SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  142
Télécharger pour lire hors ligne
Guilhen 
Journal d'un orphelin 
programmé 
- Collection Romans / Nouvelles - 
Retrouvez cette oeuvre et beaucoup d'autres sur 
http://www.inlibroveritas.net
Table des matières 
Journal d'un orphelin programmé...........................................................1 
1...........................................................................................................2 
2.........................................................................................................72 
i
Journal d'un orphelin programmé 
Auteur : Guilhen 
Catégorie : Romans / Nouvelles 
C'est un enfant qui découvre un peu trop tôt le sens du mot "mort". 
C'est un enfant qui aime les comic-books et son chien. 
C'est un enfant qui va grandir et s'enfermer dans une obsession irréversible. 
Voici son journal, jour après jour et année après année... 
(roman écrit en 2006) 
Licence : Licence Creative Commons (by-nc-nd) 
http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/ 
1
1 
15 septembre 1986 
Je ne savais pas trop quand commencer ce journal alors j'ai décidé que 
ce serait aujourd'hui. Parce qu'aujourd'hui j'ai dix ans et que pour la 
première fois depuis deux ans, maman était là pour le fêter. Maman va 
revenir habiter avec nous. Je sais pas encore si je comprends tout ce que ça 
veut dire mais je crois pas. Parce que j'ai dix ans et à dix ans on peut pas 
tout comprendre. C'est comme ça que le médecin m'a parlé. Il m'a dit ça. 
Enfin, à peu près. Et il a dit aussi que je devrais écrire les choses que je 
ressentais, que ça m'aiderait. Il a dit comme ça, de prendre un cahier et de 
noter les jours avec ce que je pensais. Je comprends pas, c'est pas moi qui 
suis malade. Et si maman est revenue, c'est qu'elle n'est plus malade alors 
je comprends pas ce docteur. Papa m'a demandé d'obéir et comme j'aime 
bien écrire, j'ai dit okay. J'écris sur un cahier bleu à spirales avec des lignes 
bleues et une ligne rouge de marge. J'aime pas les petits carreaux et ce 
cahier en a, des petits carreaux. Mais ils n'en avaient pas d'autres à 
l'épicerie. C'est là qu'on les achète, les cahiers, et puis les boîtes de 
conserve aussi. Avec papa, on en a bouffé des tas de boites de conserve 
quand maman était pas là. Du coup, peut-être que j'ai trop de fer dans le 
corps, maintenant ? Je voulais faire des examens pour être sûr, mais le 
docteur m'a touché la poitrine, il m'a dit « tousse, allons, plus fort ! » et 
puis c'est tout. C'était fini la visite. Ensuite il a dit à papa : « vous savez, le 
retour de votre épouse Catherine ne sera pas facile » mais je ne sais pas 
trop pourquoi il a dit ça. Maman, ça fait deux ans qu'elle ne vit plus avec 
nous. Il est bizarre ce docteur. 
Je crois qu'il est pas normal en vrai. 
16 septembre 1986 
1 2
Journal d'un orphelin programmé 
Il faut que je continue à parler de mon anniversaire. Parce que les 
anniversaires, ça arrive pas très souvent. Et après il faut attendre très 
longtemps pour que ça soit encore là. 
Pour mon anniversaire, j'ai dix ans, j'ai eu un chien. C'était bizarre, papa 
l'avait mis dans une boîte trouée pour qu'il respire, avec du papier cadeau 
autour. C'est un chien de berger, ça veut dire qu'il est fait pour garder les 
moutons mais où on habite, y'a pas de mouton. On habite à Lyon, et dans 
la ville y'a jamais de mouton. Je crois que c'est à cause des voitures, ils 
auraient trop peur sinon. Le chien que j'ai eu s'appelle Marcel, parce que 
cette année, c'est la lettre M qu'il faut. Papa m'a expliqué qu'on était obligé 
de choisir un prénom en M et moi j'aime pas trop le M mais tant pis, si on 
est obligé, faut bien prendre un M. Alors du coup moi j'ai décidé que ce 
serait Marcel qu'il s'appellerait. Papa avait pas l'air très content quand je lui 
ai dit le nom que j'avais choisi. Il a secoué la tête comme si j'avais fait une 
bêtise et puis il a dit que c'était un prénom ridicule pour un chien. Moi j'ai 
dit que Marcel c'était bien pour un chien. Alors ensuite maman a dit que ça 
changeait pas grand-chose. Maman elle a été chouette parce qu'elle a dit à 
papa « laisse tomber, c'est son chien... ». Alors voilà, avant d'aller me 
coucher, je voulais juste écrire ça pour m'en souvenir plus tard : j'ai eu dix 
ans et maintenant à la maison on est quatre avec maman et Marcel. 
21 septembre 1986 
Je crois que Marcel est idiot. Je pense que les chiens idiots ça existe, 
comme les gens. Et je pense que Marcel il l'est, idiot. J'essaye de lui 
apprendre à faire des tours, mais y'a rien qui marche, il comprend vraiment 
rien. 
1 3
Journal d'un orphelin programmé 
22 septembre 1986 
J'ai compris pourquoi Marcel comprend rien. C'est un colley, un chien 
de berger qui vient d'Ecosse. Et forcément en Ecosse on parle pas français. 
Il faut que j'apprenne à parler l'Ecossais pour que Marcel puisse m'obéir. 
Ca va pas être facile, j'ai demandé à papa et il m'a dit qu'on n'apprenait pas 
l'Ecossais mais l'Anglais. Et l'Anglais j'en fais cette année à l'école, parce 
que je commence le collège. Pour l'instant je sais pas parler anglais parce 
qu'on n'a pas encore commencé les cours. Le prof est malade et il n'est pas 
remplacé car il paraît que c'est pas grave et qu'il sera là la semaine 
prochaine. Je sais pas trop si Marcel comprendra l'anglais parce que c'est 
quand même un berger écossais et pas un berger anglais. Et mon père n'y 
connaît pas grand-chose en chien, alors comment il peut savoir quelle 
langue comprend Marcel ? Maman n'a pas d'avis. Elle a dit qu'elle s'en 
foutait du chien et de la langue qu'il comprenait. Elle a même dit que du 
moment qu'il salopait pas tout à l'intérieur de la maison, c'était tout ce qui 
comptait. Maman a dit « si ce foutu clébard entre avec ses pattes mouillés, 
je lui file un coup de pied au cul, ça sera pas de l'anglais ni du français, 
mais je te jure qu'il comprendra ! ». 
Maman s'énerve beaucoup. Je me souviens pas trop comment elle était 
avant de partir de la maison. C'était y a deux ans et j'étais petit, j'avais huit 
ans. Je me souviens pas trop, mais je crois bien qu'elle criait moins. 
26 septembre 1986 
On a fait notre premier cours d'anglais à l'école. J'ai pas trouvé ça super. 
La prof est une grosse femme et son visage ressemble à une pastèque 
molle. Quand elle nous parle en anglais, elle postillonne partout et on 
comprend rien. Enfin, moi je comprends rien, et les autres non plus je crois 
bien. Pour l'instant je sais pas dire grand chose en anglais et j'ai essayé 
avec Marcel. Je lui ai dit « Hello, my name is Benjamin », mais il n'a pas 
eu l'air de comprendre plus. Je devrais essayer l'Écossais plutôt, mais papa 
voudra jamais m'acheter un manuel d'écossais. 
1 4
Journal d'un orphelin programmé 
2 octobre 1986 
Maman pleure beaucoup. Elle et papa se crient souvent dessus alors moi 
je préfère rester dans le jardin et apprendre des tours à Marcel. Pour les 
tours, Marcel semble mieux me comprendre. Il creuse partout dans la 
pelouse et ça rend papa complètement dingue. Mais qu'est ce qu'on a à 
faire de la pelouse ? Des pelouses, y'en a partout dans le quartier, toutes les 
maisons en ont et les immeubles aussi. À la télé, ils disent que c'est bien 
les pelouses, que ça fait du bien aux gens, surtout à ceux qui habitent dans 
les villes. Nous on habite Lyon qui est une très grande ville et j'ai pas le 
droit de sortir seul. 
Pourtant Marcel est un chien de berger et il saurait bien me garder mais 
papa veut pas. Maman elle, je sais pas. Je lui ai pas demandé, j'ai pas 
envie. 
4 octobre 1986 
Papa et maman commencent déjà à parler de noël. Noël c'est à la fin du 
premier trimestre et je crois que ça va pas être terrible cette année pour 
moi. En anglais je suis nul, en math je suis nul et en sport, c'est pire. Y'a 
qu'en français que ça va à peu près, j'ai la meilleure note de la classe en 
français. C'est peut-être à cause... Grâce à ce journal ? En tout cas c'est 
marrant. Au début j'avais pas trop envie d'écrire là-dedans. Mais bon 
pourquoi pas ? Et puis maintenant je trouve ça marrant. Pas rigolo, mais 
marrant. C'est pas la même chose. Rigolo c'est pour les gamins et moi je 
suis plus un gamin, j'ai dix ans et j'ai presque failli être orphelin. Les autres 
gosses, ils savent pas ce que c'est. Je pense à ça parce que le docteur 
Croizic qui m'a demandé d'écrire ce journal, il m'a demandé où j'en suis. Il 
m'a dit que ça serait bien d'écrire sur la maladie de maman. Il a dit 
« Benjamin, il faut que tu puisses sortir toute la douleur que tu as 
1 5
Journal d'un orphelin programmé 
accumulée pendant ces deux années. Et c'est certainement par l'écriture que 
tu y parviendras ». Ensuite il m'a demandé si je me sentais capable de le 
faire. Je suis peut-être nul en anglais, dernier en maths et tout le monde se 
fiche de moi en sport, je suis le premier en français. Alors voilà, le docteur 
il les aura ses commentaires sur la maladie de maman. Même si j'en ai pas 
forcément envie, que je trouve ça un peu débile. Sortir des choses 
accumulées en écrivant, c'est aussi con qu'un berger écossais qui comprend 
pas le français. 
8 octobre 1986 
Mais qu'est ce qu'ils ont tous avec noël ? Papa et maman n'arrêtent pas 
d'en parler, pour savoir chez qui on va aller. Il y a les parents de papa qui 
habitent à Cannes et puis les parents de maman qui habitent en Bourgogne. 
Avant, on allait tout le temps en Bourgogne parce que c'est pas loin de 
Lyon. Et cette année papa veut aller à Cannes et maman veut pas. Ils en 
ont parlé ce soir au repas et puis maman a dit « Pour une fois que je suis 
pas dans un putain de lit d'hôpital pour la noël, j'aimerais bien voir mes 
parents ! ». Elle a dit ça en criant presque, en tout cas, avec une voix super 
bizarre comme si elle allait pleurer. Moi je me suis arrêté de manger et je 
l'ai regardée. Papa l'a regardée aussi et il a fait une tête toute drôle. Y'a que 
Marcel qui n'a rien remarqué et qui a continué à respirer fort, allongé sur le 
tapis du salon. Je me demande en quelle langue rêve Marcel. Maman 
ensuite, elle s'est mise à vraiment pleurer et elle est partie sans finir de 
manger. Papa il est resté là, sans rien dire, il m'a regardé bizarre et j'ai 
compris qu'il valait mieux rien dire. Alors j'ai continué à manger et ensuite 
je suis monté dans ma chambre. Maintenant j'écris ce journal et je me 
demande bien ce qu'a maman pour être toute bizarre depuis qu'elle est 
revenue. Peut-être que le docteur Croizic le sait. En tout cas pour ce soir, 
j'en ai assez. En revenant du collège, j'ai acheté le dernier "Strange" alors 
je vais vite aller dans mon lit pour le lire. Demain j'ai un contrôle d'anglais 
et j'ai rien appris. De toute façon je m'en fous, c'est pas en lui parlant en 
1 6
anglais que Marcel saura faire des tours nouveaux. 
9 octobre 1986 
Le contrôle d'anglais s'est pas bien passé du tout. Peut-être qu'il faudrait 
que je lise les Strange en anglais pour m'entraîner. Mais j'y comprendrai 
plus rien et en ce moment c'est pas le moment de rater ce qui se passe. 
Spiderman a plein de problèmes : tante May est tout le temps malade et 
elle va habiter chez la voisine, et puis Mary Jane croit que Peter est un 
peureux alors que c'est Spiderman mais ça bien sûr personne le sait parce 
qu'il doit pas dire son secret. Marcel lui, il s'en fout je crois, des problèmes 
de Spiderman. J'ai essayé d'expliquer la situation de Spiderman à Marcel, 
mais il m'a regardé avec des yeux tout mous et il a continué de dormir. Par 
contre il semble un peu plus comprendre quand je lui parle des trucs 
faciles : donner la patte c'est pas encore ça, mais ça devrait bientôt. 
10 octobre 1986 
Dans trois jours, il faut qu'on aille tous voir le docteur Croizic, enfin 
sauf Marcel bien sûr parce que les chiens ne sont pas autorisés chez les 
docteurs. Le docteur Croizic connaît bien maman, c'est lui qui l'a aidée 
pendant toute sa maladie. Il avait dit à maman qu'il pourrait continuer à 
nous aider après aussi. Cette fois il faut qu'on y aille tous et je sais pas bien 
pourquoi mais bon, on verra bien. 
11 octobre 1986 
Journal d'un orphelin programmé 
1 7
Journal d'un orphelin programmé 
Il a plu. Même que ça a duré toute la journée. C'était de la pluie qui 
faisait plein de bruit en tombant contre les vitres, à cause du vent. Marcel a 
du rester toute la journée dedans et chaque fois que je voulais aller le 
promener, papa me criait dessus. Il disait que c'était une idée 
complètement débile. N'empêche que Marcel il a fini par faire pipi sur le 
tapis du salon et ça c'est un truc complètement débile. C'est bien fait pour 
papa. Maman elle a voulu nettoyer alors que c'était pas à elle de le faire, 
papa lui a dit qu'elle devait se reposer. Et là maman elle s'est énervée et 
elle a criée. Elle a dit : « Tu m'emmerdes Jean-Paul ! J'ai passé deux ans à 
rien faire alors maintenant fous-moi la paix ! Je suis pas handicapée ni 
malade alors je peux nettoyer ! » Moi j'aime pas trop quand maman dit des 
gros mots et quand maman crie comme ça alors je suis monté m'allonger 
sur mon lit. C'était pas une chouette journée. 
12 octobre 1986 
Demain il faut aller voir le docteur Croizic. Ca doit se passer à six 
heures et papa et maman passent me chercher après l'école pour y aller. 
J'aime pas quand ils viennent me chercher à l'école. Enfin je crois que 
j'aime pas parce que ça fait longtemps que c'est pas arrivé. Et justement je 
suis plus un gamin, j'ai dix ans et ma mère a failli mourir. En plus ils 
veulent pas emmener Marcel. Tante May est plus gentille avec Peter que 
mes parents avec moi, je trouve. Et pourtant elle sait même pas que son 
neveu c'est Spiderman. 
Je crois que moi, si j'étais Spiderman, je le lui dirai. 
13 octobre 1986 
On est rentré de chez le docteur Croizic tout à l'heure. Il a parlé très 
longtemps avec nous et puis il nous a demandé de sortir, d'abord moi puis 
papa. Je me demande de quoi ils ont bien pu parler avec maman tout ce 
1 8
Journal d'un orphelin programmé 
temps. Le docteur Croizic a lu mon journal, il m'avait demandé de penser à 
l'emmener et il a dit : « Mmm, c'est très intéressant. Absolument instructif, 
je crois qu'il faut vraiment que tu continues Benjamin. Tu as une facilité 
d'écriture certaine... Et c'est une très bonne thérapie pour refermer l'épisode 
douloureux de la maladie de ta maman ». Même s'il a parlé de la maladie 
de maman, j'étais content qu'il dise ça. Il dit qu'il faut que je parle plus de 
ces deux dernières années si je veux que ça me fasse du bien. Je comprends 
pas trop ce que le docteur veut dire mais bon papa et maman avaient l'air 
d'accord avec lui. Les deux dernières années elles étaient pas très chouettes 
justement et j'ai pas vraiment envie d'en parler dans mon journal. Il paraît 
que le docteur m'avait déjà demandé d'écrire ce journal au début de la 
maladie de maman mais je m'en souviens pas trop. Peut-être que papa me 
l'avait pas dit. Des fois, papa me dit pas tout, il garde des choses pour lui 
parce qu'il a peur que je l'apprenne. Mais ça, il aurait quand même pu me 
le dire. Quand je serais grand, je pourrais lui dire ce que j'en pense et ça 
sera bien. Pour l'instant je suis peut-être un enfant mais je suis quand 
même pas un gamin ! J'ai dix ans. 
15 octobre 
Aujourd'hui j'ai décidé que j'allais faire ce que le docteur Croizic a dit. 
Alors au début, maman a commencé à avoir mal au ventre. Je crois que 
ça a commencé comme ça mais je suis pas très sûr, je me souviens pas très 
bien, c'était il y a deux ans. Le docteur Croizic c'est le docteur qui soigne 
toute la famille depuis tout le temps. Il a donné des médicaments à maman 
et puis voilà. Mais ça a rien fait. Et puis je sais plus quand ça s'est passé 
mais Croizic a envoyé maman chez un copain à lui, un autre docteur, mais 
dans un hôpital cette fois-ci. J'aime pas l'hôpital, c'est tout blanc. Mais au 
début j'y suis pas allé, maman revenait à la maison chaque fois qu'elle avait 
fini. Maman avait plus mal au ventre mais plus haut, dans les seins (j'ai 
cherché dans un dictionnaire pour savoir comme ça s'écrit, et savoir la 
1 9
Journal d'un orphelin programmé 
différence avec les saints). Et là y' a un docteur de l'hôpital qui a trouvé ce 
qu'elle avait. C'est papa qui m'a rappelé tout ça pour que je sache quoi 
écrire pour expliquer le début. Papa il m'a dit qu'il fallait que j'explique le 
début comme si je racontais l'histoire à quelqu'un. Mais le docteur Croizic 
il a bien dit que papa devait pas lire mon journal, ni maman, parce que ça 
risquait de me bloquer sinon. Moi je suis bien content que papa puisse pas 
lire mon journal. Pour maman, je sais pas. Bon je continue l'histoire. Alors 
maman on lui a dit ce qu'elle avait et ensuite on a commencé à la soigner. 
Mais c'était très long et il fallait qu'elle aille souvent à l'hôpital et ça la 
fatiguait tellement qu'elle restait longtemps là-bas. 
Elle a laissé son travail le temps d'être soignée et puis elle n'a plus rien fait 
d'autre. A la maison elle était de moins en moins là. Papa travaillait 
beaucoup, et on mangeait quand il rentrait du travail, souvent il faisait nuit. 
C'était pas très marrant ça. Et puis aller voir maman à l'hôpital c'était pas 
marrant non plus. J'aimais pas ça. Il y avait plein de gens qui marchaient 
partout, des vieux et des pas vieux, des enfants et d'autres mamans mais 
pas la mienne. Elle était couchée dans ce lit et elle avait une toque sur la 
tête et des tuyaux branchés sur elle. On la reconnaissait presque pas. On y 
restait un moment et papa lui parlait de son travail, de la maison et moi il 
fallait que je raconte des choses sur l'école. Papa racontait toujours plein de 
choses et il rigolait beaucoup. Et puis ensuite quand on rentrait à la maison 
tous les deux, papa était tout bizarre et il finissait par pleurer. Et ça c'était 
le pire. Parce que pleurer c'est pas un truc pour les papas. Et puis ça a duré 
deux ans comme ça et c'était super long. Et puis un jour maman est 
revenue à la maison, c'était pour mon anniversaire. Mais de ça, j'en ai déjà 
parlé... 
18 octobre 1986 
Marcel grandit. Et moi aussi sauf que moi ça se voit moins que mon 
chien. Quand Marcel sera grand, il aura plus de poils partout, des poils 
longs couleur caramel et chocolat, et puis blanc aussi, exactement comme 
Lassie. Et il paraît que quand il sera vieux, il aura des problèmes dans le 
1 10
dos et que son derrière sera paralysé. C'est Eric qui me l'a dit. Eric c'est le 
prénom de l'encyclopédie des chiens que j'ai eu pour la noël l'an dernier. 
C'est un gros livre où tout est expliqué sur les chiens, depuis qu'ils sont des 
chiots avec ce qu'il faut leur donner à manger et tout. C'est un livre 
rudement chouette et c'est ma mémé de Bourgogne qui me l'a offert. J'aime 
bien les chiens. Ils parlent pas. 
20 octobre 1986 
Maman a beaucoup pleuré aujourd'hui et je sais même pas pourquoi. J'ai 
demandé à papa mais il m'a dit d'aller me promener. J'aurais bien voulu 
savoir ce qu'elle avait maman mais papa a dit : « Ce n'est pas un truc pour 
les enfants Benjamin, pourquoi ne prendrais-tu pas Marcel pour aller te 
promener dans le jardin public ? Tu ne risques rien maintenant avec lui... » 
Sauf que moi j'avais pas envie d'aller me promener dans le jardin public. Et 
puis y'a toujours plein de monde dans ce jardin et moi je voulais savoir ce 
que maman avait alors je suis remonté dans ma chambre et j'ai terminé le 
Strange. Demain j'en achèterai un nouveau avec Daredevil dedans. C'est 
mon argent de poche alors je fais ce que je veux avec... 
25 octobre 1986 
Dans deux mois c'est noël. Finalement papa a accepté d'aller en 
Bourgogne cette année. Maman n'a pas pleuré depuis deux jours, on dirait 
que les choses sont plus calmes. Je pense que ça va pas durer. 
26 octobre 1986 
Journal d'un orphelin programmé 
1 11
Journal d'un orphelin programmé 
J'avais raison. Aujourd'hui maman a pleuré à nouveau et j'ai compris 
pourquoi. Enfin je crois. Maman a eu des opérations pendant sa maladie et 
aujourd'hui j'ai vu quoi. Quand maman est sortie de la douche je l'ai vue 
parce que la porte était entrouverte. Je suis resté sans bouger. Elle pouvait 
pas me voir. Et j'ai vu maman et à la place de ses seins il y a deux grosses 
cicatrices rouges maintenant. Elle les a touchées et elle les a regardées dans 
la glace de la salle de bains. Et moi aussi je les ai regardées parce que c'est 
bizarre. Ca m'a fait peur et quand maman les regarde, son visage change, 
c'est comme si c'était plus maman. Et après elle a pleuré et moi je suis 
rentré dans ma chambre. Heureusement dans le nouveau Strange que j'ai 
acheté il y avait Daredevil et lui il est chouette. 
29 octobre 1986 
J'ai finis le Strange. C'était rudement bien, surtout grâce à Daredevil. Il 
est aveugle à cause d'un accident qu'il a eu quand il était petit, en voulant 
sauver un vieux qui traversait la route. Mais après son accident il a eu plein 
de nouveaux pouvoirs et il combat les méchants toutes les nuits. Et surtout 
le gros caïd qui est très gros et le plus méchant de tous. Et dans la journée 
Daredevil est avocat et il a une canne d'aveugle qui est son arme la nuit, 
aussi. J'aime bien quand Daredevil se bat contre le gros caïd. On a toujours 
l'impression qu'il va perdre mais il gagne toujours. Le gros caïd il me fait 
penser au docteur Croizic sauf que le docteur il est moins gros. 
Mais il est chauve et il porte aussi une veste blanche. J'aime pas trop le 
blanc, ça me fait bizarre. On dirait que ces gens sont malades... 
30 octobre 1986 
J'ai fais un cauchemar terrible cette nuit. J'ai rêvé que les cicatrices de 
maman s'ouvraient et que plein de petits lézards en sortaient. Ils étaient 
vraiment beaucoup et ils tombaient sur le sol de la salle de bains. Il y en 
1 12
Journal d'un orphelin programmé 
avait qui tombaient aussi sur le lavabo, sur le rebord et après ils rampaient 
pour entrer dans le trou du lavabo. Et à chaque fois que des lézards 
sortaient par les cicatrices de maman, il y avait du sang qui coulait de ses 
yeux, comme si maman pleurait du sang. Je me suis réveillé dans la nuit et 
je sais pas quelle heure c'était parce que quand j'ai voulu regarder le réveil 
j'ai vu les chiffres rouges et ça m'a rappelé le sang. Alors j'ai mis la tête 
sous les couvertures, j'ai pensé à Spiderman et après je me suis rendormi. 
Parce qu'encore après, quand j'ai ouvert les yeux, il y avait plein de lumière 
du soleil dans la chambre. Ensuite j'ai été fatigué toute la journée à l'école 
et j'ai rien compris à la leçon de math. Il va falloir que j'aille me coucher 
tout à l'heure mais j'ai peur de refaire le même rêve alors je vais relire un 
vieux Strange de ma collection pour penser à des choses bien. Je vais relire 
un des Strange où Spiderman se bat contre le docteur Octopus et que tout 
un immeuble lui tombe dessus, même que Spiderman est bloqué et que sa 
force d'araignée lui sert à rien. J'aime bien quand les héros sont bloqués, ça 
change de quand c'est trop facile pour eux. 
Parce que pour moi c'est jamais facile quand j'y arrive pas. 
4 novembre 1986 
Cette nuit j'ai refais un cauchemar avec des flammes qui sortaient du 
corps de maman et quand papa voulait l'éteindre, il ouvrait la bouche et 
c'était plein de boue qui coulait. Et quand la boue de papa tombait sur 
maman, les flammes devenaient plus fortes. Et ses cicatrices devenaient 
bleu et se tordaient, comme une bouche avec plein de dents qui souriaient 
et même, qui rigolaient. 
6 novembre 1986 
Marcel aime beaucoup la viande. Ce soir je lui ai donné un peu de mon 
steak haché et il avait l'air drôlement content. Quand Marcel est content il 
1 13
Journal d'un orphelin programmé 
remue la queue, comme tous les chiens. Mais les chiens ont le coeur qui bat 
plus vite que celui des gens, et c'est pour ça aussi qu'ils vivent moins. 
Alors c'est important que Marcel mange de la viande pour devenir fort 
mais le lait par contre il aime pas du tout. Pourtant dans le lait il y a plein 
de choses pour qu'on grandisse alors ça serait mieux si Marcel pouvait en 
boire mais bon voilà, il aime pas ça du tout. Sûrement que ça lui ferait 
penser qu'il est un chat s'il buvait du lait et là ça rendrait malade tous les 
chiens. Je peux comprendre ça... 
7 novembre 1986 
C'est pas facile d'écrire tous les jours. Le docteur Croizic a dit que 
c'était pas grave mais qu'il fallait que j'essaye. Mais des fois je préfère 
regarder la télé et les dessins animés ou lire "Strange" ou "Spectral". 
"Spectral" c'est bien aussi, dedans y'a la chose du marais qui est un ancien 
scientifique qui a du se jeter dans un marais pour pas brûler dans 
l'explosion de son laboratoire. Et comme il avait plein de produits 
chimiques sur lui, ça a fait une réaction avec la vase et les choses qui sont 
dans le marais. Et tout le monde le croyait mort alors que pas du tout : il 
est ressorti du marais transformé en la chose du marais. C'est rudement 
chouette comme histoire et y'en a tout plein. Alors voilà, y'a souvent des 
trucs que j'ai à faire au lieu d'écrire sur ce cahier. Y'a juste que, avant de 
dormir j'aime bien écrire. Il faut que je m'entraîne à écrire parce qu'à 
l'école c'est la seule chose que j'aime faire. 
8 novembre 1986 
Aujourd'hui il ne s'est rien passé. J'ai même pas joué avec Marcel. 
Maman a encore pleuré, elle est toute bizarre depuis qu'elle est revenue de 
l'hôpital, c'est comme si c'était une autre personne. 
1 14
9 novembre 1986 
Journal d'un orphelin programmé 
Aujourd'hui il ne s'est rien passé. Je me demande si je dois écrire ça pour 
écrire tous les jours, je trouve pas ça très marrant. Je crois que je vais 
arrêter. Ah si, aujourd'hui Marcel a vomi. Je sais pas pourquoi il a fait ça : 
c'est bizarre les chiens, des fois... 
11 novembre 1986 
Le 11 novembre est une date que j'aime parce qu'on va pas à l'école et 
qu'on nous montre plein de vieilles images à la télé. Il faut se rappeler de la 
guerre de 14-18 qui s'est arrêtée un 11 novembre. A l'époque il fallait avoir 
plein de barbe pour être soldat. Papa avait de la barbe pendant un moment 
et puis maintenant il l'a rasée. Je crois qu'il avait la barbe pendant que 
maman était à l'hôpital. Il a du la raser avant que maman rentre il y a deux 
mois, je me souviens plus trop bien. 
En tous cas il y a plein de choses bizarres depuis que maman est revenue 
à la maison. Avant quand elle n'était pas là, c'était plus facile parce qu'on 
était seuls avec papa. C'était dur mais on savait ce qu'on avait à faire. Et 
maintenant il faut se réhabituer à voir maman à la maison tous les jours. 
Mais je me souviens quand papa disait que peut être maman ne reviendrait 
pas à la maison. Il disait que peut être on ne reverrait plus jamais maman. 
Je m'en souviens parce que je me rappelle que ça m'a fait drôlement peur. 
C'était il y a deux ans, j'étais petit, j'avais huit ans. Et puis papa m'a plus 
rien dit et puis un jour maman est revenue, c'était il y a deux mois. 
Maintenant il faut que je m'habitue à elle, comme Marcel a du s'habituer à 
nous. 
1 15
Journal d'un orphelin programmé 
Sauf que Marcel il pensait pas qu'il ne nous reverrait jamais puisqu'il nous 
connaissait pas avant. C'est plus facile. 
15 novembre 1986 
Aujourd'hui j'ai pile dix ans et deux mois. Il a plu toute la journée et j'ai 
passé la journée à l'école à regarder par la fenêtre. J'ai regardé tomber la 
pluie et j'ai essayé de compter les gouttes mais il y en avait beaucoup trop. 
Si j'étais comme Daredevil je pourrais le savoir rien qu'en écoutant. Parce 
que Daredevil, il est peut être aveugle, n'empêche qu'il entend super bien. 
Et la pluie ça fait un sacré bruit quand ça tombe. 
16 novembre 1986 
Marcel continue à grandir, maman continue à pleurer, papa continue à 
crier. C'est pas très intéressant à la maison, presque aussi mauvais qu'à 
l'école. 
20 novembre 1986 
Dans un mois c'est le conseil de classe et les bulletins qui vont arriver 
chez les parents. Pour l'instant j'ai pu tout cacher mais ils vont bien s'en 
rendre compte quand ils recevront le bulletin. Je pense pas que maman dise 
quelque chose, elle est trop occupée à pleurer. Mais papa va être sacrément 
en colère. Mais j'y peux rien, j'aime pas les maths, ni l'anglais, ni le sport. 
Et puis y'a toujours tous les autres qui regardent et qui rigolent. J'aime pas 
ça. 
Des fois je sens qu'ils me regardent dans mon dos et qu'ils se moquent de 
moi. Ils disent du mal sur moi, je suis sûr qu'ils savent pour maman et 
1 16
Journal d'un orphelin programmé 
qu'ils se moquent de moi à cause de ça. C'est comme Spiderman, il est 
toujours au milieu des autres élèves qui le regardent en se moquant de lui 
et personne comprend que c'est dur. Après plusieurs années, il finit par être 
copain avec des autres élèves mais je suis sûr que c'est juste un piège des 
autres. 
22 novembre 1986 
On reparle de noël à la maison et les coups de téléphone commencent. 
Papa a pas l'air très content d'aller chez les parents de maman pour la noël. 
Maman quand elle leur téléphone, elle est toute contente après. C'est 
comme si elle n'avait pas changé. Peut-être que les médecins lui ont mis 
quelque chose dans le cerveau pour la faire changer mais que ça fonctionne 
encore pas trop, ou pas tout le temps. Je vais devoir ouvrir l'oeil pour 
comprendre le truc. Faudrait pas que ce soit un piège... 
23 novembre 1986 
J'ai fais un nouveau cauchemar cette nuit. Et même que cette fois il a 
duré plusieurs fois, je veux dire qu'il a recommencé alors que je m'étais 
réveillé et rendormi. Il y avait des marteaux qui tombaient du ciel, des 
marteaux vraiment très gros. Quand ils tombaient sur le sol, ça faisait tout 
trembler. Moi je courais au milieu d'une forêt et les arbres avaient des têtes 
d'humains et il y avait maman, ma maman d'avant la maladie qui courait 
avec moi. 
Là c'était bien. Elle me tenait par la main et je me sentais vraiment bien. 
C'était très chouette. Mais après les marteaux grossissaient et il y en avait 
vraiment tout plein qui tombaient autour de nous. Et les arbres rigolaient, 
ils se moquaient de moi. Ils avaient des têtes de l'école. Et à un moment y'a 
un marteau qui a touché la tête de maman. Alors elle a changé et elle est 
devenue la maman de maintenant et ses cicatrices se sont ouvertes et il y 
1 17
Journal d'un orphelin programmé 
avait du sang partout sous nos pieds. Et les arbres riaient tellement fort 
qu'il fallait courir en se bouchant les oreilles. Et j'étais tout seul. 
25 novembre 1986 
Voilà, dans un mois c'est noël. Papa voulait m'acheter un vélo mais je lui 
ai dit que c'était pas la peine. Dehors c'est trop dangereux. Y'a le parc qui 
est pas loin de la maison mais y'a quand même le pont à traverser et là c'est 
plein de voitures. Des fois quand je vais à l'école et que je traverse le pont, 
je les regarde les voitures. Elles brillent même quand il fait presque nuit et 
derrière les vitres je vois les gens. Ils me regardent tous et j'aime pas ça. 
J'aime pas ça du tout. Ce que je pense c'est qu'ils sont dans le truc. Ils sont 
au courant pour maman et les opérations qui ont mis le truc dans la tête de 
maman pour qu'elle change. Les gens qui sont dans les voitures me 
laisseraient pas tranquille si j'avais un vélo. Alors je préfère pas. Et pour la 
noël je m'en moque un peu parce que j'ai plus de dix ans maintenant, je 
suis plus un petit et les cadeaux c'est surtout pour les petits. En plus à 
l'école ceux que j'aime le moins ils ont tous un vélo et ils viennent avec, 
alors j'aime pas les vélos. 
Ah oui, et j'aime pas du tout le blanc non plus, quand je pense aux vélos, je 
pense aux gens dans les voitures et puis aussi au blanc. Et j'aime pas le 
blanc. C'est tout. Pas la peine d'essayer... 
26 novembre 1986 
Aujourd'hui j'ai vu une émission drôlement chouette à la télé. Ils 
expliquaient comment on pouvait faire des opérations dans la tête des gens 
pour les changer. C'est drôlement facile de changer les gens comme ça. Ils 
disaient qu'ils avaient d'abord fait ça sur des singes pour essayer mais que 
ça devait être pareil pour les humains. Ils disaient que ce serait chouette 
pour les gens qui ont eu un accident sur la route et qui bougent plus et qui 
1 18
Journal d'un orphelin programmé 
parlent plus. Mais moi j'ai compris qu'en fait ils l'avaient déjà fait pour de 
vrai sur des vrais gens comme maman. Peut-être que papa est au courant 
mais je dois faire attention à pas faire voir que j'ai tout compris. Il faut être 
prudent, c'est comme ces gens dans les voitures et les arbres qui ont des 
