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Noir Jaune
Bleu Rouge
Noir Jaune
Bleu Rouge
54
Noir Jaune
Bleu Rouge
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Bleu Rouge
H O M M A G E
ené Lucot est mort le 10 octobre,
dans son village de Septmonts, dans
l’Aisne, près de Soissons. Son nom
ne vous évoque peut-être rien. Pour-
Rtant, si vous aimez le sport, ce vieil
homme de quatre-vingt-quinze ans, qui, malgré
le poids des années et des peines, conservait élé-
gance, politesse et chaleur, est celui qui a
façonné une belle part de votre imaginaire de
passionné. Ce sont des images d’un autre temps,
celles de ces joueurs stéphanois moulés dans un
maillot vert de légende et de fureur, celles
d’Alain Mimoun écrasé par la chaleur de Mel-
bourne, mais filant inexorablement vers son des-
tin olympique en 1956, celles encore, plus loin-
taines, peut-être aperçues au détour d’une
rétrospective, des sélectionnés de l’équipe de
France de foot, jouant aux boules à Chantilly,
avant de rencontrer l’Italie en quarts de finale
de la Coupe du monde 1938... René Lucot fut de
tant et tant d’aventures sportives du siècle
défunt. Rapporteur d’images au temps des récits
triomphants, il fixa les visages et les mouve-
ments du réel sur la pellicule à une époque où
l’imaginaire, forgé à l’écoute
des radios ou à la lecture des
gazettes, ne leur concédait
guère plus de quelques fugi-
tives secondes dans les actuali-
tés cinématographiques.
Cinéaste, auteur et réalisateur
de dizaines de dramatiques
pour la télévision (une série de
Maigret avec Jean Richard,
par exemple), écrivain, scéna-
riste, René Lucot futsurtout un
véritable inventeur du sport
télévisé. « Nous ne sommes
qu’au début d’une aventure
passionnante, qui permettra
au sportd’occuper uneplace de premier plansur
les écrans de télévision », assurait-il dès 1949*,
ajoutant : « Le spectacle sportif n’est plus
réservé à ceux qui se rendent sur les stades, la
télévision va le livrer à domicile. »
GABIN, DELAUNAY, LES PARRAINS
Au printemps, René Lucot nous avait reçus une
fois de plus avec bienveillance. En quête de sou-
venirs, nous nous étions réchauffés à la flamme
d’une passion pure, belle, préservée. Nous
devions retourner à Septmonts pour réaliser une
photo, le destin en a décidé autrement. Au télé-
phone cet été, il nous avait dit sa fatigue – « des
problèmes de cœur » –, nous avait demandé de
revenir à l’automne, mais, malgré l’épreuve, il
avait encore tenu à parler quelques instants de
football. « Il y a quelque chose que je voudrais
vous dire, mon grand, je crois qu’il faudrait
quand même penser sérieusement à agrandir les
buts. 7,42 mètres de largeur, 2,44 mètres de hau-
teur, cela correspond à la taille des joueurs
quand les Anglais ont inventé le football.
Aujourd’hui, c’est trop facile pour les gardiens. »
Pour le jeune apprenti cinéaste, l’aventure avait
commencé aux côtés de Jean Gabin sur le tour-
nage de Cœur de lilas. Nous sommes en 1934.
René Lucot a vingt-six ans, il gagne sa vie en
sous-titrant des films américains, travaille sur
les voix de Jean Harlow ou de Spencer Tracy.
