2. 11-033-A-10 Flutter atrial et tachycardies atriales non fluttériennes
Épidémiologie
L’évaluation de la fréquence du flutter atrial dans la population
générale est très difficile. On sait qu’il est environ dix fois moins
fréquent que la FA et qu’il se rencontre cinq fois plus souvent chez
l’homme que chez la femme.
En fait, fibrillation et flutter atriaux sont parfois associés chez
un même individu. Ces deux arythmies sont alors le plus sou-
vent indépendantes l’une de l’autre. Ailleurs, le flutter constitue
le mode de début d’une séquence d’arythmie qui se dégrade spon-
tanément et souvent rapidement en fibrillation. La rapidité du
passage d’une forme à l’autre est souvent si grande qu’il est bien
difficile d’établir une relation entre elles, à moins qu’un enre-
gistrement Holter aide à objectiver cette succession. Dans des
observations plus rares, on a décrit des accès de FA se trans-
formant transitoirement en flutter, juste avant une réduction
spontanée.
Le flutter évolue le plus souvent de fac¸on paroxystique, mais
des formes passées à la chronicité sont observées, plus rares il est
vrai car le flutter atrial se transforme assez souvent en fibrillation
dans un délai plus ou moins long, surtout sous l’action de drogues
antiarythmiques, et en particulier des digitaliques qui provoquent
ce passage avec une assez grande facilité [1]
.
Les causes du flutter atrial sont surtout les pathologies qui
affectent le cœur droit et notamment bien sûr l’oreillette droite.
On le décrit dans l’évolution d’une atteinte tricuspidienne, d’une
pneumopathie chronique obstructive, des affections compliquées
d’une importante dilatation auriculaire droite (maladie
d’Ebstein).
L’hyperthyroïdie provoque rarement la survenue d’un flutter.
On observe très fréquemment des flutters après corrections chi-
rurgicales de cardiopathies congénitales [2–6]
, celles surtout qui
obligent à de larges ouvertures auriculaires droites (opérations de
Fontan et de Mustard). Par ailleurs, toute intervention nécessitant
une circulation extracorporelle se complique, une fois sur trois,
d’une tachycardie supraventriculaire qui est un flutter dans 30 %
des cas. Enfin, les ablations endocavitaires de FA, en créant des
lignes de bloc intra-auriculaire, en particulier gauches, lorsqu’elles
sont incomplètes, sont une cause importante de flutters gauches,
nécessitant une réintervention.
Si les affections mitrales sont plus rarement en cause dans la
survenue d’un flutter, des affections aiguës sont fréquemment
reconnues (poussées d’insuffisance respiratoire aiguë, péricardites
aiguës, infarctus du myocarde). Finalement, dans 20 % des cas
environ, il est impossible de déceler une cause et l’on parle alors
de flutter idiopathique.
Manifestations cliniques
Les manifestations cliniques du flutter sont assez souvent
discrètes : l’installation de l’arythmie peut donner lieu à la
sensation de quelques palpitations, mais occasionne très rare-
ment des lipothymies ou des syncopes, sauf pour les cas où
la conduction auriculoventriculaire est très rapide et lorsqu’il
existe une cardiopathie sous-jacente sévère. C’est habituelle-
ment la constatation d’une dyspnée d’effort inhabituelle ou
l’aggravation d’une dyspnée préexistante qui amène à décou-
vrir le flutter. Parfois, d’ailleurs, l’apparition d’un flutter atrial
peut précipiter chez certains patients une décompensation
cardiaque.
Mais si le premier épisode de flutter atrial peut débuter insi-
dieusement, les rechutes éventuelles donnent alors lieu à des
manifestations cliniques et fonctionnelles, même discrètes, que
le patient reconnaît volontiers.
Aspects électrocardiographiques
Le flutter atrial se présente sous différents types électrocardio-
graphiques. Bien que ce trouble du rythme supraventriculaire
ait été individualisé depuis longtemps, la classification de ces
différents types a longtemps souffert d’une imprécision. Ces
divers aspects de l’arythmie recouvrent en fait différents méca-
nismes que l’on a pu décrire et dénombrer grâce aux apports
Figure 1. Flutter atrial commun. Noter l’aspect caractéristique des
ondes F en DII, DIII, aVF, V1 et V6.
de la cartographie endocavitaire [7–9]
. Leur description est rendue
maintenant nécessaire depuis le développement des traitements
spécifiques du flutter (ablation endocavitaire).
On distingue deux grands types de flutter : le flutter typique
ou commun, le plus fréquent, et le flutter atypique qui regroupe
plusieurs aspects dont certains sont beaucoup plus rares que le
précédent.
Flutter typique ou commun
Il est encore appelé flutter de type I. C’est le plus fréquent
puisqu’il est rencontré dans plus des deux tiers des cas de flutters.
Contrairement au flutter atypique, il est modifié, voire interrompu
par la stimulation auriculaire (voir infra).
Électrocardiogramme de surface (Fig. 1)
Activité auriculaire. L’électrocardiogramme de surface est
des plus caractéristiques. L’activité auriculaire se lit électivement
dans les dérivations frontales DII, DIII et VF, où le diagnostic est
affirmé. Les dérivations V1 et surtout V6 sont souvent utiles pour
mieux préciser le type du flutter. Les ondes de flutter, appelées
ondes F, sont diphasiques, sans retour à la ligne isoélectrique dans
les gammes de fréquence habituelles, et remarquablement uni-
formes dans leur aspect. Cet aspect a d’ailleurs pu faire évoquer des
« dents de scie » ou encore des « toits d’usines ». On observe une
prédominance de la phase négative, immédiatement suivie d’une
phase ascendante positive assez abrupte qui se termine par un res-
saut arrondi. S’amorce alors une redescente qui se termine par une
nouvelle négativité profonde, précédée d’une sorte de plateau plus
ou moins bref, bien marqué et toujours présent. Les ondes F sont
peu visibles en DI ; un segment isoélectrique les sépare constam-
ment en V1 où elles sont le plus souvent positives ou diphasiques ;
elles sont négatives en V6 et synchrones de la phase négative des
ondes F en DII, DIII et VF. Lorsque la fréquence ventriculaire est
rapide, 2/1 (Fig. 2), il faut rechercher l’onde de flutter dans la
déformation de l’onde T.
L’activité auriculaire est généralement autour de
300 battements par minute, mais on observe des flutters
communs dont les fréquences, toujours fixes, vont de 250 à
340 battements par minute. On rencontre aussi, bien que beau-
coup plus rarement, des fréquences soit plus lentes (entre 200
et 250/min, essentiellement lorsqu’il existe une oreillette droite
dilatée ou imprégnée d’antiarythmiques) soit beaucoup plus
rapides (au-delà de 350/min et jusqu’à 400/min chez le nouveau-
né et le nourrisson). Dans tous ces cas de flutter commun, les
ondes F conservent la morphologie décrite précédemment. Il
existe cependant quelques exceptions avec un possible retour à
la ligne isoélectrique dans les dérivations inférieures lorsque la
fréquence du flutter est lente : cet aspect ne traduit cependant pas
un mécanisme électrophysiologique fondamentalement différent
du mécanisme du flutter commun décrit plus loin.
