AVANT-PROPOS
En homme qui cherche à être libre, je prends aujourd’hui la plume.
En homme amoureux de sa ville, je veux faire le point, la comprendre et lui faire entendre raison, lui déclarer ma flamme ‐en est‐il encore besoin ?‐ et à la lumière de cette passion tenter de tracer un chemin.
Prêche dans le désert d’un toulousain exilé, plein d’utopies et qui croit encore que la politique peut être une action noble, désintéressée, au service du public et de l’intérêt général ? Peut‐être.
Imprécation contre un système clientéliste, contre les valets et les donneurs d’ordre, contre une privatisation aussi systématique que larvée de l’espace public, contre un appauvrissement volontaire de la démocratie au bénéfice de la communication et du « spectacle », contre la karchérisation des esprits et des espaces municipaux, contre la ghettoïsation de la ville savamment enrubannée derrière les beaux discours et les déclarations de bonnes intentions ? Sans aucun doute.
Coup de gueule, coup de pied au c… pour réveiller, à l’approche d’une échéance majeure, le Citoyen qui dort dans chaque toulousaine, chaque Toulousain ? Evidemment.
Préchi précha socialisant, moraliste écolo, leçon donnée par un petit intello‐bobo‐parisiano‐toulousain (pouah !) qui fait son intéressant, empêcheur de tourner en rond (sur la rocade et dans nos têtes), révolutionnaire aux petits pieds ? N’en jetez plus si cela vous soulage, mais une fois l’invective passée, une fois Toulouse réveillée, éclairée, raisonnée, réconciliée avec elle‐même et ses habitants, Toulouse face à son destin pourra alors décider, trancher, anticiper et construire son avenir en prenant le temps de la réflexion, dans un dialogue singulier et perpétuel entre ses citoyens et ses édiles.
Si seulement ce petit livre pouvait être le grain de poivre qui rehausse le goût pour la démocratie, ce serait déjà beaucoup.
Mais, ce livre peut devenir plus qu’un pavé dans la mare, il a vocation à être la première pierre d’un pont jeté entre les deux rives de Garonne, entre les Toulousains qui s’ignorent, voire se méprisent.
Pour cela, vous pouvez laisser vos idées, vos commentaires, vos propositions et vos critiques sur www.montoulouse.fr, tant il est vrai que mon Toulouse, c’est le vôtre !
Christophe Lèguevaques (2006)
Beginners Guide to TikTok for Search - Rachel Pearson - We are Tilt __ Bright...
Toulouse a-t-elle un avenir ? (Chapitre 2)
1. Toulouse a-t-elle un avenir ?
2.
17
Histoire(s) de Toulouse : sortir de l’ombre pour
atteindre les Lumières.
Il n’est pas dans mes intentions, de reprendre toute l’histoire de Toulouse de
manière aussi complète que détaillée. Il existe d’excellents livres sur ce sujet 1 .
Je vous propose une ballade historique toute personnelle pour mieux
comprendre Toulouse et ses contradictions, Toulouse et ses racines. Il nous faut en effet
comprendre notre ville pour lui donner les ailes qui permettront de réaliser la prophétie
de Fernand Braudel selon laquelle « La seule grande ville de l’intérieur, en dehors de Paris,
est Toulouse … Toulouse, un Paris qui n’aura pas réussi ? Aujourd’hui, prendrait‐elle sa
revanche avec ses industries et les 600.000 habitants de son agglomération ? » 2 .
Toulouse, ville riche et victime de la cupidité de certains… —
Déjà dans l’antiquité romaine, Toulouse est une ville riche. Si
riche qu’un épisode est entré dans les annales au point que certains
chasseurs de trésor sont aujourd’hui encore à la recherche de l’or de
Toulouse. Cépion, consul nommé par Rome, avait dérobé l’or de
Toulouse (environ 70 tonnes d’or et d’argent) avant d’être vaincu par
les Cimbres et les Teutons, à Orange. Son trésor, qui aurait appartenu
à Apollon ‐et aurait donc été maudit car nul humain ne pouvant
posséder le bien d’un dieu‐ n’a jamais été retrouvé 3 .
1
2
3
Voir notamment l’ouvrage de référence, Nouvelle histoire de Toulouse sous la direction de Michel Taillefer, Privat
2002, la synthétique et très bien documentée, Histoire de Toulouse, illustrée, d’Anne Le Stang, Le pérégrinateur, 2005,
la galerie de portraits de Philippe Wolff (Les toulousains dans l’histoire, Privat, 1984) ou de Philippe Hugon dans ses
Histoires vécues et insolites de Toulouse (Privat, 2002), et le petit dernier et amusant, Sébastien Vaissière et Damien
Bretel, 101 questions sur Toulouse, Loubatières, 2006. Sans compter les innombrables dictionnaires, éditions d’art ou
de tourisme et les monographies comme, par exemple, Laurence Catinot‐Crost, Autrefois Toulouse, Atlantica, 2002 ;
Gilles Bernard, Guy Jungblut, Armand Monna, Toulouse, métamorphose du siècle, Empreinte éditions, 2001 ou encore
Fernand Coustaux et Michel Valdiguié, Toulouse hier, aujourd’hui, demain, Editions Daniel Briand, 2004.
Fernand Braudel, L’identité de la France, Espace et histoire, 1986 (cité par Guy Jalabert en exergue de son livre
Toulouse, métropole incomplète, Anthropos, 1995)
Michel Roquebert, Récits et légendes de l’antiquité toulousaine, Loubatières, 1986, « l’histoire du trésor maléfique de
Toulouse ne s’achève pas avec le vol commis par le gouverneur Cépion en 106 avant notre ère. Il y a un troisième acte sur
lequel le rideau n’est pas encore tombé : la recherche du lac sacré. C’est le roman policier du plus grand mystère archéologique
de Toulouse », p. 63.
2. 18
Christophe Lèguevaques
Si Toulouse a perdu son or maudit, elle a gardé une relation privilégiée avec les
dieux de l’antiquité et notamment ceux de la sagesse (Athéna) et des beaux‐arts
(Apollon). En effet, dès l’Empire romain, Toulouse devient un centre majeur d’arts et de
culture, d’échanges et de formations. A tel point qu’elle était baptisée la « palladienne »,
c’est à dire la ville de Pallas Athénée. En tout cas, c’est de cette glorieuse origine dont se
prévalent les sociétés savantes toulousaines.
De nos jours, il semble que l’or de Toulouse fasse encore tourner les têtes, tant il
est vrai que le maire actuel préfère les espèces sonnantes et trébuchantes procurées par
le casino du Ramier, au long et patient investissement dans l’éducation et la formation
d’une élite toulousaine en prise sur le monde. Décidément, entre un impôt sur la misère
prétendument indolore et la création de richesses immatérielles par le développement
de la connaissance, il apparaît que l’actuelle majorité a fait son choix.
Autre exemple de concupiscence, en 1543, lorsque les capitouls décidèrent la
construction du Pont Neuf, ils confièrent cette mission à l’architecte Bachelier qui était,
par ailleurs, chargé par le Président aux requêtes du Parlement de Toulouse, de la
construction de l’hôtel de Pierre (bâtisse impressionnante que l’on peut admirer rue de
la Dalbade).
Certains prétendent aujourd’hui que le retard pris dans la construction du Pont
Neuf (plus de 70 ans !) aurait été causé non par des crues intempestives de Garonne,
mais par un détournement des pierres destinées à la construction de l’édifice public, au
profit de ce magnifique hôtel particulier.
De nos jours, je me garderai bien, faute de preuves suffisantes, de prétendre que
cette technique de rapine n’existe plus.
Toulouse, ville rebelle ou soumise ? —
Sur le site Internet officiel de la ville de Toulouse , on peut lire qu’« Au XIe siècle,
le catharisme déferle (sic !) sur le Languedoc ». Ainsi donc, le catharisme serait une
« invasion » exogène, une hérésie bulgare importée en terre du Languedoc, une religion
qui n’a aucun lien avec Toulouse mais qui a « déferlé » comme les Huns d’Attila.
Etrange vision de l’histoire, curieux révisionnisme qui confond Histoire et récit et
orthodoxie. Serait‐ce l’influence cléricale 1 que subit Jean‐Luc Moudenc ?
Une telle vision historique paraît erronée. En effet, le catharisme plonge ses
racines dans le Royaume Wisigoth qui avait fait de Toulouse la capitale d’un vaste
territoire (750 000 km2, 10 millions d’habitants) de la Loire au Nord, à l’Espagne au Sud
(jusqu’à Séville et Cadix), toute l’Aquitaine jusqu’au‐dessus de Poitiers, à l’Ouest et
1
Il suffit de consulter le blog « personnel » du maire http://www.jlmoudenc.net/ pour apprécier l’importance que
tient la religion catholique dans son engagement personnel.
3. Toulouse a-t-elle un avenir ?
19
Montpellier, Arles, jusqu’à la Durance, à l’Est. Toulouse, capitale d’un territoire trans‐
européen, déjà, tout un symbole ou l’anticipation d’un avenir possible ?
Les Wisigoths d’Euric s’opposaient aux Francs de Clovis sur un point de
doctrine très important : ils étaient ariens. C’est à dire qu’ils avaient une conception
dualiste de Jésus Christ. Pour eux, il n’était qu’un homme incarnant la Parole de Dieu, et
non l’une des composantes de la Trinité comprenant Dieu (le père), Jésus (le fils) et le
Saint‐Esprit. S’opposant ainsi aux conclusions du Concile de Nicée (325) sur la Trinité,
ils étaient considérés comme « hérétiques ». Or, nous allons voir que les Cathares
adoptèrent également une conception dualiste beaucoup plus radicale et prétendirent
retrouver les principes des premiers chrétiens, antérieurs au Concile de Nicée et à
l’écriture des Quatre Evangiles au IIème siècle.
Mais, arrêtons‐nous quelques instants encore sur cette époque troublée. En effet,
elle préfigure la guerre qui déchirera Toulouse à partir de 1209.
En 507, Clovis est roi des Francs, l’un des nombreux peuples qui attaquèrent sur
l’Empire romain convalescent pour le dissoudre. Ses terres au Nord‐Est de ce qui
deviendra la France ne lui suffisent plus. Devenu l’allié de l’Eglise de Rome après son
baptême et celui de ses guerriers, Clovis part alors en « croisade » contre le royaume
wisigoth et défait le roi Alaric II. « La conquête franque sonne le glas de la grandeur de
Toulouse qui perd son statut de capitale pour devenir une cité comme les autres » 1 et perd
également son lien privilégié avec la Méditerranée.
Les siècles passent, les ducs francs disparaissent, remplacés par des comtes qui
savent s’attacher l’estime de la ville et de ses bourgeois en octroyant à ces derniers
certains droits. Toulouse est prospère. L’Eglise, enrichie par les dons et les héritages
recueillis au fil des siècles, affiche ostensiblement sa bonne fortune et s’affranchit un peu
trop facilement du dogme qu’elle prêche aux fidèles, notamment en ce qui concerne la
pauvreté évangélique 2 .
