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MARINE BRAUD & FRANZ NAJEAN
Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne
Département de science politique
Master 2 professionnel CIAHPD
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- Genre et développement -
Janvier 2015
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1. Ce dossier de recherche porte sur les violences sexuelles exercées
à l’encontre des hommes adultes et adolescents pubères de sexe
masculin en situations de conflit. Les abus sur les nourrissons et
enfants de sexe masculin ne seront pas traités, ceux-ci étant inclus dans
les violences sexuelles sur enfants.
2. Pour faciliter la lecture, le terme homme sera utilisé pour désigner les
hommes adultes et adolescents pubères de sexe masculin.
3. Les exemples cités pour illustrer le propos porteront en majorité sur :
- les conflits internationaux et les conflits non internationaux ;
- les conflits conventionnels et les conflits asymétriques.
D’autres exemples ne s’inscriront pas dans un contexte de conflit armé
stricto sensu : pays en phase de répression politique brutale, pays en
sortie de crise, univers carcéral. Ils seront néanmoins cités en raison de
leur pertinence quant au sujet traité.
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Introduction ______________________________________________________________________________ 5
PARTIE 1 : LE PHÉNOMÈNE__________________________________________________ 7
L’envergure des violences _________________________________________________________________ 8
La nature des violences __________________________________________________________________ 12
Le profil des acteurs ______________________________________________________________________ 13
Contexte et dynamiques _________________________________________________________________ 16
PARTIE 2 : L’IMPACT _________________________________________________________ 22
Un traumatisme physique et psychologique __________________________________________ 23
La perte d’identité de genre _____________________________________________________________ 25
Le rejet et l’isolement ___________________________________________________________________ 27
La loi du silence __________________________________________________________________________ 28!
PARTIE 3 : LA RÉPONSE _____________________________________________________ 30
Des victimes laissées-pour-compte _____________________________________________________ 31
Entre ignorance et négation _____________________________________________________________ 32
Le manque de protection juridique _____________________________________________________ 34
Vers une révolution des esprits ? ________________________________________________________ 35
Conclusion _____________________________________________________________________________ 37
Bibliographie __________________________________________________________________________ 39
Annexe : DVD de références bibliographiques
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Effondrement des systèmes de valeurs traditionnels au profit de valeurs guerrières
exacerbées, autorité étatique absente, chancelante ou abusive, multiplication des acteurs
armés, contrôlés ou non, méconnaissance ou non-respect du droit international humanitaire,
sentiment d’impunité : les conflits modernes constituent un terrain propice aux violations des
droits de l’Homme. Des simples brutalités aux exécutions de masse, en passant par la torture
et l’esclavagisme, les abus sont nombreux. Parmi les plus choquants, mais les plus courants,
figurent les violences à caractère sexuel.
Dans les années 1990, cette question a fait l’objet d’une large prise de conscience au
niveau mondial. En réaction, les organisations intergouvernementales, gouvernementales et
non-gouvernementales ont développé des stratégies et des programmes axés sur la lutte contre
les violences sexuelles dans les pays en crise. Chaque jour, au niveau international ou sur le
terrain, des milliers d’acteurs œuvrent pour les prévenir ou apporter le soutien le plus adapté
aux victimes.
Aujourd’hui, le sujet semble cependant mériter une réflexion plus approfondie. Traitées
comme un phénomène sexospécifique, ces violences ont en effet été assimilées aux violences
faites aux seules femmes. Qu’il s’agisse des politiques de plaidoyer ou des procédures
opérationnelles de terrain, les stratégies de réponse ont été élaborées et mises en œuvre en
fonction de ce paradigme.
Parce qu’elle ne correspondait pas au schéma d’ensemble, une catégorie de victimes a
été exclue de facto de la réflexion : celle des hommes et adolescents de sexe masculin.
Les chercheurs et thérapeutes ne disposent que de peu de témoignages et de données sur le
sujet. Parallèlement, les sociétés, soumises au tabou des violences sexuelles contre les
hommes, peinent à réagir face à une réalité difficilement acceptable. Les chiffres disponibles
sont pourtant éloquents et troublants.
Se pencher sur cette question ne constitue en aucun cas une tentative de relativiser
l’ampleur ou la gravité des violences faites aux femmes et aux adolescentes, les traumatismes
individuels qui en résultent et leurs conséquences sociétales. Il s’agit simplement de porter un
éclairage sur un autre type de victimes, dont la souffrance et la détresse sont négligées, voire
dans les pires cas sciemment ignorées.
Pour cela, il est nécessaire d’étudier dans un premier temps le phénomène, dans un
deuxième temps son impact, avant de se pencher dans un troisième temps sur la réponse qui y
est apportée.
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« People who are subjected to sexual violence in conflict are some of the most
vulnerable in the world. […] Within the group of those affected, there are people
who are even more vulnerable, because they are even more hidden.
We know very little about their experiences or how to protect and help them. »
Valerie Amos
Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et
coordinatrice des secours d’urgence des Nations unies,
le 12 juin 2014.
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Dans l’imaginaire collectif, les violences sexuelles commises en temps de guerre
évoquent le plus souvent la vision d’une femme sans défense abusée par un homme en armes
qui veut assouvir ses pulsions. Le calvaire de la femme est toujours le même, seule la tenue
du soldat diffère en fonction des époques et des cultures. Du légionnaire romain au milicien
en treillis camouflé, le schéma est identique. De fait, dans la grande majorité des cas, les
agresseurs sont effectivement des combattants masculins et les victimes des femmes. Mais si
elle est cohérente, cette conception est également réductrice.
Quand elles sont étudiées plus en profondeur, les violences sexuelles en situations de
conflit se révèlent complexes et protéiformes. Elles obéissent à des dynamiques particulières
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- 8 -
et sont liées à de multiples facteurs qui ne correspondent pas aux grilles de lecture
des violences sexuelles perpétrées en temps de paix.
Parmi ces violences, les plus méconnues sont celles dirigées contre les hommes.
Celles-ci suscitent souvent l’étonnement, l’incompréhension, voire le scepticisme. Dans la
plupart des sociétés, les abus sexuels contre les hommes constituent déjà un sujet tabou1
:
la masculinité étant assimilée à la force physique, l’homme est considéré comme étant
à même de se défendre. « Techniquement », il ne peut donc pas être la victime d’une
agression sexuelle, et encore moins d’un viol. Dans le contexte brutal des conflits armés,
la réalité est encore moins dicible. En conséquence, ces exactions sont souvent rangées dans
d’autres catégories, moins dérangeantes : mauvais traitements, actes de torture, rituels
militaires, etc. Malgré ces classifications, elles n’en demeurent pas moins des violences
sexuelles à part entière.
Étudier ces violences revient en fait à se confronter à un ensemble de stéréotypes
portant sur des points cruciaux pour leur bonne compréhension : leur envergure, leur nature,
leurs acteurs et leurs dynamiques.
En temps de guerre, les violences sexuelles contre les hommes constituent
un phénomène ancien, qui transcende les frontières et les cultures. Déjà, des fresques murales
de la Perse antique montraient des combattants victorieux portant les pénis de leurs ennemis
empilés sur des plateaux. Pendant des siècles, des hommes et des garçons, capturés pendant
ou à la suite de combats, sont devenus esclaves sexuels de guerriers, de l’Occident jusqu’en
Mésoamérique2
.
Aujourd’hui, ces violences sont toujours répandues. Elles sont caractérisées par leur
généralité et leur ampleur.
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Généralité des violences.
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1. « Male rape is a taboo subject; it happens but it is concealed by the victims who are too ashamed to speak out
2.!DELZOTTO (Augusta) et JONES (Adam), Male-on-Male Sexual Violence in Wartime: Human Rights’ Last
Taboo?, 2002 (voir p. 2). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°03).
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Depuis les années 1990, des rapports provenant de nombreux pays en conflit ont
mentionné des abus sexuels commis contre des hommes. En 2007, Sandesh Sivakumaran,
professeur de droit international public et spécialiste des droits de l’Homme, observait que
depuis 1998, des cas avaient été signalés dans vingt-cinq pays en crise grave, situés sur quatre
continents différents3
. Selon ses travaux, dans la quasi-majorité des hostilités lors desquelles
des violences sexuelles ont été rapportées, celles-ci visaient hommes comme femmes4
.
Depuis, la plupart des conflits majeurs récents, dont la Libye, la Syrie, la République
démocratique du Congo (RDC) et la République centrafricaine (RCA), ont également été les
théâtres de ce type d’exactions5
. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène sporadique ou lié à une
sphère géographique ou culturelle particulière.
Exemples de pays et régions en crise où
des cas de violences sexuelles contre des
hommes ont été rapportés depuis 1945 :
Exemples de pays et régions en conflit ou
crise, où la loi n’apporte aucune
protection aux hommes victimes de
violences sexuelles :
Afghanistan, Afrique du Sud, Algérie,
Argentine, Bengladesh, Bosnie, Burundi,
Chili, Colombie, Croatie, France (guerre
d’Algérie), Guatemala, Grèce, Irak, Iran,
Irlande du Nord, Kenya, Koweït, Libéria,
Libye, Ouganda, RCA, RDC, Rwanda,
Salvador, Sierra Leone, Sri Lanka, Soudan,
Syrie, Tchétchénie, Turquie, Zimbabwe.
Afghanistan, Birmanie, Colombie, RCA,
RDC, Égypte, Cachemire, Irak, Malaisie,
Nigéria, Pakistan, Soudan, Soudan du Sud,
Somalie, Syrie, Yémen.
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3. Europe, Afrique, Asie et Amérique.
4. SIVAKUMARAN (Sandesh), « Sexual Violence Against Men in Armed Conflicts », European Journal of
International Law, vol. 18, n°2, 2007, p. 253-276 (voir p. 257-258). Référence disponible sur le DVD fourni en
annexe (référence n°15).
5. DOLAN (Chris), Into the Mainstream: Addressing Sexual Violence Against Men and Boys in Conflict, 2014
(voir p. 1). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°04).!
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Ampleur des violences.
À l’échelle mondiale, les chiffres relatifs aux violences sexuelles sur les hommes sont
éloquents. En 1999, un universitaire américain s’est livré à une analyse de cent vingt études
de référence consacrées aux violences sexuelles6
. Selon ses conclusions, à travers le monde,
3 % des hommes auraient été violés durant leur vie, de leur naissance jusqu’à l’âge adulte
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6. SPITZBERG (Brian H.), « An Analysis of Empirical Estimates of Sexual Aggression, Victimization and
Perpetration », Violence & Victims, n°14, 1999, p. 241-245. Cité dans : STEMPLE (Lara), « Male Rape and
Human Rights », Hastings Law Journal, n°60, 2008, p. 605-647 (voir p. 607). Référence disponible sur le DVD
fourni en annexe (référence n°16).
Cet
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Pays ayant connu des conflits armés ou des crises sécuritaires graves
sur leur propre territoire (1945-2014).
Pays ayant connu des conflits armés ou des crises sécuritaires graves
sur leur propre territoire, durant lesquels des violences sexuelles
contre des hommes ont été rapportées (1945-2014).
Géographie des conflits et violences sexuelles contre les hommes depuis 1945
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- 11 -
(13 % pour les femmes)7
. Si ce pourcentage était ramené à la population mondiale actuelle,
cela représenterait plus de 216 millions d’individus8
.
Par rapport au sujet, ce chiffre est à relativiser. Ces agressions peuvent en effet avoir été
commises en temps de paix et/ou avoir visé des nourrissons ou des garçonnets. Cependant,
on peut raisonnablement penser qu’une part non négligeable concerne des hommes agressés
en temps de guerre. Les victimes pourraient alors se chiffrer en millions. En termes de
proportions, les résultats de trois études, menées dans des contextes différents, sont
révélateurs :
- selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), dans le canton de
Sarajevo, 5 000 des 6 000 personnes ayant été détenues en camp d’internement pendant
la guerre en Bosnie étaient des hommes. 80 % d’entre eux ont déclaré avoir été violés,
soit 4 000 individus9
. Cela représenterait entre 9 et 17 % de l’ensemble des viols
commis durant le conflit10
;
- en 1997 et 1998, la Medical Foundation for the care of victims of torture, basée
à Londres, a consacré une étude au viol utilisé comme méthode de torture11
. Dans ce
cadre, ses médecins ont enquêté sur les violences sexuelles subies (ou non) dans leur
pays d’origine par des hommes demandeurs d’asile auprès du Royaume-Uni. Le panel
était composé de 607 individus venant de 45 pays différents, dont de nombreux pays en
conflit. Selon les résultats, 25,2 % des hommes interrogés avaient subi des violences
sexuelles et 5,3 % d’entre eux avaient été violés. Les plus hauts taux concernaient
les ressortissants du Kenya, d’Algérie, du Soudan, d’Irak et d’autres pays du
Moyen-Orient ;
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7. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2002, des études menées principalement dans les pays
développés montraient qu’entre 5 et 10 % des hommes avaient été abusés sexuellement pendant leur enfance.
Voir : WORLD HEALTH ORGANIZATION (WHO), World Report on Violence and Health, 2002 (p. 154). Référence
disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°27)).
8. Calcul effectué par les rédacteurs sur la base de l’estimation du U.S. Census Bureau (janvier 2015).
9. MUDROVČIĆ (Željka), « Sexual and Gender-Based Violence in Post-Conflict Regions: The Bosnia and
Herzegovina Case », dans UNFPA, The Impact of Conflict on Women and Girls: A UNFPA Strategy for Gender
Mainstreaming in Areas of Conflict and Reconstruction, 2002, p. 60-76 (voir p. 64). Référence disponible sur le
DVD fourni en annexe (référence n°11).
10. Calcul effectué par les rédacteurs sur la base des chiffres du site Internet d’ONU Femmes, 19 novembre
2012, <http://www.unwomen.org/fr/news/stories/2012/11/protecting-witnesses-of-wartime-rape-in-bosnia-and-
herzegovina> (page consultée le 20 octobre 2014).
11. PEEL (Michael), Rape as a Method of Torture, 2004 (voir p. 63). Référence disponible sur le DVD fourni en
annexe (référence n°13).
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- en 2010, lors de la seule enquête médicale d’envergure menée dans l’Est de la RDC,
les médecins ont obtenu les résultats suivants :
Femmes Hommes
Personnes ayant subi des violences sexuelles durant leur vie 39,7 % 23,6 %
Parmi les personnes ayant subi des violences sexuelles,
celles dont les violences étaient liées au conflit
74,3 % 64,5 %
Parmi les personnes ayant subi des violences sexuelles
durant leur vie, celles ayant été violées
51,1 % 20,8 %
La même étude, publiée dans le Journal of the American Medical Association, évaluait
à 1 310 000 le nombre de femmes et 760 000 le nombre d’hommes ayant subi des abus
sexuels à l’échelle du pays12
.
Le concept même de violences sexuelles peut faire l’objet de conceptions fausses
ou réductrices. Sur le plan légal, une des définitions de référence est celle donnée par le
Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en 1998 : « tout acte sexuel commis sur
la personne d’autrui sous l’emprise de la coercition. L’acte de violence sexuelle, loin de se
limiter à la pénétration physique du corps humain, peut comporter des actes qui ne consistent
pas dans la pénétration ni même dans des contacts physiques13
».
Cette définition est parfaitement adaptée aux violences sexuelles contre les hommes.
En effet, celles-ci sont souvent comprises à tort comme le seul viol anal commis directement
par l’agresseur. En situations de conflit, de multiples formes d’abus ont été rapportées.
De manière non exhaustive, on peut relever :
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12. JOHNSON (Kirsten), SCOTT (Jennifer), RUGHITA (Bigy), KISIELEWSKI (Michael), ASHER (Jana), ONG
(Ricardo) et LAWRY (Lynn), « Association of Sexual Violence and Human Rights Violations With Physical and
Mental Health in Territories of the Eastern Democratic Republic of the Congo », The Journal of the American
Medical Association, vol. 304, n°5, 2008, p. 553-562 (voir p. 558). Référence disponible sur le DVD fourni en
annexe (référence n°06).
13. TPIR (chambre de première instance), Le Procureur contre Jean-Paul Akaseyu, affaire n°ICTR-96-4-T,
para. 688, 2 septembre 1998. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°21).
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- 13 -
$ les viols : individuels ou de masse, commis par un violeur ou en groupe, de façon
opportuniste ou répétée. Ces viols incluent les pénétrations anales via le pénis des
agresseurs, mais également les pénétrations par objet (bâton, matraque, arme blanche
ou arme à feu, etc.) et les fellations forcées sur les agresseurs ;
$ les relations et actes sexuels forcés. Ceux-ci sont souvent organisés par les agresseurs à
titre de divertissement et peuvent prendre des formes diverses : automasturbation en
public, accouplements ou actes sexuels contraints entre victimes (codétenus, amis, etc.).
Dans les cas extrêmes, des relations sexuelles contraintes entre membres d’une même
famille (de même sexe ou non : père et fils, père et fille, mère et fils, entre frères, entre
frère et sœur, etc.), voire avec des cadavres ou des animaux ;
$ les tortures et actes de violence ayant une dimension sexuelle, dont les atteintes aux
parties génitales (coups, torture à l’électricité, etc.) ;
$ les stérilisations forcées, incluant les mutilations des parties génitales et l’émasculation
physique partielle ou complète ;
$ l’exploitation sexuelle visant à mettre un ou plusieurs homme(s) à disposition d’un
agresseur ou d’un groupe pour le satisfaire ;
$ les humiliations à caractère sexuel (nudité forcée, insultes, moqueries) visant à
dévaloriser la victime et à l’atteindre moralement dans son identité d’homme14
.
En termes quantitatifs, la grande majorité des violences sexuelles commises en temps
de guerre le sont par des hommes en armes sur des femmes. Il n’est pas question de le nier.
Cependant, cette réalité ne doit pas être érigée en norme.
Les faits prouvent au contraire qu’il n’existe pas de profils définis concernant ces
exactions et que leurs acteurs, agresseurs et victimes, peuvent être des hommes ou des
femmes, combattants comme civils.
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14. En conséquence, ce type d’épreuves est utilisé lors de formations à destination des forces spéciales militaires.
Pour préparer au mieux les opérateurs aux risques de leurs missions futures, ceux-ci peuvent être soumis à ce
genre de pressions lors de stages spécialisés simulant leur capture et leur interrogatoire (stages SERE pour
Survival, Evasion, Resistance and Escape). Même sans violences physiques poussées, ces humiliations peuvent
être profondément déstabilisantes (témoignage rapporté directement à l’un des rédacteurs de ce rapport).
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- 14 -
Des hommes victimes…
Comme les femmes, les hommes peuvent subir des violences sexuelles,
indépendamment de leur taille, leur apparence ou leur orientation sexuelle. En situation
de conflit, les caractéristiques physiques des acteurs ne rentrent pas en ligne de compte,
l’agression étant souvent perpétrée par des groupes d’individus armés. Même un homme doté
d’une grande force physique peut donc être mis en position de faiblesse et abusé.
L’âge n’est pas non plus un facteur discriminant. En 2006, une jeune Ivoirienne
rapportait à l’ONG Human Rights Watch (HRW) l’humiliation vécue par son grand-père :
« Les rebelles… ont pris mon grand-père et ils l’ont frappé et ils l’ont mis complètement nu.
C’était très honteux. Il pleurait15
». Dans ce cas précis, l’outrage subi est amplifié par
la négation par les agresseurs du principe de respect dont bénéficient traditionnellement
les aînés dans les sociétés africaines.
Enfin, le statut social ne protège pas des exactions, mais peut au contraire être un
élément déclencheur ou aggravant : le fait d’humilier en public une autorité ou un notable
respecté peut le décrédibiliser aux yeux de sa communauté. Ainsi, en Bosnie, un instituteur
musulman a été violé par ses anciens élèves serbes devant tout le village réuni16
. En Afrique
de l’Ouest ou en Afrique centrale, un chef de village abusé sexuellement a toutes les chances
de perdre sa légitimité.
Les combattants ne sont pas préservés, mais au contraire particulièrement exposés,
quel que soit leur sexe. Prenant une part active au conflit, ils cristallisent la haine de l’ennemi
plus que la population civile. En cas de capture, ils peuvent donc faire l’objet d’exactions
extrêmes incluant les violences sexuelles. Selon les résultats d’une étude menée en 2008
au Libéria, les belligérants, hommes comme femmes, y ont été beaucoup plus soumis pendant
le conflit que les civils : 42,3 % des femmes combattantes (contre 9,2 % des femmes
non-combattantes) et 32,6 % des hommes combattants (contre 7,4 % des hommes
non-combattants)17
.
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15. HUMAN RIGHTS WATCH (HRW), Mon cœur est coupé : violences sexuelles commises par les forces rebelles
et pro-gouvernementales en Côte d’Ivoire, vol. 19, 11-A, août 2007 (voir p. 42). Référence disponible sur le
DVD fourni en annexe (référence n°18).
