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LE RIRE DE MICHEL FOUCAULT
Michel de Certeau
Gallimard | Le Débat
1986/4 - n° 41
pages 140 à 152
ISSN 0246-2346
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-le-debat-1986-4-page-140.htm
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Pour citer cet article :
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de Certeau Michel, « Le rire de Michel Foucault »,
Le Débat, 1986/4 n° 41, p. 140-152. DOI : 10.3917/deba.041.0140
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Michel de Certeau
LE RIRE
DE MICHEL FOUCAULT*
Il y a quelques années, à Belo Horizonte, au cours d’une tournée brésilienne, Michel Foucault était une
fois de plus interrogé sur son lieu : « Mais enfin, à quel titre parlez-vous ? Quelle est votre spécialité ? Où
êtes-vous ? » Cette requête d’identité l’atteignait au plus vif. Elle cherchait à saisir son secret de passeur.
Elle a provoqué, dans L’Archéologie du savoir, une repartie agacée, d’un ton presque unique, où brille
soudain le mouvement qui a produit l’œuvre : « Non, non, je ne suis pas là où vous me guettez, mais ici
d’où je vous regarde en riant. – Eh quoi, vous imaginez-vous que je prendrais à écrire tant de peine et tant
de plaisir, croyez-vous que je m’y serais obstiné, tête baissée, si je ne préparais – d’une main un peu fébrile
– le labyrinthe où m’aventurer, déplacer mon propos, lui ouvrir des souterrains, l’enfoncer loin de moi-même,
lui trouver des surplombs qui résument et déforment son parcours, où me perdre et apparaître finalement
à des yeux que je n’aurai jamais plus à rencontrer. Plus d’un, comme moi sans doute, écrivent pour n’avoir
plus de visage. Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même : c’est une morale d’état
civil ; elle régit nos papiers. Qu’elle nous laisse libres quand il s’agit d’écrire1. » Cette vive voix échappe
encore au tombeau du texte.
Être classé, prisonnier d’un lieu et d’une compétence, galonné de l’autorité que procure aux fidèles leur
agrégation à une discipline, casé dans une hiérarchie des savoirs et des places, donc enfin « établi », c’était
pour Foucault la figure même de la mort. « Non, non. » L’identité fige le geste de penser. Elle rend hommage
à un ordre. Penser, au contraire, c’est passer ; c’est interroger cet ordre, s’étonner qu’il soit là, se demander
ce qui l’a rendu possible, chercher en parcourant ses paysages les traces des mouvements qui l’ont formé,
et découvrir dans ces histoires supposées gisantes « comment et jusqu’où il serait possible de penser
autrement »2. Voilà ce que Foucault répondit à ses interlocuteurs de Belo Horizonte, mais d’un mot plus
Cet article est paru en septembre-novembre 1986 dans le n° 41 du Débat (pp. 140 à 152).
* Ce texte a une histoire. La première partie a été écrite pour la Revue de la Bibliothèque nationale, à la demande de Yves
Peyré, désireux de rendre hommage à ce lecteur impénitent si familier de cette institution. Il y a paru dans sa première version
(t. IV, 1984, n° 14, pp. 10-16). Puis Michel de Certeau, a son habitude, l’a repris, modifié, complété d’une seconde partie, pour
en faire la conférence prononcée, en anglais, au colloque Michel Foucault : History of the Present (Université de Californie,
Berkeley, mars 1985). Cette seconde version, inédite en français, est publiée ici. Michel de Certeau avait autant d’amitié que
d’admiration pour Michel Foucault et lui avait plusieurs fois consacré cours, conférences et articles (Luce Giard).
1. L’Archéologie du savoir, Gallimard, 1969, p. 28
2. L’Usage des plaisirs, Gallimard, 1984, p. 15.
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ajusté aux subtilités de la scène brésilienne et qui désignait son style philosophique : « Qui je suis ?
Un lecteur. »
Une pratique intellectuelle.
Depuis Poitiers où il est né (1926) jusqu’à la Salpêtrière où il est finalement tombé (25 juin 1984), ses
parcours ont zébré les savoirs et les pays. Il visitait les livres comme il circulait dans Paris à vélo, dans San
Francisco ou dans Tokyo, avec une attention exacte et vigilante à saisir, au détour d’une page ou d’une rue,
l’éclat d’une étrangeté tapie là, inaperçue. Toutes ces marques d’altérité, « accrocs minuscules »3 ou aveux
énormes, lui étaient les citations d’un impensé. Elles sont là, disait-il, bien lisibles, mais non lues car elles
surprennent le prévu et le codifié. Lui, à les découvrir, il se roulait de rire. Parfois un fou rire comme celui
qu’il évoque à propos d’un texte de Borges et qui « secoue à sa lecture toutes les familiarités de la pensée
– de la nôtre : de celle qui a notre âge et notre géographie –, ébranlant toutes les surfaces ordonnées et tous
les plans qui assagissent pour nous le foisonnement des êtres »4. C’est, dit-il, le « lieu de naissance » du livre
Les Mots et les choses. Ses autres ouvrages semblent avoir la même origine : des accès de surprise (comme
il y a des accès de fièvre), formes jubilatoires subites, quasi extatiques, de l’« étonnement » ou de
l’« émerveillement » qui est, d’Aristote à Wittgenstein, le moment instaurateur de l’activité philosophique.
Par des entrebâillements du discours, cocasses, incongrus ou paradoxaux, quelque chose fait irruption qui
déborde le pensable et ouvre une possibilité de « penser autrement ». Pris de rire, saisi par une ironie des
choses qui est l’équivalent d’une illumination, le philosophe n’est pas l’auteur mais le témoin de ces éclairs
qui traversent et transgressent le quadrillage des discours par des raisons établies. Ses trouvailles sont les
événements d’une pensée qui est encore à penser. Cette inventivité surprenante des mots et des choses,
expérience intellectuelle d’une désappropriation instauratrice de possibles, Foucault la marque d’un rire. C’est
sa signature de philosophe à l’ironie de l’histoire.
Mais sa pratique de l’étonnement fournit constamment de nouveaux départs à l’acharnement, tour à tour
impérieux et fragile, minutieux, irritable, tenace toujours, avec lequel il cherche à élucider cette « autre
dimension du discours » que des hasards lui révèlent. Elle donne un ton de western même à son travail
archivistique et analytique pour déplier les jeux de vérité d’abord signalés par des spots paradoxaux. Le soin
qu’il met à contrôler, classer, distinguer et comparer ses trouvailles de lecteur ne saurait éteindre la vibration
d’éveil qui trahit dans ses textes sa manière de découvrir. Ses ouvrages combinent donc le rire de l’invention
au souci de l’exactitude, même si les proportions varient et si, au cours des années, l’exactitude l’emporte
peu à peu sur le rire, parce que se développait sa passion de chirurgien pour une lucidité qui devient, dans
ses deux derniers livres, une clarté ascétique, dépouillée même de son allègre virtuosité. Ce qui importe
d’abord, dans son travail, c’est cet exceptionnel exercice de l’étonnement, mué en pratique assidue des
« naissances » de la pensée et de l’histoire5.
Ses « récits », comme il disait, racontent comment apparaissent et s’instituent de nouvelles
problématiques. Ils ont souvent forme de surprises, comme des romans policiers. Ainsi la progressive
libéralisation et diversification du droit pénal, au cours du XVIIIe siècle, est interrompue, renversée et
« cannibalisée » par la prolifération de procédures pédagogiques et militaires de surveillance qui imposent
2
Michel de Certeau
Le rire de Michel Foucault
3. L’Ordre du discours, Gallimard, 1971, p. 14.
4. Les Mots et les choses, Gallimard, 1966, p. 7.
5. Cf. Naissance de la clinique, P.U.F., 1963 ; Naissance de la prison, sous-titre de Surveiller et punir, Gallimard, 1975 ;
etc. Ces deux ouvrages constituent d’ailleurs, je crois, les « interventions » les plus décisives de Foucault.