Conduction auriculoventriculaire. Il est exceptionnel que
l’activité auriculaire soit transmise en 1/1 aux ventricules (Fig. 2),
car la période réfractaire du nœud auriculoventriculaire est plus
longue que la longueur du cycle du flutter. Une telle circons-
tance est pourtant observée chez certains sujets jeunes dont le
passage atrioventriculaire est accéléré, chez le nourrisson ou en
présence d’une voie accessoire (faisceau de Kent). La perfusion
d’amines sympathomimétiques peut aussi en être la cause, mais
le plus souvent les conductions atrioventriculaires se font sur le
mode 1/1 à la faveur d’un ralentissement de la fréquence propre
du flutter généralement secondaire à une prise médicamenteuse
2 EMC - Cardiologie
3. Flutter atrial et tachycardies atriales non fluttériennes 11-033-A-10
I
II
III
aVR
aVL
aVF
V1
V2
V3
V4
V5
V6
Figure 2. Flutter atrial commun. 2/1 avec passage en 1/1 intermittent
(cycle 5).
antiarythmique (médicaments de la classe I et en particulier Ic).
Il n’est pas rare qu’une telle conduction 1/1 s’accompagne d’une
aberration de conduction au niveau d’une branche de division
du faisceau de His, compliquant d’autant plus le diagnostic si
les ondes F sont déjà masquées par la fréquence des ventriculo-
grammes.
Très fréquemment, la liaison auriculoventriculaire s’effectue sur
un mode 2/1, se traduisant par un rythme fixe cliniquement perc¸u
autour de 150 battements par minute et tout à fait caractéris-
tique. Des liaisons 3/1, voire 4/1, peuvent se voir en fonction de
l’état de perméabilité du nœud auriculoventriculaire. Le mode 5/1
est beaucoup plus rarement observé. La fréquence ventriculaire
est alors un sous-multiple de la fréquence auriculaire. Lorsque la
liaison auriculoventriculaire se fait en 2/1, il peut être difficile
d’observer, sur l’électrocardiogramme de surface, l’activité auricu-
laire. Il faut alors la démasquer par des manœuvres vagales qui
vont freiner la conduction nodale sans modifier le flutter pro-
prement dit. L’injection de Striadyne®
peut permettre aussi de
démasquer l’activité auriculaire par le brutal frein nodal qu’elle
provoque, mais elle est également susceptible de transformer le
flutter en FA. Enfin, dans le cas où le diagnostic demeure difficile,
il reste possible de s’aider d’un enregistrement endoœsophagien
qui apporte l’avantage supplémentaire de pouvoir tenter dans
la même séance la réduction de l’arythmie par une stimulation
auriculaire gauche.
Parfois, la conduction auriculoventriculaire est variable, réali-
sant une irrégularité des ventriculogrammes, irrégularité qui peut
n’être d’ailleurs qu’apparente. Ce phénomène, surtout lorsqu’il
est spontané et non provoqué par une prise médicamenteuse,
témoigne de deux, voire de trois, étages de conduction différents
au sein de la structure nodale. Chacun des étages ne permettant
qu’une conduction de type 2 ou 3/1 pour les uns, de type Wencke-
bach pour l’autre, le résultat de ces conductions cachées est une
variabilité de la fréquence ventriculaire, les mêmes séquences de
cycles différents se répétant à intervalles réguliers : c’est le phéno-
mène de Wenckebach « alterne ».
Données de la cartographie endocavitaire
Plusieurs études ont permis de préciser les séquences
d’activation auriculaire dans le flutter atrial [7, 8]
(Fig. 3, 4).
VCI
VCS
4
5
6
7 1
2
3
Figure 3. Cartographie d’activation endocardique d’un flutter
commun antihoraire de l’oreillette droite (OD) : le code des couleurs
représente le temps d’activation qui va du rouge au violet pour 300 ms
du cycle du flutter, le début de la boucle étant fixé arbitrairement au
début de l’onde rapide du flutter. Au centre, OD vue par la tricuspide avec
les veines caves en haut et en bas, et l’abouchement du sinus coronaire
(SC) vu par la tricuspide. Les vignettes de l’électrocardiogramme (ECG)
montrent de haut en bas les dérivations ECG DI, DII et DIII, le signal
local autour de la tricuspide et deux signaux de l’oreillette gauche (OG)
à l’orifice du sinus coronaire, puis plus distal, montrant le rapport entre
séquence d’activation et l’ECG. 1 à 7 : on voit que la première partie
négative de l’onde F correspond à l’activation ascendante septale (1 à
3), et la deuxième partie à la sa partie positive en DII, DIII (4 à 6). L’OG
s’active secondairement par le sinus coronaire à partir de la fin de la
première phase de l’onde F. La zone entre le violet et le rouge est la zone
de bouclage du circuit, dans l’isthme cavotricuspide, où s’enregistrent
des potentiels fragmentés (7) témoignant d’une conduction lente et se
projetant dans la phase isoélectrique du flutter sur l’ECG. VCS : veine
cave supérieure ; VCI : veine cave inférieure.
C
B
A
Figure 4. Cartographies endocavitaires de l’oreillette droite d’un
patient opéré chirurgicalement d’une communication interauriculaire,
compliquée plusieurs années plus tard de deux types de flutters, l’un aty-
pique (type II) (A), l’autre typique (type I) (C). Carte dite d’amplitude des
potentiels atriaux droits, en rose les plus faibles, en gris la zone cicatricielle
(B). Cartes temporelles de la séquence d’activation (A, C). Flutter type I
« classique », tournant autour de la valve tricuspide, ici vue de face (C).
Flutter atypique « type II » tournant autour de la cicatrice chirurgicale, ici
vue latérale entre les deux veines caves (A).
EMC - Cardiologie 3
4. 11-033-A-10 Flutter atrial et tachycardies atriales non fluttériennes
On constate un asynchronisme de dépolarisation entre les deux
oreillettes. La dépolarisation auriculaire gauche étant cartogra-
phiée à partir du sinus coronaire, à la faveur d’un foramen ovale
perméable et par des enregistrements œsophagiens, elle se pro-
page de la droite vers la gauche, et de bas en haut. On a bien
montré que cette dépolarisation est accomplie dans un temps
beaucoup plus court que celui du cycle du flutter et correspond sur
l’électrocardiogramme de surface à la phase négative de l’onde F
enregistrée en DII, DIII et VF. L’oreillette gauche n’a en fait aucun
rôle actif dans le mécanisme du flutter, comme il sera vu plus loin :
elle est dépolarisée à partir d’un mécanisme réentrant entièrement
situé dans l’oreillette droite.
