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DANS le subconscient hexagonal
français, la Nouvelle-Calédonie,
située aux antipodes, n’est qu’un
gros « tas de nickel » sur lequel Kanaks et
Caldoches tissent leur fortune, au rythme
périodique de disputes de ceux qui en veu-
lent toujours plus sans avoir à trop se fati-
guer. Il aura fallu les violences induites par
les « Événements » survenus dans les an-
nées 1984-85, puis en 1988-89 pour retenir
un peu plus l’attention. Néanmoins, cela
n’avait pas suffi à attirer les votants pour un
référendum national devant mettre fin à
l’état de crise sur le “Caillou”.
Pour la Polynésie française, l’intérêt spo-
radique des métropolitains s’est estompé
avec l’arrêt des essais nucléaires et n’est ra-
vivé que lors d’une élection (parfois contro-
versée) d’une Tahitienne au titre de Miss
France ou lors du passage d’un cyclone. En
ce qui concerne le territoire de Wallis et Fu-
tuna, combien de Français savent ils même
qu’il existe?
Peu de métropolitains, même avertis, ont
conscience que la République française, par
sa souveraineté sur 23 000 km2 de terres
émergées dans le Pacifique dispose d’une
Zone économique exclusive océanique de 7
millions de km2, soit 14 fois la superficie de
la Métropole, Mais un de ces territoires est
situé dans une zone des plus conflictuelles
au monde, la Mélanésie, où depuis une tren-
taine d’années le “Pacific Way of Life” (2)
laisse progressivement la place aux déchaî-
nements de violences incontrôlées de toutes
natures.
Inquiétudes
d’une décolonisation ratée
Colonisée seulement à partir du milieu du
XIXe siècle, la Mélanésie, avec ses 960.000
km2 d’îles montagneuses couvertes de fo-
rêts denses reste, jusqu’au second conflit
mondial, une terre de prédilection pour les
aventuriers, explorateurs (3) ou mission-
naires. Submergée par la guerre du Paci-
fique, elle sembla retourner à sa torpeur
d’antan, une fois la paix revenue, alors que
les contacts avec l’armée américaine et sa
logistique avaient profondément sapé
l’ordre colonial.
Les remises en cause radicales que connu-
rent les organisations coutumières par suite
de l’implantation durable d’organisations
coloniales déterminèrent fréquemment l’ap-
parition de Cargo Cults millénaristes. Leur
multiplication et leur succès dérivaient du
désir profond exprimé par les populations
autochtones, grâce à des rites appropriés,
d’atteindre la source de l’argent et des biens
du Pouvoir Blanc.
Dans cette conjoncture, les pressions en
faveur de la décolonisation des archipels
océaniens rencontrèrent la volonté anglo-
australienne de se décharger au plus vite de
ses dépendances coloniales. Sans se soucier
des réticences des intéressés, furent ainsi
proclamées les indépendances de Fidji
(1970), de Papouasie Nouvelle-Guinée
(1975), des îles Salomon (1978) et du Va-
nuatu, l’ancien condominium franco-britan-
nique des Nouvelles-Hébrides (1980). Par-
tout, l’accession à la souveraineté fut suivie
de violences déstabilisatrices qui se mani-
festèrent aussi en Nouvelle-Calédonie, ad-
ministrée par la France depuis 1853, et en
Papouasie de l’Ouest, dénommée un temps
Irian Jaya, tombée dans le giron indonésien
en 1962 grâce à la complicité du gouverne-
ment des Etats-Unis. Dans tous les
cas, diverses causes se superpo-
sent et s’amalgament pour provo-
quer des troubles sans fin, souvent
étouffés par l’isolement que les in-
sulaires cultivent. Ce qui fait qu’à
l’extérieur l’opinion mondiale, te-
nue dans l’ignorance par l’indiffé-
rence des médias, a une impres-
sion fallacieuse d’un grand calme
caractéristique du Pacifique.
Une fois levées les contraintes
coloniales, les antagonismes d’an-
tan resurgissent. Les nouveaux
Etats s’avèrent incapables de les
maîtriser, quand ils ne les favori-
sent pas. L’ordre basé sur le droit
positif est une notion étrangère
aux sociétés mélanésiennes.
Crimes et châtiments sont pure-
ment mercantiles, on les rachète
sans passer en justice et encourir
de peine. L’équilibre des vio-
lences subies conduit seul à la ré-
solution des conflits (4). A défaut, la vendet -
ta perdure pendant plusieurs générations,
jusqu’à épuisement. On ne compte plus les
agressions, traits distinctifs de la société mé-
lanésienne, où des leaders émergent (Big
Men) en regroupant autour d’eux des
bandes armées (5). On veille alors à ne pas
laisser s’éteindre des conflits qui permettent
de contrôler de vastes territoires, en impo-
sant une autorité de fer sur de nombreux fi-
dèles.
Poids de la “coutume”
et ivresse du pouvoir
L’égalitarisme coutumier, traditionnelle-
ment distributeur des richesses et des hiérar-
chies, bloque toute tentative d’accapare-
ment du pouvoir ou d’enrichissement per-
sonnel. C’est un frein au développement des
structures dérivant du droit européen. La
Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 138 15
La Nouvelle-Calédonie face à l’africanisation (1) de la Mélanésie,
par le professeur François DOUMENGE
1 Terme exprimant, à l’échelle subcontinentale, l’anarchie non maîtrisable à base ethno-culturel-
le, induite par les décolonisations à l’instar de ce que l’Afrique noire révèle depuis 1960.
2 Préconisée et institutionnalisée par Sir Ratu Mara, fondateur charismatique de l’Etat fidjien ;
c’est la méthode de résolution des conflits par consensus substituant les négociations à la force: le
Pacifique insulaire est ainsi conçu comme devant être un “Lac de Paix”.
3 Une patrouille de Rangers australiens découvrit en 1933 plus d’un million de Papous horticul-
teurs restés au stade d’une civilisation néolithique dans les cuvettes intérieures de la Chaîne cen-
trale de la Nouvelle-Guinée.
4 En 1999, en PNG, après un banal accident de la route, deux tribus s’affrontèrent à l’arme lour-
de. Les combats durèrent trois ans; ils se situèrent aux alentours de la ville de Mendi, chef lieu de
la Province des Southern Highlands. Ayant perdu plus de 100 morts, les deux adversaires arrêtè-
rent les combats en juillet 2002. Mendi, dont toutes les infrastructures sont à présent en ruine, en
particulier les services publics, a été désertée par ses habitants, devenant de fait une «ville fantô-
me».
5 Francis ONA établi, depuis 1988, au centre de Bougainville ; Harold KEKE retranché, depuis
1999, sur la côte sud-est de Guadalcanal.
Miliciens armés de Malaïta à Guiadalcanal (arch. TPM)
forme capitaliste de mise en va-
leur se heurte à l’identité des au-
tochtones, refusant de voir leurs
droits d’usage remis en question
et limités pour satisfaire aux vo-
lontés d’un État qu’ils ignorent
délibérément. Plantations indus-
trielles, chantiers forestiers et
surtout sites d’extraction minière
(6), sont périodiquement vic-
times de sabotages et de mal-
veillances, conduisant parfois à
des confrontations armées, du-
rant de longues années (cas de
Bougainville), ce qui peut blo-
quer leur exploitation et par ex-
tension ruiner les formes les plus
modernes de l’économie.
Pour l’ensemble des nouveaux
États mélanésiens, le pouvoir est
avant tout un accès à l’argent fa-
cile sans que, d’ailleurs, il n’y ait
aucune échelle de référence
puisque l’économie et la gestion
monétaire sont totalement étran-
gères aux concepts éthiques fon-
damentaux des insulaires océa-
niens. Les sources sont innom-
brables et semblent inépuisables.
L’argent public est perçu comme
étant à disposition de ceux qui, à
quelque titre que ce soit, jouissent d’une
parcelle d’autorité. Puiser dans les caisses
de l’Etat semble aller de soi, y compris
lorsque les sommes sont énormes. Les
banques d’Etat semblent être faites pour
donner de l’argent aux gouvernants. On uti-
lise aussi les faveurs et passe-droits, en par-
ticulier les entrées en franchise du tabac et
de l’alcool et les détaxations des grandes
entreprises étrangères.
La corruption pure et simple pour obtenir
des concessions forestières, des droits de
pêche, des droits miniers est toujours assi-
milée à un échange mutuel de services. Le
détournement du patrimoine public n’est
pas perçu comme délictueux. Le pouvoir
confère un droit de propriété à celui qui
l’exerce ; il peut donc s’en approprier, en
tout ou partie. Le blanchiment offshore pra-
tiqué par des places financières non contrô-
lées a commencé à intéresser la Mélanésie,
ainsi que les pavillons et les passeports de
complaisance.
Dans ce contexte il est normal de détour-
ner à son profit immédiat, à celui de son
clan ou de son ethnie les aides internatio-
nales, qu’elles soient institutionnelles ou
non gouvernementales.
Héritage colonial conflictuel
Les partages coloniaux tardifs et la déco-
lonisation bâclée du Royaume-Uni, des
Pays-Bas et de l’Australie sont à l’origine
d’inextricables conflits, tel notamment
40 ans de résistance papoue en West Papua,
ex Iran-Jaya, réaction au pillage indonésien
qui, en réalité, est l’introduction d’un front
de l’Islam en Mélanésie.
L’Indonésie indépendante (1949) n’occu-
pera la moitié occidentale de la Nouvelle-
Guinée, rebaptisée Irian Jaya, qu’en mai
1963 grâce à l’entremise de l’ONU sous la
pression directe du Président J.F. Kennedy
et de son gouvernement. Cette intervention
à courte vue, opérée pour des considéra-
tions de circonstance, se révélera très vite
comme une plaie impossible à cicatriser,
s’envenimant tout au long de quatre décen-
nies. En effet l’administration hollandaise
avait, de 1950 à 1962, fondé les bases d’une
autonomie papoue qui ne durera que huit
mois (décembre 1961-août 1962) mais qui
restera gravée dans les mémoires comme
les «prémices de l’indépendance». L’Indo-
nésie trouve en Irian Jaya une terre d’élec-
tion pour ses migrants (métis, commerçants
Bugis et Macassars, fonctionnaires javanais
et surtout paysans de la transmigration).