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partout le système panoptique de la prison – un développement auquel on ne s’attendait pas6. Vous supposez
que le pouvoir est identifiable à l’appropriation d’appareils isolables, hiérarchiques et légaux ? Non, c’est
l’expansion de mécanismes anonymes qui « normalisent » l’espace social en traversant les institutions et
la légalité7. Vous supposez qu’une morale bourgeoise a fait du sexe un secret à cacher ? Non, les techniques
de l’aveu ont transformé le sexe en inlassable producteur de discours et de vérités8... Ainsi, de livre en livre,
l’analyse pointe ces retournements qui, déroutant les savoirs constitués, fût-ce les plus autorisés (même Marx,
même Freud), génèrent de nouvelles manières de penser. Elle ne se fonde pas sur les idées personnelles d’un
auteur, mais sur ce que l’histoire même donne à voir. Ce n’est pas Monsieur Foucault qui se moque des
savoirs et des pré-visions, c’est l’histoire qui s’en rit. Elle se joue des téléologues qui se prennent pour les
lieutenants du sens. Un insensé de l’histoire, dieu nocturne et rieur, tourne en dérision les magistères et enlève
à Foucault lui-même le rôle, pédagogique ou moraliste, d’être l’« intellectuel » qui sait ce qu’il en est. La
lucidité provient d’une attention, toujours mobile et toujours surprise, à ce que des événements nous
montrent à notre insu.
À cette attention, il faut rattacher un aspect curieux et pourtant permanent de l’œuvre : son caractère
visuel. Ces ouvrages sont jalonnés de tableaux et de gravures. Le texte est également rythmé par des scènes
et des figures. L’Histoire de la folie s’ouvre avec l’image de la Nef des fous9 ; Les Mots et les choses, avec
Les Ménines de Vélasquez10 ; Surveiller et punir, avec le récit du supplice de Damiens11, etc. Est-ce par
hasard ? Non, chaque livre présente une scansion d’images à partir desquelles se développe le travail fin
de distinguer ses conditions de possibilité et ses implications formelles. En réalité, ces images instituent le
texte. Elles le rythment comme les captations successives de Foucault lui-même. Il y reconnaît les scènes
d’une différence, les noirs soleils de « théories » qui pointent. Des raisons oubliées bougent dans ces
miroirs. Au niveau du paragraphe ou de la phrase, les citations fonctionnent de la même façon ; chacune
d’entre elles est incrustée là comme un fragment de miroir, avec pour valeur d’être non une preuve mais un
étonnement – un éclat d’autre. Le discours entier va ainsi de vision en vision. Le pas qui scande sa démarche,
où elle prend appui et reçoit son élan, est un moment visuel. L’image-surprise a un rôle, tour à tour heuristique
et récapitulatif, analogue à celui de la figure géométrique pour un regard mathématicien : comme un triangle
rectangle, elle rassemble en un coup d’œil les propriétés possibles ou déjà démontrées que développe une
suite de théorèmes.
Ce style optique peut paraître étrange. Foucault n’a-t-il pas repéré dans la machine « panoptique » le
système même de la surveillance qui s’est étendu de la prison à toutes les disciplines sociales par une
multiplication des techniques permettant de « voir sans être vu »12 ? Il a exhumé et poursuivi, jusque dans
les régions les plus paisibles du savoir, toutes les procédures fondées sur l’aveu et productrices de vérité,
pour y pointer la technologie au moyen de laquelle la visibilité transforme l’espace en opérateur de pouvoir.
En fait, pour lui, le visible est devenu le champ des nouveaux enjeux du pouvoir et du savoir. Le visible
constitue pour Foucault le théâtre contemporain de nos options fondamentales. Là s’affrontent un usage
3
Michel de Certeau
Le rire de Michel Foucault
6. Surveiller et punir, Gallimard, 1975.
7. Ibid.
8. La Volonté de savoir (Histoire de la sexualité, I), Gallimard, 1976.
9. Histoire de la folie, Plon, 1961, 1re partie, chap. Ier, « Stultifera navis », pp. 3-53.
10. Les Mots et les choses, chap. Ier, « Les suivantes », pp. 19-31.
11. Surveiller et punir, 1re partie, chap. Ier, pp. 9-11.
12. Ibid., pp. 197-229 : « Le panoptisme ».
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policier de l’espace et une vigilance à ce qui y survient d’autre. Engagé sur ce terrain de nos guerres
épistémologiques, le travail philosophique oppose aux systèmes qui assujettissent l’espace à la surveillance,
les paradoxes qu’y ouvrent des hasards au nivellement panoptique, les discontinuités que des aléas révèlent
dans la pensée. Deux pratiques de l’espace se heurtent dans le champ de la visibilité, l’une ordonnée à la
discipline, l’autre faite d’étonnement. Avec ce combat qui évoque celui des dieux grecs dans leur ciel, se
joue le « renversement » des technologies du « voir sans être vu » en esthétiques de l’existence éthique.
À exhumer les implications d’événements aléatoires, Foucault a inventé les lieux de nouvelles
problématiques. Avec chacun de ses livres, il offre une carte encore inédite à la possibilité de « penser
autrement ». Il est ce « nouveau cartographe » que Gilles Deleuze a dépeint avec tant d’amicale acuité13.
Ces cartes présentent des outils proportionnés à des questions différentes. Elles ne forment pas entre elles
un système, mais une suite d’« Essais », relatifs chaque fois à cette « curiosité » – à cet étonnement – « qui
permet de se déprendre de soi-même »14. Elles composent donc « une pluralité de positions et de fonctions
possibles »15. Il s’agit de « pratiques discontinues »16, nées des inventions auxquelles des hasards donnent
lieu. À chaque carte, soigneusement construite, un événement nouveau provoqué par le « foisonnement des
êtres » ajoute une autre possibilité. Aucune d’entre elles ne définit un destin, une vérité ou une identité de
la pensée. Ces lieux successifs ne sont donc pas reliés par le progrès d’une Idée qui s’y formulerait peu à
peu, mais par une même manière de penser. Ils répondent aux rires de l’histoire. Foucault ne tente pas, en
homogénéisant tous les discours, d’en occulter les éblouissantes discontinuités. Rarement l’étonnement
philosophique a été traité d’une manière si soucieuse de ses développements possibles et si respectueuse
de ses surprises.
L’activité politique a le même style. Elle ne s’approprie pas un sens de l’histoire. Elle ne constitue pas
une stratégie, encore moins une doctrine. Avec la même fidélité qu’aux surprises textuelles, elle répond aux
événements politiques. Elle s’y attache avec la même rigoureuse constance et précision, en vue de dégager
les implications de l’impensé qui perce le quadrillage de l’ordre établi et des disciplines acceptées. Les
hasards de l’actualité sociale et politique, la situation des condamnés dans les prisons françaises, la révolution
iranienne, la répression en Pologne, et tant d’autres rencontres singulières provoquent chez Foucault
l’étonnement qui génère une action. Pas plus que ses cartes, ses interventions n’ont – et ne se donnent
idéologiquement, quelque part en retrait – la garantie du succès. Elles ne se protègent pas de l’aléatoire d’où
elles naissent. Elles partent plutôt d’un mouvement dont le caractère éthique, Kant le disait déjà, ne relève
ni de ce qui paraît possible ni de la loi des faits. Le geste politique est lui aussi un « Essai » mené avec le
plus de lucidité qu’il se peut, et relatif aux découvertes que permet une « curiosité » journalistique, attentive
aux avatars du temps et des hommes.Ainsi, dans le champ social, avec la même inlassable expectation d’une
histoire autre, se trace encore l’inventivité philosophique de Foucault.
