L’Artési Île-de-France organisait le 4 octobre à l’Agora Nanterre, dans le cadre du cycle "Démocratie en réseaux" piloté par la Région Île-de-France, une conférence sur le thème de Lire et écrire la ville avec ses habitants qui réunissait experts, porteurs de projets et praticiens de l’urbain.
1. La ville sensible ou l’art des contestations
- 20 octobre 2011 -
Auteurs : Caroline de Francqueville et Philippe Gargov
Lire et écrire la ville avec ses habitants, voilà le titre ambitieux d’une conférence organisée à
Nanterre mardi 4 octobre dernier, dans le cadre du cycle Démocratie en réseau organisé par
la Région Ile-de-France. Dans un rythme endiablé, animée par notre complice Loïc Hay,
chargé de mission à l’Artesi Ile-de-France, la journée a réuni experts, porteurs de projets et
praticiens de l’urbain autour de trois temps :
• une première table ronde en matinée a permis de poser les termes des échanges
(avec Pascal Aubert de l’ADELS, Florence Durand-Tornare de Villes Internet, et
Stéphanie Wojcik de l’Université de Créteil)
• une douzaine de projets innovants ont ensuite été présentés en quelques minutes
chacun
• en conclusion, trois experts ont proposé leur lecture critique des échanges de la
journée : Emile Hooge de Nova7, Philippe Gargov de [pop-up] urbain et Jérôme
Denis de Télécom Paritech.
Consensus de complexités
Si le “dialogue urbain1” fait consensus, c’est pour mieux souligner les paradoxes, limites et
difficultés de cet art si complexe et néanmoins nécessaire.
Florence Durand-Tonare2 (Villes Internet) évoque “gravement” une “révolution de la
gouvernance”. Selon elle, les liens issus des outils numériques modifient “le rapport au
pouvoir” : “les systèmes pyramidaux historiques ne peuvent plus fonctionner. Comment dès
lors construire une ‘démocratie augmentée’ ?” La question traversera la journée, d’autant
plus cruciale que “l’essoufflement des démarches participatives” traditionnelles est soulignée
entre autres par Pascal Aubert (ADELS), qui pointe autant le mode de faire que les
questions mises en débat ; des démarches de validation de projets déguisées en
“démarches de concertation” sans pouvoir sur le cours des décisions. Qui plus est, les
rencontres trop souvent organisées “à 18h30 dans le préau de l’école” se focalisent trop sur
l’urbain. Pour autant, “la vox populi n’est pas la vox dei”, rappelle en ouverture l’hôte de la
journée Gérard Perreau-Bézouille (Ville de Nanterre). Où sont les niveaux d’implication
légitimes des citoyens ? Cela engage des choix politiques courageux face au risque de
mises en débat de projets de société.
1
L’expression fait ici référence à la thématique du premier atelier de Do It CitY (Faire la ville avec ses
habitants, le dialogue urbain), un think-tank sur le numérique urbain animé par Chronos.
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Les fonctions des personnes citées sont indiquées à la fin de ce document.
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contact@groupechronos.org - Tél. 01 42 56 02 45
2.
L’information n’est pas neutre, les outils non plus
Stéphanie Wojcik (Université de Créteil) observe une “confusion fréquente entre
communication et démocratie locale” ; comprendre : quelques zestes de participatif au
service de leur blason démocratique ou comment favoriser artificiellement l’appropriation
d’un projet tout en restant dans le cadre de la loi. Faut-il pour autant s’en inquiéter ? La
chercheuse parie sur les “marges d’appropriation” des outils numériques ; les citadins
peuvent dès lors “détourner les dispositifs”. Rebondissant sur l’introduction de Bruno Marzloff
(Chronos), elle rappelle que “l’empowerment” désigne aussi “l’acquisition de compétences
pour s’exprimer”.