Pendant les croisades contre les Infidèles (comprendre les musulmans), les
comtes de Toulouse bataillent en Terre Sainte pour leur foi, bien sûr, sans oublier de se
tailler un royaume local. Souvent absents, à la tête d’un territoire féodal parmi les plus
importants de l’époque, leurs possessions languedociennes attisent notamment les
appétits du duc d’Aquitaine et bientôt du roi de France. Afin de s’assurer le soutien
loyal de Toulouse, le comte Alphonse Jourdain réduit les impôts et autorise la ville à se
doter d’un « commun conseil de la Cité et du faubourg ». Déjà à cette époque, Toulouse est
1
2
Anne LE STANG, Histoire de Toulouse, illustrée, Le pérégrinateur, 2005.
un peu comme si aujourd’hui certains dirigeants d’entreprise venaient justifier l’austérité salariale ou la dernière
vague de licenciements, compte tenu des lois ‘imposées par Bruxelles’, de la mondialisation et de la concurrence
des chinois, mais n’oubliaient pas d’être dispendieux en ce qui concerne l’octroi de leur stock‐options , de leur
retraite ou tous les gadgets qui peuvent accroître leur rémunération, par exemple une prime pour le dirigeant
proportionnelle au nombre d’emplois supprimés !
4. 20
Christophe Lèguevaques
séparée en deux : la Cité, intellectuelle ; le faubourg, industrieux. Les membres de ce
conseil prennent le nom de Capitouls. Dans un premier temps, ils exercent avant tout la
justice, plus tard, ils seront les co‐gestionnaires des questions municipales (voirie,
salubrité, sécurité, perception de certaines taxes, droit de lever la milice pour défendre
la ville si souvent assiégée). L’absence des comtes ne pèse pas sur la ville qui
s’émancipe, développe un art de vivre et découvre un esprit nouveau. C’est le temps de
l’amour courtois, des joutes poétiques et oratoires, des troubadours, avant d’être celui
des troubles. Est ce un hasard si la « république toulousaine » (Philippe Wolff) connaît son
apogée (1194‐1222) lorsque commence la Croisade des Albigeois ?
Libertés de la ville, libertés des mœurs, liberté de la pensée. Toulouse ville libre
est à l’écoute des prêches, des « bons‐hommes » 1 qui ont élu domicile dans le
Languedoc depuis quelques temps déjà. En effet, à partir du Xème siècle, une nouvelle
interprétation de lʹÉvangile selon Jean se répand fondée sur une critique sociale
particulièrement pertinente (et toujours d’actualité). Pour l’Eglise, la doctrine cathare est
plus pernicieuse que celle des Infidèles (comprendre les juifs et les musulmans) car les
cathares sont férus de disputes théologiques et connaissent très bien les textes sacrés
qu’ils n’ont pas hésité à traduire en occitan ce qui en rend l’accès plus facile pour les
croyants au détriment des clercs qui exerçaient le monopole de la lecture et de
l’interprétation des textes 2 .
Simplement, leur clé de lecture est très différente : ils prétendent qu’il existe
deux mondes, lʹun bon et lʹautre mauvais. Le premier, le monde invisible, attribué aux
créatures éternelles (les anges), est lʹœuvre de Dieu le Père ; le second, visible et
corruptible, est lʹœuvre du diable, ange déchu parce qu’il prétendait rivaliser avec Dieu.
On le voit, avec ce simple rappel de leur dogme, les Cathares remettent en cause toute
l’économie religieuse du Moyen Age : il n’est plus possible ni de mentir ni d’acheter une
place au paradis, il faut refuser les plaisirs de ce monde : plaisirs de la bonne chère, de la
chair, des sens, luxe des objets, ornement des églises. C’est donc toute la construction de
l’Eglise en tant que pouvoir temporel qui est en péril. Car au cours du Moyen‐Age,
l’Eglise n’est plus seulement un pouvoir spirituel, elle est devenue une puissance
temporelle, forte de ses territoires immenses (que l’on en juge par l’abbaye cistercienne
de Fontfroide à coté de Narbonne), enrichie par toute une économie religieuse qui passe
par la dîme, l’adoration des reliques, les pèlerinages plus ou moins obligatoires et le
négoce des sept sacrements.
Avec les croisades en Terre Sainte, l’Eglise a démontré qu’elle n’hésitait pas à
recourir à la force pour protéger ses possessions, voire pour les étendre. Elle passe des
1
2
Nom que se donnait les ‘Cathares’ car ce dernier nom est une des appellations inventées par l’Eglise pour les
discréditer.
Anne Brenon, Le vrai visage du catharisme, Loubatières, 2004.
5. Toulouse a-t-elle un avenir ?
21
accords politiques avec les puissances militaires et diplomatiques de ce monde, leur
offrant contre sa protection, la légitimité du pouvoir qui vient de dieu. A l’image de ses
alliés, l’Eglise représente une armée hiérarchisée, centralisée autour du pape. LʹEglise
est devenue le gardien de lʹordre du système féodal.
Bref, cette évolution qui éloigne l’Eglise des Ecritures et contredit certains
passages vantant la pauvreté suscite en réaction une « réforme » avant la lettre ou,
prépare pour le moins, un nécessaire retour aux sources 1 . C’est sur ce terreau propice
que prospère les Cathares qui, obligés de travailler pour vivre, à l’opposé du clergé, en
profitent pour prêcher leur bonne parole au plus près des réalités humaines. De là date
l’essor des églises cathares dans le midi toulousain. De là, peut être un dégoût du
monde matériel, une ascète qui émerveille encore et dont les héritiers pourraient être
certains ‘altermondialistes’, si l’on en croit René‐Victor Pilhès 2 . En quelque sorte, les
Cathares sont plus « intégristes » que les chrétiens car ils poussent jusqu’à son
paroxysme le dégoût du corps, héritage de Platon et des Pères de l’Eglise 3 .
Face au danger d’une remise en cause de son pouvoir, lʹÉglise romaine tente de
purifier la chrétienté occidentale en excluant systématiquement tout individu ou groupe
mettant en péril son projet de société chrétienne. Des moines, cisterciens d’abord,
appartenant aux ordres mendiants (franciscains et dominicains) ensuite sont chargés de
combattre cette hérésie. Malgré l’effort de conviction d’un Saint‐Dominique, les
Cathares gagnent du terrain après avoir subjugué les élites méridionales, leurs paroles
et leurs actes se diffusent dans la société.
Il faut agir. Vite. Fort. Brutalement. De manière définitive. En 1209, le pape
Innocent III lance la croisade contre les « Albigeois », ou Cathares, croisade d’un genre
nouveau car elle se déroule sur le territoire même de la chrétienté. Pour cela, il prend
prétexte de l’assassinat de son légat, Pierre de Castelnau et n’hésite pas à accuser le
Comte de Toulouse d’être à l’origine de ce crime 4 .
Pour marquer les esprits au fer rouge, la guerre qui durera vingt ans (1209–
1229) commence par la prise de Béziers et l’extermination de tous ses habitants « Tuez les
tous. Dieu reconnaîtra les siens », ordonne alors le légat du Pape, Arnaud Amalric.
Toulouse résiste à la déferlante des hommes venus du Nord 5 . Toulouse se bat. Toulouse
1
4
2
3
5
Elisée Reclus et al., Toulouse : son histoire et ses trésors artistiques, Les Editions du Bastion, 1887, réédition 1992, p. 42 :
« depuis plusieurs années déjà une agitation sourde soulevait les esprits. Les uns demandaient la réforme de l’Eglise, affligée
par la simonie et le désordre ; d’autres (…) expliquaient le douloureux problème de ce monde par les deux principes égaux de
bien et du mal. Cette doctrine rappelait aux populations de nos provinces les vieux cultes indigènes des puissances de la
nature, surtout dans les vallées profondes des montagnes où les dissidents abritèrent leurs longues résistances ».
René‐Victor Pilhès, Christi, Presse pocket, 2001
Michel Onfray, La puissance d’exister, Grasset, 2006, p. 55 et s.
on peut notamment lire le livre de Dominique Baudis, qui raconte tout cela d’une manière romancée, fort agréable
et fort bien documentée. Dominique Baudis, Raimond le Cathare, LP, 1998, préface d’Amin Maalouf.
Georges Duby (préface de) ; La chanson de la croisade albigeoise, Lettres gothiques Le livre de poche n° 4520 : « Car
sent Cernis los guida, que non sian tems/Que Dieus et dreitz et forsa e’l coms joves es sens/Lor defendra Tholoza ! » :
« Toulousains, point d’effroi, Saint Sernin vous assiste/et Dieu, le Droit, la Force avec le jeune comte défendent votre ville ! »
6. 22
Christophe Lèguevaques
tue l’ignoble Simon de Montfort mais l’enjeu est trop grand, les forces assemblées trop
puissantes, Toulouse cède, Toulouse se rend. Pendant plus de trois siècles, Toulouse
rentre dans le rang, sous l’effet conjugué de l’Inquisition et du travail de sape de
l’université spécialement créée pour l’occasion 1 , les esprits se calment, s’assagissent,
s’affadissent. Toulouse devient catholique, royaliste, soumise à ses nouveaux maîtres.
L’âge d’or du Pastel 2 permet de noyer le chagrin sous l’argent facile. La poésie
toulousaine porte encore au loin les lumières de l’esprit et chante les charmes de Dame
Clémence Isaure. Les Jeux Floraux peuvent faire illusion. Toulouse enfante ‐et la partie
réactionnaire de l’université 3 rejette‐ l’un des plus grands juristes de tous les temps,
Jacques Cujas 4 . Entre sa naissance (1580) et sa mort (1649), les guerres de Religion étant
passés par‐là, Pèire Godolin [prononcer Goudouli] assiste à la fin de l’Humanisme et au
début de la « provincialisation » 5 . L’amour courtois disparaît, submergé par l’amour
bourgeois. En rentrant dans le rang, Toulouse perd pour plusieurs siècles son âme
rebelle, créatrice, laïque, voire républicaine. Après l’affaire Calas, Voltaire raillera la
ville immodeste qui se croit plus ancienne que Rome 6 : « Ce peuple superstitieux et
emporté ; il regarde comme des monstres ses frères qui ne sont pas de la même religion que lui.
C’est à Toulouse qu’on remercia Dieu solennellement de la mort d’Henri III et qu’on fit serment
d’égorger le premier qui parlerait de reconnaître le bon roi Henri IV. Cette ville solennise encore
tous les ans, par une procession et par des feux de joie, le jour où elle massacra quatre mille
citoyens hérétiques, il y a deux siècles. En vain, six arrêts du conseil ont défendu cette odieuse
fête, les Toulousains l’ont toujours célébrée comme les jeux floraux ».