Aujourd’hui, les Indonésiens y sont plus de
900.000, soit 42,5% de la population totale
de ce territoire. Investissant les
nouveaux centres urbains et
monopolisant les activités lu-
cratives, actuellement ils maté-
rialisent parfaitement l’avan-
cée du « front de l’Islam »,
agressant en permanence les
autochtones animistes et chré-
tiens. La mise en valeur, dans
le cadre de vastes plantations
ultra mécanisées ou sous forme
de coupes forestières et de sites
d’extraction minérale est me-
née avec une grande fermeté
par des groupes capitalistes ou
l’administration nationale. Ces
intrusions brutales provoquent
de vives réactions de la part des
responsables coutumiers : de
manifestations de masse, on
passe de plus en plus aux sabo-
tages. Ces troubles sont dure-
ment réprimés par l’armée in-
donésienne qui tire des profits
substantiels de la protection
des chantiers. Les hostilités qui
durent depuis 40 ans ont fait
plus de 100 000 morts et
350 000 réfugiés. Ces derniers
sont passés à l’Est, dans
« l’Etat frère » de Papouasie
Nouvelle-Guinée. Brimés et
menacés les Papous soutiennent les coups
de main d’une « armée de libération» (Or-
ganisasi Papua Merdeka).
Les crises économiques et politiques de
1997-1998 ont amené l’Indonésie à tenter
de réduire les tensions, en proposant en
1999 une large autonomie. Dans la forme
proposée, elle fut rejetée unanimement par
les Papous. En 2000, les affrontements vio-
lents ont donc repris, tant à Nabire (février-
mars) qu’à Sorong (juillet) et à Wanema
(octobre). Deux « abcès de fixation » ris-
quent d’en provoquer d’autres : les formes
d’urbanisation anarchique présentes dans la
capitale Jayapura (ex Hollandia) où se mê-
lent 200 000 habitants ; la présence d’une
forte majorité asiatique marginalisant les
Papous dans la conurbation de Timika qui
dessert les exploitations minières de Free-
port.
La révolte et sécession récente (2001) des
Mélanésiens du Timor oriental, envahi et
annexé par l’Indonésie (1973) suite à l’ef-
fondrement de l’empire portugais, amène
les leaders et l’opinion publique unanime
des Papous occidentaux à considérer qu’ils
ont désormais de bonnes raisons et un
exemple pour bientôt accéder, à leur tour, à
l’indépendance.
Papouasie Nouvelle-Guinée :
du crime à la négation de l’Etat
L’assemblage colonial hétéroclite de la
Nouvelle-Guinée allemande avec sa dépen-
dance des Salomon du Nord et de la Pa-
pouasie australienne entretient les rivalités
et suscite des vocations sécessionnistes qui
se nourrissent de la méfiance envers la no -
menclatura corrompue de Port Moresby,
une des capitales mondiales du crime.
Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 13816
6 Les gisements miniers causant le plus de problèmes sont :
— En Papouasie Occidentale: Grasberg (Cie Américaine Freeport), dans les Highlands centraux.
Les déblais atteignent le chiffre astronomique de 700.000 t/jour. Les réserves d’or sont de plus de
100t et celles de cuivre de 32 millions de tonnes.
— Dans l’île de Bougainville : Panguna (Rio Tinto) avait atteint 140.000t/jour de déblais avant son
arrêt en 1989.
— Dans les Highlands de l’Ouest, près de la frontière indonésienne, Ok-Tedi (Broken Hill) déblaie
100.000t/jour dans le bassin de la Fly river.
Dans les Highlands du Centre, la riche mine d’or canadienne de Porgera (la troisième du monde)
ne déblaie que 18.000 t/jour. Elle n’en a pas moins dû cesser son exploitation, fin août 2002, à la sui-
te de sabotages de «propriétaires coutumiers » du lieu.
Soldat papou avec fusil, arc et flèche garde l’immense mine
de Panguna, fermée depuis la guerre civile (arch. TPM)
Depuis 1984 les Salomonais de Bougain-
ville mènent une insurrection séparatiste de-
venue bien vite indépendantiste. Le blocus
de l’île, où la mine de Panguna a cessé ses
activités en 1989, a entraîné des hostilités
récurrentes qui firent au total plus de 15.000
victimes. L’épuisement des protagonistes
permettra un cessez le feu d’intervenir en
1998. Après trois ans de négociations, un
accord de paix et de désarmement sera signé
le 30 avril 2001 et approuvé par le Parle-
ment national le 27 mars 2002. Cet accord,
conditionné par le désarmement des insur-
gés, prévoit dix ans d’autonomie élargie, de-
vant conduire, dans un délai de 10 à 15 ans,
vers un référendum sur l’indépendance.
Sur l’île principale l’armée nationale,
épuisée par dix ans de conflits, se révèle in-
capable d’assurer l’ordre dans le pays, en
particulier sur les Hautes Terres où les tribus
sont en perpétuelle effervescence. Mais, le
mal le plus profond de l’Etat de Papouasie
Nouvelle-Guinée provient surtout des acti-
vités criminelles organisées en bandes (Ras -
kals). Elles mettent en coupe réglée les ag-
glomérations, en particulier Port Moresby
(254 000 habitants dans son district autono-
me) et Lae, porte des Hautes Terres, située
sur le golfe de Huon (100.000 habitants).
Désormais, dans les agglomérations ur-
baines les profits du crime dépassent ceux
de l’économie informelle. Port Moresby dé-
tient en effet le record du monde en matière
de taux de criminalité, devant Dar-es-Sa-
lam, Kampala et Johannesburg. Un « recen-
sement » établi en 1995 a ainsi « dénom-
bré » 32 343 “raskals” organisés en bande,
7686 prostituées et 27 623 emplois infor-
mels. Rien de surprenant à ce qu’un Premier
Ministre, pris de boisson (Bill Skate), ait pu
se vanter un jour de 1998 d’être sorti des
slums (taudis) et d’être devenu « le
Parrain » attitré des raskals de la ville.
Salmigondis salomonais
Contaminé par le conflit de Bougainville
et les mœurs de Port Moresby, l’Etat salo-
monais est en proie à des dérives sécession-
nistes permanentes, en particulier dans l’ar-
chipel de la Nouvelle-Georgie où la derniè-
re génération des « chasseurs de têtes» était
ni plus ni moins celle des grands-parents des
leaders actuels.
L’explosion finale qui vient de mettre
l’Etat post-colonial « hors course » dérive
des affrontements dont Honiara, capitale
d’après guerre, a été le théâtre courant 2000.
La ville était alors peuplée à 90% par les
gens de l’île voisine de Malaïta, ce qui fit
peur aux autochtones de Guadalcanal qui
voyaient les emplois leur échapper, d’autant
plus que l’implantation des migrants de Ma-
laïta s’accompagnait d’une corruption sans
mesure. Résolus à reprendre le contrôle de
la situation, ils arment en mai-juin 2000 une
milice « Isabu Freedom Movement » qui
fait fuir 25 000 Malaïtais qui retournent
dans leur île surpeuplée et célèbre pour ses
violences. Ceci entraîne l’arrêt de la mine
d’or de Goldridge et l’évacuation des
grandes plantations d’Unilever. Une contre
Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 138 17
Intérieur d’une “maison des hommes”,
Sepik, Papouasie. (arch. TPM)
milice d’autodéfense et de recon-
quête « Malaita Eagle Force » est
rapidement mise sur pied. Avec
l’appui de la police, composée en
majorité de compatriotes, elle
s’empare de la capitale et du pou-
voir d’Etat à l’issue d’un coup de
force perpétré le 5 juin 2000.
Le désastre d’une guerre civile
urbaine induit la paralysie totale
de l’administration et des services,
avec la perspective d’une disloca-
tion généralisée de l’Etat archipé-
lagique. Devant ce risque de sé-
cessions en cascade, Australiens et
Néo-Zélandais ont recours à la po-
litique de la canonnière pour en
imposer aux adversaires en pré-
sence et obtenir l’arrêt au moins
apparent des affrontements (oc-
tobre 2000). En dépit de nouvelles
élections (décembre 2000), les
troubles persistent et la corruption
reprend tous ses droits dans la capitale fan-
tôme alors que plus aucun secteur écono-
mique ne parvient à fonctionner, hormis des
chantiers forestiers où des coupes fréné-
tiques sont entreprises par diverses compa-
gnies prédatrices, en particulier d’origine
malaises ou taïwanaises. Totalement à la
dérive et coupé du monde réel, l’archipel
salomonais reste un foyer de troubles sus-
ceptibles de déstabiliser la Mélanésie.
Faillite du modèle fidjien :
montée des prétoriens
Fondé sur le modèle de Westminster de-
vant assurer la coexistence des autochtones
maîtres des terres et des immigrés indiens
au départ petits planteurs de canne à sucre,
le modèle fidjien, subtil mélange de conces-
sions et d’avantages réciproques, n’aura
duré qu’une douzaine d’années.
En 1987, deux coups d’état menés par le
colonel Rabuka imposent une reprise en
main du pouvoir au profit des autochtones
inquiets de la pression démographique et
économique exercée par la communauté in-
dienne qui s’urbanise et truste les postes de
cadres et de maîtrise dans les services et les
administrations, tout en revendiquant l’ac-
cès à la terre jusqu’alors monopolisée par la
communauté mélanésienne.
Une caste militaire d’autochtones fidjiens
s’est formée ; d’abord au sein de l’armée
britannique, puis elle s’est valorisée et pro-
fessionnalisée dans une participation active
aux forces de maintien de la paix des Na-
tions Unies (FINUL) dès 1978. Avec en
permanence un millier d’hommes opéra-
tionnels, Fidji forge un instrument militaire
qui dépasse largement ses besoins mais qui,
en réalité, est destiné à absorber et à canali-
ser les énergies guerrières toujours valori-
sées dans le système des chefferies autoch-
tones. Ceci va conduire à la prise de
conscience, chez les officiers, de leur res-
ponsabilité de protection et de promotion
envers leur communauté. Destinée à stop-
per la montée en puissance de la commu-
nauté indienne, la prise de pouvoir organi-
sée par les militaires mélanésiens a pour ob-
jectif de promouvoir le développement éco-
nomique et social des autochtones fidjiens
par une politique active de « discrimina-
tions positives ».
Dès lors, les Indiens intimidés quittent
leurs fermes et gagnent les villes, et surtout,
ceux qui le peuvent s’efforcent d’émigrer
en Nouvelle-Zélande, en Australie, aux
USA ou au Canada pour y implanter leurs
activités et leur famille dans un cadre sécu-
risé. Le renouvellement des baux des fer-
mages de terre est bloqué par leur renchéris-
sement et, surtout, les Fidjiens retrouvent la
majorité dans leur État car la communauté
indienne est saignée par une émigration
massive (7).
De la sorte, la majorité de population des
Fidji est à nouveau mélanésienne (en 2001,
on compte en effet 54% de « mélano-fid-
jiens » pour 40 % d’« indo-fidjiens »). Ceci
ne va pas sans peser sur l’économie et per-
turber la scène internationale. Mais, le re-
tour au formalisme électoral amena tout de
même en 1999 un Premier ministre tra-
vailliste d’origine indienne. Un troisième
coup de force intervint en mai 2000, sanc-
tionnant les tensions toujours vives. Cette
fois c’est la débandade chez les Indiens
dont la fuite massive des cerveaux désorga-
nise les services et pèse sur l’économie na-
tionale.
