La tarification de la traduction en France se fait au mot. Ce qui revient à acheter des pommes de terre avec un prix exprimé en grammes. Alors qu'un service se paie normalement au forfait ou au temps passé...
1. Le salaire de la peur
Ridicule !
Je sais que lorsque je dis, parce que je le pense, que les (bons) traducteurs ne sont pas assez payés,
je reçois un certain assentiment de la part de la communauté des traducteurs. Mais sans doute
faudrait-il aller plus loin que cette complainte justifiée mais stérile. Et pour aller plus loin, il faut
en analyser les causes :
• Depuis la Renaissance, la traduction est la source d’inspiration de nombreux auteurs qui
n’hésitaient pas, en adaptant librement une œuvre, à s’en attribuer la paternité. C’est
l’époque « des belles infidèles » qui a entraîné avec elle le stupide soupçon « traduttore,
tradittore » qui est resté dans les esprits.
• Au XIXème
siècle elle devient un gagne-pain accessoire de romanciers ou de poètes
maudits. Leur connaissance de la langue source est souvent défaillante, mais au royaume
des aveugles, les borgnes sont rois.
• Au XXème
siècle, la traduction littéraire cède le pas à la traduction dite « technique » - il
faut entendre par là tout ce qui est traduction d’entreprise ou d’organisations
internationales, gouvernementales, non-gouvernementales ou professionnelles. Mais on a
gardé les bonnes vieilles habitudes mentales qui consistent à considérer que :
• La traduction, c’est facile : il suffit de parler plus ou moins bien deux langues
• Donc le premier « bilingue » venu peut le faire
• Par conséquent plein de gens peuvent traduire
• Et si tout le monde – ou presque – peut le faire, puisque c’est si facile, la
conséquence en est que ça ne peut pas coûter bien cher.
Naturellement, ces croyances sont ridicules, mais si le ridicule ne tue pas, en la matière il fait
perdre des clients et des marchés à nos clients.
Nous entendons tous les jours des clients nous dire " j'ai choisi un de vos concurrents qui
était moins cher", comme s'il s'agissait d'un choix de prestataire de nettoyage de bureaux ou
de coursiers. Les appels d'offres eux-mêmes reposent sur le postulat : le moins cher sera le
mieux. Cela ne touche pas seulement les appels d'offres publics, car récemment un ancien
acheteur d'un grand groupe indusriel répondait avec franchise à la question suivante :
- Quelles sont les chances pour une agence de traduction de remporter un appel d'offres si
elle n'est pas la moins chère ?
Après un instant de réflexion :
- Quasi nulles.
Des plus grands groupes à la plus modeste des PME, c'est comme cela que l'on perd des
marchés à l'étranger, avec une documentation technique et commerciale mal ou partiellement
traduite (et souvent, les deux à la fois) ou que l'on se ridiculise dans les grands Musées
nationaux avec des traductions non pas économiques, mais impayables.
2. Low cost in translation
Intoxiqués par les émissions de télévision qui vous expliquent, comme une évidence, qu’il
faut toujours acheter au prix le plus bas, les comportements des interlocuteurs en
entreprise s’en ressentent.
Non seulement ils n’analysent pas toujours l’enjeu économique de la traduction (quel est
l’impact pour leur entreprise de traductions inexactes, maladroites ou même plates ?) mais
dans des entreprises qui font des millions ou des milliards d’euros de chiffre d’affaires, ils
seront fiers d’avoir fait économiser 100 € à leur organisation et persuadés qu’on les en
félicitera !
Ces causes-là sont historiques, structurelles, et on ne peut lutter contre elles qu’en parlant
de notre métier urbi et orbi, aussi clairement et aussi souvent que possible.
