1. LE VOTE DE TUBA CITY
James Black Hawk jeta sur la longue table son bracelet d’argent. L’objet sonna, dansa un
instant sur la lisse surface de cèdre, puis s’immobilisa. Les délégués, surpris, suspendirent
leurs discussions désordonnées. En dehors de James, ils étaient dix-neuf, attablés dans la salle
de réunions du Quality Inn, trading post de Tuba City. Certains étaient de la ville, d’autres
venaient de Kayenta, de Cameron, de Mexican Hat ; quatre d’entre eux avaient fait le voyage
depuis Window Rock, la capitale administrative de la réserve navajo, sur la frontière du
Nouveau-Mexique. Ils étaient membres du gouvernement tribal du Navajoland et ils avaient
répondu à l’appel de James Black Hawk, l’un des leurs, l’une des voix les plus écoutées au
Conseil. Dehors, devant l’entrée de l’hôtel surmontée de l’inscription Yaa-tu-eeh
(bienvenue), six policiers navajos en uniforme kaki, révolver à la ceinture, montaient la garde.
Leur camionnette 4x4 stationnait à proximité. La nuit tombait sur l’Arizona.
Assez ! clama James Black Hawk. Vous parlez comme des comptables, des marchands. Que
voyez-vous sur ce bracelet ?
Le bijou passa de main en main. Sur sa face externe était gravée une image. Un homme et
une femme stylisés, vus de trois-quarts. Les délégués, perplexes, regardaient le dessin.
Ceci ne vous rappelle rien ? insista James Black Hawk.
Sa voix grave sortait de sa bouche véhémente comme le vent du désert sort du Rocher Troué
de Monument Valley. Les muscles contractés de sa large face faisaient saillir ses fortes
pommettes cuivrées. Ses yeux noirs jetaient des lueurs de braise. Sam Mule Deer de Kayenta
prit le bracelet en se levant, repoussa sa chaise et, passant dans le dos de ses collègues
silencieux, se dirigea à pas lents vers James. Les yeux toujours baissés sur le bracelet, il dit :
C’est le couple qu’on voit dans la falaise de Sentinel Mesa, à Monument Valley (1)
James Black Hawk prit le bracelet que Sam lui tendait. Il laissa passer un silence, durant
lequel on entendit, venant du dehors, les aboiements des coyotes. Après quoi, il dit :
Oui. L’homme et la femme de Sentinel Mesa. Le vent les a gravés dans la roche rouge pour
que nous nous souvenions qu’ils sont le père et la mère de notre peuple. Ils nous disent :
Vous êtes nos enfants et votre héritage, c’est la terre. Pas seulement celle de cette réserve, où
les Blancs nous ont relégués, mais celle de l’Amérique tout entière qu’ils nous ont volée, à
nous et aux autres tribus. La nation dineh (2) ne doit plus se contenter de faire tourner des
hôtels et des casinos pour les touristes. Elle ne doit plus céder ses terres aux industriels
américains du charbon et du bois contre des loyers de misère. Vous étiez des chasseurs et des
guerriers, avant de devenir des pasteurs et des marchands. Relevez la tête et revendiquez vos
droits ancestraux !
2. Frères, écoutons-les ! Nous voulons être respectés comme un peuple adulte, capable de
prendre en main son propre avenir. Et pour cela, il faut que le gouvernement tribal présente
un candidat ou une candidate aux élections américaines. Nous ne commencerons à être
entendus par Washington que le jour où l’un des nôtres siégera au Sénat des Etats-Unis. Nous
ne sommes pas tout le Conseil. Il faut convaincre les autres délégués. Ceux de l’Arizona, de
l’Utah et du Nouveau-Mexique. Il faut que bientôt, à Window Rock, les quatre-vingt-huit
membres du gouvernement élisent leur candidat.
Les dix-neuf échangèrent des regards. Il y eut des conciliabules. Enfin, Sam Mule Deer prit
la parole :
Je propose que nous votions d’ores et déjà pour désigner notre candidat, celui de l’ouest du
Navajoland. Pour moi, ce ne peut être que James Black Hawk. Qui est pour sa candidature ?
Sam Mule Deer, ce disant, leva la main. Les dix-huit autres mains se levèrent en même
temps.
Sur le seuil de la salle de réunions du Quality Inn, la jeune réceptionniste navajo, qui avait
quitté son poste pour assister au débat, se tenait debout, la tête haute. Un sourire éclatant
illuminait son beau visage.
(1) Ces personnages sculptés dans la pierre existent réellement à Monument Valley.
(2) Nom de la nation navajo en langue vernaculaire.
