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MONDE
FLORENCE CASSEZ. Du cran sous écrou
11 septembre 2012 à 19:07
PORTRAIT Emprisonnée au Mexique pour «enlèvements», cette Française clame son innocence et
pourrait avoir gain de cause cet automne.
Par EMMANUELLE STEELS MEXICO, de notre correspondante
Indigo, pétrole, marine, cobalt… «Tous les bleus ne s’accordent pas ensemble», explique-t-elle. Florence Cassez
parcourt la palette du bleu foncé, la couleur des uniformes des détenues de la prison de Tepepan à Mexico. Elle
connaît toutes les nuances insoupçonnées du bleu obscur. Et elle maîtrise toutes les gammes obscures du blues.
Incompréhension, détresse, rage, indignation… La Française de 37 ans, dont sept passés derrière les barreaux pour
des «enlèvements» dont elle se dit innocente, a expérimenté toutes les strates du désespoir. Aujourd’hui, elle a
atteint une forme de sagesse, la maturité de la révolte. Elle se moque bien de ses accusateurs : «Ceux qui me
jugent en se confortant dans l’idée commode que je suis coupable ont un train de retard.»
Elle parle de son cas avec l’éloquence des tripes, la rhétorique aiguisée par le trop-plein de malheurs. D’un petit
visage délicat encadré d’une abondante chevelure, émane une voix claire et impérieuse. Tenace. La voix qu’elle a
élevée avec un culot salvateur en février 2006, lorsqu’elle est intervenue à la télé par téléphone depuis sa prison.
Elle a dénoncé en direct la mise en scène de son arrestation, organisée par le chef de la police présent sur le
plateau, penaud de se voir pris en faute. Six ans plus tard, le juge de la Cour suprême a déclaré que ce montage
avait eu un «effet corrupteur» sur tout le dossier. Y compris sur les témoignages des victimes. Biaisés,
contradictoires, incohérents, ils constituent la seule base de la condamnation de Cassez à soixante ans de prison.
Dans le vacarme de la grande salle de Tepepan, les détenues reçoivent leurs proches, les jours de visite. Florence
Cassez, elle, voit défiler des journalistes et des politiciens. Vingt fois, mille fois, elle raconte son «affaire». En ce
jeudi pluvieux de juillet, elle accueille pourtant ce nouvel entretien avec chaleur et enthousiasme. Sur sa table :
nappe, serviettes, victuailles… Elle reçoit comme dans un salon de thé, soucieuse du moindre détail. Mais deux
semaines auparavant, l’immonde bouillie carcérale l’a envoyée à l’hôpital : salmonellose. Le calvaire dans le
calvaire.
Constamment en action, ses doigts virevoltent, cherchant le sucre et le café, sautant de son agenda à son paquet
de cigarettes. La cascade ondulée de cheveux roux qui lui tombe jusqu’à la taille bondit au gré de ses
mouvements, dominant l’espace. Elle égrène les éléments de son dossier, elle s’emballe et ses bras battent l’air.
Elle est toujours sous tension. D’ailleurs elle ne dort presque pas.
Agitée déjà alors qu’elle n’a que 16 ans, la fille peu studieuse mais bosseuse quitte l’école et le foyer parental de
Béthune (Nord) pour avancer à grandes foulées dans le monde professionnel. «Jamais peur de travailler», assène-
t-elle, en évoquant ses années comme vendeuse puis directrice d’un grand magasin à Calais. L’ambition la
consume, elle se brûle les ailes. Quand son frère lui propose de le rejoindre au Mexique, elle fonce dans l’idée d’y
passer quelques mois pour apprendre l’espagnol. «En France, il y avait un plafond au-dessus de ma tête.» Elle
rencontre Israel Vallarta, qui devient son petit ami puis un simple copain. Ils seront arrêtés ensemble, accusés
d’avoir kidnappé trois personnes. Ses yeux se voilent lorsqu’elle raconte le bonheur qui a volé en éclats le jour de
son arrestation. Elle venait d’être embauchée dans un grand hôtel de Mexico. D’abord, hôtesse étage VIP. Elle
maîtrise. Au bout de deux semaines, le directeur la promeut et lui lance : «T’as pas une sœur jumelle ?» Elle se
sent reconnue, galvanisée. «L’avenir s’ouvrait à moi.» L’arrestation et les accusations brisent son élan : «C’est
comme si on m’avait jeté un puzzle à la figure, je ne pouvais pas remettre les pièces en place. J’ai rien compris.»