16. Cas rapporté lors de travaux menés par l’Unesco les 23 et 24 juin 1994 et cité dans : « Le viol comme arme
de guerre (rapport de l'Unesco) », Confluences Méditerranée, n°64, 2007-2008, p. 99-104 (voir p. 103).
Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°22).
17.!JOHNSON (Kirsten), ASHER (Jana), ROSBOROUGH (Stephanie), RAJA (Amisha), PANJABI (Rajesh), BEADLING
(Charles) et LAWRY (Lynn), « Association of Combatant Status and Sexual Violence with Health and Mental
Health Outcomes in Postconflict Liberia », The Journal of the American Medical Association, vol. 300, n°6,
2008, p. 676-690 (voir p. 676). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°07).
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- 15 -
… et des femmes bourreaux.
Loin de se résumer à l’image du soudard en armes, le profil des agresseurs est lui aussi
éclectique, ce qui bouscule une autre croyance : à l’instar des hommes, les femmes peuvent
appeler, se livrer ou participer à des violences sexuelles. Comme l’a montré le cas de Pauline
Nyiramasuhuko au Rwanda, cette implication peut se produire jusqu’à de hauts niveaux de
responsabilités18
.
Les exactions commises par des femmes peuvent être dirigées contre d’autres femmes
ou contre des hommes : dans l’Est de la RDC en 2010, 41,1 % des femmes et 10 % des
hommes ayant subi des violences sexuelles déclaraient que des femmes faisaient partie
de leurs agresseurs19
. En 2011, Justine Masika, présidente du collectif congolais Synergie des
femmes pour les victimes des violences sexuelles (SFVS), affirmait que des femmes
pouvaient parfois violer des hommes par esprit de vengeance, les combattantes membres
de groupes armés ayant souvent été elles-mêmes abusées. Elle citait le cas d’un homme violé
par un groupe de femmes-soldats qui l’avaient drogué avant de l’agresser20
. Encore en RDC,
des survivants ont rapporté à l’ONG Médecins sans frontières (MSF) qu’ils avaient été
obligés d’avoir des rapports sexuels avec des femmes combattantes ou des surveillantes.
La plupart de ces abus étaient commis publiquement à des fins d’humiliation21
.
Ce phénomène n’est pas propre aux seuls conflits africains. Un soldat croate fait
prisonnier par les Serbes en Croatie a rapporté l’émasculation infligée par une femme,
membre des Tchetniks22
, à un autre captif avant que celui-ci soit exécuté sommairement :
D’abord, ils ont saisi X et l’ont fait tomber sur la route. Il était le plus faible…
Quatre hommes l’ont poussé à terre et ont maintenu sa tête, ses bras et ses jambes.
Y s’est approchée de lui, elle avait un scalpel dans la main. Les hommes qui l’avaient
poussé au sol ont enlevé son pantalon. Elle l’a castré. Nous devions regarder23
.
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18. D’ethnie hutu, Pauline Nyiramasuhuko a exercé la fonction de ministre de la famille et de la promotion
féminine de 1992 à 1994 au Rwanda. Pendant le génocide, elle a provoqué et organisé des violences sexuelles de
masse et des massacres contre les femmes tutsi. En 2011, elle a été condamnée par le TPIR à la prison à vie pour
entente en vue de commettre un génocide, génocide, extermination, viols, persécution, violence à la vie, autres
actes inhumains et outrage à la dignité de la personne humaine.
19. JOHNSON (Kirsten), SCOTT (Jennifer), RUGHITA (Bigy), KISIELEWSKI (Michael), ASHER (Jana), ONG
(Ricardo) et LAWRY (Lynn), op. cit. p. 12 (voir p. 558).
20. MURDOCH (Heather), « Rape in Congo Devastates Male Victims », Voice of America News, 17 novembre
2011. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°40).
21. MÉDECINS SANS FRONTIÈRES (MSF), Vies brisées, 2009 (voir p. 11). Référence disponible sur le DVD fourni
en annexe (référence n°19).
22. Groupes paramilitaires serbes.
23. OOSTERHOFF (Pauline), ZWANIKKEN (Prisca) et KETTING (Evert), « Sexual Torture of Men in Croatia and
Other Conflict Situations: An Open Secret », Reproductive Health Matters, 2004, p. 68-77 (voir p. 74, notre
traduction). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°12).
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- 16 -
Les violences sexuelles de guerre obéissent à des dynamiques particulières, différentes
de celles des violences sexuelles communes. Par nature, elles sont intimement liées à leur
contexte et de nombreux facteurs entrent en ligne de compte : la nature du conflit (politique,
ethnique, religieuse, économique), les facteurs aggravants (déséquilibre ou rivalité entre
communautés, violences antérieures), les événements déclencheurs (appels à la haine,
massacres), la dimension socioculturelle (croyances communautaires)…
Si certains agresseurs peuvent profiter des circonstances pour assouvir leurs instincts,
il est clair que les conflits, par leur caractère extrême, donnent à ces abus une dimension
qu’ils n’auraient pas eue en situation normale. Ce constat est particulièrement vrai pour
les agressions visant les hommes.
Les violences sexuelles utilisées comme méthode de guerre.
L’instrumentalisation des violences sexuelles a été mise en évidence lors des guerres
de Croatie (1991-1995) et de Bosnie (1992-1995). En 2012, la géographe Bénédicte Tratnjek
les a définies à la fois comme arme de guerre (moyen utilisé contre l’« ennemi ») et comme
tactique de guerre (modalité de combat œuvrant à des objectifs politiques et militaires)24
.
Dans sa terminologie, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) privilégie quant à lui
l’expression méthode de guerre.
Les violences sexuelles visent alors à atteindre l’ « ennemi » dans son identité
collective. Ce ne sont plus des individus qui sont ciblés, mais une communauté (politique,
religieuse, ethnique), le sexe de la victime devenant un facteur secondaire. En 1994,
Alexandra Stiglmayer décrivait le phénomène du viol de masse en Bosnie : « les femmes sont
violées non parce qu’elles sont femmes, mais parce qu’elles sont musulmanes, croates
ou serbes. Et c’est parce qu’elles sont femmes que les hommes utilisent contre elles leur arme
la plus efficace : le viol25
».
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24. TRATNJEK (Bénédicte), « Le viol comme arme de guerre et la “géographie de la peur”. Violences extrêmes
et inscription de la haine dans les territoires du quotidien », Revue Défense Nationale, rubrique Tribunes, n°249,
7 septembre 2012 (voir p. 2). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°17).
25. STIGLMAYER (Alexandra), « The rapes in Bosnia-Herzegovina », dans STIGLMAYER (Alexandra) (dir.), Mass
Rape: The War Against Women in Bosnia-Herzegovina, Lincoln, University of Nebraska Press, 1994, p. 82-169.
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- 17 -
Mises en œuvre dans cette logique, les violences sexuelles peuvent viser les hommes
comme les femmes. Concernant les victimes masculines, les violences s’inscrivent souvent
dans le cadre de la torture, dont elles constituent une des formes les plus extrêmes. En 2013,
la psychologue Évelyne Josse a mis en lumière les liens étroits entre torture et violences
sexuelles et les effets similaires de ces pratiques, qui « attaquent l’intégrité physique,
psychologique et sociale des victimes ainsi que leur dignité et ont des effets durables de
destruction identitaire26
».
Les violences sexuelles contre les détenus.
Souvent, les abus sexuels contre les hommes sont commis dans le cadre carcéral.
Bien que les conditions de détention diffèrent largement selon les pays, ce milieu est par
nature propice aux agressions. La frustration due à l’enfermement, l’absence de femmes,
l’instinct de domination et le besoin d’une hiérarchie de groupe lisible poussent certains
hommes à en soumettre d’autres, y compris sur le plan sexuel. Dans les contextes politiques
stables, la majorité de ces violences sont commises par des détenus sur d’autres détenus27
.
En situations de conflit ou de répression brutale, ce schéma est bouleversé, les violences
sexuelles différant fondamentalement par leur nature, leur finalité et leurs proportions. Dans
ce contexte, ce sont les gardiens qui en deviennent les auteurs28
. Plusieurs facteurs peuvent
contribuer à expliquer ce phénomène :
$ l’effondrement des normes et valeurs sociales traditionnelles ;
$ l’absence de cadre légal clair (arrestations arbitraires, détentions sans chef d’accusation
ni durée d’internement définis, absence de défenseur, etc.) ;
- le sentiment de toute-puissance et d’impunité que peuvent ressentir les gardiens ;
- la recherche d’atteinte d’objectifs spécifiques, comme l’obtention de renseignement ;
- dans certains cas, la volonté politique ou idéologique des autorités d’encourager les
violences extrêmes (y compris sexuelles) à l’encontre des opposants ou de l’ennemi.
Lors d’une enquête menée au Salvador auprès de 434 hommes détenus comme
prisonniers politiques dans les années 1980, 76 % d’entre eux ont décrit au moins une
expérience de torture sexuelle29
.
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26. JOSSE (Évelyne), « Tortures et violences sexuelles dans les conflits armés, des liens étroits », Grotius
International, 2 février 2013 (voir p. 7). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°37).
27. STEMPLE (Lara), op. cit. p. 10 (voir p. 611).
28. Ibid.
29. OOSTERHOFF (Pauline), ZWANIKKEN (Prisca) et KETTING (Evert), op. cit. p. 16 (voir p. 69).
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L’exemple le plus marquant de ces dernières années, par l’ampleur des violences
commises et leur médiatisation, a été celui de la prison irakienne d’Abu Ghraib en 2004 :
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30. FRANÇOIS (Didier), « Des soldats spécialisés dans la sodomie », Libération, 10 mai 2004. Référence
disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°33).
31. ZERNIKE (Kate), « Detainees Depict Abuses by Guard in Prison in Irak », New York Times, 12 janvier 2005.
Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°42).
Le scandale d’Abu Ghraib.
La prison centrale de Bagdad, aussi connue sous le nom de prison d’Abu Ghraib,
a été dans les années 1980 et 1990 le principal centre de détention, torture et exécution
des opposants politiques au régime de Saddam Hussein. Fermée en 2002, elle a été
rouverte par les forces armées américaines en 2003 après leur invasion de l’Irak sous le
nom de Baghdad Central Detention Center.
Fin 2003 et début 2004, suite à des rapports de l’ONG Amnesty International
(alertée par des militaires), l’attention des médias s’est focalisée sur les conditions de
détention des prisonniers d’Abu Ghraib. Des articles de presse écrite et émissions de
télévision ont dénoncé des tortures et violences sexuelles commises à l’encontre des
détenus (principalement de sexe masculin) par les gardiens américains. Ces accusations
étaient étayées par de nombreux témoignages et photographies. Un colonel irakien,
détenu à Abu Ghraib pendant trois mois, a rapporté :
Avant que ne débutent ces nouveaux interrogatoires, les gardiens
t’emmenaient dans les bâtiments en dur, à côté de la section des femmes. C’est là
qu’ont été prises les photos publiées dans la presse. Tu devais y rester vingt jours,
entièrement nu, sans couverture. Les gardes y avaient tous les droits, humiliations,
sévices, viols. Quand ils sortaient de là, les gars les plus forts, les plus courageux,
étaient brisés, soumis
30
.
Selon d’autres témoignages cités par le New York Times, des détenus étaient forcés
à se masturber devant leurs gardiens, sodomisés avec des bâtons ou traînés au sol avec
des cordes accrochées à leur pénis31
.
Les violences sexuelles de confort.
Cependant, vouloir inscrire systématiquement les violences sexuelles de guerre ou de
crise dans une stratégie de destruction physique et/ou symbolique de l’ennemi peut être
abusif. Dans certains cas, elles peuvent « simplement » viser à assouvir des pulsions
individuelles ou collectives, sans forcément obéir à une logique politique.
Moins qu’une arme de guerre ou qu’une stratégie pensée, ces violences sexuelles
de « confort » permettent aux agresseurs de satisfaire des besoins considérés comme
« naturels ».
Le phénomène est particulièrement évident dans les cas impliquant des membres de
forces militaires d’interposition, de rétablissement ou de maintien de la paix. Par la nature de
leur mission, ceux-ci n’inscrivent pas leurs actions dans une logique d’avilissement ou
d’anéantissement de l’autre. Pourtant, des accusations de manquements à caractère sexuel
sont portées régulièrement à l’encontre de troupes de l’ONU ou d’autres forces sous mandat
international. Ces mises en cause portent le plus souvent sur le sexe transactionnel (comme
le recours aux prostitué(e)s) mais peuvent également concerner des agressions sexuelles, dont
des viols, ciblant des hommes comme des femmes.
Ces dernières années, le cas le plus significatif (car prouvé et jugé) est sans doute
l’affaire Johnny Jean en Haïti.
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32. L’intéressée, Lynndie England, figurait sur de nombreuses photos de sévices. Elle a été condamnée le
27 septembre 2005 à trois ans d’emprisonnement pour conspiration, maltraitance et actes indécents. En 2012,
elle a déclaré dans une interview n’éprouver a posteriori aucune compassion pour ses victimes et se plaignait de
ne pas retrouver de travail à cause de son casier judiciaire.
En 2005 et 2006, sur la base d’éléments accablants, onze militaires américains ont
été condamnés en cour martiale à des peines allant jusqu’à dix ans de réclusion. Parmi
les onze soldats condamnés figuraient deux femmes, l’une d’elles ayant pris une part
active aux violences sexuelles infligées aux détenus masculins32
. La générale de brigade
alors responsable de trois centres d’internement en Irak, dont celui d’Abu Ghraib, a été
dégradée. Des similitudes ont été relevées entre les abus d’Abu Ghraib et l’expérience
de Stanford, expérience de psychologie expérimentale controversée menée en 1971 par
Philip Zimbardo.
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En juillet 2011, ce jeune homme de dix-huit ans avait été enlevé à Port-Salut, dans le
Sud du pays, par des Marines uruguayens servant comme casques bleus de la mission des
Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Après avoir été emmené dans leur
base navale, il avait été maltraité et violé par quatre militaires33
. En janvier de la même année,
deux policiers anti-émeute pakistanais de la MINUSTAH avaient déjà violé un garçon de
quatorze ans34
.
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33. La scène ayant été filmée par un des agresseurs avec un téléphone mobile, la vidéo du viol a circulé sur
Internet. Les quatre Marines ont été jugés en Uruguay en 2013 et condamnés pour « violences privées », le viol
et les violences sexuelles n’ayant pas été retenus comme chefs d’accusation.
34. U.S. DEPARTMENT OF STATE, 2012 Human Rights Reports: Haiti, 19 avril 2013 (voir p. 4). Référence
disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°26).
35. L’homosexualité est condamnée à la fois par le Coran et le code pénal afghan.
36. Rapport de la Human Terrain Team (HTT) AF-6 (ISAF), Pashtun Sexuality, 2009 (voir p. 2). Référence
disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°05).
37. Anecdotes rapportées directement par les témoins à l’un des rédacteurs sur le terrain en Afghanistan.
L’exploitation sexuelle de « confort » : le cas de l’armée afghane.
Au sein de la société afghane, et principalement chez les Pashtouns, les pratiques
homosexuelles masculines, bien que passées sous silence35
, sont communes. Celles-ci
ont plusieurs origines, parmi lesquelles l’impossibilité pour les jeunes hommes
de côtoyer des femmes extérieures à leur famille avant de se marier, le coût très élevé
des mariages selon les codes tribaux et la situation économique souvent précaire des
jeunes Afghans36
. Cette réalité se retrouve au sein de l’armée nationale afghane
(ANA). Les kandak (bataillons) comptent en général dans leurs rangs de jeunes recrues
imberbes dont le rôle social consiste à satisfaire les besoins sexuels des hommes
de l’unité. Des militaires français ayant travaillé quotidiennement avec les forces
de sécurité locales ont été témoins de ces pratiques37
.
Un sous-officier instructeur a ainsi constaté que, régulièrement, des soirées étaient
organisées à huis clos entre militaires afghans, le jeune en question ayant été
au préalable maquillé et habillé en femme. Un officier a quant à lui assisté à une
punition collective brutale de soldats de l’ANA. Celle-ci avait pour origine des
violences abusives de certains soldats à l’encontre du jeune de l’unité concernée.
Celui-ci refusant de continuer à se plier au rituel, l’homologue afghan de l’officier
français avait décidé de sanctionner l’ensemble de son personnel pour rétablir la
discipline et préserver l’équilibre du groupe.
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Enfin, en fonction du contexte socioculturel, les violences sexuelles peuvent avoir une
dynamique plus inattendue. Certaines sont liées à des croyances communautaires, voire à des
superstitions. De 2009 à 2011, Guillaume S. a travaillé dans l’Est de la RDC comme attaché
de coopération pour l’ambassade de France. Il évoque le cas spécifique des viols commis sur
les Pygmées au Nord-Kivu, Sud-Kivu et en Province orientale :
Ces cas étaient courants et les viols visaient les hommes comme les femmes.
Ils pouvaient être commis par des membres de groupes armés rebelles, comme ceux
venus du Rwanda (d’ethnie tutsi), par des miliciens comme les Maï Maï, ou par des
soldats mal encadrés de l’armée congolaise (FARDC). Le phénomène était lié aux
superstitions locales. Selon une croyance répandue parmi les Bantou, le fait de violer un
Pygmée permettrait de s’approprier ses pouvoirs magiques qui donnent une force
surnaturelle, proche de l’invincibilité38
.
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38. Entretien des rédacteurs, Paris, 23 octobre 2014.
Ces pratiques faisant l’objet d’un non-dit absolu des militaires afghans vis-à-vis
de leurs alliés occidentaux, les explications étaient le plus souvent apportées après coup
par les interprètes.
«“I’m laughed at”, Mr. Mukuli said.
“The people in my village say: You are no longer a man.
Those men in the bush made you their wife.”»
Jeffrey Gettleman
« Symbol of Unhealed Congo: Male Rape Victims »39
.
*****!
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Par leur impact, les violences sexuelles diffèrent des autres types de violences
communes en situations de conflit, comme les brutalités ou les actes de torture. Au-delà du
traumatisme physique et psychologique subi par les victimes, ces exactions ont des
conséquences sociétales graves à court, moyen et long termes.
Certains effets sur les survivants sont comparables, qu’il s’agisse de femmes
ou d’hommes. D’autres sont différents, la principale distinction portant sur la perception
de l’identité sexuée de la victime. Suite à des abus sexuels, et en premier lieu un viol,
une femme peut voir sa position et son rôle sociaux bouleversés. Épouse, elle peut être reniée
par son mari. Mère, elle peut être rejetée par ses propres enfants.
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39. GETTLEMAN (Jeffrey), « Symbol of Unhealed Congo: Male Rape Victims », The New York Times, 4 août
2009. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°34).
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Dans le cas des adolescentes, leur avenir est mis en question40
. Mais même
déconsidérée ou mise au ban, la victime ne verra pas son identité de genre mise en cause.
Dans le cas des survivants masculins, la conséquence la plus marquante est la négation de leur
statut d’homme par la société, leur entourage et à leurs propres yeux.
En 2011, Salomé Atim travaillait en Ouganda auprès des réfugiés congolais et prenait
en charge une douzaine d’hommes violés chaque semaine. Elle expliquait alors :
« Je reconnais les victimes de viol à l’odeur de sang et à la façon dont ils s’assoient, sur
une fesse. Quand ils parlent aussi. Ils ne disent pas “J’ai été violé” mais plutôt “On m’a
séquestré, on m’a maltraité, j’ai mal dans le bas du dos”41
». De fait, comme les femmes,
les hommes survivants peuvent souffrir de séquelles physiques et psychologiques graves.
Conséquences physiques.
Parmi les conséquences physiques possibles figurent :
$ les dommages au rectum (souvent accompagnés de saignements abondants) et aux
organes génitaux, qui peuvent nécessiter des interventions chirurgicales lourdes.
Sans traitement adapté, les lésions graves entraînent souvent la mort ;
$ les dysfonctions sexuelles : perte de libido, douleurs durant les rapports, troubles
de l’érection allant jusqu’à l’impuissance complète ;
$ les troubles psychosomatiques comme des maux de tête, des douleurs musculaires
ou stomacales, ou des vomissements.
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40. Le phénomène de rejet et d’abandon est à relativiser en fonction du contexte culturel. La réaction de
l’entourage pourra être différente, selon qu’il s’agisse de villageois africains ou bosniaques. Il sera plus souvent
observable au sein de cultures où la femme porte l’honneur de la famille ou du clan.
41. DUMAS (Maryline), « Viols au Congo : “Le jour où ils ont fait de moi une femme” », Rue 89 - Le Nouvel
Observateur, 2 août 2011. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°32).
