2. Carence martiale : nouvelles avancées dans le métabolisme du fer,
implications thérapeutiques
Le fer est élément indispensable à la vie car en plus de son rôle central dans le
transport de l’oxygène par l’hémoglobine, il participe à de nombreuses réactions
enzymatiques (réactions d’oxydo-réduction de la chaîne respiratoire mitochondriale,
protection contre le stress oxydatif). L’équilibre du fer dans l’organisme est finement
régulé car deux écueils doivent être évités : la surcharge avec un risque toxique car
l’organisme n’est pas capable d’éliminer le fer en excès ; la carence avec un risque
notamment (mais pas uniquement) d’anémie. La carence en fer peut se manifester
avant l’apparition de l’anémie par de très nombreux symptômes : fatigue, irritabilité,
diminution des aptitudes physiques et intellectuelles, pertes des cheveux, ongles striés
et cassants, fourmillements dans les membres inférieurs...
3. Le stockage et le transport du fer
Le fer physiologique existe sous forme d’ions Fe2+ ou Fe3+. Du fait de sa toxicité, le fer
sanguin libre doit être pris étroitement en charge par des protéines qui assurent son
stockage et son transport. Plusieurs protéines - la transferrine, le récepteur de la
transferrine et la ferritine - jouent un rôle central dans le transport et le stockage du fer
dans l’organisme. La transferrine transporte le fer dans le plasma et les liquides
extracellulaires. Le récepteur de la transferrine est présent sur la membrane des
cellules dont le métabolisme nécessite du fer ; il fixe la transferrine circulante et
l’internalise dans la cellule. La ferritine stocke le fer dans les tissus sous une forme
secondairement disponible pour la cellule. Ainsi, le taux de ferritine sérique est le
meilleur indicateur des réserves de fer de l’organisme. Une diminution du coefficient
de saturation de la transferrine (CST) en dessous de 20% est le signe d’un défaut de
délivrance du fer aux précurseurs des globules rouges (érythroblastes) et aux autres
cellules consommatrices de fer, et donc d’une carence en fer.
Chez l’individu normal, 10 mg de fer sont ingérés quotidiennement avec la nourriture,
dont seulement 1 à 2 mg sont absorbés par les cellules intestinales (duodénales). Une
quantité équivalente est perdue, en particulier par desquamation des cellules
intestinales. Le stock total de fer de l’organisme est réparti ainsi : 1800 mg dans
l’hémoglobine des globules rouges, 300 mg dans l’hémoglobine des précurseurs, 400
mg dans la myoglobine et dans différentes enzymes, 1000 mg stockés dans les cellules
du foie et 600 mg dans les macrophages et la moelle osseuse.
4. L’hepcidine et les nouveaux acteurs du métabolisme du fer
Depuis une dizaine d’années, les connaissances sur le transport, le stockage et
l’équilibre du fer ont évolué de façon spectaculaire. L’hepcidine, peptide hormonal
synthétisé par les cellules hépatiques, se fixe à la ferroportine et bloque ainsi
l’exportation du fer des cellules intestinales ou des macrophages vers la circulation
sanguine. La carence martiale s’accompagne de taux bas d’hepcidine tandis que la
surcharge en fer s’accompagne de taux élevés. Dans une situation d’inflammation, la
synthèse de l’hepcidine est fortement induite par des stimuli inflammatoires.
L’hepcidine a ainsi un rôle central dans la carence martiale fréquemment associée aux
syndromes inflammatoires, aux infections et aux cancers.
5. Carence martiale absolue et fonctionnelle
Une carence martiale est absolue lorsque les stocks en fer tissulaire sont insuffisants
(ferritine < 100 µg/L), avec une baisse du fer de transport (CST <20%), ce qui ne permet
plus de répondre aux besoins de l’organisme. La carence absolue peut être la
conséquence d’une insuffisance d’apport en fer, d’une augmentation de l’utilisation du
fer ou de pertes en fer exagérées (pertes sanguines aigües ou chroniques). La carence
martiale fonctionnelle est observée lorsque la mobilisation du fer depuis les réserves
tissulaires vers le secteur sanguin est compromise, alors que les réserves en fer sont
suffisantes (taux de ferritine normaux voire élevés). La carence martiale fonctionnelle
est rencontrée dans les états inflammatoires chroniques ; elle est caractérisée par une
diminution du fer circulant, une rétention du fer dans les macrophages et une
diminution de l’absorption intestinale de fer. Ce mécanisme permet de comprendre
pourquoi le fer intraveineux, contrairement au fer oral, est efficace dans la carence
martiale fonctionnelle car il permet de court-circuiter la barrière intestinale.