***
James Black Hawk jeta sur la longue table son bracelet d’argent. L’objet sonna, dansa un
instant sur la lisse surface de cèdre, puis s’immobilisa. Les délégués, surpris, suspendirent
leurs discussions désordonnées. En dehors de James, ils étaient dix-neuf, attablés dans la salle
de réunions du Quality Inn, trading post de Tuba City. Certains étaient de la ville, d’autres
venaient de Kayenta, de Cameron, de Mexican Hat ; quatre d’entre eux avaient fait le voyage
depuis Window Rock, la capitale administrative de la réserve navajo, sur la frontière du
Nouveau-Mexique. Ils étaient membres du gouvernement tribal du Navajoland et ils avaient
répondu à l’appel de James Black Hawk, l’un des leurs, l’une des voix les plus écoutées au
Conseil. Dehors, devant l’entrée de l’hôtel surmontée de l’inscription Yaa-tu-eeh
3. (bienvenue), six policiers navajos en uniforme kaki, révolver à la ceinture, montaient la garde.
Leur camionnette 4x4 stationnait à proximité. La nuit tombait sur l’Arizona.
Assez ! clama James Black Hawk. Vous parlez comme des comptables, des marchands. Que
voyez-vous sur ce bracelet ?
Le bijou passa de main en main. Sur sa face externe était gravée une image. Un homme et
une femme stylisés, vus de trois-quarts. Les délégués, perplexes, regardaient le dessin.
Ceci ne vous rappelle rien ? insista James Black Hawk.
Sa voix grave sortait de sa bouche véhémente comme le vent du désert sort du Rocher Troué
de Monument Valley. Les muscles contractés de sa large face faisaient saillir ses fortes
pommettes cuivrées. Ses yeux noirs jetaient des lueurs de braise. Sam Mule Deer de Kayenta
prit le bracelet en se levant, repoussa sa chaise et, passant dans le dos de ses collègues
silencieux, se dirigea à pas lents vers James. Les yeux toujours baissés sur le bracelet, il dit :
C’est le couple qu’on voit dans la falaise de Sentinel Mesa, à Monument Valley (1)
James Black Hawk prit le bracelet que Sam lui tendait. Il laissa passer un silence, durant
lequel on entendit, venant du dehors, les aboiements des coyotes. Après quoi, il dit :
Oui. L’homme et la femme de Sentinel Mesa. Le vent les a gravés dans la roche rouge pour
que nous nous souvenions qu’ils sont le père et la mère de notre peuple. Ils nous disent :
Vous êtes nos enfants et votre héritage, c’est la terre. Pas seulement celle de cette réserve, où
les Blancs nous ont relégués, mais celle de l’Amérique tout entière qu’ils nous ont volée, à
nous et aux autres tribus. La nation dineh (2) ne doit plus se contenter de faire tourner des
hôtels et des casinos pour les touristes. Elle ne doit plus céder ses terres aux industriels
américains du charbon et du bois contre des loyers de misère. Vous étiez des chasseurs et des
guerriers, avant de devenir des pasteurs et des marchands. Relevez la tête et revendiquez vos
droits ancestraux !
Frères, écoutons-les ! Nous voulons être respectés comme un peuple adulte, capable de
prendre en main son propre avenir. Et pour cela, il faut que le gouvernement tribal présente
un candidat ou une candidate aux élections américaines. Nous ne commencerons à être
entendus par Washington que le jour où l’un des nôtres siégera au Sénat des Etats-Unis. Nous
ne sommes pas tout le Conseil. Il faut convaincre les autres délégués. Ceux de l’Arizona, de
l’Utah et du Nouveau-Mexique. Il faut que bientôt, à Window Rock, les quatre-vingt-huit
membres du gouvernement élisent leur candidat.
Frères, écoutons-les ! Nous voulons être respectés comme un peuple adulte, capable de
prendre en main son propre avenir. Et pour cela, il faut que le gouvernement tribal présente
un candidat ou une candidate aux élections américaines. Nous ne commencerons à être
entendus par Washington que le jour où l’un des nôtres siégera au Sénat des Etats-Unis. Nous
ne sommes pas tout le Conseil. Il faut convaincre les autres délégués. Ceux de l’Arizona, de
4. l’Utah et du Nouveau-Mexique. Il faut que bientôt, à Window Rock, les quatre-vingt-huit
membres du gouvernement élisent leur candidat.
Les dix-neuf échangèrent des regards. Il y eut des conciliabules. Enfin, Sam Mule Deer prit
la parole :
Je propose que nous votions d’ores et déjà pour désigner notre candidat, celui de l’ouest du
Navajoland. Pour moi, ce ne peut être que James Black Hawk. Qui est pour sa candidature ?
Sam Mule Deer, ce disant, leva la main. Les dix-huit autres mains se levèrent en même
temps.
Sur le seuil de la salle de réunions du Quality Inn, la jeune réceptionniste navajo, qui avait
quitté son poste pour assister au débat, se tenait debout, la tête haute. Un sourire éclatant
illuminait son beau visage.
