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Université Paris Est Marne-la-Vallée

                              CFA Descartes




                              Laure NERIA




                           Clic & Chic
                   Le web et les nouvelles technologies,

               Au cœur de l’identité du luxe au XXIe siècle ?




Mémoire de recherche pour l’obtention du master 1 Culture et Métiers du Web

                       Tuteur : Edouard BOURBON

                           Soutenu en juin 2010


                                     1
Université Paris Est Marne-la-Vallée

                                        CFA Descartes



Je remercie mon tuteur M. Edouard Bourbon pour son suivi pédagogique, son soutien et ses
conseils expérimentés qui m’ont permis de mener à bien ce travail et notamment d’entrer en
contact avec des professionnels du secteur du luxe et du web.

Je remercie mon maître d’apprentissage M.Sébastien Gayat ainsi que toute l’équipe du
Groupware d’Essilor pour leur partage d’expérience et avis sur mon travail.

J’adresse mes plus sincères et chaleureux remerciements à ma famille pour leur soutien affectif
constant.




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Université Paris Est Marne-la-Vallée

                                           CFA Descartes




                                            Sommaire 




Introduction

PARTIE 1 : HISTOIRE POLITIQUE, INDUSTRIELLE, SOCIALE ET CULTURELLE
DU LUXE DE 1700 A NOS JOURS
A. Continuité et discontinuité dans l'histoire du luxe

B. L'industrie du chic à l'épreuve de la rareté

C. Le rêve agrégateur d'Internet et du luxe

PARTIE 2 : MARKETING ET IMAGE DU LUXE SUR INTERNET
A. Connaître le consommateur : les enjeux du webmarketing

B. Positionnement éthico-commercial des marques de luxe sur Internet

C. Les Social Media au service des marques de luxe

PARTIE 3 : L’INNOVATION : VERS LE SUCCES DE LA DISTINCTION DU LUXE
SUR LA TOILE
A. Internet et le luxe at home

B. Le retour aux cinq sens

Conclusion

Bibliographie

Annexes




                                                  3
Université Paris Est Marne-la-Vallée

                                            CFA Descartes




                                         Introduction



Lorsque Gilles Lipovetsky, à la fin du chapitre « luxe et comparaison provocante » du Bonheur
paradoxal affirme : « Dans la société d’hyperconsommation, il ne s’agit plus tant de combattre
des privilèges en ôtant des biens aux nantis que d’y accéder à des fins de jouissances
émotionnelles » 1 , il met en valeur le rapport plus que jamais individualiste qu’entretient le
consommateur avec les biens hauts de gamme qu’il désire. On consomme avant tout pour se faire
plaisir, et chacun peut rêver de posséder l’excellence, comme le dit si bien le slogan de la marque
de cosmétiques la plus glamour du moment « L’Oréal : parce que je le vaux bien ».

En France, le luxe (tel qu'on peut le définir par posséder un objet raffiné, couteux, somptueux)
n’est plus réservé à une élite qui perçoit les privilèges comme c’était le cas au XVIIème siècle,
mais est désormais accessible à un plus grand nombre grâce à la dématérialisation des supports
d’accès, de visibilité voire d’achat de produits sur Internet. L’accès au haut débit est l’unique
contrainte. Passée cette étape, l’internaute peut avoir accès à un très large éventail de sites de
présentation d’une marque ou de boutiques en ligne. En effet, le web comme plateforme de
développement du e-commerce est très prisé. La plupart des enseignes les plus connues, parmi
celles des biens ordinaires, tendent à décliner leur présence physique sur la toile via des sites
officiels, des boutiques en ligne, des vidéos de pubs et bien d’autres choses encore. Cependant, si
les grandes marques trouvent un avantage à faire rêver le plus grand nombre et à vendre plus,
elles courent aussi le risque de se banaliser aux yeux de tous, de perdre leur aura. En effet, la
marque doit veiller à donner l’impression que la boutique et les produits sont inaccessibles car le
consommateur va attacher plus de valeur à ce qui lui paraît inabordable. Par le passé, les marques
françaises ont cherché à rivaliser d’imagination pour transmettre une image de qualité et de



1
  LIPOVETSKY Gilles, Le Bonheur paradoxal, Essai sur la société d’hyperconsommation, Gallimard, 2006, 455
pages, p. 369.