On ne peut comprendre les contradictions de la ville dont la schizophrénie
éclate aujourd’hui encore au grand jour, follement progressiste pour les élections
présidentielles ; farouchement conservatrice lors des élections municipales qui voient se
succéder depuis 1971 un petit groupe de notables se passant le flambeau de père en fils,
1
2
5
3
4
6
Michel Taillefer (sous la direction de), Nouvelle histoire de Toulouse, p. 95 : « Par les débouchés qu’elles offrent à nombre
de fils de famille, la monarchie, l’université et l’Eglise entraînent l’adhésion des élites toulousaines à la Couronne ».
ibidem, p. 140 : « Le caractère extrêmement lucratif de ce dernier ne doit pas masquer sa fragilité intrinsèque, il exige en effet
de grosses disponibilités financières que les conditions techniques de production et de commercialisation de la teinture
conduisent à immobiliser pendant au moins trois ans, entre l’achat des feuilles aux paysans et l’encaissement des bénéfices de
la vente du produit fini ». Cet épisode doit nous servir de leçon : l’économie du Pastel était fortement
internationalisée mais devait mobiliser d’énormes capitaux. Un peu comme l’aéronautique ?
Qui a dit pléonasme ?
sous la direction de Philippe Wolff, Les toulousains dans l’histoire, Privat, 1984.
Pierre Escudié, Godolin, un poète au cœur de Toulouse, Loubatières, Petit précis, 2002, « Toulouse, en 1550, est la capitale
occitane de la France du Sud. C’est une cité bouillonnant de l’humanisme le plus prometteur, entre un pastel qui fait de la
ville l’une des places européennes les plus riches, et un centre universitaire et intellectuel des plus féconds. Près d’un demi‐
siècle de guerres civiles ou religieuses aura raison de cet élan. Toulouse se réveille, lors de la pacification du royaume,
engourdie, isolée au cours de sa province large dont elle s’est longtemps coupée, en marge d’un pouvoir qui désormais,
inexorablement, se concentre loin au nord, à Paris. Quand Godolin meurt, Toulouse s’endort comme une aimable vieille dame
de province ».
Michel Taillefer (sous la direction de), Nouvelle histoire de Toulouse, p. 121 : un avocat, Nicolas Berthaud écrit une
Gesta Tholosanorum qui décrit la cité comme une cité « très magnifique, glorieuse et antique, plus ancienne que Rome
même ».
7. Toulouse a-t-elle un avenir ?
23
de proche en proche, sans tenir compte de cette rupture fondamentale d’une ville
coupée en deux depuis les Cathares.
A cette césure initiale, s’ajoute une fragmentation sociale, une opposition entre
les quartiers ou entre les « archéo » et les « néo » toulousains. C’est l’une des questions
essentielles pour l’avenir de la ville renouer les fils du dialogue afin d’éviter les
suspicions illégitimes et afin de recréer une volonté de vivre ensemble dans une ville qui
doit faire de l’éthique et de l’esthétique sa raison d’être.
Peut‐on aujourd’hui déterminer la véritable raison de la « Croisade contre les
Albigeois » ? Pour l’Eglise, elle consistait à réaffirmer son contrôle sur les corps et sur les
âmes ; au roi de France, elle lui permettait de devenir le protecteur de la foi, ce qui
légitimait son pouvoir et surtout lui permettait d’agréger à la couronne les vastes et
riches territoires du Languedoc. Par ailleurs, si l’on en croit un texte superbe de Simone
Weil, il s’agissait d’une opposition de civilisation : au Nord, l’esprit féodal basé sur la
force, l’esprit de clan, la domination, la hiérarchie prétendument naturelle et le clivage ;
au sud, l’esprit des villes dont la source est l’échange, l’hospitalité, le dialogue, la
participation et le respect de l’autre. Dans le Génie d’Oc, Simone Weil montre bien ce
choc des civilisations. Elle commence par souligner qu’il existait dans le midi toulousain
« une liberté spirituelle que l’Europe n’a plus jamais retrouvé au même degré et a perdu par
l’effet de cette guerre ». Pour l’intello parisienne ayant trouvé refuge à Toulouse après la
Débâcle de 1940, en compagnie de Vladimir Jankélévitch et de Raymond Aron, le pays
d’Oc au XIIème siècle était éloigné de « toute lutte d’idées. Les idées ne s’y heurtaient pas, elles
circulaient dans un milieu en quelque sorte continu ». Et de conclure, « une civilisation
méditerranéenne a surgi qui peut‐être aurait avec le temps constitué un second miracle, qui peut‐
être aurait atteint un degré de liberté spirituelle et de fécondité aussi élevé que la Grèce antique,
si on ne l’avait pas tuée ».
La Grèce antique, encore. Toulouse palladienne, toujours. Et si c’était cela le
destin de Toulouse, renouer avec sa tradition, avec son histoire, retrouver sa culture
pour devenir la capitale européenne des cultures et de la civilisation, pas simplement le
temps d’un événement médiatique comme celui que prépare Marie Déqué pour 2013,
mais dans la durée. Faire de Toulouse une ville d’accueil des intellectuels et des artistes tout
en permettant aux forces créatrices de la ville de se libérer et de s’exprimer. Mais pour cela que
de chemin à parcourir, que d’obstacles à franchir, que d’idées préconçues à détruire.
Faire en sorte que l’on passe de la consommation culturelle à la production culturelle.
Comme cela, Toulouse transmettrait aux générations futures un héritage immatériel
aussi important et imposant que les Jacobins et St Sernin. Construire, aujourd’hui, les
cathédrales de l’esprit de demain. Voilà un enjeu à la hauteur d’une ville qui se veut
intellectuelle. Mais lʹest‐elle vraiment ?
8. 24
Christophe Lèguevaques
Toulouse, ville intellectuelle : une capitale humaniste ou une vieille ville
provinciale ?—
C’est l’un des points forts de Toulouse sur lequel tout le monde semble
d’accord : de la Rome antique à la métropole moderne, Toulouse apparaît comme une
ville intellectuelle 1 . Si cela ne soulève aucune contestation, nous allons voir que derrière
la revendication en grande partie justifiée, il reste encore beaucoup à faire pour que
Toulouse devienne une capitale européenne de la Culture et a fortiori, des cultures.
RECHERCHE EN MIDI-PYRENEES
-
1,35 milliards d’euro pour 2004,
-
11.800 salariés dans l’enseignement supérieur et la recherche ;
-
113.000 étudiants
o
dont 8.800 étudiants-ingénieurs (8 % de la population estudiantine, soit le double de la
moyenne nationale) ;
o
un étudiant sur quatre a plus de 25 ans.
o
les sciences fondamentales et appliquées, de la vie et de la terre d’une part et les sciences
humaines, d’autre part sont de loin les disciplines les plus fréquentées avec 22 % des
inscriptions chacune.
-
L’agglomération toulousaine concentre 86 % des effectifs étudiants de la région située au 8ème rang des
régions métropolitaines pour le nombre d’habitants, Midi-Pyrénées apparaît en 4ème position pour
l’emploi induit par l’activité de R&D (Recherche & Développement) ;
-
budget régional de la recherche = 12,225 M€ (2004) ;
-
7,2 % du budget national de recherche publique est investi dans la région
-
6ème rang national pour le dépôt des brevets ;
-
parmi les 20 régions européennes les plus actives en matière de recherche ;
-
3,4 % du PIB régional est consacré à la recherche
-
400 laboratoires publics et 9.000 chercheurs (55% dans le public)
Sources : CESR, Doctorants et insertion professionnelle des jeunes docteurs, 13 mars 2006
1
Jaurès, qui ne cessa de vouloir que la science, lʹart, la culture puissent tous les jours davantage élever lʹhomme, le
citoyen vers une connaissance plus grande, déclara‐t‐il lors de l’inauguration des nouvelles constructions en
faveur des universités : « Ainsi, Toulouse aura ou construit, ou trouvé un noble abri pour toutes les formes de la pensée, de
la science et du rêve. Car cʹest bien Toulouse qui a fait cela. Elle y a été puissamment aidée par le concours bienveillant des
hommes publics que nous sommes heureux de remercie ici une fois de plus ; mais cʹest la ville tout entière qui lʹa voulu.
Toutes les municipalités qui se sont succédées ont travaillé à la même œuvre, et nous, qui en avons hâté lʹachèvement, nous
devons rendre justice à ceux qui nous on précédé ». (cité par Maurice Andrieu, Jean‐Jaurès, citoyen adoptif de Toulouse,
Privat, 1987.
9. Toulouse a-t-elle un avenir ?
25
Mais, attention, entendons‐nous bien, l’ajout d’un « s » à culture, n’est pas un signe de
soumission au confort intellectuel local qui veut que le coûteux mensuel municipal se
nomme « cultureS ». De même, la pluralité des cultures qui est ici visée n’est pas
l’abandon de l’humanisme et de l’universalisme, hérités des Lumières au profit d’un
relativisme aussi généreux que dangereux. Il est simplement la marque, l’expression
d’une volonté. Ne jamais dissocier la culture et la science, tant il est vrai que « l’art et la
science appartiennent,
Classement 2005 des universités scientifiques
comme tout ce qui est
Rang
Rang
Rang
bien, au monde entier »
Institution
Région
Pays
mondial
national
régional
(Goethe).
1
Harvard Univ
Americas
1
USA
1
La science ne doit
pas être oubliée. —
2
Univ Cambridge
Europe
1
UK
1
3
Stanford Univ
Americas
2
USA
2
L’enseigneme
Univ California –
nt et la recherche
4
Americas
3
USA
3
Berkeley
constituent un poids
Massachusetts Inst
5
Americas
4
USA
4
économique
certain
Tech (MIT)
pour la région Midi‐
10
Univ Oxford
Europe
2
UK
2
Pyrénées (Cf. tableau
46
Univ Paris 06
Europe
8
France
1
ci‐dessus). Toulouse
61
Univ Paris 11
Europe
16
France
2
ne se vante‐t‐elle pas
dʹêtre la « deuxième
93 Normale Sup. Paris Europe
31
France
4
ville universitaire de
193
Univ Paris 05
Europe
57-79 France
6-8
France », juste derrière
Ecole
Paris ? Il convient
209
Europe 80-123 France
9-13
Polytechnique
dʹapporter un sérieux
246
Univ Bordeaux 1
Europe 80-123 France
9-13
bémol
à
cette
272 Univ Montpellier 2 Europe 80-123 France
9-13
autosatisfaction, qui
est l’une des marques
289 Univ. Toulouse 3 Europe 80-123 France
9-13
de
fabrique
de
Sources : http://ed.sjtu.edu.cn/ranking.htm
Toulouse qui se croit
toujours l’égale de Rome… ce qu’elle n’a jamais été !
