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Que peut-on faire, 500ms, avant d’aller
au Théâtre ?
Des difficultés et enjeux soulevés par la temporalité des
sensations conscientes dans la postérité critique des
expériences de Libet
David R.L. ZAREBSKI
Mémoire de Master II réalisé sous la direction de Max KISTLER
UFR10 année 2011–2012
Mémoire_Zarebski_2012
Remerciements
Je tiens à remercier en premier lieu Maximilian Kistler tant pour sa
confiance renouvelée, l’intérêt qu’il porta à ce projet ainsi que, plus générale-
ment, son influence sur mon appréhension de la philosophie contemporaine.
Je ne saurais, en effet, trop insister sur le fait que les conseils d’un cher-
cheur expérimenté possèdent, particulièrement sur de jeunes esprits nourris
de classicisme, une influence d’autant plus décisive qu’ils constituent le pre-
mier contact de ces derniers à la recherche. Je ne saurais évoquer la philoso-
phie de l’esprit sans remercier également Pascal Ludwig tant pour ses cours
que pour la conversation qui me souffla ce sujet de mémoire.
Je tiens également à renouveler cette année encore mes remerciements aux
enseignants du master LoPhiSC dont l’érudition et l’étendue des domaines
de recherche offrent certainement ce qui se fait de mieux en France pour
qui entendrait suivre conjointement l’actualité de la recherche en philosophie
des sciences, philosophie analytique et logique mathématique. Plus parti-
culièrement, j’aimerais adresser un franc soutient au travaux de Nadine de
Courtenay, Jean-Baptiste Rauzy, Jean Fichot, Pierre Wagner, Jean-Baptiste
Joinet, Méven Cadet et Susana Berestovoy.
Un grand merci également à Denis Perrin de l’équipe Philosophie, Lan-
gage & Cognition, Aaron Schurger de l’INSERM-CEA cognitive neuroima-
ging unit et Pierre Fasula de l’équipe EXeCO tant pour leurs conversations
éclairantes en matière de philosophie de l’esprit que, plus généralement, pour
le temps qu’ils consacrèrent à répondre aux questions d’un étudiant.
Enfin, je souhaiterais remercier mes proches pour leur soutient. Mes pen-
sées vont à cet égard à Josette et Émile Benoit ainsi que, tout particulière-
ment, à Lucile Roche pour sa patience et l’aide inestimable que m’apporta
son intérêt pour le cas Libet.
Paris, mai 2012
Mémoire_Zarebski_2012
Table des matières
Introduction 1
0.1 Présentation empirique épurée . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
0.2 Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ? . . . . 13
1 De l’ordre représentant à l’ordre représenté 25
1.1 Précautions préliminaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
1.2 Qu’est ce qui remonte le temps, exactement ? . . . . . . . . . . 36
1.3 La lecture dennettienne du phénomène . . . . . . . . . . . . . 45
1.3.1 La Thèse générale défendue par Dennett . . . . . . . . 45
1.3.2 Lecture dennettienne de AS . . . . . . . . . . . . . . . 62
2 Phénoménologie de la succession 75
2.1 La diversité des intuitions et motivations cinématiques . . . . 75
2.1.1 La conception causale de la perception l’ordre . . . . . 76
2.1.2 Qu’advient-il durant la 500ème milliseconde ? . . . . . 82
2.1.3 Et si tout se passait plus tôt ? . . . . . . . . . . . . . . 99
2.1.4 Une lecture Orwellienne . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
2.2 Dans quelle mesure ces modèles menacent-ils le MDM ? . . . . 112
2.2.1 Difficultés posées par la lecture Dennettienne . . . . . . 112
2.2.2 Les limites de l’Intuition Cinématique . . . . . . . . . . 142
2.3 Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
3 Vers une lecture phénoménale du Présent Spécieux 167
3.1 Un point sur le présent spécieux . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
3.1.1 Une tentative de mise en évidence : Christie/Barresi . . 169
3.1.2 La réponse d’IPP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
3.1.3 Le point où se situe la rupture . . . . . . . . . . . . . . 178
3.2 Phénoménalité du temps et problème de la liaison . . . . . . . 184
3.2.1 Généralisation du problème . . . . . . . . . . . . . . . 185
3.2.2 Ce que nous apprennent les phénomènes visuels . . . . 190
3.2.3 Le problème du signe local et celui de son occultation . 195
v
TABLE DES MATIÈRES
3.2.4 Un MDM policé ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
Conclusion 217
Références 221
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
Liste des figures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
Annexe 239
3.3 Descriptions expérimentales complémentaires . . . . . . . . . . 239
3.3.1 Le flash-lag effect . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
3.3.2 Le mouvement illusoire de la ligne . . . . . . . . . . . . 241
3.3.3 Description d’une machine de Turing . . . . . . . . . . 249
3.4 Schémas et figures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252
vi D.R.L.Zarebski
Introduction
Non sans provocation, le point de départ de cette étude consistera à affir-
mer que la philosophie est, par essence, une science empirique destinée
à éclairer l’expérience et la compréhension que l’esprit peut avoir du monde.
Loin de constituer une de ces revendications consensuelles propres aux in-
troductions d’ouvrages, quel qu’ils soient, nous prenons cette formule en un
sens fort en nous permettant deux remarques d’ordre général relatives aux
rapports entretenus par les sciences et la philosophie. La première, cano-
nique, consiste à souligner la professionnalisation relativement récente de la
philosophie qua discipline. Ainsi, si cette dernière se pratique aujourd’hui à
part dans ce que la nomenclature française appelle une Unité de Formation
et de Recherche, la nature propre de cette discipline consiste précisément à
n’avoir point d’objet propre. Ainsi, pour emprunter la formule aux premiers
mouvements de Sellars 1963, la philosophie constitue-t-elle, par opposition
aux sciences spécialisés, davantage un savoir-que qu’un savoirs-faire.
Toutefois, et en cela consistera notre seconde remarque, peut-on ne pas se
contenter de l’optimisme de Sellars en ce qui concerne l’exercice de cette dis-
cipline. Ce dernier compare en effet le savoir-que au fait de connaître l’effet
de la poussée des jambes sur les pédales d’une bicyclette par opposition au
fait de savoir-faire du vélo. Mais il est à se demander, d’une part, s’il n’existe
pas un savoir-faire ou un savoir-philosopher – ce que la professionnalisation
de la philosophie pourrait laisser penser – et si cette activité serait, d’autre
part, légitime. Or, s’il existait véritablement un savoir-philosopher, celui-ci
n’aurait, pour le coup, besoin d’aucun objet propre puisqu’il n’aurait besoin
d’aucun objet tout court ; les termes de rhétorique ou de poésie viennent plus
spontanément à l’esprit que celui de "philosophie" à cette description. Aussi
convient-il de préciser le sens précis à accorder à cette formule de Sellars soit
de préciser que ne pas avoir d’objet propre ne signifie pas n’avoir point d’ob-
jet possible sur lesquels porter son attention. Or ces objets sont, en dernière
instances, ceux des diverses sciences académiquement indistinguables de leurs
philosophies respectives jusqu’à une certaine époque. En ce sens, aussi abs-
traite ou spéculative soit-elle, la philosophie constitue bel et bien une science
1
Introduction
empirique puisque d’objets empiriques potentiellement très différents les uns
des autres : artistiques, politiques ou scientifiques.
Temps et conscience : la perspective historique externe Laissant
pour l’instant la dimension scientifique de côté, il convient de remarquer
l’existence d’un objet singulier par le rôle qu’il tient dans l’exercice même de
la philosophie : l’esprit, à la fois sujet et objet, oeil et image, transcendan-
tale et empirique, etc. S’il est impossible d’énumérer toutes les formules qui
accompagnent les différentes appréhensions historiques de cette singularité,
il apparaît toutefois intéressant de remarquer les rapports intimes entretenus
par la conscience et le temps dans l’histoire de la philosophie, qu’il s’agisse
d’un rapport cognitif au temps comme chez Augustin d’Hippone, d’un rap-
port constitutif comme chez Hegel, ou, de ce qui s’apparente à une identité
de la conscience à la durée chez Bergson. L’on portera, premièrement une
attention toute particulière à l’importance de la dimension subjective chez
la plupart des auteurs concernés à la fois par le temps et la conscience. La
raison n’en est autre que le rapport direct et spontané que l’esprit a à sa
propre temporalité. Que l’on préfère parler de flux, d’esprit dialectique ou
encore de durée au sens bergsonien du terme, une idée similaire traverse les
ages : la conscience est temporalisée ne serait-ce que parce qu’elle apparaît
temporalisée à elle-même. Ainsi,
Il y a une réalité au moins que nous saisissons tout du dedans, par
intuition et non par simple analyse. C’est notre propre personne
dans son écoulement à travers le temps. C’est notre moi qui dure.
Nous pouvons ne pas sympathiser intellectuellement, ou plutôt
spirituellement avec autre chose. Mais nous sympathisons sûre-
ment avec nous même 1
.
L’on remarquera également que cette temporalité de la conscience consti-
tue le vecteur privilégié de la connaissance de la temporalité physique mon-
daine. Ainsi est-ce parce que les présents se succèdent que l’âme saisit le
temps intra-mondain – Dieu n’est, en tant que créateur, pas soumis à un
temps commensurable à celui de la créature – en Augustin 1993, aussi
est-ce parce que l’esprit passe de l’immédiateté de la certitude sensible ici-
maintenant-un-arbre (être) à la négation de cette vérité que le devenir entre
en scène dans les premiers moments de Hegel 1807. Nous qualifierons cette
approche d’approche externe ou tournée vers l’extérieur au sens où, à quelques
approximations près, la temporalité de la conscience ou la succession de ce
qui s’y produit est donnée comme telle et investie l’extérieur du crâne, le
domaine de la temporalité physique.
1. Bergson 1938 p.182
2 D.R.L.Zarebski
Temps et états : un oubli de la tradition moderne Mais il est pos-
sible de penser la perspective inverse soit d’interroger l’effet de la temporalité
physique sur celle du flux de conscience. Cependant, de quelle temporalité
physique parlons-nous ? Une première approche, classique ou empiriste, n’est
jamais plus que la réciproque des perspectives phénoménologiques – au sens
très large et inexact du terme – soit la question de savoir si nous pour-
rions avoir une conscience du temps ou un sentiment de durée en l’absence
du moindre changement, ou mouvement dans le monde 2
. Mais une seconde
manière, interne, d’appréhender cette problématique prend un sens tout par-
ticulièrement intéressant si l’on garde à l’esprit qu’un cerveau, de même que
les astres ou l’écoulement d’un fleuve, est soumis à des contraintes tempo-
relles physiques puisqu’il s’agit, en dernière instance, d’un système physico-
chimique d’un certain degré de complexité. Ce point nous amène à revenir
sur la question de l’objet de la philosophie. Celui-ci, avons-nous dit, apparaît
celui de la science que la philosophie accompagne. Or, dans la perspective mo-
derne que nous adopterons dans cet ouvrage, l’esprit, l’âme ou la conscience,
bien que l’on puisse en parler en des termes différents, constituent les produits
d’une activité cérébrale soit un phénomène naturel physiquement réalisé.
Cependant, si une partie de la philosophie classique et plus particulière-
ment la phénoménologie continentale accordait une place prépondérante à la
temporalité de la conscience au détriment de sa possible naturalisation, la
philosophie de l’esprit contemporaine matérialiste présente généralement le
défaut inverse en ce qu’elle concentre généralement ses efforts sur les rapports
qu’entretiennent des états physiques (cérébraux) et mentaux. Typiquement,
les problématiques se formulent en des termes
ontologiques soit la question de savoir si P est identique à Q
causaux soit la question de savoir si Q est une condition nécessaire, suffi-
sante ou nécessaire et suffisante de P
épistémiques soit la question de savoir s’il existe des propriétés de P irré-
ductibles à celles de Q ou encore si Q explique P
Mais il faut remarquer que la composante temps, qu’il s’agisse du temps
physique, cérébral ou de la temporalité intra conscience, n’émerge que rare-
ment à cette échelle macroscopique. Ce fait ne tient pas d’un physicalisme
latent en cela que même des auteurs très souples dans leur matérialisme
n’insisteront pas sur la nature intrinsèquement temporelle de la conscience
comme pouvaient le faire le spiritualisme de jadis. La raison en est que la
notion même d’état, certes utile pour appréhender bon nombre de probléma-
tiques, porte en elle une idée d’instantanéité. Ces deux propriétés constitu-
2. L’on se souviendra du temps qua mesure du mouvement d’Aristote.
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 3
Introduction
tives – instantanéité et macroscopie – de la notion d’état constituent autant
d’entraves à l’individualisation des états ainsi qu’à un certain nombre de
problématiques difficiles à souligner avec un grain si gros.
A titre d’illustration, la notion d’état physique ne distingue pas entre
l’activation d’une portion de V4 – quatrième portion de l’aire visuelle – et
l’activation d’une portion de V4 et de V5. En d’autres termes, nous ne savons
tout simplement pas s’il nous faut entendre par état physique une activation
locale, fonctionnelle – la totalité des aires visuelles, par exemple – ou la
totalité des activations corticales à un temps t (problème de l’échelle). De
même, la notion d’état neural ne se prononce pas en faveur de l’identité ou
de la différence d’un potentiel évoqué de 150ms localisé en un point précis du
cortex avec ce même potentiel évoqué prolongé 200ms (problème du temps).
Les états mentaux, loin d’échapper à ces concaténations, souffrent des
mêmes difficultés. Ainsi la notion d’état-mental ne différencie-t-elle pas plus
le fait de voir du bleu du fait de voir une femme vêtue de bleu traverser la
route (problème de l’échelle) qu’elle ne se prononce sur l’identité de l’effet
que cela fait d’écouter un DO♯ pendant une seconde avec l’effet que cela fait
d’écouter un DO♯ pendant deux secondes (problème du temps). Pour le dire
autrement, de même que la Société des Nations, la notion d’état ne nous dit
ni quand ni où tracer les limites d’un état ; il nous faut le plus souvent nous
contenter de tracés antérieurs déjà établis dans des circonstances différentes
du besoin présent.
Le temps retrouvé ? Or, quel serait, pour poursuivre avec cette analo-
gie, le besoin présent ? Si les crises constituent ce dernier dans le champ de
la politique internationale, nous présenterons l’équivalent de cette crise du
côté de la naturalisation de la conscience – l’expérience de Libet en sec.0.1–
sitôt résumées quelques intuitions matérialistes raisonnables. Ces dernières
entendent rendre aussi bien compte d’exigences scientifiques que, pour les
nommer ainsi, phénoménales.
α : temps physique La totalité de l’activité cognitive (humaine ou non)
repose sur les actions du cerveau soit, en dernière instance, un système
physique (électro-chimique) soumis à la temporalité physique à l’instar
des autres événements naturels.
β : matérialisme La conscience, prise au sens historique vague, constitue
une des nombreuses opérations de l’activité cognitive humaine.
γ : temps de la conscience L’ordre des phénomènes –i,e la représentation
subjective de l’ordre des événements– existe 3
. En d’autres termes, il y a
3. Par souci de concisions, nous aurons soin d’adopter certaines conventions de vo-
4 D.R.L.Zarebski
un sens à parler d’un flux de conscience ou d’une temporalité de l’esprit
relativement à l’esprit lui-même.
ζ La temporalité de l’activité cérébrale contribue à produire celle du flux de
conscience.
Ces prémisses apparaissent relativement satisfaisantes en comparaison de
la conclusion ζ. Ainsi, qu’entend-on par contribution ? Il est trivialement
vrai de dire que la temporalité de l’activité neurale contribue à celle de la
conscience entendu que le terme de contribution n’engage à rien. A titre
d’illustration, le terme ne dit ni si la succession d’états mentaux map une
quelconque succession d’états neuraux ni le contraire. Dans le même esprit,
l’on s’attendrait à ce que des considérations relatives aux propriétés spatiales
du cortex interviennent entendu que la simultanéité ne dit pas en quel point
de l’espace deux potentiels évoqués apparaissent simultanés. Enfin, nous ne
savons tout simplement pas si le dit "ordre des phénomènes" correspond de
quelque manière que ce soit à l’ordre de deux événements neuraux discrets 4
.
Il suffit de s’imaginer, exemple simpliste, que la stimulation de la fibre-DO –
une corde mentale pour ainsi dire – produise la sensation d’entendre un DO
pour suggérer le problème : dans le cas où l’activation serait prolongée plus
de deux secondes d’une manière continue, sommes-nous assurés que le sujet
entendra une seule note prolongée ? Si tel était le cas, de quoi dépendrait
alors l’ordre perçu des deux phénomènes début de la note, fin de la note ?
Le mérité d’expériences comme celles menées par Libet est de poser ex-
plicitement ces questions tout en 1) forçant d’éventuels commentateurs à se
prononcer en faveur d’assertions moins parcimonieuses que la "contribution"
de ζ et 2) questionnant certaines de nos intuitions relatives à la réalisation
physique de la temporalité du flux de conscience qui ne nous est pas acces-
sible en première personne. Que la conscience puisse être à la fois sujet et
objet ne veut pas dire que ces éléments du doublet s’identifient ; un oeil ne
peut se voir sans miroir.
cabulaire. Il n’apparaît pas nécessaire de préciser par "phénomènes", phénomènes perçus
entendu que, par définition, si quelque chose est un phénomène, il l’est pour quelqu’un ou
quelque chose (telle un dispositif matériel d’observation comme un radar, par exemple) :
"phénomène perçu" est un pléonasme. Aussi parlerons-nous de l’ordre et de la durée des
événements pour parler de temporalité physique.
4. Nous serons souvent amené à user des notions d’ordre dense et discret pour décrire
certains des phénomènes auxquels nous aurons à composer. Au sens strict, un ordre est
dit dense – ex < sur R – ssi, pour tout éléments en relation, il en existe un entre les
deux. A contrario, un ordre est dit discret – ex < sur N – ssi, pour le dire rapidement,
tout élément possède un immédiat successeur (resp. prédécesseur). Nous parlerons, par
analogie, d’événements discrets lorsque ces derniers seront temporellement distinguables
soit, pour ainsi dire, lorsqu’il n’y a rien entre eux à l’instar de 3 et 4 dans l’ordre des
nombres naturels.
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 5
Introduction
0.1 Présentation empirique épurée
Présenter les expériences de Libet relatives à la temporalité et de la per-
ception tactile via Libet 1981 constitue à la fois une bonne et une mauvaise
stratégie ; bonne en cela que le ton et la présentation y sont plus concis qu’en
Libet 1979, mauvaise en cela que nombre d’affirmations et de leviers argu-
mentatifs reposent sur ce même Libet 1979. Aussi prendrons-nous soin de
signaler chaque fois qu’un fait posé comme tel reposera sur ces investiga-
tions précédentes sans entrer pour l’instant dans une phase de commentaire
critique. L’objet de cette présentation est éminemment descriptif 5
. Les in-
vestigations relatives à la temporalité des sensations menées en Libet 1979
tendent à montrer deux faits spectaculaires.
1. Qu’il existe une latence (delayα) entre le début de l’activité corticale
induite par un stimulus et son adéquation neurale, soit le moment à
partir duquel une sensation émerge et peut être rapportée par le sujet 6
.
Celle-ci s’élève à 500ms pour la plupart des stimuli (100ms pour les
stimuli les plus intenses, précise Libet 7
)
2. Qu’au terme de cette adéquation neurale, le moment de ce stimulus est
automatiquement renvoyé, daté dans le passé au moyen d’un signal de
temporalité 8
.
Comme nous l’avons dit, il s’agit là davantage d’une présentation des
résultats de 1979 que de la présentation du matériau empirique sur lequel
ces derniers reposent. Ces deux propriétés supposées de la perception du
temps découlent des considérations expérimentales suivantes.
5. Nous ne présenterons ici que la version allégée de l’expérience telle que la présente
Libet 1981. Dans un souci de concision et de clarté du propos, les présentations techniques
et précises des expériences à venir feront l’objet de développements explicites en annexe
plutôt que dans le corps de texte, lui, philosophique.
6. "There is a substantial delay before cerebral activities initiated by a sensory stimulus,
achieve "neuronal adequacy" for eliciting any resulting conscious sensory experience". ibid.
p.182. Etant donnée la multiplicité de latences dont nous serons amenés à parler, il apparaît
plus commode de nommer chacune d’entre-elles. Ainsi, delayα sera la latence entre le début
de l’activation corticale et le moment où a prolongation de celle-ci pourra provoquer une
sensation (i,e. une sensation rapportée a posteriori). Ce temps de latence sera parfois
appelé Minimum train duration (MTD) ; appellation que nous serons amenés à rencontrer
dans nombre de commentaires.
7. Nous serons amenés par la suite à distinguer en sec.2.1.2 différentes acceptions et
réalisations de l’intensité d’un stimulus. Interviennent en réalité trois facteurs que sont
l’intensité électrique d’une stimulation (en mA), la fréquence des impulsions et la durée
de la stimulation.
8. "After neuronal adequacy is achieved, the subjective timing of the experience is (au-
tomatically) referred backwards in time, utilizing a "timing signal"" Libet 1981 p.182
6 D.R.L.Zarebski
0.1. Présentation empirique épurée
Figure 1: Parcours de l’influx nerveux dans le cas d’une sensation tactile
Généralités : la neurologie de la perception tactile Il convient, pre-
mièrement, de distinguer deux moments dans l’activation du cortex relative
à une sensation : le potentiel évoqué primitivement (primary evoked potential
ou PEP) et le potentiel évoqué tardivement (late evoked potential ou LEP).
Pour ce faire, une présentation succincte de la neurologie de la perception
s’avère nécessaire. Il est possible de produire une sensation via la stimulation
électrique directe du gyrus post-central. La localisation subjective de cette
sensation, tactile en l’occurrence, correspond à celle de la région contrala-
térale stimulée. En d’autres termes, il est possible cartographier les régions
sensibles du corps humain comme autant de régions de ce gyrus post-central 9
.
Dans le cas d’une stimulation d’une stimulation normale –i,e. d’une stimula-
tion de la peau– se produit une activation ascendante qui termine sa course
dans les dernières couches du cortex somato-senseur primaire. Le chemin
standard d’une sensation tactile apparaît schématisé en fig.1.
Ce qu’il faut savoir, à ce stade, et sans détailler outre mesure la neuro-
anatomie de la perception 10
, c’est que les premiers influx atteignent le gy-
rus post-central 10 à 25ms après la stimulation et produisent cette réponse
électrique observable du cortex qualifiée de primary evoked potential (PEP).