                                                   4
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perfection autour de leurs produits. Le luxe reste et a souvent été réservé à une classe sociale
privilégiée. Néanmoins, on voit que la première barrière, celle de l’entrée dans une boutique de
luxe peut par exemple être dépassé par tous dans la mesure où la majorité des grandes marques de
luxe possèdent une boutique en ligne qui permet de présenter les produits (via un site vitrine) ou
encore de vendre. La présence quasi forcée des marques sur Internet, au même titre que les autres
enseignes, peut laisser envisager la démocratisation totale du luxe. Si tout le monde peut avoir
accès aux mêmes produits et services, alors qu’en est-il de l’exclusivité du consommateur du
luxe ? L’alliance du luxe et d’Internet peut s’avérer prometteuse comme assez risquée. Ma
recherche aura donc un aspect prospectif dans la mesure où j’essaierai de cerner les tendances
futures en matière de management du luxe sur Internet.

Les récentes études sociologiques faites sur le désir de distinction par le goût montrent que nos
façons de consommer ont évolué. Dans les sociétés modernes, les individus sont-ils caractérisés
par leur appartenance à une multiplicité de mondes ? C’est la question que pose Culture des
individus. Dissonances culturelles et distinction de soi. 2 Dans ce livre imposant de près de huit
cents pages qui utilise les résultats de plusieurs enquêtes menées par Bernard Lahire, avec l’aide
de collaborateurs, collaboratrices et étudiant(e)s, l’auteur revisite les enquêtes et les théories
développées par Pierre Bourdieu dans La Distinction : critique sociale du jugement pour mener
une réflexion sur la compréhension sociologique des pratiques culturelles et, plus largement, des
styles de vie. Il brosse le tableau de la situation culturelle considérée à l’échelle individuelle (en
utilisant l’approche statistique et l’analyse de cent onze entretiens présentés sous forme de
portraits). Il revient alors de manière détaillée sur les raisons principales des variations intra-
individuelles : les mobilités sociales, scolaires ou professionnelles, les contraintes et influences
relationnelles (celles des pairs, du conjoint(e), des collègues de travail), la baisse d’intensité de la
croyance en la culture littéraire et artistique. Bernard Lahire montre que l’existence d’habitus
culturels en tant que systèmes cohérents de dispositions, n’est pas ce qu’il y a de plus fréquent
statistiquement. L’individu serait multidéterminé par des expériences sociales qui l’influencent
tout au long de la vie. L’heure n’est plus à l’exposition de sa richesse, ou alors on passe du côté
du « bling-bling » (expression qui désigne l’ostentation), mais le luxe réside plus dans un confort
de vie qui regroupe le gain de temps, l’assurance de la sécurité à l’achat, l’innovation constante et


2
 LAHIRE Bernard, Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004,
777pages
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l’esthétique en général. C’est, entre autre, ce qu’explique l’essayiste et professeur agrégé de
philosophie Gilles Lipovetsky dans Le bonheur paradoxal, essai sur la société
d’hyperconsommation 3 . De ce fait, les nouvelles technologies jouent un rôle important sur le
plan de la recherche et du développement des produits, ou encore pour le marketing du luxe via
des sites internet design, créatifs et générateurs de rêve. A ce sujet, je m’appuierai largement sur
le travail de Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, dans l’œuvre Luxe oblige 4 , ainsi que sur
l’étude de Nicolas Auray et Michel Gensollen, Internet et la synthèse collective des goûts. 5

Il sera donc important de se positionner à la fois du côté du consommateur, que des annonceurs et
personnels à l’origine de la conception, réalisation et gestion des projets de luxe sur internet.
D’une part, pour mieux appréhender l’éventualité d’un changement de structure dans la
consommation des produits de luxe, on veillera à interroger des personnes qui consomment de
façon traditionnelle, c’est-à-dire qui sont habitués aux points de vente et aux services physiques
ainsi que des consommateurs lambdas, omnivores, qui consomment le luxe sans distinction
particulière avec d’autres types de produits, par exemple en se rendant sur leur site de vente
privée favori. Mais on cherchera à savoir quelle est la particularité des sites et plus généralement,
les moyens de visibilité du luxe sur Internet, et vers quoi ils doivent tendre pour assurer leur
pérennité. D’autre part on enquêtera sur le classement des marques de maisons de luxe ; on
comparera la démarche sur la toile en concomitance avec leur image. Les techniques actuelles
permettent aux grandes marques de répondre précisément aux attentes de leurs clients et de capter
l’attention d’un vaste public, attiré par la vente en ligne. Reste à savoir si elles ont envie d’élargir
leur audience ou de fidéliser les bons clients. Sur ce point, l’étude de la stratégie de
communication et de marketing de certaines marques de luxe permettra d’évaluer les risques et
avantages de l’exposition ou la vente en ligne. On se tournera également vers l’appréciation du
design des sites afin de montrer les potentialités visuelles et plus largement sensorielles
développées par les nouvelles technologies numériques. Jusqu’ici les marques communiquent peu
sur leurs chiffres mais on tentera d’analyser les premières répercussions du média Internet sur les