visages, des fois. 
Marcel a encore vomi, je sais vraiment pas ce qu'il a et papa veut pas 
qu'on l'emmène voir un docteur de l'estomac des chiens. C'est dommage, je 
suis sûr qu'il aurait pu lui prendre l'estomac en photo et comprendre ce 
qu'il se passe. Maman a dit : « C'est normal qu'il vomisse ce chien avec 
toutes les saloperies qu'il mange à longueur de journée ! Il est énorme ! 
Quelle idée on a eu de t'acheter un chien pareil pour ton anniversaire, je te 
jure ! » C'était pas très gentil de dire ça surtout devant Marcel. Marcel il est 
comme Daredevil, il entend tout, même des choses très aigues que nous on 
peut pas entendre. 
Alors quand nous on entend, lui il entend super bien. Mais comme il est 
gentil, il a fait comme si ça le gênait pas ce qu'a dit maman. Marcel c'est 
un chouette chien. 
27 novembre 1986 
Finalement on a emmené Marcel chez un vétérinaire. Il était vraiment 
pas du tout comme le docteur Croizic. J'étais déçu, il était plus grand. Mais 
le vétérinaire a été gentil avec Marcel, il l'a regardé partout et à la fin 
Marcel était tout content. Le vétérinaire a dit : « Rien de bien grave mais 
ce chien a un régime alimentaire complètement perturbé ! Vous devez 
absolument le mettre à la diète où il va devenir énorme ! Ce n'est encore 
qu'un chiot, il a besoin de forces pour grandir mais pas pour grossir ! » Et 
puis le vétérinaire nous a donné un petit livre sur la nourriture des chiots et 
un autre sur la nourriture des chiens. Il a dit que c'était pour nous aider à 
donner à manger exactement ce qu'il fallait et habituer Marcel à manger 
normalement. Il a dit : « Les chiots c'est comme les gosses, si on n'est pas 
derrière eux, ils mangent uniquement ce qu'ils aiment et en quantités 
1 19
Journal d'un orphelin programmé 
démesurées ». Voilà, et après on est revenu à la maison et quand papa a 
expliqué tout ça à maman, elle a dit qu'elle le savait et que c'était toujours 
pareil et que jamais personne ne voulait l'écouter dans cette maison. Et 
puis plein d'autres choses que j'ai pas écoutées parce que je suis monté 
dans ma chambre. J'aime bien être dans ma chambre, je suis bien tranquille 
et souvent il y a Marcel qui vient avec moi et qui reste là à faire semblant 
de dormir. Marcel il aime bien faire semblant de dormir mais il aime bien 
dormir aussi. 
C'est un chouette chien. 
28 novembre 1986 
Je suis tout à fait comme Spiderman. Des fois Spiderman a envie de tout 
arrêter et d'autres fois il est content d'être Spiderman. Faut dire que c'est 
pas facile pour lui, encore moins que pour moi je crois bien. Mais bon lui il 
a un pouvoir terrible et pas moi. J'aimerai bien avoir un pouvoir, moi-aussi. 
30 novembre 1986 
Encore un cauchemar cette nuit. Mais heureusement j'ai pu me 
rendormir et ne plus y penser. C'était plus vite que les autres fois. Il y avait 
des militaires qui sautaient en parachutes et qui arrivaient au milieu de la 
maison. C'était la nuit et il y avait papa qui faisait plein de travaux dans la 
maison pour les empêcher de rentrer. Mais le toit était tout cassé et c'était 
par là que les militaires entraient. Ensuite ils empêchaient papa de bouger 
et ils tiraient à la mitraillette sur Marcel pour qu'il n'aboie plus. Et Marcel 
était mort. Et puis après les militaires attrapaient maman et l'obligeaient à 
s'allonger sur la table de la cuisine. Là, ils trafiquaient dans sa tête avec des 
outils et puis maman se levait et elle marchait tout bizarre. C'était comme 
si maman était un robot qui était en panne. Il y avait des fils qui sortaient 
de sa tête et des lumières qui clignotaient sous son visage. Alors les 
1 20
Journal d'un orphelin programmé 
militaires refaisaient des choses dans sa tête avec des outils et cette fois 
maman redevenait la maman d'avant les opérations, celle qui me tenait par 
la main dans la forêt de l'autre nuit. 
Et puis après je me suis réveillé. Dommage... 
4 décembre 1986 
Aujourd'hui j'ai fais mon dernier contrôle de maths de l'année. Je 
déteste les maths mais moins que le sport quand même. Et demain il y a un 
contrôle de sport. En maths je pense que j'aurais pas plus de sept ou huit 
sur vingt mais en sport, pour l'instant j'ai toujours zéro ou deux. Je 
comprends pas comment ça se fait que j'ai des zéros en sport. Le prof dit 
que c'est parce que je fais pas d'effort mais comment il peut savoir, il est 
pas à ma place ! J'aime pas ce prof de sport, je suis sûr que c'est un ancien 
militaire. Il a du se faire mettre dehors de l'armée parce qu'il avait tué trop 
de gens et du coup il se retrouve prof de sport au collège. C'est pas possible 
autrement. N'importe qui d'autre mettrait pas un zéro en sport, c'est débile. 
Il le fait exprès pour que tout le monde puisse se moquer de moi. Lui aussi, 
il est dans le coup. 
6 décembre 1986 
Papa et maman se sont disputés. Marcel a commencé à couiner et à faire 
plein de trucs bizarres, comme si ça lui plaisait pas. Il est marrant Marcel. 
Mais maman et papa arrêtaient pas de crier à cause de la noël. J'aime pas 
aller à Cannes, et j'aime pas aller en Bourgogne mais au moins à Cannes 
y'a la mer et ça c'est quand même chouette. Avant, papa et maman se 
disputaient pas trop. C'est que depuis que maman est revenue que ça arrive. 
Je sais que les militaires ont mis ce truc dans sa tête mais peut-être y'a pas 
que ça. 
1 21
Journal d'un orphelin programmé 
Dans un numéro de Strange que j'ai lu au début de l'année, je me souviens 
que le Docteur Fatalis avait fabriqué un faux Ben, des Quatre Fantastiques. 
Les autres croyaient tous que c'était leur Ben parce que le vrai avait 
disparu et tout le monde s'est fait avoir. Alors je crois que c'est un truc 
pareil qu'ils ont fait avec maman. C'est pas ma vraie maman ça, c'est une 
copie, peut être un robot ou alors une vraie femme qu'ils ont transformé 
pour qu'elle soit comme maman. Et c'est pour ça que tout est tellement 
bizarre depuis qu'elle est revenue à la maison. Et aussi que papa se dispute 
avec elle. Marcel lui il peut pas comprendre tout ça mais voilà : la femme 
qui est chez nous c'est pas maman. 
7 décembre 1986 
Pourquoi cette femme a des cicatrices si c'est pas maman ? Il doit y 
avoir un truc rudement méchant là-dessous. Ca veut dire qu'y a des gens 
capables de faire ça exprès à une femme pour que nous avec papa on croit 
que c'est maman. Mais moi j'ai tout bien compris. Maman elle est morte, et 
puis c'est tout. 
8 décembre 1986 
Dans les rues aujourd'hui y'avait plein de lumières aux fenêtres parce 
que c'est la fête à Lyon. Avec papa et cette femme, on est allé voir ça après 
l'école. On a laissé Marcel tout seul à la maison et on est parti à pied. Il a 
fait très froid et on avait tous des bonnets et des gants comme s'il neigeait 
sauf qu'il neigeait pas. Dommage, j'aime bien la neige même si c'est blanc 
au début. 
Y'avait pas beaucoup de gens dans la rue parce qu'il faisait super froid. 
Y'avait des fenêtres avec des petites bougies et d'autres qui en avaient pas. 
Moi j'avais froid et j'avais faim heureusement au bout d'un moment on est 
allé au restaurant parce que papa voulait pas manger à la maison. Catherine 
1 22
Journal d'un orphelin programmé 
(le même prénom que maman, comme par hasard) était pas très d'accord au 
début mais après elle a dit : « Bon d'accord Jean-Paul, si tu veux... De toute 
façon le frigo est vide ». Et ça c'est vrai, le frigo il est toujours vide 
maintenant. Avant, quand maman était à l'hôpital, papa s'occupait bien du 
frigo mais maintenant que Catherine a remplacé maman, on mange pas 
bien. Alors on est allé au restaurant et j'ai mangé du poulet avec des 
pommes de terre en rond. Papa il a bu une bouteille de vin et Catherine a 
commencé à faire la tête et à lui dire de moins boire mais papa il a 
continué quand même. Après on est rentré à la maison avec le métro et je 
me suis endormi je crois bien parce que je me souviens plus très bien. 
Après on est arrivé à la maison et Marcel était content de me voir alors 
maintenant il est dans ma chambre. Il est allongé par terre au pied du lit. Il 
me regarde comme s'il savait que j'écris sur lui mais il peut pas savoir. 
Demain on va voir le docteur Croizic pour parler de... je sais pas qui mais 
pas de maman en tous cas. 
9 décembre 1986 
Le docteur Croizic était pas content. Il m'a demandé si j'avais fait exprès 
d'oublier mon cahier où j'écris ce journal. Je lui ai dit que non, mais je 
crois bien qu'il m'a pas cru. Il est pas bête le docteur Croizic même s'il 
s'habille en blanc. 
J'aime pas le blanc. Il a dit : « Benjamin, il faut que tu apportes ce cahier 
chaque fois que nous nous voyons. C'est important. Il faut que je puisse 
voir que tout va bien parce qu'avoir une maman qui a été malade comme la 
tienne pendant aussi longtemps, ça peut être difficile pour un petit garçon. 
Alors la prochaine fois, n'oublie pas ce cahier, d'accord ? » J'aime pas 
comme il me parle. J'ai dix ans, je suis plus un petit garçon. Et puis maman 
est morte alors je vois pas pourquoi il veut savoir tout ça, qu'est ce que ça 
peut lui faire ? Le docteur Croizic c'est juste un docteur qui soigne les gens 
qui ont des petites maladies. C'est pas un super docteur, alors qu'il s'occupe 
de ses fesses. 
1 23
Journal d'un orphelin programmé 
11 décembre 1986 
Cette nuit le docteur Croizic était dans mes rêves. Et j'ai compris un truc 
terrible. Il avait un visage tout flou mais c'était lui quand même. Et y'avait 
un chien aussi mais c'était pas Marcel mais c'était quand même un chien à 
moi. Dans le rêve que j'ai fait au début, le docteur était vraiment très gros, 
encore plus gros que le caïd dans Strange. Et pourtant le caïd est gros mais 
il est musclé parce que des fois il s'entraîne et on le voit battre plein 
d'autres hommes. Ensuite y'avait le chien qui m'échappait et qui courait 
derrière le docteur Croizic. Lui, il était tellement gros qu'il roulait. Mais 
mon chien aboyait et il courait encore plus vite. Et puis à un moment le 
chien sautait sur le docteur et il se mettait à le mordre au visage. Et là le 
visage était plus flou du tout et on reconnaissait bien le docteur Croizic. Et 
le chien commençait à vraiment le mordre parce que le docteur criait super 
fort. 
Moi j'essayais de crier pour dire au chien d'arrêter mais y'avait rien qui 
sortait, j'étais muet. Alors du coup j'essayais d'attraper le chien et de le tirer 
en arrière pour qu'il comprenne qu'il fallait arrêter. Mais le chien était trop 
musclé et j'arrivais même pas à le faire bouger. Et sous le chien y'avait le 
docteur Croizic qui maigrissait parce que le chien en mangeait des bouts. 
Y'avait plein de sang qui coulait sous le chien et sous mes chaussures ça 
faisait « splatch ! splatch ! » quand je marchais dedans. Et après le docteur 
Croizic se relevait et il était tout maigre et le chien se mettait à couiner et 
d'un coup il tombait par terre et il était mort. Le docteur Croizic était à 
moitié mangé et son visage était flou d'un côté et mangé de l'autre côté, 
comme Double Face dans Batman. 
Et je me suis réveillé et j'ai compris que le docteur Croizic c'était Double 
Face et que je pourrais jamais lui apporter ce journal. Maintenant je me dis 
que le docteur doit s'être mis d'accord avec les militaires pour se mettre 
contre moi. Il faudra jamais qu'on retourne voir ce docteur et puis d'abord 
on n'en a pas besoin parce qu'on est pas malade. 
1 24
12 décembre 1986 
J'ai voulu dire à papa pour le docteur Croizic mais il a pas voulu 
m'écouter parler. Tant pis, je me ferai pas prendre au piège, je connais bien 
Double Face parce qu'au début c'était un copain de Batman mais après il 
est dans le camp des méchants. C'est bien que je sache tout ça et que je l'ai 
compris. Il faut que je cache mon journal parce que sûrement que les 
militaires vont vouloir me le voler et qu'ils vont lire que je sais tout. 
Après, ils vont venir me prendre... 
20 décembre 1986 
Ca faisait longtemps que j'avais pas écrit dans ce journal. Mais j'ai eu 
peur que les militaires viennent alors j'ai caché le cahier quelque part dans 
la maison. Je voulais voir s'ils avaient pas mis des caméras dans ma 
chambre. Avec tout ce que j'ai compris sur Double Face et cette femme, 
Catherine, qui remplace maman qui est morte, je suis devenu dangereux 
pour eux. Alors je leur ai tendu un piège en écrivant tout ça pour vérifier 
s'il y avait pas des caméras mais ils sont pas venus alors je pense qu'il y a 
pas de caméras. En tous cas y'en a pas dans ma chambre. Heureusement on 
va partir demain chez pépé et mémé et là ils viendront pas nous chercher. 
Je vais prendre mon journal et Marcel avec moi. Marcel est jamais allé en 
Bourgogne, ça va lui faire tout drôle d'aller dans la maison de pépé et 
mémé, j'espère qu'il y aura des bols pour lui donner ses croquettes parce 
que Catherine veut pas qu'on emporte son bol. J'ai rien voulu dire parce 
que je veux pas trop parler avec cette femme mais c'est pas très gentil 
parce que Marcel il y est pour rien dans toute cette histoire. 
21 décembre 1986 
Journal d'un orphelin programmé 
1 25
Journal d'un orphelin programmé 
Voilà, on est en Bourgogne chez pépé et mémé et il fait encore plus 
froid qu'à la maison mais ici au moins il y a la cheminée alors on peut 
avoir un peu chaud. Il a neigé dehors pendant qu'on mangeait ce soir et 
j'aime ça la neige même si au début c'est blanc. 
Et moi, j'aime pas le blanc. 
23 décembre 1986 
Pépé et mémé sont tombés dans le piège des militaires et de Double 
Face. Ils ont pas compris que c'était pas maman mais Catherine, une autre 
femme qui ressemble beaucoup à maman. Et comme papa fait comme s'il 
avait pas compris non plus c'est comme si rien avait changé. Sauf que 
Catherine sourit jamais alors que maman riait tout le temps et aussi qu'elle 
fait toujours les choses très vite alors que maman était plus calme. Maman 
elle s'énervait jamais, et Catherine elle est toujours super énervée. Le 
docteur Croizic a dit que c'était un effet secondaire des deux ans de la 
maladie mais c'est juste une fausse piste. Pépé et mémé en ont parlé à un 
moment avec papa pendant que Catherine était aux cabinets. Mémé a dit : 
« Elle a changé ! Elle semble avoir repris des forces, en tous cas, elle a 
repris quelques kilos. Mais la pauvre, elle était tellement maigre à 
l'hôpital... ». Et puis ensuite pépé a dit : « Pauvre petite, elle qui était si 
calme et si détendue... Elle est tellement pressée maintenant... ». Alors 
papa a répondu : « Le médecin qui nous suit tous depuis la naissance de 
Benjamin explique que c'est un effet secondaire. Les chimiothérapies et les 
médicaments, ça lui a quand même bien détraqué le système. J'essaye de 
faire avec mais c'est pas facile de trouver sa femme autant changée. Mais 
c'est tellement beau qu'elle soit là, avec nous... ». Papa est vraiment bête, il 
veut bien croire tout ce qu'on lui dit. Alors avec Marcel on est sorti jouer 
au ballon dans la cour de la ferme de pépé et de mémé. Parce que la neige 
a fondu un peu et qu'avec la terre, ça fait de la boue et que le blanc est 
maintenant marron et c'est mieux. 
1 26
Journal d'un orphelin programmé 
25 décembre 1986 
La noël c'était hier soir et on a du aller à l'église mais j'aime pas l'église 
et papa non plus mais il a pas trop osé le dire. Depuis que Catherine vit à la 
maison avec nous, il arrête pas de dire que la guérison c'est un miracle et il 
commence à croire en dieu alors on risque d'aller à l'église maintenant. Je 
suis pas allé beaucoup à l'église et d'habitude j'y vais une fois par an 
pendant la noël. Alors hier soir avec pépé, mémé, papa et Catherine on y 
est allé avec la voiture de pépé qui est une camionnette qui fait plein de 
bruit. L'église c'est dans le village à côté et il y avait plein de monde. 
J'aime bien les églises parce qu'y a pas de bruit. Et j'aime bien quand y'a 
pas de bruit. On est allé s'asseoir au début là où y'avait encore des places et 
puis le curé est arrivé et y'a eu de la musique. Tout le monde s'est levé. 
Moi ce que j'aime pas à l'église c'est qu'on se lève tout le temps alors que si 
y'a plein de chaises, c'est fait pour s'asseoir. Je suis sûr que c'est pour 
économiser les chaises que les curés obligent à rester debout longtemps. 
En plus après que ça ait commencé, il y a des corbeilles qui passent et il 
faut mettre de l'argent dedans. Ca aussi j'aime pas trop mais mémé elle dit 
que c'est une bonne action et qu'il faut toujours donner des sous. Pépé et 
mémé ils vont à l'église tous les dimanches et ils disent tout le temps à 
papa qu'il devrait faire pareil et que moi je devrais aller au catéchisme. 
N'importe quoi, comme idée débile ; bravo ! 
Après l'église on est revenu à la maison et on a mangé du saumon, j'aime 
bien le saumon surtout parce qu'y a plein de citron. Marcel il a pas le droit 
d'aller à l'église et il a pas le droit au saumon ni au citron. Mais on lui a 
quand même donné plus de croquettes aujourd'hui parce que c'était noël. 
C'est Catherine qui a décidé ça et ça m'a vraiment fait bizarre qu'elle dise 
ça. Mais je crois qu'elle a fait ça exprès pour essayer de me tendre un 
piège, pour m'amadouer. Dans un numéro de Strange, le prince des mers 
1 27
Journal d'un orphelin programmé 
fait la même chose à la femme des Quatre Fantastiques : il est d'un coup 
super gentil mais c'est rien qu'un piège alors moi je vais pas me faire avoir. 
Mais Marcel il s'en fiche lui parce qu'il a eu deux fois des croquettes alors 
il était content. Ensuite on est allé voir le sapin de noël que mémé avait 
préparé et aux pieds, y'avait plein de cadeaux. Y'avait vraiment plein de 
cadeaux avec marqué "Catherine" dessus. Tout le monde rigolait et papa a 
pris des photos avec son vieil appareil que j'avais pas vu depuis longtemps 
parce qu'il s'en servait plus depuis longtemps. Moi j'aime pas trop quand 
tout le monde rigole comme ça parce que ça cache des choses et en plus je 
sais bien toute l'histoire avec Catherine. Et puis je trouve que c'est pas très 
gentil de faire la fête comme ça alors que maman est morte. Je voudrais 
être triste mais j'y arrive pas et je veux pas être content et ça j'y arrive. 
Alors j'ai ouvert mes cadeaux comme ça, sans rien dire, et j'ai embrassé 
pépé et mémé parce que papa et Catherine m'ont regardé méchamment. 
Mes cadeaux étaient pas terribles, c'était des livres d'histoire et des habits. 
Les autres aussi ont eu des cadeaux mais comme j'en avais assez j'ai dit 
que j'étais fatigué. 
Mémé a dit : « Oh, pauvre petit, il a pas l'habitude de se coucher tard... 
Mais il n'est pas si tard... Cathy, ne le couche pas tout de suite, pour une 
fois qu'on est tous ensemble ! » Quelle idiote mémé ! Alors j'ai du rester 
encore avec tout le monde et je me suis assis avec Marcel mais il avait pas 
très envie parce qu'il a fait comme si j'étais pas là et il a dormi en ronflant. 
On a mangé du gâteau au chocolat et pépé a dit qu'il l'avait préparé mais je 
suis pas sûr parce que d'habitude pépé il fait jamais de gâteaux. Ensuite j'ai 
pu aller dans la chambre et maintenant j'écris sur mon journal. Maintenant 
je vais dormir. 
27 décembre 1986 
On est revenus de chez pépé et mémé aujourd'hui et sur la route on a 
failli avoir un accident. Catherine a crié après papa et elle a dit : « Enfin tu 
vois bien que tu les suis de trop près ! ». Et là, d'un coup, la voiture devant 
nous est partie en travers de la route et elle a fait tout plein de zigzags et 
1 28
Journal d'un orphelin programmé 
papa a du freiner pour pas qu'on lui rentre dedans. Notre voiture a fait plein 
de bruit et Marcel ça l'a réveillé et il a voulu se lever pour voir ce qui 
arrivait mais ça bougeait trop alors il est tombé sur moi. Il commence à 
être lourd Marcel mais il va encore grandir, c'est Eric qui me l'a dit. Alors 
après Catherine a crié et papa a dit : « Merde putain merde ! » et puis on 
s'est arrêté au milieu de la route. Et derrière, les gens dans les autres 
voitures, ils ont fait pareil que nous. Et la voiture de devant nous elle est 
sortie dans l'herbe et elle a fait un tonneau. Alors Catherine je sais pas 
pourquoi, elle a commencé à pleurer. 
Et puis dans la voiture derrière nous, y'avait un docteur qui a couru dans 
l'herbe pour aider les gens à sortir de la voiture. Après on a redémarré et on 
a continué la route. Je me demande s'ils étaient morts les gens dans la 
voiture. 
29 décembre 1986 
C'est encore les vacances de noël. Ca veut dire que je vais pas à l'école 
et ça c'est chouette parce que j'aime vraiment pas aller au collège. Sur mon 
bulletin ils disent que si j'ai pas de meilleures notes je pourrais pas aller en 
cinquième. J'ai pas encore donné le bulletin à papa mais il faut qu'il le 
signe pour la semaine prochaine. Papa est très énervé en ce moment à 
cause de son travail. Quand il est rentré aujourd'hui, il a crié et Catherine et 
lui se sont encore disputés. J'ai pas entendu ce qu'ils disaient parce que 
j'étais dans ma chambre mais j'ai entendu qu'ils criaient et ensuite papa est 
monté dans leur chambre et je l'ai entendu téléphoner au docteur. Il hurlait 
alors j'ai bien entendu parce que leur chambre est juste à côté de la mienne. 
Papa criait au téléphone. Il a dit : « Je m'en fous de ses vacances ! Il faut 
absolument que je voie le docteur Croizic ! Si c'est pas demain ce sera 
après-demain ! Je veux que vous me donniez un rendez-vous c'est quand 
même pas bien difficile ! Je gère plus de cinquante personnes tous les jours 
alors n'essayez pas de m'embrouiller avec des histoires à la con sur les 
emplois du temps ! » Marcel s'est levé à ce moment-là de derrière la porte 
pour venir près de moi. Il m'a regardé et a remué la queue comme lorsqu'il 
1 29
Journal d'un orphelin programmé 
est content. Je sais pas bien ce qu'il voulait me faire comprendre mais 
peut-être qu'il commence à se rendre compte qu'il y a quelque chose de pas 
très normal dans cette maison. 
Les chiens sont pas bêtes. Surtout Marcel... 
31 décembre 1986 
Aujourd'hui c'est le dernier jour de l'année. Tout le monde est bien 
habillé à la télévision. Et à la fenêtre de ma chambre je vois plein de 
voitures qui roulent dans les rues. Il fait nuit et pourtant y'a plein de gens 
qui bougent. Papa et Catherine sont invités alors ils s'habillent bien, 
comme les gens à la télévision. Ils vont partir chez des amis de travail de 
papa et ils me laissent avec Marcel et j'aime bien ça parce que c'est pas 
souvent qu'ils me laissent tout seul. J'aime bien être seul, je peux faire tout 
ce que je veux, regarder la télé ou pas la regarder, dormir ou pas dormir, 
manger ou pas manger, lire ou pas lire. Mais la télé j'aime pas bien la 
regarder très longtemps parce qu'après ça fait comme si les images 
restaient dans ma tête. Et puis on sait jamais si quand on regarde la télé 
c'est la vérité ou si c'est inventé par les gens qui font la télé. Alors que 
quand je lis Strange je sais que c'est vrai. Et puis à la télé c'est toujours la 
même chose et souvent les gens font que mentir. Papa m'a bien expliqué 
que tout ce qu'ils voulaient c'était qu'on regarde la télé pour acheter les 
trucs qu'ils vendent pendant la réclame. Papa dit que c'est juste ça le but de 
la télé et moi j'aime pas trop ça parce qu'à la réclame y'a jamais rien que je 
trouve bien. Ils parlent jamais des choses qui me plaisent. Papa et 
Catherine m'ont demandé de pas me coucher tard et il a fallu que je les 
embrasse quand ils sont partis. J'aime pas trop embrasser les gens, on sait 
jamais ce qu'ils ont touché avant, on peut attraper des maladies et j'ai pas 
envie d'attraper des maladies parce qu'après on meurt, comme maman. 
Je crois que je vais regarder un peu la télé avec Marcel et après j'irai lire un 
vieux Strange que j'aime bien. 
1 30
Journal d'un orphelin programmé 
1er janvier 1987 
Voilà on a changé l'année alors je me suis dit que ça serait bien de 
donner mon bulletin à papa. Il a lu mon bulletin et Catherine est venue 
voir, comme si ça la regardait, elle ! J'aime pas trop qu'elle essaye de 
s'occuper de moi, qu'elle s'occupe de ses fesses ! Des fois je vois bien 
qu'elle essaye de faire comme faisait maman mais moi je me fais pas avoir, 
je suis plus un gamin, j'ai plus de dix ans. En tous cas papa a pas trop aimé 
le bulletin de notes et ce qu'avaient écrits les professeurs. Le prof de math 
a marqué : « Elève qui n'a ni compétences ni volonté » et le prof de sport a 
marqué : « Elève mou et renfermé sans aucune aptitude physique » et le 
prof d'anglais a marqué : « Quelques éclairs mais dans l'ensemble un élève 
bien morose » et le prof de biologie a marqué : « Elève que rien ne semble 
intéresser ». Heureusement y'a la prof de français qui a écrit : « Benjamin 
possède une grande aisance rédactionnelle, dommage que l'oral ne suive 
pas ». Du coup papa a beaucoup crié, il m'a dit qu'il était vraiment déçu et 
même très déçu. Il a dit : « A ton âge j'étais premier ou second dans toutes 
les matières et je m'intéressais à tout. Je voulais réussir et c'est pour cela 
que j'ai réussi. Mais qu'est ce que tu crois ? Tu crois peut-être que tu vas 
avoir un métier plus tard en étant aussi mauvais à l'école ? Mais mon 
pauvre ! Tu n'arriveras jamais à rien ! Je te conseille de te ressaisir au 
deuxième trimestre où je te préviens, je te colle chez les curés ! Eux, ils 
t'obligeront à travailler ! » Il est bizarre papa de vouloir que j'aille à l'école 
chez les curés parce qu'il a toujours dit qu'il comprendrait jamais les gens 
qui voulaient être curé. 
Et moi non plus, même si les curés portent des robes noires et ça, c'est 
plutôt classe. 
3 janvier 1987 
Papa m'a tendu un piège. Quand je me suis levé ce matin il a fait comme 
si c'était un jour normal et puis il a dit qu'il allait pas travailler. Quand j'ai 
1 31
Journal d'un orphelin programmé 
eu fini mon petit-déjeuner, il m'a demandé de le suivre et puis on a pris la 
voiture et Catherine était avec nous. J'ai demandé où on allait et je croyais 
que ça allait être un truc chouette mais en fait on est allé voir Double Face. 
Papa continue à l'appeler le docteur Croizic, il n'a toujours rien compris, 
tant pis pour lui, je pouvais pas lui expliquer avec Catherine dans la 
voiture, c'était trop dangereux. Double Face avait pas l'air très content de 
nous voir au début et papa a dit : « il fallait que nous puissions vous voir 
vite docteur. Catherine et moi nous nous hurlons dessus de plus en plus 
souvent ». Et là Double Face a dit : « Je comprends... Mais à part vous 
prescrire des calmants, ce que je ne pense pas être la meilleure solution, je 
ne vois pas ce que je peux faire pour vous. Mes compétences en matière de 
psychologie ne vont pas bien plus loin que ce que quinze ans de pratique 
de la médecine généraliste m'ont enseigné ». Catherine a fait oui avec la 
tête et elle m'a regardé avec un grand sourire qui ressemblait beaucoup à 
celui de maman. Alors j'ai regardé ailleurs mais c'était trop tard, j'avais de 
la sueur dans le dos. J'aime pas quand Catherine regarde comme ça, on 
dirait vraiment maman et ça me rappelle qu'elle est morte. Double Face a 
donné un petit papier à papa et il a dit : « Je vous suggère d'aller voir le 
docteur Poiré, un confrère psychiatre. 
Je sais, le mot vous fait peur, il fait peur à tout le monde. Mais je vous 
assure que c'est un homme charmant doublé d'un professionnel d'une rare 
compétence. Il s'est fait une spécialité de tout ce qui touche à la 
psychologie des couples, il a une approche très douce de la chose. Le mot 
ne doit pas vous heurter, il sert surtout à décorer sa plaque professionnelle 
vous savez.... Il est très fort pour ces problèmes de reconstruction après un 
deuil ou une longue maladie. Tout ce que je peux vous dire c'est d'aller le 
voir de ma part ». Papa a dit merci, puis il a prit le papier, il la regardé et 
puis il l'a rangé dans son portefeuille. Alors Catherine a dit : « Vous pensez 
que nous pourrons obtenir un rendez-vous rapidement ? » et Double Face a 
fait un petit rire et il a dit : « Comme tout bon spécialiste, le docteur Poiré 
a une longue liste de patients. Je lui parlerai de vous pour faire accélérer 
les choses ». Ensuite on est rentré à la maison. Je sais pas bien pourquoi ils 
m'ont emmené voir Double Face. Il m'a regardé plusieurs fois comme s'il 
savait que j'avais tout compris et ça m'a fait drôlement peur. J'aime 
vraiment pas ça. 
1 32
Journal d'un orphelin programmé 
5 janvier 1987 
J'ai fait un nouveau cauchemar. Y'avait Double Face qui était sur un 
cheval blanc et le cheval me regardait avec des yeux rouges et il rigolait. Il 
avait des dents jaunes le cheval et chaque fois qu'il rigolait les gens qui 
passaient autour disaient que ça sentait pas bon. Ils disaient que ça sentait 
comme un cadavre. Et Double Face caressait son cheval et ses mains 
étaient pleines de sang et il disait que c'était pas gentil de se moquer des 
chevaux morts. 
Moi à un moment j'essayais de courir pour partir mais le cheval me suivait 
et si je courrais vite alors il faisait pareil. Je pouvais pas lui échapper ; 
j'étais coincé. 
7 janvier 1987 
L'école a recommencé. Il faut que je retourne voir tous les professeurs 
qui ont écrit toutes ces choses sur moi. Je sais pas pourquoi ils ont dit ça, je 
les ai jamais embêtés. Y'en a qui discutent pendant la classe, y'en a qui 
répondent aux professeurs mais pas moi. Et pourtant les professeurs 
racontent toutes ces choses sur mon bulletin. Ils font ça pour que j'ai des 
problèmes. Ils sont dans l'histoire avec les militaires, Double Face et 
Catherine. 
Je suis obligé d'aller à l'école mais peut-être que je devrais partir un jour 
pour m'échapper. Parce que je crois pas qu'ils vont me laisser tranquille 
pour ce trimestre. Ca veut dire qu'ils écriront le même genre de choses sur 
mon prochain bulletin et que papa sera tout énervé et qu'il voudra encore 
que je sois curé. Et moi j'ai pas envie d'être curé parce que je crois pas à 
toutes ces histoires avec Jésus et la croix, Jésus qui est mort et puis qui est 
revenu. Les morts ça revient pas ou alors dans les rêves et puis c'est tout. 
1 33
Journal d'un orphelin programmé 
Maman des fois je la vois en rêve mais ça dure pas très longtemps. Des 
fois aussi je l'entends me parler, j'entends sa voix alors je sais plus trop si 
les morts peuvent pas revenir. Aujourd'hui je l'ai pas entendue par 
exemple... 
15 janvier 1987 
Ca fait quatre mois que j'ai commencé ce journal comme Double Face 
avait demandé. Maintenant je crois qu'on lui a échappé sauf si j'ai des 
maladies. Alors finalement il est pas bien loin, il faut que je fasse très 
attention à pas être malade. Mais ça va pas être facile parce qu'à l'école 
y'en a plein qui toussent et qui sont malades. Si je suis malade il faut pas 
que papa ou encore moins Catherine s'en rendent compte. Sinon je devrai 
aller chez Double Face et il essayera de me faire parler. 
J'ai décidé que je devais continuer à écrire dans ce cahier parce qu'après 
j'ai qu'à lire pour me souvenir exactement des choses, c'est très facile... 
Parce que sinon j'oublie. C'est comme la date de la mort de maman, je me 
rends compte que je l'ai oubliée. Et comme je l'ai pas notée, je peux pas la 
retrouver. Et je peux pas demander à papa parce qu'il le sait pas non plus. 
Il est tellement triste que maman soit morte qu'il veut pas y croire. J'ai lu 
un truc comme ça dans un des premiers Spiderman. C'était le Bouffon 
Vert, le père du copain de Spiderman, qui était pareil après la mort de sa 
femme. Il voulait pas le croire alors il a fait que travailler. Et après il est 
devenu le méchant. 
17 janvier 1987 
Papa a réussi à avoir un rendez-vous chez l'autre docteur. Il a parlé 
pendant un moment au téléphone mais je crois qu'il parlait même pas au 
1 34
Journal d'un orphelin programmé 
docteur. En tous cas il avait l'air drôlement content après le coup de 
téléphone. 
Il m'a demandé comment ça allait à l'école. J'ai dit que ça allait bien parce 
que sinon il m'aurait embêté. Mais j'ai eu un zéro en maths hier. J'aime 
vraiment pas ça, je comprends pas pourquoi je dois aller à cette fichue 
école. Je voudrais bien rester à la maison à la place mais avec papa c'est 
pas possible. Pourtant je serais mieux ici qu'à l'école. Et je pourrais quand 
même apprendre des choses. Il y a des cours à domicile, par exemple... 
19 janvier 1987 
Cette nuit, encore un cauchemar. J'étais dans un bateau, enfermé dans la 
cale avec plein de caisses en bois. Et j'étais malade. Et puis le bateau a 
commencé à drôlement bouger et j'ai vomi. Et là il y a Double Face qui est 