Toute stimulation à une étape antérieur au gyrus post-central (Cf fig.1) pro-
duira à la fois ce même PEP et une sensation tactile consciente car commu-
nicable par le patient (i,e. ce qui se manifeste par un LEP). En revanche,
une stimulation directe du gyrus post-central, quant à elle, produira, si pro-
longé suffisamment longtemps, une sensation consciente (puisqu’un LEP)
mais point de PEP 11
.
9. Voir fig.3.14 p. 253
10. A titre de complément, une version plus détaillée des étapes d’activations pourra
être trouvée en fig.3.13 p.252
11. "On the other hand, appropriate electrical stimulation at the outer surface of the sen-
sory cortex (postcentral gyrus) can elicit the localized sensation and certain electrophysio-
logical changes but not the "primaryevoked potential" (nor the specific neuronal responses
representedby this potential) (e.g., Libet 1973)" Libet 1981 p.184
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 7
Introduction
Ceci posé, il nous faut préciser quelques point avant de présenter les ex-
périences à proprement parler. Il nous faut, premièrement, remarquer qu’une
stimulation directe du cortex (C) nécessite d’être prolongée au moins 500ms
pour qu’une sensation (i,e. une sensation consciente communicable, rétros-
pectivement, par le patient) émerge. Contrairement à la stimulation du cor-
tex, la stimulation de la peau (S) ne nécessite pas une période si longue bien
que l’activité subséquente du cortex, elle, continue plus longtemps : un simple
influx ponctuel suffit et le fait de prolonger la stimulation (S) ne semble pas
affecter les résultats 12
. Enfin, notons les trois faits marquants suivants.
Insuffisance du PEP seul Delayed Neuronal Adequacy with Cerebral Sti-
muli : PEP, à lui seul, ne suffit pas à produire une sensation. Il ne le
peut que s’il s’accompagne d’un LEP 13
, ce qui se produit s’il dure plus
longtemps que 100ms.
Occultation et intensification rétroactive de S-sensation 14
Lorsque S
est suivi, au moment où son influx atteint les régions corticales, d’un
C relativement puissant, on observe alors, selon les cas, soit une inten-
sification du ressenti de S, soit une suppression de la sensation-S 15
. C
peut être commencé près de 500ms après S et tout de même modifier la
perception de S bien que dans la majorité des cas aucune modification
probante ne survienne pour S-C>200ms 16
.
Les temps de réaction Les expériences menées sur les temps de réaction
par Jensen 1979 remettent en question certaines de nos intuitions re-
latives à ce qui est ou non accessible au sujet lors de sa réponse à
un stimulus. Le fait est que ce type de test, très répandu, repose sur la
corrélation d’un stimulus (visuel notamment) et d’une réponse, motrice
(consistant généralement en la pression d’un bouton), avec l’idée que
l’intervalle temporel exprime quelque chose comme le temps nécessaire
à la conscience du stimulus, au traitement de ces données et à l’ac-
tion de réponse (contrôle moteur). Or, lorsqu’il est demandé aux sujets
12. "[...]repetition of pulses has a relatively unimportant effect on threshold intensity"
Libet 1981 p.185.
13. Libet et al. 1967 Libet 1973
14. "Retroactive Masking and Enhancement of Skin-Induced Sensations". Nous désigne-
rons par la suite les sensations produites par X du nom de X-sensations.
15. Les modalités techniques ainsi que les explications avancées pour rendre compte
de ce phénomène ne nous intéressent pas pour l’instant. Le fait est que Libet lui-même
n’avance que des hypothèses relatives aux positions du cortex et renvoie à Libet 1973 et
Libet 1978. Nous reviendrons à cette question en sec.2.1.2.
16. 200ms auxquels il convient, explique Libet, d’ajouter 100ms, ce qui porte en réalité
la période d’influence possible de C sur S de 200-500ms à 300-600ms. Ces détails feront
eux aussi l’objet d’un développement ultérieur plus conséquent.
8 D.R.L.Zarebski
0.1. Présentation empirique épurée
Figure 2: Comparaison de S et C : première situation
d’augmenter délibérément ce temps de réponse d’un certain intervalle
donné 17
, il s’avère que ces derniers en sont totalement incapables. En ef-
fet, du temps de réaction minimum d’environ 250ms dans des situations
standards, l’expérience de Jensen révèle une profonde discontinuité des
minima des réactions lorsqu’une semblable consigne est formulée (de
l’ordre de 500 à 1000ms) 18
.
If it is assumed that deliberate control of reaction time would first
require that the subject become consciously aware of the stimulus,
Jensen’s data provide further evidence that the production of
the conscious experience involved a substantial cerebral delay ; it
also implies, in accordance with other kinds of studies, that the
usual, quick (non-deliberated) reaction is made before conscious
experience of the stimulus has developed, and that the cognitive
processing and decision to act can be developed unconsciously
(e.g., Libet 1965) 19
.
17. Libet n’est pas très précis au sujet des moyens dont disposent les sujets pour mesurer
cette latence supplémentaire ; point pourtant central. Nous nous en tiendrons pour l’instant
à cette exposition.
18. En développant ce point, Libet entend répondre à l’argument de Churchland 1981b
selon lequel il vaudrait mieux tester les temps de réaction des sujets plutôt que nous en
remettre à leurs introspections rétrospectives. Pour Libet, le fait de répondre à une certaine
vitesse à un stimulus ne saurait prouver que le patient ait été, dans cet intervalle de temps,
conscient de la sensation en question ; ce que montreraient les discontinuités observées par
Jensen 1979. Pour schématiser le raisonnement, nous pourrions dire : 1) les temps de
réaction standard sont réguliers 2) une consigne supposant l’introspection et la conscience
de sentir produit des discontinuités ergo 3) cette dernière n’intervient pas lors réactions
rapides normales mais plus tardivement.
19. Libet 1981 pp.185-6. Cette précision constitue une réponse à Churchland 1981a
et à son argument des temps de réaction que nous ne détaillerons pas ici. Contentons-
nous pour l’instant de noter la touche épiphénoménale de la thèse de Libet : dans un
fonctionnement normal, point besoin de conscience pour que la réponse appropriée se
produise. La conscience phénoménale intervient après la réponse motrice et ne joue donc
pas de rôle causal dans cette dernière.
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 9
Introduction
Figure 3: Comparaison de S et C : seconde situation
Première expérience : C et S Pour en venir maintenant au support
expérimental stricto sensu, celui-ci se décompose en deux expériences. La
première consiste à comparer les résultats obtenus en synchronisant de di-
verses manière le début de (S), une stimulation de la peau de la main droite
et celui de (C), une stimulation la région du gyrus post central correspondant
à la main gauche pour demander, à la fin de chaque phase de test, ce que le
patient a senti en premier : "gauche avant droite", "droite avant gauche" ou
"simultanées" 20
.
On s’attendrait à ce que, dans le cas où S et C seraient déclenchés si-
multanément (Cf figure 2), en raison de latences similaires – aux 20ms près
nécessaires à l’influx pour parvenir au cortex – le patient rapporte avoir senti
simultanément S-sensation et C-sensation 21
. Or, étonnamment, tel n’est pas
le cas : le patient indique avoir ressenti S-sensation avant C-sensation. Il en
va également de même lorsque S est déclenché bien après le début de C. Pour
peu que le signal de S parvienne – Cf fig.3 – dans le cortex avant la fin de la
stimulation C nécessaire à produire une sensation, patient rapportera avoir
senti S-sensation avant C-sensation. Nous serons amenés à montrer par la
suite que ce phénomène résiste aux variations de durée du delayα ; ce que
résume la citation suivante.
It was found that S was experienced before C even when the S
pulse was delivered well after the onset of the C stimulus, in fact
at any time before the end of the C train of pulses required at
sensory cortex. This was true whether S and C stimuli were both
at the liminal threshold strengths (when minimum duration of C
would be about 500 msec), or S and C were both set for a so-
mewhat greater (matched) intensity at which minimum duration
20. A noter toutefois que l’interprétation par la simultanéité de l’absence de différence
notable ne fait pas l’unanimité parmi les commentateurs de Libet. Nous reviendrons en
sec.2.1.4 sur ce point.
21. "[...]one might have expected that the subjective timings for both the S and C expe-
riences would be similarly delayed." Libet 1981 p.186
10 D.R.L.Zarebski
0.1. Présentation empirique épurée
of C was 200 msec 22
.
En d’autres termes, l’ordre subjectif des sensations ne semble pas cor-
respondre à celui de ce qui les réalise neuralement. Libet explique alors que
deux choix s’offrent à celui qui entendrait expliciter ces résultats. Il peut,
premièrement, avancer que les réalisations physiques de S-sensation diffèrent
de celles de C-sensation si bien que, en réalité, le delay de S-sensation serait
en réalité bien plus court que celui que l’on imagine en observant la latence de
l’adéquation neurale présumée de ce stimulus par rapport à son initiation 23
.
Libet écarte cependant cette hypothèse, jugée ad hoc quoique envisagée par
Libet 1979, dans la mesure où celle-ci oblige à spéculer l’existence d’un
autre processus neural responsable de la même sensation ; une S-sensation et
une C-sensation apparaissant, semble-t-il, qualitativement indistinguables, il
semble en effet inélégant d’avancer que S serait ressenti avant le delayα plu-
tôt qu’à son terme (comme cela semble être le cas pour C), d’avancer que S
contreviendrait à ce que l’on sait de la réalisation neurale de la perception
tactile.
However, in view of the other strong evidence supporting the
proposal for long cortical delays after a skin pulse (see above), as
well as of our reluctance to assign fundamentally different cerebral
processes to producing similar sensory experiences induced by
different stimuli, we generated a second alternative hypothesis 24
.
L’alternative consiste à avancer que la sensation de S serait renvoyée dans
le passé ; Libet parle à cet égard d’antédatation subjective (AS) 25
. Dans ce
contexte, le PEP généré dans le cas de S (et non dans celui de C) tiendrait lieu
de marqueur temporel indiquant au système que l’information qu’il reçoit doit
être datée dans le passé soit, pour ainsi dire, antedaté. Nous n’entrerons pas,
dans cette modeste présentation des données empiriques, dans d’insondables
spéculations relatives à ce que signifie qu’une sensation est renvoyée dans
le passé. Nous nous contenterons pour l’instant de noter, à l’instar de bien
d’autres commentateurs de Libet, l’ambiguïté de cette formule malheureuse
22. ibid. p.186
23. "One possible inference from these experiments would obviously be that experience of
a skin-induced sensation is elicited at cerebral levels after a much shorter delay than that
for the cortically-induced sensation. " ibid. p.186
24. ibid. p.186
25. Nous traduirons par ce nom le mécanisme de datation dans le passé qui constitue le
coeur de la thèse de Libet, plutôt que par les néologismes substantivés dont usent certains.
Il n’est en effet pas commode de traduire dans un français élégant et léger l’expression
complète "referred backwards in time". De plus, ce terme correspond relativement bien à
l’expression "antedated" dont use parfois Libet.
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 11
Introduction
sur laquelle nous reviendrons en sec.0.2. Dans la mesure où C ne s’accom-
pagne pas d’un PEP et que ce dernier tient lieu, dans l’hypothèse considérée,
de marqueur responsable de ce mécanisme de renvoi dans le passé, il appa-
raît alors tout à fait normal que S soit, jusque dans certaines limites, ressenti
avant C ; entendu que la sensation subséquente du premier est renvoyée dans
le passé et non celle du second 26
.
Seconde expérience : S et LM L’expérience d’épreuve 28
, seconde ex-
périence présentée dans l’article, consiste à comparer les valeurs obtenues
lors des stimulations de la peau (S) et du lemnisque médian (LM) 29
. L’in-
terprétation des données dans le cas de cette expérience nécessite toutefois
des précisions supplémentaires. Une stimulation directe du lemnisque s’ap-
parente à celle du cortex en cela qu’il convient de la prolonger pour que se
produise une sensation. Il ne suffit pas d’un unique influx, comme dans le cas
de S, pour qu’une sensation soit ressentie. Cependant, comme dans le cas de
S, se produit, après chaque influx de la série, un PEP 30
.
L’hypothèse se présenterait de la sorte : si S débute de telle manière à
ce que son signal atteigne le lemnisque au début de LM, le patient devrait
sentir S-sensation et LM-sensation en même temps (i,e. il devrait rapporter,
quelques secondes après le test, avoir senti les deux simultanément) puisque
les deux sensations, en raison des PEPs produits par leurs signaux respectifs,
devraient être toutes deux subjectivement antedatées 31
. Les résultats fournis
par Libet 1979, que nous ne détaillerons pas en introduction, confirment
cette hypothèse d’où la conclusion que PEP joue un rôle dans la datation
des événements cérébraux et sert, en quelque sorte, de marqueur temporel,
26. "Such a referral would not occur in the case of the cortical stimulus because no specific
"timing signal" (the primary evoked potential) is generated by that stimulus 27
"Libet 1981
p.186
28. Epistémologiquement parlant, Libet insiste sur le caractère crucial de cette expé-
rience et répond en cela à Churchland 1981a. Les deux hypothèses présentées précé-
demment admettent une résolution expérimentale qui ne repose donc pas exclusivement
sur le choix doctrinal de l’expérimentateur.
29. Cf fig.1 p.7 et, pour davantage de détails, fig.3.13 p.252
30. Il convient en effet de garder à l’esprit qu’une stimulation prolongée un certain temps
(qu’il s’agisse de C ou de S) n’est jamais plus qu’une suite régulière d’influx électriques ;
détail technique sur lequel nous serons amenés à revenir en section 2.1.2. "Each pulse of
the LM stimulus, including the very first one, should and does elicit the same primary
evoked potential that the skin pulse elicits ; thus the LM stimulus should resemble the skin
stimulus in providing the putative timing signal (for referral) at the very start of a train
of pulses." Libet 1981 pp 186-187
31. "If a skin pulse (S) is delivered so as to be synchronous with the beginning of a
stimulus in medial lemniscus (LM, in brain stem), the subject should report that both of
the resulting sensory experiences began at the same time[...]" ibid. p.187
12 D.R.L.Zarebski
0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ?
Figure 4: Résumé des rapports S/C S/LM
de ticket de file d’attente des signaux d’entrée 32
. La fig.4 résume les éléments
empiriques fournis dans cette section. La mention "timing signal" indique la
première occurrence d’un PEP pour les différents signaux.
0.2 Où est exactement le problème (puisqu’il
y en a un) ?
Il est généralement admis qu’une explication précise de la thèse d’un au-
teur doit précéder quelque commentaire que ce soit de cette dernière. Nous
entendons montrer ici deux choses : que ce principe méthodologique, pour-
tant sensé, ne saurait s’appliquer sans schématisme dans le cas présent et
que, stricto sensu, si Libet soutient bel et bien une thèse, celle-ci s’avère trop
ambiguë pour nous permettre de placer le lecteur face à une série de pro-
position en lui disant : "voici la thèse soutenue par Benjamin Libet". Plus
qu’une thèse, nous parlerions plus volontiers d’une manière d’appréhender
un certain phénomène reposant sur une série de principes, certains méthodo-
32. Nous reviendrons plus précisément sur le rapport S/LM en sec.2.1.3. Le fait que le
MTD de LM fasse ou non 500ms n’a pour l’instant aucune importance ; la fig.4 aurait tout
aussi bien pu présenter un LM plus court.
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 13
Introduction
logiques, d’autres d’une nature plus intuitive. Nous nous proposons ici, d’une
part, de suggérer une partie de ces principes afin, d’autre part, d’expliciter le
problème que pose la formulation ambiguë de Libet. Nous entendons montrer
que la difficulté naît de la réunion de trois intuitions matérialistes implicites
suivantes dérivées de celles présentées en p.4 ainsi que des difficultés po-
tentielles que poserait l’abandon d’un de ces principes indépendamment des
autres.
δ Une sensation (i,e. l’acte, le fait de sentir ou de ressentir quelque chose) se
produit dans le temps (intuition dérivée de α).
ψ Une sensation correspond à un événement physique en droit identifiable
(intuition dérivée de α ∩ β).
φ 1) La phénoménologie ou l’unité du flux de conscience repose sur la suc-
cession d’état mentaux (une manière possible de comprendre γ) qui,
en) tant que ces derniers découlent d’une activité neurale, 2) devraient
exister et se succéder comme tels dans le temps (α ∩ β ∩ γ)
En terre inconnue L’introduction de ce que Libet 2004 surnommera plus
tard le "facteur temps de la conscience" (The Temporal Factor in Conscious-
ness) possède un effet majeur sur la formulation des problématiques de la
p.3. Ces dernières peuvent en effet toujours se répartir dans les catégories
respectivement causale, épistémique, et ontologique mais se formulent alors
en des termes bien différents que seraient
causales Combien de temps faut-il prolonger Q pour obtenir P ?
épistémiques Peut-on connaître la durée de P sur la base de celle de Q ?
ontologiques P est-il identique à Q50ms, Q100ms, ...Q150ms ?
La dimension causale apparaissant à première vue la plus questionnée par
les résultats de Libet, concentrons-nous sur cette dernière. Il semble raison-
nable de dire qu’un effet ne saurait précéder temporellement parlant ce qui
le cause. Il semblerait que ce soit en ce sens que Libet parle d’un défis pour le
matérialisme. On s’étonne alors que, dans le même temps, Libet apparaisse
à plusieurs endroits catégorique sur au moins un point : son mécanisme ne
viole ni les données recueillies, ni les dits principes neurophysiologiques ni,
encore, la théorie de la correspondance du mental et du physique.
Evidence that led to the hypothesis of a backwards referral of
conscious sensory experiences in time, and the experimental tests
of its predictions, is summarized. Criticisms of the data and the
conclusion by Churchland that this hypothesis is untenable are
analysed and found to be based upon misconceptions and faulty
14 D.R.L.Zarebski
0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ?
Figure 5: Schéma non-paradoxal des rapports S C
evaluations of facts and theory. Subjective referral in time violates
no neurophysiological principles or data and is compatible with
the theory of "mental" and "physical" correspondence 33
.
Nous ne savons en revanche pas en quoi ces principes consistent. Comme
nous nous apprêtons à le souligner, des éléments contradictoires contribuent
à obscurcir le sens même à accorder à cette notion d’antédatation subjective.
Nous nous proposons de lister ci-dessous les éléments obscurs ou contradic-
toires de la "thèse" de Libet pour dégager dans un second temps la probléma-
tique implicite soulevée par ses formulations. Les points suivant se veulent
davantage suggestifs aussi seront-ils détaillés au cours d’un développement
plus tardif. Nous n’entendons ici qu’approcher la difficulté faute de pouvoir
en détailler tous les aspects.
Où se produit l’inversion ? La fig.4 donne la désagréable impression
que les sensations consécutives, respectivement, de S et de LM remontent
le temps, pour ainsi dire, pour survenir avant ce qui les provoque 34
. C’est
en raison de semblables formulations malheureuses que les thèses de Libet
ont attiré les foudres de Churchland 1981b, Danto 1985, Glynn 1990 ou
encore Wood 1985 et Nelson 1985. Cependant, ce type de formulation est
totalement étrangère à Libet qui, prudemment, préfère parler de référence,
dans le passé, des stimuli en question. L’effet d’une semblable prudence n’est
autre que l’ambiguïté qui accompagne le mécanisme présenté. Certes, l’on
pourrait présenter les résultats au moyen des fig.5 et 6 mais, sont-elles seule-
ment conformes à ce que Libet à l’esprit ? Bien que Libet 1981 ne l’avance
que tacitement – n’oublions pas que cet article entend répondre à des at-
taques – il semblerait que Libet ait dans l’idée que la fin de delayα (ou du
MTD) constitue le moment auquel une sensation devient consciente, ainsi
33. Libet 1981 p.182
34. Cette manière de comprendre AS met grandement à mal les intuitions α β.
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 15
Introduction
Figure 6: Schéma non-paradoxal des rapports S LM
qu’en atteste la citation suivante 35
:
If a rather long period of activation, e.g., 0.5–1 sec., is a require-
ment for conscious experiences at near liminal levels, this would
constitute a "latency" between the onset of activation and the
"appearance" of the conscious experience" 36
.
Cette idée (intuition φ), d’une part, n’a, intuitivement parlant, rien d’éton-
nant et paraît même, d’autre part, épistémiquement satisfaisante. Du côté
extérieur du crane, du point de vue du scientifique interagissant avec le cer-
veau d’un patient, il apparaît légitime de soutenir quelque chose comme le
schéma suivant :
TD < 500ms → ¬c − sensation ET TD > 500ms → c − sensation
C − sensation survient à la 500e
ms
Or, une semblable conjecture nous confronte à une alternative de lecture
encore moins confortable bien que celle-ci vienne relativement facilement à
l’esprit à première lecture : celle selon laquelle l’ordre rapporté a posteriori
ne correspond pas l’ordre réel de l’expérience phénoménale telle que cette
dernière s’est déroulée entre S, C et la réponse du patient deux secondes plus
tard – Cf fig.7. En d’autres termes, les sujets ne se trompent pas tant sur
l’ordre réel de ce qui se passe dans leurs cerveaux – ce qui, après tout, ne
pose aucun problème entendu que nul ne sait en première personne ce qui
réalise physiquement sa vie mentale – que sur l’ordre réel de leurs sensations
ressenties en première personne ; nous perdons les intuitions γ et φ. Outre des
35. Raison pour laquelle la fig.4 plaçait la putative C-sensation au terme de delayα.
36. Libet 1965 p.84. Bien qu’antérieur à Libet 1981, ce principe méthodologique consti-
tue comme nous l’avons vu l’implicite à l’origine de l’obscurité des formulations de Libet.
16 D.R.L.Zarebski
0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ?
Figure 7: Ordre réel et ordre rapporté
raisons intuitives de douter de cette solution ainsi qu’une série d’arguments
fonctionnels que nous détaillerons en sec.2.2.2.4, il convient de remarquer que
Libet repousse cette possibilité en repoussant le scénario avancé en Chur-
chland 1981a.
En effet, la discussion qui suit le passage de Libet 1981 présenté en sec.0.1
consiste en une réponse aux contre-arguments de Churchland. Ces derniers
se répartissent en deux catégories :1) une réserve relative aux modalités de
fixation des delays et périodes d’activations types que nous passerons sous
silence et 2) une influence de la mémoire à court terme qui permet de dissocier
la sensation véritable des souvenirs de la sensation.