Finalement, en août 2001, un nouveau
processus électoral donne une solide majo-
rité aux Mélanésiens fidjiens. Ceci n’em-
pêche pas les querelles de se poursuivre sur
fond de crise économique et sociale. Les
nuages s’amoncellent: chute de la monnaie,
baisse des échanges et du tourisme, aug-
mentation du chômage pèsent sur les
classes défavorisées. L’agglomération de
Suva, forte de 260.000 habitants, devient un
foyer de criminalité majeur. Les
complots se succèdent et l’on
peut se poser la question, sur un
fond de désagrégation de la clas-
se aristocratique, si après avoir
eu « Neghib » Rabuka il ne se
trouvera pas bientôt un
« Nasser » chez les jeunes offi-
ciers.
Vanuatu : farces et attrapes
Surgi bon dernier, le 30 juillet
1980, sur la scène des indépen-
dances mélanésiennes, le Va-
nuatu naît de la fin de 75 ans de
condominium franco-anglais sur
l’archipel des Nouvelles-Hé-
brides. Dépourvu de richesses,
donc d’intérêt, il ne pouvait que
connaître les histoires drôles
d’une longue opérette de « mé-
nage à trois » : Français et Bri-
tanniques s’efforçaient de rallier à leur cau-
se et à leur intérêt le maximum de respon-
sables autochtones. Mélanésiens particuliè-
rement malicieux, ces derniers savaient par-
faitement tirer parti de cette situation de sur-
enchère. Mais comme pour toutes les rup-
tures, sur scène comme dans la rue, il faut
un drame pour en finir et changer de pièce :
c’est ce qu’il advint en 1980.
Le jeune Etat connut des conflits violents
entre une minorité francophone catholique
et coutumière, appuyée par les colons plan-
teurs, et une majorité anglophone anglicane
ou presbytérienne fortement liée au milieu
des commerçants. La prise en main des af-
faires publiques par le parti anglophone ma-
joritaire, conduit par le pasteur Walter Lini,
entraîna des remises en cause radicales au-
quel le pays n’était pas préparé: d’abord ce
fut la suppression du droit de propriété fon-
cière pour les étrangers, ce qui provoqua
l’abandon des plantations spéculatives,
bases de l’économie nationale. Puis, ce fut
le temps de la mise au pas des chefferies tra-
ditionnelles, ce qui détermina une tentative
de sécession dans l’île de Santo au Nord de
l’archipel, puis l’avènement d’une agitation
autonomiste dans l’île de Tanna, au sud.
Pour réprimer ces initiatives «régiona-
listes » , le pouvoir central n’hésita pas à
pratiquer la manière forte avec le concours
d’Australiens et de troupes de l’armée de
Papouasie Nouvelle-Guinée. On dénombra
peu de morts, mais plusieurs milliers d’ar-
restations et des départs sanctionnèrent cet-
te répression. Le fait le plus marquant fut la
fuite vers la Nouvelle-Calédonie de 3 500
nationaux français ou assimilés (planteurs
d’origine européenne et surtout ni-vanuatu
francophones).
Les délires du pouvoir finirent par provo-
quer la mise en minorité du gouvernement
du pasteur Lini et des fâcheries entre anglo-
phones pro ou anti Lini, permettant aux
francophones restés sur place d’attiser les
dissensions de leurs adversaires tradition-
nels, se complaisant même à nouer des coa-
litions tour à tour avec les uns et les autres,
nonobstant les choix des électeurs. Il y eu
ainsi cinq gouvernements pour la seule pé-
riode 1997-98.
Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 13818
Le colonel Rabuka remerciant ses troupes après son
premier coup d’Etat (1987). (arch. TPM)
7 - Entre 1973 et 1986, 42.000 personnes partirent définitivement de Fidji (3.000 par an) ; à la sui-
te des coups d’Etat fomentés par Rabuka, 62.600 autres émigrèrent entre 1987 et 1999 (4.800 par
an) ; on atteint le chiffre de 5.275 en 2000 et même de 6 316 en 2001. Ces départs sans retour pro-
grammé sont à 90 % le fait d’Indiens.
Dans la pauvreté générale, l’enrichisse-
ment des politiciens et de leurs commen-
saux éclate. Le personnel politique a enfin
découvert les rites incantatoires qui procu-
rent l’afflux de l’argent et des richesses pro-
mises aux adeptes desCargo Cults. Ce sont,
d’abord, les signatures sur des effets ban-
caires de complaisance et des traites sur le
Trésor public, sur des dérogations doua-
nières ou sur des concessions publiques.
Ensuite c’est l’accaparement des dons af-
fluant des aides internationales et non-gou-
vernementales. Enfin, c’est toute l’écono-
mie du « faux » et du « virtuel » : pavillons
et passeports de complaisance, blanchiment
de « l’argent sale » par un centre banquier
offshore comptant 68 banques et 556 socié-
tés financières en 1999. Depuis l’Interacti -
ve Gaming Act de juin 2000 et le recours
aux ordinateurs, un «casino virtuel » a ou-
vert ses portes. Certes, la mise en route des
jeux a été contrariée le 3 janvier 2002, le
jour même de l’inauguration, par un trem-
blement de terre de force 7,3 ; mais cet af-
fairisme finit par inquiéter les grandes puis-
sances, surtout depuis que la drogue a fait
son apparition au nombre des trafics en tous
genres.
Derrière une classe abondante de politi-
ciens avides et retords se profilent en effet
des figures énigmatiques, particulièrement
inquiétantes, telle celle de Dinh Van Than,
homme d’affaires vietnamien non rapatrié
en 1963 et depuis naturalisé ni-vanuatu.
Mais le symbole du système qui réunit à lui
seul tous les caractères distinctifs de ce petit
monde pittoresque reste Barak Sope : c’est
un homme d’une cinquantaine d’années
qui, après avoir préconisé un « socialisme
engagé » dans le plus pur style tiers-mon-
diste, rompt avec Walter Lini dont il était
pourtant supposé recueillir la succession en
1987, afin de lancer son propre parti poli-
tique et plonger dans les affaires, devenant
plusieurs fois ministre et même Premier
Ministre (1999-2001) jusqu’à ce qu’il soit
censuré par le Parlement pour avoir signé,
contre l’avis du ministre des Finances,
« deux bons de garantie » de 18 et 5 mil-
lions de dollars U.S au profit d’un homme
d’affaire thaïlandais. Ceci lui a finalement
valu d’être condamné à trois ans de prison
par la Cour suprême (juillet 2002). Une tel-
le situation ne peut perdurer et les menaces
s’accumulent, venant à la fois de la fureur
populaire génératrice d’émeutes et, surtout,
du durcissement de forces armées diverses
de plus en plus adeptes du coup d’Etat pour
assurer leur solde.
Entre mélanitéet francité :
l’exception néo-calédonienne
Par rapport aux autres archipels mélané-
siens, la Nouvelle-Calédonie diffère de na-
ture et d’échelle. Ses problèmes n’ont rien
de comparables à ceux qui touchent le reste
du sous-continent. En fait, dans les années
1970-80, il n’était pas question que la Fran-
ce puisse envisager la fin de sa présence en
Nouvelle-Calédonie, à l’inverse des autres
puissances encore implantées en Mélanésie.
En 2002, de par le statut évolutif de l’archi-
pel, la question de l’appartenance à la sou-
veraineté française ou de son abandon est
maintenant totalement entre les mains des
ressortissants du « pays » calédonien (suite
à l’adoption par référendum d’un statut de
large autonomie pouvant conduire à l’indé-
pendance vers 2018).
Depuis 1969, date d’apparition du
concept d’« indépendance kanak-
socialiste », jusqu’aux élections régionales
de 1999 le rapport de force en Nouvelle-Ca-
lédonie a toujours été de deux contre un en
faveur de la présence française (8). Pour
une bonne part, c’est la perte du pouvoir na-
tional par les partis de « droite » à l’issue
des élections de mai et de juin 1981 qui fit
croire à un changement rapide de sta-
tut aux forces revendiquant la « resti-
tution aux Kanak de la souveraineté »
en Nouvelle-Calédonie, en s’ap-
puyant sur la nouvelle coalition socia-
lo-communiste mise en place au plan
national.
De fait, bien que largement minori-
taire dans l’archipel, le FLNKS avait
trouvé à Paris des interlocuteurs
conciliants envers leur stratégie de
prise de pouvoir. Il s’ensuivit locale-
ment cinq années de troubles, car
l’élément majoritaire regroupant au-
tour du RPCR des Européens d’im-
plantation plus ou moins ancienne
avec des éléments asiatiques ou poly-
nésiens arrivés plus récemment, l’es-
sentiel des métis et un tiers des Méla-
nésiens, ne voulut pas perdre l’ascen-
dant acquis dans la vie de tous les
jours, comme dans les urnes, au fil des
scrutins.
Les conflits intercommunautaires
dérivant de l’affrontement entre « Ka-
nak » et « Caldoches » se sont soldés
par une cinquantaine de morts entre
1984 et 1988. Ce bilan quinquennal,
certes douloureux dans l’absolu, reste
tout de même deux fois moindre que
celui d’une simple moyenne hebdo-
madaire en Papouasie Occidentale et d’une
quinzaine en Papouasie Nouvelle-Guinée.
Or le tapage médiatique en a été cent fois
plus étendu. Il y a donc eu falsification des
réalités, pouvant facilement induire aux
Français de Métropole la conviction que la
Nouvelle-Calédonie va mal depuis les an-
nées 1980, donc qu’elle n’évitera pas d’être
atteinte par le «syndrome mélanésien ». En
fait, il n’en est rien car les bases écono-
miques et sociologiques sont radicalement
différentes de celles des archipels voisins.
La Nouvelle-Calédonie, le territoire le
moins peuplé de la Mélanésie, est aussi ce-
lui dont le développement se rapproche le
Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 138 21
Désespoir de petits planteurs indiens de
Fidji devant leur maison incendiée lors du
coup d’Etat de Speight (2000). (Arch. TPM)
8 Doumenge, J.-P. 2002, Le particula-
risme de la N.-C., pp551-558 in “La Fran-
ce et les Outre-mers, Hermès 32/23,
CNRS Paris (TPM 133, p.46).
plus de la normalité des pays développés
avec un PIB par habitant de 16 000 US$ en
1998, soit environ six fois de celui des Fid-
ji, 12 fois du Vanuatu, 17 fois celui de Pa-
pouasie-Nouvelle Guinée et 20 fois plus
qu’aux îles Salomon. La violence en Nou-
velle-Calédonie ne peut donc être une don-
née récurrente comme ailleurs en Mélané-
sie, puisque la pauvreté n’y est pas générale.