arrivé et il a beaucoup ri. Il a nettoyé mon vomi avec une serviette en 
éponge et ensuite il me l'a jetée dessus. Elle a glissé sur mon visage et 
j'avais plein de boutons et j'étais encore plus malade. Et après le bateau a 
commencé à couler, je l'ai compris parce qu'il y avait de l'eau qui 
commençait à rentrer dans la cale. L'eau est montée drôlement vite et 
Double Face était plus là. Et puis j'étais sous l'eau et je pouvais plus 
respirer et j'étais bloqué et j'allais mourir mais y'a une sirène qui est arrivée 
et c'était maman, avec des cicatrices partout sur le ventre. Mais c'était 
maman et elle a fait un sourire, comme celui qu'imite Catherine. Et là, elle 
m'a libéré et on a pu nager ensemble en dehors du bateau mais y'avait pas 
de surface, c'était de l'eau partout en haut et en bas. Partout c'était noir et je 
pouvais pas respirer alors j'étais mort et j'étais content parce que je savais 
que j'irai plus à l'école. 
Mais j'étais triste aussi parce que je voulais pas mourir. Et puis je me suis 
réveillé. C'était la nuit encore et j'avais plus vraiment sommeil. Alors j'ai lu 
un épisode des Quatre Fantastiques. Et là c'était encore plus bizarre parce 
que c'était exactement ce que j'avais rêvé. Les Quatre Fantastiques 
devaient aller dans le palais de Namor, le prince des mers et ils devaient 
délivrer Jane Storm qui était prisonnière et finalement ils sont prisonniers 
1 35
Journal d'un orphelin programmé 
eux aussi et c'est une sirène qui vient les sauver. J'avais jamais lu cette 
histoire alors je me dis que c'est peut-être parce que j'ai rêvé ça que je l'ai 
lu. Je sais pas comment ils font les gens qui dessinent mais ils doivent 
savoir ce que je rêve. 
22 janvier 1987 
Maman m'a parlé. Je l'ai entendue très bien mais j'ai pas compris ce 
qu'elle me disait. Elle parlait très doucement, c'est pour ça. Je revenais de 
l'école quand je l'ai entendue alors je pense qu'elle me disait de plus y aller. 
Dommage que papa ait pas été là lui aussi. Il aurait compris la vérité. 
23 janvier 1987 
Un nouveau cauchemar. Des militaires sont entrés dans ma chambre par 
la ventilation. Et pourtant c'est rudement petit mais ils ont réussi à rentrer 
quand même. Heureusement j'ai vite compris que c'était un rêve. Mais 
quand même j'ai eu rudement peur quand je les ai vus sauter autour de mon 
lit avec leurs armes et des rayons rouges qui partaient de leurs yeux. 
Y'en avait un qui fumait un cigare qui faisait tout plein de fumée et les 
autres toussaient et moi aussi et alors il a enlevé son masque et j'ai vu que 
c'était le chef. Il m'a dit de m'habiller et de les suivre. Marcel était là aussi 
mais il était endormi à cause de toute la viande empoisonnée qu'ils 
l'avaient obligé à manger. J'ai demandé s'ils avaient bien enlevé les os 
avant et le chef a dit que oui, qu'il avait un chien lui aussi alors qu'il faisait 
attention. Et puis on a marché sur le toit de la maison et c'était bien ma 
maison sauf que c'était pas le même toit : celui-là était tout plat. Il était tout 
plat et tout noir mais sur les bords il était relevé et d'un coup j'ai vu 
Catherine au-dessus de nous mais vraiment très grande, c'était une géante. 
Et j'ai eu vraiment très chaud et les militaires aussi, ils ont commencé à se 
déshabiller parce qu'ils avaient trop chaud. Et ensuite j'ai vu des oeufs 
1 36
Journal d'un orphelin programmé 
vraiment très gros qui tombaient des mains de Catherine. Elle les casser 
avant de les renverser sur nous. Elle les lâchait de haut et les jaunes quand 
ils tombaient, ils avaient la tête de Double Face : flous d'un côté et mangés 
de l'autre côté. Ensuite Marcel a aboyé et je me suis réveillé. Je crois bien 
que Marcel a fait un cauchemar lui aussi. Il est chouette Marcel. 
28 janvier 1987 
En ce moment j'ai pas très envie d'écrire dans le journal, je sais pas 
pourquoi. Je préfère lire et écouter de la musique. J'écoute des disques de 
papa que j'aime bien, des disques de Pink Floyd, c'est un groupe anglais et 
j'aime bien leur musique. Marcel aussi il aime bien même s'il peut pas le 
dire, évidemment. 
Mais je le connais Marcel parce que c'est mon chien et je sais qu'il aime 
bien Pink Floyd lui aussi. 
15 février 1987 
Aujourd'hui papa a dit qu'on allait voir le docteur Poiré. Il a dit qu'il 
nous aiderait tous à aller mieux. Il a dit : « Il faut qu'on se sorte de ces 
deux années traumatisantes et qu'on avance. On est une famille, alors il 
faut aller de l'avant ensemble. Le docteur Croizic était un bon généraliste 
mais il nous faut l'aide d'un véritable psychologue ». Et là Catherine a dit : 
« Tu crois pas qu'on devrait plutôt rester entre nous et essayer d'avancer 
ensemble sans l'aide de tous ces gens étrangers à la famille ? » Je suis pas 
sûr d'avoir compris tout ce qu'elle voulait dire mais j'étais plutôt d'accord. 
C'est bizarre, des fois Catherine je trouve qu'elle a raison, mais je suis pas 
sûr que ces fois-là elle le fasse exprès pour me tendre un piège. Des fois 
j'ai l'impression qu'elle dit ce qu'elle pense mais je suis pas vraiment très 
sûr. Je pense que même si on le voit plus, Double Face est toujours là, 
quelque part, et qu'il dit à Catherine ce qu'elle doit faire. Il tire les ficelles 
1 37
du piège. 
Journal d'un orphelin programmé 
19 février 1987 
Papa a trouvé mon journal. Quand je suis revenu de l'école, y'avait sa 
voiture garée devant la maison, et ça c'était pas normal. Et puis l'autre truc 
pas normal c'est que papa était dans ma chambre. Il était assis sur mon lit 
et il lisait mon journal. Quand je suis entré il m'a pas vu au début, et puis il 
m'a regardé comme quand il est vraiment en colère. 
Il a dit : « Benjamin ! Mais qu'est ce que c'est que toutes ces conneries ? 
Tu débloques complètement, ma parole ! » Et ensuite il est sorti de la 
chambre avec mon journal. Il a crié « Cathy ! Cathy ! » et puis c'est tout. Je 
suis resté un moment dans ma chambre avec Marcel et on a lu un ou deux 
"Strange" mais cette fois j'y ai rien trouvé qui soit arrivé dans ma vie avant 
qu'ils fassent la BD. Bon ensuite on a mangé et papa avait une drôle de tête 
et Catherine me regardait et pleurait tout le temps. Y'a pas grand monde 
qui avait faim. Ca me faisait bizarre que papa lise mon journal parce que 
Double Face avait dit que le journal ça doit servir à soi et au docteur. Et 
c'est tout, personne d'autre doit le lire. Moi je me sens pas malade, mais 
peut-être que si, je sais pas. En tous cas j'écris pas ça pour Double Face ou 
pour un autre docteur. C'est juste que j'aime bien, ça m'amuse et puis à 
l'école ils disent que je suis pas mauvais en français alors c'est chouette, 
drôlement plus chouette que de faire des maths ou du sport. En sport les 
garçons me poussent tout le temps pour me faire tomber et si je dis quelque 
chose y'en a un qui me tient et un autre qui me tape. Et les filles rigolent et 
me traitent de poule mouillée et de tapette. Alors voilà, moi je préfère 
écrire et Double Face a rien à voir là-dedans. En tous cas après le repas 
papa m'a dit : « On a rendez-vous tous les trois dans deux jours chez le 
docteur Poiré. Tiens-toi à carreau d'ici-là. » Et il a pas voulu me rendre 
mon cahier mais c'est pas très grave parce que j'en ai pris un autre pour 
écrire tout ce que j'ai écrit aujourd'hui. J'espère quand même qu'il me 
rendra mon journal. J'aime bien voir tout ce que j'ai déjà écrit et puis ça me 
rappelle les choses parce qu'après je m'en souviens plus. 
1 38
Journal d'un orphelin programmé 
21 février 1987 
Aujourd'hui on a pris la voiture et on est allé voir le docteur Poiré. C'est 
pas loin de la maison chez le docteur Poiré, c'est de l'autre côté du Rhône 
et juste à côté du grand parc. Là où papa dit tout le temps que ça serait bien 
d'habiter et qu'avec un peu de bol on pourrait bien y habiter d'ici deux ou 
trois ans. On est entré dans une maison blanche avec des murs très propres 
mais ils étaient tout blanc alors j'ai pas trop aimé. Quand on est entré dans 
la maison, y'avait une dame qui lavait par terre. On a dit bonjour parce 
qu'il faut toujours dire bonjour aux gens et après on est monté dans 
l'ascenseur qui était tout petit avec plein de bois dedans. On est monté au 
dernier étage mais je me souviens plus lequel c'était. Et là y'avait la porte 
fermée avec un gros tapis devant et une plaque en or qui brillait drôlement. 
Papa a sonné et y'a une dame qui a ouvert et papa a dit qui on était alors 
elle a dit : « Très bien, entrez, je vais vous conduire à la salle d'attente, le 
docteur va vous recevoir... » C'était très chouette à l'intérieur parce qu'il y 
avait plein de bibliothèques partout. Si le docteur a lu tous les livres qu'il y 
a dedans, il doit être rudement intelligent. Et puis on a attendu mais pas 
très longtemps parce que le docteur est venu nous chercher. Le docteur 
Poiré est grand et il a plein de cheveux gris, il ressemble à Magnéto, le 
chef des méchants dans les X-Men. Je sais pas encore si c'est lui ou pas. 
Parce que pour l'instant on a pas beaucoup discuté. Les docteurs ils aiment 
bien discuter mais moi j'aime pas trop. Papa a beaucoup parlé, et le docteur 
écrivait plein de choses en même temps dans un cahier. 
J'ai bien aimé ça, ça veut dire que lui aussi il fait un journal, comme moi. 
Le docteur Poiré me regardait souvent et puis après papa lui a tendu mon 
journal. J'ai pas trop aimé ça. Le docteur s'est arrêté d'écrire dans le sien 
pour lire un peu le mien. Mais je peux pas trop savoir ce qu'il a lu. Ensuite 
le docteur a posé mon journal sur son bureau et il a dit en me regardant : 
« Voilà qui est très intéressant ». Catherine a dit : « Qu'est ce que nous 
pouvons faire docteur ? » et sa voix était toute tremblante, j'ai cru qu'elle 
1 39
Journal d'un orphelin programmé 
allait pleurer encore une fois. Cette femme est de plus en plus bizarre. Le 
docteur Poiré a dit : « La première chose à faire c'est de ne pas s'inquiéter. 
Vous venez de traverser une rude épreuve. Votre maladie a été un véritable 
traumatisme pour votre petite famille. Benjamin est jeune, il est en plein 
développement. Les manifestations de troubles sont normales, cela fait 
partie de l'évolution, on ne peut pas y voir une quelconque alarme 
pathologique. Les traits névrotiques de l'enfance sont quelque chose de 
totalement normal. Beaucoup de choses se mettent en place à cet âge là, 
beaucoup de choses se sont déjà mises en place et d'autres sont encore à 
venir. Vous ne devez pas vous inquiéter ». Papa a souri et il a montré le 
journal sur le bureau du docteur et il a dit : « Quand même docteur, je veux 
bien mais il y a des choses qui me paraissent étonnantes là-dessus ». Et le 
docteur a repris mon journal, il l'a encore regardé et il a relu un autre 
morceau. Puis il l'a reposé et il a dit : « Je ne dis pas le contraire monsieur 
Leroy. Il y a, c'est vrai, des éléments auxquels il faut être attentif. Je ne 
peux toutefois pas en dire davantage à l'heure actuelle. Il va falloir suivre 
l'évolution de Benjamin. 
Et l'idée du journal est une brillante idée, je suggère de continuer. Mais 
n'interférez pas dans ce processus monsieur Leroy, laissez-le écrire en 
paix ». Et là le docteur m'a regardé et m'a parlé pour la première fois, il a 
dit : « Quand tu reviendras me voir Benjamin, tu penseras à apporter ton 
journal, n'est-ce pas ? ». J'ai dit oui ou alors j'ai fais oui avec la tête, je me 
souviens plus trop bien mais il a comprit que j'étais d'accord. Alors il a dit : 
« Tu écris très bien Benjamin, c'est un vrai don que tu as là, il faut que tu 
continues, n'est-ce pas ? ». Là j'ai dit : « Oui m'sieur » et papa et Catherine 
m'ont regardé avec des grands yeux mais je sais pas pourquoi. Je voulais 
juste être poli avec le docteur parce qu'il avait été gentil. Et ensuite le 
docteur a arrêté de parler de moi et avec papa et Catherine ils ont parlé 
d'autres choses. J'ai dit : « Je pourrais avoir mon journal maintenant ? » et 
papa m'a regardé avec les sourcils méchants. Heureusement le docteur a 
dit : « Mais naturellement. Monsieur Leroy, pas d'opposition ; n'est-ce 
pas ? » et papa a fait oui avec la tête et c'est Catherine qui me l'a rendu. 
Elle a dit : « tiens mon chéri, on te le rend ». J'aime pas quand Catherine 
m'appelle mon chéri parce que je suis pas son chéri. C'est maman qui 
m'appelait comme ça, pas elle ! 
1 40
Journal d'un orphelin programmé 
26 février 1987 
Je crois qu'on reverra pas Double Face. C'est comme s'il était bien 
enfermé dans l'asile d'Arkham et qu'il ne puisse plus nous voir. Mais à la 
place on va voir ce nouveau docteur et je sais toujours pas si c'est 
Magnéto. Pourtant je crois bien que oui parce que c'est un psychiatre, j'ai 
bien vu le mot, il était marqué en gros sur la plaque en or. 
Et ensuite à la maison, j'ai cherché sur le dictionnaire et j'ai trouvé le mot. 
Ca veut dire qu'il soigne les cerveaux des gens, et Magnéto il peut prendre 
le contrôle sur le cerveau des gens. Ca me fait un peu peur tout ça, j'espère 
que le docteur Poiré est pas déjà entré à l'intérieur de ma tête pour regarder 
dedans. 
28 février 1987 
J'aimerai pas qu'on regarde dans ma tête parce que c'est ma tête et qu'y a 
rien à y voir. Pourquoi on doit aller voir tous ces médecins de mes fesses ? 
Pourquoi on pourrait pas rester à la maison et puis c'est tout ? Les autres à 
l'école je crois pas qu'ils aillent voir autant de docteurs que moi. Et 
pourtant ils sont nuls en français. Mais on leur dit rien à eux, c'est juste que 
moi à qui ils font tout ça. C'est le piège qui se referme... Magnéto, Double 
Face, Catherine : mais qu'est ce qu'ils me veulent tous, à la fin ? 
2 mars 1987 
J'ai fais un autre cauchemar. J'étais dans une grande maison avec des 
toits pointus et plein d'arbres morts autour. Et j'étais attaché sur une chaise 
toute vieille et toute cassée. Et sur ma tête il y avait un appareil en métal 
1 41
Journal d'un orphelin programmé 
qui faisait plein de bruits d'électricité. Et il y avait une femme au-dessus de 
moi mais je voyais que ses mains et tout le reste était dans l'ombre mais j'ai 
compris que c'était Catherine. Parce qu'elle était nue et que je voyais ses 
deux grosses cicatrices sur le devant, là. Et il y avait plein d'instruments 
comme chez le dentiste et j'aime pas trop ça moi, le dentiste. 
Elle a prit un des instruments et j'ai senti des choses sur ma tête, comme 
des petites dents très dures. Ensuite y'a eu un bruit et y'a du sang chaud qui 
me coulait dans les yeux mais je pouvais pas m'essuyer parce que j'avais 
les mains attachées. J'ai bien senti que ça continuait sur ma tête et 
j'entendais bien les dents qui faisaient comme si elles mangeaient. Et après 
j'ai senti tout plein d'air dans ma tête et j'ai eu très froid et après j'ai senti 
des doigts qui me touchaient à l'intérieur de la tête. Et je voyais plus rien à 
cause du sang qui me coulait sur les yeux. Et après je me suis réveillé et 
c'était la nuit. Et j'ai pas pu me rendormir alors j'ai allumé la lumière et je 
viens d'écrire tout ça sur mon cahier que j'ai récupéré. C'est quand même 
chouette que j'ai de nouveau mon cahier pour mon journal parce que j'avais 
déjà écrit plein d'autres choses et que ça m'aurait embêté de plus les avoir. 
Il va falloir que je le cache tout le temps ce cahier. Je fais pas confiance à 
papa... 
15 mars 1987 
J'ai du sortir Marcel aujourd'hui parce que papa est en voyage pour son 
travail et que Catherine avait trop froid. Elle m'a aidé à fermer mon 
blouson et elle m'a embrassé. J'aime pas trop ça quand les gens 
s'embrassent à cause des microbes qu'on peut attraper. Alors je suis bien 
allé me laver les mains et la figure après. Et ça a pas eu l'air de lui plaire à 
Catherine. Elle m'a dit : « Dis donc, je suis pas sale hein ! Bon, sois gentil, 
ne t'éloigne pas trop de la maison et reviens vite ». Moi j'ai fais oui mais 
j'avais pas très envie de faire comme elle avait dit. 
Il faut qu'elle comprenne que je sais tout. Un jour je vais le lui dire, que j'ai 
tout compris et que je sais pour ma maman qui est morte et qu'elle essaye 
de prendre sa place mais que ça marche pas. Papa le sait maintenant parce 
1 42
Journal d'un orphelin programmé 
qu'il a lu le journal alors j'espère qu'il est de mon côté. Parce que si tout le 
monde est contre moi, j'ai aucune chance de m'en sortir. C'est comme 
Wolverine quand on nous dit tout ce qu'ils ont mis dans son corps : c'était 
des militaires, évidemment ! Exactement comme pour moi. A un moment 
j'ai cru que les militaires avaient peut-être pas fait grand chose à maman 
mais en vrai c'est eux qui ont tout fait. Ils ont juste été commandés par 
Double Face et sûrement qu'il y en avait d'autres qui l'ont aidé. Mais 
maintenant il faut que je leur échappe. Je suis content parce que Double 
Face est dans l'asile d'Arkham et là il pourra pas s'évader sauf si le Joker 
vient s'en mêler. Le Joker il arrive toujours à s'évader d'Arkham. 
18 mars 1987 
Papa est revenu de son voyage et ça a pas été facile pendant trois jours 
de rester tout seul avec Catherine parce que je sais jamais ce qu'il faut que 
je lui dise et comment je dois lui répondre. J'essaye d'être gentil parce que 
papa veut que je sois gentil mais c'est difficile parce que je sais toute la 
vérité. Marcel au moins il a pas tous ces problèmes, il est content parce 
qu'on lui donne à manger et puis c'est tout. Des fois je pense que si j'étais 
un chien ça serait plus facile pour faire semblant. 
20 mars 1987 
Bientôt c'est le bulletin du deuxième trimestre et je crois pas que j'ai de 
très bonnes notes. Papa va me crier dessus. J'aime pas trop l'école et 
j'aimerai bien que papa me dise que je suis plus obligé d'y aller. Et puis ça 
m'énerve l'école alors j'ai eu quelques zéros à cause de ça. Les profs disent 
que j'ai pas à m'énerver parce qu'il y a pas d'injustice, que c'est comme ça 
et puis c'est tout. Mais moi je suis pas d'accord ! Moi je voudrais bien aller 
dans une école où y'a juste du français et puis rien d'autre. En plus le 
1 43
français c'est important puisque tous les gens se parlent. Sauf ceux qui sont 
morts. Enfin, normalement... Parce que cette nuit j'ai encore entendu 
maman qui me parlait. C'est comme l'autre fois, j'ai pas bien compris parce 
qu'elle parlait super doucement mais c'était bien elle. Je sais pas comment 
elle fait pour me parler du paradis mais elle y arrive drôlement bien. 
Peut-être qu'elle pourra tout m'expliquer et me dire qui a monté ce truc 
avec Double Face, Catherine, Magnéto (je suis sûr qu'il est dans le truc lui 
aussi). 
Avant maman me lisait des histoires, mais c'était quand j'étais petit, elle 
me lisait des histoires du gros livre avec tout plein d'histoires dedans. 
J'aimais bien avant de dormir. Maintenant je suis grand et elle est morte 
alors plus personne ne me lit des histoires. C'est dommage, moi j'aimais 
bien. Mais il paraît que c'est normal. Je suis grand maintenant, j'ai plus de 
dix ans, je suis plus un gamin. 
23 mars 1987 
C'est quand le printemps ? Tout le monde parle du printemps mais moi 
je vois rien changer. Les gens disent qu'il fait plus chaud mais moi je 
trouve pas. En tous cas j'aimerai surtout qu'il reneige pas parce qu'on a déjà 
eu plein de neige cette année et que j'aime pas ça, au début, la neige parce 
que c'est tout blanc. Et j'aime pas le blanc. Il paraît qu'en Espagne il y a 
une ville qui a un zoo avec un singe blanc dedans. C'est une maladie de la 
peau. Les gens qui ont ça peuvent pas rester au soleil. J'espère que je 
l'attraperai jamais parce que j'aime bien le soleil. 
24 mars 1987 
Journal d'un orphelin programmé 
1 44
Marcel a été malade, il a vomi et je me suis fait punir. Papa a dit que 
c'était à cause de moi et de toutes les croûtes de fromage que je lui donne à 
manger. Mais je sais que Marcel il aime bien les croûtes de fromage et moi 
j'aime pas ça. Marcel a vomi sur le tapis et c'est Catherine qui a nettoyé en 
disant que c'était pas grave mais papa était très énervé, il a dit : « je sais 
pas ce qu'on va pouvoir faire de toi Benjamin ! En plus d'être à moitié 
dingue tu fais bêtise sur bêtise ! » Et là Catherine a dit : « Enfin chéri, ne 
lui parle pas comme ça ! C'est ton fils ! ». Et papa s'est levé de la table et il 
avait l'air drôlement en pétard. Il a jeté sa serviette sur sa chaise et il a dit 
plein de gros mots. Il a dit « Merde à la fin, mon fils ? Si ça c'est mon fils, 
je suis pas sûr d'en vouloir, merci bien ! » Et papa est parti dans son bureau 
et il a mit un disque de musique très fort. 
Marcel m'a regardé comme s'il était très embêté. Il est chouette Marcel. 
Alors je suis monté dans ma chambre et j'ai lu un "Strange" que j'aime 
bien, celui où il y a la créature des marais qui revient et qui se venge de 
ceux qui ont fait sauter son laboratoire à l'époque où c'était pas une bête 
mais un chercheur. 
26 mars 1987 
On nous a donné nos bulletins du trimestre et ça va pas être du gâteau 
pour le faire signer à papa parce qu'il y a plein de mauvaises choses sur le 
mien. Déjà y'a les notes qui sont pas bonnes et en plus les profs marquent 
des trucs vraiment pas gentils. Je comprends pas ce que je leur ai fait moi ! 
Ils s'acharnent tous sur moi alors que je leur ai rien fait, ils pourraient s'en 
prendre à d'autres parce que moi déjà ma maman est morte et on a voulu 
me faire croire que non en la remplaçant par une autre femme qui a des 
cicatrices. Et en plus après Double Face ils m'ont mis Magnéto pour qu'il 
puisse fouiller dans ma tête. J'aimerai bien qu'on me laisse tranquille. 
28 mars 1987 
Journal d'un orphelin programmé 
1 45
Journal d'un orphelin programmé 
Aujourd'hui papa avait rendez-vous avec la directrice du collège. C'est 
elle qui a demandé à voir mes parents et je lui avais pourtant dit que pour 
ma maman ça serait pas possible. Elle avait pas l'air de comprendre cette 
imbécile. Alors je lui ai dit : « Ben pour mon père y'aura pas de souci, il 
viendra vous voir mais ma mère est morte, vous savez... » Elle avait l'air 
très embêtée quand je lui ai dit ça. 
Elle devait le faire exprès pour avoir l'air sympa mais je suis pas tombé 
dans le panneau. Je commence à les connaître les pièges des adultes, j'ai 
dix ans et demi maintenant. Mais enfin il fallait bien que quelqu'un le lui 
dise. Alors pourquoi pas moi ? C'était ma maman quand même, j'ai bien le 
droit de le lui dire. La directrice a dit : « Oh mon dieu, je suis désolée, je 
l'ignorais... Tu sais Benjamin, j'imagine combien ce doit être difficile pour 
toi ». Et puis après c'était chouette : elle m'a laissé tranquille. Mais quand 
papa est revenu ce soir, il rigolait pas du tout. Il est monté dans ma 
chambre directement et il a dit : « Je viens de voir ta directrice et il faut 
qu'on parle sérieusement toi et moi... » J'ai compris que ça allait être ma 
fête. Il a dit : « D'abord, qu'est-ce que c'est que ces conneries sur la mort de 
maman ? Tu veux te faire plaindre ? Tu crois que tes professeurs seront 
plus indulgents avec toi en leur faisant gober une telle horreur ? » Je savais 
pas trop ce qu'il fallait répondre alors j'ai rien répondu et papa a dit en 
criant : « Putain tu vas me répondre oui ! » J'ai dit : « Il fallait que 
quelqu'un leur dise, papa, c'est important ». Et là, papa a fait de gros yeux 
plein de blanc et ça m'a fait un peu peur parce que c'est pas souvent qu'il 
est comme ça papa. Et puis j'aime pas le blanc. Alors papa est resté un 
moment là à me regarder et puis il est ressorti. 
31 mars 1987 
On m'a emmené voir Magnéto que papa continue à appeler Docteur 
Poiré parce qu'il comprend rien. Magnéto nous a dit de nous installer et il a 
parlé avec papa et Catherine. 
1 46
Journal d'un orphelin programmé 
Moi je comprenais pas trop ce qu'elle faisait là, elle. Elle fait tout pour 
m'embêter. Le docteur a dit : « Alors Benjamin, comment tu vas ? » et j'ai 
dit : « Bien ». Ensuite il a surtout parlé avec papa, et ils parlaient souvent 
de moi mais j'écoutais pas trop parce que c'était pas intéressant. Et puis 
après le docteur a dit : « Bien, je crois que je vais pouvoir rester seul avec 
Benjamin. Vous pouvez m'attendre en salle d'attente, ma secrétaire va vous 
conduire ». Et papa a eu l'air tout étonné et une femme est venue et elle a 
dit à papa et à Catherine de les suivre et ils sont tous partis. Alors du coup 
dans la salle pleine de livres où il y a le bureau du docteur, y'avait plus que 
Magnéto et moi, assis de l'autre côté. Il a lu quelques pages de mon journal 
que papa m'avait dit d'apporter. J'aime bien écrire dans mon journal et le 
docteur a expliqué à papa que c'était important et qu'il devait me le laisser. 
Alors je me dis que ce docteur est peut-être pas mal, même si je sais que 
c'est Magnéto. Mais je sais pas encore ce qu'il va me faire. C'est sûr qu'il 
va me faire du mal mais je sais pas encore comment et peut-être bien que 
lui non plus il le sait pas. Le docteur a dit : « C'est fascinant tout ce que tu 
racontes dans ton journal. Et puis tu me sembles avoir une bonne mémoire, 
je me trompe ? » J'ai dit : « Je sais pas trop ». Il a dit : « Et en classe 
pourtant, ce n'est pas trop ça, comment tu expliques ça ? ». J'ai dit : « Je 
sais pas trop ». Alors le docteur m'a regardé et il a souri, y'avait plein de 
reflets dorés dans ses dents, ça m'a fait un peu peur. Il a dit : « Avant toute 
chose, tu ne dois pas me craindre Benjamin, parce que je suis un docteur et 
rien d'autre. Je ne sais pas qui est ce Magnéto auquel tu sembles me 
comparer dans ton journal. 
Si tu m'expliquais ? ». Je me suis demandé s'il mentait ou pas. Et puis je 
me suis dit qu'il devait sûrement mentir mais pour faire semblant je lui ai 
expliqué : « Magnéto c'est le chef des méchants dans les X-Men, c'est un 
ancien copain du professeur Charles-Xavier qui est le chef des X-Men. Les 
deux, c'est des mutants et ils se battent tout le temps ». Le docteur a écrit 
des choses pendant que je parlais et au début je croyais qu'il m'écoutait 
même pas, j'ai pas du tout aimé. Il a dit : « Ne t'inquiète pas, je t'écoute et 
je prends même des notes pour m'en souvenir après, quand tu seras parti, 
un peu comme tu fais dans ton cahier, tu vois... » J'ai dis oui avec la tête 
mais je m'en moquais, qu'il s'occupe de ses fesses ! Alors le docteur a dit : 
« Et ce Magnéto, pourquoi il s'appelle ainsi ? » et j'ai dit : « à cause du 
1 47
Journal d'un orphelin programmé 
contrôle qu'il a sur tout ce qui est magnétique ». Le docteur a noté encore 
des choses et puis il a dit : « Tout ça c'est dans ces Strange que tu les lis, 
c'est bien ça ? » J'ai dit que oui et il a dit : « J'aimerais bien que tu 
m'apportes une de ces revues la prochaine fois, tu veux bien ? » J'ai dit que 
oui même si je comprenais pas trop ce qu'il voulait en faire. Mais ensuite 
j'ai réfléchi et j'ai compris. En fait Magnéto veut savoir ce que deviennent 
les autres héros qu'il connaît pas comme Spiderman, la chose des marais, 
Daredevil et les Quatre Fantastiques. S'il sait tout ça, il deviendra encore 
plus fort. Je sais pas trop si je dois le lui amener le Strange, alors... 
Le docteur ensuite il m'a demandé plein de choses sur maman, sur papa 
et sur Catherine, surtout. Je me souviens plus mais il m'a posé plein de 
questions et chaque fois il écrivait sur son journal. 
Et après il a dit : « Et bien c'est tout pour aujourd'hui Benjamin. Je pense 
qu'on a bien travaillé, qu'en penses-tu ? » et j'ai pas répondu. Alors y'a sa 
secrétaire qui est rentrée et papa et Catherine aussi et puis moi je suis sorti. 
On m'a donné un verre de limonade mais j'aime pas trop ça, la limonade. 
J'ai du attendre encore avant que papa et Catherine sortent de chez 
Magnéto et puis après, enfin on est parti. 
8 avril 1987 
Il faut que je retourne encore chez le docteur, c'est papa qui me l'a 
expliqué. Il a dit que j'étais encore fragile à cause de maman qui est morte 
et qu'il fallait qu'on m'aide. Il a dit : « le docteur Poiré est un bon docteur, 
il pourra t'aider, lui. Alors tu vas aller lui rendre une petite visite chaque 
semaine, l'après midi après l'école. Tu veux bien ? » J'ai dit que je 
comprenais pas trop pourquoi et papa a dit : « S'il te plait Benjamin, je suis 
encore ton père alors si je te dis que c'est pour ton bien, c'est que ça l'est. Il 
faut que tu parles, que les choses qui sont à l'intérieur de toi puissent sortir. 
C'est important. Tu ne fais pas de sport en dehors de l'école, tu n'as pas de 
copains qui viennent à la maison ou chez qui tu vas, tu restes dans ta 
chambre à lire tes magazines de BD. C'est pas très sain pour un garçon de 
1 48
Journal d'un orphelin programmé 
ton âge, on te l'a déjà dit mille fois avec maman. Alors si tu ne nous 
écoutes pas, peut-être que le docteur lui, saura trouver les mots qu'il faut ». 
Je me suis dit que c'était peut-être un nouveau piège mais papa me ferait 
quand même pas un truc pareil. Alors j'ai dit : « Bon si c'est important, 
alors d'accord » et là papa il a souri il m'a décoiffé avec sa main comme on 
fait avec les gamins. 
Mais moi je suis plus un gamin, cette année je vais avoir onze ans. 
16 avril 1987 
C'est la troisième fois que je vais voir le docteur Poiré. J'ai demandé si je 
pouvais emmener Marcel mais papa a pas voulu, il a dit que c'était pas un 
endroit pour les chiens. Mais je crois quand même qu'il faudrait que 
Marcel sorte plus parce qu'il fait toujours le même tour dans le quartier, il 
doit en avoir marre quand même. J'aimerais bien qu'on emmène Marcel 
chez un vétérinaire comme moi je vais chez le docteur Poiré. Il pourrait lui 
parler et lui dire s'il en a marre de faire toujours le même tour dans le 
quartier. Les vétérinaires c'est comme les docteurs sauf que c'est pour les 
chiens. Et puis leurs habits sont pas blancs aux vétérinaires mais verts et je 
préfère ça parce que j'aime pas le blanc. 
26 avril 1987 
Je suis encore allé voir le docteur Magnéto et cette fois on a un peu plus 
discuté mais j'ai surtout lu les nouveaux épisodes de Spiderman. En ce 
moment j'aime moins Spiderman parce qu'ils ont changé le dessinateur et 
je trouve qu'on reconnaît moins les gens. Je comprends pas pourquoi ils 
changent les dessinateurs comme ça alors que quand même c'est quelque 
chose d'important. Moi je ferais pas ça si j'étais eux. 
1 49
Journal d'un orphelin programmé 
30 avril 1987 
Voilà un nouveau cauchemar que j'ai fait cette nuit. Je suis dans un 
camion et je conduis et c'est difficile parce que les pédales sont loin et que 
je les touche pas bien avec mes pieds. Je conduis et ça va super vite et les 
gens se jettent par terre pour pas que je les écrase. Mais j'ai pas envie de 
les écraser, c'est le camion qui veut et moi j'essaye de pas le faire. Et 
j'entends maman qui me dit d'être sage et de rentrer à la maison. Elle me 
demande si j'ai bien finis tous mes devoirs. Et je lui dis que non parce que 
c'est dur et que je comprends pas ce qu'il faut faire. Et puis là d'un coup y'a 
Double Face qui est assis dans le camion à côté et qui rigole. Il rigole super 
fort et super aigu alors du coup les vitres du camion explose et je reçois 
plein d'éclats dans le visage et les bras et puis les mains aussi. Y'a plein de 
sang qui coule sur mes yeux et dans ma bouche, c'est chaud. Double Face 
me parle, il dit : « Alors, comment tu le trouves mon copain Magnéto ? Il 
écrit tout ce que tu lui dis, hein ? Et les taches qu'il te fait voir, tu lui dis 
tout ce que tu vois ou tu inventes au fur et à mesure ? Il faut faire ces tests 
sérieusement tu sais, sinon ta maman continuera à errer comme un fantôme 
jusqu'à la fin des temps ». Et puis il recommence à rigoler et puis j'ai très 
mal au bras à cause du verre qui est entré dans ma peau et qui me fait 
saigner. Après je suis tellement fatigué que je peux plus accélérer alors le 
camion ralentit et puis il s'arrête. Je tombe sur le volant et j'ai toujours tout 
plein de sang qui coule de partout. Et là y'a la portière qui s'ouvre et y'a 
maman qui me prend dans ses bras et elle dit : « Allez, on rentre à la 
maison maintenant ! » Alors je me suis réveillé et j'étais pas bien, j'arrivais 
pas à me rendormir. 
Maman me manquait beaucoup. Alors j'ai lu un épisode où Batman veut 
plus faire le justicier parce que ses parents lui manquent depuis qu'ils sont 
morts quand il était petit, en revenant du cinéma. J'aimerai pas que ça me 
soit arrivé comme ça. Lui il a pas eu de chance du tout mais c'est quand 
même Batman alors après il a de la chance quand même. 
1 50
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme
Guilhen journal d'un orphelin programme