Pratiques du pouvoir.
Aussi, avec Foucault, nous quittons l’histoire occupée par la figure de l’« intellectuel ». Nous sommes
dans un autre pays, ou, comme il disait, dans une autre configuration. Il y a près de cent ans, le 13 janvier 1898,
4
Michel de Certeau
Le rire de Michel Foucault
13. Gilles Deleuze, « Écrivain non : un nouveau cartographe », Critique, déc. 1975, pp. 1207-1227.
14. L’Usage des plaisirs, p. 14.
15. L’Ordre du discours, p. 60.
16. Ibid., p. 54.
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« J’accuse » d’Emile Zola sonnait à la fois un tournant de l’affaire Dreyfus et la naissance d’une espèce
inédite d’intervenants dans le champ politique. Née de la rencontre entre la question juive et une politisation
(ce n’est pas une coïncidence, dans le contexte politique français de l’« idéologie nationale »), cette figure
sociale a reçu le nom d’« intellectuels ». Il serait fascinant de suivre l’évolution passée de cette espèce, depuis
Zola et aussi (puisque les figures sociales nouvelles suscitent toujours une histoire régressive en quête
d’origines) depuis les « philosophes » éclairés engagés dans les grandes « affaires » sociales du XVIIIe siècle
jusqu’à Merleau-Ponty ou Sartre.
À cette intelligentsia engagée se rattachent, dans l’Europe contemporaine, les groupes populistes russes
Zemlja i volga (« Terre et liberté ») et Narodnoj Voli (« Volonté du peuple ») à la fin du XIXe siècle17, ou la
variante révolutionnaire qu’en élabore Antonio Gramsci, l’« intellectuel organique », lié au peuple par le
« Prince moderne » qu’est le Parti18. À l’intellectuel de parti s’opposait l’intellectuel d’État (le professeur
français par exemple), avec entre eux toutes les tensions dont témoigne l’éminent et secret travail de Lucien
Herr, bibliothécaire de l’École normale supérieure, qui voulait, comme fonctionnaire et comme socialiste,
rester fidèle à ces deux lois de l’appartenance politique19. En contraste se dressait l’« autonomie du travailleur
intellectuel » (Selbständigkeit der geistigen Arbeiter) telle que la définissait Freud, hostile à tout « maître »
et d’abord au pire de tous, la multitude, le grand nombre (die Menge)20. Dans la trajectoire brillante mais
éphémère de l’« intellectuel », un rôle décisif et probablement terminal revient à Sartre, dont l’éthique,
protestataire et luthérienne dans son style, s’articule sur la conscience, lucide et coupable, de l’impuissance
des « mots » par rapport aux « choses » : les mots ne peuvent que défier l’histoire dont ils sont séparés. Fondée
sur l’échec de l’ambition qui a façonné l’« intellectuel », l’éthique sartrienne évoque finalement celle qui,
dans l’école de Francfort, par des chemins tout différents, opposait au progrès fatal du nationalisme nazi un
courage de penser dont la nécessité ne se mesure pas à une efficacité historique.
Sans doute l’histoire des « intellectuels » comporte-t-elle aussi un contrepoint critique : depuis Zola, on
n’a jamais cessé d’objecter à leur engagement sociopolitique leur incompétence technique. Valéry même a
jeté son ironie, comme un manteau de clown, sur cet intellectuel qui n’a ni le sérieux du scientifique ni celui
du politique : « Le métier des intellectuels est de remuer toutes choses sous leurs signes, noms ou symboles,
sans le contrepoids des actes réels. Il en résulte que leurs propos sont étonnants, leur politique dangereuse,
leurs plaisirs superficiels. Ce sont des excitants sociaux avec les avantages et les périls des excitants en
général21. » Au bas de ce dégradé, il y a le ridicule des tics sociaux : signez une pétition et vous devenez
un intellectuel.
De cette épopée d’une centaine d’années, qui a donné à l’intellectuel le rôle du héros face au pouvoir,
Michel Foucault se détache en marquant le commencement d’une autre hypothèse. Plus conforme à notre
propos commun aujourd’hui, il y a une histoire sans héros et sans noms propres, une histoire diffuse,
anonyme et fondamentale. Elle concerne les pratiques intellectuelles en tant qu’elles s’inscrivent dans le
réseau des mille manières d’exercer le pouvoir. L’objet change donc : il ne vise plus directement des acteurs,
mais des actions ; non plus des personnages dont la silhouette se découpe sur le fond d’une société, mais
des opérations qui, en un mouvement brownien, tissent et composent le fond du tableau. Par un changement
dans la « mise au point », nous fixons cet arrière-plan, en laissant se troubler les images-vedettes de premier
5
Michel de Certeau
Le rire de Michel Foucault
17. Franco Venturi, Il populismo russo, Einaudi, 1952.
18. Cf. Maria Antonietta Macciochi. Pour Gramsci, Éd. du Seuil, 1974.
19. D. Lindenberg et P.A. Meyer, Lucien Herr. Le socialisme et son destin, Calmann-Lévy, 1977.
20. S. Freud, Sur l’histoire du mouvement psychanalytique (Zur Geschichte der psychsanalytischen Bewegung, 1914).
21. Paul Valéry, Rhumbs, N.R.F., p. 125.
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plan. Alors apparaît un labyrinthe de manières de faire ou d’usages (uses) : pratiques du langage, pratiques
de l’espace, usages du temps, etc. Ces pratiques sont spécifiées par des protocoles ; elles ont des « tours »
propres ; elles se caractérisent par des formalités ou des « styles », comme il y a des « manières » en
peinture. Dans la ligne de recherches déjà entreprises sur les « pratiques quotidiennes »22, je voudrais au
moins évoquer, sur un mode nécessairement schématique et programmatique, les « manières » de pratiquer
le pouvoir telles qu’elles se présentent dans le champ des activités dites « intellectuelles ».
Dans la perspective que dessinait Michel Foucault, j’entends par pratiques de pouvoir « un mode d’action
qui n’agit pas directement et immédiatement sur les autres, mais qui agit sur leur action propre ». Ces
pratiques composent « un ensemble d’actions sur des actions possibles »23. Ce sont donc des opérations (des
procédures) et non des conceptions (des idées), bien qu’elles puissent se situer sur les deux registres
qu’implique, en des proportions variables, tout pouvoir : d’une part une autorité (relative au croire/faire
croire), d’autre part une force (relative à une pression ou répression physique). S’il est vrai que généralement,
plus un pouvoir a d’autorité, moins il a besoin de force, ou que la diminution de l’autorité exige un usage
plus grand de la force, on aura aussi des pratiques différentes selon qu’elles jouent davantage sur le registre
de l’autorité ou sur celui de la force. Cette distinction est fondamentale quand il s’agit de pratiques qui se
déploient dans le champ constitué par la production et la circulation du savoir et qui paraissent donc mettre
en jeu dans le pouvoir son aspect d’autorité.
Je limite les notes qui suivent au théâtre français de ces opérations de pouvoir imbriquées dans les
pratiques intellectuelles – mais avec une expérience californienne de six années qui me crédite peut-être d’une
petite distance « ethnologique » à l’égard de mon village – et je voudrais seulement, en finissant, esquisser
quelques aperçus concernant tour à tour l’organisation du paysage où ces pratiques s’effectuent, une première
classification de leurs diverses « manières » ou de leurs « styles », et enfin un examen de quelques
fonctionnements qui caractérisent une rationalité de ces « gouvernements » (au sens où l’on parle d’une
« raison d’État »). Ces notes pourraient constituer des préalables à une géopolitique, à une stylistique et à
une économie des pratiques intellectuelles en tant que pratiques du pouvoir.