Pour Cœur de lilas, il est promu assistant du réa-
lisateur Anatole Litvak. « J’avais joué au football,
au PUC, et je m’étais aperçu qu’on n’avait jamais
tourné de film sur ce sport en France. J’avais
envie de me lancer, et j’en ai parlé à Gabin, qui
fréquentait beaucoup les stades. » Gabin est un
ardent défenseur du football professionnel, ins-
tauré en France en 1932. « Les joueurs attirent
le public, ce sont des artistes, il est normal qu’ils
soient payés », assure la vedette*. L’acteur,
séduit par le projet du jeune assistant, l’introduit
auprès de son ami Louis Finot, international du
CA Paris, qui, à son tour, lui présente un jeune
journaliste de Paris-Soir, Jean Eskenazi. « Avec
Eskenazi, qui est demeuré tout au long de sa vie
un de mes fidèles compagnons, nous avons écrit
une histoire et nous sommes allés présenter
notre projet à Henri Delaunay, le secrétaire
général de la FFF. Il nous a soutenus, mais ne
pouvait pas nous avancer d’argent. » L’aide
financière viendra du président du Racing, Jean-
Bernard Lévy, un visionnaire persuadé que le
cinéma doit aider le développement du football,
et qui met d’ailleurs son équipe et son stade à
disposition pour le tournage (Jean-Bernard Lévy
sera tué au front en mai 1940). Le film porte un
titre simple et beau – Vive le
football –, et sort en 1936 dans
les cinémas d’actualités ou en
première partie dans les
grandes salles. Un film didac-
tique, passionné, qui veut tout
montrer du foot, les règles du
jeu, les actions, l’émotion de la
foule, toute la petite musique
d’un après-midi de match, du
départ des jeunes de banlieue
vers le stade à vélo à l’accro de
la buvette, du resquilleur aux
yeux de la petite fille qui ne
comprend rien au match.
« J’étais enthousiaste, jeune,
on pouvait faire dix films sur le football, je vou-
lais tout mettre dans un seul », souriait encore
René Lucot soixante-sept ans plus tard. Vive le
football sera une réussite et fera connaître le
réalisateur dans le monde du sport. Il enchaî-
nera deux ans plus tard avec le film officiel de la
Coupe du monde 1938, organisée en France. Une
aventure pour laquelle il lui faudra une nouvelle
fois passer au « tribunal » de la Fédération.
« L’un des membres du bureau fédéral m’a
demandé : “ Mais pourquoi voulez-vous faire un
film sur le football, à quoi cela servira-t-il ? ” »
Henri Delaunay est heureusement à nouveau
convaincu par l’enthousiasme du jeune Lucot. Il
lui obtient les autorisations nécessaires et une
partie du financement. Ce film reste, soixante-
cinq ans plus tard, un document exceptionnel,
véritable dramatique sportive avec faits de jeu, à-
côtés, suspense, mais aussi photographie d’une
époque à la fois joyeuse et inquiète, où l’éclat des
sourires est déjà terni par l’ombre des heures
douloureuses promises par l’avenir. « Moi, j’étais
insouciant, je pensais plus au football qu’à la
guerre », racontera plus tard René Lucot dans
Magic-City.
L’insouciant, réformé, survivra aux années
noires, à l’exode. En 1945, il a trente-sept ans,
c’est l’heure des grandes énergies reconstruc-
trices, il n’en manque pas. Henri Delaunay le sait
depuis Vive le football et lui demande de venir
apporter son aide à la Fédération, au sein de la
« commission de la propagande », où il siégera
pendant plus d’un quart de siècle. En 1948, René
Lucot réalise son premier long-métrage, encore
centré sur l’univers du football, les Dieux du
dimanche, l’histoire de Martin, un jeune homme
de la campagne qui devient gardien de but de
l’équipe de France, mais est blessé à la guerre en
1940 et doit remiser son rêve de foot pour se
reconvertir « dans la limonade », entendez
comme cafetier. Les Dieux du dimanche ne
seront pas un franc succès, « un bide », râlait
même le vieil homme de Septmonts, furieux que
le détenteur des droits laisse l’œuvre au rancart
depuis si longtemps (ce film n’a jamais été dif-
fusé à la télévision). « Pourtant, c’est un bon
film », soupirait-il... Huit ans plus tard, il tourne
son deuxième long-métrage, le plus connu. A
l’occasion des Jeux Olympiques de 1956, il réa-
lise le fameux Rendez-vous à Melbourne. Ses
opérateurs suivent la chevauchée fantastique
d’Alain Mimoun, qui s’envole vers l’or olympique.