Il n’empêche, tout processus de concertation, aussi abouti soit-il, ne peut être neutre. Le rôle
de l’image et de la représentation des objets urbains est essentiel3. Qui décrit la ville dans
les dispositifs de concertation et comment ? “On parle ici de dessins, mais quid du ‘dessein’
qui les sous-tend ?”, s’interroge-t-on dans la salle. “Les outils ont un potentiel de
manipulation énorme”, rappelle Florence Durand-Tornare. Le projet de recherche européen
IP City, co-piloté par l’architecte et enseignant-chercheur Jean-Jacques Terri adresse
justement ces questions. Des applications ‘in situ’ telles que “Villes sans limites” d’Alain
Renk (voir image ci-dessous) ou ‘La Courrouze en réalité augmentée’ d’Erwan Mahé
proposent des pistes face à la problématique du projet pré-dessiné par un professionnel.
Source : http://www.futur-en-seine.fr/wp/wp-content/uploads/2011/07/ville-sans-limite.jpg
3
Lire l’article
d’Hélène
Bailleul (2008) “Les nouvelles formes de la communication autour des projets
urbains : modalités, impacts, enjeux pour un débat participatif. Analyse du rôle des images dans le
débat participatif autour de deux projets urbains en France.” in Revue Métropoles.
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3.
Réalisé en partenariat entre l’architecte urbaniste et l’éditeur de jeux vidéos Ubisoft, Villes
sans limites est un dispositif numérique et mobile (tablettes connectées et smartphones).
Une technologie de réalité augmentée permet aux citadins de construire leur vision de
l’évolution d’un quartier sur site. L’ensemble des images produites est ensuite compilé et
présenté en ligne. Dans la même visée, le service mis en place à La Courrouze, un éco-
quartier rennais en construction, entreprend de faciliter l’appropriation de l’avenir du projet
urbain.
Villes numériques sous tensions (le back-office de la ville)
Reste la question récurrente de la représentativité. Là encore, consensus ; les formules
fusent : on rebaptise avec humour les habitués des rencontres publiques les “TLM” (Toujours
Les Mêmes) : militants de la première heure, riverains vindicatifs, etc. S’adosser au
numérique ne change rien à l’affaire. Hugues Aubin (Villes de Rennes) parle carrément
d’une “élite de la ‘guerre d’idée’ sur le territoire numérique”, quand Florence Durand-Tornare
dénonce “une élite internaute qui reproduit des logiques de pouvoir nuisibles à la démocratie
au sens large”. Or, ces populations influent sur la posture de concertation choisie par la
collectivité. Elargir le cercle des participants est un enjeu de taille que les opportunités du
numérique (accessibilité où je veux et quand je veux à l’information, etc.) ne doivent pas
masquer.
Jérôme Denis (Télécom Paritech) pointe la “précarisation” du travail “invisible” des acteurs
urbains que pourraient générer ces dispositifs. Ceux-ci peuvent laisser à penser qu’il n’y a
pas d’intermédiaire humain entre le citadin “expert de son quotidien” et l’action urbaine
définitive. Le constat est flagrant dans le cas de dispositifs permettant de signaler un incident
de voirie (applications de type Fix My Street). Heureusement, l’application ‘Beecitiz’
présentée par Benoît Thieulin évite cet écueil, la collectivité gérant elle-même le dispositif de
résolution des alertes ; elle échappe ainsi au risque de “pression” que Philippe Gargov ([pop-
up] urbain) dénonçait ici. Le dispositif combine une carte participative où les citadins
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4.
soumettent des requêtes, une interface de gestion et une plateforme entre les divers
départements de services publics.
Les questions soulevées par ces outils sont politiques. Jacques-François Marchandise
(FING), schématise ainsi une ville sous tension entre d’un côté, une participation extrême
des citadins (mais cela décrit-il une ville “auto-gérée” ou au contraire excessivement
“libérale” ? interroge Philippe Gargov), de l’autre une conception purement “consumériste”
des services publics par les citadins. Où placer le curseur ?
Le choc des sensibles
Pourquoi ne pas s’intéresser aux dimensions moins “officielles” ou “techniques” de la ville,
aux “visions plus créatives, ludiques ou artistiques”. Comment mieux recueillir ces
expressions citadines qui comptent aussi ?