La perspective « géographique » concerne une disposition des forces en présence, une géopolitique. Dans
une projection (fictive, comme toujours) de l’espace où s’effectuent les pratiques intellectuelles, on pourrait
distinguer le jeu de trois éléments : la place, la masse et la vérité. Cette carte fantastique n’est qu’une
première approximation. La place, d’abord, c’est le poste, la situation institutionnelle, l’agrégation, l’identité
sociale, la garantie fournie par une discipline scientifique et par une reconnaissance hiérarchique. Elle
constitue un lieu, dont le recrutement est sélectionné, dont les protocoles organisent un système de tris et
de pertinences, et dont le discours est pourvu d’une légitimité. Le découpage sociopolitique d’une « position »
varie selon les époques ; il ne cesse d’être un objet de luttes entre professions (par exemple entre médecins
et pasteurs, dans le champ psychiatrique) ou entre milieux sociaux. Mais chaque fois la place circonscrit
un terrain d’appropriation. Elle assure une identité contre la double menace de la masse et de la vérité. La
masse, c’est la foule urbaine, ou rurale, océan muet ou orageux qui déferle, comme le raconte Diderot, contre
6
Michel de Certeau
Le rire de Michel Foucault
22. M. de Certeau, L’Invention du quotidien, t.1 : Arts de faire, 10/18, 1980.
23. M. Foucault, « The Subject and Power », in Hubert L. Dreyfus et Paul Rabinow, Michel Foucault. Beyond Structuralism
and Hermeneutics, University of Chicago Press, 1982, p. 220 (trad. franç. : Michel Foucault. Un parcours philosophique,
Gallimard, 1984).
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les fenêtres des laboratoires intellectuels. La force anonyme d’une douleur, d’une colère ou d’un rire de la
foule captive, inquiète, envahit parfois et détruit l’édifice du savoir. La vérité, elle, est un élément
d’interrogation qui met en question les configurations d’un ordre du sens. Elle survient comme un doute qui
transgresse le vraisemblable, c’est-à-dire la loi d’un milieu. Elle a l’étrangeté d’une irruption et d’une
« naissance » dans la cohérence de ce qui est « reçu ». Elle apparaît comme un fait singulier qu’on cherche
à oublier parce qu’il lézarde les généralités de l’idéologie ou de la théorie.
Curieusement, la masse et la vérité ont en commun d’être intenables (elles instaurent un excès, un
débordement), d’être inappropriables (elles saisissent la pensée, elles la surplombent) et d’être innommables
(elles ne se classent pas dans les taxinomies établies). Peut-être y a-t-il un point (mythique ?) de convergence
entre la masse et la vérité. Je songe à la scène décrite par Nicolas de Cues au début de son grand traité
De Mente24 : le « philosophe », muet d’étonnement sur un pont de Rome, regarde la masse innombrable des
passants. Une vérité insaisissable, singulière et multiple, est là en marche, perdue dans la foule. Elle prend
au philosophe sa place ; elle le « ravit ». Désormais, ce sera l’Idiotus, le non-spécialiste, l’homme sans place
et sans qualité, qui introduira une question de vérité dans le discours itinérant – déplacé et étonné – du
philosophe. Inversement, les pratiques définies par une place luttent sans trêve pour éduquer, discipliner,
ordonner la masse en prétendant la représenter, et pour apprivoiser, articuler et systématiser la vérité en
prétendant la produire comme doctrine. La place est un opérateur qui transforme la masse et la vérité en objets
traités dans un lieu tenable, appropriable et nommable.
La deuxième perspective vise les pratiques intellectuelles en tant qu’elles se définissent comme des
« manières de faire » et qu’on peut y reconnaître des « styles ». Elle peut se référer au livre trop méconnu
de G. Granger qui repérait dans l’écriture mathématique elle-même des « styles » différents – un style
euclidien, un style cartésien ou un style « vectoriel »25. Le style est « cette structuration latente de l’activité
scientifique elle-même, en tant qu’elle constitue un aspect de la pratique ». Aussi envisageait-il une
« stylistique de la pratique scientifique ». Pour préciser l’enjeu d’une recherche sur la formalité de ces pratiques
– mais une recherche qui se détache de l’« individuation », problème encore central chez Granger –, on
pourrait évoquer aussi les travaux récents sur les manières d’utiliser le langage, en « ethnography of spea-
king » ou dans une « sociology of communication » depuis Hymes, etc. Quoi qu’il en soit, je ferai seulement
trois remarques intéressant les procédures intellectuelles.
a) Les « manières de faire » n’obéissent pas à une détermination individuelle. Elles forment des répertoires
collectifs, repérables dans les façons d’utiliser la langue, de gérer- l’espace, de faire la cuisine, etc. Des
procédures d’origines hétérogènes peuvent se succéder et se croiser dans le champ des activités individuelles,
à la façon d’acteurs anonymes traversant la scène qui porte le nom d’un supposé auteur.
b) Ces pratiques, spécifiées par des styles, sont plus stables que leurs champs d’application. Ainsi les
manières de parler ou de pratiquer une langue peuvent s’étendre à des vocabulaires importés, ou à des
langues étrangères. Elles survivent même à la langue qui a été d’abord parlée. Elles ne sont donc pas
identifiables au lieu dans lequel elles se sont exercées : il y a une manière basque de parler français, alors
même qu’on ne parle plus le basque. Aussi, Pierre Legendre a-t-il pu analyser comment les pratiques
7
Michel de Certeau
Le rire de Michel Foucault
24. Nicolas de Cues, De la pensée, in Ernst Cassirer, Individu et cosmos dans la philosophie de la Renaissance, Éd. de
Minuit, 1983, p. 245.
25. Gilles-Gaston Granger, Essai d’une philosophie du style, Armand Colin, 1968.
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juridiques médiévales ont persisté, à travers les âges, bien après la mort des grandes institutions où cette
technologie avait pris forme.
c) Enfin ces pratiques ne sont pas totalisantes, elles ne font pas partie d’ensembles cohérents. Un « style »
opératoire ne régit pas la région entière des activités, et il n’est pas l’élément d’un système. Différentes
« manières » peuvent cohabiter soit dans un même champ, soit chez le même acteur, tout comme, dans un
même appartement, de la part du même habitant, on peut avoir simultanément des façons modernistes,
traditionalistes ou fétichistes de « traiter » l’espace.
Il serait possible de repérer des styles d’opérations intellectuelles indissociables de modes d’exercice du
pouvoir : le style tacticien de la procédure juridique qui mue l’épisodique en scène de la loi, le style
stratégique de l’énonciation professorale ou cléricale qui transforme le particulier en application d’une
idéologie générale, le style oral du « conseil du prince » qui joue avec virtuosité d’une opaque proximité
avec le nom ambigu du Vouloir ou « bon plaisir » d’un pouvoir, le style écrit de la manipulation textuelle
qui fait de la distance un principe d’autorité, le style « ingénieur » qui prétend, par la réconciliation de la
théorie et de la pratique, instaurer une neutralité objectivement imposée à toute décision comme sa condition
de possibilité, le style technologique et « clanique » de la « recherche » dans les laboratoires liés à un
marché international de la compétition, etc. Nous constituons nous-mêmes le champ d’expérimentation et
d’élucidation de ces pratiques intellectuelles qui fonctionnent comme des pratiques de pouvoir. Il me semble
qu’à les expliciter, qu’à s’en étonner, nous pouvons les tourner en surprises qui deviennent des manières de
« se déprendre de soi-même » et instaurent le geste, rieur et philosophique, d’inventer des façons de « penser
autrement ».
Michel de Certeau.