« Mimoun, quand on lui parle du marathon, c’est
le film qu’il raconte, il s’est plaint d’avoir été
asphyxié par les gaz de la voiture. Moi, je crois
surtout qu’il a profité de son sillage », grognait
encore René Lucot en mai dernier, en évoquant
son incorrigible copain qui lui avait un jour
demandé, alors qu’il le sollicitait pour prendre
part à une fête du sport à Septmonts : « O.K.,
René, mais tu as des sponsors pour ma prime ? »
Si Rendez-vous à Melbourne sortit dans les
salles, René Lucot avait déjà depuis quelques
années entamé une carrière à la jeune télévision
de l’après-guerre, succursale du ministère des
PTT et dont les employés « portaient les mêmes
blouses grises que ceux de la poste ». Un monde
où tout était à construire, à inventer. Grâce à son
talent, à ses connaissances techniques, à sa cul-
ture, René Lucot s’y forgea une belle place. Il
devint un spécialiste des documentaires d’art,
puis des émissions dramatiques. Mais il n’oublia
jamais sa passion première. Lucot a compris,
avant tous les autres, la puissance dramatique
du sport, de la compétition filmée. Sa force de
conviction, son enthousiasme entraînent les
énergies. « Pierre Sabbagh, le créateur du jour-
nal télévisé en 1948, ne connaissait rien au foot,
mais il avait pigé que c’était important. » Emis-
sions sportives, premiers directs. Peu à peu,
Lucot impose ses idées, souvent novatrices. Pour
la Coupe du monde 1938, il avait déjà installé
une passerelle aérienne sous le toit du stade de
Colombes, pour éviter les chahuts du public
devant la caméra après un but. « Ce n’était pas
très sûr, mais la passerelle est restée en place
pendant plus de vingt ans ! A chaque finale de
Coupe de France, j’étais sans doute le seul à
redouter la catastrophe qui planait au-dessus de
la tête du président de la République ! »
De l’homme de débat, il suffit de relire les écrits
et les trop rares interviews qu’il a pu accorder
pour mesurer à quel point le réalisateur fut tou-
jours un acteuressentiel de l’évolution du sportà
la télévision. La première caméra derrière un
but ? René Lucot, pour un France - Pays-Bas
juniors en 1969 à Monaco, ce qui lui vaudra de
recevoir une note officielle de protestation du
chef des sports de l’ORTF, Raymond Marcillac.
Le micro arbitral, paraît-il, « inventé » en 2003 ?
Il y a plus de trente-cinq ans, Lucot argumentait
déjà auprès de Jacques Ferran, alors directeur
de la rédaction de Football Magazine : « Pour-
quoi n’essaierait-on pas de confier un micro à un
arbitre, qui pourrait enregistrer et transmettre
tout ce qu’il dit ? Ne serait-ce pas passionnant ?
Et l’arbitrage ne serait-il pas moins critiqué si on
le comprenait mieux ? »
René Lucot avait aussi rêvé au stade de l’an
2000, pour le foot comme pour l’athlétisme, où il
imaginait des pistes toutes droites pour les 200
et 400 m. Il voulait supprimer les remises en
touche, « l’acte le plus laid du football ». Pur
entre les purs, il ne supportait pas l’intrusion de
la publicité dans l’univers du sport ou s’agaçait
des bavardages des commentateurs modernes,
lui qui trouvait déjà, à l’époque, que son grand
ami Michel Drucker parlait un peu trop : « A
quoi cela me sert qu’on me répète les quinze
clubs dans lesquels le joueur qui a la balle dans
les pieds a joué auparavant ? Ce qui m’intéresse,
c’est qu’on me dise quelles sont les possibilités
qui s’offrent à lui sur le terrain. »
« LE JEU DES HOMMES »
A Septmonts, dans la campagne de son enfance,
à laquelle il avait consacré plusieurs ouvrages,
René Lucot se déplaçait de plus en plus pénible-
ment. Son amour de toujours, Colette, la jeune
fille blonde qui l’aidait à traduire les mots de
Charlie Chaplin pour les sous-titres de Lime-
light, était parti il y a deux ans. Seul avec sa
peine, c’est toujours au football que René Lucot
confiait son cœur, quand il voulait s’abandonner
au meilleur de sa jeunesse sans crainte d’être
anéanti par les absences. Plutôt que replonger
dans le passé – « Je n’ose pas regarder la cas-
sette de la Coupe du monde 1938 » –, il ne ratait
aucun match en direct à la télévision. « J’aime
toujours autant cela, voyez-vous, jeune
homme... »
Les mots délicieux du vieil érudit posaient alors
leur empreinte élégante sur les acteurs et les
dramatiques modernes. Et là où l’on s’est triste-
ment habitué aux ravages de la langue de bois,
c’est un français ciselé avec simplicité et ten-
dresse qui nous rappelait que l’on peut aussi
donner un sens, une profondeur, une réalité aux
mots du football. « J’aime beaucoup ce jeune
homme racé et élégant d’Auxerre, Cissé », nous
disait monsieur Lucot. Même beauté simple des
phrases d’un homme d’images qui, il y a une
trentaine d’années, expliquait déjà dans Foot-
ball Magazine : « J’aime l’athlétisme parce qu’il
est symbole de grande pureté, mais je sais qu’il
lui manque ce qui appartient au football, c’est-à-
dire le jeu. Le football, pour moi, c’est d’abord un
jeu universel, le jeu des hommes. »
Alors, du foot et de la télé, malgré la fatigue, il ne
cessait finalement jamais de parler. Il nous avait
dit qu’il rêvait de mourir en regardant un match.
