier le
concept de leader d’opinion dans un processus de bouche à oreille, sans relation aux
medias, car selon nous les leaders d’opinion existent même en dehors d’une influence
médiatique. Et c’est leur mode de fonctionnement et les éléments qui les distinguent,
donc leur forme de pouvoir, que nous souhaitons appréhender. Pour nourrir notre
réflexion, d’autres théories nous paraissent pertinentes à solliciter, tant en recherche
sociale qu’en marketing expérientiel, tribal ou viral.
II – Apports théoriques complémentaires à notre sujet d’étude
3. L’apport des théories sur les réseaux sociaux
Dans notre étude sur les leaders d’opinion, il nous a paru pertinent de regarder ce qu’avait
à apporter la théorie des réseaux sociaux au sens où le champ d’action d’un leader
d’opinion s’inscrit dans un contexte social où la notion de réseau joue un rôle.
Nous verrons donc en quoi consiste cette théorie, quelles peuvent être les contributions
spécifiques au concept de leader d’opinion, quels sont les apports et limites de cette
théorie pour notre étude.
Les points clés et les notions de centralité et pouvoir
La théorie des réseaux sociaux part du principe que les comportements et les opinions des
individus sont liés aux structures sociales dans lesquels ils s’insèrent.
Plutôt que de limiter l’analyse des caractéristiques sociales à des catégories, aux CSP,
l’idée est d’élargir le champ avec une vision des réseaux sociaux et de leur impact sur un
individu. Comme l’indiquent Degenne et Forsé (2004) « ce n’est ni l’appartenance, ni la
référence à une catégorie qui préside l’action « je suis jeune donc je ne vais pas à la
messe ».
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L’objet de l’analyse des réseaux est centré sur la relation entre éléments (individus,
famille, groupes …), c’est-à-dire les éléments vus comme étant liés ou susceptibles d’être
liés aux autres. Une relation (une dyade par exemple) n’a de sens que si on peut la
replacer dans sa structure, car celle-ci a un effet sur sa forme, son contenu, sa fonction.
Ainsi la structure sociale apparaît à la fois comme l’émergence des interactions entre
individus et une contrainte pesant sur leur comportement.
C’est pourquoi l’analyse structurale poursuit une double finalité :
montrer comment la structure du réseau favorise le choix de telle ou telle action
ou opinion
montrer comment cette structure est la résultante de ces choix individuels.
Quelles sont les formes de structure sociale existantes ? Degenne et Forsé en distinguent
quatre types :
réseau formel (une entreprise), réseau informel (groupe d’amis)
sociabilité individuelle ou collective : l’aspect interpersonnel prime sur la relation
liée au contexte du réseau
sociabilité avec intensité forte (ami) ou faible (connaissances)
relation élective (choix dans un cadre restrictif) ou affinitaire (amitié) ; on parle
ainsi d’homophilie quand la relation est affinitaire (c’est le principe du « qui se
ressemble s’assemble ») ou d’hétérophilie (dans le cadre d’une relation hiérarchique
par exemple).
Dans ces formes structurelles, on peut mesurer différents éléments :
la multiplexité des réseaux, c’est-à-dire la variété des relations
la fréquence des relations
la densité d’un réseau qui regroupe le nombre d’interconnexions à un individu,
appelé ego.
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Un autre axe d’étude important en théorie des réseaux tourne autour des notions de
centralité et de pouvoir, notions pertinentes pour notre sujet d’étude.
Ainsi un grand nombre d’études établissent que la centralité serait reliée au pouvoir, au
leadership ou à l’influence. Pour Freeman (1979), la centralité a 3 définitions
fondamentales :
la centralité de degré
Un individu est central s’il est fortement connecté aux autres. Le critère clé est le nombre
de connexions. A contrario un individu est considéré comme périphérique s’il est
faiblement connecté aux autres. Cette centralité mesure l’activité ou la capacité de
communication ou d’échange de chaque individu au sein du réseau.
la centralité de proximité
Elle consiste à juger le degré de proximité d’un individu par rapport aux autres. Pour
communiquer avec tous les individus du réseau, combien faut-il d’intermédiaires ?
L’individu qui a besoin du moins d’intermédiaires est « central » en terme de proximité.
la centralité d’intermédiarité
Un individu, même faiblement connecté, peut s’avérer être un intermédiaire indispensable
dans les échanges. Il peut influencer le groupe en filtrant ou distordant les informations qui
y circulent ou en assurant la coordination.
