La seconde matinale Thomas Toby a eu lieu autour d’un petit déjeuner le vendredi 11 mai 2012 sur le thème suivant « Garde à vue : un an après sa mise en place, où en est-on?"
Retrouvez la présentation de cette matinale.
http://thomastoby2012.com/
Ride the Storm: Navigating Through Unstable Periods / Katerina Rudko (Belka G...
Matinale Thomas Toby du 11 mai : « Garde à vue : un an après sa mise en place où en est-on ? »
1. « Garde à vue :
un an après sa mise en place où en est-on
?»
Vendredi 11 mai 2012
Jean-Bernard THOMAS et Caroline TOBY
2. Une remise en cause par la
CEDH
• Plusieurs décisions de la Cour EDH mettent en cause des procédures de garde à vue :
la décision du 27 novembre 2008 Salduz c/Turquie
la décision du 13 octobre 2009 Dayanan contre Turquie
la décision du 2 mars 2010 Adamkiewicz c/ Pologne
• Plusieurs décisions qui, toutes, stigmatisaient des systèmes judiciaires en matière de
procédure pénale pour manque de conformité avec l'article 6 de la CEDH, qui donne à
chacun le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable.
• Dans chacune de ces décisions, on mettait notamment en cause l'absence de droits et de
protection dans les phases préliminaires de l'enquête, à savoir pendant les premières
auditions de la personne mise en cause :
• absence de garanties
• absence de représentation par un avocat
• absence d’accès au dossier
• absence de notification du droit au silence.
Bref, autant de choses absolument identiques à notre système français.
3. Une remise en cause interne
• 1er mars 2010 : des avocats soulèvent le problème de la non conformité de
la GAV par rapport aux exigences de la CEDH, notamment de l’article 6, et
saisissent le Conseil Constitutionnel d’une QPC
• Décision du Conseil constitutionnel n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 :
« Article 1er.- Les articles 62, 63, 63-1 et 77 du code de procédure pénale et
les alinéas 1er à 6 de son article 63-4 sont contraires à la Constitution ».
• CEDH, Brusco c. France du 14 octobre 2010, n°1466/07 : Condamnation
de la France pour sa garde à vue non conforme à l’article 6 de la CEDH
• Cass. Crim, 19 oct. 2010 (n°10-82.902, n°10-82.306 et n°10-82.051) : les
conditions de la garde à vue en France sont non conformes aux exigences
européennes
4. Les avancées de la loi du 14
avril 2011
- la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue ;
- l’avocat est informé de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte
l’enquête ;
- un rappel du droit au silence, qui n'était pas notifié jusqu'ici à la personne interrogée ;
- un accès au fur et à mesure pour l’avocat aux procès-verbaux d'audition de son client ;
- l’autorisation pour l’avocat de prendre des notes, de poser des questions, de formuler des
observations.
La loi prévoyait un délai d’un mois avant l’application de ces nouvelles dispositions mais la
Cour de cassation a précipité son entrée en vigueur par quatre arrêts rendus en Assemblée
plénière le 15 avril 2011 (n P 10- 17.049, F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242): « Les
Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits
de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur
législation »
5. Les trop nombreuses exceptions à
l’intervention effective de l’avocat
- L’audition libre ;
- L’avocat peut être exclu de la garde à vue pendant 12 à 24 heures et privé
de consulter les procès verbaux d’audition « si cette mesure apparaît
indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances
particulières de l’enquête » ;
- Le régime dérogatoire pour les infractions relevant de la bande organisée qui
permet de repousser l’arrivée du conseil à la 48ème heure, et dans les cas de
trafics de stupéfiants et de terrorisme à la soixante douzième heure ;
- Les auditions peuvent démarrer sans l’avocat s’il n’arrive pas dans le délai
de 2 heures ;
- La marge de manœuvre de l’avocat est limité car il n’a pas accès aux pièces
essentielles du dossier (plaintes, synthèses…).
6. 1 an après : l’heure du
bilan
60 à 70 % des gardes à vue
se font encore aujourd'hui
hors présence d'un avocat
7. 1 an après : l’heure du
bilan
Un an après son entrée en vigueur et face aux constatations de ses failles,
quel bilan tirer de cette réforme ?
Des difficultés logistiques :
• de nombreux lieux différents de garde à vue ;
• le temps de trajet pour aller sur le lieu de la garde à vue est dans 73%
des cas de plus d’une demie heure, voire plus de deux heures dans 4%
des cas ;
• 64% des interventions des avocats (les rendant indisponibles :
assistance + trajet) durent de 1 à 5 heures.
Des difficultés financières :
• les conditions d’indemnisation en cas de succession d’avocats posent
de grosses difficultés (par exemple lorsque deux avocats qui se
succèdent ne sont pas tous deux assujettis à la TVA) ;
• une revalorisation de l’indemnisation, notamment pour les frais de
déplacement
8. La garde à vue de demain
?
De nombreuses
gardes à vue se
déroulent encore
aujourd’hui hors de la
présence d’un avocat
malgré des systèmes
de volontariat, de
permanence, de
roulement….
Quelles pistes
d’amélioration
proposer ?