3
    LIPOVETSKY Gilles, Le Bonheur paradoxal, Essai sur la société d’hyperconsommation, Gallimard, 2006, 455 pages
4
    BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages

5
    AURAY Nicolas, GENSOLLEN Michel, Internet et la synthèse collective des goûts, PDF, 2007, 22 pages

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usages et pratiques des consommateurs du secteur du luxe. Internet doit servir de faire-valoir aux
grandes maisons sans cannibaliser les boutiques ou ternir l’image de grandeur de la marque. Pour
se faire, l’étude d’ouvrages consacrés à la sémiologie de l’image servira de base à l’analyse des
sites web rencontrés. La sociologie et la sociologie du goût seront des domaines très utiles à la
compréhension de l’évolution des tendances et usages des internautes vis-à-vis de la
consommation des biens luxueux. Les ouvrages disponibles actuellement ne traitent que très
partiellement la question du luxe sur Internet : ils émettent quasi systématiquement une réserve
vis-à-vis de la vente et ne tiennent pas compte des potentialités créatives à l’ère du tout
numérique. En effet, on sait à présent qu’Internet est pour la majorité des Internautes (70%) un
support adapté aux marques de luxe, tant par les possibilités qu'il offre (son, image) que par les
outils qu'il propose (newsletter, courriers personnalisés). On se tournera vers les marques qui
choisissent d’investir dans ce support et misent sur l’interactivité des ressources technologiques.

Ainsi notre terrain sera constitué d’interviews de professionnels du web des grandes maisons afin
de connaître les différentes stratégies choisies en fonction de la marque, que ce soit du côté des
annonceurs que du marketing ou de la communication. En parallèle, nous monterons des
sondages pour connaître l’avis des principaux intéressés : les consommateurs du luxe sur internet
et autres. Des micro-trottoirs viendront enrichir de témoignages les impressions laissées à travers
les sondages. Par ailleurs l’analyse de sites web de marques de luxe sera essentielle à la
compréhension générale du sujet ainsi qu’à la perception de la variété de stratégies.

D’abord nous étudierons l’histoire générale du luxe en France, afin de dégager les temps forts du
marché du luxe et les caractéristiques, à travers les époques, convergentes avec l’époque actuelle
pour comprendre quelles pistes sont à exploiter pour l’avenir. Cela nous mènera à distinguer la
rareté comme un élément à redéfinir, et le rêve comme élément d’agrégation du luxe et d’Internet
qui laisse présager un bel avenir. Après avoir dessiné les contours des principales notions en jeu,
nous analyserons ensuite les techniques de communication et de marketing des grandes marques
sur Internet. Nous verrons comment chacune d’elles agit en fonction de son image propre et fait
des choix singuliers, selon qu’elle ait pour priorité la vente ou la mise en valeur de son image.
Enfin, nous dévoilerons les potentialités créatives des nouvelles technologies sur le secteur du
luxe.



                                                7
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours




PARTIE  1 :  Histoire  politique,  industrielle,  sociale  et  culturelle 
du luxe de 1700 à nos jours 

 
Ma démarche vise à adopter un point de vue critique afin de comprendre le paradoxe du luxe sur
Internet. Je pars du présupposé que l’avènement d’Internet représente un tournant majeur dans
l’univers du luxe dans la mesure où le secteur a ainsi connu une remise en question de ses
valeurs.