Si lʹon étudie le classement mondial des universités et grandes écoles établi par
lʹuniversité de Shanghai (cf. tableau), lʹUniversité Paul Sabatier 1 Toulouse 3 (UPS),
chargée de l’enseignement et de la recherches dans les « sciences exactes, sciences
1
Paul Sabatier est né le 5 novembre 1854, à Carcassonne. Reçu à lʹEcole Normale Supérieure, il fut admis à
lʹagrégation de sciences physiques, 1er de sa promotion, à 23 ans. Prix Nobel de chimie en 1912. Depuis presque un
siècle, combien Toulouse compte‐t‐elle de prix Nobel ? ou de médailles Fields (l’équivalent d’un Nobel pour les
mathématiques) ?
10. 26
Christophe Lèguevaques
naturelles et sciences de lʹunivers, santé, sport et technologie », nʹapparaît quʹen 289ème
position sur 500 !
Certes, on pourra critiquer 1 la méthodologie 2 de cette étude 3 mais elle demeure
la référence. Nous sommes très loin de l’excellence revendiquée à titre publicitaire à
longueur de pages dans l’abondante littérature financée par la mairie.
Fort de ce constat, nous pensons quʹil existe un travail considérable pour
rapprocher les prétentions de la ville avec la réalité et les évaluations internationales.
Comme le dit Marie‐Joséphe Tardieu, cela suppose également d’ouvrir les universités,
de secouer les notables toulousains, de mettre fin à une consanguinité basée sur un
système de cooptation et de mandarinat.
Lʹune des ambitions d’un candidat socialiste aux municipales consistera à faire
de la culture scientifique et du savoir‐faire toulousains la base de lancement dʹun
renouveau scientifique 4 . Pour cela, une active politique mêlant lʹécole, lʹuniversité et le
1
2
3
4
Daniel Cohen, Le classement infamant des universités françaises, Le Monde 15 septembre 2005, « Comme tous les
classements, celui de l’université de Shanghaï est discutable. Il fait la part trop belle aux Prix Nobel, tend à ignorer les
publications des chercheurs rattachés à des organismes de recherches extérieurs et donne une prime aux grand établissements
sur les petits ».
Critères Indicateurs Pondération Qualité de lʹéducation Nombre de prix Nobel et de médailles Fields parmi les
anciens élèves 10% Qualité de lʹinstitution Nombre de prix Nobel et de médailles Fields parmi les chercheurs. 20%
Nombre de chercheurs les plus cités dans leurs disciplines 20% Publications Articles publiés dans Nature et Science
entre 2000 et 2004. 20% Articles indexés dans Science Citation Index, et Arts & Humanities Citation Index 20% Taille de
lʹinstitution Performance académique au regard de la taille de lʹinstitution 10% ‐ Sources : www.wikipedia.fr
Ce classement ne s’intéresse qu’aux sciences exactes. Il ne traite pas des sciences humaines ou sociales. Et pourtant,
sous l’impulsion du président Belloc, l’université des sciences sociales a connu un fort développement
international. Ainsi, en économétrie (c’est à dire la tentative de transformer une discipline, l’économie, en science
dure en truffant de modèles mathématiques et de démonstrations complexes, l’étude de généralités ou de cas
particuliers), l’équipe de M. Laffont avait pu recruter un chercheur du MIT. De plus, ce laboratoire est
mondialement connu et reconnu. Même si, toujours en économie, il ne faut pas oublier le laboratoire de François
Morin qui ne connaît pas les mêmes faveurs médiatiques en raison, peut être, de son indépendance et de ses
critiques du modèle ultra‐libéral dominant. Quant à l’absence de la Faculté de droit, elle peut paraître injuste tant
le renouveau du corps enseignant est patent. Mais cela peut s’expliquer par le mépris des institutions
internationales pour le droit français (cf. le rapport de la Banque Mondiale 2004 considérant que le droit français
est propice à la corruption !). De la même façon, l’Université Toulouse 2 – Le Mirail, a connu sous l’impulsion du
président Pech une rénovation qui ne fut pas qu’immobilière. Son rayonnement dans les sciences humaines est
patent. Par ailleurs, pour les universités scientifiques, il convient de tenir compte de leur éclatement en une
multitude de structures qui n’affichent pas leur appartenance à une même communauté scientifique (les
publications de l’INPT ne se cumulent pas avec celle de l’UPS, par exemple). Des projets de label commun pour les
publications permettraient de gagner quelques dizaines de place dans le classement.
Pour une vision critique de cette question, on peut lire le commentaire laissé par Patrick Chaskiel sur
www.montoulouse.fr. « Que la recherche soit une solution aux problèmes que rencontrent nos sociétés est une opinion assez
consensuelle, sur laquelle pourraient sʹaccorder bon nombre dʹentre nous. Que cette opinion soit consensuelle nʹimplique
pourtant pas que la recherche soit le maillon manquant pour réduire le chômage, la pollution ou les inégalités sociales. On
peut tout aussi bien soutenir que la recherche est susceptible dʹaccroître nos difficultés, et lʹexemple des déchets nucléaires est
là pour nous le rappeler. Cʹest ce débat que je voudrais (re)lancer en livrant trois réflexions à la discussion. La première est
que nos sociétés sont de plus en plus dépendantes de technologies qui sont elles‐mêmes de plus en plus difficiles à maîtriser
techniquement. Quʹon pense aux interrogations sur le nucléaire, les OGM, les nanotechnologies, le clonage, et on conviendra
quʹil ne suffit pas de disposer de connaissances pour se contenter dʹun discours euphorisant sur le progrès scientifique. La
recherche contemporaine est créatrice de risques, quʹon ne connaît pas, et on ne dispose pas à ce jour des institutions qui les
prendraient en charge, en tout cas pas des institutions équivalentes à celles prenant en charge, même de moins en moins bien,
le risque social de chômage et de perte de revenu. La seconde est que cette dépendance est de plus en plus difficile à contrôler
démocratiquement surtout si elle part du postulat basique selon lequel recherche = progrès. Sʹil en était ainsi, il suffirait
évidemment de produire des connaissances et de les appliquer dans le bon sens. Mais ce postulat implique dʹimaginer une
11. Toulouse a-t-elle un avenir ?
27
monde culturel devra être mise en place. En développant lʹesprit critique, en retrouvant
les bases de lʹesprit scientifique 1 (du discours de la méthode de Descartes aux règles de
l’expérimentation), il sera possible tout à la fois de promouvoir et de domestiquer 2 la
science mais aussi de permettre un véritable échange intergénérationnel et inter‐
quartiers entre les jeunes et les moins jeunes avec ceux qui savent, ceux qui apprennent
et ceux qui veulent savoir.
De la même façon, il conviendra de mettre en place une politique –nʹayons pas
peur du mot‐ élitiste à destination des « post doc » afin dʹattirer et de fixer les meilleurs
esprits du monde entier. En effet, il conviendra d’élaborer et de mettre en place une
indispensable stratégie d’attraction des talents. Dans le même temps, l’enseignement
professionnel et technique ne doit être ni délaissé ni oublié. Il constitue un moyen tout
aussi noble que l’enseignement général pour permettre à un citoyen, par son travail, de
s’émanciper et de s’élever 3 .
Des partenariats renouvelés avec les Universités seront à imaginer et une
conception dynamique, transversale, ouverte de la recherche et du partage des
connaissances devra être favorisée 4 . Lʹeffort consenti sur lʹexistant (Aerospace Valley,
biosanté, nanotechnologies) devra être maintenu voire accentué ; mais les recherches
fondamentales 5 (les mathématiques, la philosophie 1 pour ne citer que ces deux là)
devront également être protégées et soutenues.
1
science totalement indépendante des décisions politiques et industrielles. Or, ces trois mondes (science, politique et industrie)
sont interconnectés, pas seulement par les financements mais aussi par les orientations stratégiques que tout Etat impose à la
recherche. La troisième réflexion est que les débats du moment sur la recherche laissent largement de côté lʹidée que le
surdéveloppement de la recherche est susceptible de produire plus dʹinégalités : inégalités dans lʹaménagement du territoire,
inégalités sociales dʹaccès à lʹenseignement supérieur, inégalités dans lʹaccès à lʹemploi du fait des déficiences de formation,
inégalités mondiales, ... Mon point de vue nʹa rien dʹantiscientifique dans la mesure où il ne prône pas de revenir à la bougie,
mais il nʹest pas non plus proscientifique dans la mesure où il ne préconise pas de poursuivre sans discussion dans la tendance
actuelle. Il est dʹabord interrogatif. On pourrait dire que nous sommes devant une bifurcation : accroître notre
dépendance vis‐à‐vis de solutions technologiques ultrasophistiquées (et le projet ITER en est un exemple) ou bien
réduire cette dépendance en partant de solutions scientifico‐techniques dont la caractéristique principale est
quʹelles soient dʹabord maîtrisables et contrôlables. Si une élection présidentielle est un moment de discussion
élargie, il ne serait pas mauvais quʹon se consacre à choisir aujourdʹhui de quoi sera fait après‐demain, et pas
seulement demain ».
Jean‐Marc Levy‐Leblond, Science, Culture et public : faux problèmes et vraies questions, Quadermi, hiver 2001‐2002,
« Nous laissons croire quʹil y a dʹun côté le public, les profanes, et, de lʹautre, nous, les scientifiques, les ʺsavantsʺ – comme
on le disait autrefois et comme on le pense encore. Or, ce hiatus nʹexiste plus. Nous, scientifiques, ne sommes pas
fondamentalement différents du public, sauf dans le domaine de spécialisation extrêmement étroit qui est le nôtre ».
3
4
5
Jean‐Hervé Lorenzi, Industries du futur : la France est rétro !, Le Nouvel Observateur, 24‐30 août 2006, p. 29, « pour
dépasser cet individualisme, il faut en finir avec l’idée que la vie se joue en trois jours avec des concours. Le système éducatif
doit multiplier les passerelles. Réhabiliter certaines formations, indiquer clairement que d’autres sont des impasses (…) il faut
revaloriser les formations techniques : la vie ne se limite pas aux écoles de commerce et notre capacité à nous intégrer dans la
mondialisation passe par le savoir‐faire technologique et la revalorisation des écoles et des universités technologiques ».
Michel Blay, La Science trahie. Pour une autre politique de la recherche, Armand Colin, 2003, p.135‐136 « La science, de
geste de pensée, se réduit à ses espaces dʹautonomisation spécialisés, renonce à elle‐même et devient pur outil dʹappropriation
de la nature ; pur outil pour créer des marchandises et des innovations techniques aboutissant au règne généralisé de
lʹingénierie. Lʹhumanité perd avec la mémoire de ses gestes originels créateurs le sens de sa tâche, qui est de se construire
comme humanité, comme liberté »
Emmanuel Davidenkoff et Sylvain Kahn, Les universités sont elles solubles dans la mondialisation, Hachette
Littératures, Essai, 2006, p. 41 : « l’essentiel de la dépense en recherche et développement dans les universités [américaines]
12. 28
Christophe Lèguevaques
Ce renouveau scientifique pourra passer par une rénovation des Académies
savantes qui seront dotées de moyens pour récompenser la recherche afin dʹen
promouvoir, à un niveau mondial, la reconnaissance. Parmi les pistes de rénovation de
ces académies, il conviendra de veiller à les ouvrir sur lʹinternational (au moins sur
lʹEurope) et à faire en sorte que le rajeunissement des membres sʹaccompagne dʹun
renouvellement permanent et régulier.