This implies that the subjects are poor at distinguishing sensa-
tions separated by only 100msec. intervals, and consequently, that
reports of simultaneity do not entail simultaneity. As to the test
then, assuming with Libet that the LM sensation starts roughly
200msec. after the stimulus onset, how significant is it that when
the LM and skin stimuli are presented together, they are reported
as felt together ? 37
Churchland parle à plusieurs reprises d’erreur ou d’illusion sans vérita-
blement préciser au sujet de quoi les patients se trompent ; de l’ordre des
delayα comme en fig.5 ou sur l’ordre véritable de leurs sensations comme en
fig.7. Ainsi Libet entend-il distinguer soigneusement les illusions de AS. L’on
pourrait croire, à première lecture, que l’approche de Libet consiste à consi-
dérer l’erreur perceptive comme une donnée à part entière ou, pour user d’un
terme aussi glissant que connoté, que si l’apparaître s’avère faux puisque er-
roné (i,e. contraire à l’ordre physique des événements), ce dernier n’en cesse
pour autant d’apparaître 38
. En d’autres termes, l’on pourrait avancer que
37. Churchland 1981a p.493
38. Il s’agit de l’argument développé par Flanagan 1998.
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 17
Introduction
l’étude de la perception de la temporalité que propose Libet semble reposer
d’une certaine manière sur la robustesse du flux de conscience. Ses formules
emphatiques relatives à l’impossibilité de connaître les relations conscience
/ cerveau autrement qu’en s’en remettant à l’introspection plus tardive du
sujet abondent en ce sens et suggère que le sujet a accès à l’ordre de sa
phénoménalité propre 39
Mais en sommes-nous si sûrs ?
S-sensation plus tôt ? AS Vs illusions Les illusions, explique Libet,
consistent en des distorsions de stimuli causées par la superposition d’infor-
mations contradictoires 40
, là où AS apparaît bien plutôt un mécanisme à
même d’indiquer au système un instant plus conforme à celui du stimulus.
En effet, le PEP survenant très rapidement, ce dernier permet de compenser
les temps de latence de l’adéquation neurale (delayα) nécessaire à ce que
S-sensation survienne.
In subjective referrals there are no distorted perceptions of the
real stimulus configuration, in contrast to sensory illusions ; re-
ferral backwards in time, for example, results not in an illusion
of a "prior entry" before the objective time of the stimulus, but
rather in a more accurate perception of the actual time of the
stimulus ! 41
Nous retombons alors du côté du scénario de l’inversion précédemment
évoqué soit celui selon lequel l’ordre rapporté a posteriori ne correspond pas
l’ordre réel de l’expérience phénoménale telle que cette dernière s’est déroulée
entre C, S et ce mystérieux instant où l’inversion se produit. Toutefois, ce
point ne poserait, au fond, qu’une difficulté relative si Libet s’en tenait à
une et une seule version. Or tel n’est pas le cas. Nous passons tour à tour
de l’idée que S-sensation réclame une période d’adéquation neurale – on se
souviendra de la répugnance à différencier les réalisations de S-sensation et
C-sensation, raison même de l’introduction de l’hypothèse AS – à l’idée que
39. Comme le dira plus tard Libet : "Introspective reports are only indirectly related to
the actual subjective experiences ; that is, they are reports of something not directly obser-
vable by the investigator and are untrustworthy observations. However, unless scientists
can find a way to obtain valid introspective reports, they can never study the profoundly
important question of how our conscious mind is related to our brain" Libet 2004 p.9.
Nous reviendrons à ce point en sec.1.1
40. "(whether referral is in the spatial or temporal dimension). Sensory illusions occur
when one stimulus input is juxtaposed to another stimulus input in such a way that the per-
ception of at least one of the inputs becomes a distortion of the real stimulus configuration
that we know actually exists." Libet 1981 p.195
41. ibid. p.195
18 D.R.L.Zarebski
0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ?
cette sensation n’implique aucune latence ainsi qu’en témoigne la citation
suivante :
[...] subjective timing of the skin-induced sensation would in-
volve no substantial delay after a skin stimulus pulse, whereas
the cortically-induced sensation would appear after a delay equal
to the minimum required duration of the stimulus that elicits it 42
.
L’on pourrait insister sur l’aspect subjectif de ce timing mais en vain ;
la difficulté n’en serait pas pour autant dissipée puisque la fin de delayαS
est également décrite comme l’entrée de S-sensation dans la conscience. De
deux choses l’une, soit S-sensation se produit au terme de son delayα, soit
à l’entrée du signal dans le cortex (PEP) mais non les deux à la fois sous
le même rapport. Il peut s’agir de la manière dont le sujet date a posteriori
sa propre sensation, de sa représentation de sa propre vie mentale, mais
la moindre des choses est encore de le dire. La formulation précédente ne
différencie tout simplement pas ces deux cas de figures puisque "apparition"
("appear") peut tout aussi bien désigner le fait de ressentir (consciemment)
quelque chose à un instant t que celui de se représenter ou se remémorer une
sensation : dans les deux cas, quelque chose "apparaît" en première personne
à un sujet mais il semble douteux d’identifier ces deux cas de figure.
Plus que jamais, la notion d’AS ne nous permet tout simplement pas de
trancher entre deux scenari possibles. Même en décrivant la fig.4 comme une
représentation de l’ordre plutôt que l’ordre véritable des sensations, l’am-
biguïté de son propos ne nous permet tout simplement pas de dire si l’in-
version se produit avant ou après que C-sensation et S-sensation aient été
toutes deux ressenties en première personne (respectivement fig.5 et fig.7). Il
semblerait que cette ambiguïté provienne de que Libet parle simultanément
d’ordre de représentations mentales et de représentation de l’ordre. Pourquoi
ne pas tout simplement parler de représentations de l’ordre indépendamment
de l’ordre dans lequel ces sensations deviennent consciente ? L’expérience de
pensée suivante devrait suggérer le problème posé par cette approche ainsi
que les raisons pour lesquelles Libet ne distingue pas ces deux aspects.
C-sensation plus tard ? Le scénario ad-hoc de Tebil Imaginons que
quelqu’un que nous appellerons, par goût des anacycliques, Tebil, sans pré-
caution empirique aucune, prétende expliquer les données –ou, du moins, le
peu que nous en avons exposé– au moyen de l’artifice suivant : "en réalité
c-sensation survient (Cf fig.8) près d’une seconde après la fin de delayα donc
bien après s-sensation qui, elle, pour des raisons qui lui sont propres, ne sur-
vient qu’un quart de seconde après la fin de son delayα propre. De ce point
42. ibid. p.192
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 19
Introduction
de vue, c-sensation et s-sensation apparaissent dans le bon ordre (i,e. dans
l’ordre conforme à ce que rapportent les sujets testés)." Mais l’on serait alors
en droit de se demander ce qu’il en est des rapports de l’influx nerveux res-
ponsable de c-sensation (i,e. la stimulation corticale devant être prolongée
plus de 500ms) et c-sensation elle-même. Tebil répondra alors : "l’un est la
cause de l’autre, l’effet ne précède pas la cause (je ne crois pas au retour dans
le passé que propose Libet) mais elle ne se confondent pas et ma solution rend
adéquatement compte des données 43
." Que l’on veuille distinguer le moment
de la sensation de la fin de la durée d’activité corticale minimale pour la pro-
duire peut sembler une bonne stratégie bien que celle-ci doive alors rendre
compte des deux implications de ce scénario :
a S-sensation et C-sensation se produisent dans le temps (i,e. dans un temps
réel après les fins, respectivement, de delayα de S et delayα de C ;
intuition δ)
b Neuralement parlant, S-sensation et C-sensation ne correspondent à rien
(nous perdons ψ) 44
Mais l’accord formé de (a) et (b) sonne dissonant. De plus, que se passe-
t-il entre la fin du delayα de C et C-sensation ? Pourquoi un tel retard dans
ce cas et non dans l’autre ? Pourquoi une seconde plutôt que deux ? Te-
bil peut bien avancer que S-sensation et C-sensation auraient tous deux un
temps de retard mais que, en raison de la nature anormale de C-sensation,
celle-ci serait mise en "file d’attente de la conscience" soit ce que certains
surnomment une hypothèse de l’ajournement (Postponement Hypothesis) 45
.
Mais, quoi qu’il en soit pour l’instant de la Postponement Hypothesis, il faut
bien prendre la mesure de ce qu’impliquent (a) et (b) réunis. Si l’on insiste
sur (a), sur le fait que S-sensation et C-sensation se produisent dans le temps,
que l’ordre rapporté correspond à l’ordre des sensations mais que (b) rien ne
correspond, neuralement parlant, à ces instants, l’on ne dit jamais rien de
plus que "l’ordre rapporté correspond à l’ordre dans lequel le patient a res-
43. Ce qui n’est exactement vrai comme nous le verrons en section 2.1.2 : le fait de
réduire la latence de S pour résoudre le problème du rapport S/C le déplace du côté du
rapport LM/S
44. Rien d’identifiable ne semble, à l’observation, correspondre neuralement à ces deux
sensations.
45. Si nous sommes au moins sûr d’une chose au sujet de Libet, c’est que celui-ci refuse
explicitement une semblable solution avancée par Churchland 1981a :"In this hypothesis
both S and C experiences would be delayed, but the cortically-induced one (C) would be "put
on hold"-until it can be "admitted to consciousness" ; i.e., there would be an extra delay
for the C experience.[...] Let me improve on her hypothesis by eliminating the mysterious
"holding" mechanism[...]" Libet 1981 p.193. Nous reviendrons sur cette hypothèse par la
suite.
20 D.R.L.Zarebski
0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ?
Figure 8: Le scénario ad hoc de Telib
senti, consciemment, S-sensation et C-sensation ; ordre que l’on ne saurait
observer en troisième personne" ; ce qui est trivial. La belle affaire de savoir
que si A dit "main gauche avant main droite" c’est parce qu’il a, indépen-
damment de ce que l’on peut ou non observer dans son architecture neurale,
senti sa main gauche avant sa main droite. Il est à se demander qui de Libet
ou Tebil, dans ce contexte, met le plus en péril l’entreprise matérialiste. L’un
parle de renvoi dans le passé, l’autre de sensations suspendues dans les airs
au dessus l’architecture neurale du patient.
Si Tebil affaiblit (a) –nous verrons par la suite de quelle manière– pour
distinguer le temps neural du temps dans lequel c-sensation et s-sensation
surviennent, il parviendra alors à rendre également compte de (b) : rien
d’étonnant que l’ordre, s’il en est un, dans lequel adviennent ces sensations
ne se confonde pas avec celui de ce qui les causent puisque ces deux tem-
poralités diffèrent (on perd alors δ et φ). De cette manière, S-sensation et
C-sensation relèvent de quelque chose comme l’ordre représenté des sensa-
tions ; formulation à bien des égards proche du renvoi subjectif dans le passé
dont nous entretient Libet au point de pouvoir presque se confondre avec une
manière possible de lire cette dernière. Cependant, l’argument selon lequel
Tebil ne "croit pas au retour dans le passé que propose Libet" ne saurait avoir
le moindre sens dans ce contexte entendu que l’on parle alors d’ordre d’une
part et de représentation de celui-ci d’autre part. Mais l’on ne dit, dans ce
cas, rien de la temporalité (physiquement parlant) de ce qui représente ces
mêmes sensations et l’on se trouve confronté à la délicate question de savoir
ce qui se produit au terme du delayα de C 46
. En d’autres termes, ζ, déjà
bien flou, perd toute consistance. Libet semble, par moments, formuler les
choses à la manière de l’ordre représenté des sensations plutôt que l’ordre
des sensations elles-mêmes, bien qu’il serait dans le même temps douteux,
en raison des éléments précédents, qu’il n’ait à l’esprit qu’une représentation
des sensations indépendamment de la question de savoir quand, exactement,
ces sensations émergent dans la conscience et dans quel ordre elles le font.
Cette expérience de pensée appuie l’idée qu’un certain degré de corres-
pondance entre la fin du delayα de C et C-sensation apparaît nécessaire pour
46. Délicate question à laquelle nous reviendrons en section 2.1.2
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 21
Introduction
ne point tomber dans la trivialité d’un raisonnement tel que si A dit "S puis
C" c’est qu’il sent S puis C. Mais, dans ce contexte, on ne sait alors tout
simplement pas ce que subjectivement renvoyé dans le passé peut bien vou-
loir dire. Le problème, pour répondre à l’intitulé de cette section, semble
précisément que l’on ne sait exactement qu’entendre par antédatation sub-
jective. Il semblerait que les sensations, pour Libet, se produisent dans le
temps (i,e. dans un temps comparable à celui des événements neuraux les
provoquant) de par le fait que C-sensation corresponde à la fin du delayα de
C tout comme il semblerait que la réponse du patient dépende de l’ordre des
phénomènes subjectivement ressentis. Mais tout ceci demeure bien vague et,
ainsi que l’explique Libet, "ouvert à la discussion".
L’objet du présent ouvrage consiste précisément en la présentation de
cette discussion entamée depuis le début des années 80. Dans la mesure où la
tension semble porter principalement sur le rôle que joue, ou non, le temps
et l’ordre réels entre ces sensations dans la réponse de A ainsi que sur le
fait qu’une sensation isolée se produise ou non dans le temps – i,e dans
un intervalle de temps physique discret 47
– posons nous la question : est-il
possible de concevoir un présent non problématique dans la conscience ? Plus
généralement, la perception de l’ordre des événements repose-t-il sur l’ordre
des perceptions de ces derniers ? La question précédente a-t-elle seulement
un sens dans un contexte comme celui-ci ?
Plan Nous procéderons à l’étude du débat de la manière suivante. Après
l’introduction de quelques précautions propres à ce corpus 48
, ainsi que la
mise en évidence des conditions auxquelles les résultats peuvent être lus de
manière dualiste 49
, nous présenterons la lecture parcimonieuse défendue par
Daniel Dennett en soulignant l’importance du cas Libet pour sa thèse géné-
rale 50
. Celle-ci revient, rapidement, à dire que le fait de parler du moment
précis où une sensation parvient à la conscience, source des formulations
paradoxales de Libet, constitue le by-produit d’une intuition illégitime ou
d’une confusion répondant au nom de Théâtre Cartésien ; analyse que nous
entendons défendre dans ses grandes lignes.
Puis nous présenterons en chapitre 2 une série d’auteurs peu satisfaits de
la réponse de Dennett. Nous dégagerons par leur biais certaines des limites
et ambiguïtés de son Multiple Drafts Model 51
, pour évaluer la portée de
47. Donc, sur la question du moment auquel A devient conscient de S ainsi que celui
auquel il devient conscient de C
48. Cf sec.1.1 p.25
49. Cf sec.1.2 p.36
50. Cf sec.1.3 p.45
51. Cf sec.2.2.1 p.112
22 D.R.L.Zarebski
0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ?
leurs contre-arguments ainsi que les difficultés plus générales posées par ces
derniers 52
.
Ce dernier point nous conduira à élargir en chapitre 3 le débat et évaluer
de manière plus générale la participation de la temporalité corticale à la per-
ception de propriétés plus complexes et notamment temporelles. Nous nous
proposerons alors en sec.3.2 d’esquisser un élément de réponse aux problèmes
posés par la lecture dennettienne au travers de la notion de présent spécieux
phénoménal ou non réflexif.
52. Cf sec.2.2.2 p.142
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 23
Introduction
24 D.R.L.Zarebski
Chapitre 1
De l’ordre représentant à
l’ordre représenté
1.1 Précautions préliminaires
Une importante glose philosophique Par le sujet même de son inves-
tigation et la nature de ses résultats, l’expérience de Libet a attiré, à partir
de la fin des années 70, l’attention des philosophes de l’esprit et, nous es-
pérons l’avoir mis en évidence, non sans raison. Nous entendons cependant
écarter de cette étude une part importante de cette littérature pour diverses
raisons dont nous entendons ici rendre compte. Indépendamment de la valeur
de leurs contributions philosophiques et du contenu de leurs thèses que nous
partageons pour une partie d’entre elles, Libet tient généralement davantage
lieu d’illustration plus ou moins précise de thèses ou idées diverses comme
en Rey 1991, en Fisk et Haase 2005 ou en Böök 1999. Ainsi est-il le plus
souvent glissé en note de bas de page comme en Lowe 2006 avec plus ou
moins d’à-propos comme en Butterfield 1996 1
.
Si le propos est le plus souvent allusif, il devient par moment approximatif
comme en Beloff 1978 qui néglige de préciser que la mise en évidence du
phénomène d’antédatation subjective repose, point tout de même important,
sur une comparaison 2
, en Von Eckardt Klein 1975 qui use du delayα
1. Les expériences de Libet illustreraient le fait qu’un état mental ne pourrait pas
dépasser la longueur de 0.1sec; corrélat que nous avons manifestement manqué.
2. Le propos est tout simplement incompréhensible sans cette précision. En effet, com-
ment pourrais-je avoir l’impression, en première personne, d’avoir senti C avant de l’avoir
senti ? "Libet the upshot of which is that, when a given train of signals from a weak repe-
titive stimulus to the skin reaches the somaesthetic cortex and eventually gives rise to a
conscious experience of being touched, it is apprehended as if it had been experienced a few
moments earlier, it is ’antedated’" Beloff 1978 p.268
25
Chapitre 1. De l’ordre représentant à l’ordre représenté
comme d’un fait brut soumis à aucune autre variable que le temps 3
, en
Mucciolo 1974 qui grossit le trait pour parler, sans allusion aucune au
caractère extraordinaire et artificiel de ces valeurs, de latences de 5 secondes 4
ou en Lowe 1993 qui ne juge pas bon de préciser – il est loin d’être le seul –
que les résultats de Libet et al. 1983 relatifs au rapport de la prise de décision
avec la conscience de la prise de décision présupposent l’expérience présentée
sec.0.1. Enfin, il relève dans certains rares cas de l’argument d’autorité pur
et simple comme en Dilley 2004. De ce que nous avons vu, Libet ne pense
pas avoir avoir fourni une preuve du "dualisme cartésien" et ne cherchait en
rien une "preuve" du matérialisme ; ce dernier constitue bien plutôt l’acquis
tacite de qui stimule un cerveau pour y trouver la conscience 5
.
Ces différentes approchent apparaissent trop vagues et orientées par des
entreprises dépassant de loin le propos modeste que constitue le présent mé-
moire. Ainsi, bien que nous accordions à Mucciolo 1974 que les résultats de
Libet se prêtent en effet bien mal à une théorie de l’identité et à Lowe 2006
que les résultats sont controversés, nous entendons nous concentrer davantage
sur la possible réalisation physique de certains scenari explicatifs – motiva-
tion visiblement marginale – quitte à renoncer à l’audacieux et passionnant
projet de savoir si, oui ou non, l’esprit est autonome, si les états mentaux
et physiques sont bel et bien identiques ou s’il est possible d’expliquer, en
général, les propriétés des uns au moyen de celles des autres.
La diversité des communautés scientifiques La présentation rapide
de la littérature philosophique suffit à illustrer le fait que les communau-
tés de chercheurs sont susceptibles de se focaliser sur des aspects différents
du problème. Ainsi, si le facteur temps ne joue qu’un rôle mineur au sein
des philosophes de l’esprit, il n’en va pas de même des métaphysiciens du
temps. Cependant, nous avons eu l’occasion de souligner en introduction que
le rapport du temps de la conscience à la temporalité physique pouvait être
appréhendé de plusieurs manières. Des approches comme celle de Le Poide-
vin 2004 adoptent plutôt ce que nous avions qualifié d’angle externe soit la
question de savoir dans quelle mesure la temporalité de la conscience, don-
3. "Recent work indicates that there is a lag between the onset of firing and the onset
of the sensory event of about half a second" Von Eckardt Klein 1975 p.10
4. "Libet has shown that psychological states produced by stimulation of the brain are not
immediate but rather that their occurrence varies from 1/2 to 5 seconds after stimulation"
Mucciolo 1974 p.323
5. "Abandoning Cartesian dualism has serious consequences,so serious that Benjamin
Libet and his co-editors make the plea that since so much is a stake,and the case for
materialism is not yet proved,perhaps we should hold onto our folk psychological ideas [...]"
Dilley 2004 p.137
26 D.R.L.Zarebski
1.1. Précautions préliminaires
née comme telle, permet d’aborder la temporalité du monde physique. La
démarche du philosophe de l’esprit naturaliste serait plus volontiers le com-
plémentaire de cet angle soit la question de savoir comment la temporalité
physique naïve 6
, cérébrale, constitue celle de la conscience. Ainsi ne suffit-il
pas de parler des expériences de Libet avec précision pour que les différentes
entreprises concordent.
Mais le côté scientifique de la table n’est pas non plus exempt de sem-
blables disparités. Dennett faisait à cet égard remarquer que, contrairement
à ce que l’on pourrait penser à première vue, le clivage neurologues / psy-
chologues cognitifs ne consiste pas en ce que les premiers, préoccupés par des
questions "câblage" oublieraient la conscience mais, bien plutôt, qu’ils parlent
avec une certaine liberté de contenus représentatifs qui ne transparaissent pas
dans les descriptions plus formelles ou fonctionnelles des seconds. Ainsi,
Curiously, then, neuroscientists often end up looking like dua-
lists, since once they have ’presented" things in consciousness,
they seem to pass the buck to the Mind, while cognitive psycho-
logists often end up looking like zombists (automatists ?), since
they describe structures unknown to neuroanatomists, and their
theories purport to show how all the work can get done without
having to ring in any Inner Observer 7
.
Cette remarque nous amène à souligner une autre difficulté majeure po-
sée par la diversité de ce corpus ; celle de l’univocité du vocabulaire à travers
ces différentes communautés. Ainsi, peut-on prendre pour argent comptant la
manière dont un neurologue décrit sa thèse du point philosophique ? Outre les
6. Sa naïveté tient à son statut de notion commune ainsi qu’à sa relative conformité aux
intuitions physiques relatives au temps. Ainsi que nous avons eu l’occasion de l’annoncer,
notre démarche adoptera à l’égard du temps physique cette conception approximative suf-
fisante pour aborder les contraintes temporelles qui s’exercent sur le cerveau. Il convient
cependant de noter que ce postulat ne fait pas l’unanimité au sein des commentateurs.
Roger Penrose constitue l’illustration paradigmatique de cette mouvance. Ainsi, à grands
traits, la démarche de Penrose 1989 peut-elle se résumer de la sorte : 1) l’esprit humain
est physiquement réalisé (ibid. pp.1-149). 2) Or, la physique quantique nous apprend que
la matière (ibid. pp.149-296) et le temps (ibid. pp.302-339) ne se conforment pas néces-
sairement à nos intuitions. 3) D’où, ipso facto n’y a-t-il pas lieu de s’étonner de résultats
comme ceux de Libet entendu que l’esprit consiste en dernière instance en des processi
physiques (ibid. pp.439-447). Aussi intéressante qu’apparaisse la démarche, nous ne lui
laisserons aucune place. La raison tient de ce que 1) la puissance de l’outil nous parait
disproportionnée aux besoins présents, 2) que nous ne saurions isoler sa lecture de son im-
posante thèse générale 3) et que Libet tient d’avantage lieu d’illustration rapide de cette
dernière. A cet égard, l’on notera également un brève occurrence en Penrose 1994 p.386 ;
inexploitable pour notre propos.