Mais ce qui distingue le plus la Nouvelle-
Calédonie du reste du sous continent, c’est
son intégration irréversible dans un système
mondialisé par le biais de ses infrastructures
et de ses fonctions. L’impact de la colonisa-
tion s’y est fait sentir une ou deux généra-
tions avant Fidji, et trois ou quatre généra-
tions avant les autres pays. Ceci a permis
d’amortir les conflits par une perméabilité
de la société autochtone que seul le temps
peut produire. En fait, à l’échelle de l’His-
toire contemporaine, la Nouvelle-Guinée ou
les Salomon en sont actuellement au stade
qui fut celui de la Nouvelle-Calédonie avant
les années 1950.
La colonisation française ayant été
conduite suivant des normes républicaines,
« l’assimilation » des autochtones mélané-
siens a toujours été le but assigné, même en
termes lointains. Ceci est à l’opposé du sys-
tème colonial anglo-saxon de large autono-
mie des collectivités traditionnelles aboutis-
sant en définitive au développement séparé
et donc décalé des ethnies. L’évaluation de
la politique coloniale française a été très jus-
tement décrite comme fort en avance sur
son temps (9) et en cela elle a eu des effets
en profondeur sur le monde océanien.
Quoique tardivement abordée (courant
des années 1970), la question foncière et les
revendications coutumières mélanésiennes
qui s’y rattachent ont pu être réglées de fa-
çon pragmatique grâce à un important trans-
fert de terres qui avaient été livrées à la co-
lonisation, mais qui, depuis le « boom sur le
nickel » de 1969-72, faisaient l’objet d’une
sous utilisation chronique (45.000 ha de
1978 à 1988, 65.000 ha de 1989 à 1998).
Actuellement il y a, semble-t-il, saturation
puisque 40.000 ha acquis pour la réforme
foncière ne trouvent pas preneur.
D’une façon générale, la reprise des terres
de colonisation par des groupements méla-
nésiens, lorsqu’elle s’effectue, ne développe
pas d’activités agricoles fortement rémuné-
ratrices. Cette récupération répond plus à
des raisons affectives à l’échelle de mul-
tiples petits groupes traditionnels kanak
qu’à des besoins économiques de l’en-
semble de la communauté mélanésienne. A
l’instar des Caldoches, les Kanak veulent à
présent profiter de la mine et de la ville, les
deux vecteurs essentiels de la croissance et
du bien être matériel.
Mondialisation et spécificités
socio-spatiales
En ce début de XXIe siècle, la scène de la
Nouvelle-Calédonie est dominée par deux
phénomènes majeursqui s’expriment d’une
part dans la volonté de rentabilité maximale
du patrimoine minier (en triplant la capacité
de traitement local du nickel), d’autre part
dans la mise en cohérence du Grand Nou-
méa (agglomération d’environ 100 km2 éti-
rée autour d’un site péninsulaire, le long
d’un axe nord-ouest sud-est sur une centai-
ne de km).
Les représentants du FLNKS qui assu-
ment le leadership politique de la Province
du Nord comme celui de la Province des
Iles Loyauté, sont pour la plupart issus de la
communauté mélanésienne et de ses tribus.
Ils se sentent extrêmement concernés par le
développement du secteur minier et métal-
lurgique du Nord de la Grande Terre, dans
la mesure où ce secteur d’activité détermine
en moyenne 10% du PIB à l’échelle de la
Nouvelle-Calédonie, tout en présentant un
potentiel qui devrait permettre d’atteindre
15% d’ici dix ans.
Avec l’appui de la société Falconbridge,
la SMSP contrôlée par des hommes du
FLNKS s’évertue à mettre sur pied dans les
environs de Koné, la capitale provinciale du
Nord (très exactement sur la partie méridio-
nale de la commune de Voh), une unité de
fonte du nickel d’environ 60.000 tonnes de
métal, donc d’une capacité comparable à
celle de l’usine actuellement en service à
Doniambo, dans la banlieue nord de Nou-
méa.
Dans le même temps, les politiques et des
hommes d’affaires en position dominante
dans la Province Sud, tentent avec le
concours de la société Inco de traiter an-
nuellement (par procédé chimique et non
plus métallurgique) 54.000 t de nickel et
5.400 t de cobalt. Ce dernier projet indus-
triel risque de retarder, voire d’ajourner le
projet tenté dans le Nord. Dans le même
temps, le projet industriel du Sud situé dans
la zone de Goro-Prony, à la jointure des
communes du Mont-Dore et de Yaté, per-
mettrait de « recalibrer » l’agglomération de
Nouméa.
Le développement de ce nouveau site in-
dustriel induirait obligatoirement un remo-
delage des réseaux et des grandes infrastruc-
tures et fortifierait la progression d’une déjà
puissante Riviera à l’Australienne, lieu de
détente et de loisir, lieu de passage d’une
clientèle à haut pouvoir d’achat, donc lieu
essentiel d’enrichissement du territoire. En
restructurant la conurbation existante et en y
intégrant le projet industriel de Goro-Prony,
il faut évidemment assurer l’intégration har-
monieuse des différents composants eth-
niques et sociaux en évitant les ségrégations
de quartier et en résorbant les formes d’ha-
bitat spontané localement dénommées
squats.
La poussée urbaine attendue en grande
banlieue voit d’ores et déjà se développer
une spéculation foncière sur une vaste
Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 13822
9 CROCOMBE R. 2001 - The South Pacific
p.421 : After World War II France was at times
the most progressive colonial power in the Paci-
fic. France gave equal citizenship to all people
irrespective of origin (which few colonial powers
did at that stage) and by 1957 had given its ter-
ritories more autonomy than anywhere else in
the Pacific except Tonga.
échelle. Cette spéculation est
périodiquement l’occasion d’af-
frontements entre les différentes
composantes de la population
de la périphérie du Grand Nou-
méa. La constitution depuis
trente ans, voire plus, de ghettos
ethniques est en effet une cause
permanente de désordres.
Les affrontements de la fin
2001 et du début 2002 du Mont
Dore ont mis aux prises les Mé-
lanésiens de la tribu de St Louis
et les Wallisiens installés sur un
terrain mitoyen appartenant à la
mission catholique. Ceci a fait
prendre conscience de la néces-
sité de maîtriser les formes ac-
tuelles d’urbanisation des
groupes océaniens, mal préparés à la vie ci-
tadine et à ses contraintes et donc toujours
tentés à se replier sur eux-mêmes.
La grande diversité ethno-culturelle qui
fait l’originalité de la Nouvelle-Calédonie,
tant dans le contexte de la Mélanésie que
dans celui de la France, ne s’épanouira de
façon harmonieuse que par une homogénéi-
sation des genres et des niveaux de vie que
seule une croissance de l’emploi et des re-
venus peut favoriser. Ce ne sont pas telle-
ment les violences physiques, politiques ou
ethniques, qui risquent de se propager, mais
si on n’y prend pas garde, des conflits so-
ciaux durs qui peuvent surgir pour obtenir
un meilleur « partage du gâteau ». Le gou-
vernement français, pourvoyeur du tiers de
la richesse locale à travers le financement
des services publics et des grandes infra-
structures, reste donc plus que jamais l’ar-
bitre indispensable dans un jeu dichoto-
mique où s’affrontent une société industriel-
le cosmopolite riche (dite « cal-
doche ») et une société agraire au-
tochtone (dite « kanak ») qui n’arri-
ve pas à se réformer au contact d’un
monde extérieur car elle ne partage
que très partiellement ses valeurs
constitutives. L’Etat est le seul ac-
teur capable de mettre en œuvre du-
rablement une politique généreuse
des ressources et des emplois qui
permette de faire progresser les fon-
dements contractuels d’une société
insulaire pluriethnique et solidaire.
C’est sous cet angle qu’il faut consi-
dérer les accords de Matignon
(1988) et de Nouméa (1998).
Tout en bénéficiant d’une audien-
ce incontestable comme référant ins-
titutionnel, l’Etat français est de plus
en plus tenu à distance du jeu poli-
tique local inscrit sous le signe d’une
large autonomie. Il n’est donc pas
toujours facile à ses représentants de
pondérer les prise de positions ex-
cessives de certains acteurs locaux
de la vie publique. Toutefois, même
si on risque d’aboutir, faute de réali-
sation d’un projet industriel dans le
Nord, à une véritable désertification
de l’intérieur de la Grande Terre ca-
lédonienne, la pression qu’exerce le
RPCR sur le FLNKS par l’intermédiaire des
indépendantistes « modérés » de la FCCI
devrait permettre de dépasser le concept
d’indépendance au sens de « pleine souve-
raineté », puisque vraisemblablement syno-
nyme de régression économique et sociale,
ce que pratiquement personne n’envisage
ou ne souhaite. La Nouvelle-Calédonie
n’est ni plus ni moins que le contre-modèle
de l’Africanisation du reste de la Mélanésie.
Conclusion
La Nouvelle-Calédonie dérive de plus en
plus vers l’Australie dont elle partage déjà
bien des échelles de valeur, mais en assu-
mant sa grande diversité ethno-culturelle.
Les autres archipels mélanésiens s’enfon-
cent par contre dans la crise car dans le Sud-
Ouest Pacifique l’Australie n’a pas la taille
critique pour assumer le poids du “trou
noir” mélanésien. Avec seulement 20 mil-
lions d’habitants, une économie sensible
aux variations des cours de ma-
tières premières et des produits
agricoles, et surtout une cohabita-
tion difficile des communautés
culturelles, l’Australie n’arrive pas
à assumer convenablement le rôle
moteur qu’on peut attendre d’elle à
l’échelle du Pacifique Sud. Le
montant de l’aide qu’elle y consent
n’est que de 265 millions de dol-
lars US sur un total de 765 millions
pour l’ensemble du monde, l’es-
sentiel allant au Sud-Est asiatique.
A l’échelle du Pacifique, la Mé-
lanésie constitue en définitive un
ensemble trop pesant pour être
parfaitement maîtrisé. Par compa-
raison, le cumul de la Micronésie
et de la Polynésie ne représente que 1,2% de
l’espace mélanésien en superficie et 12,2%
en population. En fait, les Polynésiens et
Micronésiens profitent plus ou moins direc-
tement d’une “prise en charge” par les
Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande et la Fran-
ce dont il peuvent utiliser les passeports et la
résidence. Au recensement de 2001, on
comptait en Nouvelle-Zélande 232000 rési-
dents originaires des îles polynésiennes,
alors que celles-ci n’en abritent que
320 000. Si on ajoute les 526 000 Maoris
natifs du lieu, la Nouvelle-Zélande est à pré-
sent au quart polynésienne.
En ce qui concerne les Etats-Unis, qui fo-
calisent leur intérêt avant tout vers l’Asie du
Sud-Est économiquement plus intéressante,
ils hébergeaient en l’an 2000 environ
200 000 Océaniens (140 000 Polynésiens et
60 000 Micronésiens) sur leur territoire
continental et 242 000 autres au sein de la
population de 1,2 millions d’habitants de
l’archipel de Hawaii (182000 autochtones
et 60 000 migrants, dont la moitié des Sa-
moa américaines.)