Il est confortable, dit-elle, de la croire coupable. La presse, mexicaine et française, lui a façonné une personnalité
ad hoc. «Diabolique !» titrait un hebdo. «J’étais une nana simple et ils m’ont piétinée, ils ont créé un monstre.» Les
journalistes mexicains ont bu sans retenue à la source policière qui les abreuvait de mensonges sur la
«kidnappeuse française», qualifiée de «belle» et «perfide» comme si un attribut renvoyait à l’autre. Certains
reporters viennent aujourd’hui lui rendre visite, contrits. Elle leur dit : «Ne me regardez pas moi, regardez mon
dossier. Je ne suis pas parfaite : je suis innocente.»
Au début, elle a passé de longs mois repliée sur elle-même, pensant être victime d’une méprise, d’une
«aberration», attendant une libération imminente. Puis elle a ouvert les yeux sur la réalité : police corrompue,
torture, système judiciaire en lambeaux. «Je me suis rendu compte que beaucoup de Mexicains vivaient la même
injustice.» Coupable fabriquée parmi tant d’autres, elle s’est sentie moins seule. Maintenant, elle exhorte les
Mexicains : «Utilisez-moi, utilisez mon cas pour changer votre pays, votre justice. Je m’en fous d’être un symbole
mais je veux que mon cas crée un précédent.» Les autres détenues disent l’admirer. «La prison l’a grandie»,
estime Margarita. Une autre, Daniela, choquée du traitement que lui a infligé la presse, pense que «les médias sont
des porcs».
Son souci de bien présenter, le soin qu’elle accorde à son allure - élégance développée dans les limites de la
réclusion et des contraintes chromatiques - tiennent plus de la résistance que de la coquetterie. C’est le rempart
qu’elle dresse contre la pesanteur. «Elle est narcissique et ici, il faut l’être», résume une détenue. S’abandonner
aux tenues informes, ce serait dériver, se perdre. Elle veut rester la Florence pro. Elle se donne du boulot. «Je suis
au bureau», dit-elle parfois, pendue au téléphone de la cabine de la prison, organisant sa défense. Elle est sur le
point de gagner : «J’ai gueulé et ça en a obligé plus d’un à ouvrir mon dossier et à reconnaître mon innocence. Mes
soutiens sont de taille.»
Pour contrecarrer l’épuisement, la saturation, elle affectionne les conversations normales, légères, les moments
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«vernis à ongles», touches de couleur sur fond de bleu. Elle peint des aquarelles qui s’exposent à Paris. Elle qui
n’ouvrait jamais un livre, dévore Rousseau, Zweig, et «tout sur l’affaire Dreyfus». Sur Outreau et les erreurs
judiciaires aussi, même si elle affirme «ne pas être victime d’une erreur judiciaire mais d’un montage». Elle aime
rire à s’en décrocher la mâchoire. Elle observe le paquet dont une de ses visiteuses sort une cigarette et à la vue
de la photo rébarbative d’un poumon carbonisé, elle feint l’effarement, espiègle : «T’es sûre que tu veux l’allumer
?» Rire tonitruant.
Ce qu’elle attend de la Cour suprême ? «Que justice soit faite», répond-elle, avant de se dérider : «Et vite, parce
qu’il y en a marre là !» Mais pour parler du futur, elle redevient grave : «Un travail et peut-être l’amour, un bébé.
Des choses simples et vraies. Pas de mensonges.» Elle en a eu sa dose.
Florence cassez en 6 dates
1974 Naissance à Lille.
Mars 2003 Installation au Mexique.
8-9 décembre 2005 Arrestation.
Mars 2009 Condamnation à soixante ans de prison.
Février 2011 Annulation de l’Année du Mexique en France.
2012 Etude du dossier par la Cour suprême mexicaine.
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