Afin de mieux comprendre la notion, on fera un détour par l’histoire de ses valeurs. En France, ce
secteur existe depuis le XVIIIe siècle et l’histoire de la consommation montre l’importance des
notions de distinction et de richesse dans le contexte de la vie de Cour. Dès la fin du XVIIe
siècle, le monde littéraire qui gravite de près ou de loin autour du roi Louis XIV, engage une
réflexion sur la société. De nombreux thèmes sont traités, par le biais de textes littéraires qui
miment la conversation 6 , ou dans une forme souvent proche des sentences. Le style bref,
elliptique vise parfois à énoncer, voire dénoncer une vérité générale sur la société et ses
individus. Très en vogue à la cour du roi, le mouvement de pensée des moralistes français aborde
plusieurs questionnements. Tantôt défenseurs de la morale chrétienne, comme Pascal avec ses
Pensées 7 , tantôt partisans de la satire ou du rire plus généralement, les philosophes et humanistes
français s’emparent de la question de la morale et des mœurs pour mener, notamment, une
réflexion sur le pouvoir et les Grands. Je souligne ces deux derniers thèmes car ils introduisent la
réflexion sur le luxe au XVIIe siècle. L’historien Daniel Roche, dont les travaux portent
essentiellement sur l'histoire culturelle et sociale de la France de l'Ancien régime affirme : « Le
luxe a d’abord une fonction politique : il entretient la différenciation culturelle, impose le respect
dû à la puissance royale et à Dieu, dont on ne conteste pas la somptuosité accumulée pour son
service. » 8 Dès lors la France s’illustre comme le pays par excellence. Que ce soit dans les



6
    Voir MONTAIGNE Michel Eyquem, Les Essais, Paris, Gallimard, imprimé en 2007
7
    PASCAL Blaise, Les Pensées, Paris, Gallimard, 1999
8
 ROCHE Daniel, « Consommation ordinaire et consommation de luxe », De la rareté au luxe, p. 85-91 in Histoire
des choses banales, Naissance de la consommation XVII-XIXe siècle, Fayard, 1997, 330 p.

« D’autres modes de vie sont donc possibles, inimaginables il y a peu. La progressive réhabilitation de la dépense,
                                                         8
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



habitudes de consommation des individus ou au sein de l’activité économique du pays en général.

Ce thème est donc particulièrement intéressant à étudier dans le contexte d’Internet. De par son
lien avec le pouvoir, le désir et l’esthétique, le luxe est un bien de consommation singulier
révélateur. Ses évolutions au fil des époques permettent de mettre en valeur les marques clés qui
ont réussi à s’imposer sur le marché, à appréhender les raisons qui ont écarté ou enclin certaines à
étendre leur périmètre au web. Les concepts de rareté et de rêve font tout particulièrement l’objet
de mon attention dans la mesure où ils agissent comme des catalyseurs de la réflexion du luxe sur
Internet.




l’éloge du luxe, le passage du mot d’ordre “dépensez ce que vous gagnez“ à l’impératif “gagnez ce que vous
dépensez pour dépenser plus“, la réhabilitation des entrepreneurs marchent d’un même pas, dessinant une autre
sensibilité, suscitant d’autres normes et d’autres consommations intellectuelles. La nouvelle philosophie qui unit
échange et besoins accrus suppose plusieurs ruptures, avec l’autoconsommation familiale et régionale, avec une
économie faiblement monétarisée, avec l’immobilité des choses.»[…]

« Le luxe agit en marge, car condamné par les prédicateurs, contrôlé par les lois somptuaires (au moins dans le
principe) et par l’action mercantiliste sur le commerce et la production, moyen d’enrichissement extérieur et apanage
d’une étroite élite intérieure. » […]

« Les économistes de la croissance par la consommation, Boisguilbert et Cantillon, les observateurs du miracle
hollandais, Bayle, concourent à l réhabilitation du luxe. C’est le moyen de mesurer la compréhension nouvelles des
hommes confrontés à l’expansion et appelés à un hédonisme.’ La nécessité du superflu s’impose par le détour d’un
nouveau rapport au monde et aux objets qui sécurisent, embellissent et rassurent. La vertu n’est plus le fruit du
renoncement mais de l’usage modéré et raisonnable des biens et des bienfaits qu’ils prodiguent. L’amour de soi ne
sépare plus l’individu de la communauté des chrétiens. “ » Note 50. C. Walter, « Les lois somptuaires ou le rêve d’un
ordre social. Evolution et enjeux de la politique somptuaire à Genève, XVIe-XVIIIe siècle », Equinoxe, 11, 1994, pp.
111-126 ; J. Séquora, Luxury, the concept in Western thought, Londres, 1977.



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Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



      A. Continuité et discontinuité dans l’Histoire du luxe



      a. La naissance des valeurs du luxe en France du XVIe au XVIIIe siècle

A l’article LUXE du nouveau Petit Robert de la langue française 2007, on peut lire :

           « 1. Mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées à l’acquisition de biens superflus, par goût
           de l’ostentation et du plus grand bien-être. 2. Caractère coûteux, somptueux (d’un bien ou d’un service). 3.
           Bien ou plaisir coûteux qu’on s’offre sans nécessité.»