Nous lui avions demandé d’attendre encore
quelques saisons. Cher monsieur Lucot, vous
n’étiez pas croyant. Quand votre fils et votre
belle-fille avaient disparu tragiquement dans
l’effondrement du tunnel de Vierzy, en 1972,
alors que vous attendiez en vain un train fan-
tôme sur le quai de la gare, vous aviez voulu
donner leur nom à un stade. C’était juste en face
de chez vous, un petit terrain, une dérisoire
pancarte en bois maladroitement gravée :
« Stade Hervé-et-Nathalie-Lucot ». Vous étiez
fier de nous dire que Michel Platini y était venu
un jour avec le Variétés Club de France. « Si
proche des dieux du stade, j’ai l’orgueilleux sen-
timent d’appartenir pour toujours à leur
famille », aviez-vous pensé à Melbourne*, il y a si
longtemps. Cher René Lucot, que ces dieux-là
vous gardent.
JEAN-MICHEL BROCHEN
* In Magic City, le livre de souvenirs de René Lucot,
éditions Pierre Bordas et fils, 1989.
54 F R A N C E F O O T B A L L / N ° 3 0 0 2 / M A R D I 2 1 O C T O B R E 2 0 0 3 F R A N C E F O O T B A L L / N ° 3 0 0 2 / M A R D I 2 1 O C T O B R E 2 0 0 3 55
Et Lucot maria foot et téléINVENTEUR. Cinéaste, réalisateur, écrivain, René
Lucot vient de s’éteindre à quatre-vingt-quinze ans.
La télévision perd un pionnier, et le foot un de ses
plus ardents témoins. Il les avait fait se rencontrer.
Une lanterne magique,
ancêtre du cinéma,
pour filmer un antique
jeu de foot : à la fin des
années 60, le pionnier
Lucot illustrait ainsi,
dans France Football,
ses deux amours.