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Enfin, comme pour les femmes victimes, un risque majeur est la transmission
d’infections sexuellement transmissibles (IST) et en premier lieu le VIH/Sida. Dans les
années 2000, Chiara D. était travailleuse humanitaire dans un pays en conflit d’Amérique
latine. Dans le cadre de sa mission, elle visitait les centres de détention. Elle rapporte :
Lors d’une visite, un prisonnier m’a demandé si mon organisation pouvait fournir
des préservatifs. À l’époque, j’étais naïve. J’ai demandé si les conjointes ne pouvaient pas
en apporter lors des visites conjugales. Ce n’est qu’après que j’ai compris qu’il s’agissait
de se protéger lors des rapports sexuels entre détenus masculins42
.
Conséquences psychologiques.
Les hommes victimes de violences sexuelles peuvent développer un trouble de stress
post-traumatique (TSPT) composé de dysfonctionnements émotionnels, cognitifs,
comportementaux et liés à la personnalité. Parmi les symptômes, on relève : la perte de
l’estime de soi, l’état dépressif, les crises d’angoisse ou de désespoir, l’incapacité à gérer sa
colère, le ressentiment et l’envie de vengeance, les sentiments de honte, d’humiliation et de
culpabilité, les réminiscences (flashbacks), les cauchemars, les troubles du sommeil et de
l’appétit, les phobies43
, la consommation de drogue et/ou d’alcool, les tendances suicidaires.
Ces dérèglements affectent également l’entourage des victimes : un Croate torturé
sexuellement pendant le conflit a décidé de demander une aide spécialisée après qu’il se soit
retrouvé avec une poignée de cheveux de sa fille de cinq ans dans la main, sans pouvoir se
souvenir des raisons de sa colère44
.
Les séquelles psychologiques peuvent toucher les hommes ayant subi des abus,
mais également ceux ayant été contraints d’en commettre. HRW cite le cas d’un Ivoirien
recruté de force au sein de la rébellion. Le jour même de son enrôlement, il avait été obligé de
violer une femme. L’épouse de cet homme témoignait de son traumatisme :
Je crois que ce qu’il a vécu est quelque chose très, très – qui fait mal. Même moi qui
suis là, même moi j’ai vu que ce qu’il a vécu, c’est pas bon. Pendant la nuit s’il dort,
souvent il crie. Souvent je le réveille et je lui demande « on dit quoi ? ». Il explique les
choses qui se sont passées. Il a des problèmes maintenant. Même si je pense à ce qu’il a
vécu, ça me fait mal45
.
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42. Entretien des rédacteurs, Genève, 29 octobre 2014. Pour des raisons de confidentialité, le prénom
de l’intéressée a été modifié sur sa demande.
43. Phobie des contacts physiques, phobie des personnes en uniforme, claustrophobie, etc.
44. OOSTERHOFF (Pauline), ZWANIKKEN (Prisca) et KETTING (Evert), op. cit. p. 16 (voir p. 74).
45. HUMAN RIGHTS WATCH (HRW), op. cit. p. 14 (voir p. 38).
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Un rapport de domination profondément lié à la hiérarchisation des genres.
En temps de guerre, un homme torturé par l’ennemi pourra, s’il survit, trouver une
forme de reconnaissance et de respect de la société, comme ce fut le cas des résistants français
après la seconde guerre mondiale ou des fellagha algériens. Loin de légitimer leurs victimes,
les agressions sexuelles ont l’effet inverse. Pour la psychologue Évelyne Josse, elles
« corrompent l’identité sexuée des hommes et leur dérobent leur virilité. Elles produisent une
mutation radicale dans la manière dont ils se perçoivent et induisent une modification des
rapports sociaux au sein de la communauté46
».
Dans la plupart des cas, les abus visent à affirmer la force et la domination
de l’agresseur sur la victime. Celle-ci est totalement dépouillée de son identité d’homme
et placée en position de faiblesse absolue, comme le serait une femme selon les stéréotypes de
genres47
. Dans les cas de viol, l’agresseur va déviriliser totalement la victime en la
contraignant à la pénétration comme la subirait une femme48
. En cela, ces violences sont
profondément liées aux rapports de genres : elles en utilisent les codes et la hiérarchie
supposée pour imposer la dominance d’un individu sur un autre. En 2009, un survivant
congolais rapportait les propos de ses agresseurs : « Nous allons vous montrer que vous êtes
des femmes, que vous n’êtes pas des hommes comme nous49
».
Cette émasculation symbolique atteint profondément les survivants. Certains, à l’instar
de victimes féminines, développent un sentiment de culpabilité et se demandent s’ils n’ont pas
d’une certaine façon provoqué leur agression50
.
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46. JOSSE (Évelyne), op. cit. p. 17 (voir p. 2).
47. COUTURIER (Don), « The Rape of Men: Eschewing Myths of Sexual Violence in War », On Politics, vol. 6,
n°2, University of Victoria, automne 2012 (voir p. 8). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe
(référence n°02).
48. En RDC, les hommes victimes de viols de guerre sont surnommés les « épouses de brousse ».
49. Gender Against Men (Le genre contre les hommes), Refugee Law Project/Video Advocacy Unit, Ouganda,
2009, documentaire, 44 minutes (notre traduction de l’anglais). Référence disponible sur le DVD fourni en
annexe (référence n°29).
50. SIVAKUMARAN (Sandesh), « Male/Male Rape and the “Taint” of Homosexuality », Human Rights Quarterly,
vol. 27, n°4, 2005, p. 1274-1306 (voir p. 1290). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence
n°14).
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Le phénomène d’« homosexualisation » des victimes.
En période de conflit, l’orientation sexuelle des acteurs n’a que peu d’influence sur les
violences commises51
. Le plus souvent, elles le sont par des hétérosexuels sur des
hétérosexuels. Même dans les cas de viols d’hommes par d’autres hommes, bien que l’acte
soit « techniquement » homosexuel, ni l’agresseur ni la victime ne le perçoit comme tel.
Par l’acte de pénétration, l’agresseur a fait la preuve de sa virilité qui ne peut donc pas être
mise en doute52
. Sur le fait, la plupart des victimes masculines ne vivent pas non plus cette
relation comme homosexuelle, au sens où elles ne doutent pas de l’hétérosexualité de leur
agresseur, ni de la leur au moment où les violences se produisent. Cependant, principalement
dans les pays du Sud, une des conséquences majeures de ce type d’exactions est la remise
en cause de l’orientation sexuelle des hommes qui en ont été la cible.
Dans de nombreuses sociétés patriarcales, dès lors qu’un homme a été la victime d’une
agression sexuelle, il ne répond plus aux critères de puissance et de force attribués à son genre
par la communauté. Or, il n’est pas non plus une femme, puisqu’il n’a pas les caractéristiques
supposées du genre féminin (outre la faiblesse) et qu’il n’en a pas les attributs physiques.
Par conséquent, aux yeux d’une société qui a besoin de classer ses membres, la construction
de sa nouvelle identité passe par le rangement dans la catégorie des hommes non virils,
comme sont souvent qualifiés les homosexuels. En effet, si l’homosexualité masculine est un
tabou dans de nombreuses sociétés du Sud, elle est cependant une réalité sociale plus
compréhensible et acceptable que le viol d’un homme hétérosexuel : il est plus confortable
de penser que la victime ait été consentante et qu’elle soit donc logiquement un homosexuel
« passif ».
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51. A contrario, dans le milieu carcéral hors contexte de conflit, l’orientation sexuelle de la victime peut entrer
en ligne de compte et multiplier la probabilité qu’elle soit abusée sexuellement. Selon le rapport « Sexual
Victimization in Prisons and Jails Reported by Inmates, 2011-12 » du U.S. Department of Justice (mai 2013),
12,2 % des prisonniers homosexuels ont rapporté des abus sexuels par un autre prisonnier et 5,4 % par un
membre du personnel pénitentiaire contre respectivement 1,2 % et 2,1 % des prisonniers hétérosexuels, soit plus
de cinq fois plus (voir p. 18). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°25).
52. « The aggressive person (male role) isn't considered a homosexual, or bisexual. He's thought of as
heterosexual. Only the passive (female role) is considered homosexual or bisexual.» - E.S., Mississippi, 21
octobre 1996. Extrait du verbatim du rapport de HRW « No Escape: Male Rape in US Prisons » (2001). Même
si ce rapport ne traite pas des viols entre hommes en situations de conflit mais dans les prisons américaines,
certaines analyses sur l’impact des agressions sont transposables aux situations traitées dans ce dossier.!
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Certains survivants vont jusqu’à douter eux-mêmes de leur orientation sexuelle : ils se
demandent parfois si le viol ne les a pas rendus homosexuels, comme si leur identité profonde
avait été altérée par cet évènement non désiré53
. Certains chercheurs estiment que des viols
répétés peuvent changer l’identité sexuelle d’un homme qui « abrite alors une femme violée
dans un corps d’homme54
».
Par les abus qu’il a subis, l’homme victime se retrouve donc brutalement dépouillé
de sa masculinité et des repères qui lui ont permis de se construire depuis l’enfance.
Cette « crise existentielle » est aggravée par le contexte, les situations de conflit voyant les
valeurs viriles s’exacerber. L’homme, assumant traditionnellement la fonction guerrière, est
sensé pouvoir garantir protection à sa famille et à sa communauté. Un homme abusé,
incapable de se protéger lui-même, n’aurait donc pas pu protéger ses proches. Pire encore :
il aura été utilisé comme objet sexuel par d’autres hommes plus forts que lui. En cela,
il est transformé en antithèse du héros de guerre, valeureux et courageux, icône sociale
en temps de conflit. C’est alors sa raison d’être sociétale, dans toutes ses dimensions55
, qui est
remise en question.
Comme pour les femmes victimes, il peut en résulter un rejet par les proches (parents,
frères et sœurs, épouse, enfants) qui redoutent que la honte rejaillisse sur l’ensemble du clan.
Ce schéma s’est appliqué dans le cas de Patience, un réfugié qui déclarait avoir été mis
à l’écart par sa femme et son frère après avoir révélé qu’il avait été violé : « Ils me
soupçonnaient d’être homosexuel. Ils ne voulaient plus me parler56
».
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53. SIVAKUMARAN (Sandesh), op. cit. p. 25.
54. « Repeated homosexual rape causes the inmate victims to develop a new sexual identity. They now harbor a
raped female in their male bodies. » (WEISS (Carl) & FRIAR (David James), Terror in the Prisons: Homosexual
Rape and Why Society Condones It, Indianapolis, Bobbs-Merrill, 1974 (voir p. 74). Cité dans le rapport de
HRW, op. cit. p. 11.
55. Fils, frère, époux ou futur époux, père ou futur père, membre de la communauté, etc.
56. IRIN, « DRC-Uganda: Male sexual abuse survivors living on the margins », 2 août 2011 (notre traduction).
Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°36).
À la même époque, un autre survivant, Lukengo, témoignait :
Vous m’auriez vu à cette époque, j’étais pâle et fin parce que je saignais de l’anus
tout le temps. J’ai saigné. Je ne pouvais même pas marcher comme j’ai marché ici.
J’ai saigné comme si l’anus était justement ouvert. Même quand j’ai fui dans la forêt,
j’avais du sang. Je saignais, je saignais. Arrivé à Kampala, ça a commencé. C’était une
semaine qui se passait bien, deux semaines du sang. Même si j’allais pas aux toilettes.
Je me suis dit : « Mais moi, ma vie, ce n’était pas pareil ». Par rapport à cela, mon frère
et ma sœur me haïssaient. Ils disaient (parce que là où j’étais, ça sentait mauvais, le sang) :
« On ne peut pas vivre comme ça, tu vas nous donner des maladies, chacun va chercher
sa vie »57
.
Ce rejet de la sphère familiale est souvent suivi d’une désocialisation accélérée.
Les hommes victimes peuvent être stigmatisés et ostracisés par la communauté entière :
par leurs amis, leurs collègues, sur les lieux de loisirs, dans l’accès à l’emploi.
Dans des cultures traditionnelles, au sein desquelles un des fondements de
l’épanouissement de l’individu est sa reconnaissance par le groupe, la mort physique peut
suivre cette « mort sociale » : sans recours, certains survivants se laissent mourir,
ou développent des tendances suicidaires et mettent fin à leurs jours.
Les hommes sont encore moins susceptibles de signaler les violences sexuelles dont
ils ont été la cible que les femmes. Le poids de la honte et la crainte du rejet les dissuadent
souvent de consulter un médecin ou de se plaindre auprès des autorités.
De nombreuses victimes s’enfoncent dans le mutisme et l’isolement, ce qui contribue
à leur désocialisation. Le plus souvent, elles ne demandent une aide spécialisée que lorsque
les séquelles physiques sont graves et nécessitent une intervention chirurgicale d’urgence.
Cela peut arriver jusqu’à plusieurs années après leur agression58
.
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57. DUMAS (Maryline), op. cit. p. 23.
58. UNITED NATIONS HIGH COMMISSIONER FOR REFUGEES (UNHCR), Working with Men and Boy Survivors of
Sexual and Gender-Based Violence in Forces Displacement, 2012 (voir p. 8). Référence disponible sur le DVD
fourni en annexe (référence n°28).
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Et même lorsqu’ils s’y décident, les survivants restent très discrets quant à leur
situation. Certains y renoncent pour des raisons économiques : les opérations chirurgicales
réparatrices sont lourdes et entraînent une immobilisation de longue durée. Les hommes
victimes étant souvent soit chargés de famille soit isolés (comme dans le cas de nombreux
réfugiés), ils ne peuvent pas se le permettre financièrement. En 2011, un homme de vingt-huit
ans expliquait : « Se faire opérer sous-entend arrêter de travailler quelques temps. Je n’ai pas
de famille pour s’occuper de moi. Personne pour aller me chercher à manger, pour payer mon
loyer si je ne peux pas bouger59
».
Dans des contextes législatifs répressifs, le soupçon d’homosexualité vis-à-vis des
victimes créé également un risque de « double peine ». En effet, l’homosexualité
est criminalisée par plus de soixante-dix États à travers le monde, dont trente-huit en
Afrique60
et on assiste dans certains pays à des tentatives de durcissement de la législation61
.
C’est le cas de l’Ouganda, où sont réfugiés plus de 200 000 Congolais ayant fui le conflit.
Si leur histoire était révélée, les survivants pourraient donc se voir accuser d’homosexualité
et avoir à faire face au système judiciaire local.
Cette conspiration du silence, dans laquelle se retrouvent les agresseurs et les victimes,
explique le manque criant de données sur lesquelles pourraient s’appuyer les thérapeutes
et les chercheurs. Le phénomène est encore aggravé par l’insécurité dans laquelle vivent
les survivants, certains agresseurs cherchant à retrouver leurs victimes pour les faire taire.
L’omerta entretenue sur le sujet laisse à penser que l’ampleur des violences sexuelles
de guerre contre les hommes pourrait être largement sous-évaluée. Comme le conclut l’étude
d’Oosterhoff, Zwanikken et Ketting sur la torture sexuelle des hommes en Croatie et lors
d’autres conflits, « le silence qui entoure les tortures sexuelles masculines […] tranche
étrangement avec la nature publique des crimes62
».
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59. DUMAS (Maryline), op. cit. p. 23.
60. Dans dix pays, les homosexuels risquent la peine de mort : Afghanistan, Arabie Saoudite, Émirats arabes
unis, Iran, Mauritanie, Soudan, Yémen, Nigéria et Somalie (dans les zones où la charia est appliquée),
Somaliland (non reconnu par la communauté internationale).
61. BOZONNET (Charlotte), « En Afrique, l’homosexualité hors la loi », Le Monde, 14 février 2014.. Référence
disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°30).
62. OOSTERHOFF (Pauline), ZWANIKKEN (Prisca) et KETTING (Evert), op. cit. p. 16 (voir p. 77).
« As I leave Uganda, there's a detail of a story that I can't forget.
Before receiving help from the RLP, one man went to see his local doctor.
He told him he had been raped four times, that he was injured and depressed
and his wife had threatened to leave him. The doctor gave him a Panadol 63
. »
Will Storr
« The rape of men: the darkest secret of war »64
.
!
*****!
!
Le phénomène de violences sexuelles de masse a été mis en lumière au début des
années 1990, suite aux excès des conflits des Balkans et du génocide rwandais. Dans les pays
occidentaux, l’ampleur et le caractère extrême des exactions perpétrées ont alors frappé
les esprits. Cette prise de conscience a coïncidé avec la réflexion sur la prise en compte des
questions de genre et leur reconnaissance au niveau international : création du Fonds
de développement des Nations unies pour la femme (1991), conférence de Pékin (1995).
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
63. Antalgique sans ordonnance, de type Doliprane.
64. STORR (Will), « The rape of men: The darkest secret of war », The Guardian, 17 juillet 2011. Référence
disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°41).
- 30 -
!
!
!
- 31 -
En réponse, les agences spécialisées des Nations unies et des centaines d’ONG
ont développé des programmes de prévention et de soutien aux victimes. Cependant,
la grande majorité des personnes affectées étant des femmes, les stratégies élaborées l’ont été
dans une logique « féminocentrée ». Dans ce schéma, la femme a été systématiquement
et « naturellement » considérée comme la victime et l’homme comme l’agresseur. Cette
approche (elle-même marquée par les stéréotypes de genre) a eu pour conséquence
le désintérêt pour le phénomène des hommes victimes, celui-ci constituant un non-sens dans
la pensée générale. En 2001, la chercheuse américaine Augusta DelZotto avait recensé
4 076 ONG traitant les viols de guerre et autres formes de violence sexuelle politique. Seules
3 % de ces organisations faisaient mention des victimes masculines dans leurs programmes
ou leurs documents d’information65
.
Une des conséquences les plus marquantes de ce manque d’intérêt est donc l’absence,
chez la plupart des organisations et agences humanitaires, de programmes d’aide ou de
structures d’accueil adaptés aux survivants masculins. En général, les officiers de protection
(Protection Officers) spécialisés en genre ont été préparés à prendre en charge les femmes
abusées, mais n’ont pas reçu de formation spécifique sur le traitement des hommes et leurs
besoins. Ainsi, les hommes demandant un soutien essuient souvent un refus de la part
d’organisations humanitaires. Le problème est le même pour les campagnes de prévention
et les financements : le phénomène n’étant pas reconnu, il n’y a pas de lignes pour financer
des programmes, au contraire des stratégies à destination des femmes, qui bénéficient
de fonds multiples et conséquents. En 2014, un groupe de victimes, le Men of Hope Refugee
Association in Uganda (MOHRAU) a dénoncé la situation dans un rapport et réclamé un
ensemble de mesures66
.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
65. DELZOTTO (Augusta) & JONES (Adam), op. cit. p. 8 (voir p. 7).
66. REFUGEE LAW PROJECT (RLP), Male Survivors of Sexual Violence in Kampala Demand for Better Services,
2014. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°20).!
!
- 32 -
Mais au-delà du défaut de formation ou de procédures, c’est le manque d’écoute
et l’impression d’indifférence générale quant à leur drame qui marque les hommes victimes.
En 2009, en Ouganda, un survivant s’est rendu dans un centre de l’UNHCR67
. Il avait été
violé à de nombreuses reprises par des soldats. L’homme était accompagné de sa sœur,
qui avait également été abusée. Il rapportait :
Ils ont beaucoup plus parlé du viol de ma sœur que de mon cas. J’ai été torturé,
j’ai été violé. Mais ils croient que le viol n’est pas commis sur les hommes. C’est ce que
j’ai pu observer. […]. Quand vous expliquez ce problème, les gens ne vous écoutent pas.
Ils n’écoutent pas. Ils sont indifférents. J’ai eu la malchance d’être interrogé par des
officiers de protection féminins qui étaient incapables de saisir que j’étais une victime de
viol. Et ça crée un plus grand traumatisme68
.
Sans recours, des victimes renoncent à demander de l’aide et meurent des suites de leurs
blessures. Eunice Owiny, conseillère en soutien psychologique ougandaise, résume ainsi
la situation : « Il y a un couple marié. L’homme a été violé, la femme a été violée.
Pour la femme, il est facile de parler. Elle obtient un traitement médical, elle obtient
de l’attention, elle est soutenue par tellement d’organisations. Mais l’homme reste enfermé,
en train de mourir69
».
En 2012, une fiche de lecture se concluait par la phrase suivante : « La lutte contre les
violences sexuelles est d’abord un combat pour la reconnaissance d’égalité entre homme
et femme vu la sexo-spécificité de ce crime en général70
». Cette assertion est révélatrice du
« dogmatisme » qui entoure la question des violences sexuelles de guerre.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
67. United Nations High Commissioner for Refugees (Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés).
68. Gender Against Men (Le genre contre les hommes), Refugee Law Project/Video Advocacy Unit, Ouganda,
2009, documentaire, 44 minutes (notre traduction de l’anglais). Référence disponible sur le DVD fourni en
annexe (référence n°29).