Centralité synonyme de pouvoir ? La question semble encore en suspend pour les
sociologues. Deux hypothèses sont retenues pour l’instant :
1ère
hypothèse : un acteur central lié à d’autres acteurs centraux peut être
considéré comme disposant d’un pouvoir important, alors qu’un individu dans un groupe
marginal aura moins de pouvoir. Selon Knoke et Burt (cités par Degenne et Forsé, 2004),
ceci est vrai dans un réseau de relations non orientées. Dans un réseau orienté, on mesure
alors la notoriété et le prestige des individus.
2ème
hypothèse : le pouvoir n’est pas forcément synonyme de centralité. Par
exemple, un notable aura d’autant plus de pouvoir qu’il sera en contact avec des individus
non notables, il se positionne différemment des autres par ses connaissances distinctives et
prend alors du pouvoir.
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Par ailleurs, dans un réseau très centralisé, le centre global a plus de pouvoir que les
centres locaux. Mais ce pouvoir s’inverse dans un réseau décentralisé, comme l’évoque le
système politique centralisé en France vs décentralisé en Allemagne.
Knoke (1990), un sociologue américain, a construit une matrice du pouvoir qui combine
influence et domination :
Domination
Influence
Absente Présente
Présente Pouvoir coercitif Pouvoir autoritaire
Absente Pouvoir égalitaire Pouvoir de persuasion
Cette matrice élargit la vision structurale du pouvoir en intégrant de nouveaux éléments à
prendre en compte et permet d’apporter des nuances sur la notion même de pouvoir.
La conception de capital social et les liens avec les leaders d’opinion
Le capital social concerne les interactions entre les individus. Comme les outils de
production peuvent créer du « capital économique », les capacités et qualifications
individuelles du « capital humain », les interactions entre individus renvoient au « capital
social ».
On peut ainsi définir le capital social comme l’ensemble des relations sociales d’un individu
lui permettant d’accéder à des ressources.
En utilisant la notion de capital social on veut signifier que les individus peuvent trouver
des ressources dans la mobilisation de leurs connexions avec d’autres individus ou groupes.
L’étude du capital social repose donc sur l’étude du volume de contacts et de la valeur des
contacts. Cette valeur dépend des caractéristiques structurales des relations (confiance,
finalités …).
Pour qualifier les relations inter - individuelles on étudie la notion de liens. Granovetter
(1973, 1982, 1983), auteur de référence sur le sujet, a proposé des critères permettant de
définir la force des liens selon:
la durée de la relation, qui prend en compte l’ancienneté et le temps passé
l’intensité émotionnelle
l’intimité
les services réciproques
On peut aussi ajouter la pluralité des contenus de l’échange (i-e la multiplexité).
En fonction de leur force, les liens auront un impact différent dans un réseau social donné.
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Ainsi les liens forts sont des liens transitifs : si A a un lien fort avec B, et A a un lien fort
avec C alors il y a de fortes chances pour que B ait un lien fort avec C. Cette transitivité
entraîne la création de zones fermées. A contrario, les liens faibles permettent de créer
des ponts entre différents groupes sociaux. Ainsi, selon Nan Lin, qui a testé et validé cette
hypothèse en 2002, pour la recherche d’un emploi ou d’un appartement, il est plus
efficace de recourir aux liens faibles. Par ailleurs, les liens faibles sont reconnus comme
efficaces pour la circulation informationnelle verticale dans une structure hiérarchique.
Ainsi l’évolution d’un groupe social sera différente suivant la nature des liens sollicités.
Un autre aspect important à prendre en compte dans l’analyse structurale d’un groupe
social est la notion de trou structural.
Un trou structural est une relation non redondante (qui ne vient pas s’accumuler à une
autre) entre des contacts. Le capital social d’ego (individu de référence) est d’autant plus
fort que son réseau personnel dispose de moins de redondances. Un trou structural procure
un avantage additif à celui qui en bénéficie.
Ex : A A
Ego Ego
B C B C
Il existe un trou structural entre B et C les liens entre A, C et B sont redondants
Ego bénéficie d’un avantage social Aucun individu n’a un avantage social
Une des exploitations importantes en marketing des théories des réseaux sociaux touche à
la dynamique et à la diffusion des innovations qui font émerger le rôle de leader d’opinion.