Cette interrogation justifiait la présentation de Walking The Edit (ici) d’Ulrish Fisher. Son
projet se revendique “dispositif de subjectivation” en complément d’autres participations plus
traditionnelles, évitant la quête d’objectivité politique qui se traduit par une “sur-
représentation des questions d’aménagement urbain” (Pascal Aubert). Il s’agira donc d’ouvrir
la question du “politique” aux visions subjectives de la ville vécue, rêvée ou imaginée. On
voit d’ailleurs là l’un des “malentendus” de la journée - mais ce sont justement ces
malentendus qui enrichissent le débat ! -, entre une première moitié réservée aux
problématiques plus “institutionnelles” de l’écriture urbaine participative, et une seconde plus
orientée sur des visions créatives de la ville ou, plus généralement sur le lien social, comme
le service Là pour toi, présenté par Bruno Caillet (agence le hub). Développé par le hub
agence à La Défense, ce réseau social a pour finalité de renforcer les échanges, rencontres,
dialogues entre les différents habitués du site (résidents, salariés, commerçants, etc.).
Source : http://www.innovcity.fr/2011/02/21/la-pour-toi-met-la-defense-en-ebullition/
Il aura simplement manqué la transition permettant de mieux faire comprendre le lien entre
les deux, car il existe bel et bien. “Le choc des sensibles fait progresser la ville”, résume en
conclusion Gérard Perreau-Bézouille (Ville de Nanterre).
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5.
Pour aller plus loin
Trop de projets innovants présentés au cours de cette journée pour rendre compte des
détails. Néanmoins quelques aspérités :
Les projets “Mobiliers urbains intelligents de la Ville de Paris” peuvent être consultés ici. Les
prototypes sont en cours d’installation et un autre appel à projet s’intéressera aux contenus
déployés.
Wiki Rennes, la Ruche, SMS wall, Gulliver, Forward to the past : Hughes Aubin a présenté
un ensemble de projets développés à Rennes, sous la conduite notamment de l’association
multimédia Bug qui joue entre autres le rôle d’incubateur de projets, de développeurs et
d’animation de réseau.
Vivacités Ile-de-France organise des promenades urbaines et explore à Ivry-sur-Seine les
potentialités du numérique pour renouveler les démarches existantes.
L’agence de design User Studio a élaboré une démarche et des outils pour des ateliers de
travail multipartenariaux et créatifs. Cette courte vidéo donne un bon aperçu de ce qu’ils ont
baptisé Service lab.
Développé en partenariat par les associations Concert urbain et Parazar, la plateforme de
concertation Dring 93, développé en Seine-Saint-Denis, propose “Un espace de
concertation, de contribution, de coups de gueule et surtout de débat”.
Les intervenants
Loïc Hay, chargé de mission à l’Artesi Ile-de-France
Pascal Aubert, président de l’association ADELS
Florence Durand-Tornare, fondatrice et déléguée de l’association Villes Internet
Stéphanie Wojcik, Maître de conférences en sciences de l'information et de la
communication, département de communication politique et publique, Université Paris-Est
Créteil (UPEC)
Emile Hooge, consultant senior en stratégie, marketing et développement de projets, chez
Nova7
Philippe Gargov, géographe et spécialiste de la ville numérique, fondateur du cabinet de
tendance [pop-up] urbain
Jérôme Denis, Maître de conférence en sociologie, Télécom Paritech
Bruno Marzloff, sociologue, directeur du cabinet de prospective Chronos
Jean-Jacques Terrin, architecte et enseignant-chercheur à l’École Nationale Supérieure
d’Architecture de Versailles (ENSAV)
Alain Renk, architecte urbaniste et fondateur de l’agence R+P
Erwan Mahé, directeur du développement, Artefacto
Hughes Aubin, chargé de mission TIC, Rennes Métropole
Benoît Thieulin, directeur de l’agence La Netscouade
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Jacques-François Marchandise, directeur de la recherche et de la prospective à la FING
Ulrish Ficher, cinéaste et entrepreneur spécialisé dans les médias interactifs
Bruno Caillet, directeur du développement, le hub agence
Sabine Romon, chef de projet au Paris Région Lab
Mathieu Savary, co-fondateur de l’agence User Studio
Marianne DUFFET, coordinatrice formation, Vivacités Ile-de-France
Carol-Ann BRAUN, chargée de projets, Concert Urbain
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