Les conflits océaniens actuels que pour-
rait occasionner une mauvaise gestion de
la diversité ethnique s’évacuent donc ac-
tuellement par l’émigration vers Honolu-
lu, Los Angeles et Auckland.
Quant à la France, si elle sait continuer à
maintenir la loi et l’ordre républicain, elle
évitera bien des ennuis. De plus, elle pour-
rait servir de référence à une autre forme
de Pacific Wayoù la substitution de la né-
gociation aux violences se réalise par la
promotion d’un haut niveau de vie partagé
par le plus grand nombre : c’est le fonde-
ment même de la « conciliation durable »
des communautés ethno-culturelles, et à
terme, de l’unification de la société par
métissage généralisé des hommes et des
valeurs de convivialité qui est fort avancée
en Polynésie française et qui doit être le
but à atteindre en Nouvelle-Calédonie.
François DOUMENGE
Le présent article est présenté sous for-
me condensée dans le numéro spécial de
la revue “Conflits Actuels” consacré à
l’Outre-mer français et à ses environne-
ments régionaux.
Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 138 23
Rapports de force inter ethniques en 2001
(populations exprimées en milliers d’habitants)

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La mélanésie trou noir du pacifique

  • 1. DANS le subconscient hexagonal français, la Nouvelle-Calédonie, située aux antipodes, n’est qu’un gros « tas de nickel » sur lequel Kanaks et Caldoches tissent leur fortune, au rythme périodique de disputes de ceux qui en veu- lent toujours plus sans avoir à trop se fati- guer. Il aura fallu les violences induites par les « Événements » survenus dans les an- nées 1984-85, puis en 1988-89 pour retenir un peu plus l’attention. Néanmoins, cela n’avait pas suffi à attirer les votants pour un référendum national devant mettre fin à l’état de crise sur le “Caillou”. Pour la Polynésie française, l’intérêt spo- radique des métropolitains s’est estompé avec l’arrêt des essais nucléaires et n’est ra- vivé que lors d’une élection (parfois contro- versée) d’une Tahitienne au titre de Miss France ou lors du passage d’un cyclone. En ce qui concerne le territoire de Wallis et Fu- tuna, combien de Français savent ils même qu’il existe? Peu de métropolitains, même avertis, ont conscience que la République française, par sa souveraineté sur 23 000 km2 de terres émergées dans le Pacifique dispose d’une Zone économique exclusive océanique de 7 millions de km2, soit 14 fois la superficie de la Métropole, Mais un de ces territoires est situé dans une zone des plus conflictuelles au monde, la Mélanésie, où depuis une tren- taine d’années le “Pacific Way of Life” (2) laisse progressivement la place aux déchaî- nements de violences incontrôlées de toutes natures. Inquiétudes d’une décolonisation ratée Colonisée seulement à partir du milieu du XIXe siècle, la Mélanésie, avec ses 960.000 km2 d’îles montagneuses couvertes de fo- rêts denses reste, jusqu’au second conflit mondial, une terre de prédilection pour les aventuriers, explorateurs (3) ou mission- naires. Submergée par la guerre du Paci- fique, elle sembla retourner à sa torpeur d’antan, une fois la paix revenue, alors que les contacts avec l’armée américaine et sa logistique avaient profondément sapé l’ordre colonial. Les remises en cause radicales que connu- rent les organisations coutumières par suite de l’implantation durable d’organisations coloniales déterminèrent fréquemment l’ap- parition de Cargo Cults millénaristes. Leur multiplication et leur succès dérivaient du désir profond exprimé par les populations autochtones, grâce à des rites appropriés, d’atteindre la source de l’argent et des biens du Pouvoir Blanc. Dans cette conjoncture, les pressions en faveur de la décolonisation des archipels océaniens rencontrèrent la volonté anglo- australienne de se décharger au plus vite de ses dépendances coloniales. Sans se soucier des réticences des intéressés, furent ainsi proclamées les indépendances de Fidji (1970), de Papouasie Nouvelle-Guinée (1975), des îles Salomon (1978) et du Va- nuatu, l’ancien condominium franco-britan- nique des Nouvelles-Hébrides (1980). Par- tout, l’accession à la souveraineté fut suivie de violences déstabilisatrices qui se mani- festèrent aussi en Nouvelle-Calédonie, ad- ministrée par la France depuis 1853, et en Papouasie de l’Ouest, dénommée un temps Irian Jaya, tombée dans le giron indonésien en 1962 grâce à la complicité du gouverne- ment des Etats-Unis. Dans tous les cas, diverses causes se superpo- sent et s’amalgament pour provo- quer des troubles sans fin, souvent étouffés par l’isolement que les in- sulaires cultivent. Ce qui fait qu’à l’extérieur l’opinion mondiale, te- nue dans l’ignorance par l’indiffé- rence des médias, a une impres- sion fallacieuse d’un grand calme caractéristique du Pacifique. Une fois levées les contraintes coloniales, les antagonismes d’an- tan resurgissent. Les nouveaux Etats s’avèrent incapables de les maîtriser, quand ils ne les favori- sent pas. L’ordre basé sur le droit positif est une notion étrangère aux sociétés mélanésiennes. Crimes et châtiments sont pure- ment mercantiles, on les rachète sans passer en justice et encourir de peine. L’équilibre des vio- lences subies conduit seul à la ré- solution des conflits (4). A défaut, la vendet - ta perdure pendant plusieurs générations, jusqu’à épuisement. On ne compte plus les agressions, traits distinctifs de la société mé- lanésienne, où des leaders émergent (Big Men) en regroupant autour d’eux des bandes armées (5). On veille alors à ne pas laisser s’éteindre des conflits qui permettent de contrôler de vastes territoires, en impo- sant une autorité de fer sur de nombreux fi- dèles. Poids de la “coutume” et ivresse du pouvoir L’égalitarisme coutumier, traditionnelle- ment distributeur des richesses et des hiérar- chies, bloque toute tentative d’accapare- ment du pouvoir ou d’enrichissement per- sonnel. C’est un frein au développement des structures dérivant du droit européen. La Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 138 15 La Nouvelle-Calédonie face à l’africanisation (1) de la Mélanésie, par le professeur François DOUMENGE 1 Terme exprimant, à l’échelle subcontinentale, l’anarchie non maîtrisable à base ethno-culturel- le, induite par les décolonisations à l’instar de ce que l’Afrique noire révèle depuis 1960. 2 Préconisée et institutionnalisée par Sir Ratu Mara, fondateur charismatique de l’Etat fidjien ; c’est la méthode de résolution des conflits par consensus substituant les négociations à la force: le Pacifique insulaire est ainsi conçu comme devant être un “Lac de Paix”. 3 Une patrouille de Rangers australiens découvrit en 1933 plus d’un million de Papous horticul- teurs restés au stade d’une civilisation néolithique dans les cuvettes intérieures de la Chaîne cen- trale de la Nouvelle-Guinée. 4 En 1999, en PNG, après un banal accident de la route, deux tribus s’affrontèrent à l’arme lour- de. Les combats durèrent trois ans; ils se situèrent aux alentours de la ville de Mendi, chef lieu de la Province des Southern Highlands. Ayant perdu plus de 100 morts, les deux adversaires arrêtè- rent les combats en juillet 2002. Mendi, dont toutes les infrastructures sont à présent en ruine, en particulier les services publics, a été désertée par ses habitants, devenant de fait une «ville fantô- me». 5 Francis ONA établi, depuis 1988, au centre de Bougainville ; Harold KEKE retranché, depuis 1999, sur la côte sud-est de Guadalcanal. Miliciens armés de Malaïta à Guiadalcanal (arch. TPM)
  • 2. forme capitaliste de mise en va- leur se heurte à l’identité des au- tochtones, refusant de voir leurs droits d’usage remis en question et limités pour satisfaire aux vo- lontés d’un État qu’ils ignorent délibérément. Plantations indus- trielles, chantiers forestiers et surtout sites d’extraction minière (6), sont périodiquement vic- times de sabotages et de mal- veillances, conduisant parfois à des confrontations armées, du- rant de longues années (cas de Bougainville), ce qui peut blo- quer leur exploitation et par ex- tension ruiner les formes les plus modernes de l’économie. Pour l’ensemble des nouveaux États mélanésiens, le pouvoir est avant tout un accès à l’argent fa- cile sans que, d’ailleurs, il n’y ait aucune échelle de référence puisque l’économie et la gestion monétaire sont totalement étran- gères aux concepts éthiques fon- damentaux des insulaires océa- niens. Les sources sont innom- brables et semblent inépuisables. L’argent public est perçu comme étant à disposition de ceux qui, à quelque titre que ce soit, jouissent d’une parcelle d’autorité. Puiser dans les caisses de l’Etat semble aller de soi, y compris lorsque les sommes sont énormes. Les banques d’Etat semblent être faites pour donner de l’argent aux gouvernants. On uti- lise aussi les faveurs et passe-droits, en par- ticulier les entrées en franchise du tabac et de l’alcool et les détaxations des grandes entreprises étrangères. La corruption pure et simple pour obtenir des concessions forestières, des droits de pêche, des droits miniers est toujours assi- milée à un échange mutuel de services. Le détournement du patrimoine public n’est pas perçu comme délictueux. Le pouvoir confère un droit de propriété à celui qui l’exerce ; il peut donc s’en approprier, en tout ou partie. Le blanchiment offshore pra- tiqué par des places financières non contrô- lées a commencé à intéresser la Mélanésie, ainsi que les pavillons et les passeports de complaisance. Dans ce contexte il est normal de détour- ner à son profit immédiat, à celui de son clan ou de son ethnie les aides internatio- nales, qu’elles soient institutionnelles ou non gouvernementales. Héritage colonial conflictuel Les partages coloniaux tardifs et la déco- lonisation bâclée du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de l’Australie sont à l’origine d’inextricables conflits, tel notamment 40 ans de résistance papoue en West Papua, ex Iran-Jaya, réaction au pillage indonésien qui, en réalité, est l’introduction d’un front de l’Islam en Mélanésie. L’Indonésie indépendante (1949) n’occu- pera la moitié occidentale de la Nouvelle- Guinée, rebaptisée Irian Jaya, qu’en mai 1963 grâce à l’entremise de l’ONU sous la pression directe du Président J.F. Kennedy et de son gouvernement. Cette intervention à courte vue, opérée pour des