(1) Ces personnages sculptés dans la pierre existent réellement à Monument Valley.
(2) Nom de la nation navajo en langue vernaculaire.
***Liste des articles du blog vega43.over-blog.com :
LE VOTE DE TUBA CITY
James Black Hawk jeta sur la longue table son bracelet d’argent. L’objet sonna, dansa un
instant sur la lisse surface de cèdre, puis s’immobilisa. Les délégués, surpris, suspendirent
leurs discussions désordonnées. En dehors de James, ils étaient dix-neuf, attablés dans la salle
de réunions du Quality Inn, trading post de Tuba City. Certains étaient de la ville, d’autres
venaient de Kayenta, de Cameron, de Mexican Hat ; quatre d’entre eux avaient fait le voyage
depuis Window Rock, la capitale administrative de la réserve navajo, sur la frontière du
Nouveau-Mexique. Ils étaient membres du gouvernement tribal du Navajoland et ils avaient
répondu à l’appel de James Black Hawk, l’un des leurs, l’une des voix les plus écoutées au
Conseil. Dehors, devant l’entrée de l’hôtel surmontée de l’inscription Yaa-tu-eeh
(bienvenue), six policiers navajos en uniforme kaki, révolver à la ceinture, montaient la garde.
Leur camionnette 4x4 stationnait à proximité. La nuit tombait sur l’Arizona.
Assez ! clama James Black Hawk. Vous parlez comme des comptables, des marchands. Que
voyez-vous sur ce bracelet ?
Le bijou passa de main en main. Sur sa face externe était gravée une image. Un homme et
une femme stylisés, vus de trois-quarts. Les délégués, perplexes, regardaient le dessin.
Ceci ne vous rappelle rien ? insista James Black Hawk.
Sa voix grave sortait de sa bouche véhémente comme le vent du désert sort du Rocher Troué
de Monument Valley. Les muscles contractés de sa large face faisaient saillir ses fortes
pommettes cuivrées. Ses yeux noirs jetaient des lueurs de braise. Sam Mule Deer de Kayenta
prit le bracelet en se levant, repoussa sa chaise et, passant dans le dos de ses collègues
silencieux, se dirigea à pas lents vers James. Les yeux toujours baissés sur le bracelet, il dit :
5. C’est le couple qu’on voit dans la falaise de Sentinel Mesa, à Monument Valley (1)
James Black Hawk prit le bracelet que Sam lui tendait. Il laissa passer un silence, durant
lequel on entendit, venant du dehors, les aboiements des coyotes. Après quoi, il dit :
Oui. L’homme et la femme de Sentinel Mesa. Le vent les a gravés dans la roche rouge pour
que nous nous souvenions qu’ils sont le père et la mère de notre peuple. Ils nous disent :
Vous êtes nos enfants et votre héritage, c’est la terre. Pas seulement celle de cette réserve, où
les Blancs nous ont relégués, mais celle de l’Amérique tout entière qu’ils nous ont volée, à
nous et aux autres tribus. La nation dineh (2) ne doit plus se contenter de faire tourner des
hôtels et des casinos pour les touristes. Elle ne doit plus céder ses terres aux industriels
américains du charbon et du bois contre des loyers de misère. Vous étiez des chasseurs et des
guerriers, avant de devenir des pasteurs et des marchands. Relevez la tête et revendiquez vos
droits ancestraux !
Frères, écoutons-les ! Nous voulons être respectés comme un peuple adulte, capable de
prendre en main son propre avenir. Et pour cela, il faut que le gouvernement tribal présente
un candidat ou une candidate aux élections américaines. Nous ne commencerons à être
entendus par Washington que le jour où l’un des nôtres siégera au Sénat des Etats-Unis. Nous
ne sommes pas tout le Conseil. Il faut convaincre les autres délégués. Ceux de l’Arizona, de
l’Utah et du Nouveau-Mexique. Il faut que bientôt, à Window Rock, les quatre-vingt-huit
membres du gouvernement élisent leur candidat.
Les dix-neuf échangèrent des regards. Il y eut des conciliabules. Enfin, Sam Mule Deer prit
la parole :
Je propose que nous votions d’ores et déjà pour désigner notre candidat, celui de l’ouest du
Navajoland. Pour moi, ce ne peut être que James Black Hawk. Qui est pour sa candidature ?
Sam Mule Deer, ce disant, leva la main. Les dix-huit autres mains se levèrent en même
temps.
Sur le seuil de la salle de réunions du Quality Inn, la jeune réceptionniste navajo, qui avait
quitté son poste pour assister au débat, se tenait debout, la tête haute. Un sourire éclatant
illuminait son beau visage.
(3) Ces personnages sculptés dans la pierre existent réellement à Monument Valley.
(4) Nom de la nation navajo en langue vernaculaire.