On peut donc en conclure que le luxe possède la caractéristique de se distinguer des autres objets
de consommation ordinaire. En effet, choisir un bien luxueux c’est être dégagé des contraintes du
besoin, et en même temps tendu par le désir de posséder la chose, à tel point que l’on oublie de
considérer (ou que l’on dénigre volontairement) le montant de l’objet. Ne dit-on pas que
« l’amour rend aveugle » ? On peut effectivement comparer l’acte d'achat d’un produit de luxe à
la pulsion amoureuse. Cependant, il semblerait que la confusion entre objet de luxe et bien
ordinaire est de plus en plus courante. Une grande partie des objets est aujourd’hui relié au désir
dans les publicités alors que je souhaite montrer qu’en fait, seul l’objet de luxe possède
véritablement ce pouvoir de susciter et se substituer au désir. La femme dans la société
occidentale contemporaine a pu être comparée à un objet dans les publicités. Depuis la lutte pour
la reconnaissance des droits de la femme, il est assez commun de dénoncer la dévalorisation de sa
représentation dans ces publicités. Le luxe semble intrinsèquement lié à la notion plus générale de
désir à assouvir, que ce soit par la possession de l’objet de luxe, le goût du paraître ou le plaisir
que l’on en retire.

Les mots « luxe » et « luxure » ont ainsi la même étymologie. Du latin, luxus, ils désignent tous
deux la lumière. Cette racine commune suggère que l’aura joue une place prépondérante dans la
compréhension et l’analyse du luxe. Louis XIV, connu pour son faste, se faisait d’ailleurs appeler
« le roi soleil ». L’image que l’on donne de soi par la possession et l’ostentation d’objets de luxe
peut être assimilée à une recherche de cette aura. Dans la quête, le désir joue un rôle primordial.
C’est ce qu’explique Pascal lorsqu’il définit l’objet de luxe et le luxe en général à partir des trois
libidos : la libido dominandi, la libido sentiendi et enfin la libido capiendi. 9 A la libido dominandi


9
    PASCAL Blaise, Les Pensées, Paris, Gallimard, 1999
                                                           10
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



correspond une définition du luxe comme forme de paraître et de domination. C’est typiquement l’attitude
des Grands que les Moralistes du XVIIème siècle ont dénoncé, en se jouant de la préciosité et des normes
liées à l’étiquette. Les accessoires et les vêtements composés de tissus luxueux participent aux éléments de
paraître. Le paraître et la domination incluent dans le rapport à l’autre la volonté de se démarquer par la
magnificence. Par exemple, on note que dès la Renaissance on ne peut user du luxe qu’à condition que ce
soit conforme à son statut. La libido sentiendi se traduit par l’épuisement des ressources et le désir
de séduire. On veut plaire à autrui, et en même temps se satisfaire soi. La richesse de l’objet de
luxe réside aussi dans le fait que pour maximiser l’effet, il doit mobiliser les cinq sens. L’individu
à la recherche de luxe oscille entre le désir de liberté et la servilité dans le regard d’autrui. Les
trois fonctions du parfum dans l’histoire peuvent signifier cette ambiguïté. 10 Dans les cérémonies
funéraires, le parfum devient somptuaire. Il peut servir à enfumer les dieux, adoucir la mort,
prolonger le corps, et séduire. Symboliquement, l’embaumement sert à célébrer le corps car cela consiste à
le protéger de la décrépitude de la mort. Mais chercher le pouvoir de résister au temps peut aussi
s’interpréter comme la manifestation d’une grande crainte. Enfin, la libido capiendi fait référence à la
connaissance et à l’acte patrimonial. L’objet de luxe, en plus de se devoir d’être résolument
esthétique, entre dans l’histoire en ce que chaque pièce créée est unique car elle est le résultat
d’un savoir-faire authentique. La tradition et la transmission de savoir sont les clés de voute du
luxe français jusqu’au XIXe siècle. Résultat d’un riche héritage, les grandes maisons fleurissent
en mettant en valeur un nom et la qualité de leur produit.

En conclusion, la citation de Colonna d'Istria 11 résume bien mon propos, à savoir que :

            "Le luxe c'est, en somme, à la rencontre de l'homme et de son histoire, l'acte volontaire d'un individu dans
           ce qu'il a d'unique pour marquer sa liberté et pour, gratuitement et dans le plaisir, s'élever au dessus de sa
           condition."