69. STORR (Will), op. cit. p. 30.
70. Fiche de lecture anonyme consacrée à l’ouvrage suivant : GUENIVET (Karima), Violences sexuelles :
la nouvelle arme de guerre, Paris, Éd. Michalon, 2001. Le document est disponible à l’adresse suivante :
<http://www.youscribe.com/catalogue/ressources-pedagogiques/education/fiches-de-lecture/fiche-de-lecture-
guenivet-les-violences-sexuelles-1410786>.
!
!
- 33 -
Le plus souvent, le phénomène des hommes victimes est ignoré, sciemment ou par
manque d’information. Dans les cas les plus graves, il est minimisé voire nié, ce qui pourrait
être assimilé à de la discrimination entre les victimes, contraire au principe humanitaire
d’impartialité.
Le médecin britannique Chris Nolan est le directeur du Refugee Law Project (RLP),
un centre d’aide aux réfugiés basé à Kampala, en Ouganda. Confronté à cette réalité sur le
terrain, il est devenu un militant de la reconnaissance des violences sexuelles faites
aux hommes. En 2011, il déclarait au Guardian : « les ONG travaillant sur la violence liée
au genre (gender-based violence) font systématiquement silence sur ces violences contre
les hommes, ou exceptionnellement les mentionnent brièvement à la fin d’un rapport ».
Il rapportait qu’un des bailleurs de fonds du RLP (l’ONG Oxfam Novib, branche danoise
de la confédération d’ONG Oxfam) avait menacé de cesser son soutien financier au centre
si au moins 70 % des victimes traitées par le centre n’étaient pas des femmes71
. Cette exigence
aurait pu se justifier si chaque structure d’accueil et de traitement avait appliqué la même
politique. Ce n’était pas le cas : en Ouganda, le RLP était un des seuls centres proposant
un soutien aux hommes abusés.
En 2007, la juriste et universitaire américaine Lara Stemple, spécialiste des droits
de l’Homme, a consacré une étude aux viols sur les hommes72
. En 2011, elle dénonçait
« un discours constant suivant lequel les femmes sont les victimes des viols » et un milieu
au sein duquel les hommes sont considérés comme une « classe monolithique
d’agresseurs »73
. La même année, le sociologue et chercheur français Marc Le Pape faisait de
son côté le constat suivant :
Ce point de vue critique est partagé par tous les auteurs, femmes et hommes,
qui ont tenté et tentent de faire reconnaître l’existence des sévices sexuels contre
les hommes en temps de guerre : la perception en termes de genre a eu pour effet
de focaliser l’attention sur les femmes victimes et de restreindre aux femmes la définition
du viol, ignorant ainsi « le fait que les hommes peuvent être faibles et vulnérables »74
.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
71. STORR (Will), op. cit. p. 30 (notre traduction).
72. STEMPLE (Lara), op. cit. p. 10.
73. STORR (Will), supra (notre traduction).
74. LE PAPE (Marc), « Viols en temps de guerre : les hommes aussi », Issues de secours, 1er
décembre 2011.
Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°38).
!
- 34 -
Ce traitement différencié peut n’être pas le seul fait des sphères médicale
et humanitaire, mais également des autorités légales. Cela est clair dans le cas de la
reconnaissance officielle apportée aux victimes sexuelles de la guerre de libération du
Bangladesh en 1971, phénomène étudié par l’anthropologue sociale Nayanika Mookherjee.
Celle-ci a écrit :
À la fin de la guerre, plutôt que d’étouffer la question du viol, le gouvernement
bengali décida de nommer publiquement birangonas (« héroïnes de guerre ») les femmes
de tous milieux socioéconomiques qui avaient été violées par des soldats pakistanais, afin
d’éviter leur stigmatisation sociale et favoriser leur réhabilitation. En revanche, c’est
exactement l’opposé qui se produisit pour les victimes masculines de viols, dont les
témoignages n’intéressèrent que quelques chercheurs75
.
Dans de nombreux pays, le vide juridique entourant les violences sexuelles contre les
hommes constitue également un obstacle à la reconnaissance des victimes. En 2014,
une étude menée sur les codes pénaux de 189 États a révélé un manque de protection légale
pour les hommes abusés76
. Combinée avec les données de la Banque mondiale et de
l’International Institute of Strategic Studies Armed Conflict Database, cette recherche a mis
en évidence que, sur le plan légal, :
$ 90 % des hommes vivant dans des zones de conflit ne bénéficient d’aucune protection
s’ils sont victimes de violences sexuelles ;
$ dans 63 pays (représentant presque les deux-tiers de la population mondiale), seules les
femmes sont reconnues comme possibles victimes de viols ;
$ dans 70 pays, les hommes rapportant des abus peuvent être poursuivis ;
$ dans 28 pays, seuls les hommes sont reconnus comme possibles agresseurs sexuels77
.
Outre la pression sociale, cette absence de protection et de reconnaissance officielles
de leur statut de victime dissuade souvent les survivants de s’adresser aux autorités ou de
demander un soutien, traitement médical ou thérapie.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
75. MOOKHERJEE (Nayanika), « “Héroïnes de guerre” et hommes oubliés de la guerre de libération du
Bangladesh », dans BRANCHE (R.) & VIRGILI (F.) (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011, p. 91-105
(voir p. 94).
76. DOLAN (Chris), op. cit. p. 9 (voir p. 5-9).
77. Ibid.
!
!
- 35 -
Une solution semblerait résider dans l’adoption par les États d’une législation neutre
en termes de genres concernant les violences sexuelles, à l’image de l’Afrique du Sud.
En 2007, celle-ci a adopté le South Africa Criminal Law Amendment Act 32, inspiré par
le Statut de Rome78
. Destinée à assurer la protection la plus large à toutes les victimes de viol,
cette loi décrit en détail le crime, sans référence au sexe des acteurs, et va jusqu’à inclure
les relations sexuelles forcées avec des animaux :
« Any person (a) who unlawfully and intentionally commits an act of sexual
penetration with a complainant (b), without the consent of B is guilty of the offence rape ».
« Sexual Penetration includes any act which causes penetration to any extent
whatsoever by – a) the genital organs of one person into or beyond the genital organs,
anus, or mouth of another person; b) any other part of the body of one person or, any
object including any part of the body of an animal, into or beyond the genital organs or
anus of another person; c) the genital organs of an animal, into or beyond the mouth of
another ».
En 2009, l’unité de plaidoyer du RLP a réalisé le documentaire Gender Against Men.
L’objectif de ce film était d’attirer l’attention sur les bouleversements dans les relations
de genres chez les réfugiés et les violences sexuelles faites aux hommes, en pleine explosion
à l’Est de la RDC79
. Jusqu’alors, cette problématique ne soulevait l’intérêt que de quelques
chercheurs et thérapeutes (hommes comme femmes) engagés et désireux de faire « bouger les
lignes ». En 2010 et 2011, leur activisme a suscité l’attention de médias reconnus, comme
le Guardian et le New York Times, qui ont consacré des articles au sujet. Cette médiatisation
soudaine du phénomène a entraîné un sursaut de la communauté humanitaire.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
78. Texte fondateur et base légale de la Cour pénale international (CPI), le Statut de Rome est un modèle
de législation neutre en termes de genres. Il précise clairement que les viols peuvent être commis par et sur
des hommes et des femmes.
79. Gender Against Men (Le genre contre les hommes), Refugee Law Project/Video Advocacy Unit, Ouganda,
2009, documentaire, 44 minutes. Le film a reçu le prix du meilleur documentaire du Kenya International Film
Festival en 2009. Il est disponible en intégralité (44 minutes) sur le DVD fourni en annexe (référence n°29).
!
- 36 -
Ainsi, en 2012, l’UNHCR, qui avait été directement mis en cause dans le documentaire
Gender Against Men et dans un article du Guardian, a publié un manuel spécifique, destiné
à ses officiers de protection et rédigé en partenariat avec les spécialistes du RLP80
. Cependant,
à ce jour, ce guide semble être le seul document technique consacré à cette question
et représente la seule avancée quant à la formation des acteurs de terrain.
La réflexion sur le sujet avait pourtant été initiée plus tôt : en 2008, UNOCHA81
,
via son bureau d’études et d’élaboration des politiques, avait créé un groupe de travail dédié.
Celui-ci avait rédigé un document de synthèse (cinq pages sans la bibliographie) appelant
à une meilleure étude de cette problématique82
. Il ne semble pas que cette initiative ait abouti
à des mesures concrètes et contraignantes.
Le dernier plaidoyer international marquant date du Sommet mondial pour mettre fin
aux violences sexuelles dans les conflits, qui s’est tenu à Londres en juin 2014. Dans une
communication officielle, Valerie Amos, secrétaire générale adjointe aux affaires
humanitaires et coordinatrice des secours d’urgence des Nations unies, a insisté sur la
question des violences infligées aux hommes et aux enfants (les « victimes cachées »)
et souligné la nécessité de leur apporter une réponse adaptée83
. Reste à savoir si les
déclarations seront suivies d’effets.
De fait, sur cette question (comme sur de nombreuses thématiques liées au genre),
les rares avancées semblent plus être dues à des initiatives d’acteurs investis (personnelles ou
collectives) et à une pression médiatique ponctuelle qu’à une réelle prise de conscience
et volonté des décideurs. En général, les mesures adoptées restent d’ordre symbolique.
Une véritable prise en compte des hommes abusés nécessiterait en effet une remise
en question des schémas intellectuels liés aux genres, qui régissent les politiques d’aide aux
victimes depuis les années 1990. Non pas une évolution, mais une révolution.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
80. UNITED NATIONS HIGH COMMISSIONER FOR REFUGEES (UNHCR), op. cit. p. 28.
81. United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (Bureau de la coordination des affaires
humanitaires des Nations unies).
82. UNITED NATIONS OFFICE FOR THE COORDINATION OF HUMANITARIAN AFFAIRS (OCHA) (POLICY
DEVELOPMENT AND STUDIES BRANCH), Discussion Paper 2: the Nature, Scope and Motivation for Sexual
Violence Against Men and Boys in Conflict, 20 juin 2008. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe
(référence n°23).
83. UNITED NATIONS OFFICE FOR THE COORDINATION OF HUMANITARIAN AFFAIRS (OCHA), Under-Secretary-
General for Humanitarian Affairs and Emergency Relief Coordinator, Valerie Amos: Remarks to the Global
Summit to End Sexual Violence in Conflict – Ministerial Dialogue on the Hidden Victims of Sexual Violence, 12
juin 2014. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°24).
!
!
!
- 37 -
« On juge un monde que l’on refuse de connaître
et le jugement devient un moyen de refuser de le connaître ».
Judith Butler
Ce qui fait une vie. Essai sur la violence, la guerre et le deuil.
!
*****!
Aujourd’hui, même dans les pays occidentaux, l’approche de genre est trop peu souvent
prise en compte, qu’il s’agisse des politiques publiques, de la société civile, des entreprises
ou de la sphère privée. Quand elle l’est, en général, ce n’est pas sous un angle neutre,
mais « féminocentré ». Cette logique peut se justifier, tant il est évident que dans de
nombreuses sociétés et dans de nombreux domaines, la pression (voire l’oppression) sociale
est exercée par les hommes sur les femmes.
Depuis plus de vingt ans, la réponse aux violences sexuelles de conflit a été élaborée
en fonction de ce paradigme. Pourtant, elles y échappent. Complexes par nature, elles sortent
des grilles de lecture habituelles. Par leur caractère aveugle, extrême et dérangeant, elles
interrogent sur la notion même d’humanité. Basées sur des rapports de domination, elles sont
intimement liées aux relations de genres, tout en en bousculant les stéréotypes : tout individu
peut être frappé, indépendamment de son sexe. Elles suscitent également une réflexion sur les
réponses apportées à ces problématiques, quand celles-ci sont abordées de manière partiale
!
- 38 -
ou simpliste. Dans ce cas précis, ayant été appliqués de manière normative voire dogmatique,
les schémas d’analyse des rapports entre genres semblent en effet avoir abouti à une
différence de traitement flagrante, créant une « réalité sous silence ».
Au-delà des croyances et des stéréotypes, les violences sexuelles de conflit doivent être
appréhendées dans toutes leurs dimensions et faire l’objet d’une analyse globale, neutre
et pragmatique, non pas gouvernée par un tropisme lié au genre, mais centrée sur les
personnes affectées et leur histoire. Les séquelles sur les victimes, hommes ou femmes,
peuvent être différentes mais sont comparables en gravité, qu’elles soient personnelles
ou sociétales. En conséquence, si les approches et procédures peuvent êtres adaptées en
fonction du sexe de la victime, la qualité du soutien doit être la même. Il ne s’agit plus là
de débats sur l’égalité des genres, mais simplement d’équité et d’honnêteté intellectuelle.
Car aucune victime ne mérite d’être abandonnée. Au vu de la profondeur des
traumatismes subis, chacune devrait avoir droit à une reconnaissance, un regard attentif et une
réponse appropriée.
!
!
- 39 -
RÉFÉRENCE
Réf. DVD
d’annexes
BRANCHE (Raphaëlle) & VIRGILI (Fabrice) (dir.), Viols en temps de guerre,
Paris, éd. Payot & Rivages, 2013, 359 p.
Ø
MEZEY (Gillian) et KING (Michael), Male Victims of Sexual Assault, Oxford,
Oxford University Press, 2000, 176 p.
Ø
STIGLMAYER (Alexandra) (dir.), Mass Rape: The War Against Women in
Bosnia-Herzegovina, Lincoln, University of Nebraska Press, 1994, 234 p.
Ø
WEISS (Carl) et FRIAR (David James), Terror in the Prisons: Homosexual Rape
and Why Society Condones It, Indianapolis, Bobbs-Merrill, 1974, 247 p.
Ø
RÉFÉRENCE
Réf. DVD
d’annexes
AKERØ (Lisa Maria), The male gender perspective in Disaster Response,
mémoire de Master, université de Copenhague, 2012.
01
COUTURIER (Don), « The Rape of Men: Eschewing Myths of Sexual Violence in
War », On Politics (University of Victoria), vol. 6, No 2, automne 2012.
02
DELZOTTO (Augusta) et JONES (Adam), Male-on-Male Sexual Violence in
Wartime: Human Rights’ Last Taboo?, 2002.
03
DOLAN (Chris), Into the mainstream: Addressing sexual violence against men
and boys in conflict, 2014.
04
HUMAN TERRAIN TEAM (HTT) AF-6 (ISAF), Pashtun Sexuality, 2009
(document non classifié).
05
JOHNSON (Kirsten), SCOTT (Jennifer), RUGHITA (Bigy), KISIELEWSKI (Michael),
ASHER (Jana), ONG (Ricardo) et LAWRY (Lynn), « Association of Sexual
06
!
- 40 -
Violence and Human Rights Violations With Physical and Mental Health in
Territories of the Eastern Democratic Republic of the Congo », The Journal of
the American Medical Association, vol. 304, n°5, 2008, p. 553-562.
JOHNSON (Kirsten), ASHER (Jana), ROSBOROUGH (Stephanie), RAJA (Amisha),
PANJABI (Rajesh), BEADLING (Charles) et LAWRY (Lynn), « Association of
Combatant Status and Sexual Violence with Health and Mental Health Outcomes
in Postconflict Liberia », The Journal of the American Medical Association, vol.
300, n°6, 2008, p. 676-690.
07
JOSSE (Évelyne), Les violences sexospécifiques et sexuelles à l’égard des
hommes, 2007.
08
LE PAPE (Marc), « Viol d'hommes, masculinités et conflits armés », Cahiers
d'études africaines, 2013/1, n° 209-210, p. 201-215.
09
MOOKHERJEE (Nayanika), « The absent piece of skin: Gendered, racialized and
territorial inscription of sexual violence during the Bangladesh war », Modern
Asian studies, 46 (6), 2012, p. 1572-1601.
10
MUDROVČIĆ (Željka), « Sexual and Gender-Based Violence in Post-Conflict
Regions: The Bosnia and Herzegovina Case », dans UNFPA, The Impact of
Conflict on Women and Girls: A UNFPA Strategy for Gender Mainstreaming in
Areas of Conflict and Reconstruction, 2002, p. 60-76.
11
OOSTERHOFF (Pauline), ZWANIKKEN (Prisca) & KETTING (Evert), « Sexual
Torture of Men in Croatia and Other Conflict Situations: An Open Secret »,
Reproductive Health Matters, 12 (23), 2004, p. 68-77.
12
PEEL (Michael), Rape as a Method of Torture, Medical Foundation for the care
of victims of torture, 2004.
13
SIVAKUMARAN (Sandesh), « Male/Male Rape and the “Taint” of
Homosexuality », Human Rights Quarterly, vol. 27, n°4, 2005, p. 1274-1306.
14
SIVAKUMARAN (Sandesh), « Sexual Violence Against Men in Armed Conflicts »,
European Journal of International Law, vol. 18, n°2, 2007, p. 253-276.
15
STEMPLE (Lara), « Male Rape and Human Rights », Hastings Law Journal, n°60,
2008, p. 605-647.
16
TRATNJEK (Bénédicte), « Le viol comme arme de guerre et la “géographie de la
peur”. Violences extrêmes et inscription de la haine dans les territoires du
quotidien », Revue Défense Nationale, rubrique Tribunes, n°249, 7 septembre
2012.
17
RÉFÉRENCE
Réf. DVD
d’annexes
HUMAN RIGHTS WATCH (HRW), No Escape: Male Rape in US Prisons, 2001. Ø
HUMAN RIGHTS WATCH (HRW), Mon cœur est coupé : violences sexuelles
commises par les forces rebelles et pro-gouvernementales en Côte d’Ivoire,
vol. 19, 11-A, août 2007.
18
MÉDECINS SANS FRONTIÈRES (MSF), Vies brisées, 2009. 19
REFUGEE LAW PROJECT (RLP), Male Survivors of Sexual Violence in Kampala
Demand for Better Services, 2014.
20
TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA (TPIR) (chambre de
première instance), Le Procureur contre Jean-Paul Akaseyu, affaire n°ICTR-96-
4-T, 2 septembre 1998.
21
UNESCO, « Le viol comme arme de guerre », Confluences Méditerranée, n°64,
2007-2008, p. 99-104. 22
!
!
- 41 -
UNITED NATIONS OFFICE FOR THE COORDINATION OF HUMANITARIAN AFFAIRS
(UNOCHA) (POLICY DEVELOPMENT AND STUDIES BRANCH),
Discussion Paper 2: the Nature, Scope and Motivation for Sexual Violence
Against Men and Boys in Conflict, 20 juin 2008.
23
UNITED NATIONS OFFICE FOR THE COORDINATION OF HUMANITARIAN AFFAIRS
(UNOCHA), Under-Secretary-General for Humanitarian Affairs and Emergency
Relief Coordinator, Valerie Amos: Remarks to the Global Summit to End Sexual
Violence in Conflict – Ministerial Dialogue on the Hidden Victims of Sexual
Violence, 12 juin 2014.
24
U.S. DEPARTMENT OF JUSTICE, Sexual Victimization in Prisons and Jails
Reported by Inmates, 2011-12, 2013.
25
U.S. DEPARTMENT OF STATE, 2012 Human Rights Reports: Haiti, 19 avril 2013. 26
WORLD HEALTH ORGANIZATION (WHO), World Report on Violence and Health,
2002.
27
RÉFÉRENCE
Réf. DVD
d’annexes
UNITED NATIONS HIGH COMMISSIONER FOR REFUGEES (UNHCR), Working with
Men and Boy Survivors of Sexual and Gender-Based Violence in Forced
Displacement, 2012.
28
RÉFÉRENCE
Réf. DVD
d’annexes
Gender Against Men (Le genre contre les hommes), Refugee Law Project/Video
Advocacy Unit, Ouganda, 2009, documentaire, 44 minutes.
29
RÉFÉRENCE
Réf. DVD
d’annexes
BOZONNET (Charlotte), « En Afrique, l’homosexualité hors la loi », Le Monde,
14 février 2014).
30
BRESSIN (Tiphaine), « Viols masculins vs viols féminins », Minorités, 29 mai
2011.
31
DUMAS (Maryline), « Viols au Congo : “Le jour où ils ont fait de moi une
femme”», Rue 89 - Le Nouvel Observateur, 2 août 2011.
32
FRANÇOIS (Didier), « Des soldats spécialisés dans la sodomie », Libération,
10 mai 2004.
33
GETTLEMAN (Jeffrey), « Symbol of Unhealed Congo: Male Rape Victims »,
The New York Times, 4 août 2009.
34
GRIMM-GOBAT (Geneviève), « Le viol des hommes », Largeur.com, 13 août
2009.