Tout comme Jean‐Jaurès 2 fut à l’origine de la création des bâtiments de l’Ecole
de Médecine (à coté du Jardin des Plantes), la future municipalité devra soutenir
activement les universités, notamment dans l’accueil des étudiants. En effet,
« l’université est au nouveau siècle ce que la firme fordienne était à l’ancien : l’institution qui
fixe la matière première, le savoir et la formation, dont se nourrit le reste de la société » 3 . Et,
Daniel Cohen insiste sur un point essentiel : l’université n’est pas seulement un lieu de
transmission ou de sélection d’une élite, elle doit devenir un « lieu de production du
savoir ».
Ainsi, des mesures incitatives devront être prises pour familiariser (et
dédramatiser) les études scientifiques auprès des plus jeunes. Compte tenu du nombre
important de « jeunes » ingénieurs retraités, il faudra trouver les moyens de créer des
lieux d’échanges et de partage des savoirs. A ce titre, des cours de soutien et d’éveil
scientifique et culturels devront être pris en charge par la ville afin d’assurer une plus
grande égalité et éviter que l’école ne devienne le lieu de reproduction des inégalités de
la société. En effet, « Eduquer, ce nʹest pas seulement transmettre un savoir, cʹest initier de
futurs adultes à lʹimaginaire collectif qui fera dʹeux des citoyens actifs » 4 . De la même façon,
les CLAE devront être repensés pour en faire non pas de simples garderies mais des
lieux d’éducation populaire et de sensibilisation. Nos enfants sont sensibles aux
questions environnementales, il conviendra de compléter cette sensibilité par des
1
2
3
4
va à la recherche fondamentale (69 %), loin devant la recherche appliquée (24 %) et le développement (7 %). Le tout financé à
60 % sur fonds publics fédéraux. (…) l’ensemble de la recherche américaine est donc loin de s’être mise au service des intérêts
mercantiles ». Pour une opinion sinon dissidente, du moins complémentaire, Bernard Charlès : « je continue à
m’interroger sur un dispositif trop axé sur la recherche fondamentale, alors qu’à mon sens c’est la « strate du milieu », celle de
la recherche appliquée, irriguée par l’expérience du terrain et l’expérience industrielle qui est déterminante. [Les grandes
réussites de ces dernières années : Google, Microsoft, Samsung] appartiennent toutes à cette « couche du milieu » où se créent
les nouveaux produits et les nouveaux services » (Le Nouvel Observateur, 24‐30 août 2006, p. 29, Industries du futur :
la France est rétro !). Observation pertinente dont il conviendra de tenir compte, par exemple dans le
développement de Galiléo.
Ne serait ce que pour anticiper les questions éthiques soulevées par les nano‐technologies. Cette académie de
philosophie peut tout à la fois permettre des recherches pointues, des échanges de haut niveau et une
démocratisation des savoirs, un échange avec le public et une nécessaire formation sur tous les enjeux résultant
des avancées scientifiques.
Maurice Andrieu, Jean‐Jaurès, citoyen adoptif de Toulouse, p. 46, « Jaurès travaillera sans relâche pour cette
création de l’Université régionale, sans pour autant négliger l’enseignement populaire et professionnel. Ce dernier
devra être orienté pour une insertion dans le nouveau tissu industriel du pays ».
Daniel Cohen, Trois leçons sur la société post industrielle, Seuil‐La République des idées, 2006, p. 71
Jean‐Claude Guillebaud, La Force de la conviction, Seuil 2005, p.308
13. Toulouse a-t-elle un avenir ?
29
connaissances et des formations adéquates afin d’en faire des citoyens actifs et soucieux
de l’avenir de leur planète.
Toulouse : dernier de la classe
en matière d'investissement pour l'enseignement !
Moyenne : 49,61 € / hab
Rang
budget total
d'investissement
2 : ENSEIGNEMENTFORMATION
Rang
A BORDEAUX
29,87 € / hab.
6ème
78 402 600 €
6 541 000 €
B LILLE
53,40 € / hab.
5ème
122 495 771 €
11 725 454 €
8,34% 6ème
C LYON
70,95 € / hab
2ème
159 528 138 €
32 154 390 €
20,16%
D MARSEILLE
56,12 € / hab.
4ème
448 016 880 €
45 291 269 €
10,11% 4ème
10,40% 3ème
9,57% 5ème
1er
E MONTPELLIER
56,31 € / hab.
3ème
124 041 506 €
12 897 200 €
F RENNES
24,89 € / hab.
7ème
181 376 743 €
5 289 120 €
2,92% 8ème
G STRASBOURG
89,17 € / hab
1er
123 363 328 €
23 814 213 €
19,30% 2ème
16,17 € / hab.
8ème
204 089 280 €
6 443 593 €
3,16% 7ème
H TOULOUSE
Les villes ci-dessus correspondent aux villes choisies par la mairie de Toulouse dans son
n° spécial de "Capitole Infos" (novembre 2005) sur les Impôts locaux. Dans sa présentation, la ville
de Toulouse prétendait être, en 2002, la première ville à investir parmi les grandes villes.
Visiblement, Toulouse n’investit pas en priorité dans l’enseignement et la formation !
14. 30
Christophe Lèguevaques
Culture pour tous ! —
Dans leur livre « la Fracture toulousaine », François Simon et Jean Paul Fonvielle
relèvent lʹexistence de « ghettos culturels » et d’une politique culturelle aussi
conservatrice quʹaffectée. Ils citaient en 2001 le refus dʹaccueillir à Toulouse la troupe de
théâtre de rue « Royal de Luxe » 1 , la destruction réussie des festivals de quartiers
comme « Racine » (au Mirail‐Bellefontaine) ou « Ça bouge au Nord » (Izards‐Trois
Cocus). On pourrait ajouter à cette liste (non exhaustive) le sort réservé aux créatifs de
Mixart‐Myrys (8 ans de squatt du Grand hôtel de la rue de Metz avant que la ville
n’assume à ses responsabilités et prenne le temps d’écouter leurs demandes, somme
toute justifiées).
Dans le quartier d’Empalot, l’édito du mois de décembre 2006 des « Coursives
d’Empalot » 2 résumait 20 ans de politique municipale : « Culture à l’abandon : ça
ressemblerait presque à une blague. Ça pourrait même faire rire si ça ne révélait pas le peu
d’importance accordée à la culture à Empalot. Un panneau géant annonce la fermeture de la
bibliothèque pour démolition en juillet 2005 et une ouverture du nouveau bâtiment pour 2007.
Nous sommes aux portes de 2007, les murs de l’ancienne bibliothèque sont encore debout et les
habitants n’ont accès qu’à une collection restreinte, les autres livres sont emballés dans des
cartons depuis plusieurs mois donnant l’impression aux salariés d’évoluer dans une coquille
vide » 3 . Dans le même temps, le très fort soutien à des équipements culturels dans les
quartiers de centre ville (théâtre de la Cité, Auditorium de Saint Pierre des Cuisines,
théâtre du Capitole, Halle aux grains, cinémathèque, Médiathèque 4 , Musée dʹart
contemporain, …). Bref, autant dʹéquipements qui ne profitent quʹà une certaine
catégorie de Toulousain‐e‐s laissant ceux que lʹon a parqués dans des cités devant leur
écran de télévision. Cʹest une nouvelle illustration du mépris des « gens du Capitole »
1
2
3
4
Hommage doit être ici rendu à Pierre Cohen, maire de Ramonvile‐Saint‐Agne qui a accepté de les accueillir avant
leur départ pour Nantes où ils font les beaux jours de la ville.
Les « Coursives d’Empalot » est un magazine mensuel édité par l’association Karavan. Il présente des informations
sur le quartier en donnant la parole aux habitants. Ces derniers essaient de casser la mauvaise réputation qui plane
sur Empalot en montrant qu’ils sont des Toulousains comme les autres– incroyable non ?! Dans un autre numéro,
on peut lire le coup de gueule suivant : « Jeunesse perdue : la maison des jeunes d’Empalot a été évoquée pour la première
fois au début des années 1990. Près de 15 ans plus tard, Françoise de Veyrinas, premier adjoint au maire de Toulouse annonce
la pose de la première pierre. Des Algecos ont ainsi fait leur apparition à proximité du stade, pour commencer les travaux
avant‐chantier. Le temps passe tellement vite que ceux qui avaient 20 ans au début du projet ont peut être déjà fondé une
famille et auront sans doute oublié que cet Espace Jeunes leur était destiné ». De l’autre côté de Garonne, le casino aura
été construit en moins d’une année ! CQFD ?
Je suis d’autant plus scandalisé de cette situation que cette bibliothèque a joué un rôle déterminant dans ma
formation. En plus des livres, elle offrait également de la musique et permettait de visionner des documentaires à
une époque où les magnétoscopes n’étaient pas un objet usuel. Qu’il me soit permis ici de rendre hommage à
Christiane J., sa directrice d’alors, qui m’a fait découvrir des auteurs lointains et qui avait accepté que je monte,
avec mon ami René‐Paul, une exposition sur JRR Tolkien et le monde du Seigneur des anneaux. A cette époque,
j’avais 14 ans !, il fallait, encore, lire les 1500 pages de ce roman pour découvrir le monde merveilleux si loin si
proche du nôtre.
En termes d’architecture et d’aménagement urbain, il y aurait beaucoup à dire de cette médiathèque.
15. Toulouse a-t-elle un avenir ?
31
pour la majorité des Toulousain‐e‐s, tant il est vrai que « lʹaccès à la culture ne sʹentend
quʹentre gens du beau monde, sans tenir compte des petites troupes de musique de danse ou de
théâtre ou des artistes peintres ou écrivains qui crèvent dans lʹindifférence » 1 . Normal susurre‐
t‐on à demi mot, ils nʹont pas de talent. Mépris, vous dis‐je.
Budget de la culture à Toulouse :
Excellent pour les excellences !
Ville
Bordeaux
Lille
Lyon
Marseille
Nantes
Toulouse
% dans
budget total
20 %
11 %
19 %
8%
16 %
14 %
Rang
1er
5ème
2ème
6ème
3ème
4ème
Contribution par
habitants
316 €
190 €
260 €
133 €
278 €
261 €
Rang
1er
5ème
3ème
6ème
2ème
4ème
(Paris n’apparaît pas dans le tableau
en raison de sa situation
particulière.
Elle cumule le double statut de
département et de commune).