7. Dennett 1991a p.256
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 27
Chapitre 1. De l’ordre représentant à l’ordre représenté
éléments déjà avancés dans le cas de Libet lui-même, nous aurons l’occasion
de montrer au fil des sections suivantes que la plus grande prudence s’impose
lorsqu’il s’agit d’appréhender la position philosophique d’un professionnel sur
la seule base des qualificatifs dont il use pour décrire sa position. Cela ne veut
pas dire qu’il se trompe – le philosophe n’a pas le monopole sur des termes
comme "théorie de l’identité" ou "représentationnalisme" – mais simplement
que les problématiques avec lesquelles il compose ne se conforment pas né-
cessairement à l’échelle plus générale qui préoccupe un philosophe. A titre
d’illustration, lorsqu’un neurologue décrit, après 1991, son modèle en termes
de "Théâtre de la Conscience" comme en Trehub 2007, ce n’est pas parce
qu’il cite Dennett 1991a que son dit théâtre correspond en quoi que ce
soit au Théâtre Cartésien au sens de Dennett 8
. Nous pourrions croire que le
modèle s’oppose à la dénonciation de cette illusion par Dennett alors même
qu’il n’en est rien : l’échelle ne correspond tout simplement pas. Nous avons
d’un côté un modèle rétinien qui repose, il est vrai, sur l’idée d’un "centre de
la scène" et l’autre une thèse plus globale relative aux illusions consécutives
de certaines expressions glissantes 9
.
Aussi resterons-nous vigilants à la mention d’expressions connotées comme
"qualia", "conscience phénoménale", "Orwellianisme" ou même "Dualisme". Il
n’est en effet pas certains que les zombies de Chalmers 1996, l’expérience
dites des qualia inversés, ou encore la manière dont Block 1998b rendait
raison du Blindsight accompagnent le simple effet-que-cela-fait qu’associe un
neurologue à ces termes. Celui-ci peut très bien ne pas connaître ces ex-
périences et user de termes qu’il juge généraux sans ne jamais s’être posé
la question de savoir si Marie apprend quelque chose lorsqu’elle sort de sa
chambre noire et blanc 10
.
Une illustration : Libet et le "fonctionnalisme" Nous illustrerions
la pertinence de cette précaution au vue même de la manière dont Libet 2004
appréhende en introduction le paysage intellectuel dans lequel il évolue. Celui-
8. Nous présenterons cette notion en sec.1.3
9. "The prevailing opinion in the study of mind is that there is no one place in the
brain where consciousness all comes together. Dennett 1991a has presented an extended
argument in support of the view that the brain creates multiples drafts of experience which
somehow constitute what we call consciousness. I think this is true as far as it goes [...]"
Trehub 2007 p.327
10. Dennett notait avec ironie l’étrangeté de l’usage de la notion de qualia dans cette
littérature : "It is unfortunate that the term, qualia, has been adopted–in spite of my
warnings (Dennett 1988, 1991a, 1994a)–by some cognitive neuroscientists who have been
unwilling or unable to believe that philosophers intend that term to occupy a peculiar
logical role in arguments about functionalism that cognitive neuroscience could not resolve."
Dennett 2005 p.153
28 D.R.L.Zarebski
1.1. Précautions préliminaires
ci énonce en effet les deux principes méthodologiques suivants, raisonnables
au premier abord :
procédure "Introspective report as the operational criterion [...] Any behavioral
evidence that does not require a convincing introspective report cannot
be assumed to be an indicator of conscious subjective experience.
indépendance "No a priori rules for mind-brain relationship [...] Second, even if we
could satisfy Laplace’s condition, we would see only molecular confi-
gurations, not any mental phenomena. It is curious that a substan-
tial group of philosophers, the functionalists, still hold a behavioristic,
Laplacean-like view." 11
L’énoncé de ces principes révèle trois points que nous aimerions souligner.
Premièrement, Libet tend à concaténer théorie de l’identité et fonctionna-
lisme (à la Dennett, notamment) sous l’appellation générale de "reductionist
view" sans véritablement nuancer les manières dont ces différentes thèses
entendent articuler l’esprit et la conscience au tissu neural (identité ou sur-
venance). Si le fonctionnalisme est une doctrine qui consiste individualiser
le composant d’un organisme d’après la fonction de ce dernier plutôt que
d’après ce qui réalise physiquement cette fonction, le béhaviorisme constitue
plus volontiers une méthode d’investigation qui ne dit que peut de chose de
thèse défendue par un auteur. Ainsi la manière dont Libet lie rigidement le
fonctionnalisme – appellation la plus générale qui soit – à cette "Laplacean-
like view" ne correspond pas vraiment aux sens que le philosophe de l’esprit
attache généralement à ces termes.
Deuxièmement, il semble étonnant, comme nous le verrons en sec.1.3, de
voir Dennett dépeint sous les traits d’un béhavioriste entendu que ce der-
nier ne croit pas qu’il soit possible de se dispenser de l’introspection ce qui
apparaît curieusement conforme à la procédure de Libet. Enfin, l’on peut
s’étonner de ce que l’argument dualiste classique selon lequel personne ne
saurait, de l’observation du cerveau à l’échelle micro-structurelle, déduire
quoi que ce soit des événements mentaux du patient d’une manière détermi-
niste (sens à accorder ici à la Laplacean-like view) devienne sous la plume de
Libet un argument contre le fonctionnalisme plutôt que contre que la théo-
rie de l’identité ; historiquement sa victime 12
. La citation suivante illustre
avec d’avantage d’éloquence la concaténation d’idées relatives à l’articula-
tion âme/corps, pour le dire en des termes classiques, avec certains principes
11. Libet 2004 pp.16-7
12. Cette dernière passe d’ailleurs pour la théorie majoritairement adoptée par les phi-
losophes ce qui a de quoi étonner : "Identity theory is probably the most commonly held
philosophical theory for relating the "physical" to the "mental" Hook 1960" Libet 2004
p.87
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 29
Chapitre 1. De l’ordre représentant à l’ordre représenté
méthodologiques.
The general principle to be followed, in contrast to behaviorism,
is that externally observable "physical" events and the inner ob-
servable "mental" events are phenomenologically independent ca-
tegories. The two are certainly interrelated, but the relationship
between them can be discovered only by simultaneous observa-
tions of the two separate phenomena. The relationship cannot be
predicted a priori. Neither phenomenon is reducible to or descri-
bable by the other 13
.
Comment observer simultanément ces deux phénomènes entendu qu’ils
appartiennent à des "catégories phénoménologiquement indépendantes" ? Que
peut bien signifier simultanément puisque l’expérimentateur n’a accès à cer-
taines informations que via le report verbal du sujet soit a posteriori ? Libet
parle bien d’une "relation réciproque" (interrelated) mais n’entre que peu
dans des détails de philosophes qui ne ne le concernent pas ; et à raison.
Le rôle crucial des compléments du nom Dans un registre toujours
linguistique, nous nous permettrons d’attirer l’attention sur une difficulté
propre de ce débat que constitue le passage facile et presque imperceptible
entre des expressions proches quoiqu’antagonistes : conscience du temps et
temps de la conscience, simultanéité des sensations et sensations de simul-
tanéité ou encore ordre des jugements et jugements de (quant à) l’ordre.
Comme nous serons amenés à le montrer, la liste précédente est loin d’être
exhaustive et de nombreux auteurs tendent à jouer sur les mots voire à laisser
planer délibérément de semblables ambiguïtés. Nous interroger dès mainte-
nant sur les raisons de ces ambiguïtés devrait souligner avec davantage de
précision une dimension essentielle du débat autour de Libet que constituele
passage permanent du contenu au véhicule ; distinction que nous entendons
clarifier dans ce paragraphe.
Il existe dans l’histoire une multitude de manière d’affirmer que l’esprit
humain possède la faculté de se représenter le temps, que l’on choisisse de par-
ler d’une intuition a priori de l’expérience sensible à l’instar de Kant ou d’un
agencement en flux mu par les lois universelles de l’incompossibilité comme
dans une partie de la tradition phénoménologique. En dépit de l’antagonisme
des systèmes de savoir à l’origine de ces formulations, tous partagent la ca-
ractéristique commune de dénoter plus volontiers l’operandum que l’operans,
le contenu que le véhicule ou, pour le dire autrement, le temps tel que la
conscience le conçoit ou, sans précaution aucune, le perçoit plutôt que la
13. Libet 2004 p.17
30 D.R.L.Zarebski
1.1. Précautions préliminaires
temporalité de la conscience en elle-même. Les raisons, pour les citer rapi-
dement, tiennent premièrement de la difficulté que constitue une distinction
aussi contre-intuitive. En effet, outre les difficultés techniques sur lesquelles
nous reviendrons, parler d’un temps de la conscience par opposition à la
conscience du temps invite à appréhender la conscience, si ce n’est comme,
du moins à la manière d’un phénomène naturel potentiellement datable dans
une chronologie physique ; perspective nouvelle, possible uniquement dans
une classe réduite du matérialisme.
S’ajoute à cela l’argument de la spontanéité et du fonctionnement quo-
tidien. Le fait est qu’en première personne la temporalité de la conscience
apparaît celle de ce qui s’y passe, celle de la succession de ses contenus, re-
présentations, idées, impressions -ou quel que soit le nom que l’on veuille leur
donner- plutôt que la temporalité de ce qui réalise ces mêmes événements.
Demander si l’on peut, en première personne, se représenter la temporalité
de la conscience plutôt que celle des événements qui s’y produisent apparaît
aussi dénué de sens que de demander si l’on peut avoir mal au cerveau, direc-
tement : le fonctionnement normal de l’esprit n’est pas, à certaines précisions
près, conçu pour se représenter adéquatement, physiquement, sa propre ac-
tivité 14
. Enfin, remarque bien triviale mais qu’il nous faut faire, il ne suffit
pas d’ouvrir un crane pour y découvrir l’esprit aussi, méthodologiquement
cette fois, les investigations empiriques relatives à la temporalité de l’esprit,
si ce n’est de la conscience, dépendent-elles intrinsèquement d’expériences
perceptives rapportées, soit de la perception du temps par l’esprit. Les deux
dimensions apparaissent une fois de plus essentiellement liées.
Joue toutefois en la faveur de cette distinction que lié ne saurait en au-
cun cas signifier confondu, indistinct (identité au sens épistémique, faible) ni
même identique (sens fort pour ne pas dire métaphysique). Nous verrons à
cet égard qu’une partie des difficultés avec lesquelles composent les investiga-
tions empiriques autours de la perception du temps ou de la temporalité de
l’esprit tiennent de cette confusion, que celle-ci soit tacite (glissement séman-
tique, jeux de mots, langue relâchée) ou, au contraire, pleinement assumée.
Nous prendrons au contraire, indépendamment du caractère ou non justi-
fié de cette distinction, grand soin d’éviter cette confusion sémantique aussi
fixerons-nous ces deux expressions au moyen de l’artifice suivant. Puisqu’il
risque de devenir fastidieux de préciser chaque fois conscience de la tempo-
ralité (ou perception du temps) d’une part et temporalité de la conscience
(ou de l’esprit), nous userons de la distinction au combien précieuse véhi-
14. Cela ne veut pas pour autant dire que la problématique, elle, métacognitive de la
représentation de la temporalité de l’activité consciente ou de la cognition elle-même par
l’esprit soit dénuée de sens, loin de là. Cependant, en raison de sa complexité, mieux vaut
la laisser pour un temps
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 31
Chapitre 1. De l’ordre représentant à l’ordre représenté
cule/contenu qui présente au moins l’avantage de sa nature générique. En
effet, si les questions de savoir si la conscience au sens A plutôt que celle au
sens B est responsable de la perception de la temporalité ainsi que celle de
la nature de ce qui est temporalisé (événements physiques, mentaux, sense
data...) ne font pas l’unanimité, on est en droit d’affirmer qu’il existe cepen-
dant une différence essentielle entre les propriétés de ce qui représente (véhi-
cule) et les propriétés de ce qui est représenté (contenu). Aussi userons-nous
dans les cas ambigus des expressions temporalité du contenu et temporalité
du véhicule.
Conscience, consciences ; soyons raisonnables Pour en venir cette
fois à l’indétermination ou la surdétermination de ce concept, il convient
de prendre acte de la polysémie du terme "conscience". La littérature phi-
losophique technique concernée par la vie mentale a mis au point de très
nombreuses et précieuses distinctions susceptibles de clarifier certains phé-
nomènes. Sans que cette remarque ne soit interprétée en des termes intellec-
tualistes, nous aimerions faire nôtre cette provocation de Dennett 1991a
en avançant qu’à la manière de l’amour ou de l’argent, la conscience compte
parmi les phénomènes qui, à la différence des tremblement de terre, dépendent
à bien des égards de leurs concepts 15
. Il existe cependant plusieurs manières
d’appréhender cette dépendance, cette pique.
La plus modeste d’entre toutes consiste à remarquer que les concepts
portant sur la conscience – par opposition à ce dont serait constituée la
conscience si nous prenions la provocation au pied de la lettre – répondent à
des objectifs divers à l’origine de leur constitution. De même que l’argent
peut s’appréhender d’après sa valeur d’usage, comme une devise conver-
tible jusqu’en 1971 en or ou, à une autre échelle, comme la suite de chiffres
qu’un salarié touche à la fin du mois, de même n’y-t-il, en ce sens pris, de
consciences qua concepts – phénoménale, d’accès, de second degré, brute, qua
fonction, qua processi computationnels ou au contraire en première personne,
qua HOT, qua HOE ou qua HOD 16
– que parce que certains aspects de la
vie mentale, d’où de La Conscience, réclament des distinctions adaptées à
des situations paradigmatiques qui mettent à mal l’unité insécable que l’on
attribue à cette chose qui n’en demeure pas moins sujet 17
15. "On the view of consciousness I will develop in this book, it turns out that conscious-
ness, like love and money, is a phenomenon that does indeed depend to a surprising extent
on its associated concepts." Dennett 1991a p.24
16. Nous empruntons cette tri-partition des consciences de degré supérieur, Higher Or-
der, respectivement, Thought, Experience et Description à Carruthers 2000
17. "Perhaps the various phenomena that conspire to create the sense of a single myste-
rious phenomenon have no more ultimate or essential unity than the various phenomena
32 D.R.L.Zarebski
1.1. Précautions préliminaires
Il existe cependant des distinctions ou aspects de la vie mentale au sujet
de l’indépendance desquels il semble bien difficile de douter. A cet égard il
semble y avoir une différence assez évidente entre ce qui relève de la phéno-
ménalité – du fait de sentir, d’éprouver quelque chose au moyen de ses sens –
et le reste des activités mentales entendues au sens large du terme. De même,
il semble à première vue légitime, ainsi que nous l’avions proposé en intro-
duction, de considérer que ces sensations se succèdent dans le temps, que le
fait d’éprouver x, y, z puisse être légitimement décrit en termes d’ordre. Au
niveau 0 de notre réflexion, s’il est possible d’entendre toc, toc à la porte
plutôt que TOC, c’est bien que la phénoménalité se déploie dans le temps.
Cependant, un exemple canonique nous montrera que si ce fait, évident, ne
pose aucun problème in abstracto, que si la distinction va de soi, le fait de
tracer nettement la ligne et d’énoncer des conditions de phénoménalité à la
fois simples et génériques se complique sitôt que le temps intervient.
Prenons l’exemple bien connu du conducteur rêveur sur un trajet connu 18
.
Celui-ci est susceptible de laisser dériver ses pensées pour se rendre compte,
quelques minutes plus tard, qu’il n’a pour ainsi dire aucun souvenir de la
route. En un sens, celui-ci n’était pas conscient de la route bien que, s’il n’en
avait vraiment pas été conscient, il ne serait pas revenu de ses songes entre
les bandes blanches mais bientôt dans le fossé. L’on sent que ce cas invite à
distinguer différents degrés de conscience. Cependant, la question de savoir
si cette distinction peut s’entendre d’après l’opposition conscience d’accès
/ conscience phénoménale à la Block et de savoir 19
, plus généralement si
le conducteur a été phénoménalement conscient durant cette absence sans
que ceci n’ai laissé d’empreinte pérenne dans sa mémoire ou si, au contraire
son pilote automatique ne s’entend qu’en terme de conscience d’accès sans
conscience phénoménale, cette dernière réclamant alors quelque chose comme
une conscience d’avoir été conscient, une réflexivité 20
, ne nous intéressera pas.
that contribute to the sense that love is a simple thing." Dennett 1991a p.23
18. Cet exemple tiré de Searle 1990 est connu pour avoir suscité un débat autour de
la notion d’accès. Celui-ci peut être trouvé en Crick et Koch 1995 et Block 1998a.
19. Au sens strict les sensations ou l’expérience relèvent de la conscience phénoménale,
les représentations ou plus généralement ce qui est mobilisé dans le fonctionnement de
l’esprit ou du corps relève de la conscience d’accès. Cette distinction est typiquement mo-
bilisée pour différencier le syndrome d’Anton – le patient voit mais affirme ne rien voir –
du blindsight – le patient ne voit pas mais parvient à deviner avec un relatif succès les pro-
priétés simples du stimulus placé dans sa zone aveugle. Nous n’adopterons cependant pas
la distinction d’une manière aussi rigide pour les raisons que nous apprêtons à présenter.
20. L’on trouve notamment cette idée, contre-intuitive au premier abord, que la
conscience-P réclame une pensée de second degré en Carruthers 1989 ou Carruthers
2000. A titre d’illustration : " Similarly, a conscious visual experience is one that, besides
causing beliefs about the matter to which the experience relates, and being made available
Master LoPhiSC (année 2011-2012) 33
Chapitre 1. De l’ordre représentant à l’ordre représenté
La raison en est qu’il serait aisé de multiplier le jargon pour étouffer dans
l’oeuf la difficulté posée par les résultats de Libet. A titre d’illustration, nous
avions avancé en sec.0.2 l’idée d’une dissociation de l’ordre des qualia ou
effets que cela fait de sentir sa main droite (resp. main gauche) avec l’ordre
rapporté 21
. Par certains de ses aspects, cette solution peut évoquer quelque
chose comme une dissociation blockeenne appliquée au temps. Cependant,
nous n’emprunterons pas cette voie au sujet de Libet pour trois raisons.
Premièrement, considération quantitative, 500ms ne sont pas les 3 minutes
d’un trajet quotidien. Il peut certes être intéressant de se demander si, et
en quel sens, l’automobiliste a eu une expérience phénoménale pendant ces
trois minutes d’égarement mais nous aimerions dès à présent insister sur le
fait que ces situations ne se placent tout simplement pas à la même échelle.
De plus, il convient de garder à l’esprit que les patients ne se trouvaient pas
à rêver au volant mais bien dans une situation expérimentale réclamant de
leur part un minimum d’attention.
Nous aimerions, deuxièmement, rendre raison de la volonté de Libet
de considérer les rapports rétrospectifs comme l’expression privilégiée d’ex-
périences subjectives (indicator of conscious subjective experience). L’écart
entre les stimulations et les reports ne dépassant pas les quelques secondes,
il est certes possible de considérer que ce temps est suffisant pour que le
sujet se trompe relativement à sa vie mentale – en vérité, rien ne pourra
jamais contredire des hypothèses aussi exotiques – mais cette multiplication
gothique d’instants inaccessibles questionnerait très certainement notre ap-
préhension de l’identité personnelle. Nous ne sommes ni des poissons rouges
ni une armée de schizophrènes qui se succéderaient, ni vus ni connus, dans
le même corps.
Enfin, pour revenir à un ton plus sérieux, il ne semble pas qu’une distinc-
tion à l’origine destinée à rendre raison de certains phénomènes – Blindsight
notamment – puisse s’appliquer sans dommage à toute situation. Appliquer
une distinction aussi nette dans le cas présent conduirait à une conception
insulaire de la phénoménalité, que nous ne défendrons pas. Nous partirons
du principe que si les patients ont dit "main gauche puis main droite" c’est
certes parce qu’ils ont éprouvé ces sensations dans un certain ordre mais en
tant que cet ordre joue un rôle dans les fonctions cognitives d’un individu.
Si l’on accorde à Libet qu’un mécanisme, peu importe pour l’instant sa na-
ture, compense les latences du système nerveux pour fournir un tableau plus
conforme de la réalité que le simple ordre dans lequel des signaux parviennent
to nonconscious motor control processes, is apt to give rise to the belief that just such an
experience is taking place." Carruthers 1989 p.261
21. Voir fig.7 p.17
34 D.R.L.Zarebski
1.1. Précautions préliminaires
au cortex, cette phénoménalité et, plus important encore, son ordre doivent
bien servir à quelque chose. Il n’est que d’imaginer une conversation du Père
Créateur avec l’Archange Gabriel pour se rendre compte de l’absurdité d’une
distinction trop nette entre ce qui relèverait de l’ordre phénoménal et les
données temporelles exploitées par tout le reste du système 22
.
Dieu Je pense m’en être plutôt bien sorti avec ce mécanisme d’antédatation
subjective. Il a été compliqué de s’arranger pour qu’ils sentent les sen-
sations dans cet ordre mais j’y suis parvenu en plaçant un jumper au
bon endroit.
Gabriel Ah, ils pourront donc enfin jouer du piano et répartir des suites de
triolets sur les deux mains sans ...
Dieu Mais que me racontes-tu Gabriel ? Il n’a jamais été question de les
pourvoir d’une vie phénoménale utile. Vois, par exemple, ce patient
de l’Hôpital Mt
Zion de San Francisco. Il dit "main droite puis main
gauche" mais, en réalité, il les a ressenti phénoménalement dans l’autre
ordre. Cela ne fait pas plus de différence dans le cas de report ver-
baux que dans le reste des activités humaines ; l’ordre des expériences
phénoménales ne sert absolument à rien. Au fond, j’aurais pu placer le
jumper ailleurs, inverser l’ordre, sans que cela ne change quoi que ce
soit à leur fonctionnement.
Gabriel Mais pourquoi s’être donné tant de mal ? Des zombies auraient
suffit.
Dieu Par défi personnel. De même que certains mortels fixent des enjoliveurs
chromés aux roues de leurs voitures, je voulais des créatures qui sentent
vraiment quelque chose et, plus élégant encore, qui ressentent les choses
dans un certain ordre mais, je te l’accorde, cela ne sert qu’à faire joli.
