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Chroniques de Fouesnant - wber
1. Yvonne NICOLAS
« Le symbole »
(Dit aussi « ar vuoc’h », la
vache)
Madame QUÉMÉRÉ-JAOUEN, qui nous a quittés en décembre 2001, fut dès la
première heure une adhérente enthousiaste de Foen Izella. Si elle a laissé surtout le souvenir
de son ardent combat pour la protection de l’environnement fouesnantais, il faut par ailleurs
noter que son action pour la langue et la culture bretonnes lui a valu de recevoir en 1989 le
« Collier de l’Hermine », distinction décernée par l’Institut Culturel de Bretagne.
Nous lui devons le texte suivant, qui évoque un épisode de son enfance.
Ma mère (veuve à 29 ans) possédait le magasin au 2, rue du Roi Gradlon, actuellement
tenu par mon gérant, Gweltas ar Fur. Comme je n’avais que huit mois à la mort de mon père,
je fus élevée jusqu’à mes douze ans par ma grand-mère qui avait, au bourg de Kerfeunteun, à
un kilomètre de la cathédrale, un atelier de couture pour les personnes, nombreuses à cette
époque, qui portaient le costume breton. Elle avait onze ouvrières et c’est dans son atelier
qu’ont été brodés les plus beaux costumes de mariage de la région de Kemper.
Vers 1913 : Le petit garçon n’est autre que…Maryvonne JAOUEN,
qui devait devenir Madame QUEMERE
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2. A Kemper, ville bourgeoise ou embourgeoisée la langue française dominait, tandis
qu’à Kerfeunteun, une commune rurale, c’est le breton qui était surtout parlé
Jusqu’à ce que j’aille à l’école, vers l’âge de six ou sept ans, je ne m’en souviens pas
exactement, c’est le breton que j’ai entendu et parlé. A l’école des Sœurs, au bourg, j’allais
pour apprendre le français, l’arithmétique, etc.… Mais ma grand-mère m’avait déjà appris à
lire : je lisais tous les soirs un chapitre de « Buhez ar Zent », la Vie des Saints bretons, en
réalité plutôt la vie des chefs de clans et des abbés de monastères qui, aux Ve et VIe siècles,
avaient dû fuir en grand nombre la Grande Bretagne envahie par les Saxons. Ainsi vinrent des
Gallois, des Cornouaillais, des familles du Northumberland… qui s’installèrent en
Armorique. Ils y retrouvaient leurs « cousins », une langue très proche de la leur, un accueil
bienveillant. Il faut croire qu’ils vinrent très nombreux, car bientôt l’Armorique devint la
Bretagne, en souvenir de leur patrie d’origine, la Grande Bretagne. Pendant des siècles, les
rapports fraternels sont restés fréquents : la route était facile, un petit bras de mer à traverser,
et l’on raconte qu’un prince gallois du XIIe siècle, ayant quelques grosses fautes à se faire
pardonner, vint en Bretagne s’en confesser, et se faire donner une absolution qu’il n’aurait
peut-être pas obtenue dans son pays, où tout le monde connaissait ses méfaits.
Mais je m’éloigne de mon sujet…..
De mes premières années à l’école je n’ai rien à dire. Ce que j’ai à dire, et qui est
tellement grave que beaucoup de personnes de mon âge en sont restées traumatisées, date des
années 1918 à 1922.
L’école des Sœurs que je fréquentais prenait en pension des fillettes qui habitaient des
communes distantes d’une dizaine, voire quinze ou vingt kilomètres. C’étaient des enfants de
fermes où l’on ne parlait que le breton. Il est évident que ces enfants, tout naturellement,
pendant les récréations, parlaient leur langue. Mais voilà, c’était interdit, et les enfants qui
étaient surpris à parler breton devaient porter au cou un « symbole » (d’arriération) appelé
« ar vuoc’h », la vache, qui était tantôt un sabot muni d’un cordon, ou une « claque », sorte de
sabot moitié bois moitié cuir, ou encore une plaque de bois sur laquelle était peinte une vache.
La fillette surprise à parler breton devait non seulement porter la « vache », mais pour s’en
débarrasser devait épier ses camarades pour la transmettre à celle qu’elle surprenait à
employer la langue interdite. La dernière titulaire du « symbole », à la fin de la classe, devait
payer une amende de un ou deux sous.
A cette époque, et dans ce milieu, on ne donnait pas d’argent de poche aux enfants, et
cette pièce de un ou deux sous, il fallait la demander aux parents qui faisaient alors des
reproches à leurs enfants, leur remontrant que si on les envoyait à l’école, c’était pour
apprendre le français et obtenir le certificat d’études.