Contenu connexe

En vedette

Diaporama veillée video
Diaporama veillée videoDiaporama veillée video
Diaporama veillée videoPinsonfamily31
 
Presentación de la Charla Eclipse 15 abril 2014 por Juan Alberto Vélez Valencia
Presentación de la Charla Eclipse 15 abril 2014 por Juan Alberto Vélez ValenciaPresentación de la Charla Eclipse 15 abril 2014 por Juan Alberto Vélez Valencia
Presentación de la Charla Eclipse 15 abril 2014 por Juan Alberto Vélez ValenciaSOCIEDAD JULIO GARAVITO
 
Pueden los emprendedores_salvar_el_mundo-salas-i-ppt
Pueden los emprendedores_salvar_el_mundo-salas-i-pptPueden los emprendedores_salvar_el_mundo-salas-i-ppt
Pueden los emprendedores_salvar_el_mundo-salas-i-pptIgnacio Antonio Salas Donoso
 
Ernesto sábato (Fabrizio)
Ernesto sábato (Fabrizio)Ernesto sábato (Fabrizio)
Ernesto sábato (Fabrizio)Gabi Dalati
 
La cooperative de mai
La cooperative de maiLa cooperative de mai
La cooperative de maiMymiAm
 
Mercedes Comunidad Digital. Diseño y puesta en práctica de una política de in...
Mercedes Comunidad Digital. Diseño y puesta en práctica de una política de in...Mercedes Comunidad Digital. Diseño y puesta en práctica de una política de in...
Mercedes Comunidad Digital. Diseño y puesta en práctica de una política de in...ConectaDEL
 
Resum temes 19 i 20 geografia 3r. ESO Lucía Peralta
Resum temes 19 i 20 geografia 3r. ESO Lucía PeraltaResum temes 19 i 20 geografia 3r. ESO Lucía Peralta
Resum temes 19 i 20 geografia 3r. ESO Lucía PeraltaPrincess Margaret School
 
Dossier de production groupe 125
Dossier de production groupe 125Dossier de production groupe 125
Dossier de production groupe 125Alexandra Rosini
 
Fête de la Vigne & des Terroirs France Dossier presse nov 13
Fête de la Vigne & des Terroirs France Dossier presse nov 13Fête de la Vigne & des Terroirs France Dossier presse nov 13
Fête de la Vigne & des Terroirs France Dossier presse nov 13joobernard
 
Que es bitcoin y para que sirve
Que es bitcoin y para que sirveQue es bitcoin y para que sirve
Que es bitcoin y para que sirveGatell & Asociados
 
Reversión psicológica o revés psicológico s
Reversión psicológica o revés psicológico sReversión psicológica o revés psicológico s
Reversión psicológica o revés psicológico sJose Maria Acosta Vera
 
Energie electrique et automobiles électriques au service de la société
Energie electrique et automobiles électriques au service de la sociétéEnergie electrique et automobiles électriques au service de la société
Energie electrique et automobiles électriques au service de la sociétéVincent RECIPON
 
Introduccion a la produccion
Introduccion a la produccionIntroduccion a la produccion
Introduccion a la produccionEdecarlo Barron
 
Post questionaire graphs
Post questionaire graphsPost questionaire graphs
Post questionaire graphsammaarkhan666
 
Socle c3-vade mecum-166892_janvier 2011
Socle c3-vade mecum-166892_janvier 2011Socle c3-vade mecum-166892_janvier 2011
Socle c3-vade mecum-166892_janvier 2011Liliane Arnaud Soubie
 

En vedette (20)

Diaporama veillée video
Diaporama veillée videoDiaporama veillée video
Diaporama veillée video
 
Presentación de la Charla Eclipse 15 abril 2014 por Juan Alberto Vélez Valencia
Presentación de la Charla Eclipse 15 abril 2014 por Juan Alberto Vélez ValenciaPresentación de la Charla Eclipse 15 abril 2014 por Juan Alberto Vélez Valencia
Presentación de la Charla Eclipse 15 abril 2014 por Juan Alberto Vélez Valencia
 
Pueden los emprendedores_salvar_el_mundo-salas-i-ppt
Pueden los emprendedores_salvar_el_mundo-salas-i-pptPueden los emprendedores_salvar_el_mundo-salas-i-ppt
Pueden los emprendedores_salvar_el_mundo-salas-i-ppt
 
Rene manual
Rene manualRene manual
Rene manual
 
Ernesto sábato (Fabrizio)
Ernesto sábato (Fabrizio)Ernesto sábato (Fabrizio)
Ernesto sábato (Fabrizio)
 
Libronaturales
LibronaturalesLibronaturales
Libronaturales
 
La cooperative de mai
La cooperative de maiLa cooperative de mai
La cooperative de mai
 
Mercedes Comunidad Digital. Diseño y puesta en práctica de una política de in...
Mercedes Comunidad Digital. Diseño y puesta en práctica de una política de in...Mercedes Comunidad Digital. Diseño y puesta en práctica de una política de in...
Mercedes Comunidad Digital. Diseño y puesta en práctica de una política de in...
 
Resum temes 19 i 20 geografia 3r. ESO Lucía Peralta
Resum temes 19 i 20 geografia 3r. ESO Lucía PeraltaResum temes 19 i 20 geografia 3r. ESO Lucía Peralta
Resum temes 19 i 20 geografia 3r. ESO Lucía Peralta
 
Dossier de production groupe 125
Dossier de production groupe 125Dossier de production groupe 125
Dossier de production groupe 125
 
Fête de la Vigne & des Terroirs France Dossier presse nov 13
Fête de la Vigne & des Terroirs France Dossier presse nov 13Fête de la Vigne & des Terroirs France Dossier presse nov 13
Fête de la Vigne & des Terroirs France Dossier presse nov 13
 
Que es bitcoin y para que sirve
Que es bitcoin y para que sirveQue es bitcoin y para que sirve
Que es bitcoin y para que sirve
 
Reversión psicológica o revés psicológico s
Reversión psicológica o revés psicológico sReversión psicológica o revés psicológico s
Reversión psicológica o revés psicológico s
 
Test
TestTest
Test
 
Energie electrique et automobiles électriques au service de la société
Energie electrique et automobiles électriques au service de la sociétéEnergie electrique et automobiles électriques au service de la société
Energie electrique et automobiles électriques au service de la société
 
Introduccion a la produccion
Introduccion a la produccionIntroduccion a la produccion
Introduccion a la produccion
 
Como facer novas
Como facer novasComo facer novas
Como facer novas
 
Post questionaire graphs
Post questionaire graphsPost questionaire graphs
Post questionaire graphs
 
Socle c3-vade mecum-166892_janvier 2011
Socle c3-vade mecum-166892_janvier 2011Socle c3-vade mecum-166892_janvier 2011
Socle c3-vade mecum-166892_janvier 2011
 
INTERNET
INTERNETINTERNET
INTERNET
 

Similaire à Guilhen journal d'un orphelin programme

Fiction 1 : La fille de l'Artiste
Fiction 1 : La fille de l'ArtisteFiction 1 : La fille de l'Artiste
Fiction 1 : La fille de l'ArtistePriscillia Yaya
 
Papy+mamy+..+17+10+2011
Papy+mamy+..+17+10+2011Papy+mamy+..+17+10+2011
Papy+mamy+..+17+10+2011Rabolliot
 
8 mars 43 à Lisieux
8 mars 43 à Lisieux8 mars 43 à Lisieux
8 mars 43 à Lisieuxecolepediat
 
Les vacances d'été d'un français en Espagne Chap.1
Les vacances d'été d'un français en Espagne Chap.1Les vacances d'été d'un français en Espagne Chap.1
Les vacances d'été d'un français en Espagne Chap.1BiblioAlbares
 
Contes Na1-Na2- Français
Contes Na1-Na2- FrançaisContes Na1-Na2- Français
Contes Na1-Na2- FrançaisEOITC
 
Anna. l'enfance de mon père
Anna. l'enfance de mon pèreAnna. l'enfance de mon père
Anna. l'enfance de mon pèreSchool
 
Sempe et-goscinny-le-petit-nicolas-a-des-ennuis-denoel-1964
Sempe et-goscinny-le-petit-nicolas-a-des-ennuis-denoel-1964Sempe et-goscinny-le-petit-nicolas-a-des-ennuis-denoel-1964
Sempe et-goscinny-le-petit-nicolas-a-des-ennuis-denoel-1964Barbara Roales Valladares
 
40 2 французский язык. 2кл. угл. изуч. в 2ч. ч.2-касаткина н.м_2009 -96с
40 2  французский язык. 2кл. угл. изуч. в 2ч. ч.2-касаткина н.м_2009 -96с40 2  французский язык. 2кл. угл. изуч. в 2ч. ч.2-касаткина н.м_2009 -96с
40 2 французский язык. 2кл. угл. изуч. в 2ч. ч.2-касаткина н.м_2009 -96сddfefa
 
Les chats errants essai
Les chats errants essaiLes chats errants essai
Les chats errants essaiAudeKonan
 
Comment t'as pu ?
Comment t'as pu ?Comment t'as pu ?
Comment t'as pu ?Chrisbd
 
Notre Classe De Français
Notre Classe De FrançaisNotre Classe De Français
Notre Classe De Françaismarbues
 
Le petit nicolas et les copains
Le petit nicolas et les copainsLe petit nicolas et les copains
Le petit nicolas et les copainsmartagracialosilla
 
Comment T As Pu Bv2878 B3 1 .7
Comment T As Pu Bv2878 B3 1 .7Comment T As Pu Bv2878 B3 1 .7
Comment T As Pu Bv2878 B3 1 .7guest37ef06
 
Ne tue pas celui qui t\'aime
Ne tue pas celui qui t\'aimeNe tue pas celui qui t\'aime
Ne tue pas celui qui t\'aimeAntoinette Ferro
 

Similaire à Guilhen journal d'un orphelin programme (20)

Contes Avent 2020
Contes Avent 2020Contes Avent 2020
Contes Avent 2020
 
Fiction 1 : La fille de l'Artiste
Fiction 1 : La fille de l'ArtisteFiction 1 : La fille de l'Artiste
Fiction 1 : La fille de l'Artiste
 
Papy+mamy+..+17+10+2011
Papy+mamy+..+17+10+2011Papy+mamy+..+17+10+2011
Papy+mamy+..+17+10+2011
 
8 mars 43 à Lisieux
8 mars 43 à Lisieux8 mars 43 à Lisieux
8 mars 43 à Lisieux
 
Les vacances d'été d'un français en Espagne Chap.1
Les vacances d'été d'un français en Espagne Chap.1Les vacances d'été d'un français en Espagne Chap.1
Les vacances d'été d'un français en Espagne Chap.1
 
Contes Na1-Na2- Français
Contes Na1-Na2- FrançaisContes Na1-Na2- Français
Contes Na1-Na2- Français
 
Anna. l'enfance de mon père
Anna. l'enfance de mon pèreAnna. l'enfance de mon père
Anna. l'enfance de mon père
 
Sempe et-goscinny-le-petit-nicolas-a-des-ennuis-denoel-1964
Sempe et-goscinny-le-petit-nicolas-a-des-ennuis-denoel-1964Sempe et-goscinny-le-petit-nicolas-a-des-ennuis-denoel-1964
Sempe et-goscinny-le-petit-nicolas-a-des-ennuis-denoel-1964
 
40 2 французский язык. 2кл. угл. изуч. в 2ч. ч.2-касаткина н.м_2009 -96с
40 2  французский язык. 2кл. угл. изуч. в 2ч. ч.2-касаткина н.м_2009 -96с40 2  французский язык. 2кл. угл. изуч. в 2ч. ч.2-касаткина н.м_2009 -96с
40 2 французский язык. 2кл. угл. изуч. в 2ч. ч.2-касаткина н.м_2009 -96с
 
Menu littéraire 1er cycle Thème Alimentation
Menu littéraire 1er cycle Thème AlimentationMenu littéraire 1er cycle Thème Alimentation
Menu littéraire 1er cycle Thème Alimentation
 
Les chats errants essai
Les chats errants essaiLes chats errants essai
Les chats errants essai
 
Comment t'as pu ?
Comment t'as pu ?Comment t'as pu ?
Comment t'as pu ?
 