• Quelques rappels utiles :
La traduction est une prestation intellectuelle, et elle n’est pas à la portée du premier bilingue
venu
o C’est pourtant une prestation dont le coût est inférieur à celle d’un graphiste !
o Choisir un prestataire de traduction pour son prix le plus bas n’a pas plus de sens que de choisir
un avocat pour vous défendre en fonction de la modestie de ses honoraires
o Le métier de traducteur n’étant pas réglementé, n’importe qui peut se prétendre traducteur
o De bons traducteurs peuvent réaliser de mauvaises traductions, s’ils sortent de leur domaine de
compétences
o Choisissez votre prestataire comme un professionnel (compétent, sérieux, honnête) plutôt que
comme un consommateur (naïf, court-termiste, sensible à l’effet « tête de gondole »)
o Si le prestataire en qui vous avez confiance est par ailleurs le moins cher ou parmi les moins chers,
tant mieux – mais ce n’est pas le plus important !
La traduction traduit votre image
Qu'il s'agisse d'un contrat, d'une documentation technique ou d'une présentation
commerciale, à chaque fois, c'est votre image qui est en jeu.
Vous ne tolèreriez pas des erreurs dans vos documents en français ? Il n' a pas plus de
tolérance dans les autres langues. Si l'approximation ne gène guère la communication orale, il n'en
va pas de même à l'écrit.
Traduisez votre image, ne la trahissez pas !
3. Le gratin de la traduction
Hormis la traduction littéraire, le mode de facturation standard en France est une
facturation au mot. C’est un peu comme si le prix des légumes que vous achetez sur le
marché étaient affichés au gramme.
Sauf exception, vous achetez des pommes de terre selon votre goût ou selon que vous
voulez les faire en salade ou en purée, par exemple. Vous n’achèterez pas
systématiquement le premier prix, qui est à 0,001 € le gramme plutôt que la chérie bio à
0,00434 € le gramme – et je ne vous parle pas de la grenaille, encore deux fois plus chère
ou de l’excellente Noirmoutier, plus chère encore. Vu comme ça, le consommateur
moyen risquerait bien de ne jamais acheter que du premier prix.
En traduction, les réactions sont exactement les mêmes que celle d’un consommateur qui
pousse son caddie dans les rayons d’un super marché, car depuis des dizaines d’années, la
profession a pris l’exécrable habitude de vendre une production exprimée en mots, au lieu
de vendre un service : nous vendons de la traduction comme des pommes de terre, en
exprimant le prix au gramme, alors que ce que nous fournissons au client c’est un gratin
de pomme de terre, service compris.
Passer du gramme au kilo
L’avocat est-il payé en fonction du nombre de mots contenus dans le contrat qu’il
rédige ? Ce serait ridicule. Cela l’est tout autant pour la traduction, car dans les deux cas,
ce qui compte c’est le temps et l’expertise nécessaire.
L’avocat vous indique le montant de ses honoraires, qui sont basés sur l’estimation de la
charge de travail. Et si vous voulez être bien défendu, vous n’allez pas forcément vous
tournez vers l’avocat le moins cher que vous pourrez trouver.
Pour l’avocat comme pour le traducteur, rechercher le prix le moins cher n’est pas la plus
rationnelle des décisions.
Si la profession passait d’un prix, par exemple de 0,14 €/mot source à 140 €/Kmot, ce
serait peut-etre déjà un petit pas dans la bonne direction.
Prisonniers de votre grille de prix
Si vous avez une grille de prix que vous communiquez à vos clients, sans savoir quel est le travail à
faire, c'est-à-dire sans avoir vu et analysé le document, sans savoir quel est le délai demandé, si
c’est un format éditable ou non, vous vous enfermez derrière un prix, forcément modeste, qui
vous condamne à fournir une prestation en fonction du prix que vous supposez être acceptable
4. par un client (qui le plus souvent n’a aucune expérience de la traduction) - et non en fonction de
la réalité du travail qu’il y a à faire.
Car prisonnier de votre grille de prix, vous vous condamnez aussi à fournir un travail de mauvaise
qualité à vos clients, ce qui n’est pas le meilleur moyen de les fidéliser. C’est le salaire de la peur.
Le pire étant que personne ne profite de l’état de fait actuel : ni le client qui veut se donner
l’illusion de croire qu’il peut obtenir un gratin d’un bon restaurant pour le prix d’un kilo de
pommes de terre, ni l’agence de traduction prise en étau entre le moins disant des clients et le
respect de ses traducteurs, ni les traducteurs forcés de produire plus en gagnat encore moins – ce
qui est aux antipodes de l’intérêt des clients.
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