Etudier la diffusion des innovations c’est déterminer si un ensemble de décisions
individuelles d’adopter ou pas une innovation finit par se transformer en un mouvement
collectif dont la logique repose sur les caractéristiques des relations entre individus.
Toutes les études confirment que les relations personnelles jouent un rôle essentiel dans la
diffusion des innovations : c’est dans la mesure où des relations personnelles (amis,
parents, voisins) confirment et légitiment l’information reçue que l’individu se décide à
adopter une innovation.
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La distance sociale entre les leaders et les autres est une variable fondamentale du
mécanisme d’influence. Dans les sociétés hiérarchisées les leaders doivent être des
notables se différenciant de la masse mais restant accessibles. Dans les sociétés modernes
les leaders varient en fonction des types de réseaux et des genres d’innovation en cause.
Ainsi l’étude de Katz et Lazarfled (1955) réalisée auprès de 800 femmes dans 4 domaines
(mode vestimentaire et coiffure ; achats alimentaires et équipement domestique ; affaires
civiques et politiques ; cinéma) montre les résultats suivants :
chaque domaine et milieu social obéissent à un schéma d’influence propre
l’influence interpersonnelle horizontale prône sur la verticale : l’homophilie apparaît
plus efficace que l’hétérophilie
l’intérêt pour le domaine prime plus pour les influents que pour les autres
Mêlant ces deux approches, Burt (1999) a étudié le capital social de leaders d’opinion
impliqués dans un processus de diffusion des innovations.
Avant d’aborder sa théorie il est essentiel de comprendre sa vision du leader d’opinion : il
est celui qui fait circuler l’information à travers les frontières de groupes sociaux, c’est un
« broker » d’informations.
Faisant référence aux théories de diffusion, il met en relief deux mécanismes de diffusion :
la diffusion par cohésion via une communication fréquente et empathique : ego adopte
l’innovation en suivant la norme sociale, en faisant siens les intérêts échangés avec le
leader d’opinion, alter. La cohésion souligne la « force d’un lien » et se caractérise par un
proximité émotionnelle, une durabilité de relation et de fréquents contacts.
Alter => Ego
la diffusion par équivalence via une compétition sociale entre individus : plus les
relations d’ego et d’alter sont similaires, plus rapidement ego adoptera une innovation qui
lui permet de rester attractif aux yeux des autres. L’équivalence sous-entend le fait
d’avoir les mêmes relations avec les mêmes tiers .
Alter Ego
A B
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Se basant sur ces mécanismes, Burt dresse alors différents scénarios de diffusion d’une
innovation :
1. Une diffusion prévisible par cohésion et par équivalence :
Si les relations entre individus sont fortes alors la diffusion par cohésion est possible.
Si les relations sont croisées entre les individus qui restent alors attachés à les
sauvegarder, il y a alors un haut niveau d’équivalence et donc une diffusion par
équivalence aussi.
2. Une diffusion par cohésion et non par équivalence : l’équivalence corrige la contagion
par cohésion
Il existe des relations fortes entre les individus, la diffusion par cohésion est donc là aussi
possible.
Il y a peu de relations croisées : alter n’est pas concurrencé dans ses relations avec A ou B,
et AB appartiennent à des groupes différents, sans liens entre eux, donc il n’y a pas de
concurrence inter - relationnelle donc pas de diffusion par équivalence.
Alter
A B
3. Une diffusion par équivalence et non par cohésion : l’équivalence étend la cohésion
Il n’existe pas de relations fortes entre individus (Alter et Ego), la diffusion par cohésion
est impossible.
Il existe de fortes relations croisées, donc chacun se retrouve en forte concurrence pour
rester attractif créant une forte concurrence inter - relationnelle et donc une diffusion par
équivalence.
Alter Ego
A B
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A partir de ces scénarios structurels, l’analyse de l’influence conversationnelle du leader
d’opinion est alors développée. Burt montre qu’elle ne s’exerce que dans certaines
configurations sociales :
le leader d’opinion n’a aucune influence « diffusable » entre des individus non
équivalents (cas 2 avec A et B ayant de fortes relations avec d’autres individus sans
relations croisées, lien unique)
l’influence du leader est superflue entre des individus fortement équivalents car
la contagion est plus liée à la concurrence interpersonnelle
l’influence du leader est efficace quand il a de fortes relations avec des individus
faiblement équivalents (qui n’ont que de faibles relations croisées)
Le leader d’opinion est ainsi perçu comme un « broker » d’informations, son influence
s’exerce plutôt entre les groupes qu’à l’intérieur des groupes.