Cette définition regroupe à mon sens les principaux éléments qui font du luxe une notion qui a pu
traverser les époques. Si la valeur symbolique des produits de luxe a évolué, les fondamentaux
que sont l’esthétique et le désir de dépassement composent des points clé de ma pensée. Le
présupposé qui admet que l’homme tend au renouvellement et à l’innovation dans le domaine du
luxe va, plus tard dans cette étude, permettre de justifier l’intérêt des ressources exploitables par



10
     CASTAREDE Jean, Le Luxe, Que sais-je ?, 2007, 128 pages, l’exemple du parfum est extrait de la page 50
11
  COLONNA D’ISTRIA Robert, L’art du luxe, petit traité du luxe suivi d'un catalogue raisonné des objets, des lieux et
des pensées y contribuant, Hermé, Paris, 1991, 224 pages

                                                           11
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



Internet.



        b. La notion de goût au cœur du luxe des XIXe et XXe siècles

Au XIXe siècle, l’innovation technologique dans le secteur du luxe s’exprime d’abord comme
une tension. L’objet de luxe jusqu’alors présenté comme unique, peut aussi dès ce moment se
concevoir comme issu d’une industrie. La dualité entre le caractère unique d’un objet de luxe et
sa reproductibilité technique est apparue au XIXe siècle. Elle donne lieu au renforcement de
l’image du luxe grâce à l’imposition du goût. C’est peut-être sur cet argument qu’ont réussi à se
développer les marques au XIXe siècle. La révolution industrielle qui se joue à cette époque
change les façons de fabriquer et de consommer. L’objet de luxe autrefois unique, devient le
produit d’une série. L’auteur Bruno Remaury revient sur l’expression « Epiphanie de la
marchandise » de Walter Benjamin, afin de montrer l’impact de l’industrialisation sur l’objet de
luxe :

       « Selon l’étymologie même du mot épiphanie, c’est le dispositif qui régit les conditions de l’apparition. Le
       moment fondateur est la naissance des grands magasins et les Expositions Universelles. Le XIXème siècle
       industriel aura pour volonté d’unir « l’industrie et l’art » afin, précisément, « d’arracher la marchandise à la
       sphère de l’humain », cherchant ainsi à lui conférer une aura d’autant plus problématique qu’elle s’applique à
       une fabrication en série, c’est-à-dire à l’infinie répétition standardisée d’un geste jusque là tissée
       d’exclusivité. » 12

Les valeurs d’authenticité du savoir-faire technique et de création se dissipent au profit d’une
production à plus grande échelle. Pourtant, le luxe est reconnu internationalement, et son succès
ne décroît pas. La qualité de production fait encore du luxe une entité économique unique. Cette
réussite s’appuie en grande partie sur la capacité à produire de la valeur ajoutée. Il procure le
sentiment de pouvoir se dégager des contraintes matérielles premières. Malgré ce tournant dans
l’histoire, le luxe a su conserver son aura en développant une idéologie du goût :

         « Une rhétorique du goût accompagne déjà le catalogue de l’Exposition universelle de 1851 : « l’objet
        principal de la connaissance est le goût, qui n’est pas un simple effet du caprice mais le produit de la raison,
        aussi complètement que n’importe quelle autre conclusion à propos du bien et du mal ou du vrai et du faux
        que nous atteignons par le travail et par l’esprit ». Le débat, particulièrement nourri dans l’Europe de cette
        époque, entre tenants d’un « beau dans l’utile » et producteurs de copies de styles réalisées en grandes séries



12
   REMAURY Bruno, « L’objet de luxe à l’ère de la reproductibilité technique » p371, « L’objet de luxe à l’épreuve
de la marchandise », in ASSOULI, Olivier, Le luxe, Essai sur la fabrique de l’ostentation, Paris, Institut français de
la mode, Regard, 2005, 410 pages

                                                         12
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



            est moins, comme on l’a souvent analysée, une opposition entre artisans et industriels qu’une tentative de
            rédemption de l’avilissement mercantile de la marchandise par le goût, quel que soit par ailleurs son mode
            de production.