considéra- tions de circonstance, se révélera très vite comme une plaie impossible à cicatriser, s’envenimant tout au long de quatre décen- nies. En effet l’administration hollandaise avait, de 1950 à 1962, fondé les bases d’une autonomie papoue qui ne durera que huit mois (décembre 1961-août 1962) mais qui restera gravée dans les mémoires comme les «prémices de l’indépendance». L’Indo- nésie trouve en Irian Jaya une terre d’élec- tion pour ses migrants (métis, commerçants Bugis et Macassars, fonctionnaires javanais et surtout paysans de la transmigration). Aujourd’hui, les Indonésiens y sont plus de 900.000, soit 42,5% de la population totale de ce territoire. Investissant les nouveaux centres urbains et monopolisant les activités lu- cratives, actuellement ils maté- rialisent parfaitement l’avan- cée du « front de l’Islam », agressant en permanence les autochtones animistes et chré- tiens. La mise en valeur, dans le cadre de vastes plantations ultra mécanisées ou sous forme de coupes forestières et de sites d’extraction minérale est me- née avec une grande fermeté par des groupes capitalistes ou l’administration nationale. Ces intrusions brutales provoquent de vives réactions de la part des responsables coutumiers : de manifestations de masse, on passe de plus en plus aux sabo- tages. Ces troubles sont dure- ment réprimés par l’armée in- donésienne qui tire des profits substantiels de la protection des chantiers. Les hostilités qui durent depuis 40 ans ont fait plus de 100 000 morts et 350 000 réfugiés. Ces derniers sont passés à l’Est, dans « l’Etat frère » de Papouasie Nouvelle-Guinée. Brimés et menacés les Papous soutiennent les coups de main d’une « armée de libération» (Or- ganisasi Papua Merdeka). Les crises économiques et politiques de 1997-1998 ont amené l’Indonésie à tenter de réduire les tensions, en proposant en 1999 une large autonomie. Dans la forme proposée, elle fut rejetée unanimement par les Papous. En 2000, les affrontements vio- lents ont donc repris, tant à Nabire (février- mars) qu’à Sorong (juillet) et à Wanema (octobre). Deux « abcès de fixation » ris- quent d’en provoquer d’autres : les formes d’urbanisation anarchique présentes dans la capitale Jayapura (ex Hollandia) où se mê- lent 200 000 habitants ; la présence d’une forte majorité asiatique marginalisant les Papous dans la conurbation de Timika qui dessert les exploitations minières de Free- port. La révolte et sécession récente (2001) des Mélanésiens du Timor oriental, envahi et annexé par l’Indonésie (1973) suite à l’ef- fondrement de l’empire portugais, amène les leaders et l’opinion publique unanime des Papous occidentaux à considérer qu’ils ont désormais de bonnes raisons et un exemple pour bientôt accéder, à leur tour, à l’indépendance. Papouasie Nouvelle-Guinée : du crime à la négation de l’Etat L’assemblage colonial hétéroclite de la Nouvelle-Guinée allemande avec sa dépen- dance des Salomon du Nord et de la Pa- pouasie australienne entretient les rivalités et suscite des vocations sécessionnistes qui se nourrissent de la méfiance envers la no - menclatura corrompue de Port Moresby, une des capitales mondiales du crime. Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 13816 6 Les gisements miniers causant le plus de problèmes sont : — En Papouasie Occidentale: Grasberg (Cie Américaine Freeport), dans les Highlands centraux. Les déblais atteignent le chiffre astronomique de 700.000 t/jour. Les réserves d’or sont de plus de 100t et celles de cuivre de 32 millions de tonnes. — Dans l’île de Bougainville : Panguna (Rio Tinto) avait atteint 140.000t/jour de déblais avant son arrêt en 1989. — Dans les Highlands de l’Ouest, près de la frontière indonésienne, Ok-Tedi (Broken Hill) déblaie 100.000t/jour dans le bassin de la Fly river. Dans les Highlands du Centre, la riche mine d’or canadienne de Porgera (la troisième du monde) ne déblaie que 18.000 t/jour. Elle n’en a pas moins dû cesser son exploitation, fin août 2002, à la sui- te de sabotages de «propriétaires coutumiers » du lieu. Soldat papou avec fusil, arc et flèche garde l’immense mine de Panguna, fermée depuis la guerre civile (arch. TPM)
  • 3. Depuis 1984 les Salomonais de Bougain- ville mènent une insurrection séparatiste de- venue bien vite indépendantiste. Le blocus de l’île, où la mine de Panguna a cessé ses activités en 1989, a entraîné des hostilités récurrentes qui firent au total plus de 15.000 victimes. L’épuisement des protagonistes permettra un cessez le feu d’intervenir en 1998. Après trois ans de négociations, un accord de paix et de désarmement sera signé le 30 avril 2001 et approuvé par le Parle- ment national le 27 mars 2002. Cet accord, conditionné par le désarmement des insur- gés, prévoit dix ans d’autonomie élargie, de- vant conduire, dans un délai de 10 à 15 ans, vers un référendum sur l’indépendance. Sur l’île principale l’armée nationale, épuisée par dix ans de conflits, se révèle in- capable d’assurer l’ordre dans le pays, en particulier sur les Hautes Terres où les tribus sont en perpétuelle effervescence. Mais, le mal le plus profond de l’Etat de Papouasie Nouvelle-Guinée provient surtout des acti- vités criminelles organisées en bandes (Ras - kals). Elles mettent en coupe réglée les ag- glomérations, en particulier Port Moresby (254 000 habitants dans son district autono- me) et Lae, porte des Hautes Terres, située sur le golfe de Huon (100.000 habitants). Désormais, dans les agglomérations ur- baines les profits du crime dépassent ceux de l’économie informelle. Port Moresby dé- tient en effet le record du monde en matière de taux de criminalité, devant Dar-es-Sa- lam, Kampala et Johannesburg. Un « recen- sement » établi en 1995 a ainsi « dénom- bré » 32 343 “raskals” organisés en bande, 7686 prostituées et 27 623 emplois infor- mels. Rien de surprenant à ce qu’un Premier Ministre, pris de boisson (Bill Skate), ait pu se vanter un jour de 1998 d’être sorti des slums (taudis) et d’être devenu « le Parrain » attitré des raskals de la ville. Salmigondis salomonais Contaminé par le conflit de Bougainville et les mœurs de Port Moresby, l’Etat salo- monais est en proie à des dérives sécession- nistes permanentes, en particulier dans l’ar- chipel de la Nouvelle-Georgie où la derniè- re génération des « chasseurs de têtes» était ni plus ni moins celle des grands-parents des leaders actuels. L’explosion finale qui vient de mettre l’Etat post-colonial « hors course » dérive des affrontements dont Honiara, capitale d’après guerre, a été le théâtre courant 2000. La ville était alors peuplée à 90% par les gens de l’île voisine de Malaïta, ce qui fit peur aux autochtones de Guadalcanal qui voyaient les emplois leur échapper, d’autant plus que l’implantation des migrants de Ma- laïta s’accompagnait d’une corruption sans mesure. Résolus à reprendre le contrôle de la situation, ils arment en mai-juin 2000 une milice « Isabu Freedom Movement » qui fait fuir 25 000 Malaïtais qui retournent dans leur île surpeuplée et célèbre pour ses violences. Ceci entraîne l’arrêt de la mine d’or de Goldridge et l’évacuation des grandes plantations d’Unilever. Une contre Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 138 17 Intérieur d’une “maison des hommes”, Sepik, Papouasie. (arch. TPM)
  • 4. milice d’autodéfense et de recon- quête « Malaita Eagle Force » est rapidement mise sur pied. Avec l’appui de la police, composée en majorité de compatriotes, elle s’empare de la capitale et du pou- voir d’Etat à l’issue d’un coup de force perpétré le 5 juin 2000. Le désastre d’une guerre civile urbaine induit la paralysie totale de l’administration et des services, avec la perspective d’une disloca- tion généralisée de l’Etat archipé- lagique. Devant ce risque de sé- cessions en cascade, Australiens et Néo-Zélandais ont recours à la po- litique de la canonnière pour en imposer aux adversaires en pré- sence et obtenir l’arrêt au moins apparent des affrontements (oc- tobre 2000). En dépit de nouvelles élections (décembre 2000), les troubles persistent et la corruption reprend tous ses droits dans la capitale fan- tôme alors que plus aucun secteur écono- mique ne parvient à fonctionner, hormis des chantiers forestiers où des coupes fréné- tiques sont entreprises par diverses compa- gnies prédatrices, en particulier d’origine malaises ou taïwanaises. Totalement à la dérive et coupé du monde réel, l’archipel salomonais reste un foyer de troubles sus- ceptibles de déstabiliser la Mélanésie. Faillite du modèle fidjien : montée des prétoriens Fondé sur le modèle de Westminster de- vant assurer la coexistence des autochtones maîtres des terres et des immigrés indiens au départ petits planteurs de canne à sucre, le modèle fidjien, subtil mélange de conces- sions et d’avantages réciproques, n’aura duré qu’une douzaine d’années. En 1987, deux coups d’état menés par le colonel Rabuka imposent une reprise en main du pouvoir au profit des autochtones inquiets de la pression démographique et économique exercée par la communauté in- dienne qui s’urbanise et truste les postes de cadres et de maîtrise dans les services et les administrations, tout en revendiquant l’ac- cès à la terre jusqu’alors monopolisée par la communauté mélanésienne. Une caste militaire d’autochtones fidjiens s’est formée ; d’abord au sein de l’armée britannique, puis elle s’est valorisée et pro- fessionnalisée dans une participation active aux forces de maintien de la paix des Na- tions Unies (FINUL) dès 1978. Avec en permanence un millier d’hommes opéra- tionnels, Fidji forge un instrument militaire qui dépasse largement ses besoins mais qui, en réalité, est destiné à absorber et à canali- ser les énergies guerrières toujours valori- sées dans le système des chefferies autoch- tones. Ceci va conduire à la prise de conscience, chez les officiers, de leur res- ponsabilité de protection et de promotion envers leur communauté. Destinée à stop- per la montée en puissance de la commu- nauté indienne, la prise de pouvoir organi- sée par les militaires mélanésiens a pour ob- jectif de promouvoir le développement éco- nomique et social des autochtones fidjiens par une politique active de « discrimina- tions positives ». Dès lors, les Indiens intimidés quittent leurs fermes et gagnent les villes, et surtout, ceux qui le peuvent s’efforcent d’émigrer en Nouvelle-Zélande, en Australie, aux