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René Lucot fut de tant et tant d’aventures sportives du siècle défunt. Rapporteur d’images au temps des récits triomphants, il fixa les visages et les mouve- ments du réel sur la pellicule à une époque où l’imaginaire, forgé à l’écoute des radios ou à la lecture des gazettes, ne leur concédait guère plus de quelques fugi- tives secondes dans les actuali- tés cinématographiques. Cinéaste, auteur et réalisateur de dizaines de dramatiques pour la télévision (une série de Maigret avec Jean Richard, par exemple), écrivain, scéna- riste, René Lucot futsurtout un véritable inventeur du sport télévisé. « Nous ne sommes qu’au début d’une aventure passionnante, qui permettra au sportd’occuper uneplace de premier plansur les écrans de télévision », assurait-il dès 1949*, ajoutant : « Le spectacle sportif n’est plus réservé à ceux qui se rendent sur les stades, la télévision va le livrer à domicile. » GABIN, DELAUNAY, LES PARRAINS Au printemps, René Lucot nous avait reçus une fois de plus avec bienveillance. En quête de sou- venirs, nous nous étions réchauffés à la flamme d’une passion pure, belle, préservée. Nous devions retourner à Septmonts pour réaliser une photo, le destin en a décidé autrement. Au télé- phone cet été, il nous avait dit sa fatigue – « des problèmes de cœur » –, nous avait demandé de revenir à l’automne, mais, malgré l’épreuve, il avait encore tenu à parler quelques instants de football. « Il y a quelque chose que je voudrais vous dire, mon grand, je crois qu’il faudrait quand même penser sérieusement à agrandir les buts. 7,42 mètres de largeur, 2,44 mètres de hau- teur, cela correspond à la taille des joueurs quand les Anglais ont inventé le football. Aujourd’hui, c’est trop facile pour les gardiens. » Pour le jeune apprenti cinéaste, l’aventure avait commencé aux côtés de Jean Gabin sur le tour- nage de Cœur de lilas. Nous sommes en 1934. René Lucot a vingt-six ans, il gagne sa vie en sous-titrant des films américains, travaille sur les voix de Jean Harlow ou de Spencer Tracy. Pour Cœur de lilas, il est promu assistant du réa- lisateur Anatole Litvak. « J’avais joué au football, au PUC, et je m’étais aperçu qu’on n’avait jamais tourné de film sur ce sport en France. J’avais envie de me lancer, et j’en ai parlé à Gabin, qui fréquentait beaucoup les stades. » Gabin est un ardent défenseur du football professionnel, ins- tauré en France en 1932. « Les joueurs attirent le public, ce sont des artistes, il est normal qu’ils soient payés », assure la vedette*. L’acteur, séduit par le projet du jeune assistant, l’introduit auprès de son ami Louis Finot, international du CA Paris, qui, à son tour, lui présente un jeune journaliste de Paris-Soir, Jean Eskenazi. « Avec Eskenazi, qui est demeuré tout au long de sa vie un de mes fidèles compagnons, nous avons écrit une histoire et nous sommes allés présenter notre projet à Henri Delaunay, le secrétaire général de la FFF. Il nous a soutenus, mais ne pouvait pas nous avancer d’argent. » L’aide financière viendra du président du Racing, Jean- Bernard Lévy, un visionnaire persuadé que le cinéma doit aider le développement du football, et qui met d’ailleurs son équipe et son stade à disposition pour le tournage (Jean-Bernard Lévy sera tué au front en mai 1940). Le film porte un titre simple et beau – Vive le football –, et sort en 1936 dans les cinémas d’actualités ou en première partie dans les grandes salles. Un film didac- tique, passionné, qui veut tout montrer du foot, les règles du jeu, les actions, l’émotion de la foule, toute la petite musique d’un après-midi de match, du départ des jeunes de banlieue vers le stade à vélo à l’accro de la buvette, du resquilleur aux yeux de la petite fille qui ne comprend rien au match. « J’étais enthousiaste, jeune, on pouvait faire dix films sur le football, je vou- lais tout mettre dans un seul », souriait encore René Lucot soixante-sept ans plus tard. Vive le football sera une réussite et fera connaître le réalisateur dans le monde du sport. Il enchaî- nera deux ans plus tard avec le film officiel de la Coupe du monde 1938, organisée en France. Une aventure pour laquelle il lui faudra une nouvelle fois passer au « tribunal » de la Fédération. « L’un des membres du