Sources TEREKO
D’après Jean-Luc Moudenc, la ville consacre un budget de l’ordre de 100 millions d’euro par an à
l’animation culturelle. « L’objectif étant comme dans le domaine économique d’atteindre l’excellence » (Presse
Parlementaire, mars 2005, p. 7). Ce chiffre cache des disparités importantes. Ainsi, la conservation et la
diffusion du patrimoine représentent, à elle seule, plus de 46 M€.
En matière d’investissement
-
Entre 2005 et 2006, le budget baisse de 42,79 % passant de plus de 30 à 17 M€ ;
Sur cette somme, plus de 3,7 millions sont consacrés aux théâtres, 0,593 millions pour les arts
plastiques et autres activités artistiques et 0,059 millions pour l’expression musicale, lyrique et
chorégraphique (dans le même temps, Bordeaux leur consacre 7,6 M€ .
En matière de fonctionnement
-
-
les charges de personnel représentent près de 37 millions d’euro ;
les Théâtres (compte 313) absorbaient à eux-seuls 27 millions d’euro, essentiellement au profit du
théâtre du Capitole. La concentration de l’effort culturel dans le centre ville est, là encore,
évidente.
Les arts plastiques (compte 311) et l’expression musicale et assimilés (compte 312) se partageaient 12
millions
Quant à l’action culturelle proprement dite, elle apparaît pour 8 millions d’euro (compte 33) alors que
Nantes lui consacre plus de 39 millions d’euro (en augmentation de 15.56 %). Pas étonnant, dès lors,
que Nantes soit devenue une « ville en vue, une ville enviée (en raison) de son activisme culturel »
(Nicolas de la Casinière, Ces villes qui défient Paris, Le Nouvel Observateur, 16-22 novembre 2006, p.
28)
De manière globale, entre 2005 et 2006, le budget de Toulouse affiche, pour la Culture, une baisse de
7,74 %.
A noter que le Conseil général de la Haute-Garonne (hors soutien ponctuel comme pour le cinéma ABC) a
consacré 13,72 M€ de 1996 à 2002 en exécution d’une charte culturelle entre la ville et le département,
destinée à financer essentiellement la création et l’aménagement de lieux culturels. Cette charte a été
renouvelée en 2002 pour dégager d’ici à 2008 encore 13,72 M€.
1
François Simon et Jean‐Paul Fonvielle, La fracture toulousaine, éd. Garonne, 2000, p.157.
16. 32
Christophe Lèguevaques
COMPARAISON DE LA RENOVATION DU
MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE ENTRE LYON ET TOULOUSE :
AMBITION, D’UN COTE ET CONSERVATION, DE L’AUTRE
LYON
Comité de pilotage de 24 représentants des milieux
culturels, économiques et scientifiques
Triple objectif :
développement de la culture scientifique,
étude des enjeux contemporains de la
société,
installation dans la ville d'un lieu culturel
majeur de niveau national et international
Ouvert sur le monde, espace de réflexion consacré
aux rapports entre les sciences et la société où les
grands enjeux contemporains peuvent être expliqués
et débattus
TOULOUSE
Le Maire de Toulouse seul en tête-à-tête avec
l'adjoint à la Culture
Réorganisation complète de son administration
autour de cinq métiers fondamentaux :
conserver,
exposer,
animer,
gérer les flux d'informations,
administrer l'ensemble.
Un grand projet de ville, un musée en
métamorphose, une vision transversale de la nature
afin d'en faire une plate-forme de découverte,
d'apprentissage, de prise de conscience et de
sensibilisation à l'économie citoyenne
Contribuer à l'émergence d'une conscience
environnementale
Un musée des sciences et des sociétés : thématique et
pluridisciplinaire, devant construire un point entre les
sciences et les enjeux sociaux
Un musée axé sur les publics : fidéliser les visiteurs du Une nouvelle approche : surprendre, émerveiller,
musée actuel et en séduire de nouveaux
éduquer, rendre les collections accessibles à tous
Créer un réseau culturel et scientifique autour du
musée pour en faire un lieu de vie et de création
Un projet architectural ambitieux dans un nouveau Un site exceptionnel dans le vieux quartier
quartier en pleine rénovation
universitaire scientifique au cœur de la ville
Hauteur : 37m
14 m
Superficie jardin : 24.400 m²
5.500 m²
Surface utile :
20.000 m²
6.230 m²
Surface totale (SHOB)
46.500 m²
10.354 m2
150.000
Visiteurs attendus par an :
500.000
19.800.000 € HT
Coût des travaux : 153.000.000 € HT
Bref, d'un côté l'ambition de faire de Lyon une capitale mondiale de la culture de l'autre, la
volonté de conservation des collections après un grand nettoyage médiatique.
Le manque d'ambition de la ville de Toulouse –son provincialisme ?- s'illustre au travers de cette
simple comparaison de chiffres. Alors même que la population de la ville de Toulouse devrait dépasser celle
de Lyon d’ici à 2010, Toulouse accueillera trois moins de visiteurs dans un musée trois fois plus petit, pour un
investissement certes faible (19 M€ au lieu de 153 M€).
Ce grand écart se retrouve dans le projet architectural. A Toulouse, le projet n’a rien
d’exceptionnel, une grande baie vitrée comme cela on en trouve dans les galeries marchandes des centres
commerciaux. A Lyon, le bâtiment est aussi beau qu’audacieux. Là où Lyon réinvente son musée des
Sciences Naturelles, Toulouse se contente de rénover l'ancien, certes en l'agrandissant, en améliorant
l'administration et en prévoyant des espaces "ludiques".
DECIDEMENT, TOULOUSE PEUT MIEUX FAIRE !
17. Toulouse a-t-elle un avenir ?
33
Mais depuis le départ de Dominique et lʹarrivée du tandem Philippe‐Jean Luc,
la situation nʹa‐t‐elle pas changé ? Le rôle joué par Marie Dequé nʹa‐t‐il pas été
déterminant ? Désolé de vous décevoir mais ils ont pris un malin plaisir à appliquer
jusquʹà la caricature le mot dʹordre « le changement dans la continuité ». Ils ont pris garde
de rajeunir les équipes (Au revoir, Monsieur Plasson, Bonjour Tugan !), mais ils ont
maintenu la même politique très « entre soi » qui était la marque de fabrique de lʹère
Baudis. Car, pour ces gens‐là, la culture, cela ne se partage pas, cela sʹacquiert, on en
hérite comme des bonnes manières et de la maison de famille !
Deux exemples récents permettront dʹillustrer cette analyse :
Le premier concerne les nouveaux « évènements » 1 que ce soit le « Marathon des
mots » ou le « Printemps de septembre », ils sont centrés sur un cercle restreint : surtout ne
pas dépasser la frontière invisible des grands boulevards. Au‐delà de la Médiathèque
vers Jolimont, ce nʹest plus Toulouse ; au‐delà de Saint‐Cyprien et du Musée des
Abattoirs, ce nʹest plus Toulouse. De plus, ces grands évènements mondains, où il est de
bon ton de se montrer, coûtent chers et absorbent lʹessentiel des subventions culturelles
de la ville. A titre de comparaison, le Cinéma ABC emblématique cinéma Arts et Essais
depuis 50 ans attend encore lʹaccord de la mairie de Toulouse pour des subventions
permettant la réalisation de mises aux normes de sécurité rendues nécessaires par
lʹancienneté du bâtiment. Bref, à un patient travail au quotidien, si possible dans les
quartiers, la mairie préfère un gros barnum médiatique avec des « vedettes
parisiennes », dont l’effet est ponctuel, le coût prohibitif et se consomme sans effort 2
particulier, comme tous les événements montés par la télé. C’est de la culture « vu à la
télé » que l’on nous propose, voire que l’on nous impose.
Bien évidemment, une fois ces « éléphants blancs » culturels passés par là, ils
ont écrasé la créativité locale et ont occupé tout l’espace et tous les esprits.
Le deuxième exemple est beaucoup plus inquiétant. Après l’eau,
l’assainissement, les parkings, la télévision et j’en passe, nous assistons là encore à un
transfert de services publics entre les mains du privé, bref à une privatisation de la
culture. La ville se défausse de sa responsabilité sur des acteurs privés de plus en plus
puissants et qui préfèrent les comptes de résultat aux contes de fées. En effet, avec la
création du casino dans l’île du Ramier, le groupe Barrière va verser à la ville plus de 1,5
1
2
Cʹest le concept à la mode ʺcocoʺ, tu comprends le monde de la télévision (merci Dominique Cantien) et du show‐
biz ont pris le pouvoir sur les culturels, tout est éphémère, tout est trop compliqué. Alors il faut consommer de la
culture pour se distraire, se détendre, sʹoublier. Tu prendras bien une petite ligne de subvention, coco ? Viens avec
tes potes de Paris parce que Toulouse cʹest quand même la cambrousse et du point de vue culturel il faut tout leur
apprendre, leur installer, leur mâcher (dialogue purement imaginaire ?).
Hannah Arendt, La crise de la culture, p. 265, « L’industrie des loisirs est confrontée à des appétits gargantuesques et,
puisque la consommation fait disparaître ses marchandises, elle doit sans cesse fournir de nouveaux articles. (…) La culture se
trouve détruite pour engendrer du loisir ».
18. 34
Christophe Lèguevaques
Face à la crise de la culture :
savoir choisir pour s’élever jusqu’à la liberté
« L’humaniste, parce qu’il n’est pas un spécialiste, exerce une faculté de jugement et de goût qui est audelà de la contrainte que chaque spécialité fait peser sur nous. Cette humanitas romaine s’appliquait à des
hommes qui étaient libres à tous points de vue, pour qui la question de la liberté – ne pas subir de
contrainte – était la question décisive, même en philosophie, même en science, même en art.
[Lorsque Cicéron dit errare mehercule malo cum Platone quam cum istis vera sentir, je préfère au nom du
ciel m’égarer avec Platon plutôt que voir juste avec ses adversaires], il dit : en ce qui concerne mes liens avec
les hommes et les choses, je refuse d’être contraint même par la vérité, même par la beauté.
Cet humanisme est le résultat de la cultura animi , d’une attitude qui sait prendre soin, préserver et
admirer les choses du monde. En tant que tel, il a pour tâche d’être l’arbitre et le médiateur entre les
activités purement politiques et celles purement fabricatrices, opposées sur bien des plans. En tant
qu’humanistes, nous pouvons nous élever au-dessus de ces conflits entre l’homme d’Etat et l’artiste, comme
nous pouvons nous élever jusqu’à la liberté, par dessus les spécialités que nous devons tous apprendre et
pratiquer. Nous pouvons nous élever au-dessus de la spécialisation et du philistinisme (*) dans la mesure où
nous apprenons à exercer notre goût librement.
Alors nous saurons répondre à ceux qui si souvent nous disent que Platon ou quelque autre grand
écrivain du passé est dépassé ; nous pourrons répondre que, même si toute la critique de Platon est justifiée,
Platon peut pourtant être de meilleure compagnie que ses critiques.