Il assure une transition entre les deux mécanismes de diffusion, intervenant par cohésion
et s’effaçant lorsqu’il y a équivalence.
La position de Burt est ainsi de dire que, plus que des spécificités individuelles (l’autorité,
la capacité à être attractif, la capacité à être imité), c’est surtout sa fonction sociale
(avoir des conversations avec les autres) et sa situation structurale (une relation forte avec
des individus peu équivalents) qui caractérisent le leader d’opinion. Selon lui :
la focalisation sur les spécificités individuelles amplifie le pouvoir de la
communication interpersonnelle. La mesure du leadership d’opinion sur les dimensions
« influence » et « activité » n’est donc pas suffisante pour rendre compte du pouvoir d’un
leader d’opinion
l’identification est plus pertinente par la différenciation sociale, faisant alors
référence à la notion de « public individuation », évoquée par Chan et Misra (1990, 1991),
qui met en relief un choix d’action différent par rapport au groupe de référence. Ainsi un
leader d’opinion peut être actif dans son groupe mais exercera une influence dans les
groupes adjacents.
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Dans sa position sociale entre individus faiblement équivalents, le leader d’opinion
bénéficie en outre d’un avantage compétitif qui se définit à deux niveaux :
un avantage en terme d’information : la diversité des contacts d’alter lui permet
d’offrir une information de qualité (car non connue au sein du groupe social), une
information « fraîche », à la pointe, capable de créer du lien entre des individus
déconnectés entre eux et donc d’être attractif
un avantage en terme de contrôle : « tertius gauden » (Simmel 1922 et Merton
1957) « the third who benefits » = « c’est le 3ème
qui profite » = la personne crée de la
valeur en apportant des connections entre les autres. L’action stratégique des « tertius
gauden » trouve dans les trous structurels son contexte d’action et dans l’information sa
substance.
Au final Burt définit le leader d’opinion comme un « entrepreneur de réseau social » car il
a une capacité à créer des liens interpersonnels, qui comblent les trous structurels, et une
capacité à être en veille, à la pointe de l’information et à savoir la gérer pour la faire
parvenir rapidement et donner une solution sur mesure.
Dans des groupes sociaux donnés, il n’est ni au sommet des groupes, ni en marge, ni à
l’intérieur : il est entre les groupes.
Si cette recherche permet d’élargir le champ d’analyse sur le leader d’opinion en portant
l’attention sur sa position sociale et le pouvoir qu’elle lui confère en terme de circulation
d’information, elle présente deux limites à nos yeux :
d’une part, le fait de focaliser le rôle du leader d’opinion uniquement dans un
champ d’innovation et dans un rôle de diffuseur d’innovations et d’informations, quitte à
sous-estimer la notion de leadership
d’autre part, elle présente une vision holistique des phénomènes sociaux où la
structure sociale prime sur l’action individuelle : le leader d’opinion est leader parce qu’il
est positionné à une certaine place dans la structure sociale. Or cette vision sous-estime,
selon nous, les moteurs personnels de l’action individuelle et en particulier les motivations
pour agir.
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Les contributions théoriques retenues
Les théories des réseaux sociaux offrent l’opportunité d’avoir une vision macro sociale du
phénomène d’influence. La prise en compte de la structure sociale dans laquelle s’inscrit
un leader d’opinion apporte un éclairage quant à son mode et sa capacité d’influence.
Par ailleurs, elle permet aussi d’élargir l’analyse de l’influence au delà de caractéristiques
individuelles et se concentrer sur la relation inter - individuelle. La prise en compte de la
logique de capital social et de liens permet une valorisation de cette relation, une visibilité
sur le type d’évolution de la structure et, au-delà, sur la valeur de l’influence du leader
d’opinion. Ainsi un leader d’opinion qui exerce son influence via des liens forts dans une
structure informelle aura t-il le même poids si par ailleurs la structure tend à se
développer vers des liens plus informels ? Quelle sera alors sa contribution ?
Enfin l’étude de Burt nous apparaît pertinente au sens où elle permet d’intégrer des
caractéristiques sociales à l’analyse du concept de leader d’opinion, tant vis à vis de la
fonction sociale qu’il exerce que sa situation structurale inter - groupes.