En conséquence, nous n’userons pas de la conscience phénoménale au sens
technique et blockéen du terme entendu que celui-ci apparaît trop fort pour
le présent objectif. Ce sens technique oblige en effet à se prononcer sur un
ensemble réflexions relatives au caractère réductible ou non de la dimension
phénoménale de l’expérience ; réflexions certes intéressantes mais développées
dans le cadre d’une philosophie de l’esprit d’état à état pour laquelle la ques-
tion du temps n’intervient qu’en termes d’avant/après conscience. En consé-
quence la simple succession perceptive d’effets que cela fait, de sensations,
suffira dans un premier temps à nos besoins aussi userons-nous du terme de
conscience phénoménale sans présupposer une nette distinction entre ce qui
relève de la phénoménalité et ce qui relève du reste des fonctions. Il est en
22. Nous serons amenés à présenter en sec.2.2.2.4 des arguments supplémentaires contre
cette tentative.
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Mémoire_Zarebski_2012

  • 1. Que peut-on faire, 500ms, avant d’aller au Théâtre ? Des difficultés et enjeux soulevés par la temporalité des sensations conscientes dans la postérité critique des expériences de Libet David R.L. ZAREBSKI Mémoire de Master II réalisé sous la direction de Max KISTLER UFR10 année 2011–2012
  • 3. Remerciements Je tiens à remercier en premier lieu Maximilian Kistler tant pour sa confiance renouvelée, l’intérêt qu’il porta à ce projet ainsi que, plus générale- ment, son influence sur mon appréhension de la philosophie contemporaine. Je ne saurais, en effet, trop insister sur le fait que les conseils d’un cher- cheur expérimenté possèdent, particulièrement sur de jeunes esprits nourris de classicisme, une influence d’autant plus décisive qu’ils constituent le pre- mier contact de ces derniers à la recherche. Je ne saurais évoquer la philoso- phie de l’esprit sans remercier également Pascal Ludwig tant pour ses cours que pour la conversation qui me souffla ce sujet de mémoire. Je tiens également à renouveler cette année encore mes remerciements aux enseignants du master LoPhiSC dont l’érudition et l’étendue des domaines de recherche offrent certainement ce qui se fait de mieux en France pour qui entendrait suivre conjointement l’actualité de la recherche en philosophie des sciences, philosophie analytique et logique mathématique. Plus parti- culièrement, j’aimerais adresser un franc soutient au travaux de Nadine de Courtenay, Jean-Baptiste Rauzy, Jean Fichot, Pierre Wagner, Jean-Baptiste Joinet, Méven Cadet et Susana Berestovoy. Un grand merci également à Denis Perrin de l’équipe Philosophie, Lan- gage & Cognition, Aaron Schurger de l’INSERM-CEA cognitive neuroima- ging unit et Pierre Fasula de l’équipe EXeCO tant pour leurs conversations éclairantes en matière de philosophie de l’esprit que, plus généralement, pour le temps qu’ils consacrèrent à répondre aux questions d’un étudiant. Enfin, je souhaiterais remercier mes proches pour leur soutient. Mes pen- sées vont à cet égard à Josette et Émile Benoit ainsi que, tout particulière- ment, à Lucile Roche pour sa patience et l’aide inestimable que m’apporta son intérêt pour le cas Libet. Paris, mai 2012
  • 5. Table des matières Introduction 1 0.1 Présentation empirique épurée . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 0.2 Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ? . . . . 13 1 De l’ordre représentant à l’ordre représenté 25 1.1 Précautions préliminaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 1.2 Qu’est ce qui remonte le temps, exactement ? . . . . . . . . . . 36 1.3 La lecture dennettienne du phénomène . . . . . . . . . . . . . 45 1.3.1 La Thèse générale défendue par Dennett . . . . . . . . 45 1.3.2 Lecture dennettienne de AS . . . . . . . . . . . . . . . 62 2 Phénoménologie de la succession 75 2.1 La diversité des intuitions et motivations cinématiques . . . . 75 2.1.1 La conception causale de la perception l’ordre . . . . . 76 2.1.2 Qu’advient-il durant la 500ème milliseconde ? . . . . . 82 2.1.3 Et si tout se passait plus tôt ? . . . . . . . . . . . . . . 99 2.1.4 Une lecture Orwellienne . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 2.2 Dans quelle mesure ces modèles menacent-ils le MDM ? . . . . 112 2.2.1 Difficultés posées par la lecture Dennettienne . . . . . . 112 2.2.2 Les limites de l’Intuition Cinématique . . . . . . . . . . 142 2.3 Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 3 Vers une lecture phénoménale du Présent Spécieux 167 3.1 Un point sur le présent spécieux . . . . . . . . . . . . . . . . . 168 3.1.1 Une tentative de mise en évidence : Christie/Barresi . . 169 3.1.2 La réponse d’IPP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174 3.1.3 Le point où se situe la rupture . . . . . . . . . . . . . . 178 3.2 Phénoménalité du temps et problème de la liaison . . . . . . . 184 3.2.1 Généralisation du problème . . . . . . . . . . . . . . . 185 3.2.2 Ce que nous apprennent les phénomènes visuels . . . . 190 3.2.3 Le problème du signe local et celui de son occultation . 195 v
  • 6. TABLE DES MATIÈRES 3.2.4 Un MDM policé ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204 Conclusion 217 Références 221 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221 Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236 Liste des figures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238 Annexe 239 3.3 Descriptions expérimentales complémentaires . . . . . . . . . . 239 3.3.1 Le flash-lag effect . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239 3.3.2 Le mouvement illusoire de la ligne . . . . . . . . . . . . 241 3.3.3 Description d’une machine de Turing . . . . . . . . . . 249 3.4 Schémas et figures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252 vi D.R.L.Zarebski
  • 7. Introduction Non sans provocation, le point de départ de cette étude consistera à affir- mer que la philosophie est, par essence, une science empirique destinée à éclairer l’expérience et la compréhension que l’esprit peut avoir du monde. Loin de constituer une de ces revendications consensuelles propres aux in- troductions d’ouvrages, quel qu’ils soient, nous prenons cette formule en un sens fort en nous permettant deux remarques d’ordre général relatives aux rapports entretenus par les sciences et la philosophie. La première, cano- nique, consiste à souligner la professionnalisation relativement récente de la philosophie qua discipline. Ainsi, si cette dernière se pratique aujourd’hui à part dans ce que la nomenclature française appelle une Unité de Formation et de Recherche, la nature propre de cette discipline consiste précisément à n’avoir point d’objet propre. Ainsi, pour emprunter la formule aux premiers mouvements de Sellars 1963, la philosophie constitue-t-elle, par opposition aux sciences spécialisés, davantage un savoir-que qu’un savoirs-faire. Toutefois, et en cela consistera notre seconde remarque, peut-on ne pas se contenter de l’optimisme de Sellars en ce qui concerne l’exercice de cette dis- cipline. Ce dernier compare en effet le savoir-que au fait de connaître l’effet de la poussée des jambes sur les pédales d’une bicyclette par opposition au fait de savoir-faire du vélo. Mais il est à se demander, d’une part, s’il n’existe pas un savoir-faire ou un savoir-philosopher – ce que la professionnalisation de la philosophie pourrait laisser penser – et si cette activité serait, d’autre part, légitime. Or, s’il existait véritablement un savoir-philosopher, celui-ci n’aurait, pour le coup, besoin d’aucun objet propre puisqu’il n’aurait besoin d’aucun objet tout court ; les termes de rhétorique ou de poésie viennent plus spontanément à l’esprit que celui de "philosophie" à cette description. Aussi convient-il de préciser le sens précis à accorder à cette formule de Sellars soit de préciser que ne pas avoir d’objet propre ne signifie pas n’avoir point d’ob- jet possible sur lesquels porter son attention. Or ces objets sont, en dernière instances, ceux des diverses sciences académiquement indistinguables de leurs philosophies respectives jusqu’à une certaine époque. En ce sens, aussi abs- traite ou spéculative soit-elle, la philosophie constitue bel et bien une science 1
  • 8. Introduction empirique puisque d’objets empiriques potentiellement très différents les uns des autres : artistiques, politiques ou scientifiques. Temps et conscience : la perspective historique externe Laissant pour l’instant la dimension scientifique de côté, il convient de remarquer l’existence d’un objet singulier par le rôle qu’il tient dans l’exercice même de la philosophie : l’esprit, à la fois sujet et objet, oeil et image, transcendan- tale et empirique, etc. S’il est impossible d’énumérer toutes les formules qui accompagnent les différentes appréhensions historiques de cette singularité, il apparaît toutefois intéressant de remarquer les rapports intimes entretenus par la conscience et le temps dans l’histoire de la philosophie, qu’il s’agisse d’un rapport cognitif au temps comme chez Augustin d’Hippone, d’un rap- port constitutif comme chez Hegel, ou, de ce qui s’apparente à une identité de la conscience à la durée chez Bergson. L’on portera, premièrement une attention toute particulière à l’importance de la dimension subjective chez la plupart des auteurs concernés à la fois par le temps et la conscience. La raison n’en est autre que le rapport direct et spontané que l’esprit a à sa propre temporalité. Que l’on préfère parler de flux, d’esprit dialectique ou encore de durée au sens bergsonien du terme, une idée similaire traverse les ages : la conscience est temporalisée ne serait-ce que parce qu’elle apparaît temporalisée à elle-même. Ainsi, Il y a une réalité au moins que nous saisissons tout du dedans, par intuition et non par simple analyse. C’est notre propre personne dans son écoulement à travers le temps. C’est notre moi qui dure. Nous pouvons ne pas sympathiser intellectuellement, ou plutôt spirituellement avec autre chose. Mais nous sympathisons sûre- ment avec nous même 1 . L’on remarquera également que cette temporalité de la conscience consti- tue le vecteur privilégié de la connaissance de la temporalité physique mon- daine. Ainsi est-ce parce que les présents se succèdent que l’âme saisit le temps intra-mondain – Dieu n’est, en tant que créateur, pas soumis à un temps commensurable à celui de la créature – en Augustin 1993, aussi est-ce parce que l’esprit passe de l’immédiateté de la certitude sensible ici- maintenant-un-arbre (être) à la négation de cette vérité que le devenir entre en scène dans les premiers moments de Hegel 1807. Nous qualifierons cette approche d’approche externe ou tournée vers l’extérieur au sens où, à quelques approximations près, la temporalité de la conscience ou la succession de ce qui s’y produit est donnée comme telle et investie l’extérieur du crâne, le domaine de la temporalité physique. 1. Bergson 1938 p.182 2 D.R.L.Zarebski
  • 9. Temps et états : un oubli de la tradition moderne Mais il est pos- sible de penser la perspective inverse soit d’interroger l’effet de la temporalité physique sur celle du flux de conscience. Cependant, de quelle temporalité physique parlons-nous ? Une première approche, classique ou empiriste, n’est jamais plus que la réciproque des perspectives phénoménologiques – au sens très large et inexact du terme – soit la question de savoir si nous pour- rions avoir une conscience du temps ou un sentiment de durée en l’absence du moindre changement, ou mouvement dans le monde 2 . Mais une seconde manière, interne, d’appréhender cette problématique prend un sens tout par- ticulièrement intéressant si l’on garde à l’esprit qu’un cerveau, de même que les astres ou l’écoulement d’un fleuve, est soumis à des contraintes tempo- relles physiques puisqu’il s’agit, en dernière instance, d’un système physico- chimique d’un certain degré de complexité. Ce point nous amène à revenir sur la question de l’objet de la philosophie. Celui-ci, avons-nous dit, apparaît celui de la science que la philosophie accompagne. Or, dans la perspective mo- derne que nous adopterons dans cet ouvrage, l’esprit, l’âme ou la conscience, bien que l’on puisse en parler en des termes différents, constituent les produits d’une activité cérébrale soit un phénomène naturel physiquement réalisé. Cependant, si une partie de la philosophie classique et plus particulière- ment la phénoménologie continentale accordait une place prépondérante à la temporalité de la conscience au détriment de sa possible naturalisation, la philosophie de l’esprit contemporaine matérialiste présente généralement le défaut inverse en ce qu’elle concentre généralement ses efforts sur les rapports qu’entretiennent des états physiques (cérébraux) et mentaux. Typiquement, les problématiques se formulent en des termes ontologiques soit la question de savoir si P est identique à Q causaux soit la question de savoir si Q est une condition nécessaire, suffi- sante ou nécessaire et suffisante de P épistémiques soit la question de savoir s’il existe des propriétés de P irré- ductibles à celles de Q ou encore si Q explique P Mais il faut remarquer que la composante temps, qu’il s’agisse du temps physique, cérébral ou de la temporalité intra conscience, n’émerge que rare- ment à cette échelle macroscopique. Ce fait ne tient pas d’un physicalisme latent en cela que même des auteurs très souples dans leur matérialisme n’insisteront pas sur la nature intrinsèquement temporelle de la conscience comme pouvaient le faire le spiritualisme de jadis. La raison en est que la notion même d’état, certes utile pour appréhender bon nombre de probléma- tiques, porte en elle une idée d’instantanéité. Ces deux propriétés constitu- 2. L’on se souviendra du temps qua mesure du mouvement d’Aristote. Master LoPhiSC (année 2011-2012) 3
  • 10. Introduction tives – instantanéité et macroscopie – de la notion d’état constituent autant d’entraves à l’individualisation des états ainsi qu’à un certain nombre de problématiques difficiles à souligner avec un grain si gros. A titre d’illustration, la notion d’état physique ne distingue pas entre l’activation d’une portion de V4 – quatrième portion de l’aire visuelle – et l’activation d’une portion de V4 et de V5. En d’autres termes, nous ne savons tout simplement pas s’il nous faut entendre par état physique une activation locale, fonctionnelle – la totalité des aires visuelles, par exemple – ou la totalité des activations corticales à un temps t (problème de l’échelle). De même, la notion d’état neural ne se prononce pas en faveur de l’identité ou de la différence d’un potentiel évoqué de 150ms localisé en un point précis du cortex avec ce même potentiel évoqué prolongé 200ms (problème du temps). Les états mentaux, loin d’échapper à ces concaténations, souffrent des mêmes difficultés. Ainsi la notion d’état-mental ne différencie-t-elle pas plus le fait de voir du bleu du fait de voir une femme vêtue de bleu traverser la route (problème de l’échelle) qu’elle ne se prononce sur l’identité de l’effet que cela fait d’écouter un DO♯ pendant une seconde avec l’effet que cela fait d’écouter un DO♯ pendant deux secondes (problème du temps). Pour le dire autrement, de même que la Société des Nations, la notion d’état ne nous dit ni quand ni où tracer les limites d’un état ; il nous faut le plus souvent nous contenter de tracés antérieurs déjà établis dans des circonstances différentes du besoin présent. Le temps retrouvé ? Or, quel serait, pour poursuivre avec cette analo- gie, le besoin présent ? Si les crises constituent ce dernier dans le champ de la politique internationale, nous présenterons l’équivalent de cette crise du côté de la naturalisation de la conscience – l’expérience de Libet en sec.0.1– sitôt résumées quelques intuitions matérialistes raisonnables. Ces dernières entendent rendre aussi bien compte d’exigences scientifiques que, pour les nommer ainsi, phénoménales. α : temps physique La totalité de l’activité cognitive (humaine ou non) repose sur les actions du cerveau soit, en dernière instance, un système physique (électro-chimique) soumis à la temporalité physique à l’instar des autres événements naturels. β : matérialisme La conscience, prise au sens historique vague, constitue une des nombreuses opérations de l’activité cognitive humaine. γ : temps de la conscience L’ordre des phénomènes –i,e la représentation subjective de l’ordre des événements– existe 3 . En d’autres termes, il y a 3. Par souci de concisions, nous aurons soin d’adopter certaines conventions de vo- 4 D.R.L.Zarebski
  • 11. un sens à parler d’un flux de conscience ou d’une temporalité de l’esprit relativement à l’esprit lui-même. ζ La temporalité de l’activité cérébrale contribue à produire celle du flux de conscience. Ces prémisses apparaissent relativement satisfaisantes en comparaison de la conclusion ζ. Ainsi, qu’entend-on par contribution ? Il est trivialement vrai de dire que la temporalité de l’activité neurale contribue à celle de la conscience entendu que le terme de contribution n’engage à rien. A titre d’illustration, le terme ne dit ni si la succession d’états mentaux map une quelconque succession d’états neuraux ni le contraire. Dans le même esprit, l’on s’attendrait à ce que des considérations relatives aux propriétés spatiales du cortex interviennent entendu que la simultanéité ne dit pas en quel point de l’espace deux potentiels évoqués apparaissent simultanés. Enfin, nous ne savons tout simplement pas si le dit "ordre des phénomènes" correspond de quelque manière que ce soit à l’ordre de deux événements neuraux discrets 4 . Il suffit de s’imaginer, exemple simpliste, que la stimulation de la fibre-DO – une corde mentale pour ainsi dire – produise la sensation d’entendre un DO pour suggérer le problème : dans le cas où l’activation serait prolongée plus de deux secondes d’une manière continue, sommes-nous assurés que le sujet entendra une seule note prolongée ? Si tel était le cas, de quoi dépendrait alors l’ordre perçu des deux phénomènes début de la note, fin de la note ? Le mérité d’expériences comme celles menées par Libet est de poser ex- plicitement ces questions tout en 1) forçant d’éventuels commentateurs à se prononcer en faveur d’assertions moins parcimonieuses que la "contribution" de ζ et 2) questionnant certaines de nos intuitions relatives à la réalisation physique de la temporalité du flux de conscience qui ne nous est pas acces- sible en première personne. Que la conscience puisse être à la fois sujet et objet ne veut pas dire que ces éléments du doublet s’identifient ; un oeil ne peut se voir sans miroir. cabulaire. Il n’apparaît pas nécessaire de préciser par "phénomènes", phénomènes perçus entendu que, par définition, si quelque chose est un phénomène, il l’est pour quelqu’un ou quelque chose (telle un dispositif matériel d’observation comme un radar, par exemple) : "phénomène perçu" est un pléonasme. Aussi parlerons-nous de l’ordre et de la durée des événements pour parler de temporalité physique. 4. Nous serons souvent amené à user des notions d’ordre dense et discret pour décrire certains des phénomènes auxquels nous aurons à composer. Au sens strict, un ordre est dit dense – ex < sur R – ssi, pour tout éléments en relation, il en existe un entre les deux. A contrario, un ordre est dit discret – ex < sur N – ssi, pour le dire rapidement, tout élément possède un immédiat successeur (resp. prédécesseur). Nous parlerons, par analogie, d’événements discrets lorsque ces derniers seront temporellement distinguables soit, pour ainsi dire, lorsqu’il n’y a rien entre eux à l’instar de 3 et 4 dans l’ordre des nombres naturels. Master LoPhiSC (année 2011-2012) 5
  • 12. Introduction 0.1 Présentation empirique épurée Présenter les expériences de Libet relatives à la temporalité et de la per- ception tactile via Libet 1981 constitue à la fois une bonne et une mauvaise stratégie ; bonne en cela que le ton et la présentation y sont plus concis qu’en Libet 1979, mauvaise en cela que nombre d’affirmations et de leviers argu- mentatifs reposent sur ce même Libet 1979. Aussi prendrons-nous soin de signaler chaque fois qu’un fait posé comme tel reposera sur ces investiga- tions précédentes sans entrer pour l’instant dans une phase de commentaire critique. L’objet de cette présentation est éminemment descriptif 5 . Les in- vestigations relatives à la temporalité des sensations menées en Libet 1979 tendent à montrer deux faits spectaculaires. 1. Qu’il existe une latence (delayα) entre le début de l’activité corticale induite par un stimulus et son adéquation neurale, soit le moment à partir duquel une sensation émerge et peut être rapportée par le sujet 6 . Celle-ci s’élève à 500ms pour la plupart des stimuli (100ms pour les stimuli les plus intenses, précise Libet 7 ) 2. Qu’au terme de cette adéquation neurale, le moment de ce stimulus est automatiquement renvoyé, daté dans le passé au moyen d’un signal de temporalité 8 . Comme nous l’avons dit, il s’agit là davantage d’une présentation des résultats de 1979 que de la présentation du matériau empirique sur lequel ces derniers reposent. Ces deux propriétés supposées de la perception du temps découlent des considérations expérimentales suivantes. 5. Nous ne présenterons ici que la version allégée de l’expérience telle que la présente Libet 1981. Dans un souci de concision et de clarté du propos, les présentations techniques et précises des expériences à venir feront l’objet de développements explicites en annexe plutôt que dans le corps de texte, lui, philosophique. 6. "There is a substantial delay before cerebral activities initiated by a sensory stimulus, achieve "neuronal adequacy" for eliciting any resulting conscious sensory experience". ibid. p.182. Etant donnée la multiplicité de latences dont nous serons amenés à parler, il apparaît plus commode de nommer chacune d’entre-elles. Ainsi, delayα sera la latence entre le début de l’activation corticale et le moment où a prolongation de celle-ci pourra provoquer une sensation (i,e. une sensation rapportée a posteriori). Ce temps de latence sera parfois appelé Minimum train duration (MTD) ; appellation que nous serons amenés à rencontrer dans nombre de commentaires. 7. Nous serons amenés par la suite à distinguer en sec.2.1.2 différentes acceptions et réalisations de l’intensité d’un stimulus. Interviennent en réalité trois facteurs que sont l’intensité électrique d’une stimulation (en mA), la fréquence des impulsions et la durée de la stimulation. 8. "After neuronal adequacy is achieved, the subjective timing of the experience is (au- tomatically) referred backwards in time, utilizing a "timing signal"" Libet 1981 p.182 6 D.R.L.Zarebski