6. Situations pathologiques avec carence martiale
L’anémie est une complication fréquente de l’insuffisance rénale chronique, du fait de
pertes sanguines, particulièrement chez les patients dialysés, mais également d’un état
inflammatoire chronique. L’anémie des maladies intestinales inflammatoires (maladie
de Crohn, rectocolite hémorragique) est le prototype d’une anémie associant carence
martiale fonctionnelle (par inflammation chronique) et carence martiale absolue (par
des saignements récurrents de la muqueuse intestinale ulcérée). Le fer permet le
transport de l’oxygène et le métabolisme oxydatif nécessaires à une contraction
musculaire (cardiaque ou squelettique) optimale. Chez les patients insuffisants
cardiaques, la carence martiale est fréquente, avec ou sans anémie, et retentit
négativement sur la qualité de vie. Une carence en fer semble aussi impliquée dans de
nombreuses autres situations cliniques : fatigue, alopécie, troubles cognitifs,
irritabilité, syndrome des jambes sans repos etc…
7. Prise en charge thérapeutique de la carence martiale
Les apports alimentaires quotidiens en Fer sont de 1 à 2 mg et correspondent
pratiquement aux pertes quotidiennes, expliquant que l’équilibre du métabolisme
martial est précaire. Les aliments les plus riches en fer sont le foie, la viande rouge, les
œufs, les lentilles et le vin (mais pas les épinards !). La prise en charge d’une carence
martiale comportera donc systématiquement deux volets : (i) la recherche d’une cause
sous-jacente expliquant cette carence, et qui nécessitera une prise en charge adaptée,
d’autant qu’une correction prolongée de la carence est impossible tant que persiste la
cause, (ii) la correction de la carence elle-même qui se fait par une supplémentation en
fer, via des traitements médicamenteux par voie orale ou par voie intraveineuse.
Le traitement de première intention de la carence martiale repose sur une
supplémentation par voie orale sous forme de sulfate de fer, à une posologie moyenne
de 100 à 200 mg par jour. Cette solution, pratique et économique dans de nombreuses
situations cliniques, est malheureusement souvent limitée par deux phénomènes.
L’absorption intestinale du fer est faible puisque seulement 10 % du fer ingéré est
absorbé, ce qui impose des durées prolongées de traitement (3 à 4 mois) afin d’aboutir
à une correction complète de la carence. La tolérance gastro-intestinale du fer oral est
médiocre car il peut induire nausées, vomissements, constipation, diarrhée et douleurs
abdominales, qui conduisent souvent à un arrêt prématuré.
8. La correction de la carence martiale par du fer injectable présente beaucoup
d’avantages, notamment en cas de carence martiale profonde, d’hémodialyse, de
pathologies inflammatoires, d’intolérance ou d’inefficacité du traitement par voie
orale. Il existe en France deux préparations de fer injectables : le fer saccharose et le
fer carboxymaltose. La toxicité propre du fer labile, corrélée au poids moléculaire du
complexe de fer, est surtout importante pour le fer saccharose, alors que ce risque est
beaucoup plus faible pour le fer carboxymaltose. L’immunogénicité de ces molécules
peut être à l’origine de réactions allergiques, rares mais sévères (choc anaphylactique),
dont le risque est faible pour le fer saccharose ou le fer carboxymaltose. Ces différents
risques expliquent les contraintes d’utilisation et de prescription. Tous les fers
injectables sont perfusés en secteur hospitalier. La dose de fer saccharose ne peut
dépasser 200 mg de fer en 90 minutes par perfusion, et 3 perfusions par semaine. Le
fer carboxymaltose peut être injecté en une fois jusqu’à 1000 mg de fer en 15 à 30
minutes. Les perfusions sont répétées si la correction de la carence est incomplète.
Quelle que soit la méthode de correction utilisée, l’amélioration est suivie sur les
marqueurs objectifs les plus adaptés, c’est-à-dire (i) pour l’amélioration des stocks en
fer, une augmentation des taux de ferritinémie, (ii) pour l’amélioration de la quantité
de fer disponible, une amélioration du coefficient de saturation de la transferrine, (iii)
pour la correction de l’anémie, une augmentation du taux d’hémoglobine et (iv) in fine
une amélioration des paramètres de qualité de vie.
9. Conclusion
Le décryptage au niveau moléculaire des mécanismes de stockage et de transport du
fer permet de mieux appréhender la physiopathologie de la carence martiale et de
l’anémie ferriprive. Grâce à ces nouvelles données, le mode d’action du traitement par
le fer est mieux compris selon qu’il est administré par voie digestive ou directement
dans la circulation sanguine.
Pr Patrice Cacoub, MD
Department of Internal Medicine and Clinical Immunology
Hopital La Pitié Salpêtrière
83 Boulevard de l'hopital
75013 Paris, FRANCE
Departement Hospitalo-Universitaire Inflammation-Immunopathologie-Biothérapies
UMR 7211 (UPMC/CNRS), UMR S-959 (INSERM)
Université Pierre Marie Curie, Paris 6.
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