La cartographie endocavitaire de l’oreillette droite montre bien
en effet que sa dépolarisation occupe la quasi-totalité du cycle
du flutter : c’est en son sein que le flutter trouve son mécanisme
(Fig. 3). Le septum est dépolarisé de bas en haut avant que la
dépolarisation gagne la paroi latérale en empruntant l’espace situé
entre la veine cave supérieure et l’auricule droite : cette phase cor-
respond sur l’électrocardiogramme de surface à la dernière partie
de la phase descendante de l’onde F. La dépolarisation descend
ensuite le long de la paroi latérale, par la crista terminalis et le
muscle pectiné, puis gagne le bas-fond de l’oreillette droite. Cette
phase de la dépolarisation correspond à la partie ascendante de
l’onde F de l’électrocardiogramme de surface. Il est intéressant
d’observer que la vitesse de dépolarisation et son orientation sur la
paroi latérale de l’oreillette droite en cours de flutter sont stricte-
ment identiques à celles que l’on peut mesurer en rythme sinusal,
cette région de l’oreillette droite ne servant vraisemblablement
que de voie de passage à la dépolarisation. C’est dans le bas-
fond de l’oreillette droite que l’on suit le plus difficilement le
déroulement de la dépolarisation. Dans les cas privilégiés où la car-
tographie couvre la totalité du cycle du flutter, on enregistre dans
cette zone des potentiels le plus souvent fragmentés [10]
: ces poten-
tiels ne sont pas spécifiques de cette zone puisqu’on les rencontre
également dans d’autres parties de l’oreillette droite, en particulier
au niveau de sa région supérieure, mais le bas-fond de l’oreillette
est l’endroit où se produit manifestement un ralentissement de la
dépolarisation. Cette région correspond anatomiquement à la par-
tie inférieure du triangle de Koch, entre l’orifice d’entrée du sinus
coronaire et la valve tricuspide. Sur l’électrocardiogramme, on a
montré qu’elle correspond au ressaut observé à la partie moyenne
de la phase descendante de l’onde F en DII, DIII et VF. Les moyens
techniques utilisés chez l’homme ne permettent pas de locali-
ser exactement l’endroit de ce ralentissement, la dépolarisation
se continuant vers la partie supérieure du triangle de Koch où se
situe le nœud atrioventriculaire en passant à la fois entre sinus
coronaire et veine cave inférieure, entre sinus coronaire et fosse
ovale, et entre sinus coronaire et valve tricuspide.
Mécanisme du flutter auriculaire commun
Il ne fait plus de doute actuellement que le mécanisme fonda-
mental du flutter atrial est une réentrée [11]
, et l’on a abandonné
l’hypothèse d’un foyer d’hyperautomatisme que Lewis avait pu
déjà réfuter en 1921 [12, 13]
.
De nombreux modèles animaux ont été mis au point. Ils ont
tous pour caractéristique commune de reproduire l’aspect du flut-
ter en créant des lésions auriculaires qui sont autant d’obstacles
autour desquels tourne la dépolarisation [14]
. C’est le cas du modèle
de Garcia-Ramos et Rosenblueth [15]
qui consiste à pratiquer une
lésion entre les deux veines caves : il est intéressant d’ailleurs de
constater que ce modèle n’aboutit au résultat escompté – la créa-
tion d’un flutter atrial – que si la lésion déborde sur le muscle
pectiné et inclut en fait la terminaison de la crista terminalis.
D’autres modèles aboutissent à des résultats similaires en écra-
sant une région limitée du muscle pectiné, en suturant la crista
terminalis [16–18]
, voire, plus récemment, en prolongeant les inci-
sions pratiquées par Garcia-Ramos et Rosenblueth à l’auricule
droite [19, 20]
.
L’hypothèse d’un obstacle anatomique à l’origine du flutter
atrial peut aisément se concevoir à la lumière des constatations
faites à partir des cartographies endocavitaires chez l’homme
comme il sera vu plus loin. Allessie a pu démontrer qu’un simple
obstacle fonctionnel pouvait également provoquer l’apparition
d’un flutter [21, 22]
. Ce bloc fonctionnel a depuis été reproduit avec
les mêmes conséquences par talcage péricardique [23–27]
, ou dila-
tation auriculaire droite par surcharge de pression (hypertension
artérielle pulmonaire) ou de volume (régurgitation tricuspidienne
massive) [28, 29]
.
Tous ces modèles ont en quelque sorte été validés par
l’exceptionnelle observation faite par Boineau [30]
qui a décrit
un flutter spontané chez un chien à la faveur d’un mouvement
tournant de la dépolarisation auriculaire autour d’une zone de
dégénérescence localisée du muscle pectiné.
Chez l’homme, Waldo a démontré la nature réentrante du flut-
ter par le phénomène de l’entraînement transitoire [31–33]
. On sait
qu’il ne suffit pas de modifier une tachycardie par stimulation
pour prouver que son mécanisme est une réentrée. En revanche,
si l’on recycle cette tachycardie par des extrastimulations, le méca-
nisme est alors très vraisemblablement une réentrée, surtout si ce
recyclage est permanent à la faveur d’un train de stimulations :
c’est l’entraînement transitoire. La tachycardie est transitoirement
accélérée car la stimulation pénètre son circuit, et le rythme initial
réapparaît au moment de l’arrêt de la stimulation ou de son ralen-
tissement. Pour pénétrer le circuit, il faut que celui-ci présente, à
un moment donné de son cycle, une période même courte pen-
dant laquelle il est sorti de sa période réfractaire : c’est la fenêtre
d’excitabilité [34]
. À l’arrêt de la stimulation, le cycle de retour est
souvent égal à celui de la tachycardie. L’ensemble de ces observa-
tions est spécifique des tachycardies par réentrée [35]
.
Pour ce qui concerne le flutter humain tel qu’il a pu être car-
tographié, lorsqu’une stimulation est délivrée à proximité d’un
circuit, la dépolarisation qui en est issue parvient dans ce cir-
cuit et le pénètre, dans la mesure où ce circuit comporte une
fenêtre d’excitabilité [36]
. La pénétration se fait à la fois dans le sens
du circuit (sens orthodromique) que dans le sens contraire (sens
antidromique). La dépolarisation qui a pénétré le circuit dans
le sens orthodromique anticipe le cycle du flutter, mais l’aspect
des ondes est légèrement modifié par la dépolarisation antidro-
mique qui est plus ou moins importante et a donc déjà assuré une
dépolarisation du circuit : c’est le phénomène de la fusion. Sur
l’électrocardiogramme, la fusion correspond à des ondes F modi-
fiées. L’arrêt de la stimulation n’interrompt pas le flutter mais la
pénétration orthodromique finale rétablit le cycle normal du flut-
ter sans que le dernier auriculogramme stimulé présente un aspect
de fusion. Plus la stimulation est effectuée à distance du circuit,
plus le premier cycle spontané suivant le dernier cycle stimulé est
long par rapport au cycle habituel du flutter car incluant le temps
de conduction du point de stimulation au circuit [37–41]
.