Notre Classe De Français
Notre Classe De FrançaisNotre Classe De Français
Notre Classe De Français
 
Le petit nicolas et les copains
Le petit nicolas et les copainsLe petit nicolas et les copains
Le petit nicolas et les copains
 
Comment T As Pu Bv2878 B3 1 .7
Comment T As Pu Bv2878 B3 1 .7Comment T As Pu Bv2878 B3 1 .7
Comment T As Pu Bv2878 B3 1 .7
 
comment t'as pu
comment t'as pucomment t'as pu
comment t'as pu
 
Comment as tu-pu_!
Comment as tu-pu_!Comment as tu-pu_!
Comment as tu-pu_!
 
COMMENT T'AS PU
COMMENT T'AS PUCOMMENT T'AS PU
COMMENT T'AS PU
 
Ne tue pas celui qui t\'aime
Ne tue pas celui qui t\'aimeNe tue pas celui qui t\'aime
Ne tue pas celui qui t\'aime
 
Wery
WeryWery
Wery
 

Dernier

Bibdoc 2024 - Les intelligences artificielles en bibliotheque.pdf
Bibdoc 2024 - Les intelligences artificielles en bibliotheque.pdfBibdoc 2024 - Les intelligences artificielles en bibliotheque.pdf
Bibdoc 2024 - Les intelligences artificielles en bibliotheque.pdfBibdoc 37
 
Bibdoc 2024 - Les maillons de la chaine du livre face aux enjeux écologiques.pdf
Bibdoc 2024 - Les maillons de la chaine du livre face aux enjeux écologiques.pdfBibdoc 2024 - Les maillons de la chaine du livre face aux enjeux écologiques.pdf
Bibdoc 2024 - Les maillons de la chaine du livre face aux enjeux écologiques.pdfBibdoc 37
 
DIGNITAS INFINITA - DIGNITÉ HUMAINE; déclaration du dicastère .pptx
DIGNITAS INFINITA - DIGNITÉ HUMAINE; déclaration du dicastère .pptxDIGNITAS INFINITA - DIGNITÉ HUMAINE; déclaration du dicastère .pptx
DIGNITAS INFINITA - DIGNITÉ HUMAINE; déclaration du dicastère .pptxMartin M Flynn
 
Apprendre avec des top et nano influenceurs
Apprendre avec des top et nano influenceursApprendre avec des top et nano influenceurs
Apprendre avec des top et nano influenceursStagiaireLearningmat
 
Bibdoc 2024 - Sobriete numerique en bibliotheque et centre de documentation.pdf
Bibdoc 2024 - Sobriete numerique en bibliotheque et centre de documentation.pdfBibdoc 2024 - Sobriete numerique en bibliotheque et centre de documentation.pdf
Bibdoc 2024 - Sobriete numerique en bibliotheque et centre de documentation.pdfBibdoc 37
 
La Base unique départementale - Quel bilan, au bout de 5 ans .pdf
La Base unique départementale - Quel bilan, au bout de 5 ans .pdfLa Base unique départementale - Quel bilan, au bout de 5 ans .pdf
La Base unique départementale - Quel bilan, au bout de 5 ans .pdfbdp12
 
Pas de vagues. pptx Film français
Pas de vagues.  pptx   Film     françaisPas de vagues.  pptx   Film     français
Pas de vagues. pptx Film françaisTxaruka
 
PIE-A2-P4-support stagiaires sept 22-validé.pdf
PIE-A2-P4-support stagiaires sept 22-validé.pdfPIE-A2-P4-support stagiaires sept 22-validé.pdf
PIE-A2-P4-support stagiaires sept 22-validé.pdfRiDaHAziz
 
Chana Orloff.pptx Sculptrice franco-ukranienne
Chana Orloff.pptx Sculptrice franco-ukranienneChana Orloff.pptx Sculptrice franco-ukranienne
Chana Orloff.pptx Sculptrice franco-ukranienneTxaruka
 
Bernard Réquichot.pptx Peintre français
Bernard Réquichot.pptx   Peintre françaisBernard Réquichot.pptx   Peintre français
Bernard Réquichot.pptx Peintre françaisTxaruka
 
Newsletter SPW Agriculture en province du Luxembourg du 10-04-24
Newsletter SPW Agriculture en province du Luxembourg du 10-04-24Newsletter SPW Agriculture en province du Luxembourg du 10-04-24
Newsletter SPW Agriculture en province du Luxembourg du 10-04-24BenotGeorges3
 
PIE-A2-P 5- Supports stagiaires.pptx.pdf
PIE-A2-P 5- Supports stagiaires.pptx.pdfPIE-A2-P 5- Supports stagiaires.pptx.pdf
PIE-A2-P 5- Supports stagiaires.pptx.pdfRiDaHAziz
 
Faut-il avoir peur de la technique ? (G. Gay-Para)
Faut-il avoir peur de la technique ? (G. Gay-Para)Faut-il avoir peur de la technique ? (G. Gay-Para)
Faut-il avoir peur de la technique ? (G. Gay-Para)Gabriel Gay-Para
 
Pas de vagues. pptx Film français
Pas de vagues.  pptx      Film   françaisPas de vagues.  pptx      Film   français
Pas de vagues. pptx Film françaisTxaruka
 
Présentation - Initiatives - CECOSDA - OIF - Fact Checking.pptx
Présentation - Initiatives - CECOSDA - OIF - Fact Checking.pptxPrésentation - Initiatives - CECOSDA - OIF - Fact Checking.pptx
Présentation - Initiatives - CECOSDA - OIF - Fact Checking.pptxJCAC
 
Vulnérabilité numérique d’usage : un enjeu pour l’aide à la réussitepdf
Vulnérabilité numérique d’usage : un enjeu pour l’aide à la réussitepdfVulnérabilité numérique d’usage : un enjeu pour l’aide à la réussitepdf
Vulnérabilité numérique d’usage : un enjeu pour l’aide à la réussitepdfSylvianeBachy
 
Bibdoc 2024 - L’Éducation aux Médias et à l’Information face à l’intelligence...
Bibdoc 2024 - L’Éducation aux Médias et à l’Information face à l’intelligence...Bibdoc 2024 - L’Éducation aux Médias et à l’Information face à l’intelligence...
Bibdoc 2024 - L’Éducation aux Médias et à l’Information face à l’intelligence...Bibdoc 37
 

Dernier (18)

Bibdoc 2024 - Les intelligences artificielles en bibliotheque.pdf
Bibdoc 2024 - Les intelligences artificielles en bibliotheque.pdfBibdoc 2024 - Les intelligences artificielles en bibliotheque.pdf
Bibdoc 2024 - Les intelligences artificielles en bibliotheque.pdf
 
Bibdoc 2024 - Les maillons de la chaine du livre face aux enjeux écologiques.pdf
Bibdoc 2024 - Les maillons de la chaine du livre face aux enjeux écologiques.pdfBibdoc 2024 - Les maillons de la chaine du livre face aux enjeux écologiques.pdf
Bibdoc 2024 - Les maillons de la chaine du livre face aux enjeux écologiques.pdf
 
DIGNITAS INFINITA - DIGNITÉ HUMAINE; déclaration du dicastère .pptx
DIGNITAS INFINITA - DIGNITÉ HUMAINE; déclaration du dicastère .pptxDIGNITAS INFINITA - DIGNITÉ HUMAINE; déclaration du dicastère .pptx
DIGNITAS INFINITA - DIGNITÉ HUMAINE; déclaration du dicastère .pptx
 
Apprendre avec des top et nano influenceurs
Apprendre avec des top et nano influenceursApprendre avec des top et nano influenceurs
Apprendre avec des top et nano influenceurs
 
Bibdoc 2024 - Sobriete numerique en bibliotheque et centre de documentation.pdf
Bibdoc 2024 - Sobriete numerique en bibliotheque et centre de documentation.pdfBibdoc 2024 - Sobriete numerique en bibliotheque et centre de documentation.pdf
Bibdoc 2024 - Sobriete numerique en bibliotheque et centre de documentation.pdf
 
La Base unique départementale - Quel bilan, au bout de 5 ans .pdf
La Base unique départementale - Quel bilan, au bout de 5 ans .pdfLa Base unique départementale - Quel bilan, au bout de 5 ans .pdf
La Base unique départementale - Quel bilan, au bout de 5 ans .pdf
 
Pas de vagues. pptx Film français
Pas de vagues.  pptx   Film     françaisPas de vagues.  pptx   Film     français
Pas de vagues. pptx Film français
 
PIE-A2-P4-support stagiaires sept 22-validé.pdf
PIE-A2-P4-support stagiaires sept 22-validé.pdfPIE-A2-P4-support stagiaires sept 22-validé.pdf
PIE-A2-P4-support stagiaires sept 22-validé.pdf
 
Chana Orloff.pptx Sculptrice franco-ukranienne
Chana Orloff.pptx Sculptrice franco-ukranienneChana Orloff.pptx Sculptrice franco-ukranienne
Chana Orloff.pptx Sculptrice franco-ukranienne
 
Bulletin des bibliotheques Burkina Faso mars 2024
Bulletin des bibliotheques Burkina Faso mars 2024Bulletin des bibliotheques Burkina Faso mars 2024
Bulletin des bibliotheques Burkina Faso mars 2024
 
Bernard Réquichot.pptx Peintre français
Bernard Réquichot.pptx   Peintre françaisBernard Réquichot.pptx   Peintre français
Bernard Réquichot.pptx Peintre français
 
Newsletter SPW Agriculture en province du Luxembourg du 10-04-24
Newsletter SPW Agriculture en province du Luxembourg du 10-04-24Newsletter SPW Agriculture en province du Luxembourg du 10-04-24
Newsletter SPW Agriculture en province du Luxembourg du 10-04-24
 
PIE-A2-P 5- Supports stagiaires.pptx.pdf
PIE-A2-P 5- Supports stagiaires.pptx.pdfPIE-A2-P 5- Supports stagiaires.pptx.pdf
PIE-A2-P 5- Supports stagiaires.pptx.pdf
 
Faut-il avoir peur de la technique ? (G. Gay-Para)
Faut-il avoir peur de la technique ? (G. Gay-Para)Faut-il avoir peur de la technique ? (G. Gay-Para)
Faut-il avoir peur de la technique ? (G. Gay-Para)
 
Pas de vagues. pptx Film français
Pas de vagues.  pptx      Film   françaisPas de vagues.  pptx      Film   français
Pas de vagues. pptx Film français
 
Présentation - Initiatives - CECOSDA - OIF - Fact Checking.pptx
Présentation - Initiatives - CECOSDA - OIF - Fact Checking.pptxPrésentation - Initiatives - CECOSDA - OIF - Fact Checking.pptx
Présentation - Initiatives - CECOSDA - OIF - Fact Checking.pptx
 
Vulnérabilité numérique d’usage : un enjeu pour l’aide à la réussitepdf
Vulnérabilité numérique d’usage : un enjeu pour l’aide à la réussitepdfVulnérabilité numérique d’usage : un enjeu pour l’aide à la réussitepdf
Vulnérabilité numérique d’usage : un enjeu pour l’aide à la réussitepdf
 
Bibdoc 2024 - L’Éducation aux Médias et à l’Information face à l’intelligence...
Bibdoc 2024 - L’Éducation aux Médias et à l’Information face à l’intelligence...Bibdoc 2024 - L’Éducation aux Médias et à l’Information face à l’intelligence...
Bibdoc 2024 - L’Éducation aux Médias et à l’Information face à l’intelligence...
 