8
Michel de Certeau
Le rire de Michel Foucault
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Certeau le rire de mf

  • 1. LE RIRE DE MICHEL FOUCAULT Michel de Certeau Gallimard | Le Débat 1986/4 - n° 41 pages 140 à 152 ISSN 0246-2346 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-le-debat-1986-4-page-140.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- de Certeau Michel, « Le rire de Michel Foucault », Le Débat, 1986/4 n° 41, p. 140-152. DOI : 10.3917/deba.041.0140 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Gallimard. © Gallimard. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard
  • 2. Michel de Certeau LE RIRE DE MICHEL FOUCAULT* Il y a quelques années, à Belo Horizonte, au cours d’une tournée brésilienne, Michel Foucault était une fois de plus interrogé sur son lieu : « Mais enfin, à quel titre parlez-vous ? Quelle est votre spécialité ? Où êtes-vous ? » Cette requête d’identité l’atteignait au plus vif. Elle cherchait à saisir son secret de passeur. Elle a provoqué, dans L’Archéologie du savoir, une repartie agacée, d’un ton presque unique, où brille soudain le mouvement qui a produit l’œuvre : « Non, non, je ne suis pas là où vous me guettez, mais ici d’où je vous regarde en riant. – Eh quoi, vous imaginez-vous que je prendrais à écrire tant de peine et tant de plaisir, croyez-vous que je m’y serais obstiné, tête baissée, si je ne préparais – d’une main un peu fébrile – le labyrinthe où m’aventurer, déplacer mon propos, lui ouvrir des souterrains, l’enfoncer loin de moi-même, lui trouver des surplombs qui résument et déforment son parcours, où me perdre et apparaître finalement à des yeux que je n’aurai jamais plus à rencontrer. Plus d’un, comme moi sans doute, écrivent pour n’avoir plus de visage. Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même : c’est une morale d’état civil ; elle régit nos papiers. Qu’elle nous laisse libres quand il s’agit d’écrire1. » Cette vive voix échappe encore au tombeau du texte. Être classé, prisonnier d’un lieu et d’une compétence, galonné de l’autorité que procure aux fidèles leur agrégation à une discipline, casé dans une hiérarchie des savoirs et des places, donc enfin « établi », c’était pour Foucault la figure même de la mort. « Non, non. » L’identité fige le geste de penser. Elle rend hommage à un ordre. Penser, au contraire, c’est passer ; c’est interroger cet ordre, s’étonner qu’il soit là, se demander ce qui l’a rendu possible, chercher en parcourant ses paysages les traces des mouvements qui l’ont formé, et découvrir dans ces histoires supposées gisantes « comment et jusqu’où il serait possible de penser autrement »2. Voilà ce que Foucault répondit à ses interlocuteurs de Belo Horizonte, mais d’un mot plus Cet article est paru en septembre-novembre 1986 dans le n° 41 du Débat (pp. 140 à 152). * Ce texte a une histoire. La première partie a été écrite pour la Revue de la Bibliothèque nationale, à la demande de Yves Peyré, désireux de rendre hommage à ce lecteur impénitent si familier de cette institution. Il y a paru dans sa première version (t. IV, 1984, n° 14, pp. 10-16). Puis Michel de Certeau, a son habitude, l’a repris, modifié, complété d’une seconde partie, pour en faire la conférence prononcée, en anglais, au colloque Michel Foucault : History of the Present (Université de Californie, Berkeley, mars 1985). Cette seconde version, inédite en français, est publiée ici. Michel de Certeau avait autant d’amitié que d’admiration pour Michel Foucault et lui avait plusieurs fois consacré cours, conférences et articles (Luce Giard). 1. L’Archéologie du savoir, Gallimard, 1969, p. 28 2. L’Usage des plaisirs, Gallimard, 1984, p. 15. 013 de Certeau.qxd 18/06/2004 09:47 Page 1 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard
  • 3. ajusté aux subtilités de la scène brésilienne et qui désignait son style philosophique : « Qui je suis ? Un lecteur. » Une pratique intellectuelle. Depuis Poitiers où il est né (1926) jusqu’à la Salpêtrière où il est finalement tombé (25 juin 1984), ses parcours ont zébré les savoirs et les pays. Il visitait les livres comme il circulait dans Paris à vélo, dans San Francisco ou dans Tokyo, avec une attention exacte et vigilante à saisir, au détour d’une page ou d’une rue, l’éclat d’une étrangeté tapie là, inaperçue. Toutes ces marques d’altérité, « accrocs minuscules »3 ou aveux énormes, lui étaient les citations d’un impensé. Elles sont là, disait-il, bien lisibles, mais non lues car elles surprennent le prévu et le codifié. Lui, à les découvrir, il se roulait de rire. Parfois un fou rire comme celui qu’il évoque à propos d’un texte de Borges et qui « secoue à sa lecture toutes les familiarités de la pensée – de la nôtre : de celle qui a notre âge et notre géographie –, ébranlant toutes les surfaces ordonnées et tous les plans qui assagissent pour nous le foisonnement des êtres »4. C’est, dit-il, le « lieu de naissance » du livre Les Mots et les choses. Ses autres ouvrages semblent avoir la même origine : des accès de surprise (comme il y a des accès de fièvre), formes jubilatoires subites, quasi extatiques, de l’« étonnement » ou de l’« émerveillement » qui est, d’Aristote à Wittgenstein, le moment instaurateur de l’activité philosophique. Par des entrebâillements du discours, cocasses, incongrus ou paradoxaux, quelque chose fait irruption qui déborde le pensable et ouvre une possibilité de « penser autrement ». Pris de rire, saisi par une ironie des choses qui est l’équivalent d’une illumination, le philosophe n’est pas l’auteur mais le témoin de ces éclairs qui traversent et transgressent le quadrillage des discours par des raisons établies. Ses trouvailles sont les événements d’une pensée qui est encore à penser. Cette inventivité surprenante des mots et des choses, expérience intellectuelle d’une désappropriation instauratrice de possibles, Foucault la marque d’un rire. C’est sa signature de philosophe à l’ironie de l’histoire. Mais sa pratique de l’étonnement fournit constamment de nouveaux départs à l’acharnement, tour à tour impérieux et fragile, minutieux, irritable, tenace toujours, avec lequel il cherche à élucider cette « autre dimension du discours » que des hasards lui révèlent. Elle donne un ton de western même à son travail archivistique et analytique pour déplier les jeux de vérité d’abord signalés par des spots paradoxaux. Le soin qu’il met à contrôler, classer, distinguer et comparer ses trouvailles de lecteur ne saurait éteindre la vibration d’éveil qui trahit dans ses textes sa manière de découvrir. Ses ouvrages combinent donc le rire de l’invention au souci de l’exactitude, même si les proportions varient et si, au cours des années, l’exactitude l’emporte peu à peu sur le rire, parce que se développait sa passion de chirurgien pour une lucidité qui devient, dans ses deux derniers livres, une clarté ascétique, dépouillée même de son allègre virtuosité. Ce qui importe d’abord, dans son travail, c’est cet exceptionnel exercice de l’étonnement, mué en pratique assidue des « naissances » de la pensée et de l’histoire5. Ses « récits », comme il disait, racontent comment apparaissent et s’instituent de nouvelles problématiques. Ils ont souvent forme de surprises, comme des romans policiers. Ainsi la progressive libéralisation et diversification du droit pénal, au cours du XVIIIe siècle, est interrompue, renversée et « cannibalisée » par la prolifération de procédures pédagogiques et militaires de surveillance qui imposent 2 Michel de Certeau Le rire de Michel Foucault 3. L’Ordre du discours, Gallimard, 1971, p. 14. 4. Les Mots et les choses, Gallimard, 1966, p. 7. 5. Cf. Naissance de la clinique, P.U.F., 1963 ; Naissance de la prison, sous-titre de Surveiller et punir, Gallimard, 1975 ; etc. Ces deux ouvrages constituent d’ailleurs, je crois, les « interventions » les plus décisives de Foucault. 013 de Certeau.qxd 18/06/2004 09:47 Page 2 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard
  • 4. partout le système panoptique de la prison – un développement auquel on ne s’attendait pas6. Vous supposez que le pouvoir est identifiable à l’appropriation d’appareils isolables, hiérarchiques et légaux ? Non, c’est l’expansion de mécanismes anonymes qui « normalisent » l’espace social en traversant les institutions et la légalité7. Vous supposez qu’une morale bourgeoise a fait du sexe un secret à cacher ? Non, les techniques de l’aveu ont transformé le sexe en inlassable producteur de discours et de vérités8... Ainsi, de livre en livre, l’analyse pointe ces retournements qui, déroutant les savoirs constitués, fût-ce les plus autorisés (même Marx, même Freud), génèrent de nouvelles manières de penser. Elle ne se fonde pas sur les idées personnelles d’un auteur, mais sur ce que l’histoire même donne à voir. Ce n’est pas Monsieur Foucault qui se moque des savoirs et des pré-visions, c’est l’histoire qui s’en rit. Elle se joue des téléologues qui se prennent pour les lieutenants du sens. Un insensé de l’histoire, dieu nocturne et rieur, tourne en dérision les magistères et enlève à Foucault lui-même le rôle, pédagogique ou moraliste, d’être l’« intellectuel » qui sait ce qu’il en est. La lucidité provient d’une attention, toujours mobile et toujours surprise, à ce que des événements nous montrent à notre insu. À cette attention, il faut rattacher un aspect curieux et pourtant permanent de l’œuvre : son caractère visuel. Ces ouvrages sont jalonnés de tableaux et de gravures. Le texte est également rythmé par des scènes et des figures. L’Histoire de la folie s’ouvre avec l’image de la Nef des fous9 ; Les Mots et les choses, avec Les Ménines de Vélasquez10 ; Surveiller et punir, avec le récit du supplice de Damiens11, etc. Est-ce par hasard ? Non, chaque livre présente une scansion d’images à partir desquelles se développe le travail fin de distinguer ses conditions de possibilité et ses implications formelles. En réalité, ces images instituent le texte. Elles le rythment comme les captations successives de Foucault lui-même. Il y reconnaît les scènes d’une différence, les noirs soleils de « théories » qui pointent. Des raisons oubliées bougent dans ces miroirs. Au niveau du paragraphe ou de la phrase, les citations fonctionnent de la même façon ; chacune d’entre elles est incrustée là comme un fragment de miroir, avec pour valeur d’être non une preuve mais un étonnement – un éclat d’autre. Le discours entier va ainsi de vision en vision. Le pas qui scande sa démarche, où elle prend appui et reçoit son élan, est un moment visuel. L’image-surprise a un rôle, tour à tour heuristique et récapitulatif, analogue à celui de la figure géométrique pour un regard mathématicien : comme un triangle rectangle, elle rassemble en un coup d’œil les propriétés possibles ou déjà démontrées que développe une suite de théorèmes. Ce style optique peut paraître étrange. Foucault n’a-t-il pas repéré dans la machine « panoptique » le système même de la surveillance qui s’est étendu de la prison à toutes les disciplines sociales par une multiplication des techniques permettant de « voir sans être vu »12 ? Il a exhumé et poursuivi, jusque dans les régions les plus paisibles du savoir, toutes les procédures fondées sur l’aveu et productrices de vérité, pour y pointer la technologie au moyen de laquelle la visibilité transforme l’espace en opérateur de pouvoir. En fait, pour lui, le visible est devenu le champ des nouveaux enjeux du pouvoir et du savoir. Le visible constitue pour Foucault le théâtre contemporain de nos options fondamentales. Là s’affrontent un usage 3 Michel de Certeau Le rire de Michel Foucault 6. Surveiller et punir, Gallimard, 1975. 7. Ibid. 8. La Volonté de savoir (Histoire de la sexualité, I), Gallimard, 1976. 9. Histoire de la folie, Plon, 1961, 1re partie, chap. Ier, « Stultifera navis », pp. 3-53. 10. Les Mots et les choses, chap. Ier, « Les suivantes », pp. 19-31. 11. Surveiller et punir, 1re partie, chap. Ier, pp. 9-11. 12. Ibid., pp. 197-229 : « Le panoptisme ». 013 de Certeau.qxd 18/06/2004 09:47 Page 3 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard
  • 5. policier de l’espace et une vigilance à ce qui y survient d’autre. Engagé sur ce terrain de nos guerres épistémologiques, le travail philosophique oppose aux systèmes qui assujettissent l’espace à la surveillance, les paradoxes qu’y ouvrent des hasards au nivellement panoptique, les discontinuités que des aléas révèlent dans la pensée. Deux pratiques de l’espace se heurtent dans le champ de la visibilité, l’une ordonnée à la discipline, l’autre faite d’étonnement. Avec ce combat qui évoque celui des dieux grecs dans leur ciel, se joue le « renversement » des technologies du « voir sans être vu » en esthétiques de l’existence éthique. À exhumer les implications d’événements aléatoires, Foucault a inventé les lieux de nouvelles problématiques. Avec chacun de ses livres, il offre une carte encore inédite à la possibilité de « penser autrement ». Il est ce « nouveau cartographe » que Gilles Deleuze a dépeint avec tant d’amicale acuité13. Ces cartes présentent des outils proportionnés à des questions différentes. Elles ne forment pas entre elles un système, mais une suite d’« Essais », relatifs chaque fois à cette « curiosité » – à cet étonnement – « qui permet de se déprendre de soi-même »14. Elles composent donc « une pluralité de positions et de fonctions possibles »15. Il s’agit de « pratiques discontinues »16, nées des inventions auxquelles des hasards donnent lieu. À chaque carte, soigneusement construite, un événement nouveau provoqué par le « foisonnement des êtres » ajoute une autre possibilité. Aucune d’entre elles ne définit un destin, une vérité ou une identité de la pensée. Ces lieux successifs ne sont donc pas reliés par le progrès d’une Idée qui s’y formulerait peu à peu, mais par une même manière de penser. Ils répondent aux rires de l’histoire. Foucault ne tente pas, en homogénéisant tous les discours, d’en occulter les éblouissantes discontinuités. Rarement l’étonnement philosophique a été traité d’une manière si soucieuse de ses développements possibles et si respectueuse de ses surprises. L’activité politique a le même style. Elle ne s’approprie pas un sens de l’histoire. Elle ne constitue pas une stratégie, encore moins une doctrine. Avec la même fidélité qu’aux surprises textuelles, elle répond aux événements politiques. Elle s’y attache avec la même rigoureuse constance et précision, en vue de dégager les implications de l’impensé qui perce le quadrillage de l’ordre établi et des disciplines acceptées. Les hasards de l’actualité sociale et politique, la situation des condamnés dans les prisons françaises, la révolution iranienne, la répression en Pologne, et tant d’autres rencontres singulières provoquent chez Foucault l’étonnement qui génère une action. Pas plus que ses cartes, ses interventions n’ont – et ne se donnent idéologiquement, quelque part en retrait – la garantie du succès. Elles ne se protègent pas de l’aléatoire d’où elles naissent. Elles partent plutôt d’un mouvement dont le caractère éthique, Kant le disait déjà, ne relève ni de ce qui paraît possible ni de la loi des faits. Le geste politique est lui aussi un « Essai » mené avec le plus de lucidité qu’il se peut, et relatif aux découvertes que permet une « curiosité » journalistique, attentive aux avatars du temps et des hommes.Ainsi, dans le champ social, avec la même inlassable expectation d’une histoire autre, se trace encore l’inventivité philosophique de Foucault. Pratiques du pouvoir. Aussi, avec Foucault, nous quittons l’histoire occupée par la figure de l’« intellectuel ». Nous sommes dans un autre pays, ou, comme il disait, dans une autre configuration. Il y a près de cent ans, le 13 janvier 1898, 4 Michel de Certeau Le rire de Michel Foucault 13. Gilles Deleuze, « Écrivain non : un nouveau cartographe », Critique, déc. 1975, pp. 1207-1227. 14. L’Usage des plaisirs, p. 14. 15. L’Ordre du discours, p. 60. 16. Ibid., p. 54. 013 de Certeau.qxd 18/06/2004 09:47 Page 4 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard
  • 6. « J’accuse » d’Emile Zola sonnait à la fois un tournant de l’affaire Dreyfus et la naissance d’une espèce inédite d’intervenants dans le champ politique. Née de la rencontre entre la question juive et une politisation (ce n’est pas une coïncidence, dans le contexte politique français de l’« idéologie nationale »), cette figure sociale a reçu le nom d’« intellectuels ». Il serait fascinant de suivre l’évolution passée de cette espèce, depuis Zola et aussi (puisque les figures sociales nouvelles suscitent toujours une histoire régressive en quête d’origines) depuis les « philosophes » éclairés engagés dans les grandes « affaires » sociales du XVIIIe siècle jusqu’à Merleau-Ponty ou Sartre. À cette intelligentsia engagée se rattachent, dans l’Europe contemporaine, les groupes populistes russes Zemlja i volga (« Terre et liberté ») et Narodnoj Voli (« Volonté du peuple ») à la fin du XIXe siècle17, ou la variante révolutionnaire qu’en élabore Antonio Gramsci, l’« intellectuel organique », lié au peuple par le « Prince moderne » qu’est le Parti18. À l’intellectuel de parti s’opposait l’intellectuel d’État (le professeur français par exemple), avec entre eux toutes les tensions dont témoigne l’éminent et secret travail de Lucien Herr, bibliothécaire de l’École normale supérieure, qui voulait, comme fonctionnaire et comme socialiste, rester fidèle à ces deux lois de l’appartenance politique19. En contraste se dressait l’« autonomie du travailleur intellectuel » (Selbständigkeit der geistigen Arbeiter) telle que la définissait Freud, hostile à tout « maître » et d’abord au pire de tous, la multitude, le grand nombre (die Menge)20. Dans la trajectoire brillante mais éphémère de l’« intellectuel », un rôle décisif et probablement terminal revient à Sartre, dont l’éthique, protestataire et luthérienne dans son style, s’articule sur la conscience, lucide et coupable, de l’impuissance des « mots » par rapport aux « choses » : les mots ne peuvent que défier l’histoire dont ils sont séparés. Fondée sur l’échec de l’ambition qui a façonné l’« intellectuel », l’éthique sartrienne évoque finalement celle qui, dans l’école de Francfort, par des chemins tout différents, opposait au progrès fatal du nationalisme nazi un courage de penser dont la nécessité ne se mesure pas à une efficacité historique. Sans doute l’histoire des « intellectuels » comporte-t-elle aussi un contrepoint critique : depuis Zola, on n’a jamais cessé d’objecter à leur engagement sociopolitique leur incompétence technique. Valéry même a jeté son ironie, comme un manteau de clown, sur cet intellectuel qui n’a ni le sérieux du scientifique ni celui du politique : « Le métier des intellectuels est de remuer toutes choses sous leurs signes, noms ou symboles, sans le contrepoids des actes réels. Il en résulte que leurs propos sont étonnants, leur politique dangereuse, leurs plaisirs superficiels. Ce sont des excitants sociaux avec les avantages et les périls des excitants en général21. » Au bas de ce dégradé, il y a le ridicule des tics sociaux : signez une pétition et vous devenez un intellectuel. De cette épopée d’une centaine d’années, qui a donné à l’intellectuel le rôle du héros face au pouvoir, Michel Foucault se détache en marquant le commencement d’une autre hypothèse. Plus conforme à notre propos commun aujourd’hui, il y a une histoire sans héros et sans noms propres, une histoire diffuse, anonyme et fondamentale. Elle concerne les pratiques intellectuelles en tant qu’elles s’inscrivent dans le réseau des mille manières d’exercer le pouvoir. L’objet change donc : il ne vise plus directement des acteurs, mais des actions ; non plus des personnages dont la silhouette se découpe sur le fond d’une société, mais des opérations qui, en un mouvement brownien, tissent et composent le fond du tableau. Par un changement dans la « mise au point », nous fixons cet arrière-plan, en laissant se troubler les images-vedettes de premier 5 Michel de Certeau Le rire de Michel Foucault 17. Franco Venturi, Il populismo russo, Einaudi, 1952. 18. Cf. Maria Antonietta Macciochi. Pour Gramsci, Éd. du Seuil, 1974. 19. D. Lindenberg et P.A. Meyer, Lucien Herr. Le socialisme et son destin, Calmann-Lévy, 1977. 20. S. Freud, Sur l’histoire du mouvement psychanalytique (Zur Geschichte der psychsanalytischen Bewegung, 1914). 21. Paul Valéry, Rhumbs, N.R.F., p. 125. 013 de Certeau.qxd 18/06/2004 09:47 Page 5 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard
  • 7. plan. Alors apparaît un labyrinthe de manières de faire ou d’usages (uses) : pratiques du langage, pratiques de l’espace, usages du temps, etc. Ces pratiques sont spécifiées par des protocoles ; elles ont des « tours » propres ; elles se caractérisent par des formalités ou des « styles », comme il y a des « manières » en peinture. Dans la ligne de recherches déjà entreprises sur les « pratiques quotidiennes »22, je voudrais au moins évoquer, sur un mode nécessairement schématique et programmatique, les « manières » de pratiquer le pouvoir telles qu’elles se présentent dans le champ des activités dites « intellectuelles ». Dans la perspective que dessinait Michel Foucault, j’entends par pratiques de pouvoir « un mode d’action qui n’agit pas directement et immédiatement sur les autres, mais qui agit sur leur action propre ». Ces pratiques composent « un ensemble d’actions sur des actions possibles »23. Ce sont donc des opérations (des procédures) et non des conceptions (des idées), bien qu’elles puissent se situer sur les deux registres qu’implique, en des proportions variables, tout pouvoir : d’une part une autorité (relative au croire/faire croire), d’autre part une force (relative à une pression ou répression physique). S’il est vrai que généralement, plus un pouvoir a d’autorité, moins il a besoin de force, ou que la diminution de l’autorité exige un usage plus grand de la force, on aura aussi des pratiques différentes selon qu’elles jouent davantage sur le registre de l’autorité ou sur celui de la force. Cette distinction est fondamentale quand il s’agit de pratiques qui se déploient dans le champ constitué par la production et la circulation du savoir et qui paraissent donc mettre en jeu dans le pouvoir son aspect d’autorité. Je limite les notes qui suivent au théâtre français de ces opérations de pouvoir imbriquées dans les pratiques intellectuelles – mais avec une expérience californienne de six années qui me crédite peut-être d’une petite distance « ethnologique » à l’égard de mon village – et je voudrais seulement, en finissant, esquisser quelques aperçus concernant tour à tour l’organisation du paysage où ces pratiques s’effectuent, une première classification de leurs diverses « manières » ou de leurs « styles », et enfin un examen de quelques fonctionnements qui caractérisent une rationalité de ces « gouvernements » (au sens où l’on parle d’une « raison d’État »). Ces notes pourraient constituer des préalables à une géopolitique, à une stylistique et à une économie des pratiques intellectuelles en tant que pratiques du pouvoir. La perspective « géographique » concerne une disposition des forces en présence, une géopolitique. Dans une projection (fictive, comme toujours) de l’espace où s’effectuent les pratiques intellectuelles, on pourrait distinguer le jeu de trois éléments : la place, la masse et la vérité. Cette carte fantastique n’est qu’une première approximation. La place, d’abord, c’est le poste, la situation institutionnelle, l’agrégation, l’identité sociale, la garantie fournie par une discipline scientifique et par une reconnaissance hiérarchique. Elle constitue un lieu, dont le recrutement est sélectionné, dont les protocoles organisent un système de tris et de pertinences, et dont le discours est pourvu d’une légitimité. Le découpage sociopolitique d’une « position » varie selon les époques ; il ne cesse d’être un objet de luttes entre professions (par exemple entre médecins et pasteurs, dans le champ psychiatrique) ou entre milieux sociaux. Mais chaque fois la place circonscrit un terrain d’appropriation. Elle assure une identité contre la double menace de la masse et de la vérité. La masse, c’est la foule urbaine, ou rurale, océan muet ou orageux qui déferle, comme le raconte Diderot, contre 6 Michel de Certeau Le rire de Michel Foucault 22. M. de Certeau, L’Invention du quotidien, t.1 : Arts de faire, 10/18, 1980. 