  • 13. 0.1. Présentation empirique épurée Figure 1: Parcours de l’influx nerveux dans le cas d’une sensation tactile Généralités : la neurologie de la perception tactile Il convient, pre- mièrement, de distinguer deux moments dans l’activation du cortex relative à une sensation : le potentiel évoqué primitivement (primary evoked potential ou PEP) et le potentiel évoqué tardivement (late evoked potential ou LEP). Pour ce faire, une présentation succincte de la neurologie de la perception s’avère nécessaire. Il est possible de produire une sensation via la stimulation électrique directe du gyrus post-central. La localisation subjective de cette sensation, tactile en l’occurrence, correspond à celle de la région contrala- térale stimulée. En d’autres termes, il est possible cartographier les régions sensibles du corps humain comme autant de régions de ce gyrus post-central 9 . Dans le cas d’une stimulation d’une stimulation normale –i,e. d’une stimula- tion de la peau– se produit une activation ascendante qui termine sa course dans les dernières couches du cortex somato-senseur primaire. Le chemin standard d’une sensation tactile apparaît schématisé en fig.1. Ce qu’il faut savoir, à ce stade, et sans détailler outre mesure la neuro- anatomie de la perception 10 , c’est que les premiers influx atteignent le gy- rus post-central 10 à 25ms après la stimulation et produisent cette réponse électrique observable du cortex qualifiée de primary evoked potential (PEP). Toute stimulation à une étape antérieur au gyrus post-central (Cf fig.1) pro- duira à la fois ce même PEP et une sensation tactile consciente car commu- nicable par le patient (i,e. ce qui se manifeste par un LEP). En revanche, une stimulation directe du gyrus post-central, quant à elle, produira, si pro- longé suffisamment longtemps, une sensation consciente (puisqu’un LEP) mais point de PEP 11 . 9. Voir fig.3.14 p. 253 10. A titre de complément, une version plus détaillée des étapes d’activations pourra être trouvée en fig.3.13 p.252 11. "On the other hand, appropriate electrical stimulation at the outer surface of the sen- sory cortex (postcentral gyrus) can elicit the localized sensation and certain electrophysio- logical changes but not the "primaryevoked potential" (nor the specific neuronal responses representedby this potential) (e.g., Libet 1973)" Libet 1981 p.184 Master LoPhiSC (année 2011-2012) 7
  • 14. Introduction Ceci posé, il nous faut préciser quelques point avant de présenter les ex- périences à proprement parler. Il nous faut, premièrement, remarquer qu’une stimulation directe du cortex (C) nécessite d’être prolongée au moins 500ms pour qu’une sensation (i,e. une sensation consciente communicable, rétros- pectivement, par le patient) émerge. Contrairement à la stimulation du cor- tex, la stimulation de la peau (S) ne nécessite pas une période si longue bien que l’activité subséquente du cortex, elle, continue plus longtemps : un simple influx ponctuel suffit et le fait de prolonger la stimulation (S) ne semble pas affecter les résultats 12 . Enfin, notons les trois faits marquants suivants. Insuffisance du PEP seul Delayed Neuronal Adequacy with Cerebral Sti- muli : PEP, à lui seul, ne suffit pas à produire une sensation. Il ne le peut que s’il s’accompagne d’un LEP 13 , ce qui se produit s’il dure plus longtemps que 100ms. Occultation et intensification rétroactive de S-sensation 14 Lorsque S est suivi, au moment où son influx atteint les régions corticales, d’un C relativement puissant, on observe alors, selon les cas, soit une inten- sification du ressenti de S, soit une suppression de la sensation-S 15 . C peut être commencé près de 500ms après S et tout de même modifier la perception de S bien que dans la majorité des cas aucune modification probante ne survienne pour S-C>200ms 16 . Les temps de réaction Les expériences menées sur les temps de réaction par Jensen 1979 remettent en question certaines de nos intuitions re- latives à ce qui est ou non accessible au sujet lors de sa réponse à un stimulus. Le fait est que ce type de test, très répandu, repose sur la corrélation d’un stimulus (visuel notamment) et d’une réponse, motrice (consistant généralement en la pression d’un bouton), avec l’idée que l’intervalle temporel exprime quelque chose comme le temps nécessaire à la conscience du stimulus, au traitement de ces données et à l’ac- tion de réponse (contrôle moteur). Or, lorsqu’il est demandé aux sujets 12. "[...]repetition of pulses has a relatively unimportant effect on threshold intensity" Libet 1981 p.185. 13. Libet et al. 1967 Libet 1973 14. "Retroactive Masking and Enhancement of Skin-Induced Sensations". Nous désigne- rons par la suite les sensations produites par X du nom de X-sensations. 15. Les modalités techniques ainsi que les explications avancées pour rendre compte de ce phénomène ne nous intéressent pas pour l’instant. Le fait est que Libet lui-même n’avance que des hypothèses relatives aux positions du cortex et renvoie à Libet 1973 et Libet 1978. Nous reviendrons à cette question en sec.2.1.2. 16. 200ms auxquels il convient, explique Libet, d’ajouter 100ms, ce qui porte en réalité la période d’influence possible de C sur S de 200-500ms à 300-600ms. Ces détails feront eux aussi l’objet d’un développement ultérieur plus conséquent. 8 D.R.L.Zarebski
  • 15. 0.1. Présentation empirique épurée Figure 2: Comparaison de S et C : première situation d’augmenter délibérément ce temps de réponse d’un certain intervalle donné 17 , il s’avère que ces derniers en sont totalement incapables. En ef- fet, du temps de réaction minimum d’environ 250ms dans des situations standards, l’expérience de Jensen révèle une profonde discontinuité des minima des réactions lorsqu’une semblable consigne est formulée (de l’ordre de 500 à 1000ms) 18 . If it is assumed that deliberate control of reaction time would first require that the subject become consciously aware of the stimulus, Jensen’s data provide further evidence that the production of the conscious experience involved a substantial cerebral delay ; it also implies, in accordance with other kinds of studies, that the usual, quick (non-deliberated) reaction is made before conscious experience of the stimulus has developed, and that the cognitive processing and decision to act can be developed unconsciously (e.g., Libet 1965) 19 . 17. Libet n’est pas très précis au sujet des moyens dont disposent les sujets pour mesurer cette latence supplémentaire ; point pourtant central. Nous nous en tiendrons pour l’instant à cette exposition. 18. En développant ce point, Libet entend répondre à l’argument de Churchland 1981b selon lequel il vaudrait mieux tester les temps de réaction des sujets plutôt que nous en remettre à leurs introspections rétrospectives. Pour Libet, le fait de répondre à une certaine vitesse à un stimulus ne saurait prouver que le patient ait été, dans cet intervalle de temps, conscient de la sensation en question ; ce que montreraient les discontinuités observées par Jensen 1979. Pour schématiser le raisonnement, nous pourrions dire : 1) les temps de réaction standard sont réguliers 2) une consigne supposant l’introspection et la conscience de sentir produit des discontinuités ergo 3) cette dernière n’intervient pas lors réactions rapides normales mais plus tardivement. 19. Libet 1981 pp.185-6. Cette précision constitue une réponse à Churchland 1981a et à son argument des temps de réaction que nous ne détaillerons pas ici. Contentons- nous pour l’instant de noter la touche épiphénoménale de la thèse de Libet : dans un fonctionnement normal, point besoin de conscience pour que la réponse appropriée se produise. La conscience phénoménale intervient après la réponse motrice et ne joue donc pas de rôle causal dans cette dernière. Master LoPhiSC (année 2011-2012) 9
  • 16. Introduction Figure 3: Comparaison de S et C : seconde situation Première expérience : C et S Pour en venir maintenant au support expérimental stricto sensu, celui-ci se décompose en deux expériences. La première consiste à comparer les résultats obtenus en synchronisant de di- verses manière le début de (S), une stimulation de la peau de la main droite et celui de (C), une stimulation la région du gyrus post central correspondant à la main gauche pour demander, à la fin de chaque phase de test, ce que le patient a senti en premier : "gauche avant droite", "droite avant gauche" ou "simultanées" 20 . On s’attendrait à ce que, dans le cas où S et C seraient déclenchés si- multanément (Cf figure 2), en raison de latences similaires – aux 20ms près nécessaires à l’influx pour parvenir au cortex – le patient rapporte avoir senti simultanément S-sensation et C-sensation 21 . Or, étonnamment, tel n’est pas le cas : le patient indique avoir ressenti S-sensation avant C-sensation. Il en va également de même lorsque S est déclenché bien après le début de C. Pour peu que le signal de S parvienne – Cf fig.3 – dans le cortex avant la fin de la stimulation C nécessaire à produire une sensation, patient rapportera avoir senti S-sensation avant C-sensation. Nous serons amenés à montrer par la suite que ce phénomène résiste aux variations de durée du delayα ; ce que résume la citation suivante. It was found that S was experienced before C even when the S pulse was delivered well after the onset of the C stimulus, in fact at any time before the end of the C train of pulses required at sensory cortex. This was true whether S and C stimuli were both at the liminal threshold strengths (when minimum duration of C would be about 500 msec), or S and C were both set for a so- mewhat greater (matched) intensity at which minimum duration 20. A noter toutefois que l’interprétation par la simultanéité de l’absence de différence notable ne fait pas l’unanimité parmi les commentateurs de Libet. Nous reviendrons en sec.2.1.4 sur ce point. 21. "[...]one might have expected that the subjective timings for both the S and C expe- riences would be similarly delayed." Libet 1981 p.186 10 D.R.L.Zarebski
  • 17. 0.1. Présentation empirique épurée of C was 200 msec 22 . En d’autres termes, l’ordre subjectif des sensations ne semble pas cor- respondre à celui de ce qui les réalise neuralement. Libet explique alors que deux choix s’offrent à celui qui entendrait expliciter ces résultats. Il peut, premièrement, avancer que les réalisations physiques de S-sensation diffèrent de celles de C-sensation si bien que, en réalité, le delay de S-sensation serait en réalité bien plus court que celui que l’on imagine en observant la latence de l’adéquation neurale présumée de ce stimulus par rapport à son initiation 23 . Libet écarte cependant cette hypothèse, jugée ad hoc quoique envisagée par Libet 1979, dans la mesure où celle-ci oblige à spéculer l’existence d’un autre processus neural responsable de la même sensation ; une S-sensation et une C-sensation apparaissant, semble-t-il, qualitativement indistinguables, il semble en effet inélégant d’avancer que S serait ressenti avant le delayα plu- tôt qu’à son terme (comme cela semble être le cas pour C), d’avancer que S contreviendrait à ce que l’on sait de la réalisation neurale de la perception tactile. However, in view of the other strong evidence supporting the proposal for long cortical delays after a skin pulse (see above), as well as of our reluctance to assign fundamentally different cerebral processes to producing similar sensory experiences induced by different stimuli, we generated a second alternative hypothesis 24 . L’alternative consiste à avancer que la sensation de S serait renvoyée dans le passé ; Libet parle à cet égard d’antédatation subjective (AS) 25 . Dans ce contexte, le PEP généré dans le cas de S (et non dans celui de C) tiendrait lieu de marqueur temporel indiquant au système que l’information qu’il reçoit doit être datée dans le passé soit, pour ainsi dire, antedaté. Nous n’entrerons pas, dans cette modeste présentation des données empiriques, dans d’insondables spéculations relatives à ce que signifie qu’une sensation est renvoyée dans le passé. Nous nous contenterons pour l’instant de noter, à l’instar de bien d’autres commentateurs de Libet, l’ambiguïté de cette formule malheureuse 22. ibid. p.186 23. "One possible inference from these experiments would obviously be that experience of a skin-induced sensation is elicited at cerebral levels after a much shorter delay than that for the cortically-induced sensation. " ibid. p.186 24. ibid. p.186 25. Nous traduirons par ce nom le mécanisme de datation dans le passé qui constitue le coeur de la thèse de Libet, plutôt que par les néologismes substantivés dont usent certains. Il n’est en effet pas commode de traduire dans un français élégant et léger l’expression complète "referred backwards in time". De plus, ce terme correspond relativement bien à l’expression "antedated" dont use parfois Libet. Master LoPhiSC (année 2011-2012) 11
  • 18. Introduction sur laquelle nous reviendrons en sec.0.2. Dans la mesure où C ne s’accom- pagne pas d’un PEP et que ce dernier tient lieu, dans l’hypothèse considérée, de marqueur responsable de ce mécanisme de renvoi dans le passé, il appa- raît alors tout à fait normal que S soit, jusque dans certaines limites, ressenti avant C ; entendu que la sensation subséquente du premier est renvoyée dans le passé et non celle du second 26 . Seconde expérience : S et LM L’expérience d’épreuve 28 , seconde ex- périence présentée dans l’article, consiste à comparer les valeurs obtenues lors des stimulations de la peau (S) et du lemnisque médian (LM) 29 . L’in- terprétation des données dans le cas de cette expérience nécessite toutefois des précisions supplémentaires. Une stimulation directe du lemnisque s’ap- parente à celle du cortex en cela qu’il convient de la prolonger pour que se produise une sensation. Il ne suffit pas d’un unique influx, comme dans le cas de S, pour qu’une sensation soit ressentie. Cependant, comme dans le cas de S, se produit, après chaque influx de la série, un PEP 30 . L’hypothèse se présenterait de la sorte : si S débute de telle manière à ce que son signal atteigne le lemnisque au début de LM, le patient devrait sentir S-sensation et LM-sensation en même temps (i,e. il devrait rapporter, quelques secondes après le test, avoir senti les deux simultanément) puisque les deux sensations, en raison des PEPs produits par leurs signaux respectifs, devraient être toutes deux subjectivement antedatées 31 . Les résultats fournis par Libet 1979, que nous ne détaillerons pas en introduction, confirment cette hypothèse d’où la conclusion que PEP joue un rôle dans la datation des événements cérébraux et sert, en quelque sorte, de marqueur temporel, 26. "Such a referral would not occur in the case of the cortical stimulus because no specific "timing signal" (the primary evoked potential) is generated by that stimulus 27 "Libet 1981 p.186 28. Epistémologiquement parlant, Libet insiste sur le caractère crucial de cette expé- rience et répond en cela à Churchland 1981a. Les deux hypothèses présentées précé- demment admettent une résolution expérimentale qui ne repose donc pas exclusivement sur le choix doctrinal de l’expérimentateur. 29. Cf fig.1 p.7 et, pour davantage de détails, fig.3.13 p.252 30. Il convient en effet de garder à l’esprit qu’une stimulation prolongée un certain temps (qu’il s’agisse de C ou de S) n’est jamais plus qu’une suite régulière d’influx électriques ; détail technique sur lequel nous serons amenés à revenir en section 2.1.2. "Each pulse of the LM stimulus, including the very first one, should and does elicit the same primary evoked potential that the skin pulse elicits ; thus the LM stimulus should resemble the skin stimulus in providing the putative timing signal (for referral) at the very start of a train of pulses." Libet 1981 pp 186-187 31. "If a skin pulse (S) is delivered so as to be synchronous with the beginning of a stimulus in medial lemniscus (LM, in brain stem), the subject should report that both of the resulting sensory experiences began at the same time[...]" ibid. p.187 12 D.R.L.Zarebski
  • 19. 0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ? Figure 4: Résumé des rapports S/C S/LM de ticket de file d’attente des signaux d’entrée 32 . La fig.4 résume les éléments empiriques fournis dans cette section. La mention "timing signal" indique la première occurrence d’un PEP pour les différents signaux. 0.2 Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ? Il est généralement admis qu’une explication précise de la thèse d’un au- teur doit précéder quelque commentaire que ce soit de cette dernière. Nous entendons montrer ici deux choses : que ce principe méthodologique, pour- tant sensé, ne saurait s’appliquer sans schématisme dans le cas présent et que, stricto sensu, si Libet soutient bel et bien une thèse, celle-ci s’avère trop ambiguë pour nous permettre de placer le lecteur face à une série de pro- position en lui disant : "voici la thèse soutenue par Benjamin Libet". Plus qu’une thèse, nous parlerions plus volontiers d’une manière d’appréhender un certain phénomène reposant sur une série de principes, certains méthodo- 32. Nous reviendrons plus précisément sur le rapport S/LM en sec.2.1.3. Le fait que le MTD de LM fasse ou non 500ms n’a pour l’instant aucune importance ; la fig.4 aurait tout aussi bien pu présenter un LM plus court. Master LoPhiSC (année 2011-2012) 13
  • 20. Introduction logiques, d’autres d’une nature plus intuitive. Nous nous proposons ici, d’une part, de suggérer une partie de ces principes afin, d’autre part, d’expliciter le problème que pose la formulation ambiguë de Libet. Nous entendons montrer que la difficulté naît de la réunion de trois intuitions matérialistes implicites suivantes dérivées de celles présentées en p.4 ainsi que des difficultés po- tentielles que poserait l’abandon d’un de ces principes indépendamment des autres. δ Une sensation (i,e. l’acte, le fait de sentir ou de ressentir quelque chose) se produit dans le temps (intuition dérivée de α). ψ Une sensation correspond à un événement physique en droit identifiable (intuition dérivée de α ∩ β). φ 1) La phénoménologie ou l’unité du flux de conscience repose sur la suc- cession d’état mentaux (une manière possible de comprendre γ) qui, en) tant que ces derniers découlent d’une activité neurale, 2) devraient exister et se succéder comme tels dans le temps (α ∩ β ∩ γ) En terre inconnue L’introduction de ce que Libet 2004 surnommera plus tard le "facteur temps de la conscience" (The Temporal Factor in Conscious- ness) possède un effet majeur sur la formulation des problématiques de la p.3. Ces dernières peuvent en effet toujours se répartir dans les catégories respectivement causale, épistémique, et ontologique mais se formulent alors en des termes bien différents que seraient causales Combien de temps faut-il prolonger Q pour obtenir P ? épistémiques Peut-on connaître la durée de P sur la base de celle de Q ? ontologiques P est-il identique à Q50ms, Q100ms, ...Q150ms ? La dimension causale apparaissant à première vue la plus questionnée par les résultats de Libet, concentrons-nous sur cette dernière. Il semble raison- nable de dire qu’un effet ne saurait précéder temporellement parlant ce qui le cause. Il semblerait que ce soit en ce sens que Libet parle d’un défis pour le matérialisme. On s’étonne alors que, dans le même temps, Libet apparaisse à plusieurs endroits catégorique sur au moins un point : son mécanisme ne viole ni les données recueillies, ni les dits principes neurophysiologiques ni, encore, la théorie de la correspondance du mental et du physique. Evidence that led to the hypothesis of a backwards referral of conscious sensory experiences in time, and the experimental tests of its predictions, is summarized. Criticisms of the data and the conclusion by Churchland that this hypothesis is untenable are analysed and found to be based upon misconceptions and faulty 14 D.R.L.Zarebski
  • 21. 0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ? Figure 5: Schéma non-paradoxal des rapports S C evaluations of facts and theory. Subjective referral in time violates no neurophysiological principles or data and is compatible with the theory of "mental" and "physical" correspondence 33 . Nous ne savons en revanche pas en quoi ces principes consistent. Comme nous nous apprêtons à le souligner, des éléments contradictoires contribuent à obscurcir le sens même à accorder à cette notion d’antédatation subjective. Nous nous proposons de lister ci-dessous les éléments obscurs ou contradic- toires de la "thèse" de Libet pour dégager dans un second temps la probléma- tique implicite soulevée par ses formulations. Les points suivant se veulent davantage suggestifs aussi seront-ils détaillés au cours d’un développement plus tardif. Nous n’entendons ici qu’approcher la difficulté faute de pouvoir en détailler tous les aspects. Où se produit l’inversion ? La fig.4 donne la désagréable impression que les sensations consécutives, respectivement, de S et de LM remontent le temps, pour ainsi dire, pour survenir avant ce qui les provoque 34 . C’est en raison de semblables formulations malheureuses que les thèses de Libet ont attiré les foudres de Churchland 1981b, Danto 1985, Glynn 1990 ou encore Wood 1985 et Nelson 1985. Cependant, ce type de formulation est totalement étrangère à Libet qui, prudemment, préfère parler de référence, dans le passé, des stimuli en question. L’effet d’une semblable prudence n’est autre que l’ambiguïté qui accompagne le mécanisme présenté. Certes, l’on pourrait présenter les résultats au moyen des fig.5 et 6 mais, sont-elles seule- ment conformes à ce que Libet à l’esprit ? Bien que Libet 1981 ne l’avance que tacitement – n’oublions pas que cet article entend répondre à des at- taques – il semblerait que Libet ait dans l’idée que la fin de delayα (ou du MTD) constitue le moment auquel une sensation devient consciente, ainsi 33. Libet 1981 p.182 34. Cette manière de comprendre AS met grandement à mal les intuitions α β. Master LoPhiSC (année 2011-2012) 15
  • 22. Introduction Figure 6: Schéma non-paradoxal des rapports S LM qu’en atteste la citation suivante 35 : If a rather long period of activation, e.g., 0.5–1 sec., is a require- ment for conscious experiences at near liminal levels, this would constitute a "latency" between the onset of activation and the "appearance" of the conscious experience" 36 . Cette idée (intuition φ), d’une part, n’a, intuitivement parlant, rien d’éton- nant et paraît même, d’autre part, épistémiquement satisfaisante. Du côté extérieur du crane, du point de vue du scientifique interagissant avec le cer- veau d’un patient, il apparaît légitime de soutenir quelque chose comme le schéma suivant : TD < 500ms → ¬c − sensation ET TD > 500ms → c − sensation C − sensation survient à la 500e ms Or, une semblable conjecture nous confronte à une alternative de lecture encore moins confortable bien que celle-ci vienne relativement facilement à l’esprit à première lecture : celle selon laquelle l’ordre rapporté a posteriori ne correspond pas l’ordre réel de l’expérience phénoménale telle que cette dernière s’est déroulée entre S, C et la réponse du patient deux secondes plus tard – Cf fig.7. En d’autres termes, les sujets ne se trompent pas tant sur l’ordre réel de ce qui se passe dans leurs cerveaux – ce qui, après tout, ne pose aucun problème entendu que nul ne sait en première personne ce qui réalise physiquement sa vie mentale – que sur l’ordre réel de leurs sensations ressenties en première personne ; nous perdons les intuitions γ et φ. Outre des 35. Raison pour laquelle la fig.4 plaçait la putative C-sensation au terme de delayα. 36. Libet 1965 p.84. Bien qu’antérieur à Libet 1981, ce principe méthodologique consti- tue comme nous l’avons vu l’implicite à l’origine de l’obscurité des formulations de Libet. 16 D.R.L.Zarebski
  • 23. 0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ? Figure 7: Ordre réel et ordre rapporté raisons intuitives de douter de cette solution ainsi qu’une série d’arguments fonctionnels que nous détaillerons en sec.2.2.2.4, il convient de remarquer que Libet repousse cette possibilité en repoussant le scénario avancé en Chur- chland 1981a. En effet, la discussion qui suit le passage de Libet 1981 présenté en sec.0.1 consiste en une réponse aux contre-arguments de Churchland. Ces derniers se répartissent en deux catégories :1) une réserve relative aux modalités de fixation des delays et périodes d’activations types que nous passerons sous silence et 2) une influence de la mémoire à court terme qui permet de dissocier la sensation véritable des souvenirs de la sensation. This implies that the subjects are poor at distinguishing sensa- tions separated by only 100msec. intervals, and consequently, that reports of simultaneity do not entail simultaneity. As to the test then, assuming with Libet that the LM sensation starts roughly 200msec. after the stimulus onset, how significant is it that when the LM and skin stimuli are presented together, they are reported as felt together ? 37 Churchland parle à plusieurs reprises d’erreur ou d’illusion sans vérita- blement préciser au sujet de quoi les patients se trompent ; de l’ordre des delayα comme en fig.5 ou sur l’ordre véritable de leurs sensations comme en fig.7. Ainsi Libet entend-il distinguer soigneusement les illusions de AS. L’on pourrait croire, à première lecture, que l’approche de Libet consiste à consi- dérer l’erreur perceptive comme une donnée à part entière ou, pour user d’un terme aussi glissant que connoté, que si l’apparaître s’avère faux puisque er- roné (i,e. contraire à l’ordre physique des événements), ce dernier n’en cesse pour autant d’apparaître 38 . En d’autres termes, l’on pourrait avancer que 37. Churchland 1981a p.493 38. Il s’agit de l’argument développé par Flanagan 1998. Master LoPhiSC (année 2011-2012) 17