Guilhen journal d'un orphelin programme

  • 1. Guilhen Journal d'un orphelin programmé - Collection Romans / Nouvelles - Retrouvez cette oeuvre et beaucoup d'autres sur http://www.inlibroveritas.net
  • 2.
  • 3. Table des matières Journal d'un orphelin programmé...........................................................1 1...........................................................................................................2 2.........................................................................................................72 i
  • 4. Journal d'un orphelin programmé Auteur : Guilhen Catégorie : Romans / Nouvelles C'est un enfant qui découvre un peu trop tôt le sens du mot "mort". C'est un enfant qui aime les comic-books et son chien. C'est un enfant qui va grandir et s'enfermer dans une obsession irréversible. Voici son journal, jour après jour et année après année... (roman écrit en 2006) Licence : Licence Creative Commons (by-nc-nd) http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/ 1
  • 5. 1 15 septembre 1986 Je ne savais pas trop quand commencer ce journal alors j'ai décidé que ce serait aujourd'hui. Parce qu'aujourd'hui j'ai dix ans et que pour la première fois depuis deux ans, maman était là pour le fêter. Maman va revenir habiter avec nous. Je sais pas encore si je comprends tout ce que ça veut dire mais je crois pas. Parce que j'ai dix ans et à dix ans on peut pas tout comprendre. C'est comme ça que le médecin m'a parlé. Il m'a dit ça. Enfin, à peu près. Et il a dit aussi que je devrais écrire les choses que je ressentais, que ça m'aiderait. Il a dit comme ça, de prendre un cahier et de noter les jours avec ce que je pensais. Je comprends pas, c'est pas moi qui suis malade. Et si maman est revenue, c'est qu'elle n'est plus malade alors je comprends pas ce docteur. Papa m'a demandé d'obéir et comme j'aime bien écrire, j'ai dit okay. J'écris sur un cahier bleu à spirales avec des lignes bleues et une ligne rouge de marge. J'aime pas les petits carreaux et ce cahier en a, des petits carreaux. Mais ils n'en avaient pas d'autres à l'épicerie. C'est là qu'on les achète, les cahiers, et puis les boîtes de conserve aussi. Avec papa, on en a bouffé des tas de boites de conserve quand maman était pas là. Du coup, peut-être que j'ai trop de fer dans le corps, maintenant ? Je voulais faire des examens pour être sûr, mais le docteur m'a touché la poitrine, il m'a dit « tousse, allons, plus fort ! » et puis c'est tout. C'était fini la visite. Ensuite il a dit à papa : « vous savez, le retour de votre épouse Catherine ne sera pas facile » mais je ne sais pas trop pourquoi il a dit ça. Maman, ça fait deux ans qu'elle ne vit plus avec nous. Il est bizarre ce docteur. Je crois qu'il est pas normal en vrai. 16 septembre 1986 1 2
  • 6. Journal d'un orphelin programmé Il faut que je continue à parler de mon anniversaire. Parce que les anniversaires, ça arrive pas très souvent. Et après il faut attendre très longtemps pour que ça soit encore là. Pour mon anniversaire, j'ai dix ans, j'ai eu un chien. C'était bizarre, papa l'avait mis dans une boîte trouée pour qu'il respire, avec du papier cadeau autour. C'est un chien de berger, ça veut dire qu'il est fait pour garder les moutons mais où on habite, y'a pas de mouton. On habite à Lyon, et dans la ville y'a jamais de mouton. Je crois que c'est à cause des voitures, ils auraient trop peur sinon. Le chien que j'ai eu s'appelle Marcel, parce que cette année, c'est la lettre M qu'il faut. Papa m'a expliqué qu'on était obligé de choisir un prénom en M et moi j'aime pas trop le M mais tant pis, si on est obligé, faut bien prendre un M. Alors du coup moi j'ai décidé que ce serait Marcel qu'il s'appellerait. Papa avait pas l'air très content quand je lui ai dit le nom que j'avais choisi. Il a secoué la tête comme si j'avais fait une bêtise et puis il a dit que c'était un prénom ridicule pour un chien. Moi j'ai dit que Marcel c'était bien pour un chien. Alors ensuite maman a dit que ça changeait pas grand-chose. Maman elle a été chouette parce qu'elle a dit à papa « laisse tomber, c'est son chien... ». Alors voilà, avant d'aller me coucher, je voulais juste écrire ça pour m'en souvenir plus tard : j'ai eu dix ans et maintenant à la maison on est quatre avec maman et Marcel. 21 septembre 1986 Je crois que Marcel est idiot. Je pense que les chiens idiots ça existe, comme les gens. Et je pense que Marcel il l'est, idiot. J'essaye de lui apprendre à faire des tours, mais y'a rien qui marche, il comprend vraiment rien. 1 3
  • 7. Journal d'un orphelin programmé 22 septembre 1986 J'ai compris pourquoi Marcel comprend rien. C'est un colley, un chien de berger qui vient d'Ecosse. Et forcément en Ecosse on parle pas français. Il faut que j'apprenne à parler l'Ecossais pour que Marcel puisse m'obéir. Ca va pas être facile, j'ai demandé à papa et il m'a dit qu'on n'apprenait pas l'Ecossais mais l'Anglais. Et l'Anglais j'en fais cette année à l'école, parce que je commence le collège. Pour l'instant je sais pas parler anglais parce qu'on n'a pas encore commencé les cours. Le prof est malade et il n'est pas remplacé car il paraît que c'est pas grave et qu'il sera là la semaine prochaine. Je sais pas trop si Marcel comprendra l'anglais parce que c'est quand même un berger écossais et pas un berger anglais. Et mon père n'y connaît pas grand-chose en chien, alors comment il peut savoir quelle langue comprend Marcel ? Maman n'a pas d'avis. Elle a dit qu'elle s'en foutait du chien et de la langue qu'il comprenait. Elle a même dit que du moment qu'il salopait pas tout à l'intérieur de la maison, c'était tout ce qui comptait. Maman a dit « si ce foutu clébard entre avec ses pattes mouillés, je lui file un coup de pied au cul, ça sera pas de l'anglais ni du français, mais je te jure qu'il comprendra ! ». Maman s'énerve beaucoup. Je me souviens pas trop comment elle était avant de partir de la maison. C'était y a deux ans et j'étais petit, j'avais huit ans. Je me souviens pas trop, mais je crois bien qu'elle criait moins. 26 septembre 1986 On a fait notre premier cours d'anglais à l'école. J'ai pas trouvé ça super. La prof est une grosse femme et son visage ressemble à une pastèque molle. Quand elle nous parle en anglais, elle postillonne partout et on comprend rien. Enfin, moi je comprends rien, et les autres non plus je crois bien. Pour l'instant je sais pas dire grand chose en anglais et j'ai essayé avec Marcel. Je lui ai dit « Hello, my name is Benjamin », mais il n'a pas eu l'air de comprendre plus. Je devrais essayer l'Écossais plutôt, mais papa voudra jamais m'acheter un manuel d'écossais. 1 4
  • 8. Journal d'un orphelin programmé 2 octobre 1986 Maman pleure beaucoup. Elle et papa se crient souvent dessus alors moi je préfère rester dans le jardin et apprendre des tours à Marcel. Pour les tours, Marcel semble mieux me comprendre. Il creuse partout dans la pelouse et ça rend papa complètement dingue. Mais qu'est ce qu'on a à faire de la pelouse ? Des pelouses, y'en a partout dans le quartier, toutes les maisons en ont et les immeubles aussi. À la télé, ils disent que c'est bien les pelouses, que ça fait du bien aux gens, surtout à ceux qui habitent dans les villes. Nous on habite Lyon qui est une très grande ville et j'ai pas le droit de sortir seul. Pourtant Marcel est un chien de berger et il saurait bien me garder mais papa veut pas. Maman elle, je sais pas. Je lui ai pas demandé, j'ai pas envie. 4 octobre 1986 Papa et maman commencent déjà à parler de noël. Noël c'est à la fin du premier trimestre et je crois que ça va pas être terrible cette année pour moi. En anglais je suis nul, en math je suis nul et en sport, c'est pire. Y'a qu'en français que ça va à peu près, j'ai la meilleure note de la classe en français. C'est peut-être à cause... Grâce à ce journal ? En tout cas c'est marrant. Au début j'avais pas trop envie d'écrire là-dedans. Mais bon pourquoi pas ? Et puis maintenant je trouve ça marrant. Pas rigolo, mais marrant. C'est pas la même chose. Rigolo c'est pour les gamins et moi je suis plus un gamin, j'ai dix ans et j'ai presque failli être orphelin. Les autres gosses, ils savent pas ce que c'est. Je pense à ça parce que le docteur Croizic qui m'a demandé d'écrire ce journal, il m'a demandé où j'en suis. Il m'a dit que ça serait bien d'écrire sur la maladie de maman. Il a dit « Benjamin, il faut que tu puisses sortir toute la douleur que tu as 1 5
  • 9. Journal d'un orphelin programmé accumulée pendant ces deux années. Et c'est certainement par l'écriture que tu y parviendras ». Ensuite il m'a demandé si je me sentais capable de le faire. Je suis peut-être nul en anglais, dernier en maths et tout le monde se fiche de moi en sport, je suis le premier en français. Alors voilà, le docteur il les aura ses commentaires sur la maladie de maman. Même si j'en ai pas forcément envie, que je trouve ça un peu débile. Sortir des choses accumulées en écrivant, c'est aussi con qu'un berger écossais qui comprend pas le français. 8 octobre 1986 Mais qu'est ce qu'ils ont tous avec noël ? Papa et maman n'arrêtent pas d'en parler, pour savoir chez qui on va aller. Il y a les parents de papa qui habitent à Cannes et puis les parents de maman qui habitent en Bourgogne. Avant, on allait tout le temps en Bourgogne parce que c'est pas loin de Lyon. Et cette année papa veut aller à Cannes et maman veut pas. Ils en ont parlé ce soir au repas et puis maman a dit « Pour une fois que je suis pas dans un putain de lit d'hôpital pour la noël, j'aimerais bien voir mes parents ! ». Elle a dit ça en criant presque, en tout cas, avec une voix super bizarre comme si elle allait pleurer. Moi je me suis arrêté de manger et je l'ai regardée. Papa l'a regardée aussi et il a fait une tête toute drôle. Y'a que Marcel qui n'a rien remarqué et qui a continué à respirer fort, allongé sur le tapis du salon. Je me demande en quelle langue rêve Marcel. Maman ensuite, elle s'est mise à vraiment pleurer et elle est partie sans finir de manger. Papa il est resté là, sans rien dire, il m'a regardé bizarre et j'ai compris qu'il valait mieux rien dire. Alors j'ai continué à manger et ensuite je suis monté dans ma chambre. Maintenant j'écris ce journal et je me demande bien ce qu'a maman pour être toute bizarre depuis qu'elle est revenue. Peut-être que le docteur Croizic le sait. En tout cas pour ce soir, j'en ai assez. En revenant du collège, j'ai acheté le dernier "Strange" alors je vais vite aller dans mon lit pour le lire. Demain j'ai un contrôle d'anglais et j'ai rien appris. De toute façon je m'en fous, c'est pas en lui parlant en 1 6
  • 10. anglais que Marcel saura faire des tours nouveaux. 9 octobre 1986 Le contrôle d'anglais s'est pas bien passé du tout. Peut-être qu'il faudrait que je lise les Strange en anglais pour m'entraîner. Mais j'y comprendrai plus rien et en ce moment c'est pas le moment de rater ce qui se passe. Spiderman a plein de problèmes : tante May est tout le temps malade et elle va habiter chez la voisine, et puis Mary Jane croit que Peter est un peureux alors que c'est Spiderman mais ça bien sûr personne le sait parce qu'il doit pas dire son secret. Marcel lui, il s'en fout je crois, des problèmes de Spiderman. J'ai essayé d'expliquer la situation de Spiderman à Marcel, mais il m'a regardé avec des yeux tout mous et il a continué de dormir. Par contre il semble un peu plus comprendre quand je lui parle des trucs faciles : donner la patte c'est pas encore ça, mais ça devrait bientôt. 10 octobre 1986 Dans trois jours, il faut qu'on aille tous voir le docteur Croizic, enfin sauf Marcel bien sûr parce que les chiens ne sont pas autorisés chez les docteurs. Le docteur Croizic connaît bien maman, c'est lui qui l'a aidée pendant toute sa maladie. Il avait dit à maman qu'il pourrait continuer à nous aider après aussi. Cette fois il faut qu'on y aille tous et je sais pas bien pourquoi mais bon, on verra bien. 11 octobre 1986 Journal d'un orphelin programmé 1 7
  • 11. Journal d'un orphelin programmé Il a plu. Même que ça a duré toute la journée. C'était de la pluie qui faisait plein de bruit en tombant contre les vitres, à cause du vent. Marcel a du rester toute la journée dedans et chaque fois que je voulais aller le promener, papa me criait dessus. Il disait que c'était une idée complètement débile. N'empêche que Marcel il a fini par faire pipi sur le tapis du salon et ça c'est un truc complètement débile. C'est bien fait pour papa. Maman elle a voulu nettoyer alors que c'était pas à elle de le faire, papa lui a dit qu'elle devait se reposer. Et là maman elle s'est énervée et elle a criée. Elle a dit : « Tu m'emmerdes Jean-Paul ! J'ai passé deux ans à rien faire alors maintenant fous-moi la paix ! Je suis pas handicapée ni malade alors je peux nettoyer ! » Moi j'aime pas trop quand maman dit des gros mots et quand maman crie comme ça alors je suis monté m'allonger sur mon lit. C'était pas une chouette journée. 12 octobre 1986 Demain il faut aller voir le docteur Croizic. Ca doit se passer à six heures et papa et maman passent me chercher après l'école pour y aller. J'aime pas quand ils viennent me chercher à l'école. Enfin je crois que j'aime pas parce que ça fait longtemps que c'est pas arrivé. Et justement je suis plus un gamin, j'ai dix ans et ma mère a failli mourir. En plus ils veulent pas emmener Marcel. Tante May est plus gentille avec Peter que mes parents avec moi, je trouve. Et pourtant elle sait même pas que son neveu c'est Spiderman. Je crois que moi, si j'étais Spiderman, je le lui dirai. 13 octobre 1986 On est rentré de chez le docteur Croizic tout à l'heure. Il a parlé très longtemps avec nous et puis il nous a demandé de sortir, d'abord moi puis papa. Je me demande de quoi ils ont bien pu parler avec maman tout ce 1 8
  • 12. Journal d'un orphelin programmé temps. Le docteur Croizic a lu mon journal, il m'avait demandé de penser à l'emmener et il a dit : « Mmm, c'est très intéressant. Absolument instructif, je crois qu'il faut vraiment que tu continues Benjamin. Tu as une facilité d'écriture certaine... Et c'est une très bonne thérapie pour refermer l'épisode douloureux de la maladie de ta maman ». Même s'il a parlé de la maladie de maman, j'étais content qu'il dise ça. Il dit qu'il faut que je parle plus de ces deux dernières années si je veux que ça me fasse du bien. Je comprends pas trop ce que le docteur veut dire mais bon papa et maman avaient l'air d'accord avec lui. Les deux dernières années elles étaient pas très chouettes justement et j'ai pas vraiment envie d'en parler dans mon journal. Il paraît que le docteur m'avait déjà demandé d'écrire ce journal au début de la maladie de maman mais je m'en souviens pas trop. Peut-être que papa me l'avait pas dit. Des fois, papa me dit pas tout, il garde des choses pour lui parce qu'il a peur que je l'apprenne. Mais ça, il aurait quand même pu me le dire. Quand je serais grand, je pourrais lui dire ce que j'en pense et ça sera bien. Pour l'instant je suis peut-être un enfant mais je suis quand même pas un gamin ! J'ai dix ans. 15 octobre Aujourd'hui j'ai décidé que j'allais faire ce que le docteur Croizic a dit. Alors au début, maman a commencé à avoir mal au ventre. Je crois que ça a commencé comme ça mais je suis pas très sûr, je me souviens pas très bien, c'était il y a deux ans. Le docteur Croizic c'est le docteur qui soigne toute la famille depuis tout le temps. Il a donné des médicaments à maman et puis voilà. Mais ça a rien fait. Et puis je sais plus quand ça s'est passé mais Croizic a envoyé maman chez un copain à lui, un autre docteur, mais dans un hôpital cette fois-ci. J'aime pas l'hôpital, c'est tout blanc. Mais au début j'y suis pas allé, maman revenait à la maison chaque fois qu'elle avait fini. Maman avait plus mal au ventre mais plus haut, dans les seins (j'ai cherché dans un dictionnaire pour savoir comme ça s'écrit, et savoir la 1 9
  • 13. Journal d'un orphelin programmé différence avec les saints). Et là y' a un docteur de l'hôpital qui a trouvé ce qu'elle avait. C'est papa qui m'a rappelé tout ça pour que je sache quoi écrire pour expliquer le début. Papa il m'a dit qu'il fallait que j'explique le début comme si je racontais l'histoire à quelqu'un. Mais le docteur Croizic il a bien dit que papa devait pas lire mon journal, ni maman, parce que ça risquait de me bloquer sinon. Moi je suis bien content que papa puisse pas lire mon journal. Pour maman, je sais pas. Bon je continue l'histoire. Alors maman on lui a dit ce qu'elle avait et ensuite on a commencé à la soigner. Mais c'était très long et il fallait qu'elle aille souvent à l'hôpital et ça la fatiguait tellement qu'elle restait longtemps là-bas. Elle a laissé son travail le temps d'être soignée et puis elle n'a plus rien fait d'autre. A la maison elle était de moins en moins là. Papa travaillait beaucoup, et on mangeait quand il rentrait du travail, souvent il faisait nuit. C'était pas très marrant ça. Et puis aller voir maman à l'hôpital c'était pas marrant non plus. J'aimais pas ça. Il y avait plein de gens qui marchaient partout, des vieux et des pas vieux, des enfants et d'autres mamans mais pas la mienne. Elle était couchée dans ce lit et elle avait une toque sur la tête et des tuyaux branchés sur elle. On la reconnaissait presque pas. On y restait un moment et papa lui parlait de son travail, de la maison et moi il fallait que je raconte des choses sur l'école. Papa racontait toujours plein de choses et il rigolait beaucoup. Et puis ensuite quand on rentrait à la maison tous les deux, papa était tout bizarre et il finissait par pleurer. Et ça c'était le pire. Parce que pleurer c'est pas un truc pour les papas. Et puis ça a duré deux ans comme ça et c'était super long. Et puis un jour maman est revenue à la maison, c'était pour mon anniversaire. Mais de ça, j'en ai déjà parlé... 18 octobre 1986 Marcel grandit. Et moi aussi sauf que moi ça se voit moins que mon chien. Quand Marcel sera grand, il aura plus de poils partout, des poils longs couleur caramel et chocolat, et puis blanc aussi, exactement comme Lassie. Et il paraît que quand il sera vieux, il aura des problèmes dans le 1 10
  • 14. dos et que son derrière sera paralysé. C'est Eric qui me l'a dit. Eric c'est le prénom de l'encyclopédie des chiens que j'ai eu pour la noël l'an dernier. C'est un gros livre où tout est expliqué sur les chiens, depuis qu'ils sont des chiots avec ce qu'il faut leur donner à manger et tout. C'est un livre rudement chouette et c'est ma mémé de Bourgogne qui me l'a offert. J'aime bien les chiens. Ils parlent pas. 20 octobre 1986 Maman a beaucoup pleuré aujourd'hui et je sais même pas pourquoi. J'ai demandé à papa mais il m'a dit d'aller me promener. J'aurais bien voulu savoir ce qu'elle avait maman mais papa a dit : « Ce n'est pas un truc pour les enfants Benjamin, pourquoi ne prendrais-tu pas Marcel pour aller te promener dans le jardin public ? Tu ne risques rien maintenant avec lui... » Sauf que moi j'avais pas envie d'aller me promener dans le jardin public. Et puis y'a toujours plein de monde dans ce jardin et moi je voulais savoir ce que maman avait alors je suis remonté dans ma chambre et j'ai terminé le Strange. Demain j'en achèterai un nouveau avec Daredevil dedans. C'est mon argent de poche alors je fais ce que je veux avec... 25 octobre 1986 Dans deux mois c'est noël. Finalement papa a accepté d'aller en Bourgogne cette année. Maman n'a pas pleuré depuis deux jours, on dirait que les choses sont plus calmes. Je pense que ça va pas durer. 26 octobre 1986 Journal d'un orphelin programmé 1 11
  • 15. Journal d'un orphelin programmé J'avais raison. Aujourd'hui maman a pleuré à nouveau et j'ai compris pourquoi. Enfin je crois. Maman a eu des opérations pendant sa maladie et aujourd'hui j'ai vu quoi. Quand maman est sortie de la douche je l'ai vue parce que la porte était entrouverte. Je suis resté sans bouger. Elle pouvait pas me voir. Et j'ai vu maman et à la place de ses seins il y a deux grosses cicatrices rouges maintenant. Elle les a touchées et elle les a regardées dans la glace de la salle de bains. Et moi aussi je les ai regardées parce que c'est bizarre. Ca m'a fait peur et quand maman les regarde, son visage change, c'est comme si c'était plus maman. Et après elle a pleuré et moi je suis rentré dans ma chambre. Heureusement dans le nouveau Strange que j'ai acheté il y avait Daredevil et lui il est chouette. 29 octobre 1986 J'ai finis le Strange. C'était rudement bien, surtout grâce à Daredevil. Il est aveugle à cause d'un accident qu'il a eu quand il était petit, en voulant sauver un vieux qui traversait la route. Mais après son accident il a eu plein de nouveaux pouvoirs et il combat les méchants toutes les nuits. Et surtout le gros caïd qui est très gros et le plus méchant de tous. Et dans la journée Daredevil est avocat et il a une canne d'aveugle qui est son arme la nuit, aussi. J'aime bien quand Daredevil se bat contre le gros caïd. On a toujours l'impression qu'il va perdre mais il gagne toujours. Le gros caïd il me fait penser au docteur Croizic sauf que le docteur il est moins gros. Mais il est chauve et il porte aussi une veste blanche. J'aime pas trop le blanc, ça me fait bizarre. On dirait que ces gens sont malades... 30 octobre 1986 J'ai fais un cauchemar terrible cette nuit. J'ai rêvé que les cicatrices de maman s'ouvraient et que plein de petits lézards en sortaient. Ils étaient vraiment beaucoup et ils tombaient sur le sol de la salle de bains. Il y en 1 12
  • 16. Journal d'un orphelin programmé avait qui tombaient aussi sur le lavabo, sur le rebord et après ils rampaient pour entrer dans le trou du lavabo. Et à chaque fois que des lézards sortaient par les cicatrices de maman, il y avait du sang qui coulait de ses yeux, comme si maman pleurait du sang. Je me suis réveillé dans la nuit et je sais pas quelle heure c'était parce que quand j'ai voulu regarder le réveil j'ai vu les chiffres rouges et ça m'a rappelé le sang. Alors j'ai mis la tête sous les couvertures, j'ai pensé à Spiderman et après je me suis rendormi. Parce qu'encore après, quand j'ai ouvert les yeux, il y avait plein de lumière du soleil dans la chambre. Ensuite j'ai été fatigué toute la journée à l'école et j'ai rien compris à la leçon de math. Il va falloir que j'aille me coucher tout à l'heure mais j'ai peur de refaire le même rêve alors je vais relire un vieux Strange de ma collection pour penser à des choses bien. Je vais relire un des Strange où Spiderman se bat contre le docteur Octopus et que tout un immeuble lui tombe dessus, même que Spiderman est bloqué et que sa force d'araignée lui sert à rien. J'aime bien quand les héros sont bloqués, ça change de quand c'est trop facile pour eux. Parce que pour moi c'est jamais facile quand j'y arrive pas. 4 novembre 1986 Cette nuit j'ai refais un cauchemar avec des flammes qui sortaient du corps de maman et quand papa voulait l'éteindre, il ouvrait la bouche et c'était plein de boue qui coulait. Et quand la boue de papa tombait sur maman, les flammes devenaient plus fortes. Et ses cicatrices devenaient bleu et se tordaient, comme une bouche avec plein de dents qui souriaient et même, qui rigolaient. 6 novembre 1986 Marcel aime beaucoup la viande. Ce soir je lui ai donné un peu de mon steak haché et il avait l'air drôlement content. Quand Marcel est content il 1 13
  • 17. Journal d'un orphelin programmé remue la queue, comme tous les chiens. Mais les chiens ont le coeur qui bat plus vite que celui des gens, et c'est pour ça aussi qu'ils vivent moins. Alors c'est important que Marcel mange de la viande pour devenir fort mais le lait par contre il aime pas du tout. Pourtant dans le lait il y a plein de choses pour qu'on grandisse alors ça serait mieux si Marcel pouvait en boire mais bon voilà, il aime pas ça du tout. Sûrement que ça lui ferait penser qu'il est un chat s'il buvait du lait et là ça rendrait malade tous les chiens. Je peux comprendre ça... 7 novembre 1986 C'est pas facile d'écrire tous les jours. Le docteur Croizic a dit que c'était pas grave mais qu'il fallait que j'essaye. Mais des fois je préfère regarder la télé et les dessins animés ou lire "Strange" ou "Spectral". "Spectral" c'est bien aussi, dedans y'a la chose du marais qui est un ancien scientifique qui a du se jeter dans un marais pour pas brûler dans l'explosion de son laboratoire. Et comme il avait plein de produits chimiques sur lui, ça a fait une réaction avec la vase et les choses qui sont dans le marais. Et tout le monde le croyait mort alors que pas du tout : il est ressorti du marais transformé en la chose du marais. C'est rudement chouette comme histoire et y'en a tout plein. Alors voilà, y'a souvent des trucs que j'ai à faire au lieu d'écrire sur ce cahier. Y'a juste que, avant de dormir j'aime bien écrire. Il faut que je m'entraîne à écrire parce qu'à l'école c'est la seule chose que j'aime faire. 8 novembre 1986 Aujourd'hui il ne s'est rien passé. J'ai même pas joué avec Marcel. Maman a encore pleuré, elle est toute bizarre depuis qu'elle est revenue de l'hôpital, c'est comme si c'était une autre personne. 1 14
  • 18. 9 novembre 1986 Journal d'un orphelin programmé Aujourd'hui il ne s'est rien passé. Je me demande si je dois écrire ça pour écrire tous les jours, je trouve pas ça très marrant. Je crois que je vais arrêter. Ah si, aujourd'hui Marcel a vomi. Je sais pas pourquoi il a fait ça : c'est bizarre les chiens, des fois... 11 novembre 1986 Le 11 novembre est une date que j'aime parce qu'on va pas à l'école et qu'on nous montre plein de vieilles images à la télé. Il faut se rappeler de la guerre de 14-18 qui s'est arrêtée un 11 novembre. A l'époque il fallait avoir plein de barbe pour être soldat. Papa avait de la barbe pendant un moment et puis maintenant il l'a rasée. Je crois qu'il avait la barbe pendant que maman était à l'hôpital. Il a du la raser avant que maman rentre il y a deux mois, je me souviens plus trop bien. En tous cas il y a plein de choses bizarres depuis que maman est revenue à la maison. Avant quand elle n'était pas là, c'était plus facile parce qu'on était seuls avec papa. C'était dur mais on savait ce qu'on avait à faire. Et maintenant il faut se réhabituer à voir maman à la maison tous les jours. Mais je me souviens quand papa disait que peut être maman ne reviendrait pas à la maison. Il disait que peut être on ne reverrait plus jamais maman. Je m'en souviens parce que je me rappelle que ça m'a fait drôlement peur. C'était il y a deux ans, j'étais petit, j'avais huit ans. Et puis papa m'a plus rien dit et puis un jour maman est revenue, c'était il y a deux mois. Maintenant il faut que je m'habitue à elle, comme Marcel a du s'habituer à nous. 1 15
  • 19. Journal d'un orphelin programmé Sauf que Marcel il pensait pas qu'il ne nous reverrait jamais puisqu'il nous connaissait pas avant. C'est plus facile. 15 novembre 1986 Aujourd'hui j'ai pile dix ans et deux mois. Il a plu toute la journée et j'ai passé la journée à l'école à regarder par la fenêtre. J'ai regardé tomber la pluie et j'ai essayé de compter les gouttes mais il y en avait beaucoup trop. Si j'étais comme Daredevil je pourrais le savoir rien qu'en écoutant. Parce que Daredevil, il est peut être aveugle, n'empêche qu'il entend super bien. Et la pluie ça fait un sacré bruit quand ça tombe. 16 novembre 1986 Marcel continue à grandir, maman continue à pleurer, papa continue à crier. C'est pas très intéressant à la maison, presque aussi mauvais qu'à l'école. 20 novembre 1986 Dans un mois c'est le conseil de classe et les bulletins qui vont arriver chez les parents. Pour l'instant j'ai pu tout cacher mais ils vont bien s'en rendre compte quand ils recevront le bulletin. Je pense pas que maman dise quelque chose, elle est trop occupée à pleurer. Mais papa va être sacrément en colère. Mais j'y peux rien, j'aime pas les maths, ni l'anglais, ni le sport. Et puis y'a toujours tous les autres qui regardent et qui rigolent. J'aime pas ça. Des fois je sens qu'ils me regardent dans mon dos et qu'ils se moquent de moi. Ils disent du mal sur moi, je suis sûr qu'ils savent pour maman et 1 16
  • 20. Journal d'un orphelin programmé qu'ils se moquent de moi à cause de ça. C'est comme Spiderman, il est toujours au milieu des autres élèves qui le regardent en se moquant de lui et personne comprend que c'est dur. Après plusieurs années, il finit par être copain avec des autres élèves mais je suis sûr que c'est juste un piège des autres. 22 novembre 1986 On reparle de noël à la maison et les coups de téléphone commencent. Papa a pas l'air très content d'aller chez les parents de maman pour la noël. Maman quand elle leur téléphone, elle est toute contente après. C'est comme si elle n'avait pas changé. Peut-être que les médecins lui ont mis quelque chose dans le cerveau pour la faire changer mais que ça fonctionne encore pas trop, ou pas tout le temps. Je vais devoir ouvrir l'oeil pour comprendre le truc. Faudrait pas que ce soit un piège... 23 novembre 1986 J'ai fais un nouveau cauchemar cette nuit. Et même que cette fois il a duré plusieurs fois, je veux dire qu'il a recommencé alors que je m'étais réveillé et rendormi. Il y avait des marteaux qui tombaient du ciel, des marteaux vraiment très gros. Quand ils tombaient sur le sol, ça faisait tout trembler. Moi je courais au milieu d'une forêt et les arbres avaient des têtes d'humains et il y avait maman, ma maman d'avant la maladie qui courait avec moi. Là c'était bien. Elle me tenait par la main et je me sentais vraiment bien. C'était très chouette. Mais après les marteaux grossissaient et il y en avait vraiment tout plein qui tombaient autour de nous. Et les arbres rigolaient, ils se moquaient de moi. Ils avaient des têtes de l'école. Et à un moment y'a un marteau qui a touché la tête de maman. Alors elle a changé et elle est devenue la maman de maintenant et ses cicatrices se sont ouvertes et il y 1 17
  • 21. Journal d'un orphelin programmé avait du sang partout sous nos pieds. Et les arbres riaient tellement fort qu'il fallait courir en se bouchant les oreilles. Et j'étais tout seul. 25 novembre 1986 Voilà, dans un mois c'est noël. Papa voulait m'acheter un vélo mais je lui ai dit que c'était pas la peine. Dehors c'est trop dangereux. Y'a le parc qui est pas loin de la maison mais y'a quand même le pont à traverser et là c'est plein de voitures. Des fois quand je vais à l'école et que je traverse le pont, je les regarde les voitures. Elles brillent même quand il fait presque nuit et derrière les vitres je vois les gens. Ils me regardent tous et j'aime pas ça. J'aime pas ça du tout. Ce que je pense c'est qu'ils sont dans le truc. Ils sont au courant pour maman et les opérations qui ont mis le truc dans la tête de maman pour qu'elle change. Les gens qui sont dans les voitures me laisseraient pas tranquille si j'avais un vélo. Alors je préfère pas. Et pour la noël je m'en moque un peu parce que j'ai plus de dix ans maintenant, je suis plus un petit et les cadeaux c'est surtout pour les petits. En plus à l'école ceux que j'aime le moins ils ont tous un vélo et ils viennent avec, alors j'aime pas les vélos. Ah oui, et j'aime pas du tout le blanc non plus, quand je pense aux vélos, je pense aux gens dans les voitures et puis aussi au blanc. Et j'aime pas le blanc. C'est tout. Pas la peine d'essayer... 26 novembre 1986 Aujourd'hui j'ai vu une émission drôlement chouette à la télé. Ils expliquaient comment on pouvait faire des opérations dans la tête des gens pour les changer. C'est drôlement facile de changer les gens comme ça. Ils disaient qu'ils avaient d'abord fait ça sur des singes pour essayer mais que ça devait être pareil pour les humains. Ils disaient que ce serait chouette pour les gens qui ont eu un accident sur la route et qui bougent plus et qui 1 18