Le flutter commun est donc un phénomène qui prend nais-
sance au sein de l’oreillette droite. Il est caractérisé par une
dépolarisation circulaire de sens antihoraire, comme l’ont démon-
tré les cartographies endocavitaires chez l’homme. C’est une
macroréentrée intra-auriculaire, dont la nature est prouvée par la
stimulation [42]
, qui provoque le phénomène d’entraînement dont
on retient les critères spécifiques suivants :
• la fréquence du flutter est modifiée en cours de stimulation ;
• on observe l’apparition de complexes de fusion ;
• la fusion est progressive et son degré dépend de la fréquence de
stimulation ;
• à l’arrêt de la stimulation, la longueur du dernier cycle entraîné
est celle observée au cours de la stimulation mais sans fusion ;
• la tachycardie reprend son allure habituelle à l’arrêt de la sti-
mulation.
Il est habituel de constater qu’un seul extrastimulus ne peut pas
induire ou arrêter un flutter.
La particularité du mécanisme du flutter commun est que
l’activation de l’oreillette droite s’effectue autour d’un obstacle
« mixte » : anatomique (les deux orifices des veines caves) et fonc-
tionnel (bloc de conduction entre ces deux mêmes orifices).
Ce dernier serait, selon toute vraisemblance, constitué par la
crista terminalis dont l’orientation des fibres musculaires à cet
endroit (perpendiculaire au sens de la dépolarisation) constitue-
rait un obstacle fonctionnel du même type que ceux démontrés
par Spach [43]
. D’une fac¸on similaire, l’extrême complexité des
orientations des fibres musculaires à la base du triangle de Koch
expliquerait le freinage de l’onde d’activation observé. Ce ne sont
là que des hypothèses ; aucune observation anatomique n’a per-
mis de retrouver des anomalies histopathologiques susceptibles
4 EMC - Cardiologie
5. Flutter atrial et tachycardies atriales non fluttériennes 11-033-A-10
Figure 5. Flutter atypique 2/1 puis réponse ventriculaire ralentie par
une manœuvre vagale. Électrocardiogramme 12 dérivations. Ondes peu
amples en dérivations frontales, et positives en V1.
d’expliquer le schéma de la dépolarisation du flutter, mais on sait
les difficultés pour établir des corrélations entre des observations
histologiques et des phénomènes électriques.
Des observations particulièrement intéressantes ont permis de
montrer que des épisodes de flutters pouvaient survenir chez
des patients présentant, sur l’électrocardiogramme de surface
en rythme sinusal, des troubles manifestes de la conduction
intra- et interauriculaire. Ces derniers font apparaître des ondes P
en doubles bosses en DII, ou diphasiques dans les dérivations
inférieures. Bien qu’une relation directe entre ces aspects et
la survenue d’épisodes de flutter soit difficile à établir, une
« resynchronisation » de la dépolarisation des deux oreillettes a
pu, dans certains cas privilégiés, prévenir la rechute du flutter.
Flutter atypique
La description électrocardiographique des types de ce flutter
reste encore, sur bien des points, imprécise. La cartographie endo-
cavitaire peut apporter plus de clarté dans le dénombrement de ces
divers types, mais il est fréquent de constater l’absence de concor-
dance absolue entre les données des cartographies et l’aspect des
ondes de flutter sur les tracés de surface.
Deux types de flutters atypiques peuvent être individualisés à
partir de leur fréquence et de l’aspect des ondes F.
Le premier est appelé rare (Fig. 5). On le rencontre dans 10
à 15 % des cas environ. Depuis la première description qu’en a
faite Puech [9]
, on constate que les aspects électrocardiographiques
actuellement retenus ne sont pas clairement définis et identiques
pour tous les auteurs. Classiquement, les ondes F ont une fré-
quence basse, entre 200 et 250 battements par minute, rarement
au-delà. Elles sont surtout positives dans les dérivations DII, DIII et
VF, peu « voltées », avec une faible négativité dans ces dérivations
où il est fréquent d’observer un retour à la ligne isoélectrique. Dans
les dérivations précordiales, les ondes F sont positives, séparées
nettement par une ligne isoélectrique.
Cependant, ailleurs, les ondes F dessinent un feston quasi inin-
terrompu d’accidents positifs dans les dérivations inférieures, sont
bien « voltées », ou prennent un aspect qui rappelle les ondes du
flutter commun tout en demeurant moins « voltées » et sans pré-
senter le ressaut caractéristique de la phase descendante (Fig. 6).
Cette difficulté d’identification tient vraisemblablement au fait
que le sens de la dépolarisation des oreillettes n’est pas univoque.
A
aVF
aVL
aVR
III
II
I
B
V6
V5
V4
V3
V2
V1
Figure 6. Flutter atypique 2/1. Électrocardiogramme 12 dérivations,
probablement horaire.
Peu de ces flutters atypiques ont été cartographiés [44]
. Mais, très
souvent, le sens de la réentrée, qui se situe toujours dans l’oreillette
droite, est horaire : elle descend sur le septum interauriculaire
de fac¸on craniocaudale et remonte sur la paroi latérale dans le
sens inverse. À l’instar du flutter commun, ce flutter atypique
présente une zone de conduction lente dans la partie basse de
l’oreillette droite et une ligne de bloc anatomofonctionnel entre
les deux veines caves. Il est intéressant de remarquer que le
flutter rare est très souvent provoqué par la stimulation rapide
d’un flutter commun. On l’observe également depuis peu au
cours de l’ablation endocavitaire du flutter commun. Dans ces
circonstances, on constate que le changement du sens de la dépo-
larisation ne s’accompagne pas toujours d’une modification de la
morphologie des ondes F de surface.
On sait maintenant que d’authentiques flutters ont leur circuit
de réentrée non plus dans l’oreillette droite mais dans l’oreillette
gauche. Par cartographie endocavitaire, on observe une dépola-
risation débutant à l’extrémité distale du sinus coronaire et la
dépolarisation de l’oreillette gauche s’effectue de la gauche vers
la droite.
Dans tous les cas de flutters atypiques ou rares, la stimulation
influence peu l’arythmie, sinon en la faisant changer de type ou
en précipitant la survenue d’une fibrillation auriculaire.
On doit rapprocher de ces types de flutters ceux qui sont
observés à la suite d’interventions chirurgicales correctrices de
cardiopathies congénitales nécessitant une atriotomie. C’est le
cas des opérations de Mustard et de Fontan ainsi que des cor-
rections de communications interauriculaires (Fig. 4). Les flutters
surviennent fréquemment et souvent tardivement, démontrant
le grand potentiel arythmogène des incisions atriales. Les flutters
sont généralement atypiques et des auriculogrammes dédoublés
sont enregistrés au centre du circuit, c’est-à-dire au niveau de la
cicatrice puisque la dépolarisation tourne autour de celle-ci (sep-
tum ou paroi libre). Leur traitement est particulièrement difficile.