De plus, sa vision du leader d’opinion définit comme un « entrepreneur social » offre une
vision du mode de fonctionnement de ce dernier, créateur de liens, générateur
d’informations nouvelles et transmetteur efficace d’informations sur mesure.
4. L’apport des théories en marketing expérientiel et tribal
Le marketing expérientiel et son apport
Le marketing expérientiel se distingue du marketing traditionnel par sa focalisation sur les
expériences émotionnelles en jeu plutôt que sur les attributs d’un produit. On passe donc
d’une logique utilitaire et fonctionnelle de la consommation à une logique expérientielle
où, comme l’évoquent Cova et Louyot-Gallicher (2006) « le consommateur cherche moins à
maximiser un profit qu’à revendiquer une gratification hédoniste dans un contexte
social ». Ainsi selon ces auteurs, la consommation, en étant reliée à l’univers sensoriel et
émotionnel de l’individu, participe à sa quête identitaire.
L’expérience, comprise dans ce contexte, est, selon les mêmes auteurs, « une expérience
vécue par l’individu avant, pendant et après l’acte d’achat ».
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Quatre étapes sont alors distinguées :
avant l’achat, l’expérience d’anticipation, qui se réfère à la phase de recherche
d’informations et se traduit par la phase où le consommateur « recherche, rêve
éveillé et fantasme son expérience de consommation »
l’expérience d’achat qui se réfère à la rencontre de services, le paiement et
toutes les tâches qui s’y ramènent
l’expérience à proprement parler fait référence aux sensations éprouvées, au
niveau de satisfaction/insatisfaction ressenti
après l’acte d’achat, l’expérience de souvenir s’appuie sur les récits et discussions
avec d’autres.
Ce vécu émotionnel a ainsi un impact en terme de réflexion, d’attitude, de prise de
décision et de consommation.
Pour l’entreprise l’expérience se traduit par la création d’offres complémentaires aux
offres traditionnelles focalisées sur les produits qui, au delà d’une valeur fonctionnelle
apportent des valeurs sensorielles, émotionnelles, cognitives, comportementales et
relationnelles.
La valeur économique des offres s’en trouverait renforcée.
Si aujourd’hui ce marketing se développe dans les secteurs de la distribution et de la
grande consommation, il paraît tout à fait pertinent au secteur des services. En effet
l’intangibilité des services oblige à une valorisation qui trouve là une richesse d’expression.
C’est en cela que cette approche intéresse notre étude et s’adapte particulièrement bien à
la spécificité de notre terrain : un service de bénévolat.
Elle permet donc une ouverture du champ d’analyse tant sur des éléments de situation à
prendre en compte que sur des registres de communication.
Le marketing tribal et son apport
L’unité d’analyse du marketing tribal n’est pas le consommateur mais un groupe de
consommateurs. La tribu, selon les auteurs cités ci-dessus, est « un regroupement
d’individus hétérogènes liés par une passion, une émotion, des valeurs et capables
d’actions collectives ».
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Ainsi l’étude porte à la fois sur les liens effectifs ou affinitaires entre deux ou plusieurs
individus que sur les liens imaginaires et les représentations des individus avec les produits
ou services de la communauté à laquelle ils appartiennent. Ainsi c’est la valeur du lien qui
est au centre de cette approche. Même si les individus dans les tribus post-modernes se
retrouvent parfois dispersés géographiquement, les outils de communication permettent de
maintenir un lien. Par conséquent, la segmentation est moins basée sur des critères socio-
économiques que sur des liens émotionnels, affinitaires ou de valeurs.
Ces tribus ne supposent pas forcément l’existence d’un chef autoritaire et tout puissant,
mais plutôt comme l’évoque Gicquel (2006) « des gourous, des maîtres à créer des
évènements, des animateurs de réseaux, des leaders d’opinion ».
Selon cet auteur on peut distinguer trois types d’individus dans l’approche tribale :
les natifs : fidèles et impliqués ils sont très actifs dans la tribu
les adopters : natifs d’une autre tribu, ils participent de façon ponctuelle à son
quotidien
les adhérents : à l’extérieur de la tribu, ils n’y participent pas mais y adhèrent en
pensée et ont des liens en terme de valeurs
Dans cette approche le langage a une importance particulière. Quelque soit sa forme,
verbale, corporelle, visuelle, symbolique ou structurale, il est essentiel de bien l’analyser
pour en comprendre les composants et le fonctionnement. Comme l’évoque l’auteur, « la
communication par des codes tribaux sont les leviers du message ».