bureau fédéral m’a demandé : “ Mais pourquoi voulez-vous faire un film sur le football, à quoi cela servira-t-il ? ” » Henri Delaunay est heureusement à nouveau convaincu par l’enthousiasme du jeune Lucot. Il lui obtient les autorisations nécessaires et une partie du financement. Ce film reste, soixante- cinq ans plus tard, un document exceptionnel, véritable dramatique sportive avec faits de jeu, à- côtés, suspense, mais aussi photographie d’une époque à la fois joyeuse et inquiète, où l’éclat des sourires est déjà terni par l’ombre des heures douloureuses promises par l’avenir. « Moi, j’étais insouciant, je pensais plus au football qu’à la guerre », racontera plus tard René Lucot dans Magic-City. L’insouciant, réformé, survivra aux années noires, à l’exode. En 1945, il a trente-sept ans, c’est l’heure des grandes énergies reconstruc- trices, il n’en manque pas. Henri Delaunay le sait depuis Vive le football et lui demande de venir apporter son aide à la Fédération, au sein de la « commission de la propagande », où il siégera pendant plus d’un quart de siècle. En 1948, René Lucot réalise son premier long-métrage, encore centré sur l’univers du football, les Dieux du dimanche, l’histoire de Martin, un jeune homme de la campagne qui devient gardien de but de l’équipe de France, mais est blessé à la guerre en 1940 et doit remiser son rêve de foot pour se reconvertir « dans la limonade », entendez comme cafetier. Les Dieux du dimanche ne seront pas un franc succès, « un bide », râlait même le vieil homme de Septmonts, furieux que le détenteur des droits laisse l’œuvre au rancart depuis si longtemps (ce film n’a jamais été dif- fusé à la télévision). « Pourtant, c’est un bon film », soupirait-il... Huit ans plus tard, il tourne son deuxième long-métrage, le plus connu. A l’occasion des Jeux Olympiques de 1956, il réa- lise le fameux Rendez-vous à Melbourne. Ses opérateurs suivent la chevauchée fantastique d’Alain Mimoun, qui s’envole vers l’or olympique. « Mimoun, quand on lui parle du marathon, c’est le film qu’il raconte, il s’est plaint d’avoir été asphyxié par les gaz de la voiture. Moi, je crois surtout qu’il a profité de son sillage », grognait encore René Lucot en mai dernier, en évoquant son incorrigible copain qui lui avait un jour demandé, alors qu’il le sollicitait pour prendre part à une fête du sport à Septmonts : « O.K., René, mais tu as des sponsors pour ma prime ? » Si Rendez-vous à Melbourne sortit dans les salles, René Lucot avait déjà depuis quelques années entamé une carrière à la jeune télévision de l’après-guerre, succursale du ministère des PTT et dont les employés « portaient les mêmes blouses grises que ceux de la poste ». Un monde où tout était à construire, à inventer. Grâce à son talent, à ses connaissances techniques, à sa cul- ture, René Lucot s’y forgea une belle place. Il devint un spécialiste des documentaires d’art, puis des émissions dramatiques. Mais il n’oublia jamais sa passion première. Lucot a compris, avant tous les autres, la puissance dramatique du sport, de la compétition filmée. Sa force de conviction, son enthousiasme entraînent les énergies. « Pierre Sabbagh, le créateur du jour- nal télévisé en 1948, ne connaissait rien au foot, mais il avait pigé que c’était important. » Emis- sions sportives, premiers directs. Peu à peu, Lucot impose ses idées, souvent novatrices. Pour la Coupe du monde 1938, il avait déjà installé une passerelle aérienne sous le toit du stade de Colombes, pour éviter les chahuts du public devant la caméra après un but. « Ce n’était pas très sûr, mais la passerelle est restée en place pendant plus de vingt ans ! A chaque finale de Coupe de France, j’étais sans doute le seul à redouter la catastrophe qui planait au-dessus de la tête du président de la République ! » De l’homme de débat, il suffit de relire les écrits et les trop rares interviews qu’il a pu accorder pour mesurer à quel point le réalisateur fut tou- jours un acteuressentiel de l’évolution du sportà la télévision. La première caméra derrière un but ? René Lucot, pour un France - Pays-Bas juniors en 1969 à Monaco, ce qui lui vaudra de recevoir une note officielle de protestation du chef des sports de l’ORTF, Raymond Marcillac. Le micro arbitral, paraît-il, « inventé » en 2003 ? Il y a