Le second est appelé flutter de type II selon la dénomination
proposée par Waldo. Il existe bien des similitudes entre cette forme
et celle qu’il était coutume d’appeler en France le « fibrilloflutter »
ou « flutter input ». La fréquence des ondes F est élevée, entre 350
et 400 battements par minute. Les cycles sont fixes dans leur mor-
phologie et leur longueur, avec des ondes F particulièrement bien
« voltées » dans les dérivations précordiales.
EMC - Cardiologie 5
6. 11-033-A-10 Flutter atrial et tachycardies atriales non fluttériennes
I
II
III
I
II
III
St
A
V1
A2
A1
V1
Figure 7. Stimulation endocavitaire atriale droite : une courte salve de
stimuli transforme le flutter en fibrillation atriale, qui s’arrête spontané-
ment en quelques secondes, avec retour au rythme sinusal.
Évolution du flutter atrial
Le flutter peut évoluer de manière paroxystique et la tolérance
dépend alors, bien sûr, de l’existence d’une cardiopathie sous-
jacente qui conditionne également le pronostic des formes passées
à la chronicité. Cette dernière éventualité devient heureusement
de moins en moins fréquente après le développement des théra-
peutiques nouvelles, notamment ablatives. Les formes chroniques
se compliquent volontiers d’insuffisance cardiaque, que celle-ci
soit le fait d’une cardiopathie évoluée ou qu’elle soit d’origine
rythmique.
Le risque embolique est classiquement moins important avec
le flutter qu’avec la FA. Néanmoins, beaucoup de flutters
s’accompagnent d’épisodes paroxystiques de FA qui majorent les
risques emboliques.
Traitement du flutter atrial
Traitement curatif
Traitement médicamenteux. La réduction médicamenteuse
du flutter ne s’envisage guère pour des arythmies anciennes (pour
lesquelles on connaît le faible pourcentage de succès) ou mal tolé-
rées, et nécessitant alors une électrothérapie plus rapide et plus
efficace. On n’envisage donc la réduction médicamenteuse que si
le flutter est d’apparition récente et bien supporté [45]
.
Il n’est plus d’usage d’employer les antiarythmiques de la
classe I qui peuvent ralentir la fréquence du flutter et faciliter une
conduction auriculoventriculaire sur un mode 1/1. L’utilisation
des antiarythmiques de la classe IV ralentit la conduction auricu-
loventriculaire, mais leur efficacité dans la réduction du flutter est
loin d’être reconnue [46–48]
.
C’est donc à l’amiodarone qu’on a recours le plus souvent.
Celle-ci peut être administrée par voie intraveineuse à la posolo-
gie de 5 mg/kg, injectée en 15 à 30 minutes. Certains préconisent,
à la fin de l’injection et si le rythme sinusal n’est pas restauré, de
l’acétyldigitoxine [49, 50]
.
Mais c’est le plus souvent par voie orale que l’amiodarone
est prescrite. Bien que certains aient préconisé une dose unique
de 30 mg/kg à n’administrer qu’en milieu hospitalier, on préfère
généralement donner 600 à 800 mg en une seule prise, suivie les
jours suivants et si nécessaire d’une administration quotidienne
de 400 mg en sachant qu’il faut souvent patienter 15 jours. De la
digoxine est parfois systématiquement associée : l’efficacité sup-
plémentaire qu’elle apporte n’est pas démontrée mais les risques
de bradycardie au moment de la réduction ne sont alors pas négli-
geables.
Traitements électriques. Ils doivent être envisagés d’emblée
lorsque l’arythmie est ancienne ou mal tolérée du fait de la
fréquence ventriculaire et/ou des mauvaises conditions hémody-
namiques.
Stimulation auriculaire endocavitaire (Fig. 7). Par voie percutanée
est introduite dans une veine fémorale ou brachiale une sonde
bipolaire que l’on positionne dans l’oreillette droite. Pour certains,
la stimulation gagne en efficacité lorsqu’elle est appliquée dans la
partie latérale haute de l’oreillette. Les stimuli doivent avoir une
intensité d’au moins 5 à 10 mA.
Deux techniques de stimulation sont possibles [51]
. La première
consiste à stimuler à une fréquence légèrement supérieure à
celle du flutter. Lorsqu’une capture de l’oreillette est obtenue,
on augmente alors rapidement la fréquence de stimulation de
30 à 50 coups par minute pour l’arrêter brusquement au bout de
quelques secondes. L’autre méthode consiste à stimuler d’emblée
et à une fréquence fixe l’oreillette avec une fréquence 20 à 30 %
supérieure à celle du flutter, pendant environ une vingtaine
de secondes, avant d’interrompre brusquement la stimulation.
Lorsque l’une ou l’autre de ces techniques ne réussit pas, elle
peut être réitérée soit à la même fréquence, soit surtout à une
fréquence supérieure. La moitié au moins des flutters communs
peuvent être réduits de cette fac¸on ; un quart d’entre eux sont
dégradés en fibrillation auriculaire (Fig. 7) qui est le plus souvent
transitoire avant le retour du rythme sinusal. Pour les flutters qui
résistent à la stimulation, on peut délibérément les transformer
en fibrillation auriculaire par stimulation à très haute fréquence,
étape temporaire parfois vers la réduction [52–54]
.
Stimulation œsophagienne. La stimulation œsophagienne est une
technique dont l’intérêt dans le traitement curatif du flutter le
dispute à celui de la stimulation endocavitaire [55–57]
. La tech-
nique consiste à placer dans l’œsophage une sonde en regard de
l’oreillette gauche afin de la stimuler selon des protocoles en tous
points identiques à ceux de la stimulation endocavitaire.
La sonde, spécialement conc¸ue pour cet usage, est souple, bi-
ou quadripolaire. Elle est introduite dans l’œsophage le plus sou-
vent par voie nasale, le patient en position demi-assise. On peut
enduire l’extrémité de la sonde d’un gel anesthésique comme la
Xylocaïne®
, ou procéder à une légère anesthésie oropharyngée. Il
est recommandé que le patient soit à jeun car l’introduction de la
sonde provoque souvent d’intenses réflexes nauséeux. Ces incon-
vénients peuvent être atténués en rassurant pleinement le patient
auparavant. Un traitement anticoagulant ne contre-indique pas la
technique. Les électrodes vont permettre, dans un premier temps,
de repérer les auriculogrammes : le positionnement de la sonde
se fait d’ailleurs le plus souvent par l’enregistrement de ces der-
niers que l’on recherche les plus amples possibles, diphasiques de
préférence. La stimulation se fait ensuite en prévenant le patient
d’une possible gêne. On débute toujours avec des intensités de
stimulation faibles pour les augmenter ensuite progressivement
jusqu’à des valeurs dépassant parfois 10 mA. Si la gêne ressen-
tie par le patient est intense, on augmente la largeur des stimuli,
qui peut ainsi atteindre 20 ms. Il est possible parfois de captu-
rer les ventricules : c’est la raison pour laquelle on ne débutera
jamais une stimulation à une intensité et une fréquence trop
élevées.