9. La question de
l’indemnisation des avocats
(décret du 6 juillet 2011)
- 61 € HT lorsque l’avocat intervient - Aucune majoration pour les interventions de
uniquement pour un entretien avec la nuit ni pour celles effectuées hors des limites de
personne gardée à vue au début de la la commune du siège du tribunal de grande
garde à vue ou de la prolongation de cette instance n’est prévue,
mesure ;
- Aucun cumul entre les forfaits de 300 € ou 150
- 300 € HT lorsque l’avocat intervient au € HT et la contribution de 61 € HT n’est
cours des 24 premières heures de garde à possible,
vue, pour un entretien avec la personne
gardée à vue puis, puis au cours des - La rétribution de l’avocat ayant accompli
auditions et confrontations de cette plusieurs interventions par période de 24
dernière ; heures est, quel que soit le nombre
d’interventions réalisées, plafonnée à 1200 €
HT, soit l'équivalent de quatre interventions
- 150 € HT lorsque l’avocat intervient lors rémunérées 300 euros chacune, ce plafond
de la prolongation de la garde à vue pour s’appliquant à la rétribution des missions
un entretien avec la personne gardée à vue achevées au cours des dernières 24 heures,
puis au cours des auditions et
confrontations et de cette dernière. Ce - Pour toutes les demandes de règlement
forfait est dû pour chaque mesure de présentées au titre des missions d’aide à
prolongation ; l’intervention de l’avocat au cours de la garde à
vue, de la rétention douanière ou de la retenue
- 150 € HT lorsque l’avocat assiste la pour mineurs de moins de 13 ans, accomplies à
victime lors de confrontations avec la compter du 15 avril 2011.
personne gardée à vue, quel que soit le
nombre de confrontations.
10. Nos propositions
Modification du décret du 6 • Mettre en place une
juillet 2011 qui prévoit pour redistribution sous l'égide de
chaque procédure de garde à l’Ordre
vue, que seul le dernier
avocat intervenant pour la • Mettre en place une
personne gardée à vue ou indemnisation directe de
chaque avocat
la victime perçoit la totalité
de l'indemnisation à charge • Prévoir une indemnisation
pour lui de procéder à la lors du 1er renouvellement
redistribution de notamment en matière de
l'indemnité aux avocats trafic de stupéfiants ou de
intervenus précédemment. criminalité organisée en cas
de renouvellement postérieur
de la mesure de garde à vue
• Mettre en place un système
transparent de désignation
des avocats
11. La question de l’accès au
dossier
Sans accès à l’intégralité de la
procédure, les droits de la défense,
pendant cette phase d’enquête, ne sont
pas garantis, alors même que la CEDH
parle « d’assistance effective » du
gardé à vue par l’avocat.
12. La solution actuelle
Sur la suggestion de notre confrère Olivier Schnerb du barreau de Paris, eu
égard aux récentes décisions rendues en France sur la garde à vue, l'Ordre des
avocats au barreau de Paris, sous la double signature de nos confrères Jean-
Yves Le Borgne, vice-bâtonnier de l'Ordre et de Vincent Nioré, secrétaire de la
commission Pénale, recommande aux avocats intervenant en garde à vue -
partant du principe qu'en aucun cas le gardé à vue ne doit accepter de se
passer d'un avocat et doit exiger sa présence dès le début de la mesure - de se
présenter à l'heure dite et de déposer une lettre ou faire noter au registre,
notamment :
- qu'il n'a pas eu accès au dossier complet de l'enquête,
- qu'il est obligé d'abandonner son client avant que ne commence
l'interrogatoire,
- qu'il n'est, en conséquence, pas en mesure de remplir sa mission.
En effet, l'invocation d'une exception de nullité de la procédure ne doit pas
achopper du fait que la présence de l'avocat aux interrogatoires et son accès au
dossier n'avaient pas été demandés initialement.
13. Modèle de note de l’Ordre
des Avocats
Par la présente, je vous mentionne que je n'ai pu exercer ce jour la défense de Monsieur dans la
mesure où :
- la procédure dont j'ai sollicitée la copie auprès des services de police ne m'a pas été remise,
- il ne m'a pas été permis d'assister aux différentes auditions et plus généralement aux actes qui le
concernent.
En effet, s'il m'a été permis de m'entretenir avec lui, je ne peux assurer une défense effective puisque je
n'ai eu connaissance que du chef de prévention reproché et non des charges qui pèsent contre lui,
étant ainsi tenu dans une totale ignorance des éléments de l'enquête.
Ceci est contraire aux exigences de l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits
de l'homme qui rappelle le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, élément
fondamental du procès équitable.
Ces règles européennes impliquent que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire,
faute de quoi les déclarations incriminantes recueillies et fondant les poursuites portent
irrémédiablement atteinte aux droits de la défense.
Ce faisant, ma présence en garde à vue est dénuée de tout intérêt dans la mesure où je ne peux
assurer aucune défense à Monsieur , gardé à vue depuis heures dans vos locaux, sachant que vos
services ont eux connaissance de toute la procédure, en l'absence de tout respect du contradictoire.
14. Actualités
QPC du 17 février 2012 déposée par le barreau de Bastia : Le Conseil
constitutionnel a censuré l’article 706-88-2 du code de procédure pénale qui
limitait la liberté de choix du gardé à vue en matière de terrorisme en prévoyant
une liste d’avocats habilités à intervenir et parmi lesquels un magistrat aurait pu
choisir un défenseur à la place de la personne mise en cause.
CEDH : 02 février 2012 Fidanci c/ Turquie :
vue au cours de laquelle le suspect a tenu des déclarations sur lesquelles s’est
notamment fondée sa décision de condamnation viole l’article 6 de la Convention
européenne des droits de l’homme.
Une GAV européenne ? La Commission Européenne a proposé le 8 juin 2011
une directive sur le droit d’accès à un avocat dans les procédures pénales et sur
le droit à la communication après l’arrestation. L’objectif de ce texte est de définir
des règles régissant le droit des personnes privées de liberté, des suspects, des
personnes poursuivies et des personnes visées par un mandat d’arrêt européen,
d’avoir accès à un avocat dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre
elles.
15. Merci à tous !
Jean-Bernard THOMAS & Caroline TOBY