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3. Il faut dire qu’à l’époque il y avait dans les fermes beaucoup de familles nombreuses,
que tous les enfants ne pouvaient rester à la ferme, que les garçons auraient à faire leur service
militaire et les filles à chercher un travail en ville. Les parents les envoyaient donc à l’école
pour qu’ils apprennent le français, cela peut se comprendre. Mais fallait-il pour autant
employer des méthodes aussi humiliantes ? Beaucoup d’instituteurs ne le firent pas, et
enseignèrent à leurs élèves le français par le breton, comme Yann Sohier ou notre ami
Kerlann. Et ils avaient les meilleurs élèves et le plus de succès au certificat d’études !
Comment de braves bonnes sœurs, elles-mêmes bretonnantes, purent-elles en venir à
employer un système aussi odieux, y mettant un zèle dont elles auraient pu se passer ? La
réponse est sans doute celle-ci : A cette époque, on n’était pas loin des « lois Combes » par
lesquelles le gouvernement avait confisqué tant de séminaires ou écoles religieuses, et les
bonnes sœurs ne voulaient pas se faire mal voir par les inspecteurs… Peut-être !
Les petits bretonnants, ou bretonnantes étaient rarement frappés, mais la punition
infligée était humiliante, car la maîtresse se moquait et invitait les élèves à se moquer de celui
ou celle qui avait été pris en flagrant délit de parler breton, et souvent on l’envoyait dans un
coin pour qu’il se rende bien compte de son indignité !
Il y avait dans cette école et dans ma classe des filles qui venaient de la vraie
campagne. Elles m’attiraient, d’abord parce qu’elles tricotaient pendant la récréation des bas
en laine de leurs moutons, filée par elles à la maison : cela m’émerveillait. De plus, elles
parlaient un breton beaucoup plus riche que le mien, et employaient des termes de la nature,
comme des noms d’oiseaux, d’instruments, de vie à la campagne que je ne connaissais pas.
J’étais souvent avec elles ; nous nous faisions attraper par ce système de délation instauré
entre les enfants et qui était ignominieux.
C’est pourquoi j’ai souvent porté « la vache » : je me souviens avoir eu le sabot, la
claque, la plaque de bois. Peut-être mettais-je quelque bravade à parler breton exprès ! Je
savais que non seulement je ne serais pas critiquée à la maison, mais au contraire soutenue,
car ce que mes parents critiquaient, c’était cet odieux système, et non celles qui avaient à le
subir.
Mais certaines filles que je rencontre maintenant quelquefois en ont été tellement
humiliées qu’elles en sont traumatisées à jamais.
Ainsi, j’ai rencontré au cimetière de Kerfeunteun une amie de classe de cette période.
Naturellement, c’est notre langue maternelle qui s’est établie entre nous, et nous nous sommes
raconté des histoires de ce temps, nous donnant joyeusement des nouvelles de telle ou telle…
Lorsque je lui ai dit : « Vous rappelez-vous que nous portions souvent la vache ? », son
visage souriant s’est fermé, et elle m’a aussitôt dit au revoir. Elle était de celles dont la
blessure ne s’est jamais effacée ; il ne fallait pas la raviver.
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4. Dans mon magasin, j’ai eu pendant sept ans une vendeuse que j’aimais beaucoup.
C’était une excellente employée, une excellente bretonnante, et elle parlait volontiers et même
avec un plaisir évident le breton avec les clients.
Lorsque Gilles Servat sortit son disque dans lequel une des chansons a pour titre
« Kaoc’h ki gwen ha kaoc’h ki du », ce qui veut dire « merde de chien blanc et merde de chien
noir », juron courant, et où il parle du sabot qu’on nous faisait porter au cou, je fis une
devanture avec toutes sortes de livres pour apprendre le breton, et des disques. Au milieu de
cet étalage, ce disque, et accroché au milieu de la vitrine, un sabot… Quand je l’accrochais,
elle devint blême et me dit : « Si vous mettez cela, je m’en vais ! » Je n’en revenais pas, étant
donné qu’elle parlait si volontiers le breton. Je pensais que la blessure qu’elle avait pu avoir
dans son enfance était guérie, mais non, c’était comme une marque d’infamie au fer rouge,
toujours présente. Je lui parlai longuement ; puis des clients attirés par cette vitrine
accrocheuse et subversive vinrent acheter le disque, les livres. Plusieurs racontèrent leurs
souvenirs ; beaucoup avaient depuis longtemps transformé leur humiliation en colère contre
ce système : c’était plus sain, mais M-T, mon employée n’avait jamais pu y arriver.
Finalement, elle resta.
Pour moi, parce que j’ai eu la chance d’être appuyée par mes parents qui, bien que
parlant plus volontiers leur langue maternelle et la lisant, parlaient aussi le français, je n’ai
jamais ressenti cette humiliation comme une blessure, mais cela me révoltait, et c’est sans
doute pour cela que plus tard j’ai parlé breton à mes enfants ; mon mari, qui n’était pas
bretonnant quand nous nous sommes mariés, a appris le breton pour pouvoir en faire autant.
Plus tard, j’ai vendu des livres bretons et donné des cours de Breton.
Mais en voilà assez pour une fois.
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