Les chances de succès de la stimulation œsophagienne sont net-
tement plus grandes pour les flutters de type I que pour ceux de
type II.
Stimulation endocavitaire ou œsophagienne ? Les résultats obtenus
sont sensiblement équivalents avec l’une ou l’autre technique [58]
.
Sur l’instant, la stimulation endocardique permet plus souvent
le retour au rythme sinusal (40–50 % contre 19–50 % selon les
études), mais les passages en fibrillation auriculaire paraissent
plus nombreux (autour de 50 % contre 25 %). Au terme des
24 heures de suivi, le retour au rythme sinusal est obtenu dans
environ 75 % des cas lorsque la stimulation a été faite par voie
endocavitaire, 82 % avec l’autre technique. La stimulation œso-
phagienne possède sur la stimulation endocavitaire l’avantage
de ne pas être invasive, de ne pas nécessiter de scopie et de
pouvoir en principe être plus facilement répétée. En fait, à résul-
tats équivalents, le choix sera surtout dicté par la tolérance de
l’examen. L’introduction percutanée d’une sonde de stimula-
tion dans l’oreillette droite peut être parfois mieux tolérée et
plus rapidement effectuée par un opérateur expérimenté que le
positionnement laborieux d’une sonde œsophagienne. Il ne faut
cependant pas oublier qu’un cathétérisme, même de courte durée
dans les cavités droites, peut présenter des risques, en particulier
locaux (hématome, surtout chez un patient sous anticoagu-
lants). En revanche, certains stimulateurs cardiaques implantés
peuvent avoir une fonction de stimulation atriale rapide, soit
activée temporairement lors d’une consultation, soit automatique
(Fig. 8).
Choc électrique externe. La cardioversion électrique est
rarement nécessaire. En dehors des exceptionnelles conditions
d’urgence, elle est requise lorsqu’un flutter est rebelle à la sti-
mulation (quelle que soit sa technique) ou surtout lorsqu’une
6 EMC - Cardiologie
7. Flutter atrial et tachycardies atriales non fluttériennes 11-033-A-10
Figure 8. Stimulation endocavitaire d’un flutter atrial (tracé continu)
par un stimulateur cardiaque avec fonction antitachycardie atriale auto-
matique (Medtronic®). À gauche, détection de la tachycardie des
oreillettes. Au centre, envoi des stimuli qui capturent la tachycardie. À
droite, arrêt de la tachycardie à l’arrêt de la stimulation et retour au rythme
sinusal.
stimulation a dégradé un flutter en fibrillation auriculaire durable.
La cardioversion électrique du flutter ne nécessite pas de hautes
énergies : 50 J suffisent le plus souvent, mais on peut par souci
d’une plus grande efficacité choisir d’emblée de délivrer 100 J sans
risques supplémentaires [59–62]
.
Traitement préventif
Traitement médicamenteux. Assez peu de travaux ont été
consacrés à l’efficacité des traitements médicamenteux dans
la prévention des rechutes de flutter, soit après un épisode
paroxystique, soit après une réduction pharmacologique ou élec-
trique [63, 64]
.
Au décours d’un premier accès de flutter atrial, un traitement
préventif n’est pas la règle et tout est affaire de cas particulier.
Certains administrent un traitement préventif quel que soit le
patient. D’autres, les plus nombreux, préfèrent surseoir à tout trai-
tement lorsqu’il n’y a aucune cause favorisante, ne réservant un
traitement préventif qu’aux arythmies récidivantes [65]
.
En règle générale, les médicaments utilisés sont ceux de la
prévention des rechutes de FA [66]
. On privilégie en première
intention, et si la qualité du myocarde le permet, les antiaryth-
miques de la classe I et en premier lieu ceux de la classe Ic.
Les bêtabloquants trouvent ici leur indication lorsqu’un facteur
catécholergique paraît favoriser la survenue des épisodes aryth-
miques ; dans les autres circonstances, ils sont souvent d’une
efficacité incertaine, à l’exception du sotalol qui possède égale-
ment des propriétés de la classe III. L’amiodarone n’est réservée
qu’aux flutters atriaux résistant aux autres antiarythmiques [67]
.
Les associations médicamenteuses sont réservées aux échecs des
monothérapies et ne doivent jamais être proposées en première
intention.
En cas de rechutes fréquentes malgré le traitement et/ou de
mauvaise tolérance hémodynamique ou fonctionnelle, il est
maintenant licite d’envisager l’ablation endocavitaire par radio-
fréquence.
Ablation endocavitaire. Les premières ablations endocavi-
taires du flutter atrial ont débuté à la fin des années 1980 avec
la fulguration [68, 69]
. La procédure consistait alors à délivrer un
choc de 200 J à l’endroit de la zone de conduction lente nécessaire
à la réentrée [70]
. Malgré des succès certains, cette méthode a été
abandonnée en raison, d’une part, du réel danger de perforation
que le barotraumatisme faisait courir aux patients, d’autre part,
de l’apparition de l’ablation par courants de radiofréquences. Les
lésions créées par cette nouvelle technique sont alors devenues
très petites en regard de la large zone intéressée par la réentrée
du flutter. La procédure mise alors au point, toujours utilisée,
consiste à ne plus vouloir détruire la zone de réentrée, mais à
couper une voie de passage nécessaire au circuit du flutter. Cette
voie est apparue très vite comme devant être la région com-
prise entre valve tricuspide et veine cave inférieure, (Fig. 3, 4)
appelée encore « isthme » [71]
. Plusieurs tirs en ligne sont entre-
pris selon cet axe jusqu’à l’interruption du flutter ; on s’assure
ensuite que le flutter n’est plus réinductible, qu’il existe bien
un bloc de conduction dans la région considérée qui interdit au
flutter de se reproduire. L’ablation en cours de flutter n’est pas
nécessaire dès lors que l’on obtient ce bloc en rythme sinusal
(Fig. 9).
Les résultats de l’ablation sont bons dans environ 85 % des cas
et immédiatement. Malheureusement, beaucoup de rechutes se
B C
A
Figure 9. Électrocardiogramme de surface pendant l’ablation de
l’isthme cavotricuspide lors d’une stimulation du sinus coronaire (A).
On voit la modification de l’onde P lorsque le bloc de l’isthme change
la séquence d’activation atriale, obligeant le front d’activation à passer
uniquement par le septum pour activer l’oreillette latérale (B, C) (flèches).