plus de trente-cinq ans, Lucot argumentait déjà auprès de Jacques Ferran, alors directeur de la rédaction de Football Magazine : « Pour- quoi n’essaierait-on pas de confier un micro à un arbitre, qui pourrait enregistrer et transmettre tout ce qu’il dit ? Ne serait-ce pas passionnant ? Et l’arbitrage ne serait-il pas moins critiqué si on le comprenait mieux ? » René Lucot avait aussi rêvé au stade de l’an 2000, pour le foot comme pour l’athlétisme, où il imaginait des pistes toutes droites pour les 200 et 400 m. Il voulait supprimer les remises en touche, « l’acte le plus laid du football ». Pur entre les purs, il ne supportait pas l’intrusion de la publicité dans l’univers du sport ou s’agaçait des bavardages des commentateurs modernes, lui qui trouvait déjà, à l’époque, que son grand ami Michel Drucker parlait un peu trop : « A quoi cela me sert qu’on me répète les quinze clubs dans lesquels le joueur qui a la balle dans les pieds a joué auparavant ? Ce qui m’intéresse, c’est qu’on me dise quelles sont les possibilités qui s’offrent à lui sur le terrain. » « LE JEU DES HOMMES » A Septmonts, dans la campagne de son enfance, à laquelle il avait consacré plusieurs ouvrages, René Lucot se déplaçait de plus en plus pénible- ment. Son amour de toujours, Colette, la jeune fille blonde qui l’aidait à traduire les mots de Charlie Chaplin pour les sous-titres de Lime- light, était parti il y a deux ans. Seul avec sa peine, c’est toujours au football que René Lucot confiait son cœur, quand il voulait s’abandonner au meilleur de sa jeunesse sans crainte d’être anéanti par les absences. Plutôt que replonger dans le passé – « Je n’ose pas regarder la cas- sette de la Coupe du monde 1938 » –, il ne ratait aucun match en direct à la télévision. « J’aime toujours autant cela, voyez-vous, jeune homme... » Les mots délicieux du vieil érudit posaient alors leur empreinte élégante sur les acteurs et les dramatiques modernes. Et là où l’on s’est triste- ment habitué aux ravages de la langue de bois, c’est un français ciselé avec simplicité et ten- dresse qui nous rappelait que l’on peut aussi donner un sens, une profondeur, une réalité aux mots du football. « J’aime beaucoup ce jeune homme racé et élégant d’Auxerre, Cissé », nous disait monsieur Lucot. Même beauté simple des phrases d’un homme d’images qui, il y a une trentaine d’années, expliquait déjà dans Foot- ball Magazine : « J’aime l’athlétisme parce qu’il est symbole de grande pureté, mais je sais qu’il lui manque ce qui appartient au football, c’est-à- dire le jeu. Le football, pour moi, c’est d’abord un jeu universel, le jeu des hommes. » Alors, du foot et de la télé, malgré la fatigue, il ne cessait finalement jamais de parler. Il nous avait dit qu’il rêvait de mourir en regardant un match. Nous lui avions demandé d’attendre encore quelques saisons. Cher monsieur Lucot, vous n’étiez pas croyant. Quand votre fils et votre belle-fille avaient disparu tragiquement dans l’effondrement du tunnel de Vierzy, en 1972, alors que vous attendiez en vain un train fan- tôme sur le quai de la gare, vous aviez voulu donner leur nom à un stade. C’était juste en face de chez vous, un petit terrain, une dérisoire pancarte en bois maladroitement gravée : « Stade Hervé-et-Nathalie-Lucot ». Vous étiez fier de nous dire que Michel Platini y était venu un jour avec le Variétés Club de France. « Si proche des dieux du stade, j’ai l’orgueilleux sen- timent d’appartenir pour toujours à leur famille », aviez-vous pensé à Melbourne*, il y a si longtemps. Cher René Lucot, que ces dieux-là vous gardent. JEAN-MICHEL BROCHEN * In Magic City, le livre de souvenirs de René Lucot, éditions Pierre Bordas et fils, 1989. 54 F R A N C E F O O T B A L L / N ° 3 0 0 2 / M A R D I 2 1 O C T O B R E 2 0 0 3 F R A N C E F O O T B A L L / N ° 3 0 0 2 / M A R D I 2 1 O C T O B R E 2 0 0 3 55 Et Lucot maria foot et téléINVENTEUR. Cinéaste, réalisateur, écrivain, René Lucot vient de s’éteindre à quatre-vingt-quinze ans. La télévision perd un pionnier, et le foot un de ses plus ardents témoins. Il les avait fait se rencontrer. Une lanterne magique, ancêtre du cinéma, pour filmer un antique jeu de foot : à la fin des années 60, le pionnier Lucot illustrait ainsi, dans France Football, ses deux amours. PhotosL’ÉQUIPE