En toute occasion, nous devons nous souvenir de ce que, pour les Romains – le premier peuple à
prendre la culture au sérieux comme nous -, une personne cultivée devait être : quelqu’un qui sait choisir
ses compagnons parmi les hommes, les choses, les pensées, dans le présent comme dans le passé ».
Hannah Arendt, La crise de la culture, p. 287-288.
(*) « le philistin méprisa les objets culturels comme inutiles jusqu’à ce que le philistin cultivé s’en saisisse comme d’une monnaie
avec laquelle il acheta une position supérieure dans la société, ou acquit un niveau supérieur dans sa propre estime. (…) Les
valeurs culturelles (…) perdirent le pouvoir originellement spécifique de toute chose culturelle : le pouvoir d’arrêter
notre attention et de nous émouvoir » (p. 261)
millions dʹeuro par an pour les activités culturelles de Toulouse. Devenant lʹun des
principaux contributeurs du budget culturel, voire l’un des principaux donneurs
d’ordre, le casino place la ville sous sa dépendance économique et exerce alors le
pouvoir sur la vie culturelle –comme cʹest déjà le cas au Havre avec Partouche 1 ‐. Pour
avoir vu de mes yeux l’horreur culturelle à Las Vegas, je refuse que le casino influence,
voire dicte les choix de la municipalité sur lʹaction culturelle. A cela sʹajoute que le
casino disposera d’une grande salle de spectacle (1200 places) qui va drainer un public
de plus en plus captif vers un lieu de consommation voué aux jeux d’argent.
Quelle autre politique culturelle ?
Dʹabord il convient de rappeler ce quʹest la culture pour nous : « la culture n’est
pas ce supplément d’âme que l’on répand sur une société en perte de sens et de repères, elle est un
besoin irrépressible de tous les humains, elle est la marque de toutes les civilisations. (…) Ce que
l’on appelle culture est la confluence d’expressions diverses qui prennent la forme d’art, de
pensées, de rites qui ensemble constituent un patrimoine évolutif où chacun doit pouvoir puiser
ce qui constituera son rapport aux autres et à l’univers et lui permettra à son tour, par sa
1
Nathalie Castetz, Le Havre mise sur Partouche, Libération 1er juin 2006, « La ville a entièrement délégué au groupe sa
biennale lancée ce jour ».
19. Toulouse a-t-elle un avenir ?
35
pratique et sa créativité, d’enrichir le patrimoine. Il ne s’agit en rien d’imposer une norme à tous
mais au contraire de permettre à chacun de s’approprier une part de ce qui fonde le bien
commun » 1 .
Il faut donc organiser des lieux de rencontres, dʹéchanges et de partages. Sans
prétendre ni hiérarchiser les formes culturelles ni les différencier pour quʹelles ne
fusionnent pas (pour quʹelles restent pures ?), la culture doit devenir un moyen de
respect l’Autre. Fidèle à la tradition européenne (dont la devise est « unis dans la
diversité »), soucieux des enseignements d’Emmanuel Levinas, nous voulons établir, par
la culture, des ponts, des transferts, des enrichissements réciproques dans le respect des
identités ; mais dans la volonté de faire œuvre commune, dʹinventer un autre monde qui
soit le nôtre.
Il faudra éviter de tomber dans deux travers qui sont le signe d’un
provincialisme refoulé :
- d’une part, un excès de « localisme » qui peut s’apparenter à du folklore, car
paraphrasant Gombrowicz, on pourrait dire qu’être toulousain, c’est
justement prendre en considération autre chose que Toulouse 2 car Toulouse
a été une terre d’émigration intérieure et d’immigration extérieure. ;
- d’autre part, une tentative maladroite de copier Paris ou de chercher à Paris
de quoi alimenter la soif de variétés de Toulouse. Cette fois, c’est Cyrano qui
me vient à l’esprit, en m’écriant, « c’est un peu court jeune homme », on
pourrait ouvrir la ville sur le monde, ne serait‐ce que pour accueillir ou pour
procéder à des échanges avec les villes avec lesquelles Toulouse est jumelée.
Là encore, il ne faudra pas penser Capitole mais dynamique entre les quartiers
et la ville, entre les habitants et les créateurs. La culture doit répandre ses bienfaits dans
tous les quartiers, gagner la plus humble chaumière, ensoleiller les « tours blêmes de
nos HLM » et donner à chacun le goût de découvrir, de lire, d’écrire, de danser, de
peindre, de s’émouvoir et de s’émanciper. Ce ne sont plus la « Star Ac » ou les Sitcom
américains qui formeront lʹintelligence mais des rencontres avec les grands artistes du
passé ou la découverte des artistes de demain. Connaissant les exigences du public
toulousain, il faudra du courage à ceux qui voudront présenter leurs œuvres…
1
2
Michel Debout, Socialistes, allons voir si la gauche, Les notes de la Fondation Jean‐Jaurès, 2006
Gombrowicz, Journal 1957‐60 ; Denoël, 1976, p. 25, « Etre Français, c’est justement prendre considération autre chose que
la France ».
20. 36
Christophe Lèguevaques
TOULOUSE, CAPITALE EUROPEENNE DE LA CULTURE 2013
Propositions pour un projet alternatif à l’initiative des citoyens toulousains
RESISTER A LA « CONSOMMATION » DU MONDE
Culture, science, écologie et ville
« Le verbe résister doit toujours se
conjuguer au présent. Résister c’est
oser. Oser c’est créer »
Lucie Aubrac
Encore une fois, le gaspillage de l'argent public, la renonciation à une démarche de démocratie
participative et le fait du prince trouvent à s'illustrer à Toulouse.
Philippe Douste-Blazy vient de désigner son très proche collaborateur(*) Olivier Poivre d'Arvor
(OPDA) comme grand organisateur de la candidature de Toulouse pour devenir capitale
européenne de la culture 2013.
Immédiatement, OPDA a réclamé une subvention de ... 500.000 € !
Le projet qu'il annonce est aussi plat que sa littérature.
Il est temps d’organiser la résistance culturelle.
Je vous propose de lancer un Comité de résistances culturelles (CRC) qui démontrera que
Toulouse des cathares à Jean-Pierre Vernant peut être la capitale de la résistance face à la
consommation culturelle et au prêt à penser « made in TF1 ».
Il s'agit d'un acte politique fondateur.
Il convient de réunir les talents de la ville, du département et de la région afin de les mettre en
relation avec l'Europe et le Monde.
J’ai ajouté une annexe à la fin du livre. Cet addendum comprend
-
-
Déclaration des droits de l'Homme à l'émancipation et à la libération des pouvoirs
économiques et médiatiques par l'éducation et le partage de la culture artistique,
scientifique et morale
Une liste de six projets que je soumets à la discussion démocratique entre les
citoyens et les créateurs afin que ce soient les forces vives de Toulouse-MidiPyrénées qui prennent en main leur destin culturel.
Il est temps que l'imagination revienne au pouvoir et que la communication reste à sa place.
(*) D’après le Nouvel Observateur, OPDA serait le « nègre » du livre de Philippe Douste-Blazy dans lequel il raconte son
(in)expérience de Ministre des Affaires étrangères.
21. Toulouse a-t-elle un avenir ?
37
Toulouse pourra peut‐être un jour devenir une capitale européenne 1 des
cultures si elle s’en donne la peine et si elle accepte la coopération entre les collectivités
locales, comme pour le Centre de développement chorégraphique (CDC) d’Annie
Bozzini. Car, on ne devient pas capitale européenne de la culture parce qu’on intrigue
dans les chancelleries ou à Bruxelles. Pour cela, il convient de fixer cinq principes
directeurs afin d’atteindre cinq objectifs (cf. tableau). De cette manière, par la
concertation, il sera possible de faire de Toulouse un milieu culturel vivant, en
effervescence, ouvert au plus grand nombre et non pas réservé à une élite
« toulousaine » dont les goûts et les couleurs sont faussement avant‐gardistes ou
foncièrement conservatrices. A partir d’un maillage propre à faciliter l’éclosion des
projets et d’activités issus du milieu culturel et des quartiers, la culture pourra devenir
un moteur privilégié du développement, un panache blanc pour rassembler les
créateurs, un outil de métissage et d’apprentissage du respect. Des études 2 montrent
que la culture peut être tout à la fois un moyen de socialisation, un créateur de liens et
de solidarité mais aussi un formidable atout pour le développement du territoire. Ainsi,
on estime que les retombées économiques de 100.000 visiteurs d’une expo sur une ville
est de l’ordre de 6 millions d’euro (café, hôtel, restaurant, taxi, shopping, …). A Brescia,
en Italie, la municipalité a gagné… 32 millions d’euro (!) grâce à deux expositions :
Gauguin‐Van Gogh (540.000 visiteurs) et Millet (270.000 visiteurs). Ce chiffre est à
rapprocher des gains espérés par la ville de Toulouse en provenance du casino lorsqu’il
aura atteint sa vitesse de croisière avec ses 600 machines à sous. En effet, parmi les
justifications de la municipalité pour l’implantation d’un casino, figure en premier place
le gain espéré par la collectivité : 3 millions d’euro par an (mais cette estimation ne tient
pas compte du coût social de l’addiction au jeu). Eh bien si la ville avait investi dans la
culture, façon musée Guggenheim, nous aurions pu récupérer 10 fois cette somme, sans
ternir notre image et sans avoir à supporté cet impôt sur la misère. De la même façon, en
proposant une offre culturelle aussi dense que variée, Toulouse peut développer tout à
la fois une identité européenne en devenir ou un tourisme de qualité 3 . C’est tout l’enjeu
de cette opposition frontale entre une conception mercantile et élitiste de la culture, celle
de la droite depuis 30 ans, et une conception citoyenne et populaire. En plaçant la
1
2
3
Pour le moment, Toulouse ne figure pas dans le livre que Jean‐Claude Boyer a consacré aux capitales européennes
(La documentation française, avril 2001, n° 8020). Il est vrai que Toulouse cumule les handicaps pour pouvoir
prétendre se hisser à ce niveau : sous‐effectifs hôteliers, difficulté d’accès par le train, absence de fêtes reconnues
(Dominique Baudis a supprimé le carnaval car il était trop bruyant pour les commerçants du centre !), faiblesse des
foires et salons au niveau international, quasi‐inexistence de la fonction financière, absence de geste urbanistique
(nous en reparlerons), etc.
Tony Travers, Museums and Galleries in Britain, London School of Economics (LSE), décembre 2006. Les musées et
galeries ont rapporté plus de 2,5 milliards d’euro à la Grande Bretagne.
A Paris, le tourisme d’affaires représente une manne de 4,5 milliards d’euro, 50.000 emplois et 44 % des nuitées
hôtelières. Mais, pour prétendre progresser dans cette direction, il faut que Toulouse offre des services culturels de
qualité qui donneront envie aux visiteurs de rester plus de deux jours, qui demeure, pour le moment, la durée
moyenne d’un séjour à Toulouse.