L’intérêt de l’approche tribale, comme l’approche expérientielle, est qu’elle permet
d’analyser la relation entre individus ou entre l’individu et le produit ou service sous un
angle qui n’est pas seulement fonctionnel. C’est le lien et la valeur du lien qui est mis en
avant.
Si les réseaux sociaux permettent d’analyser la position sociale et relationnelle d’un
individu, le marketing tribal offre une vision du lien en terme de valeur émotionnelle ou
symbolique.
Ainsi ces approches offrent une vision plus micro des individus et enrichissent le registre
d’analyse en terme de liens.
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5. L’apport des théories sur le bouche à oreille et marketing viral
Les principes du bouche à oreille
Selon Sang Hyuk (1989), le bouche à oreille se définit comme « une communication orale,
de face à face, entre un émetteur non commercial et un récepteur à propos d’une
marque, d’un produit ou d’un service offert à la vente ».
Il se distingue de la communication de masse par son caractère inter - personnel et de la
communication commerciale car le message est perçu comme indépendant de l’entreprise
et de ses acteurs.
Comme l’évoque Kruger (1997, cité par Marteaux 2006) l’information transmise par bouche
à oreille peut être positive, négative ou neutre et prend assise sur l’expérience de
consommation du communiquant ou d’une autre personne. Cette expérience peut alors
être imaginée et transposée dans l’univers de celui qui la reçoit. Le bouche à oreille est
donc un canal de communication particulièrement important et crédible.
La proximité de relation des individus favorise, dans la phase de recherche d’informations,
un effort cognitif moins important que d’autres sources (Kruger, 77).
Pour qu’un phénomène de bouche à oreille existe, il faut qu’il y ait au minimum, selon
Ozcan et Ramaswamy (2002) :
une relation de communication (recommandation, échange, conseil …)
une relation entre deux entités humaines
un lien étudié relatif à la consommation d’un produit ou service
une relation psychologique entre les individus et l’entité de consommation (opinion,
satisfaction …)
La variété des formes et composantes du bouche à oreille est plus importante qu’il n’y
paraît à première vue. Ainsi les auteurs vont distinguer différents axes de réflexion :
4 types de bouche à oreille
En fonction des propriétés intentionnelles (instrumental vs non - instrumental) et
structurelles (asymétrique vs symétrique) de la relation.
Se distinguent la transmission, la persuasion, la conversation, le discours.
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4 types d’entité humaine
En fonction du rôle de chacun dans le processus de création de valeur (passif vs actif) et de
la structure de leurs liens dans le processus d’extraction de valeur (indépendant vs inter -
dépendant).
Se distinguent le consommateur, le client, l’organisation, la communauté.
4 types de relation sociale
En fonction du domaine (privé vs publique) et de l’attitude dominante (expressive vs
normative).
Se distinguent l’interaction personnelle, de pair, familiale, professionnelle.
4 types de relation psychologique
Le contenu de la relation de communication dépend de son caractère interactionnel
(objectif vs subjectif) et modal (cognitif vs affectif).
Se distinguent l’information, la satisfaction, l’évaluation, l’expérience.
4 types d’entités de consommation
En fonction du flux de création de valeur (unilatéral vs multilatéral) et du lieu d’origine de
la création de valeur (externe vs interne).
Se distinguent le produit, le service, le fournisseur, la pratique.
Enfin, selon ces auteurs, le bouche à oreille revêt une importance croissante ces dernières
années du fait d’une variété toujours plus grande des produits et messages promotionnels
concomitant avec une plus forte interconnexion des réseaux de consommateurs et la
création de groupes de consommateurs à une échelle nationale ou internationale.
La prise en compte de ce phénomène nous paraît essentielle dans notre étude qui prend
assise sur un phénomène de bouche à oreille. La prise en compte des différences évoquées
enrichira notre réflexion sur le type de relation sociale, en liaison avec l’analyse des liens,
et la distinction de relation psychologique enrichira notre analyse du registre de
communication exploité.
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Eléments clés du marketing viral
Les principales différences entre le bouche à oreille et le marketing viral reposent sur deux
points essentiels :
le mode de communication : pour le bouche à oreille la communication est orale alors
que l’autre est écrite et passe par internet
la source d’informations : si le bouche à oreille naît des discussions entre individus, dans
l’approche virale c’est l’entreprise qui est à l’initiative du phénomène
Le marketing viral se définit selon Wilson (2000) comme « toute stratégie qui encourage
les individus à faire passer un message à d’autres, en créant un potentiel de croissance
exponentiel à travers l’exposition et le mode d’influence du message. Comme les virus, de
telles stratégies tirent parti d’une multiplication rapide pour promouvoir le message à des
milliers, des millions de consommateurs ».