  • 22. Journal d'un orphelin programmé parlent plus. Mais moi j'ai compris qu'en fait ils l'avaient déjà fait pour de vrai sur des vrais gens comme maman. Peut-être que papa est au courant mais je dois faire attention à pas faire voir que j'ai tout compris. Il faut être prudent, c'est comme ces gens dans les voitures et les arbres qui ont des visages, des fois. Marcel a encore vomi, je sais vraiment pas ce qu'il a et papa veut pas qu'on l'emmène voir un docteur de l'estomac des chiens. C'est dommage, je suis sûr qu'il aurait pu lui prendre l'estomac en photo et comprendre ce qu'il se passe. Maman a dit : « C'est normal qu'il vomisse ce chien avec toutes les saloperies qu'il mange à longueur de journée ! Il est énorme ! Quelle idée on a eu de t'acheter un chien pareil pour ton anniversaire, je te jure ! » C'était pas très gentil de dire ça surtout devant Marcel. Marcel il est comme Daredevil, il entend tout, même des choses très aigues que nous on peut pas entendre. Alors quand nous on entend, lui il entend super bien. Mais comme il est gentil, il a fait comme si ça le gênait pas ce qu'a dit maman. Marcel c'est un chouette chien. 27 novembre 1986 Finalement on a emmené Marcel chez un vétérinaire. Il était vraiment pas du tout comme le docteur Croizic. J'étais déçu, il était plus grand. Mais le vétérinaire a été gentil avec Marcel, il l'a regardé partout et à la fin Marcel était tout content. Le vétérinaire a dit : « Rien de bien grave mais ce chien a un régime alimentaire complètement perturbé ! Vous devez absolument le mettre à la diète où il va devenir énorme ! Ce n'est encore qu'un chiot, il a besoin de forces pour grandir mais pas pour grossir ! » Et puis le vétérinaire nous a donné un petit livre sur la nourriture des chiots et un autre sur la nourriture des chiens. Il a dit que c'était pour nous aider à donner à manger exactement ce qu'il fallait et habituer Marcel à manger normalement. Il a dit : « Les chiots c'est comme les gosses, si on n'est pas derrière eux, ils mangent uniquement ce qu'ils aiment et en quantités 1 19
  • 23. Journal d'un orphelin programmé démesurées ». Voilà, et après on est revenu à la maison et quand papa a expliqué tout ça à maman, elle a dit qu'elle le savait et que c'était toujours pareil et que jamais personne ne voulait l'écouter dans cette maison. Et puis plein d'autres choses que j'ai pas écoutées parce que je suis monté dans ma chambre. J'aime bien être dans ma chambre, je suis bien tranquille et souvent il y a Marcel qui vient avec moi et qui reste là à faire semblant de dormir. Marcel il aime bien faire semblant de dormir mais il aime bien dormir aussi. C'est un chouette chien. 28 novembre 1986 Je suis tout à fait comme Spiderman. Des fois Spiderman a envie de tout arrêter et d'autres fois il est content d'être Spiderman. Faut dire que c'est pas facile pour lui, encore moins que pour moi je crois bien. Mais bon lui il a un pouvoir terrible et pas moi. J'aimerai bien avoir un pouvoir, moi-aussi. 30 novembre 1986 Encore un cauchemar cette nuit. Mais heureusement j'ai pu me rendormir et ne plus y penser. C'était plus vite que les autres fois. Il y avait des militaires qui sautaient en parachutes et qui arrivaient au milieu de la maison. C'était la nuit et il y avait papa qui faisait plein de travaux dans la maison pour les empêcher de rentrer. Mais le toit était tout cassé et c'était par là que les militaires entraient. Ensuite ils empêchaient papa de bouger et ils tiraient à la mitraillette sur Marcel pour qu'il n'aboie plus. Et Marcel était mort. Et puis après les militaires attrapaient maman et l'obligeaient à s'allonger sur la table de la cuisine. Là, ils trafiquaient dans sa tête avec des outils et puis maman se levait et elle marchait tout bizarre. C'était comme si maman était un robot qui était en panne. Il y avait des fils qui sortaient de sa tête et des lumières qui clignotaient sous son visage. Alors les 1 20
  • 24. Journal d'un orphelin programmé militaires refaisaient des choses dans sa tête avec des outils et cette fois maman redevenait la maman d'avant les opérations, celle qui me tenait par la main dans la forêt de l'autre nuit. Et puis après je me suis réveillé. Dommage... 4 décembre 1986 Aujourd'hui j'ai fais mon dernier contrôle de maths de l'année. Je déteste les maths mais moins que le sport quand même. Et demain il y a un contrôle de sport. En maths je pense que j'aurais pas plus de sept ou huit sur vingt mais en sport, pour l'instant j'ai toujours zéro ou deux. Je comprends pas comment ça se fait que j'ai des zéros en sport. Le prof dit que c'est parce que je fais pas d'effort mais comment il peut savoir, il est pas à ma place ! J'aime pas ce prof de sport, je suis sûr que c'est un ancien militaire. Il a du se faire mettre dehors de l'armée parce qu'il avait tué trop de gens et du coup il se retrouve prof de sport au collège. C'est pas possible autrement. N'importe qui d'autre mettrait pas un zéro en sport, c'est débile. Il le fait exprès pour que tout le monde puisse se moquer de moi. Lui aussi, il est dans le coup. 6 décembre 1986 Papa et maman se sont disputés. Marcel a commencé à couiner et à faire plein de trucs bizarres, comme si ça lui plaisait pas. Il est marrant Marcel. Mais maman et papa arrêtaient pas de crier à cause de la noël. J'aime pas aller à Cannes, et j'aime pas aller en Bourgogne mais au moins à Cannes y'a la mer et ça c'est quand même chouette. Avant, papa et maman se disputaient pas trop. C'est que depuis que maman est revenue que ça arrive. Je sais que les militaires ont mis ce truc dans sa tête mais peut-être y'a pas que ça. 1 21
  • 25. Journal d'un orphelin programmé Dans un numéro de Strange que j'ai lu au début de l'année, je me souviens que le Docteur Fatalis avait fabriqué un faux Ben, des Quatre Fantastiques. Les autres croyaient tous que c'était leur Ben parce que le vrai avait disparu et tout le monde s'est fait avoir. Alors je crois que c'est un truc pareil qu'ils ont fait avec maman. C'est pas ma vraie maman ça, c'est une copie, peut être un robot ou alors une vraie femme qu'ils ont transformé pour qu'elle soit comme maman. Et c'est pour ça que tout est tellement bizarre depuis qu'elle est revenue à la maison. Et aussi que papa se dispute avec elle. Marcel lui il peut pas comprendre tout ça mais voilà : la femme qui est chez nous c'est pas maman. 7 décembre 1986 Pourquoi cette femme a des cicatrices si c'est pas maman ? Il doit y avoir un truc rudement méchant là-dessous. Ca veut dire qu'y a des gens capables de faire ça exprès à une femme pour que nous avec papa on croit que c'est maman. Mais moi j'ai tout bien compris. Maman elle est morte, et puis c'est tout. 8 décembre 1986 Dans les rues aujourd'hui y'avait plein de lumières aux fenêtres parce que c'est la fête à Lyon. Avec papa et cette femme, on est allé voir ça après l'école. On a laissé Marcel tout seul à la maison et on est parti à pied. Il a fait très froid et on avait tous des bonnets et des gants comme s'il neigeait sauf qu'il neigeait pas. Dommage, j'aime bien la neige même si c'est blanc au début. Y'avait pas beaucoup de gens dans la rue parce qu'il faisait super froid. Y'avait des fenêtres avec des petites bougies et d'autres qui en avaient pas. Moi j'avais froid et j'avais faim heureusement au bout d'un moment on est allé au restaurant parce que papa voulait pas manger à la maison. Catherine 1 22
  • 26. Journal d'un orphelin programmé (le même prénom que maman, comme par hasard) était pas très d'accord au début mais après elle a dit : « Bon d'accord Jean-Paul, si tu veux... De toute façon le frigo est vide ». Et ça c'est vrai, le frigo il est toujours vide maintenant. Avant, quand maman était à l'hôpital, papa s'occupait bien du frigo mais maintenant que Catherine a remplacé maman, on mange pas bien. Alors on est allé au restaurant et j'ai mangé du poulet avec des pommes de terre en rond. Papa il a bu une bouteille de vin et Catherine a commencé à faire la tête et à lui dire de moins boire mais papa il a continué quand même. Après on est rentré à la maison avec le métro et je me suis endormi je crois bien parce que je me souviens plus très bien. Après on est arrivé à la maison et Marcel était content de me voir alors maintenant il est dans ma chambre. Il est allongé par terre au pied du lit. Il me regarde comme s'il savait que j'écris sur lui mais il peut pas savoir. Demain on va voir le docteur Croizic pour parler de... je sais pas qui mais pas de maman en tous cas. 9 décembre 1986 Le docteur Croizic était pas content. Il m'a demandé si j'avais fait exprès d'oublier mon cahier où j'écris ce journal. Je lui ai dit que non, mais je crois bien qu'il m'a pas cru. Il est pas bête le docteur Croizic même s'il s'habille en blanc. J'aime pas le blanc. Il a dit : « Benjamin, il faut que tu apportes ce cahier chaque fois que nous nous voyons. C'est important. Il faut que je puisse voir que tout va bien parce qu'avoir une maman qui a été malade comme la tienne pendant aussi longtemps, ça peut être difficile pour un petit garçon. Alors la prochaine fois, n'oublie pas ce cahier, d'accord ? » J'aime pas comme il me parle. J'ai dix ans, je suis plus un petit garçon. Et puis maman est morte alors je vois pas pourquoi il veut savoir tout ça, qu'est ce que ça peut lui faire ? Le docteur Croizic c'est juste un docteur qui soigne les gens qui ont des petites maladies. C'est pas un super docteur, alors qu'il s'occupe de ses fesses. 1 23
  • 27. Journal d'un orphelin programmé 11 décembre 1986 Cette nuit le docteur Croizic était dans mes rêves. Et j'ai compris un truc terrible. Il avait un visage tout flou mais c'était lui quand même. Et y'avait un chien aussi mais c'était pas Marcel mais c'était quand même un chien à moi. Dans le rêve que j'ai fait au début, le docteur était vraiment très gros, encore plus gros que le caïd dans Strange. Et pourtant le caïd est gros mais il est musclé parce que des fois il s'entraîne et on le voit battre plein d'autres hommes. Ensuite y'avait le chien qui m'échappait et qui courait derrière le docteur Croizic. Lui, il était tellement gros qu'il roulait. Mais mon chien aboyait et il courait encore plus vite. Et puis à un moment le chien sautait sur le docteur et il se mettait à le mordre au visage. Et là le visage était plus flou du tout et on reconnaissait bien le docteur Croizic. Et le chien commençait à vraiment le mordre parce que le docteur criait super fort. Moi j'essayais de crier pour dire au chien d'arrêter mais y'avait rien qui sortait, j'étais muet. Alors du coup j'essayais d'attraper le chien et de le tirer en arrière pour qu'il comprenne qu'il fallait arrêter. Mais le chien était trop musclé et j'arrivais même pas à le faire bouger. Et sous le chien y'avait le docteur Croizic qui maigrissait parce que le chien en mangeait des bouts. Y'avait plein de sang qui coulait sous le chien et sous mes chaussures ça faisait « splatch ! splatch ! » quand je marchais dedans. Et après le docteur Croizic se relevait et il était tout maigre et le chien se mettait à couiner et d'un coup il tombait par terre et il était mort. Le docteur Croizic était à moitié mangé et son visage était flou d'un côté et mangé de l'autre côté, comme Double Face dans Batman. Et je me suis réveillé et j'ai compris que le docteur Croizic c'était Double Face et que je pourrais jamais lui apporter ce journal. Maintenant je me dis que le docteur doit s'être mis d'accord avec les militaires pour se mettre contre moi. Il faudra jamais qu'on retourne voir ce docteur et puis d'abord on n'en a pas besoin parce qu'on est pas malade. 1 24
  • 28. 12 décembre 1986 J'ai voulu dire à papa pour le docteur Croizic mais il a pas voulu m'écouter parler. Tant pis, je me ferai pas prendre au piège, je connais bien Double Face parce qu'au début c'était un copain de Batman mais après il est dans le camp des méchants. C'est bien que je sache tout ça et que je l'ai compris. Il faut que je cache mon journal parce que sûrement que les militaires vont vouloir me le voler et qu'ils vont lire que je sais tout. Après, ils vont venir me prendre... 20 décembre 1986 Ca faisait longtemps que j'avais pas écrit dans ce journal. Mais j'ai eu peur que les militaires viennent alors j'ai caché le cahier quelque part dans la maison. Je voulais voir s'ils avaient pas mis des caméras dans ma chambre. Avec tout ce que j'ai compris sur Double Face et cette femme, Catherine, qui remplace maman qui est morte, je suis devenu dangereux pour eux. Alors je leur ai tendu un piège en écrivant tout ça pour vérifier s'il y avait pas des caméras mais ils sont pas venus alors je pense qu'il y a pas de caméras. En tous cas y'en a pas dans ma chambre. Heureusement on va partir demain chez pépé et mémé et là ils viendront pas nous chercher. Je vais prendre mon journal et Marcel avec moi. Marcel est jamais allé en Bourgogne, ça va lui faire tout drôle d'aller dans la maison de pépé et mémé, j'espère qu'il y aura des bols pour lui donner ses croquettes parce que Catherine veut pas qu'on emporte son bol. J'ai rien voulu dire parce que je veux pas trop parler avec cette femme mais c'est pas très gentil parce que Marcel il y est pour rien dans toute cette histoire. 21 décembre 1986 Journal d'un orphelin programmé 1 25
  • 29. Journal d'un orphelin programmé Voilà, on est en Bourgogne chez pépé et mémé et il fait encore plus froid qu'à la maison mais ici au moins il y a la cheminée alors on peut avoir un peu chaud. Il a neigé dehors pendant qu'on mangeait ce soir et j'aime ça la neige même si au début c'est blanc. Et moi, j'aime pas le blanc. 23 décembre 1986 Pépé et mémé sont tombés dans le piège des militaires et de Double Face. Ils ont pas compris que c'était pas maman mais Catherine, une autre femme qui ressemble beaucoup à maman. Et comme papa fait comme s'il avait pas compris non plus c'est comme si rien avait changé. Sauf que Catherine sourit jamais alors que maman riait tout le temps et aussi qu'elle fait toujours les choses très vite alors que maman était plus calme. Maman elle s'énervait jamais, et Catherine elle est toujours super énervée. Le docteur Croizic a dit que c'était un effet secondaire des deux ans de la maladie mais c'est juste une fausse piste. Pépé et mémé en ont parlé à un moment avec papa pendant que Catherine était aux cabinets. Mémé a dit : « Elle a changé ! Elle semble avoir repris des forces, en tous cas, elle a repris quelques kilos. Mais la pauvre, elle était tellement maigre à l'hôpital... ». Et puis ensuite pépé a dit : « Pauvre petite, elle qui était si calme et si détendue... Elle est tellement pressée maintenant... ». Alors papa a répondu : « Le médecin qui nous suit tous depuis la naissance de Benjamin explique que c'est un effet secondaire. Les chimiothérapies et les médicaments, ça lui a quand même bien détraqué le système. J'essaye de faire avec mais c'est pas facile de trouver sa femme autant changée. Mais c'est tellement beau qu'elle soit là, avec nous... ». Papa est vraiment bête, il veut bien croire tout ce qu'on lui dit. Alors avec Marcel on est sorti jouer au ballon dans la cour de la ferme de pépé et de mémé. Parce que la neige a fondu un peu et qu'avec la terre, ça fait de la boue et que le blanc est maintenant marron et c'est mieux. 1 26
  • 30. Journal d'un orphelin programmé 25 décembre 1986 La noël c'était hier soir et on a du aller à l'église mais j'aime pas l'église et papa non plus mais il a pas trop osé le dire. Depuis que Catherine vit à la maison avec nous, il arrête pas de dire que la guérison c'est un miracle et il commence à croire en dieu alors on risque d'aller à l'église maintenant. Je suis pas allé beaucoup à l'église et d'habitude j'y vais une fois par an pendant la noël. Alors hier soir avec pépé, mémé, papa et Catherine on y est allé avec la voiture de pépé qui est une camionnette qui fait plein de bruit. L'église c'est dans le village à côté et il y avait plein de monde. J'aime bien les églises parce qu'y a pas de bruit. Et j'aime bien quand y'a pas de bruit. On est allé s'asseoir au début là où y'avait encore des places et puis le curé est arrivé et y'a eu de la musique. Tout le monde s'est levé. Moi ce que j'aime pas à l'église c'est qu'on se lève tout le temps alors que si y'a plein de chaises, c'est fait pour s'asseoir. Je suis sûr que c'est pour économiser les chaises que les curés obligent à rester debout longtemps. En plus après que ça ait commencé, il y a des corbeilles qui passent et il faut mettre de l'argent dedans. Ca aussi j'aime pas trop mais mémé elle dit que c'est une bonne action et qu'il faut toujours donner des sous. Pépé et mémé ils vont à l'église tous les dimanches et ils disent tout le temps à papa qu'il devrait faire pareil et que moi je devrais aller au catéchisme. N'importe quoi, comme idée débile ; bravo ! Après l'église on est revenu à la maison et on a mangé du saumon, j'aime bien le saumon surtout parce qu'y a plein de citron. Marcel il a pas le droit d'aller à l'église et il a pas le droit au saumon ni au citron. Mais on lui a quand même donné plus de croquettes aujourd'hui parce que c'était noël. C'est Catherine qui a décidé ça et ça m'a vraiment fait bizarre qu'elle dise ça. Mais je crois qu'elle a fait ça exprès pour essayer de me tendre un piège, pour m'amadouer. Dans un numéro de Strange, le prince des mers 1 27
  • 31. Journal d'un orphelin programmé fait la même chose à la femme des Quatre Fantastiques : il est d'un coup super gentil mais c'est rien qu'un piège alors moi je vais pas me faire avoir. Mais Marcel il s'en fiche lui parce qu'il a eu deux fois des croquettes alors il était content. Ensuite on est allé voir le sapin de noël que mémé avait préparé et aux pieds, y'avait plein de cadeaux. Y'avait vraiment plein de cadeaux avec marqué "Catherine" dessus. Tout le monde rigolait et papa a pris des photos avec son vieil appareil que j'avais pas vu depuis longtemps parce qu'il s'en servait plus depuis longtemps. Moi j'aime pas trop quand tout le monde rigole comme ça parce que ça cache des choses et en plus je sais bien toute l'histoire avec Catherine. Et puis je trouve que c'est pas très gentil de faire la fête comme ça alors que maman est morte. Je voudrais être triste mais j'y arrive pas et je veux pas être content et ça j'y arrive. Alors j'ai ouvert mes cadeaux comme ça, sans rien dire, et j'ai embrassé pépé et mémé parce que papa et Catherine m'ont regardé méchamment. Mes cadeaux étaient pas terribles, c'était des livres d'histoire et des habits. Les autres aussi ont eu des cadeaux mais comme j'en avais assez j'ai dit que j'étais fatigué. Mémé a dit : « Oh, pauvre petit, il a pas l'habitude de se coucher tard... Mais il n'est pas si tard... Cathy, ne le couche pas tout de suite, pour une fois qu'on est tous ensemble ! » Quelle idiote mémé ! Alors j'ai du rester encore avec tout le monde et je me suis assis avec Marcel mais il avait pas très envie parce qu'il a fait comme si j'étais pas là et il a dormi en ronflant. On a mangé du gâteau au chocolat et pépé a dit qu'il l'avait préparé mais je suis pas sûr parce que d'habitude pépé il fait jamais de gâteaux. Ensuite j'ai pu aller dans la chambre et maintenant j'écris sur mon journal. Maintenant je vais dormir. 27 décembre 1986 On est revenus de chez pépé et mémé aujourd'hui et sur la route on a failli avoir un accident. Catherine a crié après papa et elle a dit : « Enfin tu vois bien que tu les suis de trop près ! ». Et là, d'un coup, la voiture devant nous est partie en travers de la route et elle a fait tout plein de zigzags et 1 28
  • 32. Journal d'un orphelin programmé papa a du freiner pour pas qu'on lui rentre dedans. Notre voiture a fait plein de bruit et Marcel ça l'a réveillé et il a voulu se lever pour voir ce qui arrivait mais ça bougeait trop alors il est tombé sur moi. Il commence à être lourd Marcel mais il va encore grandir, c'est Eric qui me l'a dit. Alors après Catherine a crié et papa a dit : « Merde putain merde ! » et puis on s'est arrêté au milieu de la route. Et derrière, les gens dans les autres voitures, ils ont fait pareil que nous. Et la voiture de devant nous elle est sortie dans l'herbe et elle a fait un tonneau. Alors Catherine je sais pas pourquoi, elle a commencé à pleurer. Et puis dans la voiture derrière nous, y'avait un docteur qui a couru dans l'herbe pour aider les gens à sortir de la voiture. Après on a redémarré et on a continué la route. Je me demande s'ils étaient morts les gens dans la voiture. 29 décembre 1986 C'est encore les vacances de noël. Ca veut dire que je vais pas à l'école et ça c'est chouette parce que j'aime vraiment pas aller au collège. Sur mon bulletin ils disent que si j'ai pas de meilleures notes je pourrais pas aller en cinquième. J'ai pas encore donné le bulletin à papa mais il faut qu'il le signe pour la semaine prochaine. Papa est très énervé en ce moment à cause de son travail. Quand il est rentré aujourd'hui, il a crié et Catherine et lui se sont encore disputés. J'ai pas entendu ce qu'ils disaient parce que j'étais dans ma chambre mais j'ai entendu qu'ils criaient et ensuite papa est monté dans leur chambre et je l'ai entendu téléphoner au docteur. Il hurlait alors j'ai bien entendu parce que leur chambre est juste à côté de la mienne. Papa criait au téléphone. Il a dit : « Je m'en fous de ses vacances ! Il faut absolument que je voie le docteur Croizic ! Si c'est pas demain ce sera après-demain ! Je veux que vous me donniez un rendez-vous c'est quand même pas bien difficile ! Je gère plus de cinquante personnes tous les jours alors n'essayez pas de m'embrouiller avec des histoires à la con sur les emplois du temps ! » Marcel s'est levé à ce moment-là de derrière la porte pour venir près de moi. Il m'a regardé et a remué la queue comme lorsqu'il 1 29
  • 33. Journal d'un orphelin programmé est content. Je sais pas bien ce qu'il voulait me faire comprendre mais peut-être qu'il commence à se rendre compte qu'il y a quelque chose de pas très normal dans cette maison. Les chiens sont pas bêtes. Surtout Marcel... 31 décembre 1986 Aujourd'hui c'est le dernier jour de l'année. Tout le monde est bien habillé à la télévision. Et à la fenêtre de ma chambre je vois plein de voitures qui roulent dans les rues. Il fait nuit et pourtant y'a plein de gens qui bougent. Papa et Catherine sont invités alors ils s'habillent bien, comme les gens à la télévision. Ils vont partir chez des amis de travail de papa et ils me laissent avec Marcel et j'aime bien ça parce que c'est pas souvent qu'ils me laissent tout seul. J'aime bien être seul, je peux faire tout ce que je veux, regarder la télé ou pas la regarder, dormir ou pas dormir, manger ou pas manger, lire ou pas lire. Mais la télé j'aime pas bien la regarder très longtemps parce qu'après ça fait comme si les images restaient dans ma tête. Et puis on sait jamais si quand on regarde la télé c'est la vérité ou si c'est inventé par les gens qui font la télé. Alors que quand je lis Strange je sais que c'est vrai. Et puis à la télé c'est toujours la même chose et souvent les gens font que mentir. Papa m'a bien expliqué que tout ce qu'ils voulaient c'était qu'on regarde la télé pour acheter les trucs qu'ils vendent pendant la réclame. Papa dit que c'est juste ça le but de la télé et moi j'aime pas trop ça parce qu'à la réclame y'a jamais rien que je trouve bien. Ils parlent jamais des choses qui me plaisent. Papa et Catherine m'ont demandé de pas me coucher tard et il a fallu que je les embrasse quand ils sont partis. J'aime pas trop embrasser les gens, on sait jamais ce qu'ils ont touché avant, on peut attraper des maladies et j'ai pas envie d'attraper des maladies parce qu'après on meurt, comme maman. Je crois que je vais regarder un peu la télé avec Marcel et après j'irai lire un vieux Strange que j'aime bien. 1 30
  • 34. Journal d'un orphelin programmé 1er janvier 1987 Voilà on a changé l'année alors je me suis dit que ça serait bien de donner mon bulletin à papa. Il a lu mon bulletin et Catherine est venue voir, comme si ça la regardait, elle ! J'aime pas trop qu'elle essaye de s'occuper de moi, qu'elle s'occupe de ses fesses ! Des fois je vois bien qu'elle essaye de faire comme faisait maman mais moi je me fais pas avoir, je suis plus un gamin, j'ai plus de dix ans. En tous cas papa a pas trop aimé le bulletin de notes et ce qu'avaient écrits les professeurs. Le prof de math a marqué : « Elève qui n'a ni compétences ni volonté » et le prof de sport a marqué : « Elève mou et renfermé sans aucune aptitude physique » et le prof d'anglais a marqué : « Quelques éclairs mais dans l'ensemble un élève bien morose » et le prof de biologie a marqué : « Elève que rien ne semble intéresser ». Heureusement y'a la prof de français qui a écrit : « Benjamin possède une grande aisance rédactionnelle, dommage que l'oral ne suive pas ». Du coup papa a beaucoup crié, il m'a dit qu'il était vraiment déçu et même très déçu. Il a dit : « A ton âge j'étais premier ou second dans toutes les matières et je m'intéressais à tout. Je voulais réussir et c'est pour cela que j'ai réussi. Mais qu'est ce que tu crois ? Tu crois peut-être que tu vas avoir un métier plus tard en étant aussi mauvais à l'école ? Mais mon pauvre ! Tu n'arriveras jamais à rien ! Je te conseille de te ressaisir au deuxième trimestre où je te préviens, je te colle chez les curés ! Eux, ils t'obligeront à travailler ! » Il est bizarre papa de vouloir que j'aille à l'école chez les curés parce qu'il a toujours dit qu'il comprendrait jamais les gens qui voulaient être curé. Et moi non plus, même si les curés portent des robes noires et ça, c'est plutôt classe. 3 janvier 1987 Papa m'a tendu un piège. Quand je me suis levé ce matin il a fait comme si c'était un jour normal et puis il a dit qu'il allait pas travailler. Quand j'ai 1 31
  • 35. Journal d'un orphelin programmé eu fini mon petit-déjeuner, il m'a demandé de le suivre et puis on a pris la voiture et Catherine était avec nous. J'ai demandé où on allait et je croyais que ça allait être un truc chouette mais en fait on est allé voir Double Face. Papa continue à l'appeler le docteur Croizic, il n'a toujours rien compris, tant pis pour lui, je pouvais pas lui expliquer avec Catherine dans la voiture, c'était trop dangereux. Double Face avait pas l'air très content de nous voir au début et papa a dit : « il fallait que nous puissions vous voir vite docteur. Catherine et moi nous nous hurlons dessus de plus en plus souvent ». Et là Double Face a dit : « Je comprends... Mais à part vous prescrire des calmants, ce que je ne pense pas être la meilleure solution, je ne vois pas ce que je peux faire pour vous. Mes compétences en matière de psychologie ne vont pas bien plus loin que ce que quinze ans de pratique de la médecine généraliste m'ont enseigné ». Catherine a fait oui avec la tête et elle m'a regardé avec un grand sourire qui ressemblait beaucoup à celui de maman. Alors j'ai regardé ailleurs mais c'était trop tard, j'avais de la sueur dans le dos. J'aime pas quand Catherine regarde comme ça, on dirait vraiment maman et ça me rappelle qu'elle est morte. Double Face a donné un petit papier à papa et il a dit : « Je vous suggère d'aller voir le docteur Poiré, un confrère psychiatre. Je sais, le mot vous fait peur, il fait peur à tout le monde. Mais je vous assure que c'est un homme charmant doublé d'un professionnel d'une rare compétence. Il s'est fait une spécialité de tout ce qui touche à la psychologie des couples, il a une approche très douce de la chose. Le mot ne doit pas vous heurter, il sert surtout à décorer sa plaque professionnelle vous savez.... Il est très fort pour ces problèmes de reconstruction après un deuil ou une longue maladie. Tout ce que je peux vous dire c'est d'aller le voir de ma part ». Papa a dit merci, puis il a prit le papier, il la regardé et puis il l'a rangé dans son portefeuille. Alors Catherine a dit : « Vous pensez que nous pourrons obtenir un rendez-vous rapidement ? » et Double Face a fait un petit rire et il a dit : « Comme tout bon spécialiste, le docteur Poiré a une longue liste de patients. Je lui parlerai de vous pour faire accélérer les choses ». Ensuite on est rentré à la maison. Je sais pas bien pourquoi ils m'ont emmené voir Double Face. Il m'a regardé plusieurs fois comme s'il savait que j'avais tout compris et ça m'a fait drôlement peur. J'aime vraiment pas ça. 1 32
  • 36. Journal d'un orphelin programmé 5 janvier 1987 J'ai fait un nouveau cauchemar. Y'avait Double Face qui était sur un cheval blanc et le cheval me regardait avec des yeux rouges et il rigolait. Il avait des dents jaunes le cheval et chaque fois qu'il rigolait les gens qui passaient autour disaient que ça sentait pas bon. Ils disaient que ça sentait comme un cadavre. Et Double Face caressait son cheval et ses mains étaient pleines de sang et il disait que c'était pas gentil de se moquer des chevaux morts. Moi à un moment j'essayais de courir pour partir mais le cheval me suivait et si je courrais vite alors il faisait pareil. Je pouvais pas lui échapper ; j'étais coincé. 7 janvier 1987 L'école a recommencé. Il faut que je retourne voir tous les professeurs qui ont écrit toutes ces choses sur moi. Je sais pas pourquoi ils ont dit ça, je les ai jamais embêtés. Y'en a qui discutent pendant la classe, y'en a qui répondent aux professeurs mais pas moi. Et pourtant les professeurs racontent toutes ces choses sur mon bulletin. Ils font ça pour que j'ai des problèmes. Ils sont dans l'histoire avec les militaires, Double Face et Catherine. Je suis obligé d'aller à l'école mais peut-être que je devrais partir un jour pour m'échapper. Parce que je crois pas qu'ils vont me laisser tranquille pour ce trimestre. Ca veut dire qu'ils écriront le même genre de choses sur mon prochain bulletin et que papa sera tout énervé et qu'il voudra encore que je sois curé. Et moi j'ai pas envie d'être curé parce que je crois pas à toutes ces histoires avec Jésus et la croix, Jésus qui est mort et puis qui est revenu. Les morts ça revient pas ou alors dans les rêves et puis c'est tout. 1 33
  • 37. Journal d'un orphelin programmé Maman des fois je la vois en rêve mais ça dure pas très longtemps. Des fois aussi je l'entends me parler, j'entends sa voix alors je sais plus trop si les morts peuvent pas revenir. Aujourd'hui je l'ai pas entendue par exemple... 15 janvier 1987 Ca fait quatre mois que j'ai commencé ce journal comme Double Face avait demandé. Maintenant je crois qu'on lui a échappé sauf si j'ai des maladies. Alors finalement il est pas bien loin, il faut que je fasse très attention à pas être malade. Mais ça va pas être facile parce qu'à l'école y'en a plein qui toussent et qui sont malades. Si je suis malade il faut pas que papa ou encore moins Catherine s'en rendent compte. Sinon je devrai aller chez Double Face et il essayera de me faire parler. J'ai décidé que je devais continuer à écrire dans ce cahier parce qu'après j'ai qu'à lire pour me souvenir exactement des choses, c'est très facile... Parce que sinon j'oublie. C'est comme la date de la mort de maman, je me rends compte que je l'ai oubliée. Et comme je l'ai pas notée, je peux pas la retrouver. Et je peux pas demander à papa parce qu'il le sait pas non plus. Il est tellement triste que maman soit morte qu'il veut pas y croire. J'ai lu un truc comme ça dans un des premiers Spiderman. C'était le Bouffon Vert, le père du copain de Spiderman, qui était pareil après la mort de sa femme. Il voulait pas le croire alors il a fait que travailler. Et après il est devenu le méchant. 17 janvier 1987 Papa a réussi à avoir un rendez-vous chez l'autre docteur. Il a parlé pendant un moment au téléphone mais je crois qu'il parlait même pas au 1 34