USA ou au Canada pour y implanter leurs activités et leur famille dans un cadre sécu- risé. Le renouvellement des baux des fer- mages de terre est bloqué par leur renchéris- sement et, surtout, les Fidjiens retrouvent la majorité dans leur État car la communauté indienne est saignée par une émigration massive (7). De la sorte, la majorité de population des Fidji est à nouveau mélanésienne (en 2001, on compte en effet 54% de « mélano-fid- jiens » pour 40 % d’« indo-fidjiens »). Ceci ne va pas sans peser sur l’économie et per- turber la scène internationale. Mais, le re- tour au formalisme électoral amena tout de même en 1999 un Premier ministre tra- vailliste d’origine indienne. Un troisième coup de force intervint en mai 2000, sanc- tionnant les tensions toujours vives. Cette fois c’est la débandade chez les Indiens dont la fuite massive des cerveaux désorga- nise les services et pèse sur l’économie na- tionale. Finalement, en août 2001, un nouveau processus électoral donne une solide majo- rité aux Mélanésiens fidjiens. Ceci n’em- pêche pas les querelles de se poursuivre sur fond de crise économique et sociale. Les nuages s’amoncellent: chute de la monnaie, baisse des échanges et du tourisme, aug- mentation du chômage pèsent sur les classes défavorisées. L’agglomération de Suva, forte de 260.000 habitants, devient un foyer de criminalité majeur. Les complots se succèdent et l’on peut se poser la question, sur un fond de désagrégation de la clas- se aristocratique, si après avoir eu « Neghib » Rabuka il ne se trouvera pas bientôt un « Nasser » chez les jeunes offi- ciers. Vanuatu : farces et attrapes Surgi bon dernier, le 30 juillet 1980, sur la scène des indépen- dances mélanésiennes, le Va- nuatu naît de la fin de 75 ans de condominium franco-anglais sur l’archipel des Nouvelles-Hé- brides. Dépourvu de richesses, donc d’intérêt, il ne pouvait que connaître les histoires drôles d’une longue opérette de « mé- nage à trois » : Français et Bri- tanniques s’efforçaient de rallier à leur cau- se et à leur intérêt le maximum de respon- sables autochtones. Mélanésiens particuliè- rement malicieux, ces derniers savaient par- faitement tirer parti de cette situation de sur- enchère. Mais comme pour toutes les rup- tures, sur scène comme dans la rue, il faut un drame pour en finir et changer de pièce : c’est ce qu’il advint en 1980. Le jeune Etat connut des conflits violents entre une minorité francophone catholique et coutumière, appuyée par les colons plan- teurs, et une majorité anglophone anglicane ou presbytérienne fortement liée au milieu des commerçants. La prise en main des af- faires publiques par le parti anglophone ma- joritaire, conduit par le pasteur Walter Lini, entraîna des remises en cause radicales au- quel le pays n’était pas préparé: d’abord ce fut la suppression du droit de propriété fon- cière pour les étrangers, ce qui provoqua l’abandon des plantations spéculatives, bases de l’économie nationale. Puis, ce fut le temps de la mise au pas des chefferies tra- ditionnelles, ce qui détermina une tentative de sécession dans l’île de Santo au Nord de l’archipel, puis l’avènement d’une agitation autonomiste dans l’île de Tanna, au sud. Pour réprimer ces initiatives «régiona- listes » , le pouvoir central n’hésita pas à pratiquer la manière forte avec le concours d’Australiens et de troupes de l’armée de Papouasie Nouvelle-Guinée. On dénombra peu de morts, mais plusieurs milliers d’ar- restations et des départs sanctionnèrent cet- te répression. Le fait le plus marquant fut la fuite vers la Nouvelle-Calédonie de 3 500 nationaux français ou assimilés (planteurs d’origine européenne et surtout ni-vanuatu francophones). Les délires du pouvoir finirent par provo- quer la mise en minorité du gouvernement du pasteur Lini et des fâcheries entre anglo- phones pro ou anti Lini, permettant aux francophones restés sur place d’attiser les dissensions de leurs adversaires tradition- nels, se complaisant même à nouer des coa- litions tour à tour avec les uns et les autres, nonobstant les choix des électeurs. Il y eu ainsi cinq gouvernements pour la seule pé- riode 1997-98. Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 13818 Le colonel Rabuka remerciant ses troupes après son premier coup d’Etat (1987). (arch. TPM) 7 - Entre 1973 et 1986, 42.000 personnes partirent définitivement de Fidji (3.000 par an) ; à la sui- te des coups d’Etat fomentés par Rabuka, 62.600 autres émigrèrent entre 1987 et 1999 (4.800 par an) ; on atteint le chiffre de 5.275 en 2000 et même de 6 316 en 2001. Ces départs sans retour pro- grammé sont à 90 % le fait d’Indiens.
  • 5. Dans la pauvreté générale, l’enrichisse- ment des politiciens et de leurs commen- saux éclate. Le personnel politique a enfin découvert les rites incantatoires qui procu- rent l’afflux de l’argent et des richesses pro- mises aux adeptes desCargo Cults. Ce sont, d’abord, les signatures sur des effets ban- caires de complaisance et des traites sur le Trésor public, sur des dérogations doua- nières ou sur des concessions publiques. Ensuite c’est l’accaparement des dons af- fluant des aides internationales et non-gou- vernementales. Enfin, c’est toute l’écono- mie du « faux » et du « virtuel » : pavillons et passeports de complaisance, blanchiment de « l’argent sale » par un centre banquier offshore comptant 68 banques et 556 socié- tés financières en 1999. Depuis l’Interacti - ve Gaming Act de juin 2000 et le recours aux ordinateurs, un «casino virtuel » a ou- vert ses portes. Certes, la mise en route des jeux a été contrariée le 3 janvier 2002, le jour même de l’inauguration, par un trem- blement de terre de force 7,3 ; mais cet af- fairisme finit par inquiéter les grandes puis- sances, surtout depuis que la drogue a fait son apparition au nombre des trafics en tous genres. Derrière une classe abondante de politi- ciens avides et retords se profilent en effet des figures énigmatiques, particulièrement inquiétantes, telle celle de Dinh Van Than, homme d’affaires vietnamien non rapatrié en 1963 et depuis naturalisé ni-vanuatu. Mais le symbole du système qui réunit à lui seul tous les caractères distinctifs de ce petit monde pittoresque reste Barak Sope : c’est un homme d’une cinquantaine d’années qui, après avoir préconisé un « socialisme engagé » dans le plus pur style tiers-mon- diste, rompt avec Walter Lini dont il était pourtant supposé recueillir la succession en 1987, afin de lancer son propre parti poli- tique et plonger dans les affaires, devenant plusieurs fois ministre et même Premier Ministre (1999-2001) jusqu’à ce qu’il soit censuré par le Parlement pour avoir signé, contre l’avis du ministre des Finances, « deux bons de garantie » de 18 et 5 mil- lions de dollars U.S au profit d’un homme d’affaire thaïlandais. Ceci lui a finalement valu d’être condamné à trois ans de prison par la Cour suprême (juillet 2002). Une tel- le situation ne peut perdurer et les menaces s’accumulent, venant à la fois de la fureur populaire génératrice d’émeutes et, surtout, du durcissement de forces armées diverses de plus en plus adeptes du coup d’Etat pour assurer leur solde. Entre mélanitéet francité : l’exception néo-calédonienne Par rapport aux autres archipels mélané- siens, la Nouvelle-Calédonie diffère de na- ture et d’échelle. Ses problèmes n’ont rien de comparables à ceux qui touchent le reste du sous-continent. En fait, dans les années 1970-80, il n’était pas question que la Fran- ce puisse envisager la fin de sa présence en Nouvelle-Calédonie, à l’inverse des autres puissances encore implantées en Mélanésie. En 2002, de par le statut évolutif de l’archi- pel, la question de l’appartenance à la sou- veraineté française ou de son abandon est maintenant totalement entre les mains des ressortissants du « pays » calédonien (suite à l’adoption par référendum d’un statut de large autonomie pouvant conduire à l’indé- pendance vers 2018). Depuis 1969, date d’apparition du concept d’« indépendance kanak- socialiste », jusqu’aux élections régionales de 1999 le rapport de force en Nouvelle-Ca- lédonie a toujours été de deux contre un en faveur de la présence française (8). Pour une bonne part, c’est la perte du pouvoir na- tional par les partis de « droite » à l’issue des élections de mai et de juin 1981 qui fit croire à un changement rapide de sta- tut aux forces revendiquant la « resti- tution aux Kanak de la souveraineté » en Nouvelle-Calédonie, en s’ap- puyant sur la nouvelle coalition socia- lo-communiste mise en place au plan national. De fait, bien que largement minori- taire dans l’archipel, le FLNKS avait trouvé à Paris des interlocuteurs conciliants envers leur stratégie de prise de pouvoir. Il s’ensuivit locale- ment cinq années de troubles, car l’élément majoritaire regroupant au- tour du RPCR des Européens d’im- plantation plus ou moins ancienne avec des éléments asiatiques ou poly- nésiens arrivés plus récemment, l’es- sentiel des métis et un tiers des Méla- nésiens, ne voulut pas perdre l’ascen- dant acquis dans la vie de tous les jours, comme dans les urnes, au fil des scrutins. Les conflits intercommunautaires dérivant de l’affrontement entre « Ka- nak » et « Caldoches » se sont soldés par une cinquantaine de morts entre 1984 et 1988. Ce bilan quinquennal, certes douloureux dans l’absolu, reste tout de même deux fois moindre que celui d’une simple moyenne hebdo- madaire en Papouasie Occidentale et d’une quinzaine en Papouasie Nouvelle-Guinée. Or le tapage médiatique en a été cent fois plus étendu. Il y a donc eu falsification des réalités, pouvant facilement induire aux Français de Métropole la conviction que la Nouvelle-Calédonie va mal depuis les an- nées 1980, donc qu’elle n’évitera pas d’être atteinte par le «syndrome mélanésien ». En fait, il n’en est rien car les bases écono- miques et sociologiques sont radicalement différentes de celles des archipels voisins. La Nouvelle-Calédonie, le territoire le moins peuplé de la Mélanésie, est aussi ce- lui dont le développement se rapproche le Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 138 21 Désespoir de petits planteurs indiens de Fidji devant leur maison incendiée lors du coup d’Etat de Speight (2000). (Arch. TPM) 8 Doumenge, J.-P. 2002, Le particula- risme de la N.-C., pp551-558 in “La Fran- ce et les Outre-mers, Hermès 32/23, CNRS Paris (TPM 133, p.46).