22. 38
Christophe Lèguevaques
culture au cœur de notre développement, nous voulons constituer un milieu de vie de
qualité, c’est‐à‐dire beau, convivial, accueillant, dynamique, où il fait bon résider,
travailler, investir, se divertir, se ressourcer et revenir. Bref, où il fait bon vivre. Nous
voulons retrouver la fierté toute latine de Toulouse. Souvenez‐vous. Lors de
l’inauguration de sa statue le 23 mars 1929 au square du Capitole, Léon Blum rend
hommage à Jean‐Jaurès et à travers lui à Toulouse : « Cʹétait sa ville, la ville de son esprit.
Elle est pleine de ses souvenirs. Il était plein dʹelle, de son art, de son âme, de son ciel, de sa
lumière car il avait un génie latin, et Toulouse nʹest‐elle pas la Capitale du génie et de lʹart
latins ? ». Ainsi, en renouant avec sa tradition d’accueil des artistes, des intellectuels,
des chercheurs, Toulouse retrouvera l’inspiration qui fut la sienne au XIIème siècle, sur
laquelle Simone Weill pouvait écrire que « Ce pays a souffert par la force. Ce qui a été tué ne
peut jamais ressusciter : mais la piété conservée à travers les âges permet un jour d’en faire
surgir l’équivalent, quand se présentent des circonstances favorables. (…) La piété commande de
s’attacher aux traces, mêmes rares, des civilisations détruites pour essayer d’en concevoir l’esprit.
L’esprit de la civilisation d’oc tel que nous pouvons l’entrevoir répond à des aspirations qui n’ont
pas disparu et que nous ne devons pas laisser disparaître, même si nous ne pouvons pas espérer
les satisfaire » 1 .
En aurons‐nous le courage, l’envie et la volonté ? Rien n’est moins sûr lorsqu’on
connaît certains épisodes peu glorieux de notre histoire. Bien sûr, si on leur oppose sa
capacité d’invention et son sens de la solidarité.
1
Simone Weil, Le génie d’oc, février 1943.
23. Toulouse a-t-elle un avenir ?
CULTURE où comment résister à la ‘marchandisation’ du monde
5 principes directeurs
Reconnaître l’apport des arts, de la
science et de la culture dans la mise en
valeur de la collectivité
culture agissante
faire de Toulouse une ville d’art (le
moindre aménagement urbain doit être
pensé pour rendre la ville belle)
Accentuer la participation et l’implication
citoyenne dans la vie culturelle et
scientifique
encouragement des apprentissage et
appréciation libre des arts, de la science
et de la culture,
contribution des citoyens à l’émergence
des formes d’expression culturelles
démocratisation des questions
scientifiques
Développer un axe Nature / Culture
Loin de s’opposer c’est le début d’un
apprentissage du respect de chacun, de
l’intérêt général et de la dignité de tous
la science est le lien entre nature et
culture
Rendre la ville belle, leur fierté aux
habitants et du plaisir aux visiteurs
mettre en valeur le patrimoine
partager les trésors du passé
inventer la ville de demain qui sera le
patrimoine commun de nos enfants
Encourager les partenariats novateurs
impliquant les interlocuteurs actifs du
territoire
favoriser l’émergence d’une fondation
« Mécénat » sous l’égide de la CCI
assurer une pleine et entière coopération
entre les différentes collectivités
concernées
5 objectifs à atteindre
Disposer d’une structure
d’équipements et de services
d’animation et de création
adéquatement répartis sur le
territoire
Faire converger les compétences
de la ville, des milieux associatifs
et des milieux actifs afin de faire
de Toulouse un lieu de créations
et de rencontres internationales
Améliorer l’efficacité du soutien
aux organismes en appuyant les
initiatives du milieu culturel et
scientifique
Augmenter le goût et l’intérêt pour
les arts, la culture, la science
auprès de la jeunesse afin de
permettre des échanges
intergénérationnels
Favoriser la visibilité et la
contribution des arts, de la culture
et de la science, de l’histoire, du
patrimoine à l’enrichissement de la
collectivité
39
24. 40
Christophe Lèguevaques
Toulouse, l’hypocrite ou l’orgueilleuse ? —
Dans l’imaginaire collectif, Toulouse se targue d’être une ville accueillante,
tolérante et bonne enfant. Trois exemples anciens permettront de relativiser cette
prétention.
Le soufflet de la Place Saint Etienne —
Il ne s’agit pas d’une recette culinaire mais d’une tradition barbare. Si je vous
dis ‘colophisation’, cela ne vous aide pas non plus. Alors, je vous invite à (re)lire ‘Le
Dernier des Justes’ d’André Schwartz‐Bart où est raconté cette touchante coutume
toulousaine remontant au IXème siècle et qui a perduré pendant tout le Moyen Age pour
atteindre son acmé avec la révolte des Pastoureaux. Il s’agissait d’une cérémonie par
laquelle le jour de Pâques, l’évêque de la Ville souffletait, c’est à dire giflait au moyen
d’un gant, le visage du représentant de la communauté juive de Toulouse. C’était le
moyen pour les Chrétiens d’affirmer leur prééminence et leur supériorité sur ceux qui
passaient pour appartenir au peuple « déicide ». Cette tradition toulousaine n’est pas à
mettre au crédit de notre ville.
L’affaire Calas —
Les faits sont connus. Le 13 octobre 1761, Marc‐Antoine Calas, 23 ans, étudiant
en droit est retrouvé mort au rez‐de‐chaussée du domicile familial, 50 rue des Filatiers.
Son père Jean Calas, 68 ans, appartient à une famille de commerçants protestants,
marchand de tissus (les « indiennes »). Ce soir là, la famille Calas recevait à souper un
ami bordelais, Gaubert Lavaysse, protestant lui aussi. Ils sont servis par la servante
Jeanne Viguière, fervente catholique. Marc‐Antoine s’était vu refuser l’inscription en
licence de droit pour devenir avocat, faute pour lui de fournir un « certificat de
catholicité » (sic !). Voilà les faits, certains, incontestables. Après la découverte du corps,
un médecin constate l’absence de blessure apparente mais remarque une « marque
livide au col ». Aucun examen complémentaire n’est pratiqué. Aucun constat d’état des
lieux n’est établi par le capitoul David de Beaudrigue arrivé sur les lieux, porté par les
ailes de la clameur publique. Car déjà, la ville bruit de menaces, d’accusations, de
rumeurs : « c’est le père qui a tué le fils parce qu’il voulait devenir catholique ! ». Sans procès
en canonisation, les pénitents blancs s’emparent du corps de l’étudiant et le
transforment en saint après une grande cérémonie à Saint Etienne. Quant au père, après
un procès bâclé, en l’absence de preuve matérielle, il est condamné à mort et exécuté
Place Saint‐Georges après avoir subi la question ordinaire et extraordinaire, comprenez
la torture par le fer et par le feu. En mourant, il trouve encore la force de crier son
innocence.
25. Toulouse a-t-elle un avenir ?
41
C’est alors qu’intervient Voltaire, saisi par la veuve Calas qui, outre son mari
assassiné, ses filles placées au couvent, ses autres fils contraints de devenir catholiques,
trouve refuge à Paris chez des parents et demande au roi des philosophes d’appuyer ses
démarches pour faire casser ce procès inique. Voltaire s’interroge ; mais Voltaire
enquête puis Voltaire s’agite, et enfin, Voltaire crie. Dans des lettres devenues célèbres,
il fustige les Toulousains et s’attaque à un mode très particulier de démonstration, de
culpabilité, le « monitoire ».
C’était une sorte dʹappels à témoins. Les rumeurs recueillies constituaient des
quarts de preuves. En les ajoutant les unes aux autres, cela équivalait à une preuve
« entière » de culpabilité des accusés. Voltaire sʹindigne : « Ces Visigoths ont pour maxime
que quatre quarts de preuve, et huit huitièmes, font deux preuves complètes, et ils donnent à des
ouï‐dire le nom de quarts de preuve et de huitièmes. Que dites‐vous de cette manière de raisonner
et de juger ? Est‐il possible que la vie des hommes dépende de gens aussi absurdes ? ».
A lire ces propos vieux de trois siècles, on ne peut pas ne pas y penser. En 2003,
pendant quelques mois, une folle rumeur a parcouru la ville, que dis‐je la ville, le pays
tout entier grâce à la magie noire de la fée télévision. Dominique Baudis, qui a une vie
dissolue, mais oui c’est vrai, c’est le mari de ma belle‐sœur, qui le tient du facteur qui
par ouï‐dire de la concierge de la rue des fleurs qui connaît une secrétaire au Capitole
qui aurait vu quelqu’un qui aurait entendu parler d’une histoire qui confirme qu’un de
ses amis a dit à un de ses parents qu’il avait vu quelque chose, bref, Dominique Baudis
est impliqué dans une affaire de mœurs et de crimes (au pluriel). La preuve ? c’est dans
le journal ! La preuve ? il transpire à la télévision ! Décidément, nous n’avons rien
appris. Sur la foi des rumeurs les plus extravagantes, voici l’ancien maire cloué au pilori.
Certes, je n’apprécie pas l’homme politique, dont la duplicité n’avait d’égal que
l’inconséquence 1 , mais de là à croire qu’il puisse avoir donné à un tueur en série (Patrick
Alègre) l’ordre de tuer un travesti qui avait des photos l’impliquant dans des séances de
torture avec des adolescents voire des… Stop ! J’aurais envie d’éclater de rires, si
l’affaire n’était pas si grave. Alors pourquoi tout ce tohu‐bohu ? Vengeance de la famille
Baylet, propriétaire de la Dépêche du Midi et ancien rival politique qui n’aurait pas
pardonné à l’ancien maire son refus de faire paraître des annonces légales dans la
Dépêche ? J’en doute. Meurtre du père par procuration par un Douste‐Blazy à l’étroit au
1
Le 13 décembre 1998, un jeune homme, Habib, est tué, dans des conditions suspectes lors d’une interpellation par
la police. S’ensuivent plusieurs nuits d’émeutes et de colère. Que fait le maire de Toulouse de l’époque ?
« Dominique Baudis a multiplié les attaques contre la justice, jugée incompétente et conciliante à l’égard des délinquants (…)
la mort d’Habib est un non‐événement. A tel point que le maire de Toulouse ne voit pas l’intérêt d’envoyer un message de
condoléances à la famille. Il le fera mais avec un temps de retard. « Il n’a pas voulu partager notre tristesse », regrette une
jeune fille. La seule prise de position publique concerne les équipements publics détériorés. (…) Il restera « terré » au Capitole
et ne réapparaîtra que lors de la visite du ministre délégué à la ville. Les habitants de La Reynerie ne manqueront pas de
souligner cette absence : ‘Tout brûle depuis deux jours, et ni le maire ni ses adjoints ne sont venus dans le quartier’, ne serait‐
ce que pour constater ». in F. Simon et J.‐P. Fonvielle, La fracture toulousaine, Editions Garonne, 2000.