            On préfère parler de « client » plutôt que de consommateur. Plus la marque est étendue et moins son
            consommateur a de chance d’être un connaisseur, plus elle place son discours dans la perspective d’une
            rhétorique du goût. » 13

Cette définition du goût repose sur les concepts de la philosophie idéaliste de Kant. Ce
philosophe allemand du XVIIIe siècle affirme : « Est beau ce qui plaît universellement sans
concept 14 ». L’encyclopédie Wikipédia propose de l’expliquer ainsi. « Le but de Kant n'est pas de
proposer des normes du beau, mais d'expliquer pourquoi une chose est belle, et en quoi consiste
un jugement de goût. Le beau serait un produit du sens esthétique. En ce sens, ce qui est beau, ce
n'est pas un objet, mais sa représentation. » Dans ce débat, Kant prône la «finalité sans fin » (le
beau n’est pas l’utile) ; et le « plaisir désintéressé ». Le beau ne se confond pas avec
« l’agréable », qui relève pour sa part d'une perception strictement personnelle :

            « Quand je dis que le vin des Canaries est agréable, je souffre volontiers qu'on me reprenne et qu'on me
                                                                               15
            rappelle que je dois dire seulement qu'il est agréable à moi. »,


Alors que pour l'exemple d'un jugement sur la beauté d'une chose, il explique :

            « Je ne juge pas seulement pour moi, mais pour tout le monde, et je parle de la beauté comme si c'était une
            qualité des choses » 16


Si le beau apporte plaisir et satisfaction, c'est de manière désintéressée. Ce mouvement de pensée
suffit à rehausser la vision du luxe alors un peu ébranlée. Cette philosophie idéaliste se convertit
dans les mœurs en un moyen déguisé d’afficher une haute position sociale. L’objet de luxe
s’entoure d’une aura particulière. Dès cette époque, on n’achète pas un objet mais un signe. Un
peu à la manière des blasons au XVIe siècle, où l’illustration reflète l’armoirie familiale, chargée
de son histoire. Au XIXe siècle, le regroupement de grandes maisons sous un nom de marque est



13
     IBID « Le goût comme source d’achat »
14
     KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, Gallimard, Paris, 1985, p978
15
     IBID

16
     IBID Chapitre 7

                                                             13
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



le résultat de l’adaptation des groupes à la révolution industrielle. Si Brunon Remaury parle de
« rhétorique du goût », c’est bien que l’on a à faire à un langage parlé et corporel issu d’une
nouvelle culture. Le terme « consommateur » est dénigré car associé à la culture de masse, à
l’instar de celui de « client ». Ce dernier, beaucoup plus abstrait, (du latin cliens. on le rattache au
latin cluere, entendre) indique que l’on quitte l'univers matériel pour entrer dans l'univers mental.
Tout est mis en œuvre pour faire sentir au « consommateur » qu’il est un « client » particulier.
Cela fait alors parti des codes naissant de la distinction sociale. A ce stade de l’étude on peut déjà
créer un parallèle entre l’aura d’une marque basée sur l’univers immatériel, ainsi que le rêve d’un
autre soi, et la sphère virtuelle sur Internet. Par exemple, les utilisateurs d’Internet n’ont pas de
pays dans le sens où ils peuvent accéder à n’importe quelle culture depuis leur poste de travail.
Via les réseaux sociaux sur le web, chacun peut également se créer un ou plusieurs avatars et
ainsi rêver à d’autres univers. Tout le paradoxe réside cependant dans le fait qu’aujourd’hui le
consommateur est mis en avant en tant, justement, que consommateur actif vis-à-vis de la
marque, et non plus client passif. Néanmoins, je souhaite souligner le fait qu’au XIXe siècle le
débat autour du goût démontre que l’affirmation de soi par des symboles ne fait que revisiter un
lieu commun de la consommation ostentatoire. Par ailleurs, le concept du goût universel et
désintéressé de Kant glisse vers le relativisme. Le jugement du goût est subjectif, on discute des
goûts sans réel fondement. En outre la mode accompagne l’avènement de la philosophie du goût
et devient un secteur du luxe à part entière, de plus en plus dynamique. En effet, on peut dire que
la mode a toutes les caractéristiques du luxe. Elle fait appel à la magie du créateur ; elle vise à la
beauté et la séduction ; elle renvoie à la fonction sociale 17 .



           c. Evolutions notoires au XX et XXIe siècle : l’arrivée des marques

La notion de marque soulève à mon sens un paradoxe intéressant si on veut identifier les
perspectives du luxe sur Internet. Elle implique d’étudier la position du client du luxe face à une
entité qu’il intègre et rejette tout en même temps. D’un côté la marque joue sur sa capacité à
influencer l’individu. 18 Il s’identifie aux codes qu’elle diffuse à travers son image. De l’autre, il


17
     CASTAREDE Jean, Le Luxe, Que sais-je ?, 2007, 128 pages, p35

18
   JEON Hyeong-Yeon, Analyse des sites web de marques de luxe, support publicitaire, marketing et identité des
marques, thèse soutenue sous la direction de M. le professeur Jean-François TETU, Université Lumière-Lyon2, 2003
p.12 « nommer, ce n’est pas seulement élire un nom, c’est conférer une identité, assigner une manière
                                                         14
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



serait biaisé de croire que l’individu est entièrement passif face à cette image. Au contraire, dans
le but de se distinguer et de fidéliser, la marque de luxe permet à l’individu de se réapproprier des
valeurs. Le concept « d’image de marque » peut donc bien être perçu comme une interface entre
le consommateur et la marque elle-même. La marque affiche un logo qui lui permet d’affirmer sa
singularité. Les logos sont généralement issus d’une histoire, tel que le logo Lacoste.