  • 6. plus de la normalité des pays développés avec un PIB par habitant de 16 000 US$ en 1998, soit environ six fois de celui des Fid- ji, 12 fois du Vanuatu, 17 fois celui de Pa- pouasie-Nouvelle Guinée et 20 fois plus qu’aux îles Salomon. La violence en Nou- velle-Calédonie ne peut donc être une don- née récurrente comme ailleurs en Mélané- sie, puisque la pauvreté n’y est pas générale. Mais ce qui distingue le plus la Nouvelle- Calédonie du reste du sous continent, c’est son intégration irréversible dans un système mondialisé par le biais de ses infrastructures et de ses fonctions. L’impact de la colonisa- tion s’y est fait sentir une ou deux généra- tions avant Fidji, et trois ou quatre généra- tions avant les autres pays. Ceci a permis d’amortir les conflits par une perméabilité de la société autochtone que seul le temps peut produire. En fait, à l’échelle de l’His- toire contemporaine, la Nouvelle-Guinée ou les Salomon en sont actuellement au stade qui fut celui de la Nouvelle-Calédonie avant les années 1950. La colonisation française ayant été conduite suivant des normes républicaines, « l’assimilation » des autochtones mélané- siens a toujours été le but assigné, même en termes lointains. Ceci est à l’opposé du sys- tème colonial anglo-saxon de large autono- mie des collectivités traditionnelles aboutis- sant en définitive au développement séparé et donc décalé des ethnies. L’évaluation de la politique coloniale française a été très jus- tement décrite comme fort en avance sur son temps (9) et en cela elle a eu des effets en profondeur sur le monde océanien. Quoique tardivement abordée (courant des années 1970), la question foncière et les revendications coutumières mélanésiennes qui s’y rattachent ont pu être réglées de fa- çon pragmatique grâce à un important trans- fert de terres qui avaient été livrées à la co- lonisation, mais qui, depuis le « boom sur le nickel » de 1969-72, faisaient l’objet d’une sous utilisation chronique (45.000 ha de 1978 à 1988, 65.000 ha de 1989 à 1998). Actuellement il y a, semble-t-il, saturation puisque 40.000 ha acquis pour la réforme foncière ne trouvent pas preneur. D’une façon générale, la reprise des terres de colonisation par des groupements méla- nésiens, lorsqu’elle s’effectue, ne développe pas d’activités agricoles fortement rémuné- ratrices. Cette récupération répond plus à des raisons affectives à l’échelle de mul- tiples petits groupes traditionnels kanak qu’à des besoins économiques de l’en- semble de la communauté mélanésienne. A l’instar des Caldoches, les Kanak veulent à présent profiter de la mine et de la ville, les deux vecteurs essentiels de la croissance et du bien être matériel. Mondialisation et spécificités socio-spatiales En ce début de XXIe siècle, la scène de la Nouvelle-Calédonie est dominée par deux phénomènes majeursqui s’expriment d’une part dans la volonté de rentabilité maximale du patrimoine minier (en triplant la capacité de traitement local du nickel), d’autre part dans la mise en cohérence du Grand Nou- méa (agglomération d’environ 100 km2 éti- rée autour d’un site péninsulaire, le long d’un axe nord-ouest sud-est sur une centai- ne de km). Les représentants du FLNKS qui assu- ment le leadership politique de la Province du Nord comme celui de la Province des Iles Loyauté, sont pour la plupart issus de la communauté mélanésienne et de ses tribus. Ils se sentent extrêmement concernés par le développement du secteur minier et métal- lurgique du Nord de la Grande Terre, dans la mesure où ce secteur d’activité détermine en moyenne 10% du PIB à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie, tout en présentant un potentiel qui devrait permettre d’atteindre 15% d’ici dix ans. Avec l’appui de la société Falconbridge, la SMSP contrôlée par des hommes du FLNKS s’évertue à mettre sur pied dans les environs de Koné, la capitale provinciale du Nord (très exactement sur la partie méridio- nale de la commune de Voh), une unité de fonte du nickel d’environ 60.000 tonnes de métal, donc d’une capacité comparable à celle de l’usine actuellement en service à Doniambo, dans la banlieue nord de Nou- méa. Dans le même temps, les politiques et des hommes d’affaires en position dominante dans la Province Sud, tentent avec le concours de la société Inco de traiter an- nuellement (par procédé chimique et non plus métallurgique) 54.000 t de nickel et 5.400 t de cobalt. Ce dernier projet indus- triel risque de retarder, voire d’ajourner le projet tenté dans le Nord. Dans le même temps, le projet industriel du Sud situé dans la zone de Goro-Prony, à la jointure des communes du Mont-Dore et de Yaté, per- mettrait de « recalibrer » l’agglomération de Nouméa. Le développement de ce nouveau site in- dustriel induirait obligatoirement un remo- delage des réseaux et des grandes infrastruc- tures et fortifierait la progression d’une déjà puissante Riviera à l’Australienne, lieu de détente et de loisir, lieu de passage d’une clientèle à haut pouvoir d’achat, donc lieu essentiel d’enrichissement du territoire. En restructurant la conurbation existante et en y intégrant le projet industriel de Goro-Prony, il faut évidemment assurer l’intégration har- monieuse des différents composants eth- niques et sociaux en évitant les ségrégations de quartier et en résorbant les formes d’ha- bitat spontané localement dénommées squats. La poussée urbaine attendue en grande banlieue voit d’ores et déjà se développer une spéculation foncière sur une vaste Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 13822 9 CROCOMBE R. 2001 - The South Pacific p.421 : After World War II France was at times the most progressive colonial power in the Paci- fic. France gave equal citizenship to all people irrespective of origin (which few colonial powers did at that stage) and by 1957 had given its ter- ritories more autonomy than anywhere else in the Pacific except Tonga.
  • 7. échelle. Cette spéculation est périodiquement l’occasion d’af- frontements entre les différentes composantes de la population de la périphérie du Grand Nou- méa. La constitution depuis trente ans, voire plus, de ghettos ethniques est en effet une cause permanente de désordres. Les affrontements de la fin 2001 et du début 2002 du Mont Dore ont mis aux prises les Mé- lanésiens de la tribu de St Louis et les Wallisiens installés sur un terrain mitoyen appartenant à la mission catholique. Ceci a fait prendre conscience de la néces- sité de maîtriser les formes ac- tuelles d’urbanisation des groupes océaniens, mal préparés à la vie ci- tadine et à ses contraintes et donc toujours tentés à se replier sur eux-mêmes. La grande diversité ethno-culturelle qui fait l’originalité de la Nouvelle-Calédonie, tant dans le contexte de la Mélanésie que dans celui de la France, ne s’épanouira de façon harmonieuse que par une homogénéi- sation des genres et des niveaux de vie que seule une croissance de l’emploi et des re- venus peut favoriser. Ce ne sont pas telle- ment les violences physiques, politiques ou ethniques, qui risquent de se propager, mais si on n’y prend pas garde, des conflits so- ciaux durs qui peuvent surgir pour obtenir un meilleur « partage du gâteau ». Le gou- vernement français, pourvoyeur du tiers de la richesse locale à travers le financement des services publics et des grandes infra- structures, reste donc plus que jamais l’ar- bitre indispensable dans un jeu dichoto- mique où s’affrontent une société industriel- le cosmopolite riche (dite « cal- doche ») et une société agraire au- tochtone (dite « kanak ») qui n’arri- ve pas à se réformer au contact d’un monde extérieur car elle ne partage que très partiellement ses valeurs constitutives. L’Etat est le seul ac- teur capable de mettre en œuvre du- rablement une politique généreuse des ressources et des emplois qui permette de faire progresser les fon- dements contractuels d’une société insulaire pluriethnique et solidaire. C’est sous cet angle qu’il faut consi- dérer les accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998). Tout en bénéficiant d’une audien- ce incontestable comme référant ins- titutionnel, l’Etat français est de plus en plus tenu à distance du jeu poli- tique local inscrit sous le signe d’une large autonomie. Il n’est donc pas toujours facile à ses représentants de pondérer les prise de positions ex- cessives de certains acteurs locaux de la vie publique. Toutefois, même si on risque d’aboutir, faute de réali- sation d’un projet industriel dans le Nord, à une véritable désertification de l’intérieur de la Grande Terre ca- lédonienne, la pression qu’exerce le RPCR sur le FLNKS par l’intermédiaire des indépendantistes « modérés » de la FCCI devrait permettre de dépasser le concept d’indépendance au sens de « pleine souve- raineté », puisque vraisemblablement syno- nyme de régression économique et sociale, ce que pratiquement personne n’envisage ou ne souhaite. La Nouvelle-Calédonie n’est ni plus ni moins que le contre-modèle de l’Africanisation du reste de la Mélanésie. Conclusion La Nouvelle-Calédonie dérive de plus en plus vers l’Australie dont elle partage déjà bien des échelles de valeur, mais en assu- mant sa grande diversité ethno-culturelle. Les autres archipels mélanésiens s’enfon- cent par contre dans la crise car dans le Sud- Ouest Pacifique l’Australie n’a pas la taille critique pour assumer le poids du “trou noir” mélanésien. Avec seulement 20 mil- lions d’habitants, une économie sensible aux variations des cours de ma- tières premières et des produits agricoles, et surtout une cohabita- tion difficile des communautés culturelles, l’Australie n’arrive pas à assumer convenablement le rôle moteur qu’on peut attendre d’elle à l’échelle du Pacifique Sud. Le montant de l’aide qu’elle y consent n’est que de 265 millions de dol- lars US sur un total de 765 millions pour l’ensemble du monde, l’es- sentiel allant au Sud-Est asiatique. A l’échelle du Pacifique, la Mé- lanésie constitue en définitive un ensemble trop pesant pour être parfaitement maîtrisé. Par compa- raison, le cumul de la Micronésie et de la Polynésie ne représente que 1,2% de l’espace mélanésien en superficie et 12,2% en population. En fait, les Polynésiens et Micronésiens profitent plus ou moins direc- tement d’une “prise en charge” par les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande et la Fran- ce dont il peuvent utiliser les passeports et la résidence. Au recensement de 2001, on comptait en Nouvelle-Zélande 232000 rési- dents originaires des îles polynésiennes, alors que celles-ci n’en abritent que 320 000. Si on ajoute les 526 000 Maoris natifs du lieu, la Nouvelle-Zélande est à pré- sent au quart polynésienne. En ce qui concerne les Etats-Unis, qui fo- calisent leur intérêt avant tout vers l’Asie du Sud-Est économiquement plus intéressante, ils hébergeaient en l’an 2000 environ 200 000 Océaniens (140 000 Polynésiens et 60 000 Micronésiens) sur leur territoire continental et 242 000 autres au sein de la population de 1,2 millions d’habitants de l’archipel de Hawaii (182000 autochtones et 60 000 migrants, dont la moitié des Sa- moa américaines.) Les conflits océaniens actuels que pour- rait occasionner une mauvaise gestion de la diversité ethnique s’évacuent donc ac- tuellement par l’émigration vers Honolu- lu, Los Angeles et Auckland. Quant à la France, si elle sait continuer à maintenir la loi et l’ordre républicain, elle évitera bien des ennuis. De plus, elle pour- rait servir de référence à une autre forme de Pacific Wayoù la substitution de la né- gociation aux violences se réalise par la promotion d’un haut niveau de vie partagé par le plus grand nombre : c’est le fonde- ment même de la « conciliation durable » des communautés ethno-culturelles, et à terme, de l’unification de la société par métissage généralisé des hommes et des valeurs de convivialité qui est fort avancée en Polynésie française et qui doit être le but à atteindre en Nouvelle-Calédonie. François DOUMENGE Le présent article est présenté sous for- me condensée dans le numéro spécial de la revue “Conflits Actuels” consacré à l’Outre-mer français et à ses environne- ments régionaux. Octobre 2002 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 138 23 Rapports de force inter ethniques en 2001 (populations exprimées en milliers d’habitants)