23. M. Foucault, « The Subject and Power », in Hubert L. Dreyfus et Paul Rabinow, Michel Foucault. Beyond Structuralism and Hermeneutics, University of Chicago Press, 1982, p. 220 (trad. franç. : Michel Foucault. Un parcours philosophique, Gallimard, 1984). 013 de Certeau.qxd 18/06/2004 09:47 Page 6 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard
  • 8. les fenêtres des laboratoires intellectuels. La force anonyme d’une douleur, d’une colère ou d’un rire de la foule captive, inquiète, envahit parfois et détruit l’édifice du savoir. La vérité, elle, est un élément d’interrogation qui met en question les configurations d’un ordre du sens. Elle survient comme un doute qui transgresse le vraisemblable, c’est-à-dire la loi d’un milieu. Elle a l’étrangeté d’une irruption et d’une « naissance » dans la cohérence de ce qui est « reçu ». Elle apparaît comme un fait singulier qu’on cherche à oublier parce qu’il lézarde les généralités de l’idéologie ou de la théorie. Curieusement, la masse et la vérité ont en commun d’être intenables (elles instaurent un excès, un débordement), d’être inappropriables (elles saisissent la pensée, elles la surplombent) et d’être innommables (elles ne se classent pas dans les taxinomies établies). Peut-être y a-t-il un point (mythique ?) de convergence entre la masse et la vérité. Je songe à la scène décrite par Nicolas de Cues au début de son grand traité De Mente24 : le « philosophe », muet d’étonnement sur un pont de Rome, regarde la masse innombrable des passants. Une vérité insaisissable, singulière et multiple, est là en marche, perdue dans la foule. Elle prend au philosophe sa place ; elle le « ravit ». Désormais, ce sera l’Idiotus, le non-spécialiste, l’homme sans place et sans qualité, qui introduira une question de vérité dans le discours itinérant – déplacé et étonné – du philosophe. Inversement, les pratiques définies par une place luttent sans trêve pour éduquer, discipliner, ordonner la masse en prétendant la représenter, et pour apprivoiser, articuler et systématiser la vérité en prétendant la produire comme doctrine. La place est un opérateur qui transforme la masse et la vérité en objets traités dans un lieu tenable, appropriable et nommable. La deuxième perspective vise les pratiques intellectuelles en tant qu’elles se définissent comme des « manières de faire » et qu’on peut y reconnaître des « styles ». Elle peut se référer au livre trop méconnu de G. Granger qui repérait dans l’écriture mathématique elle-même des « styles » différents – un style euclidien, un style cartésien ou un style « vectoriel »25. Le style est « cette structuration latente de l’activité scientifique elle-même, en tant qu’elle constitue un aspect de la pratique ». Aussi envisageait-il une « stylistique de la pratique scientifique ». Pour préciser l’enjeu d’une recherche sur la formalité de ces pratiques – mais une recherche qui se détache de l’« individuation », problème encore central chez Granger –, on pourrait évoquer aussi les travaux récents sur les manières d’utiliser le langage, en « ethnography of spea- king » ou dans une « sociology of communication » depuis Hymes, etc. Quoi qu’il en soit, je ferai seulement trois remarques intéressant les procédures intellectuelles. a) Les « manières de faire » n’obéissent pas à une détermination individuelle. Elles forment des répertoires collectifs, repérables dans les façons d’utiliser la langue, de gérer- l’espace, de faire la cuisine, etc. Des procédures d’origines hétérogènes peuvent se succéder et se croiser dans le champ des activités individuelles, à la façon d’acteurs anonymes traversant la scène qui porte le nom d’un supposé auteur. b) Ces pratiques, spécifiées par des styles, sont plus stables que leurs champs d’application. Ainsi les manières de parler ou de pratiquer une langue peuvent s’étendre à des vocabulaires importés, ou à des langues étrangères. Elles survivent même à la langue qui a été d’abord parlée. Elles ne sont donc pas identifiables au lieu dans lequel elles se sont exercées : il y a une manière basque de parler français, alors même qu’on ne parle plus le basque. Aussi, Pierre Legendre a-t-il pu analyser comment les pratiques 7 Michel de Certeau Le rire de Michel Foucault 24. Nicolas de Cues, De la pensée, in Ernst Cassirer, Individu et cosmos dans la philosophie de la Renaissance, Éd. de Minuit, 1983, p. 245. 25. Gilles-Gaston Granger, Essai d’une philosophie du style, Armand Colin, 1968. 013 de Certeau.qxd 18/06/2004 09:47 Page 7 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard
  • 9. juridiques médiévales ont persisté, à travers les âges, bien après la mort des grandes institutions où cette technologie avait pris forme. c) Enfin ces pratiques ne sont pas totalisantes, elles ne font pas partie d’ensembles cohérents. Un « style » opératoire ne régit pas la région entière des activités, et il n’est pas l’élément d’un système. Différentes « manières » peuvent cohabiter soit dans un même champ, soit chez le même acteur, tout comme, dans un même appartement, de la part du même habitant, on peut avoir simultanément des façons modernistes, traditionalistes ou fétichistes de « traiter » l’espace. Il serait possible de repérer des styles d’opérations intellectuelles indissociables de modes d’exercice du pouvoir : le style tacticien de la procédure juridique qui mue l’épisodique en scène de la loi, le style stratégique de l’énonciation professorale ou cléricale qui transforme le particulier en application d’une idéologie générale, le style oral du « conseil du prince » qui joue avec virtuosité d’une opaque proximité avec le nom ambigu du Vouloir ou « bon plaisir » d’un pouvoir, le style écrit de la manipulation textuelle qui fait de la distance un principe d’autorité, le style « ingénieur » qui prétend, par la réconciliation de la théorie et de la pratique, instaurer une neutralité objectivement imposée à toute décision comme sa condition de possibilité, le style technologique et « clanique » de la « recherche » dans les laboratoires liés à un marché international de la compétition, etc. Nous constituons nous-mêmes le champ d’expérimentation et d’élucidation de ces pratiques intellectuelles qui fonctionnent comme des pratiques de pouvoir. Il me semble qu’à les expliciter, qu’à s’en étonner, nous pouvons les tourner en surprises qui deviennent des manières de « se déprendre de soi-même » et instaurent le geste, rieur et philosophique, d’inventer des façons de « penser autrement ». Michel de Certeau. 8 Michel de Certeau Le rire de Michel Foucault 013 de Certeau.qxd 18/06/2004 09:47 Page 8 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-upmf_grenoble--147.171.174.91-07/10/201221h08.©Gallimard