I
II
III
Figure 10. Tachycardie parasinusale sensible au massage sinocaro-
tidien.
font à distance et l’on observe souvent la survenue d’une FA [72]
,
témoignant d’une maladie plus générale des oreillettes dont le
flutter était la première manifestation.
L’ablation du flutter peut être actuellement proposée en
deuxième intension aux cas gênants dès la deuxième récidive du
fait de la faible efficacité des traitements pharmacologiques, en
expliquant au patient la possibilité de survenue ultérieure d’autres
arythmies atriales.
Tachycardies par réentrée
intra-auriculaire localisée
Clinique
Ce type de tachycardie est plus souvent paroxystique
qu’incessant. C’est dans les formes permanentes et donc rares que
ces tachycardies ont été appelées tachysystolies [73–75]
. On les ren-
contre surtout chez des sujets âgés, d’autant plus fréquemment
qu’existe une cardiopathie sous-jacente (maladie coronarienne,
bronchopneumopathie chronique obstructive).
Aspects électrocardiographiques et données
des explorations endocavitaires
Les fréquences auriculaires se situent dans une gamme très large
qui va de 100 à 200 battements par minute.
Les ondes P’ de surface diffèrent d’autant plus des ondes P sinu-
sales que la dépolarisation auriculaire commence à distance de la
région sinusale. Or, l’origine de cette dépolarisation peut se situer
aussi bien dans l’oreillette droite (Fig. 10) que dans l’oreillette
gauche (Fig. 11). Lorsque la dépolarisation est localisée sur la paroi
latérale de l’oreillette droite, les ondes P’ sont positives dans les
EMC - Cardiologie 7
8. 11-033-A-10 Flutter atrial et tachycardies atriales non fluttériennes
dérivations inférieures ; lorsqu’elle prend naissance dans la partie
basse de l’oreillette droite, les ondes P’ sont négatives dans ces
mêmes dérivations.
Contrairement à ce que l’on observe généralement pour les
tachycardies jonctionnelles, on constate que P’R est inférieur à
RP’, bien que ce critère soit soumis à la fréquence des ondes P’ et à
l’état de perméabilité du nœud auriculoventriculaire. Néanmoins,
la tachycardie est indépendante de ce dernier. Les manœuvres
vagales ralentissent assez souvent l’activité auriculaire qui peut
même s’arrêter après ce ralentissement ou un passage bref (Fig. 10)
en bloc auriculoventriculaire transitoire.
La cartographie endocavitaire ne retrouve pas de circuit comme
pour le flutter (Fig. 12). La stimulation apporte pourtant des
arguments en faveur d’une réentrée qui est vraisemblablement
localisée dans une structure peu étendue. La stimulation auricu-
laire programmée déclenche la tachycardie, et le premier cycle de
celle-ci est d’autant plus long que la stimulation a été prématu-
rée. La stimulation arrête aussi la tachycardie qui se termine sur
un ventriculogramme.
Barold [76]
a localisé les sites d’origine les plus fréquents de ces
tachycardies. On les rencontre dans 59 % des cas sur la crista termi-
nalis, dans 21 % des cas au niveau de l’auricule gauche, dans moins
de 20 % des cas à l’entrée du sinus coronaire ou dans l’auricule
droite, et dans de très rares cas autour de l’abouchement des veines
pulmonaires (Fig. 13).
I
II
III
B–
Figure 11. Tachycardie atriale gauche (onde P négative en DI, démas-
quée par un bloc nodal induit par un bêtabloqueur).
Traitement
Les tachycardies par réentrée intra-auriculaire localisée sont
facilement traitées par les médicaments antiarythmiques. On peut
utiliser les inhibiteurs calciques (notamment le vérapamil) ou les
digitaliques. Les bêtabloquants ainsi que les antiarythmiques de
la classe I sont également efficaces.
Compte tenu de la grande sensibilité aux médicaments
qui viennent d’être cités, il est exceptionnel de recourir à
l’amiodarone. On préfère alors proposer une ablation endocavi-
taire par courants de radiofréquences : le repérage endocavitaire
de l’origine de la tachycardie est aisé lorsqu’elle se situe dans
l’oreillette droite, et généralement un seul tir suffit à faire
définitivement disparaître l’arythmie, sans risques importants
(Fig. 12) [77]
.
Tachycardies atriales
automatiques ectopiques
Elles sont communément appelées tachycardies atriales [78]
.
Incessantes ou permanentes, on les rencontre électivement
chez l’enfant, l’adolescent ou l’adulte jeune. Elles sont le
plus souvent très bien supportées mais peuvent, lorsqu’elles
*
RF1
2
3
Figure 12. Ablation d’une tachycardie atriale focale de l’auricule droit,
au deuxième tir de radiofréquence à son point d’origine (astérisque).
Auricule droit
35 cas
Septum
Oreillette droite
Crista
2
2
7
5
1
2
4
3
1
6
3
1
9
2
12
Auricule gauche
Oreillette gauche
25 cas
Figure 13. Localisation des sites d’origine de
tachycardies atriales, sur une série personnelle de
60 cas, avec une représentation schématique des
cavités atriales vues à partir des anneaux valvulaires.
8 EMC - Cardiologie
9. Flutter atrial et tachycardies atriales non fluttériennes 11-033-A-10
persistent des années, être à l’origine d’une véritable cardiopa-
thie rythmique. Leur traitement devient donc le plus souvent une
nécessité [79]
.
Aspects électrocardiographiques et effets
de la stimulation endocavitaire
L’activité auriculaire se situe généralement entre 100
et 150 battements par minute, plus rarement autour de
200 battements par minute. L’origine de la dépolarisation
est fréquemment dans l’oreillette droite comme le montre la
forme des ondes P’ dans les dérivations périphériques. Bien que
la position de P’ par rapport aux QRS dépende de la fréquence
du rythme auriculaire et de la perméabilité du nœud auriculo-
ventriculaire, on observe le plus souvent que P’R est inférieur à
RP’.
L’activité auriculaire peut être légèrement modifiée par le tonus
neurovégétatif, mais les manœuvres vagales n’arrêtent jamais
l’arythmie.
La stimulation auriculaire programmée ne déclenche ni n’arrête
la tachycardie qui peut être cependant recyclée. À l’arrêt d’une sti-
mulation auriculaire rapide, le cycle de retour est plus long que
celui de la tachycardie. Cette dernière reprend alors immédiate-
ment sa fréquence initiale.
Le mécanisme est très vraisemblablement un hyperautoma-
tisme. Cette tachycardie est très différente de la tachycardie dite
de Coumel qui est un rythme réciproque empruntant dans le sens
rétrograde une voie accessoire à conduction lente généralement
en position postéroseptale droite.