35
IRIN, « DRC-Uganda: Male sexual abuse survivors living on the margins »,
2 août 2011.
36
!
- 42 -
JOSSE (Évelyne), « Tortures et violences sexuelles dans les conflits armés,
des liens étroits », Grotius International, 2 février 2013.
37
LE PAPE (Marc), « Viols en temps de guerre : les hommes aussi »,
Issues de secours, 1er
décembre 2011.
38
LE PAPE (Marc), « Le viol des hommes : analyse de commentaires »,
Issues de secours, 2 février 2012.
39
MURDOCH (Heather), « Rape in Congo Devastates Male Victims »,
Voice of America News, 17 novembre 2011.
40
STORR (Will), « The rape of men: The darkest secret of war », The Guardian,
17 juillet 2011.
41
ZERNIKE (Kate), « Detainees Depict Abuses by Guard in Prison in Irak »,
New York Times, 12 janvier 2005.
42
!

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20150120_Braud_ Najean_Les violences sexuelles contre les hommes en situations de conflit

  • 1.
  • 2. MARINE BRAUD & FRANZ NAJEAN Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne Département de science politique Master 2 professionnel CIAHPD ***** - Genre et développement - Janvier 2015
  • 3. ! - 2 - 1. Ce dossier de recherche porte sur les violences sexuelles exercées à l’encontre des hommes adultes et adolescents pubères de sexe masculin en situations de conflit. Les abus sur les nourrissons et enfants de sexe masculin ne seront pas traités, ceux-ci étant inclus dans les violences sexuelles sur enfants. 2. Pour faciliter la lecture, le terme homme sera utilisé pour désigner les hommes adultes et adolescents pubères de sexe masculin. 3. Les exemples cités pour illustrer le propos porteront en majorité sur : - les conflits internationaux et les conflits non internationaux ; - les conflits conventionnels et les conflits asymétriques. D’autres exemples ne s’inscriront pas dans un contexte de conflit armé stricto sensu : pays en phase de répression politique brutale, pays en sortie de crise, univers carcéral. Ils seront néanmoins cités en raison de leur pertinence quant au sujet traité.
  • 4. ! ! - 3 - Introduction ______________________________________________________________________________ 5 PARTIE 1 : LE PHÉNOMÈNE__________________________________________________ 7 L’envergure des violences _________________________________________________________________ 8 La nature des violences __________________________________________________________________ 12 Le profil des acteurs ______________________________________________________________________ 13 Contexte et dynamiques _________________________________________________________________ 16 PARTIE 2 : L’IMPACT _________________________________________________________ 22 Un traumatisme physique et psychologique __________________________________________ 23 La perte d’identité de genre _____________________________________________________________ 25 Le rejet et l’isolement ___________________________________________________________________ 27 La loi du silence __________________________________________________________________________ 28! PARTIE 3 : LA RÉPONSE _____________________________________________________ 30 Des victimes laissées-pour-compte _____________________________________________________ 31 Entre ignorance et négation _____________________________________________________________ 32 Le manque de protection juridique _____________________________________________________ 34 Vers une révolution des esprits ? ________________________________________________________ 35 Conclusion _____________________________________________________________________________ 37 Bibliographie __________________________________________________________________________ 39 Annexe : DVD de références bibliographiques
  • 6. ! ! - 5 - ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Effondrement des systèmes de valeurs traditionnels au profit de valeurs guerrières exacerbées, autorité étatique absente, chancelante ou abusive, multiplication des acteurs armés, contrôlés ou non, méconnaissance ou non-respect du droit international humanitaire, sentiment d’impunité : les conflits modernes constituent un terrain propice aux violations des droits de l’Homme. Des simples brutalités aux exécutions de masse, en passant par la torture et l’esclavagisme, les abus sont nombreux. Parmi les plus choquants, mais les plus courants, figurent les violences à caractère sexuel. Dans les années 1990, cette question a fait l’objet d’une large prise de conscience au niveau mondial. En réaction, les organisations intergouvernementales, gouvernementales et non-gouvernementales ont développé des stratégies et des programmes axés sur la lutte contre les violences sexuelles dans les pays en crise. Chaque jour, au niveau international ou sur le terrain, des milliers d’acteurs œuvrent pour les prévenir ou apporter le soutien le plus adapté aux victimes. Aujourd’hui, le sujet semble cependant mériter une réflexion plus approfondie. Traitées comme un phénomène sexospécifique, ces violences ont en effet été assimilées aux violences faites aux seules femmes. Qu’il s’agisse des politiques de plaidoyer ou des procédures opérationnelles de terrain, les stratégies de réponse ont été élaborées et mises en œuvre en fonction de ce paradigme.
  • 7. Parce qu’elle ne correspondait pas au schéma d’ensemble, une catégorie de victimes a été exclue de facto de la réflexion : celle des hommes et adolescents de sexe masculin. Les chercheurs et thérapeutes ne disposent que de peu de témoignages et de données sur le sujet. Parallèlement, les sociétés, soumises au tabou des violences sexuelles contre les hommes, peinent à réagir face à une réalité difficilement acceptable. Les chiffres disponibles sont pourtant éloquents et troublants. Se pencher sur cette question ne constitue en aucun cas une tentative de relativiser l’ampleur ou la gravité des violences faites aux femmes et aux adolescentes, les traumatismes individuels qui en résultent et leurs conséquences sociétales. Il s’agit simplement de porter un éclairage sur un autre type de victimes, dont la souffrance et la détresse sont négligées, voire dans les pires cas sciemment ignorées. Pour cela, il est nécessaire d’étudier dans un premier temps le phénomène, dans un deuxième temps son impact, avant de se pencher dans un troisième temps sur la réponse qui y est apportée. - 6 - !
  • 8. ! ! - 7 - « People who are subjected to sexual violence in conflict are some of the most vulnerable in the world. […] Within the group of those affected, there are people who are even more vulnerable, because they are even more hidden. We know very little about their experiences or how to protect and help them. » Valerie Amos Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et coordinatrice des secours d’urgence des Nations unies, le 12 juin 2014. ! ! *****! ! Dans l’imaginaire collectif, les violences sexuelles commises en temps de guerre évoquent le plus souvent la vision d’une femme sans défense abusée par un homme en armes qui veut assouvir ses pulsions. Le calvaire de la femme est toujours le même, seule la tenue du soldat diffère en fonction des époques et des cultures. Du légionnaire romain au milicien en treillis camouflé, le schéma est identique. De fait, dans la grande majorité des cas, les agresseurs sont effectivement des combattants masculins et les victimes des femmes. Mais si elle est cohérente, cette conception est également réductrice. Quand elles sont étudiées plus en profondeur, les violences sexuelles en situations de conflit se révèlent complexes et protéiformes. Elles obéissent à des dynamiques particulières
  • 9. ! - 8 - et sont liées à de multiples facteurs qui ne correspondent pas aux grilles de lecture des violences sexuelles perpétrées en temps de paix. Parmi ces violences, les plus méconnues sont celles dirigées contre les hommes. Celles-ci suscitent souvent l’étonnement, l’incompréhension, voire le scepticisme. Dans la plupart des sociétés, les abus sexuels contre les hommes constituent déjà un sujet tabou1 : la masculinité étant assimilée à la force physique, l’homme est considéré comme étant à même de se défendre. « Techniquement », il ne peut donc pas être la victime d’une agression sexuelle, et encore moins d’un viol. Dans le contexte brutal des conflits armés, la réalité est encore moins dicible. En conséquence, ces exactions sont souvent rangées dans d’autres catégories, moins dérangeantes : mauvais traitements, actes de torture, rituels militaires, etc. Malgré ces classifications, elles n’en demeurent pas moins des violences sexuelles à part entière. Étudier ces violences revient en fait à se confronter à un ensemble de stéréotypes portant sur des points cruciaux pour leur bonne compréhension : leur envergure, leur nature, leurs acteurs et leurs dynamiques. En temps de guerre, les violences sexuelles contre les hommes constituent un phénomène ancien, qui transcende les frontières et les cultures. Déjà, des fresques murales de la Perse antique montraient des combattants victorieux portant les pénis de leurs ennemis empilés sur des plateaux. Pendant des siècles, des hommes et des garçons, capturés pendant ou à la suite de combats, sont devenus esclaves sexuels de guerriers, de l’Occident jusqu’en Mésoamérique2 . Aujourd’hui, ces violences sont toujours répandues. Elles sont caractérisées par leur généralité et leur ampleur. ! ! Généralité des violences. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 1. « Male rape is a taboo subject; it happens but it is concealed by the victims who are too ashamed to speak out 2.!DELZOTTO (Augusta) et JONES (Adam), Male-on-Male Sexual Violence in Wartime: Human Rights’ Last Taboo?, 2002 (voir p. 2). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°03).
  • 10. ! ! - 9 - Depuis les années 1990, des rapports provenant de nombreux pays en conflit ont mentionné des abus sexuels commis contre des hommes. En 2007, Sandesh Sivakumaran, professeur de droit international public et spécialiste des droits de l’Homme, observait que depuis 1998, des cas avaient été signalés dans vingt-cinq pays en crise grave, situés sur quatre continents différents3 . Selon ses travaux, dans la quasi-majorité des hostilités lors desquelles des violences sexuelles ont été rapportées, celles-ci visaient hommes comme femmes4 . Depuis, la plupart des conflits majeurs récents, dont la Libye, la Syrie, la République démocratique du Congo (RDC) et la République centrafricaine (RCA), ont également été les théâtres de ce type d’exactions5 . Il ne s’agit donc pas d’un phénomène sporadique ou lié à une sphère géographique ou culturelle particulière. Exemples de pays et régions en crise où des cas de violences sexuelles contre des hommes ont été rapportés depuis 1945 : Exemples de pays et régions en conflit ou crise, où la loi n’apporte aucune protection aux hommes victimes de violences sexuelles : Afghanistan, Afrique du Sud, Algérie, Argentine, Bengladesh, Bosnie, Burundi, Chili, Colombie, Croatie, France (guerre d’Algérie), Guatemala, Grèce, Irak, Iran, Irlande du Nord, Kenya, Koweït, Libéria, Libye, Ouganda, RCA, RDC, Rwanda, Salvador, Sierra Leone, Sri Lanka, Soudan, Syrie, Tchétchénie, Turquie, Zimbabwe. Afghanistan, Birmanie, Colombie, RCA, RDC, Égypte, Cachemire, Irak, Malaisie, Nigéria, Pakistan, Soudan, Soudan du Sud, Somalie, Syrie, Yémen. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 3. Europe, Afrique, Asie et Amérique. 4. SIVAKUMARAN (Sandesh), « Sexual Violence Against Men in Armed Conflicts », European Journal of International Law, vol. 18, n°2, 2007, p. 253-276 (voir p. 257-258). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°15). 5. DOLAN (Chris), Into the Mainstream: Addressing Sexual Violence Against Men and Boys in Conflict, 2014 (voir p. 1). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°04).!
  • 11. ! - 10 - Ampleur des violences. À l’échelle mondiale, les chiffres relatifs aux violences sexuelles sur les hommes sont éloquents. En 1999, un universitaire américain s’est livré à une analyse de cent vingt études de référence consacrées aux violences sexuelles6 . Selon ses conclusions, à travers le monde, 3 % des hommes auraient été violés durant leur vie, de leur naissance jusqu’à l’âge adulte !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 6. SPITZBERG (Brian H.), « An Analysis of Empirical Estimates of Sexual Aggression, Victimization and Perpetration », Violence & Victims, n°14, 1999, p. 241-245. Cité dans : STEMPLE (Lara), « Male Rape and Human Rights », Hastings Law Journal, n°60, 2008, p. 605-647 (voir p. 607). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°16). Cet ! ! ! ! ! Pays ayant connu des conflits armés ou des crises sécuritaires graves sur leur propre territoire (1945-2014). Pays ayant connu des conflits armés ou des crises sécuritaires graves sur leur propre territoire, durant lesquels des violences sexuelles contre des hommes ont été rapportées (1945-2014). Géographie des conflits et violences sexuelles contre les hommes depuis 1945
  • 12. ! ! - 11 - (13 % pour les femmes)7 . Si ce pourcentage était ramené à la population mondiale actuelle, cela représenterait plus de 216 millions d’individus8 . Par rapport au sujet, ce chiffre est à relativiser. Ces agressions peuvent en effet avoir été commises en temps de paix et/ou avoir visé des nourrissons ou des garçonnets. Cependant, on peut raisonnablement penser qu’une part non négligeable concerne des hommes agressés en temps de guerre. Les victimes pourraient alors se chiffrer en millions. En termes de proportions, les résultats de trois études, menées dans des contextes différents, sont révélateurs : - selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), dans le canton de Sarajevo, 5 000 des 6 000 personnes ayant été détenues en camp d’internement pendant la guerre en Bosnie étaient des hommes. 80 % d’entre eux ont déclaré avoir été violés, soit 4 000 individus9 . Cela représenterait entre 9 et 17 % de l’ensemble des viols commis durant le conflit10 ; - en 1997 et 1998, la Medical Foundation for the care of victims of torture, basée à Londres, a consacré une étude au viol utilisé comme méthode de torture11 . Dans ce cadre, ses médecins ont enquêté sur les violences sexuelles subies (ou non) dans leur pays d’origine par des hommes demandeurs d’asile auprès du Royaume-Uni. Le panel était composé de 607 individus venant de 45 pays différents, dont de nombreux pays en conflit. Selon les résultats, 25,2 % des hommes interrogés avaient subi des violences sexuelles et 5,3 % d’entre eux avaient été violés. Les plus hauts taux concernaient les ressortissants du Kenya, d’Algérie, du Soudan, d’Irak et d’autres pays du Moyen-Orient ; !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 7. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2002, des études menées principalement dans les pays développés montraient qu’entre 5 et 10 % des hommes avaient été abusés sexuellement pendant leur enfance. Voir : WORLD HEALTH ORGANIZATION (WHO), World Report on Violence and Health, 2002 (p. 154). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°27)). 8. Calcul effectué par les rédacteurs sur la base de l’estimation du U.S. Census Bureau (janvier 2015). 9. MUDROVČIĆ (Željka), « Sexual and Gender-Based Violence in Post-Conflict Regions: The Bosnia and Herzegovina Case », dans UNFPA, The Impact of Conflict on Women and Girls: A UNFPA Strategy for Gender Mainstreaming in Areas of Conflict and Reconstruction, 2002, p. 60-76 (voir p. 64). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°11). 10. Calcul effectué par les rédacteurs sur la base des chiffres du site Internet d’ONU Femmes, 19 novembre 2012, <http://www.unwomen.org/fr/news/stories/2012/11/protecting-witnesses-of-wartime-rape-in-bosnia-and- herzegovina> (page consultée le 20 octobre 2014). 11. PEEL (Michael), Rape as a Method of Torture, 2004 (voir p. 63). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°13).
  • 13. ! - 12 - - en 2010, lors de la seule enquête médicale d’envergure menée dans l’Est de la RDC, les médecins ont obtenu les résultats suivants : Femmes Hommes Personnes ayant subi des violences sexuelles durant leur vie 39,7 % 23,6 % Parmi les personnes ayant subi des violences sexuelles, celles dont les violences étaient liées au conflit 74,3 % 64,5 % Parmi les personnes ayant subi des violences sexuelles durant leur vie, celles ayant été violées 51,1 % 20,8 % La même étude, publiée dans le Journal of the American Medical Association, évaluait à 1 310 000 le nombre de femmes et 760 000 le nombre d’hommes ayant subi des abus sexuels à l’échelle du pays12 . Le concept même de violences sexuelles peut faire l’objet de conceptions fausses ou réductrices. Sur le plan légal, une des définitions de référence est celle donnée par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en 1998 : « tout acte sexuel commis sur la personne d’autrui sous l’emprise de la coercition. L’acte de violence sexuelle, loin de se limiter à la pénétration physique du corps humain, peut comporter des actes qui ne consistent pas dans la pénétration ni même dans des contacts physiques13 ». Cette définition est parfaitement adaptée aux violences sexuelles contre les hommes. En effet, celles-ci sont souvent comprises à tort comme le seul viol anal commis directement par l’agresseur. En situations de conflit, de multiples formes d’abus ont été rapportées. De manière non exhaustive, on peut relever : !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 12. JOHNSON (Kirsten), SCOTT (Jennifer), RUGHITA (Bigy), KISIELEWSKI (Michael), ASHER (Jana), ONG (Ricardo) et LAWRY (Lynn), « Association of Sexual Violence and Human Rights Violations With Physical and Mental Health in Territories of the Eastern Democratic Republic of the Congo », The Journal of the American Medical Association, vol. 304, n°5, 2008, p. 553-562 (voir p. 558). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°06). 13. TPIR (chambre de première instance), Le Procureur contre Jean-Paul Akaseyu, affaire n°ICTR-96-4-T, para. 688, 2 septembre 1998. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°21).
  • 14. ! ! - 13 - $ les viols : individuels ou de masse, commis par un violeur ou en groupe, de façon opportuniste ou répétée. Ces viols incluent les pénétrations anales via le pénis des agresseurs, mais également les pénétrations par objet (bâton, matraque, arme blanche ou arme à feu, etc.) et les fellations forcées sur les agresseurs ; $ les relations et actes sexuels forcés. Ceux-ci sont souvent organisés par les agresseurs à titre de divertissement et peuvent prendre des formes diverses : automasturbation en public, accouplements ou actes sexuels contraints entre victimes (codétenus, amis, etc.). Dans les cas extrêmes, des relations sexuelles contraintes entre membres d’une même famille (de même sexe ou non : père et fils, père et fille, mère et fils, entre frères, entre frère et sœur, etc.), voire avec des cadavres ou des animaux ; $ les tortures et actes de violence ayant une dimension sexuelle, dont les atteintes aux parties génitales (coups, torture à l’électricité, etc.) ; $ les stérilisations forcées, incluant les mutilations des parties génitales et l’émasculation physique partielle ou complète ; $ l’exploitation sexuelle visant à mettre un ou plusieurs homme(s) à disposition d’un agresseur ou d’un groupe pour le satisfaire ; $ les humiliations à caractère sexuel (nudité forcée, insultes, moqueries) visant à dévaloriser la victime et à l’atteindre moralement dans son identité d’homme14 . En termes quantitatifs, la grande majorité des violences sexuelles commises en temps de guerre le sont par des hommes en armes sur des femmes. Il n’est pas question de le nier. Cependant, cette réalité ne doit pas être érigée en norme. Les faits prouvent au contraire qu’il n’existe pas de profils définis concernant ces exactions et que leurs acteurs, agresseurs et victimes, peuvent être des hommes ou des femmes, combattants comme civils. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 14. En conséquence, ce type d’épreuves est utilisé lors de formations à destination des forces spéciales militaires. Pour préparer au mieux les opérateurs aux risques de leurs missions futures, ceux-ci peuvent être soumis à ce genre de pressions lors de stages spécialisés simulant leur capture et leur interrogatoire (stages SERE pour Survival, Evasion, Resistance and Escape). Même sans violences physiques poussées, ces humiliations peuvent être profondément déstabilisantes (témoignage rapporté directement à l’un des rédacteurs de ce rapport).
  • 15. ! - 14 - Des hommes victimes… Comme les femmes, les hommes peuvent subir des violences sexuelles, indépendamment de leur taille, leur apparence ou leur orientation sexuelle. En situation de conflit, les caractéristiques physiques des acteurs ne rentrent pas en ligne de compte, l’agression étant souvent perpétrée par des groupes d’individus armés. Même un homme doté d’une grande force physique peut donc être mis en position de faiblesse et abusé. L’âge n’est pas non plus un facteur discriminant. En 2006, une jeune Ivoirienne rapportait à l’ONG Human Rights Watch (HRW) l’humiliation vécue par son grand-père : « Les rebelles… ont pris mon grand-père et ils l’ont frappé et ils l’ont mis complètement nu. C’était très honteux. Il pleurait15 ». Dans ce cas précis, l’outrage subi est amplifié par la négation par les agresseurs du principe de respect dont bénéficient traditionnellement les aînés dans les sociétés africaines. Enfin, le statut social ne protège pas des exactions, mais peut au contraire être un élément déclencheur ou aggravant : le fait d’humilier en public une autorité ou un notable respecté peut le décrédibiliser aux yeux de sa communauté. Ainsi, en Bosnie, un instituteur musulman a été violé par ses anciens élèves serbes devant tout le village réuni16 . En Afrique de l’Ouest ou en Afrique centrale, un chef de village abusé sexuellement a toutes les chances de perdre sa légitimité. Les combattants ne sont pas préservés, mais au contraire particulièrement exposés, quel que soit leur sexe. Prenant une part active au conflit, ils cristallisent la haine de l’ennemi plus que la population civile. En cas de capture, ils peuvent donc faire l’objet d’exactions extrêmes incluant les violences sexuelles. Selon les résultats d’une étude menée en 2008 au Libéria, les belligérants, hommes comme femmes, y ont été beaucoup plus soumis pendant le conflit que les civils : 42,3 % des femmes combattantes (contre 9,2 % des femmes non-combattantes) et 32,6 % des hommes combattants (contre 7,4 % des hommes non-combattants)17 . !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 15. HUMAN RIGHTS WATCH (HRW), Mon cœur est coupé : violences sexuelles commises par les forces rebelles et pro-gouvernementales en Côte d’Ivoire, vol. 19, 11-A, août 2007 (voir p. 42). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°18). 16. Cas rapporté lors de travaux menés par l’Unesco les 23 et 24 juin 1994 et cité dans : « Le viol comme arme de guerre (rapport de l'Unesco) », Confluences Méditerranée, n°64, 2007-2008, p. 99-104 (voir p. 103). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°22). 17.!JOHNSON (Kirsten), ASHER (Jana), ROSBOROUGH (Stephanie), RAJA (Amisha), PANJABI (Rajesh), BEADLING (Charles) et LAWRY (Lynn), « Association of Combatant Status and Sexual Violence with Health and Mental Health Outcomes in Postconflict Liberia », The Journal of the American Medical Association, vol. 300, n°6, 2008, p. 676-690 (voir p. 676). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°07).