Le marketing viral repose ainsi, selon Stambouli et Briones (2002), sur un modèle du réseau
social comportant des «relais» de nœuds centraux constitués d’un ou plusieurs groupes
possédants ou non des interactions entre eux. L’information circule de façon verticale
(top-down) en étant filtrée et retravaillée en partie, par les prescripteurs, avant d’être
diffusée à l’ensemble du groupe. La stratégie est d’impliquer les acteurs stratégiques d’un
segment (les prescripteurs) pour augmenter les chances d’imposer l’identification du
produit ou service au reste du groupe.
Par conséquent, pour qu’une idée se diffuse, selon Godin (2000), il faut qu’il y ait un
contaminateur c’est-à-dire une personne prédisposée à parler de l’idée aux autres et qui
bénéficie d’une crédibilité et d’une confiance lui permettant d’être entendue, écoutée et
crue.
On distingue deux catégories de contaminateurs :
le « contaminateur erratique » diffuse une idée pour de l’argent ou une récompense
(programme de parrainage)
le « contaminateur efficace » diffuse les idées avec un but non lucratif, parce qu’il y
croit. Et cela augmente son pouvoir de persuasion.
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Ainsi, le choix des contaminateurs est crucial. Il doit être choisi, selon Godin, par les
responsables marketing et non l’inverse. Plus que l’étendue d’influence c’est l’autorité
qu’il faut privilégier. Ainsi Warner Books a réussi à faire du livre sur la route de Madison un
best seller en séduisant les libraires indépendants, jusque là délaissés par les concurrents,
et qui faisaient autorité à leur niveau local.
Or pour cela, selon Stambouli et Briones (2002), il faut pallier à trois difficultés :
réussir à identifier l’influent dans l’univers de la marque ou du produit
déterminer par quel canal communiquer avec lui
parvenir à le rendre actif positivement en répondant à trois besoins permanents
(d’information pour consolider son leadership, de reconnaissance, de jouir des privilèges)
Ainsi le « contaminateur efficace » selon la terminologie de Godin ou « l’influent » selon
celle de Stambouli et Briones, joue un rôle actif et essentiel dans la propagation du
message viral. Godin propose ainsi une formule d’une idée virus :
{ [le gain moral pour le contaminateur efficace conseillant le virus] * [le gain matériel du
contaminateur erratique conseillant le virus] * [ la facilité de transmission du virus à un
ami] * [ la puissance de l’amplificateur utilisé pour favoriser le bouche à oreille positif] * [
la fréquence des interactions entre les membres de la ruche] } / { [le nombre de fois qu’il
faut exposer un membre de cette ruche au virus pour qu’il y ait contagion] + [ le nombre
de contaminateurs différents qui doivent conseiller un virus à un individu donné pour que
la mayonnaise prenne] } = R (résultat)
R * [ le % des membres de la ruche infectés qui sont susceptibles de propager le virus] * [ le
nombre de personnes que le contaminateur infecté a des chances de contacter ] * [ la
persistance du virus] * [ le nombre de personnes infectées divisé par la population totale de
la ruche] = idée virus
Si cette formule mériterait une exploration scientifique plus poussée, elle présente
l’avantage de placer certains acteurs influents au cœur du système.
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Bien que la majorité des approches en marketing viral soient issues de réflexions de
cabinets de conseil, qui ont rapidement exploité le phénomène viral, il nous apparaît
intéressant de retenir certains points pour notre travail :
la place centrale que jouent certains acteurs dans le phénomène de propagation
le souci attaché au canal et mode de communication avec celui-ci
la distinction entre des notions telles que l’influence et l’autorité
l’évocation de motivations à l’action telle que le besoin d’information pour nourrir son
expertise, le besoin de reconnaissance, le besoin de se sentir privilégié qu’on pourrait
rapprocher de la notion d’individuation de Chan et Misra (1990, 1991) évoquée plus haut.
48. Master 2 Recherche Marketing et Stratégie 2005/2006 -
Sandrine Fdida
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Chapitre 2 : mise en œuvre
de la recherche