  • 24. Introduction l’étude de la perception de la temporalité que propose Libet semble reposer d’une certaine manière sur la robustesse du flux de conscience. Ses formules emphatiques relatives à l’impossibilité de connaître les relations conscience / cerveau autrement qu’en s’en remettant à l’introspection plus tardive du sujet abondent en ce sens et suggère que le sujet a accès à l’ordre de sa phénoménalité propre 39 Mais en sommes-nous si sûrs ? S-sensation plus tôt ? AS Vs illusions Les illusions, explique Libet, consistent en des distorsions de stimuli causées par la superposition d’infor- mations contradictoires 40 , là où AS apparaît bien plutôt un mécanisme à même d’indiquer au système un instant plus conforme à celui du stimulus. En effet, le PEP survenant très rapidement, ce dernier permet de compenser les temps de latence de l’adéquation neurale (delayα) nécessaire à ce que S-sensation survienne. In subjective referrals there are no distorted perceptions of the real stimulus configuration, in contrast to sensory illusions ; re- ferral backwards in time, for example, results not in an illusion of a "prior entry" before the objective time of the stimulus, but rather in a more accurate perception of the actual time of the stimulus ! 41 Nous retombons alors du côté du scénario de l’inversion précédemment évoqué soit celui selon lequel l’ordre rapporté a posteriori ne correspond pas l’ordre réel de l’expérience phénoménale telle que cette dernière s’est déroulée entre C, S et ce mystérieux instant où l’inversion se produit. Toutefois, ce point ne poserait, au fond, qu’une difficulté relative si Libet s’en tenait à une et une seule version. Or tel n’est pas le cas. Nous passons tour à tour de l’idée que S-sensation réclame une période d’adéquation neurale – on se souviendra de la répugnance à différencier les réalisations de S-sensation et C-sensation, raison même de l’introduction de l’hypothèse AS – à l’idée que 39. Comme le dira plus tard Libet : "Introspective reports are only indirectly related to the actual subjective experiences ; that is, they are reports of something not directly obser- vable by the investigator and are untrustworthy observations. However, unless scientists can find a way to obtain valid introspective reports, they can never study the profoundly important question of how our conscious mind is related to our brain" Libet 2004 p.9. Nous reviendrons à ce point en sec.1.1 40. "(whether referral is in the spatial or temporal dimension). Sensory illusions occur when one stimulus input is juxtaposed to another stimulus input in such a way that the per- ception of at least one of the inputs becomes a distortion of the real stimulus configuration that we know actually exists." Libet 1981 p.195 41. ibid. p.195 18 D.R.L.Zarebski
  • 25. 0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ? cette sensation n’implique aucune latence ainsi qu’en témoigne la citation suivante : [...] subjective timing of the skin-induced sensation would in- volve no substantial delay after a skin stimulus pulse, whereas the cortically-induced sensation would appear after a delay equal to the minimum required duration of the stimulus that elicits it 42 . L’on pourrait insister sur l’aspect subjectif de ce timing mais en vain ; la difficulté n’en serait pas pour autant dissipée puisque la fin de delayαS est également décrite comme l’entrée de S-sensation dans la conscience. De deux choses l’une, soit S-sensation se produit au terme de son delayα, soit à l’entrée du signal dans le cortex (PEP) mais non les deux à la fois sous le même rapport. Il peut s’agir de la manière dont le sujet date a posteriori sa propre sensation, de sa représentation de sa propre vie mentale, mais la moindre des choses est encore de le dire. La formulation précédente ne différencie tout simplement pas ces deux cas de figures puisque "apparition" ("appear") peut tout aussi bien désigner le fait de ressentir (consciemment) quelque chose à un instant t que celui de se représenter ou se remémorer une sensation : dans les deux cas, quelque chose "apparaît" en première personne à un sujet mais il semble douteux d’identifier ces deux cas de figure. Plus que jamais, la notion d’AS ne nous permet tout simplement pas de trancher entre deux scenari possibles. Même en décrivant la fig.4 comme une représentation de l’ordre plutôt que l’ordre véritable des sensations, l’am- biguïté de son propos ne nous permet tout simplement pas de dire si l’in- version se produit avant ou après que C-sensation et S-sensation aient été toutes deux ressenties en première personne (respectivement fig.5 et fig.7). Il semblerait que cette ambiguïté provienne de que Libet parle simultanément d’ordre de représentations mentales et de représentation de l’ordre. Pourquoi ne pas tout simplement parler de représentations de l’ordre indépendamment de l’ordre dans lequel ces sensations deviennent consciente ? L’expérience de pensée suivante devrait suggérer le problème posé par cette approche ainsi que les raisons pour lesquelles Libet ne distingue pas ces deux aspects. C-sensation plus tard ? Le scénario ad-hoc de Tebil Imaginons que quelqu’un que nous appellerons, par goût des anacycliques, Tebil, sans pré- caution empirique aucune, prétende expliquer les données –ou, du moins, le peu que nous en avons exposé– au moyen de l’artifice suivant : "en réalité c-sensation survient (Cf fig.8) près d’une seconde après la fin de delayα donc bien après s-sensation qui, elle, pour des raisons qui lui sont propres, ne sur- vient qu’un quart de seconde après la fin de son delayα propre. De ce point 42. ibid. p.192 Master LoPhiSC (année 2011-2012) 19
  • 26. Introduction de vue, c-sensation et s-sensation apparaissent dans le bon ordre (i,e. dans l’ordre conforme à ce que rapportent les sujets testés)." Mais l’on serait alors en droit de se demander ce qu’il en est des rapports de l’influx nerveux res- ponsable de c-sensation (i,e. la stimulation corticale devant être prolongée plus de 500ms) et c-sensation elle-même. Tebil répondra alors : "l’un est la cause de l’autre, l’effet ne précède pas la cause (je ne crois pas au retour dans le passé que propose Libet) mais elle ne se confondent pas et ma solution rend adéquatement compte des données 43 ." Que l’on veuille distinguer le moment de la sensation de la fin de la durée d’activité corticale minimale pour la pro- duire peut sembler une bonne stratégie bien que celle-ci doive alors rendre compte des deux implications de ce scénario : a S-sensation et C-sensation se produisent dans le temps (i,e. dans un temps réel après les fins, respectivement, de delayα de S et delayα de C ; intuition δ) b Neuralement parlant, S-sensation et C-sensation ne correspondent à rien (nous perdons ψ) 44 Mais l’accord formé de (a) et (b) sonne dissonant. De plus, que se passe- t-il entre la fin du delayα de C et C-sensation ? Pourquoi un tel retard dans ce cas et non dans l’autre ? Pourquoi une seconde plutôt que deux ? Te- bil peut bien avancer que S-sensation et C-sensation auraient tous deux un temps de retard mais que, en raison de la nature anormale de C-sensation, celle-ci serait mise en "file d’attente de la conscience" soit ce que certains surnomment une hypothèse de l’ajournement (Postponement Hypothesis) 45 . Mais, quoi qu’il en soit pour l’instant de la Postponement Hypothesis, il faut bien prendre la mesure de ce qu’impliquent (a) et (b) réunis. Si l’on insiste sur (a), sur le fait que S-sensation et C-sensation se produisent dans le temps, que l’ordre rapporté correspond à l’ordre des sensations mais que (b) rien ne correspond, neuralement parlant, à ces instants, l’on ne dit jamais rien de plus que "l’ordre rapporté correspond à l’ordre dans lequel le patient a res- 43. Ce qui n’est exactement vrai comme nous le verrons en section 2.1.2 : le fait de réduire la latence de S pour résoudre le problème du rapport S/C le déplace du côté du rapport LM/S 44. Rien d’identifiable ne semble, à l’observation, correspondre neuralement à ces deux sensations. 45. Si nous sommes au moins sûr d’une chose au sujet de Libet, c’est que celui-ci refuse explicitement une semblable solution avancée par Churchland 1981a :"In this hypothesis both S and C experiences would be delayed, but the cortically-induced one (C) would be "put on hold"-until it can be "admitted to consciousness" ; i.e., there would be an extra delay for the C experience.[...] Let me improve on her hypothesis by eliminating the mysterious "holding" mechanism[...]" Libet 1981 p.193. Nous reviendrons sur cette hypothèse par la suite. 20 D.R.L.Zarebski
  • 27. 0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ? Figure 8: Le scénario ad hoc de Telib senti, consciemment, S-sensation et C-sensation ; ordre que l’on ne saurait observer en troisième personne" ; ce qui est trivial. La belle affaire de savoir que si A dit "main gauche avant main droite" c’est parce qu’il a, indépen- damment de ce que l’on peut ou non observer dans son architecture neurale, senti sa main gauche avant sa main droite. Il est à se demander qui de Libet ou Tebil, dans ce contexte, met le plus en péril l’entreprise matérialiste. L’un parle de renvoi dans le passé, l’autre de sensations suspendues dans les airs au dessus l’architecture neurale du patient. Si Tebil affaiblit (a) –nous verrons par la suite de quelle manière– pour distinguer le temps neural du temps dans lequel c-sensation et s-sensation surviennent, il parviendra alors à rendre également compte de (b) : rien d’étonnant que l’ordre, s’il en est un, dans lequel adviennent ces sensations ne se confonde pas avec celui de ce qui les causent puisque ces deux tem- poralités diffèrent (on perd alors δ et φ). De cette manière, S-sensation et C-sensation relèvent de quelque chose comme l’ordre représenté des sensa- tions ; formulation à bien des égards proche du renvoi subjectif dans le passé dont nous entretient Libet au point de pouvoir presque se confondre avec une manière possible de lire cette dernière. Cependant, l’argument selon lequel Tebil ne "croit pas au retour dans le passé que propose Libet" ne saurait avoir le moindre sens dans ce contexte entendu que l’on parle alors d’ordre d’une part et de représentation de celui-ci d’autre part. Mais l’on ne dit, dans ce cas, rien de la temporalité (physiquement parlant) de ce qui représente ces mêmes sensations et l’on se trouve confronté à la délicate question de savoir ce qui se produit au terme du delayα de C 46 . En d’autres termes, ζ, déjà bien flou, perd toute consistance. Libet semble, par moments, formuler les choses à la manière de l’ordre représenté des sensations plutôt que l’ordre des sensations elles-mêmes, bien qu’il serait dans le même temps douteux, en raison des éléments précédents, qu’il n’ait à l’esprit qu’une représentation des sensations indépendamment de la question de savoir quand, exactement, ces sensations émergent dans la conscience et dans quel ordre elles le font. Cette expérience de pensée appuie l’idée qu’un certain degré de corres- pondance entre la fin du delayα de C et C-sensation apparaît nécessaire pour 46. Délicate question à laquelle nous reviendrons en section 2.1.2 Master LoPhiSC (année 2011-2012) 21
  • 28. Introduction ne point tomber dans la trivialité d’un raisonnement tel que si A dit "S puis C" c’est qu’il sent S puis C. Mais, dans ce contexte, on ne sait alors tout simplement pas ce que subjectivement renvoyé dans le passé peut bien vou- loir dire. Le problème, pour répondre à l’intitulé de cette section, semble précisément que l’on ne sait exactement qu’entendre par antédatation sub- jective. Il semblerait que les sensations, pour Libet, se produisent dans le temps (i,e. dans un temps comparable à celui des événements neuraux les provoquant) de par le fait que C-sensation corresponde à la fin du delayα de C tout comme il semblerait que la réponse du patient dépende de l’ordre des phénomènes subjectivement ressentis. Mais tout ceci demeure bien vague et, ainsi que l’explique Libet, "ouvert à la discussion". L’objet du présent ouvrage consiste précisément en la présentation de cette discussion entamée depuis le début des années 80. Dans la mesure où la tension semble porter principalement sur le rôle que joue, ou non, le temps et l’ordre réels entre ces sensations dans la réponse de A ainsi que sur le fait qu’une sensation isolée se produise ou non dans le temps – i,e dans un intervalle de temps physique discret 47 – posons nous la question : est-il possible de concevoir un présent non problématique dans la conscience ? Plus généralement, la perception de l’ordre des événements repose-t-il sur l’ordre des perceptions de ces derniers ? La question précédente a-t-elle seulement un sens dans un contexte comme celui-ci ? Plan Nous procéderons à l’étude du débat de la manière suivante. Après l’introduction de quelques précautions propres à ce corpus 48 , ainsi que la mise en évidence des conditions auxquelles les résultats peuvent être lus de manière dualiste 49 , nous présenterons la lecture parcimonieuse défendue par Daniel Dennett en soulignant l’importance du cas Libet pour sa thèse géné- rale 50 . Celle-ci revient, rapidement, à dire que le fait de parler du moment précis où une sensation parvient à la conscience, source des formulations paradoxales de Libet, constitue le by-produit d’une intuition illégitime ou d’une confusion répondant au nom de Théâtre Cartésien ; analyse que nous entendons défendre dans ses grandes lignes. Puis nous présenterons en chapitre 2 une série d’auteurs peu satisfaits de la réponse de Dennett. Nous dégagerons par leur biais certaines des limites et ambiguïtés de son Multiple Drafts Model 51 , pour évaluer la portée de 47. Donc, sur la question du moment auquel A devient conscient de S ainsi que celui auquel il devient conscient de C 48. Cf sec.1.1 p.25 49. Cf sec.1.2 p.36 50. Cf sec.1.3 p.45 51. Cf sec.2.2.1 p.112 22 D.R.L.Zarebski
  • 29. 0.2. Où est exactement le problème (puisqu’il y en a un) ? leurs contre-arguments ainsi que les difficultés plus générales posées par ces derniers 52 . Ce dernier point nous conduira à élargir en chapitre 3 le débat et évaluer de manière plus générale la participation de la temporalité corticale à la per- ception de propriétés plus complexes et notamment temporelles. Nous nous proposerons alors en sec.3.2 d’esquisser un élément de réponse aux problèmes posés par la lecture dennettienne au travers de la notion de présent spécieux phénoménal ou non réflexif. 52. Cf sec.2.2.2 p.142 Master LoPhiSC (année 2011-2012) 23
  • 31. Chapitre 1 De l’ordre représentant à l’ordre représenté 1.1 Précautions préliminaires Une importante glose philosophique Par le sujet même de son inves- tigation et la nature de ses résultats, l’expérience de Libet a attiré, à partir de la fin des années 70, l’attention des philosophes de l’esprit et, nous es- pérons l’avoir mis en évidence, non sans raison. Nous entendons cependant écarter de cette étude une part importante de cette littérature pour diverses raisons dont nous entendons ici rendre compte. Indépendamment de la valeur de leurs contributions philosophiques et du contenu de leurs thèses que nous partageons pour une partie d’entre elles, Libet tient généralement davantage lieu d’illustration plus ou moins précise de thèses ou idées diverses comme en Rey 1991, en Fisk et Haase 2005 ou en Böök 1999. Ainsi est-il le plus souvent glissé en note de bas de page comme en Lowe 2006 avec plus ou moins d’à-propos comme en Butterfield 1996 1 . Si le propos est le plus souvent allusif, il devient par moment approximatif comme en Beloff 1978 qui néglige de préciser que la mise en évidence du phénomène d’antédatation subjective repose, point tout de même important, sur une comparaison 2 , en Von Eckardt Klein 1975 qui use du delayα 1. Les expériences de Libet illustreraient le fait qu’un état mental ne pourrait pas dépasser la longueur de 0.1sec; corrélat que nous avons manifestement manqué. 2. Le propos est tout simplement incompréhensible sans cette précision. En effet, com- ment pourrais-je avoir l’impression, en première personne, d’avoir senti C avant de l’avoir senti ? "Libet the upshot of which is that, when a given train of signals from a weak repe- titive stimulus to the skin reaches the somaesthetic cortex and eventually gives rise to a conscious experience of being touched, it is apprehended as if it had been experienced a few moments earlier, it is ’antedated’" Beloff 1978 p.268 25
  • 32. Chapitre 1. De l’ordre représentant à l’ordre représenté comme d’un fait brut soumis à aucune autre variable que le temps 3 , en Mucciolo 1974 qui grossit le trait pour parler, sans allusion aucune au caractère extraordinaire et artificiel de ces valeurs, de latences de 5 secondes 4 ou en Lowe 1993 qui ne juge pas bon de préciser – il est loin d’être le seul – que les résultats de Libet et al. 1983 relatifs au rapport de la prise de décision avec la conscience de la prise de décision présupposent l’expérience présentée sec.0.1. Enfin, il relève dans certains rares cas de l’argument d’autorité pur et simple comme en Dilley 2004. De ce que nous avons vu, Libet ne pense pas avoir avoir fourni une preuve du "dualisme cartésien" et ne cherchait en rien une "preuve" du matérialisme ; ce dernier constitue bien plutôt l’acquis tacite de qui stimule un cerveau pour y trouver la conscience 5 . Ces différentes approchent apparaissent trop vagues et orientées par des entreprises dépassant de loin le propos modeste que constitue le présent mé- moire. Ainsi, bien que nous accordions à Mucciolo 1974 que les résultats de Libet se prêtent en effet bien mal à une théorie de l’identité et à Lowe 2006 que les résultats sont controversés, nous entendons nous concentrer davantage sur la possible réalisation physique de certains scenari explicatifs – motiva- tion visiblement marginale – quitte à renoncer à l’audacieux et passionnant projet de savoir si, oui ou non, l’esprit est autonome, si les états mentaux et physiques sont bel et bien identiques ou s’il est possible d’expliquer, en général, les propriétés des uns au moyen de celles des autres. La diversité des communautés scientifiques La présentation rapide de la littérature philosophique suffit à illustrer le fait que les communau- tés de chercheurs sont susceptibles de se focaliser sur des aspects différents du problème. Ainsi, si le facteur temps ne joue qu’un rôle mineur au sein des philosophes de l’esprit, il n’en va pas de même des métaphysiciens du temps. Cependant, nous avons eu l’occasion de souligner en introduction que le rapport du temps de la conscience à la temporalité physique pouvait être appréhendé de plusieurs manières. Des approches comme celle de Le Poide- vin 2004 adoptent plutôt ce que nous avions qualifié d’angle externe soit la question de savoir dans quelle mesure la temporalité de la conscience, don- 3. "Recent work indicates that there is a lag between the onset of firing and the onset of the sensory event of about half a second" Von Eckardt Klein 1975 p.10 4. "Libet has shown that psychological states produced by stimulation of the brain are not immediate but rather that their occurrence varies from 1/2 to 5 seconds after stimulation" Mucciolo 1974 p.323 5. "Abandoning Cartesian dualism has serious consequences,so serious that Benjamin Libet and his co-editors make the plea that since so much is a stake,and the case for materialism is not yet proved,perhaps we should hold onto our folk psychological ideas [...]" Dilley 2004 p.137 26 D.R.L.Zarebski
  • 33. 1.1. Précautions préliminaires née comme telle, permet d’aborder la temporalité du monde physique. La démarche du philosophe de l’esprit naturaliste serait plus volontiers le com- plémentaire de cet angle soit la question de savoir comment la temporalité physique naïve 6 , cérébrale, constitue celle de la conscience. Ainsi ne suffit-il pas de parler des expériences de Libet avec précision pour que les différentes entreprises concordent. Mais le côté scientifique de la table n’est pas non plus exempt de sem- blables disparités. Dennett faisait à cet égard remarquer que, contrairement à ce que l’on pourrait penser à première vue, le clivage neurologues / psy- chologues cognitifs ne consiste pas en ce que les premiers, préoccupés par des questions "câblage" oublieraient la conscience mais, bien plutôt, qu’ils parlent avec une certaine liberté de contenus représentatifs qui ne transparaissent pas dans les descriptions plus formelles ou fonctionnelles des seconds. Ainsi, Curiously, then, neuroscientists often end up looking like dua- lists, since once they have ’presented" things in consciousness, they seem to pass the buck to the Mind, while cognitive psycho- logists often end up looking like zombists (automatists ?), since they describe structures unknown to neuroanatomists, and their theories purport to show how all the work can get done without having to ring in any Inner Observer 7 . Cette remarque nous amène à souligner une autre difficulté majeure po- sée par la diversité de ce corpus ; celle de l’univocité du vocabulaire à travers ces différentes communautés. Ainsi, peut-on prendre pour argent comptant la manière dont un neurologue décrit sa thèse du point philosophique ? Outre les 6. Sa naïveté tient à son statut de notion commune ainsi qu’à sa relative conformité aux intuitions physiques relatives au temps. Ainsi que nous avons eu l’occasion de l’annoncer, notre démarche adoptera à l’égard du temps physique cette conception approximative suf- fisante pour aborder les contraintes temporelles qui s’exercent sur le cerveau. Il convient cependant de noter que ce postulat ne fait pas l’unanimité au sein des commentateurs. Roger Penrose constitue l’illustration paradigmatique de cette mouvance. Ainsi, à grands traits, la démarche de Penrose 1989 peut-elle se résumer de la sorte : 1) l’esprit humain est physiquement réalisé (ibid. pp.1-149). 2) Or, la physique quantique nous apprend que la matière (ibid. pp.149-296) et le temps (ibid. pp.302-339) ne se conforment pas néces- sairement à nos intuitions. 3) D’où, ipso facto n’y a-t-il pas lieu de s’étonner de résultats comme ceux de Libet entendu que l’esprit consiste en dernière instance en des processi physiques (ibid. pp.439-447). Aussi intéressante qu’apparaisse la démarche, nous ne lui laisserons aucune place. La raison tient de ce que 1) la puissance de l’outil nous parait disproportionnée aux besoins présents, 2) que nous ne saurions isoler sa lecture de son im- posante thèse générale 3) et que Libet tient d’avantage lieu d’illustration rapide de cette dernière. A cet égard, l’on notera également un brève occurrence en Penrose 1994 p.386 ; inexploitable pour notre propos. 7. Dennett 1991a p.256 Master LoPhiSC (année 2011-2012) 27