  • 16. ! ! - 15 - … et des femmes bourreaux. Loin de se résumer à l’image du soudard en armes, le profil des agresseurs est lui aussi éclectique, ce qui bouscule une autre croyance : à l’instar des hommes, les femmes peuvent appeler, se livrer ou participer à des violences sexuelles. Comme l’a montré le cas de Pauline Nyiramasuhuko au Rwanda, cette implication peut se produire jusqu’à de hauts niveaux de responsabilités18 . Les exactions commises par des femmes peuvent être dirigées contre d’autres femmes ou contre des hommes : dans l’Est de la RDC en 2010, 41,1 % des femmes et 10 % des hommes ayant subi des violences sexuelles déclaraient que des femmes faisaient partie de leurs agresseurs19 . En 2011, Justine Masika, présidente du collectif congolais Synergie des femmes pour les victimes des violences sexuelles (SFVS), affirmait que des femmes pouvaient parfois violer des hommes par esprit de vengeance, les combattantes membres de groupes armés ayant souvent été elles-mêmes abusées. Elle citait le cas d’un homme violé par un groupe de femmes-soldats qui l’avaient drogué avant de l’agresser20 . Encore en RDC, des survivants ont rapporté à l’ONG Médecins sans frontières (MSF) qu’ils avaient été obligés d’avoir des rapports sexuels avec des femmes combattantes ou des surveillantes. La plupart de ces abus étaient commis publiquement à des fins d’humiliation21 . Ce phénomène n’est pas propre aux seuls conflits africains. Un soldat croate fait prisonnier par les Serbes en Croatie a rapporté l’émasculation infligée par une femme, membre des Tchetniks22 , à un autre captif avant que celui-ci soit exécuté sommairement : D’abord, ils ont saisi X et l’ont fait tomber sur la route. Il était le plus faible… Quatre hommes l’ont poussé à terre et ont maintenu sa tête, ses bras et ses jambes. Y s’est approchée de lui, elle avait un scalpel dans la main. Les hommes qui l’avaient poussé au sol ont enlevé son pantalon. Elle l’a castré. Nous devions regarder23 . !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 18. D’ethnie hutu, Pauline Nyiramasuhuko a exercé la fonction de ministre de la famille et de la promotion féminine de 1992 à 1994 au Rwanda. Pendant le génocide, elle a provoqué et organisé des violences sexuelles de masse et des massacres contre les femmes tutsi. En 2011, elle a été condamnée par le TPIR à la prison à vie pour entente en vue de commettre un génocide, génocide, extermination, viols, persécution, violence à la vie, autres actes inhumains et outrage à la dignité de la personne humaine. 19. JOHNSON (Kirsten), SCOTT (Jennifer), RUGHITA (Bigy), KISIELEWSKI (Michael), ASHER (Jana), ONG (Ricardo) et LAWRY (Lynn), op. cit. p. 12 (voir p. 558). 20. MURDOCH (Heather), « Rape in Congo Devastates Male Victims », Voice of America News, 17 novembre 2011. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°40). 21. MÉDECINS SANS FRONTIÈRES (MSF), Vies brisées, 2009 (voir p. 11). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°19). 22. Groupes paramilitaires serbes. 23. OOSTERHOFF (Pauline), ZWANIKKEN (Prisca) et KETTING (Evert), « Sexual Torture of Men in Croatia and Other Conflict Situations: An Open Secret », Reproductive Health Matters, 2004, p. 68-77 (voir p. 74, notre traduction). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°12).
  • 17. ! - 16 - Les violences sexuelles de guerre obéissent à des dynamiques particulières, différentes de celles des violences sexuelles communes. Par nature, elles sont intimement liées à leur contexte et de nombreux facteurs entrent en ligne de compte : la nature du conflit (politique, ethnique, religieuse, économique), les facteurs aggravants (déséquilibre ou rivalité entre communautés, violences antérieures), les événements déclencheurs (appels à la haine, massacres), la dimension socioculturelle (croyances communautaires)… Si certains agresseurs peuvent profiter des circonstances pour assouvir leurs instincts, il est clair que les conflits, par leur caractère extrême, donnent à ces abus une dimension qu’ils n’auraient pas eue en situation normale. Ce constat est particulièrement vrai pour les agressions visant les hommes. Les violences sexuelles utilisées comme méthode de guerre. L’instrumentalisation des violences sexuelles a été mise en évidence lors des guerres de Croatie (1991-1995) et de Bosnie (1992-1995). En 2012, la géographe Bénédicte Tratnjek les a définies à la fois comme arme de guerre (moyen utilisé contre l’« ennemi ») et comme tactique de guerre (modalité de combat œuvrant à des objectifs politiques et militaires)24 . Dans sa terminologie, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) privilégie quant à lui l’expression méthode de guerre. Les violences sexuelles visent alors à atteindre l’ « ennemi » dans son identité collective. Ce ne sont plus des individus qui sont ciblés, mais une communauté (politique, religieuse, ethnique), le sexe de la victime devenant un facteur secondaire. En 1994, Alexandra Stiglmayer décrivait le phénomène du viol de masse en Bosnie : « les femmes sont violées non parce qu’elles sont femmes, mais parce qu’elles sont musulmanes, croates ou serbes. Et c’est parce qu’elles sont femmes que les hommes utilisent contre elles leur arme la plus efficace : le viol25 ». !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 24. TRATNJEK (Bénédicte), « Le viol comme arme de guerre et la “géographie de la peur”. Violences extrêmes et inscription de la haine dans les territoires du quotidien », Revue Défense Nationale, rubrique Tribunes, n°249, 7 septembre 2012 (voir p. 2). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°17). 25. STIGLMAYER (Alexandra), « The rapes in Bosnia-Herzegovina », dans STIGLMAYER (Alexandra) (dir.), Mass Rape: The War Against Women in Bosnia-Herzegovina, Lincoln, University of Nebraska Press, 1994, p. 82-169.
  • 18. ! ! - 17 - Mises en œuvre dans cette logique, les violences sexuelles peuvent viser les hommes comme les femmes. Concernant les victimes masculines, les violences s’inscrivent souvent dans le cadre de la torture, dont elles constituent une des formes les plus extrêmes. En 2013, la psychologue Évelyne Josse a mis en lumière les liens étroits entre torture et violences sexuelles et les effets similaires de ces pratiques, qui « attaquent l’intégrité physique, psychologique et sociale des victimes ainsi que leur dignité et ont des effets durables de destruction identitaire26 ». Les violences sexuelles contre les détenus. Souvent, les abus sexuels contre les hommes sont commis dans le cadre carcéral. Bien que les conditions de détention diffèrent largement selon les pays, ce milieu est par nature propice aux agressions. La frustration due à l’enfermement, l’absence de femmes, l’instinct de domination et le besoin d’une hiérarchie de groupe lisible poussent certains hommes à en soumettre d’autres, y compris sur le plan sexuel. Dans les contextes politiques stables, la majorité de ces violences sont commises par des détenus sur d’autres détenus27 . En situations de conflit ou de répression brutale, ce schéma est bouleversé, les violences sexuelles différant fondamentalement par leur nature, leur finalité et leurs proportions. Dans ce contexte, ce sont les gardiens qui en deviennent les auteurs28 . Plusieurs facteurs peuvent contribuer à expliquer ce phénomène : $ l’effondrement des normes et valeurs sociales traditionnelles ; $ l’absence de cadre légal clair (arrestations arbitraires, détentions sans chef d’accusation ni durée d’internement définis, absence de défenseur, etc.) ; - le sentiment de toute-puissance et d’impunité que peuvent ressentir les gardiens ; - la recherche d’atteinte d’objectifs spécifiques, comme l’obtention de renseignement ; - dans certains cas, la volonté politique ou idéologique des autorités d’encourager les violences extrêmes (y compris sexuelles) à l’encontre des opposants ou de l’ennemi. Lors d’une enquête menée au Salvador auprès de 434 hommes détenus comme prisonniers politiques dans les années 1980, 76 % d’entre eux ont décrit au moins une expérience de torture sexuelle29 . !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 26. JOSSE (Évelyne), « Tortures et violences sexuelles dans les conflits armés, des liens étroits », Grotius International, 2 février 2013 (voir p. 7). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°37). 27. STEMPLE (Lara), op. cit. p. 10 (voir p. 611). 28. Ibid. 29. OOSTERHOFF (Pauline), ZWANIKKEN (Prisca) et KETTING (Evert), op. cit. p. 16 (voir p. 69).
  • 19. ! - 18 - L’exemple le plus marquant de ces dernières années, par l’ampleur des violences commises et leur médiatisation, a été celui de la prison irakienne d’Abu Ghraib en 2004 : !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 30. FRANÇOIS (Didier), « Des soldats spécialisés dans la sodomie », Libération, 10 mai 2004. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°33). 31. ZERNIKE (Kate), « Detainees Depict Abuses by Guard in Prison in Irak », New York Times, 12 janvier 2005. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°42). Le scandale d’Abu Ghraib. La prison centrale de Bagdad, aussi connue sous le nom de prison d’Abu Ghraib, a été dans les années 1980 et 1990 le principal centre de détention, torture et exécution des opposants politiques au régime de Saddam Hussein. Fermée en 2002, elle a été rouverte par les forces armées américaines en 2003 après leur invasion de l’Irak sous le nom de Baghdad Central Detention Center. Fin 2003 et début 2004, suite à des rapports de l’ONG Amnesty International (alertée par des militaires), l’attention des médias s’est focalisée sur les conditions de détention des prisonniers d’Abu Ghraib. Des articles de presse écrite et émissions de télévision ont dénoncé des tortures et violences sexuelles commises à l’encontre des détenus (principalement de sexe masculin) par les gardiens américains. Ces accusations étaient étayées par de nombreux témoignages et photographies. Un colonel irakien, détenu à Abu Ghraib pendant trois mois, a rapporté : Avant que ne débutent ces nouveaux interrogatoires, les gardiens t’emmenaient dans les bâtiments en dur, à côté de la section des femmes. C’est là qu’ont été prises les photos publiées dans la presse. Tu devais y rester vingt jours, entièrement nu, sans couverture. Les gardes y avaient tous les droits, humiliations, sévices, viols. Quand ils sortaient de là, les gars les plus forts, les plus courageux, étaient brisés, soumis 30 . Selon d’autres témoignages cités par le New York Times, des détenus étaient forcés à se masturber devant leurs gardiens, sodomisés avec des bâtons ou traînés au sol avec des cordes accrochées à leur pénis31 .
  • 20. Les violences sexuelles de confort. Cependant, vouloir inscrire systématiquement les violences sexuelles de guerre ou de crise dans une stratégie de destruction physique et/ou symbolique de l’ennemi peut être abusif. Dans certains cas, elles peuvent « simplement » viser à assouvir des pulsions individuelles ou collectives, sans forcément obéir à une logique politique. Moins qu’une arme de guerre ou qu’une stratégie pensée, ces violences sexuelles de « confort » permettent aux agresseurs de satisfaire des besoins considérés comme « naturels ». Le phénomène est particulièrement évident dans les cas impliquant des membres de forces militaires d’interposition, de rétablissement ou de maintien de la paix. Par la nature de leur mission, ceux-ci n’inscrivent pas leurs actions dans une logique d’avilissement ou d’anéantissement de l’autre. Pourtant, des accusations de manquements à caractère sexuel sont portées régulièrement à l’encontre de troupes de l’ONU ou d’autres forces sous mandat international. Ces mises en cause portent le plus souvent sur le sexe transactionnel (comme le recours aux prostitué(e)s) mais peuvent également concerner des agressions sexuelles, dont des viols, ciblant des hommes comme des femmes. Ces dernières années, le cas le plus significatif (car prouvé et jugé) est sans doute l’affaire Johnny Jean en Haïti. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 32. L’intéressée, Lynndie England, figurait sur de nombreuses photos de sévices. Elle a été condamnée le 27 septembre 2005 à trois ans d’emprisonnement pour conspiration, maltraitance et actes indécents. En 2012, elle a déclaré dans une interview n’éprouver a posteriori aucune compassion pour ses victimes et se plaignait de ne pas retrouver de travail à cause de son casier judiciaire. En 2005 et 2006, sur la base d’éléments accablants, onze militaires américains ont été condamnés en cour martiale à des peines allant jusqu’à dix ans de réclusion. Parmi les onze soldats condamnés figuraient deux femmes, l’une d’elles ayant pris une part active aux violences sexuelles infligées aux détenus masculins32 . La générale de brigade alors responsable de trois centres d’internement en Irak, dont celui d’Abu Ghraib, a été dégradée. Des similitudes ont été relevées entre les abus d’Abu Ghraib et l’expérience de Stanford, expérience de psychologie expérimentale controversée menée en 1971 par Philip Zimbardo. - 19 - !
  • 21. En juillet 2011, ce jeune homme de dix-huit ans avait été enlevé à Port-Salut, dans le Sud du pays, par des Marines uruguayens servant comme casques bleus de la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Après avoir été emmené dans leur base navale, il avait été maltraité et violé par quatre militaires33 . En janvier de la même année, deux policiers anti-émeute pakistanais de la MINUSTAH avaient déjà violé un garçon de quatorze ans34 . !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 33. La scène ayant été filmée par un des agresseurs avec un téléphone mobile, la vidéo du viol a circulé sur Internet. Les quatre Marines ont été jugés en Uruguay en 2013 et condamnés pour « violences privées », le viol et les violences sexuelles n’ayant pas été retenus comme chefs d’accusation. 34. U.S. DEPARTMENT OF STATE, 2012 Human Rights Reports: Haiti, 19 avril 2013 (voir p. 4). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°26). 35. L’homosexualité est condamnée à la fois par le Coran et le code pénal afghan. 36. Rapport de la Human Terrain Team (HTT) AF-6 (ISAF), Pashtun Sexuality, 2009 (voir p. 2). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°05). 37. Anecdotes rapportées directement par les témoins à l’un des rédacteurs sur le terrain en Afghanistan. L’exploitation sexuelle de « confort » : le cas de l’armée afghane. Au sein de la société afghane, et principalement chez les Pashtouns, les pratiques homosexuelles masculines, bien que passées sous silence35 , sont communes. Celles-ci ont plusieurs origines, parmi lesquelles l’impossibilité pour les jeunes hommes de côtoyer des femmes extérieures à leur famille avant de se marier, le coût très élevé des mariages selon les codes tribaux et la situation économique souvent précaire des jeunes Afghans36 . Cette réalité se retrouve au sein de l’armée nationale afghane (ANA). Les kandak (bataillons) comptent en général dans leurs rangs de jeunes recrues imberbes dont le rôle social consiste à satisfaire les besoins sexuels des hommes de l’unité. Des militaires français ayant travaillé quotidiennement avec les forces de sécurité locales ont été témoins de ces pratiques37 . Un sous-officier instructeur a ainsi constaté que, régulièrement, des soirées étaient organisées à huis clos entre militaires afghans, le jeune en question ayant été au préalable maquillé et habillé en femme. Un officier a quant à lui assisté à une punition collective brutale de soldats de l’ANA. Celle-ci avait pour origine des violences abusives de certains soldats à l’encontre du jeune de l’unité concernée. Celui-ci refusant de continuer à se plier au rituel, l’homologue afghan de l’officier français avait décidé de sanctionner l’ensemble de son personnel pour rétablir la discipline et préserver l’équilibre du groupe. - 20 - !
  • 22. ! ! - 21 - Enfin, en fonction du contexte socioculturel, les violences sexuelles peuvent avoir une dynamique plus inattendue. Certaines sont liées à des croyances communautaires, voire à des superstitions. De 2009 à 2011, Guillaume S. a travaillé dans l’Est de la RDC comme attaché de coopération pour l’ambassade de France. Il évoque le cas spécifique des viols commis sur les Pygmées au Nord-Kivu, Sud-Kivu et en Province orientale : Ces cas étaient courants et les viols visaient les hommes comme les femmes. Ils pouvaient être commis par des membres de groupes armés rebelles, comme ceux venus du Rwanda (d’ethnie tutsi), par des miliciens comme les Maï Maï, ou par des soldats mal encadrés de l’armée congolaise (FARDC). Le phénomène était lié aux superstitions locales. Selon une croyance répandue parmi les Bantou, le fait de violer un Pygmée permettrait de s’approprier ses pouvoirs magiques qui donnent une force surnaturelle, proche de l’invincibilité38 . !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 38. Entretien des rédacteurs, Paris, 23 octobre 2014. Ces pratiques faisant l’objet d’un non-dit absolu des militaires afghans vis-à-vis de leurs alliés occidentaux, les explications étaient le plus souvent apportées après coup par les interprètes.
  • 23. «“I’m laughed at”, Mr. Mukuli said. “The people in my village say: You are no longer a man. Those men in the bush made you their wife.”» Jeffrey Gettleman « Symbol of Unhealed Congo: Male Rape Victims »39 . *****! ! Par leur impact, les violences sexuelles diffèrent des autres types de violences communes en situations de conflit, comme les brutalités ou les actes de torture. Au-delà du traumatisme physique et psychologique subi par les victimes, ces exactions ont des conséquences sociétales graves à court, moyen et long termes. Certains effets sur les survivants sont comparables, qu’il s’agisse de femmes ou d’hommes. D’autres sont différents, la principale distinction portant sur la perception de l’identité sexuée de la victime. Suite à des abus sexuels, et en premier lieu un viol, une femme peut voir sa position et son rôle sociaux bouleversés. Épouse, elle peut être reniée par son mari. Mère, elle peut être rejetée par ses propres enfants. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 39. GETTLEMAN (Jeffrey), « Symbol of Unhealed Congo: Male Rape Victims », The New York Times, 4 août 2009. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°34). - 22 - !
  • 24. ! ! - 23 - Dans le cas des adolescentes, leur avenir est mis en question40 . Mais même déconsidérée ou mise au ban, la victime ne verra pas son identité de genre mise en cause. Dans le cas des survivants masculins, la conséquence la plus marquante est la négation de leur statut d’homme par la société, leur entourage et à leurs propres yeux. En 2011, Salomé Atim travaillait en Ouganda auprès des réfugiés congolais et prenait en charge une douzaine d’hommes violés chaque semaine. Elle expliquait alors : « Je reconnais les victimes de viol à l’odeur de sang et à la façon dont ils s’assoient, sur une fesse. Quand ils parlent aussi. Ils ne disent pas “J’ai été violé” mais plutôt “On m’a séquestré, on m’a maltraité, j’ai mal dans le bas du dos”41 ». De fait, comme les femmes, les hommes survivants peuvent souffrir de séquelles physiques et psychologiques graves. Conséquences physiques. Parmi les conséquences physiques possibles figurent : $ les dommages au rectum (souvent accompagnés de saignements abondants) et aux organes génitaux, qui peuvent nécessiter des interventions chirurgicales lourdes. Sans traitement adapté, les lésions graves entraînent souvent la mort ; $ les dysfonctions sexuelles : perte de libido, douleurs durant les rapports, troubles de l’érection allant jusqu’à l’impuissance complète ; $ les troubles psychosomatiques comme des maux de tête, des douleurs musculaires ou stomacales, ou des vomissements. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 40. Le phénomène de rejet et d’abandon est à relativiser en fonction du contexte culturel. La réaction de l’entourage pourra être différente, selon qu’il s’agisse de villageois africains ou bosniaques. Il sera plus souvent observable au sein de cultures où la femme porte l’honneur de la famille ou du clan. 41. DUMAS (Maryline), « Viols au Congo : “Le jour où ils ont fait de moi une femme” », Rue 89 - Le Nouvel Observateur, 2 août 2011. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°32).