Traitement
La tachycardie atriale ectopique est peu sensible aux médi-
caments antiarythmiques. Les succès sont de courte durée et
c’est pourquoi on a de plus en plus souvent recours à l’ablation
endocavitaire qui est très efficace. À l’aide d’au moins deux
sondes multipolaires, on cartographie l’oreillette droite jusqu’à
repérer le point de primodépolarisation. Un ou plusieurs tirs
de radiofréquence sont alors délivrés qui suffisent à inter-
rompre immédiatement et définitivement l’arythmie comme sur
la Figure 12 [80, 81]
.
Tachycardies digitaliques
Ce sont des tachycardies atriales par activités déclenchées qui
sont une complication classique, bien que rare, d’un surdosage
digitalique. Le contexte médicamenteux explique que cette tachy-
cardie est souvent associée à d’autres troubles rythmiques ou peut
se compliquer d’un bloc auriculoventriculaire complet.
L’aspect électrocardiographique est caractéristique et a été
décrit bien précisément : on observe d’abord une accéléra-
tion de l’activité atriale alors que la morphologie de l’onde P
se modifie jusqu’à présenter celle d’une activité ectopique.
Avec l’accélération de la cadence auriculaire, le délai auricu-
loventriculaire augmente naturellement et l’onde P’ est ainsi
progressivement incluse dans l’onde T la précédant, puis dans le
QRS lui-même.
Le mécanisme de ces tachycardies, dont l’origine est très sou-
vent céphalique droite, n’a pas été démontré formellement,
mais il s’agit vraisemblablement d’un hyperautomatisme et l’on
considère, après les connaissances acquises sur les arythmies ven-
triculaires de l’intoxication digitalique, qu’il est la conséquence
de postpotentiels tardifs.
Le traitement de ces tachycardies est tout simplement l’arrêt des
digitaliques. Une surveillance continue ne s’impose généralement
pas et l’administration de diphénylhydantoïne intraveineuse ne
se conc¸oit que devant des troubles ventriculaires associés sévères.
Les tachycardies digitaliques sont à rapprocher, quant à leurs
mécanismes, des formes paroxystiques à rechutes [82]
des tachy-
cardies atriales par activités déclenchées.
Elles sont rares et ont la même présentation clinique et élec-
trocardiographique que les tachycardies atriales par réentrées
localisées. Seulement, si ces tachycardies sont déclenchables par
stimulation auriculaire programmée, plus l’extrastimulus qui les
provoque est prématuré, plus le cycle de retour initiateur est court :
cela est très en faveur d’une activité déclenchée par des postpoten-
tiels tardifs. Ce sont des tachycardies que l’on accélère d’ailleurs
facilement par une stimulation auriculaire rapide en « salve ».
Le traitement est rendu simple par la grande sensibilité de ces
tachycardies aux inhibiteurs calciques.
Tachycardies atriales
polymorphes ou multifocales
Ce sont des formes rares de tachycardies atriales qui sont encore
appelées tachycardies atriales chaotiques [83]
.
“ Points essentiels
• Les tachycardies régulières des oreillettes sont appelées
flutters lorsque les ondes atriales paraissent continues au
moins dans une dérivation ECG, et tachycardies atriales
lorsque les ondes sont toujours séparées par une ligne iso-
électrique. Ces définitions anciennes n’ont qu’un intérêt
descriptif depuis l’ère des méthodes ablatives.
• La conduction AV varie selon ses caractéristiques
propres, et le cycle atrial, régulière ou irrégulière, décré-
mentielle 2/1, 3/1, etc., rarement 1/1.
• On distingue les tachycardies par macroréentrée et
celles d’origines focales, mécanisme qui ne peut être
vraiment reconnu que par une exploration électrophysio-
logique.
• Leur site d’origine peut être en tout point des oreillettes
aussi bien droites que gauches.
• Le flutter classique, le plus fréquent, est une macroréen-
trée située dans l’oreillette droite, est ascendant au niveau
du septum interatrial, et descendant dans la paroi latérale
de l’oreillette droite, passant par l’isthme entre l’orifice de
la veine cave inférieure et l’anneau tricuspide. On l’appelle
pour cette raison flutter isthmique, caractéristique, avec
ses ondes en dents de scie négatives en DII, DIII, VF.
• Leurs étiologies sont multiples, souvent idiopathiques,
de fréquence croissante avec l’âge, souvent associées à la
FA, parfois liées à des cicatrices intra-atriales, chirurgicales
ou celles de l’oreillette gauche après ablation par cathéter
de la fibrillation atriale, ou compliquant un traitement anti-
arythmique de la classe Ic de prévention de la fibrillation
atriale.
• Le traitement palliatif consiste à ralentir la réponse ven-
triculaire, essentiellement par bêtabloqueur, digitalique ou
inhibiteur calcique non hydropyridinique.
• On peut interrompre facilement les circuits de macro-
réentrée par stimulation atriale programmée, par une
sonde endocavitaire placée dans l’oreillette droite, voire
transœsophagienne, ou encore par un choc électrique
externe, alors que les tachycardies focales ne sont sensibles
qu’à un choc électrique externe.
• Le traitement préventif médicamenteux par antiaryth-
miques est peu efficace, voire arythmogène, avec les
antiarythmiques de classe Ic.
• Le traitement définitif est l’ablation par cathéter, en
brûlant une zone du circuit de réentrée, l’isthme cavotri-
cuspide pour le flutter classique isthmique le plus fréquent,
ou le site d’une tachycardie focale, avec plus de 95 % de
succès dans la plupart des séries.
EMC - Cardiologie 9
10. 11-033-A-10 Flutter atrial et tachycardies atriales non fluttériennes
Elles surviennent dans un contexte bien particulier : sujets
généralement âgés (plus de 70 ans) en poussée d’insuffisance res-
piratoire aiguë sur bronchopathie chronique. Il peut s’agir encore
d’une décompensation cardiaque ou d’une embolie pulmonaire,
de l’évolution d’un cancer, d’une insuffisance rénale (surtout en
cours de dialyse) ou d’une cardiopathie valvulaire.
L’électrocardiogramme enregistre des salves plus ou moins pro-
longées de systoles auriculaires ectopiques, présentant au moins
trois morphologies d’ondes P’ différentes, réalisant un rythme
irrégulier, entre 100 et 250 battements par minute, parfois difficile
à différencier d’une FA.
Le mécanisme de cette arythmie est mal défini, probablement
en rapport avec des activités déclenchées, par ailleurs exacerbées
par les bronchodilatateurs que sont susceptibles de prendre les
patients.
Le pronostic de ce trouble du rythme est bien sûr celui de la
cause.
Son traitement passe avant tout par celui de la cause, du terrain
et des facteurs aggravants.
Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en
relation avec cet article.
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R. Frank, Praticien hospitalier honoraire (robert.frank@psl.aphp.fr).
Service de cardiologie, Hôpital de La Pitié-Salpêtrière, 49, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Chauvin M, Frank R. Flutter atrial et tachycardies atriales non fluttériennes. EMC - Cardiologie 2015;10(2):1-
11 [Article 11-033-A-10].
Disponibles sur www.em-consulte.com
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