  • 38. Journal d'un orphelin programmé docteur. En tous cas il avait l'air drôlement content après le coup de téléphone. Il m'a demandé comment ça allait à l'école. J'ai dit que ça allait bien parce que sinon il m'aurait embêté. Mais j'ai eu un zéro en maths hier. J'aime vraiment pas ça, je comprends pas pourquoi je dois aller à cette fichue école. Je voudrais bien rester à la maison à la place mais avec papa c'est pas possible. Pourtant je serais mieux ici qu'à l'école. Et je pourrais quand même apprendre des choses. Il y a des cours à domicile, par exemple... 19 janvier 1987 Cette nuit, encore un cauchemar. J'étais dans un bateau, enfermé dans la cale avec plein de caisses en bois. Et j'étais malade. Et puis le bateau a commencé à drôlement bouger et j'ai vomi. Et là il y a Double Face qui est arrivé et il a beaucoup ri. Il a nettoyé mon vomi avec une serviette en éponge et ensuite il me l'a jetée dessus. Elle a glissé sur mon visage et j'avais plein de boutons et j'étais encore plus malade. Et après le bateau a commencé à couler, je l'ai compris parce qu'il y avait de l'eau qui commençait à rentrer dans la cale. L'eau est montée drôlement vite et Double Face était plus là. Et puis j'étais sous l'eau et je pouvais plus respirer et j'étais bloqué et j'allais mourir mais y'a une sirène qui est arrivée et c'était maman, avec des cicatrices partout sur le ventre. Mais c'était maman et elle a fait un sourire, comme celui qu'imite Catherine. Et là, elle m'a libéré et on a pu nager ensemble en dehors du bateau mais y'avait pas de surface, c'était de l'eau partout en haut et en bas. Partout c'était noir et je pouvais pas respirer alors j'étais mort et j'étais content parce que je savais que j'irai plus à l'école. Mais j'étais triste aussi parce que je voulais pas mourir. Et puis je me suis réveillé. C'était la nuit encore et j'avais plus vraiment sommeil. Alors j'ai lu un épisode des Quatre Fantastiques. Et là c'était encore plus bizarre parce que c'était exactement ce que j'avais rêvé. Les Quatre Fantastiques devaient aller dans le palais de Namor, le prince des mers et ils devaient délivrer Jane Storm qui était prisonnière et finalement ils sont prisonniers 1 35
  • 39. Journal d'un orphelin programmé eux aussi et c'est une sirène qui vient les sauver. J'avais jamais lu cette histoire alors je me dis que c'est peut-être parce que j'ai rêvé ça que je l'ai lu. Je sais pas comment ils font les gens qui dessinent mais ils doivent savoir ce que je rêve. 22 janvier 1987 Maman m'a parlé. Je l'ai entendue très bien mais j'ai pas compris ce qu'elle me disait. Elle parlait très doucement, c'est pour ça. Je revenais de l'école quand je l'ai entendue alors je pense qu'elle me disait de plus y aller. Dommage que papa ait pas été là lui aussi. Il aurait compris la vérité. 23 janvier 1987 Un nouveau cauchemar. Des militaires sont entrés dans ma chambre par la ventilation. Et pourtant c'est rudement petit mais ils ont réussi à rentrer quand même. Heureusement j'ai vite compris que c'était un rêve. Mais quand même j'ai eu rudement peur quand je les ai vus sauter autour de mon lit avec leurs armes et des rayons rouges qui partaient de leurs yeux. Y'en avait un qui fumait un cigare qui faisait tout plein de fumée et les autres toussaient et moi aussi et alors il a enlevé son masque et j'ai vu que c'était le chef. Il m'a dit de m'habiller et de les suivre. Marcel était là aussi mais il était endormi à cause de toute la viande empoisonnée qu'ils l'avaient obligé à manger. J'ai demandé s'ils avaient bien enlevé les os avant et le chef a dit que oui, qu'il avait un chien lui aussi alors qu'il faisait attention. Et puis on a marché sur le toit de la maison et c'était bien ma maison sauf que c'était pas le même toit : celui-là était tout plat. Il était tout plat et tout noir mais sur les bords il était relevé et d'un coup j'ai vu Catherine au-dessus de nous mais vraiment très grande, c'était une géante. Et j'ai eu vraiment très chaud et les militaires aussi, ils ont commencé à se déshabiller parce qu'ils avaient trop chaud. Et ensuite j'ai vu des oeufs 1 36
  • 40. Journal d'un orphelin programmé vraiment très gros qui tombaient des mains de Catherine. Elle les casser avant de les renverser sur nous. Elle les lâchait de haut et les jaunes quand ils tombaient, ils avaient la tête de Double Face : flous d'un côté et mangés de l'autre côté. Ensuite Marcel a aboyé et je me suis réveillé. Je crois bien que Marcel a fait un cauchemar lui aussi. Il est chouette Marcel. 28 janvier 1987 En ce moment j'ai pas très envie d'écrire dans le journal, je sais pas pourquoi. Je préfère lire et écouter de la musique. J'écoute des disques de papa que j'aime bien, des disques de Pink Floyd, c'est un groupe anglais et j'aime bien leur musique. Marcel aussi il aime bien même s'il peut pas le dire, évidemment. Mais je le connais Marcel parce que c'est mon chien et je sais qu'il aime bien Pink Floyd lui aussi. 15 février 1987 Aujourd'hui papa a dit qu'on allait voir le docteur Poiré. Il a dit qu'il nous aiderait tous à aller mieux. Il a dit : « Il faut qu'on se sorte de ces deux années traumatisantes et qu'on avance. On est une famille, alors il faut aller de l'avant ensemble. Le docteur Croizic était un bon généraliste mais il nous faut l'aide d'un véritable psychologue ». Et là Catherine a dit : « Tu crois pas qu'on devrait plutôt rester entre nous et essayer d'avancer ensemble sans l'aide de tous ces gens étrangers à la famille ? » Je suis pas sûr d'avoir compris tout ce qu'elle voulait dire mais j'étais plutôt d'accord. C'est bizarre, des fois Catherine je trouve qu'elle a raison, mais je suis pas sûr que ces fois-là elle le fasse exprès pour me tendre un piège. Des fois j'ai l'impression qu'elle dit ce qu'elle pense mais je suis pas vraiment très sûr. Je pense que même si on le voit plus, Double Face est toujours là, quelque part, et qu'il dit à Catherine ce qu'elle doit faire. Il tire les ficelles 1 37
  • 41. du piège. Journal d'un orphelin programmé 19 février 1987 Papa a trouvé mon journal. Quand je suis revenu de l'école, y'avait sa voiture garée devant la maison, et ça c'était pas normal. Et puis l'autre truc pas normal c'est que papa était dans ma chambre. Il était assis sur mon lit et il lisait mon journal. Quand je suis entré il m'a pas vu au début, et puis il m'a regardé comme quand il est vraiment en colère. Il a dit : « Benjamin ! Mais qu'est ce que c'est que toutes ces conneries ? Tu débloques complètement, ma parole ! » Et ensuite il est sorti de la chambre avec mon journal. Il a crié « Cathy ! Cathy ! » et puis c'est tout. Je suis resté un moment dans ma chambre avec Marcel et on a lu un ou deux "Strange" mais cette fois j'y ai rien trouvé qui soit arrivé dans ma vie avant qu'ils fassent la BD. Bon ensuite on a mangé et papa avait une drôle de tête et Catherine me regardait et pleurait tout le temps. Y'a pas grand monde qui avait faim. Ca me faisait bizarre que papa lise mon journal parce que Double Face avait dit que le journal ça doit servir à soi et au docteur. Et c'est tout, personne d'autre doit le lire. Moi je me sens pas malade, mais peut-être que si, je sais pas. En tous cas j'écris pas ça pour Double Face ou pour un autre docteur. C'est juste que j'aime bien, ça m'amuse et puis à l'école ils disent que je suis pas mauvais en français alors c'est chouette, drôlement plus chouette que de faire des maths ou du sport. En sport les garçons me poussent tout le temps pour me faire tomber et si je dis quelque chose y'en a un qui me tient et un autre qui me tape. Et les filles rigolent et me traitent de poule mouillée et de tapette. Alors voilà, moi je préfère écrire et Double Face a rien à voir là-dedans. En tous cas après le repas papa m'a dit : « On a rendez-vous tous les trois dans deux jours chez le docteur Poiré. Tiens-toi à carreau d'ici-là. » Et il a pas voulu me rendre mon cahier mais c'est pas très grave parce que j'en ai pris un autre pour écrire tout ce que j'ai écrit aujourd'hui. J'espère quand même qu'il me rendra mon journal. J'aime bien voir tout ce que j'ai déjà écrit et puis ça me rappelle les choses parce qu'après je m'en souviens plus. 1 38
  • 42. Journal d'un orphelin programmé 21 février 1987 Aujourd'hui on a pris la voiture et on est allé voir le docteur Poiré. C'est pas loin de la maison chez le docteur Poiré, c'est de l'autre côté du Rhône et juste à côté du grand parc. Là où papa dit tout le temps que ça serait bien d'habiter et qu'avec un peu de bol on pourrait bien y habiter d'ici deux ou trois ans. On est entré dans une maison blanche avec des murs très propres mais ils étaient tout blanc alors j'ai pas trop aimé. Quand on est entré dans la maison, y'avait une dame qui lavait par terre. On a dit bonjour parce qu'il faut toujours dire bonjour aux gens et après on est monté dans l'ascenseur qui était tout petit avec plein de bois dedans. On est monté au dernier étage mais je me souviens plus lequel c'était. Et là y'avait la porte fermée avec un gros tapis devant et une plaque en or qui brillait drôlement. Papa a sonné et y'a une dame qui a ouvert et papa a dit qui on était alors elle a dit : « Très bien, entrez, je vais vous conduire à la salle d'attente, le docteur va vous recevoir... » C'était très chouette à l'intérieur parce qu'il y avait plein de bibliothèques partout. Si le docteur a lu tous les livres qu'il y a dedans, il doit être rudement intelligent. Et puis on a attendu mais pas très longtemps parce que le docteur est venu nous chercher. Le docteur Poiré est grand et il a plein de cheveux gris, il ressemble à Magnéto, le chef des méchants dans les X-Men. Je sais pas encore si c'est lui ou pas. Parce que pour l'instant on a pas beaucoup discuté. Les docteurs ils aiment bien discuter mais moi j'aime pas trop. Papa a beaucoup parlé, et le docteur écrivait plein de choses en même temps dans un cahier. J'ai bien aimé ça, ça veut dire que lui aussi il fait un journal, comme moi. Le docteur Poiré me regardait souvent et puis après papa lui a tendu mon journal. J'ai pas trop aimé ça. Le docteur s'est arrêté d'écrire dans le sien pour lire un peu le mien. Mais je peux pas trop savoir ce qu'il a lu. Ensuite le docteur a posé mon journal sur son bureau et il a dit en me regardant : « Voilà qui est très intéressant ». Catherine a dit : « Qu'est ce que nous pouvons faire docteur ? » et sa voix était toute tremblante, j'ai cru qu'elle 1 39
  • 43. Journal d'un orphelin programmé allait pleurer encore une fois. Cette femme est de plus en plus bizarre. Le docteur Poiré a dit : « La première chose à faire c'est de ne pas s'inquiéter. Vous venez de traverser une rude épreuve. Votre maladie a été un véritable traumatisme pour votre petite famille. Benjamin est jeune, il est en plein développement. Les manifestations de troubles sont normales, cela fait partie de l'évolution, on ne peut pas y voir une quelconque alarme pathologique. Les traits névrotiques de l'enfance sont quelque chose de totalement normal. Beaucoup de choses se mettent en place à cet âge là, beaucoup de choses se sont déjà mises en place et d'autres sont encore à venir. Vous ne devez pas vous inquiéter ». Papa a souri et il a montré le journal sur le bureau du docteur et il a dit : « Quand même docteur, je veux bien mais il y a des choses qui me paraissent étonnantes là-dessus ». Et le docteur a repris mon journal, il l'a encore regardé et il a relu un autre morceau. Puis il l'a reposé et il a dit : « Je ne dis pas le contraire monsieur Leroy. Il y a, c'est vrai, des éléments auxquels il faut être attentif. Je ne peux toutefois pas en dire davantage à l'heure actuelle. Il va falloir suivre l'évolution de Benjamin. Et l'idée du journal est une brillante idée, je suggère de continuer. Mais n'interférez pas dans ce processus monsieur Leroy, laissez-le écrire en paix ». Et là le docteur m'a regardé et m'a parlé pour la première fois, il a dit : « Quand tu reviendras me voir Benjamin, tu penseras à apporter ton journal, n'est-ce pas ? ». J'ai dit oui ou alors j'ai fais oui avec la tête, je me souviens plus trop bien mais il a comprit que j'étais d'accord. Alors il a dit : « Tu écris très bien Benjamin, c'est un vrai don que tu as là, il faut que tu continues, n'est-ce pas ? ». Là j'ai dit : « Oui m'sieur » et papa et Catherine m'ont regardé avec des grands yeux mais je sais pas pourquoi. Je voulais juste être poli avec le docteur parce qu'il avait été gentil. Et ensuite le docteur a arrêté de parler de moi et avec papa et Catherine ils ont parlé d'autres choses. J'ai dit : « Je pourrais avoir mon journal maintenant ? » et papa m'a regardé avec les sourcils méchants. Heureusement le docteur a dit : « Mais naturellement. Monsieur Leroy, pas d'opposition ; n'est-ce pas ? » et papa a fait oui avec la tête et c'est Catherine qui me l'a rendu. Elle a dit : « tiens mon chéri, on te le rend ». J'aime pas quand Catherine m'appelle mon chéri parce que je suis pas son chéri. C'est maman qui m'appelait comme ça, pas elle ! 1 40
  • 44. Journal d'un orphelin programmé 26 février 1987 Je crois qu'on reverra pas Double Face. C'est comme s'il était bien enfermé dans l'asile d'Arkham et qu'il ne puisse plus nous voir. Mais à la place on va voir ce nouveau docteur et je sais toujours pas si c'est Magnéto. Pourtant je crois bien que oui parce que c'est un psychiatre, j'ai bien vu le mot, il était marqué en gros sur la plaque en or. Et ensuite à la maison, j'ai cherché sur le dictionnaire et j'ai trouvé le mot. Ca veut dire qu'il soigne les cerveaux des gens, et Magnéto il peut prendre le contrôle sur le cerveau des gens. Ca me fait un peu peur tout ça, j'espère que le docteur Poiré est pas déjà entré à l'intérieur de ma tête pour regarder dedans. 28 février 1987 J'aimerai pas qu'on regarde dans ma tête parce que c'est ma tête et qu'y a rien à y voir. Pourquoi on doit aller voir tous ces médecins de mes fesses ? Pourquoi on pourrait pas rester à la maison et puis c'est tout ? Les autres à l'école je crois pas qu'ils aillent voir autant de docteurs que moi. Et pourtant ils sont nuls en français. Mais on leur dit rien à eux, c'est juste que moi à qui ils font tout ça. C'est le piège qui se referme... Magnéto, Double Face, Catherine : mais qu'est ce qu'ils me veulent tous, à la fin ? 2 mars 1987 J'ai fais un autre cauchemar. J'étais dans une grande maison avec des toits pointus et plein d'arbres morts autour. Et j'étais attaché sur une chaise toute vieille et toute cassée. Et sur ma tête il y avait un appareil en métal 1 41
  • 45. Journal d'un orphelin programmé qui faisait plein de bruits d'électricité. Et il y avait une femme au-dessus de moi mais je voyais que ses mains et tout le reste était dans l'ombre mais j'ai compris que c'était Catherine. Parce qu'elle était nue et que je voyais ses deux grosses cicatrices sur le devant, là. Et il y avait plein d'instruments comme chez le dentiste et j'aime pas trop ça moi, le dentiste. Elle a prit un des instruments et j'ai senti des choses sur ma tête, comme des petites dents très dures. Ensuite y'a eu un bruit et y'a du sang chaud qui me coulait dans les yeux mais je pouvais pas m'essuyer parce que j'avais les mains attachées. J'ai bien senti que ça continuait sur ma tête et j'entendais bien les dents qui faisaient comme si elles mangeaient. Et après j'ai senti tout plein d'air dans ma tête et j'ai eu très froid et après j'ai senti des doigts qui me touchaient à l'intérieur de la tête. Et je voyais plus rien à cause du sang qui me coulait sur les yeux. Et après je me suis réveillé et c'était la nuit. Et j'ai pas pu me rendormir alors j'ai allumé la lumière et je viens d'écrire tout ça sur mon cahier que j'ai récupéré. C'est quand même chouette que j'ai de nouveau mon cahier pour mon journal parce que j'avais déjà écrit plein d'autres choses et que ça m'aurait embêté de plus les avoir. Il va falloir que je le cache tout le temps ce cahier. Je fais pas confiance à papa... 15 mars 1987 J'ai du sortir Marcel aujourd'hui parce que papa est en voyage pour son travail et que Catherine avait trop froid. Elle m'a aidé à fermer mon blouson et elle m'a embrassé. J'aime pas trop ça quand les gens s'embrassent à cause des microbes qu'on peut attraper. Alors je suis bien allé me laver les mains et la figure après. Et ça a pas eu l'air de lui plaire à Catherine. Elle m'a dit : « Dis donc, je suis pas sale hein ! Bon, sois gentil, ne t'éloigne pas trop de la maison et reviens vite ». Moi j'ai fais oui mais j'avais pas très envie de faire comme elle avait dit. Il faut qu'elle comprenne que je sais tout. Un jour je vais le lui dire, que j'ai tout compris et que je sais pour ma maman qui est morte et qu'elle essaye de prendre sa place mais que ça marche pas. Papa le sait maintenant parce 1 42
  • 46. Journal d'un orphelin programmé qu'il a lu le journal alors j'espère qu'il est de mon côté. Parce que si tout le monde est contre moi, j'ai aucune chance de m'en sortir. C'est comme Wolverine quand on nous dit tout ce qu'ils ont mis dans son corps : c'était des militaires, évidemment ! Exactement comme pour moi. A un moment j'ai cru que les militaires avaient peut-être pas fait grand chose à maman mais en vrai c'est eux qui ont tout fait. Ils ont juste été commandés par Double Face et sûrement qu'il y en avait d'autres qui l'ont aidé. Mais maintenant il faut que je leur échappe. Je suis content parce que Double Face est dans l'asile d'Arkham et là il pourra pas s'évader sauf si le Joker vient s'en mêler. Le Joker il arrive toujours à s'évader d'Arkham. 18 mars 1987 Papa est revenu de son voyage et ça a pas été facile pendant trois jours de rester tout seul avec Catherine parce que je sais jamais ce qu'il faut que je lui dise et comment je dois lui répondre. J'essaye d'être gentil parce que papa veut que je sois gentil mais c'est difficile parce que je sais toute la vérité. Marcel au moins il a pas tous ces problèmes, il est content parce qu'on lui donne à manger et puis c'est tout. Des fois je pense que si j'étais un chien ça serait plus facile pour faire semblant. 20 mars 1987 Bientôt c'est le bulletin du deuxième trimestre et je crois pas que j'ai de très bonnes notes. Papa va me crier dessus. J'aime pas trop l'école et j'aimerai bien que papa me dise que je suis plus obligé d'y aller. Et puis ça m'énerve l'école alors j'ai eu quelques zéros à cause de ça. Les profs disent que j'ai pas à m'énerver parce qu'il y a pas d'injustice, que c'est comme ça et puis c'est tout. Mais moi je suis pas d'accord ! Moi je voudrais bien aller dans une école où y'a juste du français et puis rien d'autre. En plus le 1 43
  • 47. français c'est important puisque tous les gens se parlent. Sauf ceux qui sont morts. Enfin, normalement... Parce que cette nuit j'ai encore entendu maman qui me parlait. C'est comme l'autre fois, j'ai pas bien compris parce qu'elle parlait super doucement mais c'était bien elle. Je sais pas comment elle fait pour me parler du paradis mais elle y arrive drôlement bien. Peut-être qu'elle pourra tout m'expliquer et me dire qui a monté ce truc avec Double Face, Catherine, Magnéto (je suis sûr qu'il est dans le truc lui aussi). Avant maman me lisait des histoires, mais c'était quand j'étais petit, elle me lisait des histoires du gros livre avec tout plein d'histoires dedans. J'aimais bien avant de dormir. Maintenant je suis grand et elle est morte alors plus personne ne me lit des histoires. C'est dommage, moi j'aimais bien. Mais il paraît que c'est normal. Je suis grand maintenant, j'ai plus de dix ans, je suis plus un gamin. 23 mars 1987 C'est quand le printemps ? Tout le monde parle du printemps mais moi je vois rien changer. Les gens disent qu'il fait plus chaud mais moi je trouve pas. En tous cas j'aimerai surtout qu'il reneige pas parce qu'on a déjà eu plein de neige cette année et que j'aime pas ça, au début, la neige parce que c'est tout blanc. Et j'aime pas le blanc. Il paraît qu'en Espagne il y a une ville qui a un zoo avec un singe blanc dedans. C'est une maladie de la peau. Les gens qui ont ça peuvent pas rester au soleil. J'espère que je l'attraperai jamais parce que j'aime bien le soleil. 24 mars 1987 Journal d'un orphelin programmé 1 44
  • 48. Marcel a été malade, il a vomi et je me suis fait punir. Papa a dit que c'était à cause de moi et de toutes les croûtes de fromage que je lui donne à manger. Mais je sais que Marcel il aime bien les croûtes de fromage et moi j'aime pas ça. Marcel a vomi sur le tapis et c'est Catherine qui a nettoyé en disant que c'était pas grave mais papa était très énervé, il a dit : « je sais pas ce qu'on va pouvoir faire de toi Benjamin ! En plus d'être à moitié dingue tu fais bêtise sur bêtise ! » Et là Catherine a dit : « Enfin chéri, ne lui parle pas comme ça ! C'est ton fils ! ». Et papa s'est levé de la table et il avait l'air drôlement en pétard. Il a jeté sa serviette sur sa chaise et il a dit plein de gros mots. Il a dit « Merde à la fin, mon fils ? Si ça c'est mon fils, je suis pas sûr d'en vouloir, merci bien ! » Et papa est parti dans son bureau et il a mit un disque de musique très fort. Marcel m'a regardé comme s'il était très embêté. Il est chouette Marcel. Alors je suis monté dans ma chambre et j'ai lu un "Strange" que j'aime bien, celui où il y a la créature des marais qui revient et qui se venge de ceux qui ont fait sauter son laboratoire à l'époque où c'était pas une bête mais un chercheur. 26 mars 1987 On nous a donné nos bulletins du trimestre et ça va pas être du gâteau pour le faire signer à papa parce qu'il y a plein de mauvaises choses sur le mien. Déjà y'a les notes qui sont pas bonnes et en plus les profs marquent des trucs vraiment pas gentils. Je comprends pas ce que je leur ai fait moi ! Ils s'acharnent tous sur moi alors que je leur ai rien fait, ils pourraient s'en prendre à d'autres parce que moi déjà ma maman est morte et on a voulu me faire croire que non en la remplaçant par une autre femme qui a des cicatrices. Et en plus après Double Face ils m'ont mis Magnéto pour qu'il puisse fouiller dans ma tête. J'aimerai bien qu'on me laisse tranquille. 28 mars 1987 Journal d'un orphelin programmé 1 45
  • 49. Journal d'un orphelin programmé Aujourd'hui papa avait rendez-vous avec la directrice du collège. C'est elle qui a demandé à voir mes parents et je lui avais pourtant dit que pour ma maman ça serait pas possible. Elle avait pas l'air de comprendre cette imbécile. Alors je lui ai dit : « Ben pour mon père y'aura pas de souci, il viendra vous voir mais ma mère est morte, vous savez... » Elle avait l'air très embêtée quand je lui ai dit ça. Elle devait le faire exprès pour avoir l'air sympa mais je suis pas tombé dans le panneau. Je commence à les connaître les pièges des adultes, j'ai dix ans et demi maintenant. Mais enfin il fallait bien que quelqu'un le lui dise. Alors pourquoi pas moi ? C'était ma maman quand même, j'ai bien le droit de le lui dire. La directrice a dit : « Oh mon dieu, je suis désolée, je l'ignorais... Tu sais Benjamin, j'imagine combien ce doit être difficile pour toi ». Et puis après c'était chouette : elle m'a laissé tranquille. Mais quand papa est revenu ce soir, il rigolait pas du tout. Il est monté dans ma chambre directement et il a dit : « Je viens de voir ta directrice et il faut qu'on parle sérieusement toi et moi... » J'ai compris que ça allait être ma fête. Il a dit : « D'abord, qu'est-ce que c'est que ces conneries sur la mort de maman ? Tu veux te faire plaindre ? Tu crois que tes professeurs seront plus indulgents avec toi en leur faisant gober une telle horreur ? » Je savais pas trop ce qu'il fallait répondre alors j'ai rien répondu et papa a dit en criant : « Putain tu vas me répondre oui ! » J'ai dit : « Il fallait que quelqu'un leur dise, papa, c'est important ». Et là, papa a fait de gros yeux plein de blanc et ça m'a fait un peu peur parce que c'est pas souvent qu'il est comme ça papa. Et puis j'aime pas le blanc. Alors papa est resté un moment là à me regarder et puis il est ressorti. 31 mars 1987 On m'a emmené voir Magnéto que papa continue à appeler Docteur Poiré parce qu'il comprend rien. Magnéto nous a dit de nous installer et il a parlé avec papa et Catherine. 1 46
  • 50. Journal d'un orphelin programmé Moi je comprenais pas trop ce qu'elle faisait là, elle. Elle fait tout pour m'embêter. Le docteur a dit : « Alors Benjamin, comment tu vas ? » et j'ai dit : « Bien ». Ensuite il a surtout parlé avec papa, et ils parlaient souvent de moi mais j'écoutais pas trop parce que c'était pas intéressant. Et puis après le docteur a dit : « Bien, je crois que je vais pouvoir rester seul avec Benjamin. Vous pouvez m'attendre en salle d'attente, ma secrétaire va vous conduire ». Et papa a eu l'air tout étonné et une femme est venue et elle a dit à papa et à Catherine de les suivre et ils sont tous partis. Alors du coup dans la salle pleine de livres où il y a le bureau du docteur, y'avait plus que Magnéto et moi, assis de l'autre côté. Il a lu quelques pages de mon journal que papa m'avait dit d'apporter. J'aime bien écrire dans mon journal et le docteur a expliqué à papa que c'était important et qu'il devait me le laisser. Alors je me dis que ce docteur est peut-être pas mal, même si je sais que c'est Magnéto. Mais je sais pas encore ce qu'il va me faire. C'est sûr qu'il va me faire du mal mais je sais pas encore comment et peut-être bien que lui non plus il le sait pas. Le docteur a dit : « C'est fascinant tout ce que tu racontes dans ton journal. Et puis tu me sembles avoir une bonne mémoire, je me trompe ? » J'ai dit : « Je sais pas trop ». Il a dit : « Et en classe pourtant, ce n'est pas trop ça, comment tu expliques ça ? ». J'ai dit : « Je sais pas trop ». Alors le docteur m'a regardé et il a souri, y'avait plein de reflets dorés dans ses dents, ça m'a fait un peu peur. Il a dit : « Avant toute chose, tu ne dois pas me craindre Benjamin, parce que je suis un docteur et rien d'autre. Je ne sais pas qui est ce Magnéto auquel tu sembles me comparer dans ton journal. Si tu m'expliquais ? ». Je me suis demandé s'il mentait ou pas. Et puis je me suis dit qu'il devait sûrement mentir mais pour faire semblant je lui ai expliqué : « Magnéto c'est le chef des méchants dans les X-Men, c'est un ancien copain du professeur Charles-Xavier qui est le chef des X-Men. Les deux, c'est des mutants et ils se battent tout le temps ». Le docteur a écrit des choses pendant que je parlais et au début je croyais qu'il m'écoutait même pas, j'ai pas du tout aimé. Il a dit : « Ne t'inquiète pas, je t'écoute et je prends même des notes pour m'en souvenir après, quand tu seras parti, un peu comme tu fais dans ton cahier, tu vois... » J'ai dis oui avec la tête mais je m'en moquais, qu'il s'occupe de ses fesses ! Alors le docteur a dit : « Et ce Magnéto, pourquoi il s'appelle ainsi ? » et j'ai dit : « à cause du 1 47
  • 51. Journal d'un orphelin programmé contrôle qu'il a sur tout ce qui est magnétique ». Le docteur a noté encore des choses et puis il a dit : « Tout ça c'est dans ces Strange que tu les lis, c'est bien ça ? » J'ai dit que oui et il a dit : « J'aimerais bien que tu m'apportes une de ces revues la prochaine fois, tu veux bien ? » J'ai dit que oui même si je comprenais pas trop ce qu'il voulait en faire. Mais ensuite j'ai réfléchi et j'ai compris. En fait Magnéto veut savoir ce que deviennent les autres héros qu'il connaît pas comme Spiderman, la chose des marais, Daredevil et les Quatre Fantastiques. S'il sait tout ça, il deviendra encore plus fort. Je sais pas trop si je dois le lui amener le Strange, alors... Le docteur ensuite il m'a demandé plein de choses sur maman, sur papa et sur Catherine, surtout. Je me souviens plus mais il m'a posé plein de questions et chaque fois il écrivait sur son journal. Et après il a dit : « Et bien c'est tout pour aujourd'hui Benjamin. Je pense qu'on a bien travaillé, qu'en penses-tu ? » et j'ai pas répondu. Alors y'a sa secrétaire qui est rentrée et papa et Catherine aussi et puis moi je suis sorti. On m'a donné un verre de limonade mais j'aime pas trop ça, la limonade. J'ai du attendre encore avant que papa et Catherine sortent de chez Magnéto et puis après, enfin on est parti. 8 avril 1987 Il faut que je retourne encore chez le docteur, c'est papa qui me l'a expliqué. Il a dit que j'étais encore fragile à cause de maman qui est morte et qu'il fallait qu'on m'aide. Il a dit : « le docteur Poiré est un bon docteur, il pourra t'aider, lui. Alors tu vas aller lui rendre une petite visite chaque semaine, l'après midi après l'école. Tu veux bien ? » J'ai dit que je comprenais pas trop pourquoi et papa a dit : « S'il te plait Benjamin, je suis encore ton père alors si je te dis que c'est pour ton bien, c'est que ça l'est. Il faut que tu parles, que les choses qui sont à l'intérieur de toi puissent sortir. C'est important. Tu ne fais pas de sport en dehors de l'école, tu n'as pas de copains qui viennent à la maison ou chez qui tu vas, tu restes dans ta chambre à lire tes magazines de BD. C'est pas très sain pour un garçon de 1 48
  • 52. Journal d'un orphelin programmé ton âge, on te l'a déjà dit mille fois avec maman. Alors si tu ne nous écoutes pas, peut-être que le docteur lui, saura trouver les mots qu'il faut ». Je me suis dit que c'était peut-être un nouveau piège mais papa me ferait quand même pas un truc pareil. Alors j'ai dit : « Bon si c'est important, alors d'accord » et là papa il a souri il m'a décoiffé avec sa main comme on fait avec les gamins. Mais moi je suis plus un gamin, cette année je vais avoir onze ans. 16 avril 1987 C'est la troisième fois que je vais voir le docteur Poiré. J'ai demandé si je pouvais emmener Marcel mais papa a pas voulu, il a dit que c'était pas un endroit pour les chiens. Mais je crois quand même qu'il faudrait que Marcel sorte plus parce qu'il fait toujours le même tour dans le quartier, il doit en avoir marre quand même. J'aimerais bien qu'on emmène Marcel chez un vétérinaire comme moi je vais chez le docteur Poiré. Il pourrait lui parler et lui dire s'il en a marre de faire toujours le même tour dans le quartier. Les vétérinaires c'est comme les docteurs sauf que c'est pour les chiens. Et puis leurs habits sont pas blancs aux vétérinaires mais verts et je préfère ça parce que j'aime pas le blanc. 26 avril 1987 Je suis encore allé voir le docteur Magnéto et cette fois on a un peu plus discuté mais j'ai surtout lu les nouveaux épisodes de Spiderman. En ce moment j'aime moins Spiderman parce qu'ils ont changé le dessinateur et je trouve qu'on reconnaît moins les gens. Je comprends pas pourquoi ils changent les dessinateurs comme ça alors que quand même c'est quelque chose d'important. Moi je ferais pas ça si j'étais eux. 1 49
  • 53. Journal d'un orphelin programmé 30 avril 1987 Voilà un nouveau cauchemar que j'ai fait cette nuit. Je suis dans un camion et je conduis et c'est difficile parce que les pédales sont loin et que je les touche pas bien avec mes pieds. Je conduis et ça va super vite et les gens se jettent par terre pour pas que je les écrase. Mais j'ai pas envie de les écraser, c'est le camion qui veut et moi j'essaye de pas le faire. Et j'entends maman qui me dit d'être sage et de rentrer à la maison. Elle me demande si j'ai bien finis tous mes devoirs. Et je lui dis que non parce que c'est dur et que je comprends pas ce qu'il faut faire. Et puis là d'un coup y'a Double Face qui est assis dans le camion à côté et qui rigole. Il rigole super fort et super aigu alors du coup les vitres du camion explose et je reçois plein d'éclats dans le visage et les bras et puis les mains aussi. Y'a plein de sang qui coule sur mes yeux et dans ma bouche, c'est chaud. Double Face me parle, il dit : « Alors, comment tu le trouves mon copain Magnéto ? Il écrit tout ce que tu lui dis, hein ? Et les taches qu'il te fait voir, tu lui dis tout ce que tu vois ou tu inventes au fur et à mesure ? Il faut faire ces tests sérieusement tu sais, sinon ta maman continuera à errer comme un fantôme jusqu'à la fin des temps ». Et puis il recommence à rigoler et puis j'ai très mal au bras à cause du verre qui est entré dans ma peau et qui me fait saigner. Après je suis tellement fatigué que je peux plus accélérer alors le camion ralentit et puis il s'arrête. Je tombe sur le volant et j'ai toujours tout plein de sang qui coule de partout. Et là y'a la portière qui s'ouvre et y'a maman qui me prend dans ses bras et elle dit : « Allez, on rentre à la maison maintenant ! » Alors je me suis réveillé et j'étais pas bien, j'arrivais pas à me rendormir. Maman me manquait beaucoup. Alors j'ai lu un épisode où Batman veut plus faire le justicier parce que ses parents lui manquent depuis qu'ils sont morts quand il était petit, en revenant du cinéma. J'aimerai pas que ça me soit arrivé comme ça. Lui il a pas eu de chance du tout mais c'est quand même Batman alors après il a de la chance quand même. 1 50