  • 25. ! - 24 - Enfin, comme pour les femmes victimes, un risque majeur est la transmission d’infections sexuellement transmissibles (IST) et en premier lieu le VIH/Sida. Dans les années 2000, Chiara D. était travailleuse humanitaire dans un pays en conflit d’Amérique latine. Dans le cadre de sa mission, elle visitait les centres de détention. Elle rapporte : Lors d’une visite, un prisonnier m’a demandé si mon organisation pouvait fournir des préservatifs. À l’époque, j’étais naïve. J’ai demandé si les conjointes ne pouvaient pas en apporter lors des visites conjugales. Ce n’est qu’après que j’ai compris qu’il s’agissait de se protéger lors des rapports sexuels entre détenus masculins42 . Conséquences psychologiques. Les hommes victimes de violences sexuelles peuvent développer un trouble de stress post-traumatique (TSPT) composé de dysfonctionnements émotionnels, cognitifs, comportementaux et liés à la personnalité. Parmi les symptômes, on relève : la perte de l’estime de soi, l’état dépressif, les crises d’angoisse ou de désespoir, l’incapacité à gérer sa colère, le ressentiment et l’envie de vengeance, les sentiments de honte, d’humiliation et de culpabilité, les réminiscences (flashbacks), les cauchemars, les troubles du sommeil et de l’appétit, les phobies43 , la consommation de drogue et/ou d’alcool, les tendances suicidaires. Ces dérèglements affectent également l’entourage des victimes : un Croate torturé sexuellement pendant le conflit a décidé de demander une aide spécialisée après qu’il se soit retrouvé avec une poignée de cheveux de sa fille de cinq ans dans la main, sans pouvoir se souvenir des raisons de sa colère44 . Les séquelles psychologiques peuvent toucher les hommes ayant subi des abus, mais également ceux ayant été contraints d’en commettre. HRW cite le cas d’un Ivoirien recruté de force au sein de la rébellion. Le jour même de son enrôlement, il avait été obligé de violer une femme. L’épouse de cet homme témoignait de son traumatisme : Je crois que ce qu’il a vécu est quelque chose très, très – qui fait mal. Même moi qui suis là, même moi j’ai vu que ce qu’il a vécu, c’est pas bon. Pendant la nuit s’il dort, souvent il crie. Souvent je le réveille et je lui demande « on dit quoi ? ». Il explique les choses qui se sont passées. Il a des problèmes maintenant. Même si je pense à ce qu’il a vécu, ça me fait mal45 . !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 42. Entretien des rédacteurs, Genève, 29 octobre 2014. Pour des raisons de confidentialité, le prénom de l’intéressée a été modifié sur sa demande. 43. Phobie des contacts physiques, phobie des personnes en uniforme, claustrophobie, etc. 44. OOSTERHOFF (Pauline), ZWANIKKEN (Prisca) et KETTING (Evert), op. cit. p. 16 (voir p. 74). 45. HUMAN RIGHTS WATCH (HRW), op. cit. p. 14 (voir p. 38).
  • 26. ! ! - 25 - Un rapport de domination profondément lié à la hiérarchisation des genres. En temps de guerre, un homme torturé par l’ennemi pourra, s’il survit, trouver une forme de reconnaissance et de respect de la société, comme ce fut le cas des résistants français après la seconde guerre mondiale ou des fellagha algériens. Loin de légitimer leurs victimes, les agressions sexuelles ont l’effet inverse. Pour la psychologue Évelyne Josse, elles « corrompent l’identité sexuée des hommes et leur dérobent leur virilité. Elles produisent une mutation radicale dans la manière dont ils se perçoivent et induisent une modification des rapports sociaux au sein de la communauté46 ». Dans la plupart des cas, les abus visent à affirmer la force et la domination de l’agresseur sur la victime. Celle-ci est totalement dépouillée de son identité d’homme et placée en position de faiblesse absolue, comme le serait une femme selon les stéréotypes de genres47 . Dans les cas de viol, l’agresseur va déviriliser totalement la victime en la contraignant à la pénétration comme la subirait une femme48 . En cela, ces violences sont profondément liées aux rapports de genres : elles en utilisent les codes et la hiérarchie supposée pour imposer la dominance d’un individu sur un autre. En 2009, un survivant congolais rapportait les propos de ses agresseurs : « Nous allons vous montrer que vous êtes des femmes, que vous n’êtes pas des hommes comme nous49 ». Cette émasculation symbolique atteint profondément les survivants. Certains, à l’instar de victimes féminines, développent un sentiment de culpabilité et se demandent s’ils n’ont pas d’une certaine façon provoqué leur agression50 . !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 46. JOSSE (Évelyne), op. cit. p. 17 (voir p. 2). 47. COUTURIER (Don), « The Rape of Men: Eschewing Myths of Sexual Violence in War », On Politics, vol. 6, n°2, University of Victoria, automne 2012 (voir p. 8). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°02). 48. En RDC, les hommes victimes de viols de guerre sont surnommés les « épouses de brousse ». 49. Gender Against Men (Le genre contre les hommes), Refugee Law Project/Video Advocacy Unit, Ouganda, 2009, documentaire, 44 minutes (notre traduction de l’anglais). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°29). 50. SIVAKUMARAN (Sandesh), « Male/Male Rape and the “Taint” of Homosexuality », Human Rights Quarterly, vol. 27, n°4, 2005, p. 1274-1306 (voir p. 1290). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°14).
  • 27. ! - 26 - Le phénomène d’« homosexualisation » des victimes. En période de conflit, l’orientation sexuelle des acteurs n’a que peu d’influence sur les violences commises51 . Le plus souvent, elles le sont par des hétérosexuels sur des hétérosexuels. Même dans les cas de viols d’hommes par d’autres hommes, bien que l’acte soit « techniquement » homosexuel, ni l’agresseur ni la victime ne le perçoit comme tel. Par l’acte de pénétration, l’agresseur a fait la preuve de sa virilité qui ne peut donc pas être mise en doute52 . Sur le fait, la plupart des victimes masculines ne vivent pas non plus cette relation comme homosexuelle, au sens où elles ne doutent pas de l’hétérosexualité de leur agresseur, ni de la leur au moment où les violences se produisent. Cependant, principalement dans les pays du Sud, une des conséquences majeures de ce type d’exactions est la remise en cause de l’orientation sexuelle des hommes qui en ont été la cible. Dans de nombreuses sociétés patriarcales, dès lors qu’un homme a été la victime d’une agression sexuelle, il ne répond plus aux critères de puissance et de force attribués à son genre par la communauté. Or, il n’est pas non plus une femme, puisqu’il n’a pas les caractéristiques supposées du genre féminin (outre la faiblesse) et qu’il n’en a pas les attributs physiques. Par conséquent, aux yeux d’une société qui a besoin de classer ses membres, la construction de sa nouvelle identité passe par le rangement dans la catégorie des hommes non virils, comme sont souvent qualifiés les homosexuels. En effet, si l’homosexualité masculine est un tabou dans de nombreuses sociétés du Sud, elle est cependant une réalité sociale plus compréhensible et acceptable que le viol d’un homme hétérosexuel : il est plus confortable de penser que la victime ait été consentante et qu’elle soit donc logiquement un homosexuel « passif ». !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 51. A contrario, dans le milieu carcéral hors contexte de conflit, l’orientation sexuelle de la victime peut entrer en ligne de compte et multiplier la probabilité qu’elle soit abusée sexuellement. Selon le rapport « Sexual Victimization in Prisons and Jails Reported by Inmates, 2011-12 » du U.S. Department of Justice (mai 2013), 12,2 % des prisonniers homosexuels ont rapporté des abus sexuels par un autre prisonnier et 5,4 % par un membre du personnel pénitentiaire contre respectivement 1,2 % et 2,1 % des prisonniers hétérosexuels, soit plus de cinq fois plus (voir p. 18). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°25). 52. « The aggressive person (male role) isn't considered a homosexual, or bisexual. He's thought of as heterosexual. Only the passive (female role) is considered homosexual or bisexual.» - E.S., Mississippi, 21 octobre 1996. Extrait du verbatim du rapport de HRW « No Escape: Male Rape in US Prisons » (2001). Même si ce rapport ne traite pas des viols entre hommes en situations de conflit mais dans les prisons américaines, certaines analyses sur l’impact des agressions sont transposables aux situations traitées dans ce dossier.!
  • 28. ! ! - 27 - Certains survivants vont jusqu’à douter eux-mêmes de leur orientation sexuelle : ils se demandent parfois si le viol ne les a pas rendus homosexuels, comme si leur identité profonde avait été altérée par cet évènement non désiré53 . Certains chercheurs estiment que des viols répétés peuvent changer l’identité sexuelle d’un homme qui « abrite alors une femme violée dans un corps d’homme54 ». Par les abus qu’il a subis, l’homme victime se retrouve donc brutalement dépouillé de sa masculinité et des repères qui lui ont permis de se construire depuis l’enfance. Cette « crise existentielle » est aggravée par le contexte, les situations de conflit voyant les valeurs viriles s’exacerber. L’homme, assumant traditionnellement la fonction guerrière, est sensé pouvoir garantir protection à sa famille et à sa communauté. Un homme abusé, incapable de se protéger lui-même, n’aurait donc pas pu protéger ses proches. Pire encore : il aura été utilisé comme objet sexuel par d’autres hommes plus forts que lui. En cela, il est transformé en antithèse du héros de guerre, valeureux et courageux, icône sociale en temps de conflit. C’est alors sa raison d’être sociétale, dans toutes ses dimensions55 , qui est remise en question. Comme pour les femmes victimes, il peut en résulter un rejet par les proches (parents, frères et sœurs, épouse, enfants) qui redoutent que la honte rejaillisse sur l’ensemble du clan. Ce schéma s’est appliqué dans le cas de Patience, un réfugié qui déclarait avoir été mis à l’écart par sa femme et son frère après avoir révélé qu’il avait été violé : « Ils me soupçonnaient d’être homosexuel. Ils ne voulaient plus me parler56 ». !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 53. SIVAKUMARAN (Sandesh), op. cit. p. 25. 54. « Repeated homosexual rape causes the inmate victims to develop a new sexual identity. They now harbor a raped female in their male bodies. » (WEISS (Carl) & FRIAR (David James), Terror in the Prisons: Homosexual Rape and Why Society Condones It, Indianapolis, Bobbs-Merrill, 1974 (voir p. 74). Cité dans le rapport de HRW, op. cit. p. 11. 55. Fils, frère, époux ou futur époux, père ou futur père, membre de la communauté, etc. 56. IRIN, « DRC-Uganda: Male sexual abuse survivors living on the margins », 2 août 2011 (notre traduction). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°36).
  • 29. À la même époque, un autre survivant, Lukengo, témoignait : Vous m’auriez vu à cette époque, j’étais pâle et fin parce que je saignais de l’anus tout le temps. J’ai saigné. Je ne pouvais même pas marcher comme j’ai marché ici. J’ai saigné comme si l’anus était justement ouvert. Même quand j’ai fui dans la forêt, j’avais du sang. Je saignais, je saignais. Arrivé à Kampala, ça a commencé. C’était une semaine qui se passait bien, deux semaines du sang. Même si j’allais pas aux toilettes. Je me suis dit : « Mais moi, ma vie, ce n’était pas pareil ». Par rapport à cela, mon frère et ma sœur me haïssaient. Ils disaient (parce que là où j’étais, ça sentait mauvais, le sang) : « On ne peut pas vivre comme ça, tu vas nous donner des maladies, chacun va chercher sa vie »57 . Ce rejet de la sphère familiale est souvent suivi d’une désocialisation accélérée. Les hommes victimes peuvent être stigmatisés et ostracisés par la communauté entière : par leurs amis, leurs collègues, sur les lieux de loisirs, dans l’accès à l’emploi. Dans des cultures traditionnelles, au sein desquelles un des fondements de l’épanouissement de l’individu est sa reconnaissance par le groupe, la mort physique peut suivre cette « mort sociale » : sans recours, certains survivants se laissent mourir, ou développent des tendances suicidaires et mettent fin à leurs jours. Les hommes sont encore moins susceptibles de signaler les violences sexuelles dont ils ont été la cible que les femmes. Le poids de la honte et la crainte du rejet les dissuadent souvent de consulter un médecin ou de se plaindre auprès des autorités. De nombreuses victimes s’enfoncent dans le mutisme et l’isolement, ce qui contribue à leur désocialisation. Le plus souvent, elles ne demandent une aide spécialisée que lorsque les séquelles physiques sont graves et nécessitent une intervention chirurgicale d’urgence. Cela peut arriver jusqu’à plusieurs années après leur agression58 . !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 57. DUMAS (Maryline), op. cit. p. 23. 58. UNITED NATIONS HIGH COMMISSIONER FOR REFUGEES (UNHCR), Working with Men and Boy Survivors of Sexual and Gender-Based Violence in Forces Displacement, 2012 (voir p. 8). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°28). - 28 - !
  • 30. ! ! - 29 - Et même lorsqu’ils s’y décident, les survivants restent très discrets quant à leur situation. Certains y renoncent pour des raisons économiques : les opérations chirurgicales réparatrices sont lourdes et entraînent une immobilisation de longue durée. Les hommes victimes étant souvent soit chargés de famille soit isolés (comme dans le cas de nombreux réfugiés), ils ne peuvent pas se le permettre financièrement. En 2011, un homme de vingt-huit ans expliquait : « Se faire opérer sous-entend arrêter de travailler quelques temps. Je n’ai pas de famille pour s’occuper de moi. Personne pour aller me chercher à manger, pour payer mon loyer si je ne peux pas bouger59 ». Dans des contextes législatifs répressifs, le soupçon d’homosexualité vis-à-vis des victimes créé également un risque de « double peine ». En effet, l’homosexualité est criminalisée par plus de soixante-dix États à travers le monde, dont trente-huit en Afrique60 et on assiste dans certains pays à des tentatives de durcissement de la législation61 . C’est le cas de l’Ouganda, où sont réfugiés plus de 200 000 Congolais ayant fui le conflit. Si leur histoire était révélée, les survivants pourraient donc se voir accuser d’homosexualité et avoir à faire face au système judiciaire local. Cette conspiration du silence, dans laquelle se retrouvent les agresseurs et les victimes, explique le manque criant de données sur lesquelles pourraient s’appuyer les thérapeutes et les chercheurs. Le phénomène est encore aggravé par l’insécurité dans laquelle vivent les survivants, certains agresseurs cherchant à retrouver leurs victimes pour les faire taire. L’omerta entretenue sur le sujet laisse à penser que l’ampleur des violences sexuelles de guerre contre les hommes pourrait être largement sous-évaluée. Comme le conclut l’étude d’Oosterhoff, Zwanikken et Ketting sur la torture sexuelle des hommes en Croatie et lors d’autres conflits, « le silence qui entoure les tortures sexuelles masculines […] tranche étrangement avec la nature publique des crimes62 ». !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 59. DUMAS (Maryline), op. cit. p. 23. 60. Dans dix pays, les homosexuels risquent la peine de mort : Afghanistan, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Iran, Mauritanie, Soudan, Yémen, Nigéria et Somalie (dans les zones où la charia est appliquée), Somaliland (non reconnu par la communauté internationale). 61. BOZONNET (Charlotte), « En Afrique, l’homosexualité hors la loi », Le Monde, 14 février 2014.. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°30). 62. OOSTERHOFF (Pauline), ZWANIKKEN (Prisca) et KETTING (Evert), op. cit. p. 16 (voir p. 77).
  • 31. « As I leave Uganda, there's a detail of a story that I can't forget. Before receiving help from the RLP, one man went to see his local doctor. He told him he had been raped four times, that he was injured and depressed and his wife had threatened to leave him. The doctor gave him a Panadol 63 . » Will Storr « The rape of men: the darkest secret of war »64 . ! *****! ! Le phénomène de violences sexuelles de masse a été mis en lumière au début des années 1990, suite aux excès des conflits des Balkans et du génocide rwandais. Dans les pays occidentaux, l’ampleur et le caractère extrême des exactions perpétrées ont alors frappé les esprits. Cette prise de conscience a coïncidé avec la réflexion sur la prise en compte des questions de genre et leur reconnaissance au niveau international : création du Fonds de développement des Nations unies pour la femme (1991), conférence de Pékin (1995). !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 63. Antalgique sans ordonnance, de type Doliprane. 64. STORR (Will), « The rape of men: The darkest secret of war », The Guardian, 17 juillet 2011. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°41). - 30 - !
  • 32. ! ! - 31 - En réponse, les agences spécialisées des Nations unies et des centaines d’ONG ont développé des programmes de prévention et de soutien aux victimes. Cependant, la grande majorité des personnes affectées étant des femmes, les stratégies élaborées l’ont été dans une logique « féminocentrée ». Dans ce schéma, la femme a été systématiquement et « naturellement » considérée comme la victime et l’homme comme l’agresseur. Cette approche (elle-même marquée par les stéréotypes de genre) a eu pour conséquence le désintérêt pour le phénomène des hommes victimes, celui-ci constituant un non-sens dans la pensée générale. En 2001, la chercheuse américaine Augusta DelZotto avait recensé 4 076 ONG traitant les viols de guerre et autres formes de violence sexuelle politique. Seules 3 % de ces organisations faisaient mention des victimes masculines dans leurs programmes ou leurs documents d’information65 . Une des conséquences les plus marquantes de ce manque d’intérêt est donc l’absence, chez la plupart des organisations et agences humanitaires, de programmes d’aide ou de structures d’accueil adaptés aux survivants masculins. En général, les officiers de protection (Protection Officers) spécialisés en genre ont été préparés à prendre en charge les femmes abusées, mais n’ont pas reçu de formation spécifique sur le traitement des hommes et leurs besoins. Ainsi, les hommes demandant un soutien essuient souvent un refus de la part d’organisations humanitaires. Le problème est le même pour les campagnes de prévention et les financements : le phénomène n’étant pas reconnu, il n’y a pas de lignes pour financer des programmes, au contraire des stratégies à destination des femmes, qui bénéficient de fonds multiples et conséquents. En 2014, un groupe de victimes, le Men of Hope Refugee Association in Uganda (MOHRAU) a dénoncé la situation dans un rapport et réclamé un ensemble de mesures66 . !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 65. DELZOTTO (Augusta) & JONES (Adam), op. cit. p. 8 (voir p. 7). 66. REFUGEE LAW PROJECT (RLP), Male Survivors of Sexual Violence in Kampala Demand for Better Services, 2014. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°20).!
  • 33. ! - 32 - Mais au-delà du défaut de formation ou de procédures, c’est le manque d’écoute et l’impression d’indifférence générale quant à leur drame qui marque les hommes victimes. En 2009, en Ouganda, un survivant s’est rendu dans un centre de l’UNHCR67 . Il avait été violé à de nombreuses reprises par des soldats. L’homme était accompagné de sa sœur, qui avait également été abusée. Il rapportait : Ils ont beaucoup plus parlé du viol de ma sœur que de mon cas. J’ai été torturé, j’ai été violé. Mais ils croient que le viol n’est pas commis sur les hommes. C’est ce que j’ai pu observer. […]. Quand vous expliquez ce problème, les gens ne vous écoutent pas. Ils n’écoutent pas. Ils sont indifférents. J’ai eu la malchance d’être interrogé par des officiers de protection féminins qui étaient incapables de saisir que j’étais une victime de viol. Et ça crée un plus grand traumatisme68 . Sans recours, des victimes renoncent à demander de l’aide et meurent des suites de leurs blessures. Eunice Owiny, conseillère en soutien psychologique ougandaise, résume ainsi la situation : « Il y a un couple marié. L’homme a été violé, la femme a été violée. Pour la femme, il est facile de parler. Elle obtient un traitement médical, elle obtient de l’attention, elle est soutenue par tellement d’organisations. Mais l’homme reste enfermé, en train de mourir69 ». En 2012, une fiche de lecture se concluait par la phrase suivante : « La lutte contre les violences sexuelles est d’abord un combat pour la reconnaissance d’égalité entre homme et femme vu la sexo-spécificité de ce crime en général70 ». Cette assertion est révélatrice du « dogmatisme » qui entoure la question des violences sexuelles de guerre. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 67. United Nations High Commissioner for Refugees (Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés). 68. Gender Against Men (Le genre contre les hommes), Refugee Law Project/Video Advocacy Unit, Ouganda, 2009, documentaire, 44 minutes (notre traduction de l’anglais). Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°29). 69. STORR (Will), op. cit. p. 30. 70. Fiche de lecture anonyme consacrée à l’ouvrage suivant : GUENIVET (Karima), Violences sexuelles : la nouvelle arme de guerre, Paris, Éd. Michalon, 2001. Le document est disponible à l’adresse suivante : <http://www.youscribe.com/catalogue/ressources-pedagogiques/education/fiches-de-lecture/fiche-de-lecture- guenivet-les-violences-sexuelles-1410786>.