  • 34. Chapitre 1. De l’ordre représentant à l’ordre représenté éléments déjà avancés dans le cas de Libet lui-même, nous aurons l’occasion de montrer au fil des sections suivantes que la plus grande prudence s’impose lorsqu’il s’agit d’appréhender la position philosophique d’un professionnel sur la seule base des qualificatifs dont il use pour décrire sa position. Cela ne veut pas dire qu’il se trompe – le philosophe n’a pas le monopole sur des termes comme "théorie de l’identité" ou "représentationnalisme" – mais simplement que les problématiques avec lesquelles il compose ne se conforment pas né- cessairement à l’échelle plus générale qui préoccupe un philosophe. A titre d’illustration, lorsqu’un neurologue décrit, après 1991, son modèle en termes de "Théâtre de la Conscience" comme en Trehub 2007, ce n’est pas parce qu’il cite Dennett 1991a que son dit théâtre correspond en quoi que ce soit au Théâtre Cartésien au sens de Dennett 8 . Nous pourrions croire que le modèle s’oppose à la dénonciation de cette illusion par Dennett alors même qu’il n’en est rien : l’échelle ne correspond tout simplement pas. Nous avons d’un côté un modèle rétinien qui repose, il est vrai, sur l’idée d’un "centre de la scène" et l’autre une thèse plus globale relative aux illusions consécutives de certaines expressions glissantes 9 . Aussi resterons-nous vigilants à la mention d’expressions connotées comme "qualia", "conscience phénoménale", "Orwellianisme" ou même "Dualisme". Il n’est en effet pas certains que les zombies de Chalmers 1996, l’expérience dites des qualia inversés, ou encore la manière dont Block 1998b rendait raison du Blindsight accompagnent le simple effet-que-cela-fait qu’associe un neurologue à ces termes. Celui-ci peut très bien ne pas connaître ces ex- périences et user de termes qu’il juge généraux sans ne jamais s’être posé la question de savoir si Marie apprend quelque chose lorsqu’elle sort de sa chambre noire et blanc 10 . Une illustration : Libet et le "fonctionnalisme" Nous illustrerions la pertinence de cette précaution au vue même de la manière dont Libet 2004 appréhende en introduction le paysage intellectuel dans lequel il évolue. Celui- 8. Nous présenterons cette notion en sec.1.3 9. "The prevailing opinion in the study of mind is that there is no one place in the brain where consciousness all comes together. Dennett 1991a has presented an extended argument in support of the view that the brain creates multiples drafts of experience which somehow constitute what we call consciousness. I think this is true as far as it goes [...]" Trehub 2007 p.327 10. Dennett notait avec ironie l’étrangeté de l’usage de la notion de qualia dans cette littérature : "It is unfortunate that the term, qualia, has been adopted–in spite of my warnings (Dennett 1988, 1991a, 1994a)–by some cognitive neuroscientists who have been unwilling or unable to believe that philosophers intend that term to occupy a peculiar logical role in arguments about functionalism that cognitive neuroscience could not resolve." Dennett 2005 p.153 28 D.R.L.Zarebski
  • 35. 1.1. Précautions préliminaires ci énonce en effet les deux principes méthodologiques suivants, raisonnables au premier abord : procédure "Introspective report as the operational criterion [...] Any behavioral evidence that does not require a convincing introspective report cannot be assumed to be an indicator of conscious subjective experience. indépendance "No a priori rules for mind-brain relationship [...] Second, even if we could satisfy Laplace’s condition, we would see only molecular confi- gurations, not any mental phenomena. It is curious that a substan- tial group of philosophers, the functionalists, still hold a behavioristic, Laplacean-like view." 11 L’énoncé de ces principes révèle trois points que nous aimerions souligner. Premièrement, Libet tend à concaténer théorie de l’identité et fonctionna- lisme (à la Dennett, notamment) sous l’appellation générale de "reductionist view" sans véritablement nuancer les manières dont ces différentes thèses entendent articuler l’esprit et la conscience au tissu neural (identité ou sur- venance). Si le fonctionnalisme est une doctrine qui consiste individualiser le composant d’un organisme d’après la fonction de ce dernier plutôt que d’après ce qui réalise physiquement cette fonction, le béhaviorisme constitue plus volontiers une méthode d’investigation qui ne dit que peut de chose de thèse défendue par un auteur. Ainsi la manière dont Libet lie rigidement le fonctionnalisme – appellation la plus générale qui soit – à cette "Laplacean- like view" ne correspond pas vraiment aux sens que le philosophe de l’esprit attache généralement à ces termes. Deuxièmement, il semble étonnant, comme nous le verrons en sec.1.3, de voir Dennett dépeint sous les traits d’un béhavioriste entendu que ce der- nier ne croit pas qu’il soit possible de se dispenser de l’introspection ce qui apparaît curieusement conforme à la procédure de Libet. Enfin, l’on peut s’étonner de ce que l’argument dualiste classique selon lequel personne ne saurait, de l’observation du cerveau à l’échelle micro-structurelle, déduire quoi que ce soit des événements mentaux du patient d’une manière détermi- niste (sens à accorder ici à la Laplacean-like view) devienne sous la plume de Libet un argument contre le fonctionnalisme plutôt que contre que la théo- rie de l’identité ; historiquement sa victime 12 . La citation suivante illustre avec d’avantage d’éloquence la concaténation d’idées relatives à l’articula- tion âme/corps, pour le dire en des termes classiques, avec certains principes 11. Libet 2004 pp.16-7 12. Cette dernière passe d’ailleurs pour la théorie majoritairement adoptée par les phi- losophes ce qui a de quoi étonner : "Identity theory is probably the most commonly held philosophical theory for relating the "physical" to the "mental" Hook 1960" Libet 2004 p.87 Master LoPhiSC (année 2011-2012) 29
  • 36. Chapitre 1. De l’ordre représentant à l’ordre représenté méthodologiques. The general principle to be followed, in contrast to behaviorism, is that externally observable "physical" events and the inner ob- servable "mental" events are phenomenologically independent ca- tegories. The two are certainly interrelated, but the relationship between them can be discovered only by simultaneous observa- tions of the two separate phenomena. The relationship cannot be predicted a priori. Neither phenomenon is reducible to or descri- bable by the other 13 . Comment observer simultanément ces deux phénomènes entendu qu’ils appartiennent à des "catégories phénoménologiquement indépendantes" ? Que peut bien signifier simultanément puisque l’expérimentateur n’a accès à cer- taines informations que via le report verbal du sujet soit a posteriori ? Libet parle bien d’une "relation réciproque" (interrelated) mais n’entre que peu dans des détails de philosophes qui ne ne le concernent pas ; et à raison. Le rôle crucial des compléments du nom Dans un registre toujours linguistique, nous nous permettrons d’attirer l’attention sur une difficulté propre de ce débat que constitue le passage facile et presque imperceptible entre des expressions proches quoiqu’antagonistes : conscience du temps et temps de la conscience, simultanéité des sensations et sensations de simul- tanéité ou encore ordre des jugements et jugements de (quant à) l’ordre. Comme nous serons amenés à le montrer, la liste précédente est loin d’être exhaustive et de nombreux auteurs tendent à jouer sur les mots voire à laisser planer délibérément de semblables ambiguïtés. Nous interroger dès mainte- nant sur les raisons de ces ambiguïtés devrait souligner avec davantage de précision une dimension essentielle du débat autour de Libet que constituele passage permanent du contenu au véhicule ; distinction que nous entendons clarifier dans ce paragraphe. Il existe dans l’histoire une multitude de manière d’affirmer que l’esprit humain possède la faculté de se représenter le temps, que l’on choisisse de par- ler d’une intuition a priori de l’expérience sensible à l’instar de Kant ou d’un agencement en flux mu par les lois universelles de l’incompossibilité comme dans une partie de la tradition phénoménologique. En dépit de l’antagonisme des systèmes de savoir à l’origine de ces formulations, tous partagent la ca- ractéristique commune de dénoter plus volontiers l’operandum que l’operans, le contenu que le véhicule ou, pour le dire autrement, le temps tel que la conscience le conçoit ou, sans précaution aucune, le perçoit plutôt que la 13. Libet 2004 p.17 30 D.R.L.Zarebski
  • 37. 1.1. Précautions préliminaires temporalité de la conscience en elle-même. Les raisons, pour les citer rapi- dement, tiennent premièrement de la difficulté que constitue une distinction aussi contre-intuitive. En effet, outre les difficultés techniques sur lesquelles nous reviendrons, parler d’un temps de la conscience par opposition à la conscience du temps invite à appréhender la conscience, si ce n’est comme, du moins à la manière d’un phénomène naturel potentiellement datable dans une chronologie physique ; perspective nouvelle, possible uniquement dans une classe réduite du matérialisme. S’ajoute à cela l’argument de la spontanéité et du fonctionnement quo- tidien. Le fait est qu’en première personne la temporalité de la conscience apparaît celle de ce qui s’y passe, celle de la succession de ses contenus, re- présentations, idées, impressions -ou quel que soit le nom que l’on veuille leur donner- plutôt que la temporalité de ce qui réalise ces mêmes événements. Demander si l’on peut, en première personne, se représenter la temporalité de la conscience plutôt que celle des événements qui s’y produisent apparaît aussi dénué de sens que de demander si l’on peut avoir mal au cerveau, direc- tement : le fonctionnement normal de l’esprit n’est pas, à certaines précisions près, conçu pour se représenter adéquatement, physiquement, sa propre ac- tivité 14 . Enfin, remarque bien triviale mais qu’il nous faut faire, il ne suffit pas d’ouvrir un crane pour y découvrir l’esprit aussi, méthodologiquement cette fois, les investigations empiriques relatives à la temporalité de l’esprit, si ce n’est de la conscience, dépendent-elles intrinsèquement d’expériences perceptives rapportées, soit de la perception du temps par l’esprit. Les deux dimensions apparaissent une fois de plus essentiellement liées. Joue toutefois en la faveur de cette distinction que lié ne saurait en au- cun cas signifier confondu, indistinct (identité au sens épistémique, faible) ni même identique (sens fort pour ne pas dire métaphysique). Nous verrons à cet égard qu’une partie des difficultés avec lesquelles composent les investiga- tions empiriques autours de la perception du temps ou de la temporalité de l’esprit tiennent de cette confusion, que celle-ci soit tacite (glissement séman- tique, jeux de mots, langue relâchée) ou, au contraire, pleinement assumée. Nous prendrons au contraire, indépendamment du caractère ou non justi- fié de cette distinction, grand soin d’éviter cette confusion sémantique aussi fixerons-nous ces deux expressions au moyen de l’artifice suivant. Puisqu’il risque de devenir fastidieux de préciser chaque fois conscience de la tempo- ralité (ou perception du temps) d’une part et temporalité de la conscience (ou de l’esprit), nous userons de la distinction au combien précieuse véhi- 14. Cela ne veut pas pour autant dire que la problématique, elle, métacognitive de la représentation de la temporalité de l’activité consciente ou de la cognition elle-même par l’esprit soit dénuée de sens, loin de là. Cependant, en raison de sa complexité, mieux vaut la laisser pour un temps Master LoPhiSC (année 2011-2012) 31
  • 38. Chapitre 1. De l’ordre représentant à l’ordre représenté cule/contenu qui présente au moins l’avantage de sa nature générique. En effet, si les questions de savoir si la conscience au sens A plutôt que celle au sens B est responsable de la perception de la temporalité ainsi que celle de la nature de ce qui est temporalisé (événements physiques, mentaux, sense data...) ne font pas l’unanimité, on est en droit d’affirmer qu’il existe cepen- dant une différence essentielle entre les propriétés de ce qui représente (véhi- cule) et les propriétés de ce qui est représenté (contenu). Aussi userons-nous dans les cas ambigus des expressions temporalité du contenu et temporalité du véhicule. Conscience, consciences ; soyons raisonnables Pour en venir cette fois à l’indétermination ou la surdétermination de ce concept, il convient de prendre acte de la polysémie du terme "conscience". La littérature phi- losophique technique concernée par la vie mentale a mis au point de très nombreuses et précieuses distinctions susceptibles de clarifier certains phé- nomènes. Sans que cette remarque ne soit interprétée en des termes intellec- tualistes, nous aimerions faire nôtre cette provocation de Dennett 1991a en avançant qu’à la manière de l’amour ou de l’argent, la conscience compte parmi les phénomènes qui, à la différence des tremblement de terre, dépendent à bien des égards de leurs concepts 15 . Il existe cependant plusieurs manières d’appréhender cette dépendance, cette pique. La plus modeste d’entre toutes consiste à remarquer que les concepts portant sur la conscience – par opposition à ce dont serait constituée la conscience si nous prenions la provocation au pied de la lettre – répondent à des objectifs divers à l’origine de leur constitution. De même que l’argent peut s’appréhender d’après sa valeur d’usage, comme une devise conver- tible jusqu’en 1971 en or ou, à une autre échelle, comme la suite de chiffres qu’un salarié touche à la fin du mois, de même n’y-t-il, en ce sens pris, de consciences qua concepts – phénoménale, d’accès, de second degré, brute, qua fonction, qua processi computationnels ou au contraire en première personne, qua HOT, qua HOE ou qua HOD 16 – que parce que certains aspects de la vie mentale, d’où de La Conscience, réclament des distinctions adaptées à des situations paradigmatiques qui mettent à mal l’unité insécable que l’on attribue à cette chose qui n’en demeure pas moins sujet 17 15. "On the view of consciousness I will develop in this book, it turns out that conscious- ness, like love and money, is a phenomenon that does indeed depend to a surprising extent on its associated concepts." Dennett 1991a p.24 16. Nous empruntons cette tri-partition des consciences de degré supérieur, Higher Or- der, respectivement, Thought, Experience et Description à Carruthers 2000 17. "Perhaps the various phenomena that conspire to create the sense of a single myste- rious phenomenon have no more ultimate or essential unity than the various phenomena 32 D.R.L.Zarebski
  • 39. 1.1. Précautions préliminaires Il existe cependant des distinctions ou aspects de la vie mentale au sujet de l’indépendance desquels il semble bien difficile de douter. A cet égard il semble y avoir une différence assez évidente entre ce qui relève de la phéno- ménalité – du fait de sentir, d’éprouver quelque chose au moyen de ses sens – et le reste des activités mentales entendues au sens large du terme. De même, il semble à première vue légitime, ainsi que nous l’avions proposé en intro- duction, de considérer que ces sensations se succèdent dans le temps, que le fait d’éprouver x, y, z puisse être légitimement décrit en termes d’ordre. Au niveau 0 de notre réflexion, s’il est possible d’entendre toc, toc à la porte plutôt que TOC, c’est bien que la phénoménalité se déploie dans le temps. Cependant, un exemple canonique nous montrera que si ce fait, évident, ne pose aucun problème in abstracto, que si la distinction va de soi, le fait de tracer nettement la ligne et d’énoncer des conditions de phénoménalité à la fois simples et génériques se complique sitôt que le temps intervient. Prenons l’exemple bien connu du conducteur rêveur sur un trajet connu 18 . Celui-ci est susceptible de laisser dériver ses pensées pour se rendre compte, quelques minutes plus tard, qu’il n’a pour ainsi dire aucun souvenir de la route. En un sens, celui-ci n’était pas conscient de la route bien que, s’il n’en avait vraiment pas été conscient, il ne serait pas revenu de ses songes entre les bandes blanches mais bientôt dans le fossé. L’on sent que ce cas invite à distinguer différents degrés de conscience. Cependant, la question de savoir si cette distinction peut s’entendre d’après l’opposition conscience d’accès / conscience phénoménale à la Block et de savoir 19 , plus généralement si le conducteur a été phénoménalement conscient durant cette absence sans que ceci n’ai laissé d’empreinte pérenne dans sa mémoire ou si, au contraire son pilote automatique ne s’entend qu’en terme de conscience d’accès sans conscience phénoménale, cette dernière réclamant alors quelque chose comme une conscience d’avoir été conscient, une réflexivité 20 , ne nous intéressera pas. that contribute to the sense that love is a simple thing." Dennett 1991a p.23 18. Cet exemple tiré de Searle 1990 est connu pour avoir suscité un débat autour de la notion d’accès. Celui-ci peut être trouvé en Crick et Koch 1995 et Block 1998a. 19. Au sens strict les sensations ou l’expérience relèvent de la conscience phénoménale, les représentations ou plus généralement ce qui est mobilisé dans le fonctionnement de l’esprit ou du corps relève de la conscience d’accès. Cette distinction est typiquement mo- bilisée pour différencier le syndrome d’Anton – le patient voit mais affirme ne rien voir – du blindsight – le patient ne voit pas mais parvient à deviner avec un relatif succès les pro- priétés simples du stimulus placé dans sa zone aveugle. Nous n’adopterons cependant pas la distinction d’une manière aussi rigide pour les raisons que nous apprêtons à présenter. 20. L’on trouve notamment cette idée, contre-intuitive au premier abord, que la conscience-P réclame une pensée de second degré en Carruthers 1989 ou Carruthers 2000. A titre d’illustration : " Similarly, a conscious visual experience is one that, besides causing beliefs about the matter to which the experience relates, and being made available Master LoPhiSC (année 2011-2012) 33
  • 40. Chapitre 1. De l’ordre représentant à l’ordre représenté La raison en est qu’il serait aisé de multiplier le jargon pour étouffer dans l’oeuf la difficulté posée par les résultats de Libet. A titre d’illustration, nous avions avancé en sec.0.2 l’idée d’une dissociation de l’ordre des qualia ou effets que cela fait de sentir sa main droite (resp. main gauche) avec l’ordre rapporté 21 . Par certains de ses aspects, cette solution peut évoquer quelque chose comme une dissociation blockeenne appliquée au temps. Cependant, nous n’emprunterons pas cette voie au sujet de Libet pour trois raisons. Premièrement, considération quantitative, 500ms ne sont pas les 3 minutes d’un trajet quotidien. Il peut certes être intéressant de se demander si, et en quel sens, l’automobiliste a eu une expérience phénoménale pendant ces trois minutes d’égarement mais nous aimerions dès à présent insister sur le fait que ces situations ne se placent tout simplement pas à la même échelle. De plus, il convient de garder à l’esprit que les patients ne se trouvaient pas à rêver au volant mais bien dans une situation expérimentale réclamant de leur part un minimum d’attention. Nous aimerions, deuxièmement, rendre raison de la volonté de Libet de considérer les rapports rétrospectifs comme l’expression privilégiée d’ex- périences subjectives (indicator of conscious subjective experience). L’écart entre les stimulations et les reports ne dépassant pas les quelques secondes, il est certes possible de considérer que ce temps est suffisant pour que le sujet se trompe relativement à sa vie mentale – en vérité, rien ne pourra jamais contredire des hypothèses aussi exotiques – mais cette multiplication gothique d’instants inaccessibles questionnerait très certainement notre ap- préhension de l’identité personnelle. Nous ne sommes ni des poissons rouges ni une armée de schizophrènes qui se succéderaient, ni vus ni connus, dans le même corps. Enfin, pour revenir à un ton plus sérieux, il ne semble pas qu’une distinc- tion à l’origine destinée à rendre raison de certains phénomènes – Blindsight notamment – puisse s’appliquer sans dommage à toute situation. Appliquer une distinction aussi nette dans le cas présent conduirait à une conception insulaire de la phénoménalité, que nous ne défendrons pas. Nous partirons du principe que si les patients ont dit "main gauche puis main droite" c’est certes parce qu’ils ont éprouvé ces sensations dans un certain ordre mais en tant que cet ordre joue un rôle dans les fonctions cognitives d’un individu. Si l’on accorde à Libet qu’un mécanisme, peu importe pour l’instant sa na- ture, compense les latences du système nerveux pour fournir un tableau plus conforme de la réalité que le simple ordre dans lequel des signaux parviennent to nonconscious motor control processes, is apt to give rise to the belief that just such an experience is taking place." Carruthers 1989 p.261 21. Voir fig.7 p.17 34 D.R.L.Zarebski
  • 41. 1.1. Précautions préliminaires au cortex, cette phénoménalité et, plus important encore, son ordre doivent bien servir à quelque chose. Il n’est que d’imaginer une conversation du Père Créateur avec l’Archange Gabriel pour se rendre compte de l’absurdité d’une distinction trop nette entre ce qui relèverait de l’ordre phénoménal et les données temporelles exploitées par tout le reste du système 22 . Dieu Je pense m’en être plutôt bien sorti avec ce mécanisme d’antédatation subjective. Il a été compliqué de s’arranger pour qu’ils sentent les sen- sations dans cet ordre mais j’y suis parvenu en plaçant un jumper au bon endroit. Gabriel Ah, ils pourront donc enfin jouer du piano et répartir des suites de triolets sur les deux mains sans ... Dieu Mais que me racontes-tu Gabriel ? Il n’a jamais été question de les pourvoir d’une vie phénoménale utile. Vois, par exemple, ce patient de l’Hôpital Mt Zion de San Francisco. Il dit "main droite puis main gauche" mais, en réalité, il les a ressenti phénoménalement dans l’autre ordre. Cela ne fait pas plus de différence dans le cas de report ver- baux que dans le reste des activités humaines ; l’ordre des expériences phénoménales ne sert absolument à rien. Au fond, j’aurais pu placer le jumper ailleurs, inverser l’ordre, sans que cela ne change quoi que ce soit à leur fonctionnement. Gabriel Mais pourquoi s’être donné tant de mal ? Des zombies auraient suffit. Dieu Par défi personnel. De même que certains mortels fixent des enjoliveurs chromés aux roues de leurs voitures, je voulais des créatures qui sentent vraiment quelque chose et, plus élégant encore, qui ressentent les choses dans un certain ordre mais, je te l’accorde, cela ne sert qu’à faire joli. En conséquence, nous n’userons pas de la conscience phénoménale au sens technique et blockéen du terme entendu que celui-ci apparaît trop fort pour le présent objectif. Ce sens technique oblige en effet à se prononcer sur un ensemble réflexions relatives au caractère réductible ou non de la dimension phénoménale de l’expérience ; réflexions certes intéressantes mais développées dans le cadre d’une philosophie de l’esprit d’état à état pour laquelle la ques- tion du temps n’intervient qu’en termes d’avant/après conscience. En consé- quence la simple succession perceptive d’effets que cela fait, de sensations, suffira dans un premier temps à nos besoins aussi userons-nous du terme de conscience phénoménale sans présupposer une nette distinction entre ce qui relève de la phénoménalité et ce qui relève du reste des fonctions. Il est en 22. Nous serons amenés à présenter en sec.2.2.2.4 des arguments supplémentaires contre cette tentative. Master LoPhiSC (année 2011-2012) 35