  • 34. ! ! - 33 - Le plus souvent, le phénomène des hommes victimes est ignoré, sciemment ou par manque d’information. Dans les cas les plus graves, il est minimisé voire nié, ce qui pourrait être assimilé à de la discrimination entre les victimes, contraire au principe humanitaire d’impartialité. Le médecin britannique Chris Nolan est le directeur du Refugee Law Project (RLP), un centre d’aide aux réfugiés basé à Kampala, en Ouganda. Confronté à cette réalité sur le terrain, il est devenu un militant de la reconnaissance des violences sexuelles faites aux hommes. En 2011, il déclarait au Guardian : « les ONG travaillant sur la violence liée au genre (gender-based violence) font systématiquement silence sur ces violences contre les hommes, ou exceptionnellement les mentionnent brièvement à la fin d’un rapport ». Il rapportait qu’un des bailleurs de fonds du RLP (l’ONG Oxfam Novib, branche danoise de la confédération d’ONG Oxfam) avait menacé de cesser son soutien financier au centre si au moins 70 % des victimes traitées par le centre n’étaient pas des femmes71 . Cette exigence aurait pu se justifier si chaque structure d’accueil et de traitement avait appliqué la même politique. Ce n’était pas le cas : en Ouganda, le RLP était un des seuls centres proposant un soutien aux hommes abusés. En 2007, la juriste et universitaire américaine Lara Stemple, spécialiste des droits de l’Homme, a consacré une étude aux viols sur les hommes72 . En 2011, elle dénonçait « un discours constant suivant lequel les femmes sont les victimes des viols » et un milieu au sein duquel les hommes sont considérés comme une « classe monolithique d’agresseurs »73 . La même année, le sociologue et chercheur français Marc Le Pape faisait de son côté le constat suivant : Ce point de vue critique est partagé par tous les auteurs, femmes et hommes, qui ont tenté et tentent de faire reconnaître l’existence des sévices sexuels contre les hommes en temps de guerre : la perception en termes de genre a eu pour effet de focaliser l’attention sur les femmes victimes et de restreindre aux femmes la définition du viol, ignorant ainsi « le fait que les hommes peuvent être faibles et vulnérables »74 . !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 71. STORR (Will), op. cit. p. 30 (notre traduction). 72. STEMPLE (Lara), op. cit. p. 10. 73. STORR (Will), supra (notre traduction). 74. LE PAPE (Marc), « Viols en temps de guerre : les hommes aussi », Issues de secours, 1er décembre 2011. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°38).
  • 35. ! - 34 - Ce traitement différencié peut n’être pas le seul fait des sphères médicale et humanitaire, mais également des autorités légales. Cela est clair dans le cas de la reconnaissance officielle apportée aux victimes sexuelles de la guerre de libération du Bangladesh en 1971, phénomène étudié par l’anthropologue sociale Nayanika Mookherjee. Celle-ci a écrit : À la fin de la guerre, plutôt que d’étouffer la question du viol, le gouvernement bengali décida de nommer publiquement birangonas (« héroïnes de guerre ») les femmes de tous milieux socioéconomiques qui avaient été violées par des soldats pakistanais, afin d’éviter leur stigmatisation sociale et favoriser leur réhabilitation. En revanche, c’est exactement l’opposé qui se produisit pour les victimes masculines de viols, dont les témoignages n’intéressèrent que quelques chercheurs75 . Dans de nombreux pays, le vide juridique entourant les violences sexuelles contre les hommes constitue également un obstacle à la reconnaissance des victimes. En 2014, une étude menée sur les codes pénaux de 189 États a révélé un manque de protection légale pour les hommes abusés76 . Combinée avec les données de la Banque mondiale et de l’International Institute of Strategic Studies Armed Conflict Database, cette recherche a mis en évidence que, sur le plan légal, : $ 90 % des hommes vivant dans des zones de conflit ne bénéficient d’aucune protection s’ils sont victimes de violences sexuelles ; $ dans 63 pays (représentant presque les deux-tiers de la population mondiale), seules les femmes sont reconnues comme possibles victimes de viols ; $ dans 70 pays, les hommes rapportant des abus peuvent être poursuivis ; $ dans 28 pays, seuls les hommes sont reconnus comme possibles agresseurs sexuels77 . Outre la pression sociale, cette absence de protection et de reconnaissance officielles de leur statut de victime dissuade souvent les survivants de s’adresser aux autorités ou de demander un soutien, traitement médical ou thérapie. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 75. MOOKHERJEE (Nayanika), « “Héroïnes de guerre” et hommes oubliés de la guerre de libération du Bangladesh », dans BRANCHE (R.) & VIRGILI (F.) (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011, p. 91-105 (voir p. 94). 76. DOLAN (Chris), op. cit. p. 9 (voir p. 5-9). 77. Ibid.
  • 36. ! ! - 35 - Une solution semblerait résider dans l’adoption par les États d’une législation neutre en termes de genres concernant les violences sexuelles, à l’image de l’Afrique du Sud. En 2007, celle-ci a adopté le South Africa Criminal Law Amendment Act 32, inspiré par le Statut de Rome78 . Destinée à assurer la protection la plus large à toutes les victimes de viol, cette loi décrit en détail le crime, sans référence au sexe des acteurs, et va jusqu’à inclure les relations sexuelles forcées avec des animaux : « Any person (a) who unlawfully and intentionally commits an act of sexual penetration with a complainant (b), without the consent of B is guilty of the offence rape ». « Sexual Penetration includes any act which causes penetration to any extent whatsoever by – a) the genital organs of one person into or beyond the genital organs, anus, or mouth of another person; b) any other part of the body of one person or, any object including any part of the body of an animal, into or beyond the genital organs or anus of another person; c) the genital organs of an animal, into or beyond the mouth of another ». En 2009, l’unité de plaidoyer du RLP a réalisé le documentaire Gender Against Men. L’objectif de ce film était d’attirer l’attention sur les bouleversements dans les relations de genres chez les réfugiés et les violences sexuelles faites aux hommes, en pleine explosion à l’Est de la RDC79 . Jusqu’alors, cette problématique ne soulevait l’intérêt que de quelques chercheurs et thérapeutes (hommes comme femmes) engagés et désireux de faire « bouger les lignes ». En 2010 et 2011, leur activisme a suscité l’attention de médias reconnus, comme le Guardian et le New York Times, qui ont consacré des articles au sujet. Cette médiatisation soudaine du phénomène a entraîné un sursaut de la communauté humanitaire. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 78. Texte fondateur et base légale de la Cour pénale international (CPI), le Statut de Rome est un modèle de législation neutre en termes de genres. Il précise clairement que les viols peuvent être commis par et sur des hommes et des femmes. 79. Gender Against Men (Le genre contre les hommes), Refugee Law Project/Video Advocacy Unit, Ouganda, 2009, documentaire, 44 minutes. Le film a reçu le prix du meilleur documentaire du Kenya International Film Festival en 2009. Il est disponible en intégralité (44 minutes) sur le DVD fourni en annexe (référence n°29).
  • 37. ! - 36 - Ainsi, en 2012, l’UNHCR, qui avait été directement mis en cause dans le documentaire Gender Against Men et dans un article du Guardian, a publié un manuel spécifique, destiné à ses officiers de protection et rédigé en partenariat avec les spécialistes du RLP80 . Cependant, à ce jour, ce guide semble être le seul document technique consacré à cette question et représente la seule avancée quant à la formation des acteurs de terrain. La réflexion sur le sujet avait pourtant été initiée plus tôt : en 2008, UNOCHA81 , via son bureau d’études et d’élaboration des politiques, avait créé un groupe de travail dédié. Celui-ci avait rédigé un document de synthèse (cinq pages sans la bibliographie) appelant à une meilleure étude de cette problématique82 . Il ne semble pas que cette initiative ait abouti à des mesures concrètes et contraignantes. Le dernier plaidoyer international marquant date du Sommet mondial pour mettre fin aux violences sexuelles dans les conflits, qui s’est tenu à Londres en juin 2014. Dans une communication officielle, Valerie Amos, secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et coordinatrice des secours d’urgence des Nations unies, a insisté sur la question des violences infligées aux hommes et aux enfants (les « victimes cachées ») et souligné la nécessité de leur apporter une réponse adaptée83 . Reste à savoir si les déclarations seront suivies d’effets. De fait, sur cette question (comme sur de nombreuses thématiques liées au genre), les rares avancées semblent plus être dues à des initiatives d’acteurs investis (personnelles ou collectives) et à une pression médiatique ponctuelle qu’à une réelle prise de conscience et volonté des décideurs. En général, les mesures adoptées restent d’ordre symbolique. Une véritable prise en compte des hommes abusés nécessiterait en effet une remise en question des schémas intellectuels liés aux genres, qui régissent les politiques d’aide aux victimes depuis les années 1990. Non pas une évolution, mais une révolution. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 80. UNITED NATIONS HIGH COMMISSIONER FOR REFUGEES (UNHCR), op. cit. p. 28. 81. United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies). 82. UNITED NATIONS OFFICE FOR THE COORDINATION OF HUMANITARIAN AFFAIRS (OCHA) (POLICY DEVELOPMENT AND STUDIES BRANCH), Discussion Paper 2: the Nature, Scope and Motivation for Sexual Violence Against Men and Boys in Conflict, 20 juin 2008. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°23). 83. UNITED NATIONS OFFICE FOR THE COORDINATION OF HUMANITARIAN AFFAIRS (OCHA), Under-Secretary- General for Humanitarian Affairs and Emergency Relief Coordinator, Valerie Amos: Remarks to the Global Summit to End Sexual Violence in Conflict – Ministerial Dialogue on the Hidden Victims of Sexual Violence, 12 juin 2014. Référence disponible sur le DVD fourni en annexe (référence n°24). !
  • 38. ! ! - 37 - « On juge un monde que l’on refuse de connaître et le jugement devient un moyen de refuser de le connaître ». Judith Butler Ce qui fait une vie. Essai sur la violence, la guerre et le deuil. ! *****! Aujourd’hui, même dans les pays occidentaux, l’approche de genre est trop peu souvent prise en compte, qu’il s’agisse des politiques publiques, de la société civile, des entreprises ou de la sphère privée. Quand elle l’est, en général, ce n’est pas sous un angle neutre, mais « féminocentré ». Cette logique peut se justifier, tant il est évident que dans de nombreuses sociétés et dans de nombreux domaines, la pression (voire l’oppression) sociale est exercée par les hommes sur les femmes. Depuis plus de vingt ans, la réponse aux violences sexuelles de conflit a été élaborée en fonction de ce paradigme. Pourtant, elles y échappent. Complexes par nature, elles sortent des grilles de lecture habituelles. Par leur caractère aveugle, extrême et dérangeant, elles interrogent sur la notion même d’humanité. Basées sur des rapports de domination, elles sont intimement liées aux relations de genres, tout en en bousculant les stéréotypes : tout individu peut être frappé, indépendamment de son sexe. Elles suscitent également une réflexion sur les réponses apportées à ces problématiques, quand celles-ci sont abordées de manière partiale
  • 39. ! - 38 - ou simpliste. Dans ce cas précis, ayant été appliqués de manière normative voire dogmatique, les schémas d’analyse des rapports entre genres semblent en effet avoir abouti à une différence de traitement flagrante, créant une « réalité sous silence ». Au-delà des croyances et des stéréotypes, les violences sexuelles de conflit doivent être appréhendées dans toutes leurs dimensions et faire l’objet d’une analyse globale, neutre et pragmatique, non pas gouvernée par un tropisme lié au genre, mais centrée sur les personnes affectées et leur histoire. Les séquelles sur les victimes, hommes ou femmes, peuvent être différentes mais sont comparables en gravité, qu’elles soient personnelles ou sociétales. En conséquence, si les approches et procédures peuvent êtres adaptées en fonction du sexe de la victime, la qualité du soutien doit être la même. Il ne s’agit plus là de débats sur l’égalité des genres, mais simplement d’équité et d’honnêteté intellectuelle. Car aucune victime ne mérite d’être abandonnée. Au vu de la profondeur des traumatismes subis, chacune devrait avoir droit à une reconnaissance, un regard attentif et une réponse appropriée.
  • 40. ! ! - 39 - RÉFÉRENCE Réf. DVD d’annexes BRANCHE (Raphaëlle) & VIRGILI (Fabrice) (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, éd. Payot & Rivages, 2013, 359 p. Ø MEZEY (Gillian) et KING (Michael), Male Victims of Sexual Assault, Oxford, Oxford University Press, 2000, 176 p. Ø STIGLMAYER (Alexandra) (dir.), Mass Rape: The War Against Women in Bosnia-Herzegovina, Lincoln, University of Nebraska Press, 1994, 234 p. Ø WEISS (Carl) et FRIAR (David James), Terror in the Prisons: Homosexual Rape and Why Society Condones It, Indianapolis, Bobbs-Merrill, 1974, 247 p. Ø RÉFÉRENCE Réf. DVD d’annexes AKERØ (Lisa Maria), The male gender perspective in Disaster Response, mémoire de Master, université de Copenhague, 2012. 01 COUTURIER (Don), « The Rape of Men: Eschewing Myths of Sexual Violence in War », On Politics (University of Victoria), vol. 6, No 2, automne 2012. 02 DELZOTTO (Augusta) et JONES (Adam), Male-on-Male Sexual Violence in Wartime: Human Rights’ Last Taboo?, 2002. 03 DOLAN (Chris), Into the mainstream: Addressing sexual violence against men and boys in conflict, 2014. 04 HUMAN TERRAIN TEAM (HTT) AF-6 (ISAF), Pashtun Sexuality, 2009 (document non classifié). 05 JOHNSON (Kirsten), SCOTT (Jennifer), RUGHITA (Bigy), KISIELEWSKI (Michael), ASHER (Jana), ONG (Ricardo) et LAWRY (Lynn), « Association of Sexual 06
  • 41. ! - 40 - Violence and Human Rights Violations With Physical and Mental Health in Territories of the Eastern Democratic Republic of the Congo », The Journal of the American Medical Association, vol. 304, n°5, 2008, p. 553-562. JOHNSON (Kirsten), ASHER (Jana), ROSBOROUGH (Stephanie), RAJA (Amisha), PANJABI (Rajesh), BEADLING (Charles) et LAWRY (Lynn), « Association of Combatant Status and Sexual Violence with Health and Mental Health Outcomes in Postconflict Liberia », The Journal of the American Medical Association, vol. 300, n°6, 2008, p. 676-690. 07 JOSSE (Évelyne), Les violences sexospécifiques et sexuelles à l’égard des hommes, 2007. 08 LE PAPE (Marc), « Viol d'hommes, masculinités et conflits armés », Cahiers d'études africaines, 2013/1, n° 209-210, p. 201-215. 09 MOOKHERJEE (Nayanika), « The absent piece of skin: Gendered, racialized and territorial inscription of sexual violence during the Bangladesh war », Modern Asian studies, 46 (6), 2012, p. 1572-1601. 10 MUDROVČIĆ (Željka), « Sexual and Gender-Based Violence in Post-Conflict Regions: The Bosnia and Herzegovina Case », dans UNFPA, The Impact of Conflict on Women and Girls: A UNFPA Strategy for Gender Mainstreaming in Areas of Conflict and Reconstruction, 2002, p. 60-76. 11 OOSTERHOFF (Pauline), ZWANIKKEN (Prisca) & KETTING (Evert), « Sexual Torture of Men in Croatia and Other Conflict Situations: An Open Secret », Reproductive Health Matters, 12 (23), 2004, p. 68-77. 12 PEEL (Michael), Rape as a Method of Torture, Medical Foundation for the care of victims of torture, 2004. 13 SIVAKUMARAN (Sandesh), « Male/Male Rape and the “Taint” of Homosexuality », Human Rights Quarterly, vol. 27, n°4, 2005, p. 1274-1306. 14 SIVAKUMARAN (Sandesh), « Sexual Violence Against Men in Armed Conflicts », European Journal of International Law, vol. 18, n°2, 2007, p. 253-276. 15 STEMPLE (Lara), « Male Rape and Human Rights », Hastings Law Journal, n°60, 2008, p. 605-647. 16 TRATNJEK (Bénédicte), « Le viol comme arme de guerre et la “géographie de la peur”. Violences extrêmes et inscription de la haine dans les territoires du quotidien », Revue Défense Nationale, rubrique Tribunes, n°249, 7 septembre 2012. 17 RÉFÉRENCE Réf. DVD d’annexes HUMAN RIGHTS WATCH (HRW), No Escape: Male Rape in US Prisons, 2001. Ø HUMAN RIGHTS WATCH (HRW), Mon cœur est coupé : violences sexuelles commises par les forces rebelles et pro-gouvernementales en Côte d’Ivoire, vol. 19, 11-A, août 2007. 18 MÉDECINS SANS FRONTIÈRES (MSF), Vies brisées, 2009. 19 REFUGEE LAW PROJECT (RLP), Male Survivors of Sexual Violence in Kampala Demand for Better Services, 2014. 20 TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA (TPIR) (chambre de première instance), Le Procureur contre Jean-Paul Akaseyu, affaire n°ICTR-96- 4-T, 2 septembre 1998. 21 UNESCO, « Le viol comme arme de guerre », Confluences Méditerranée, n°64, 2007-2008, p. 99-104. 22
  • 42. ! ! - 41 - UNITED NATIONS OFFICE FOR THE COORDINATION OF HUMANITARIAN AFFAIRS (UNOCHA) (POLICY DEVELOPMENT AND STUDIES BRANCH), Discussion Paper 2: the Nature, Scope and Motivation for Sexual Violence Against Men and Boys in Conflict, 20 juin 2008. 23 UNITED NATIONS OFFICE FOR THE COORDINATION OF HUMANITARIAN AFFAIRS (UNOCHA), Under-Secretary-General for Humanitarian Affairs and Emergency Relief Coordinator, Valerie Amos: Remarks to the Global Summit to End Sexual Violence in Conflict – Ministerial Dialogue on the Hidden Victims of Sexual Violence, 12 juin 2014. 24 U.S. DEPARTMENT OF JUSTICE, Sexual Victimization in Prisons and Jails Reported by Inmates, 2011-12, 2013. 25 U.S. DEPARTMENT OF STATE, 2012 Human Rights Reports: Haiti, 19 avril 2013. 26 WORLD HEALTH ORGANIZATION (WHO), World Report on Violence and Health, 2002. 27 RÉFÉRENCE Réf. DVD d’annexes UNITED NATIONS HIGH COMMISSIONER FOR REFUGEES (UNHCR), Working with Men and Boy Survivors of Sexual and Gender-Based Violence in Forced Displacement, 2012. 28 RÉFÉRENCE Réf. DVD d’annexes Gender Against Men (Le genre contre les hommes), Refugee Law Project/Video Advocacy Unit, Ouganda, 2009, documentaire, 44 minutes. 29 RÉFÉRENCE Réf. DVD d’annexes BOZONNET (Charlotte), « En Afrique, l’homosexualité hors la loi », Le Monde, 14 février 2014). 30 BRESSIN (Tiphaine), « Viols masculins vs viols féminins », Minorités, 29 mai 2011. 31 DUMAS (Maryline), « Viols au Congo : “Le jour où ils ont fait de moi une femme”», Rue 89 - Le Nouvel Observateur, 2 août 2011. 32 FRANÇOIS (Didier), « Des soldats spécialisés dans la sodomie », Libération, 10 mai 2004. 33 GETTLEMAN (Jeffrey), « Symbol of Unhealed Congo: Male Rape Victims », The New York Times, 4 août 2009. 34 GRIMM-GOBAT (Geneviève), « Le viol des hommes », Largeur.com, 13 août 2009. 35 IRIN, « DRC-Uganda: Male sexual abuse survivors living on the margins », 2 août 2011. 36
  • 43. ! - 42 - JOSSE (Évelyne), « Tortures et violences sexuelles dans les conflits armés, des liens étroits », Grotius International, 2 février 2013. 37 LE PAPE (Marc), « Viols en temps de guerre : les hommes aussi », Issues de secours, 1er décembre 2011. 38 LE PAPE (Marc), « Le viol des hommes : analyse de commentaires », Issues de secours, 2 février 2012. 39 MURDOCH (Heather), « Rape in Congo Devastates Male Victims », Voice of America News, 17 novembre 2011. 40 STORR (Will), « The rape of men: The darkest secret of war », The Guardian, 17 juillet 2011. 41 ZERNIKE (Kate), « Detainees Depict Abuses by Guard in Prison in Irak », New York Times, 12 janvier 2005. 42 !