            « Selon René Lacoste lui-même, l'origine du logo de la marque (un crocodile vert) viendrait d'un pari que
           lui avait lancé le capitaine de l'équipe de France de tennis lors de la Coupe Davis en 1927 : celui-ci lui aurait
           promis une valise en crocodile s'il gagnait un match important. Le public américain aurait alors retenu ce
           surnom, qui « soulignait la ténacité dont [il faisait] preuve sur les courts de tennis, ne lâchant jamais [sa]
           proie ». C'est Robert George qui lui dessine le crocodile qu'il porte désormais sur son blazer, sur le court ou
           en dehors, et qui deviendra le symbole de la marque. La marque se réclame d’ailleurs comme étant le
                                                                                                      19
           premier exemple d'un nom de marque figurant à l'extérieur d'un article d'habillement. »

Chaque détail est étudié pour créer un univers et une histoire autour de la marque, à la manière
des grandes maisons de luxe issues d’un héritage financier, culturel et patrimonial. Le logo peut
être un signe qui s’accompagne d’un slogan. Tout objet vendu se doit de suivre le design propre à
la charte graphique de l’entreprise, et ce jusqu’au moindre détail, comme par exemple
l’emballage. Jean Castarède regroupe les principaux atouts des marques comme suivant. Tout est
mis en œuvre afin que la marque réponde à une triple fonction :

       1. Simplification et identité
       2. Garantie
       3. Imaginaire et symbolique 20

Le premier point rejoint mon assertion selon laquelle la marque promeut une image qui influence
l’identité de l’individu, ou inversement, une identité qui influence l’image que l’individu à de lui-
même. Le second point est l’assurance de la qualité du produit vendu ; il doit se démarquer par
rapport à la concurrence. Il montre que la marque vend avec l’objet son service au client. Le
troisième point regroupe l’histoire et tous les signes et codifications qui entourent la marque. Afin


d’être, et peut-être une bonne ou mauvaise fortune. Aux créateurs de marque incombe pour une
part la responsabilité du sort d’un produit : comment il sera, sur le marché, identifié, repéré, reçu, mémorisé,
désiré...»
19
     Encyclopédie Wikipédia
20
     CASTAREDE Jean, Le Luxe, Que sais-je ?, 2007, 128 pages, p35, p88

                                                             15
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



d’affiner la réflexion sur la construction de la notion de marque au XXe et XXIe siècle, on peut
distinguer plusieurs types de marques.

- la marque produit est une marque affectée de façon unique à chaque type de produit fabriqué
par l’entreprise. C’est par exemple le cas de toutes les marques de champagne. 21

- la marque ombrelle est une « marque unique utilisée pour des produits différents, de manière à
faire bénéficier ces produits de la notoriété et de l'image de la marque ombrelle. Par exemple,
exprimant l'importante diversification du groupe Cartier, Hermès ou encore Yves Saint Laurent,
sa marque est apposée sur de la maroquinerie, de la parfumerie, de la joaillerie, de l’horlogerie,
etc. Elle devient marque mère lorsqu'elle est associée à diverses marques produits (alors
qualifiées de marques prénoms). L'objectif est toujours de faire bénéficier le produit de sa
notoriété et éventuellement de son image, tout en le dotant d'une identité spécifique facilitant la
communication. 22

- la marque caution est caractéristique d'une marque qui, par sa notoriété et son image,
authentifie le produit et éventuellement son origine et sa qualité. Elle est une sorte de garantie
donnée par l'entreprise de la qualité de son produit. Acheter un produit de marque est un moyen
pour le consommateur de se protéger contre le risque et de réduire son incertitude. C'est ainsi que
certaines marques sont considérées comme marques-griffe car elles servent à garantir la fiabilité,
la qualité et l'origine de produits ainsi que la compétence des concepteurs et des fabricants. Par
exemple, Cardin soutient autant la mode, l’art, la gastronomie et l’art de vivre avec Maxim’s, que
l’évènementiel. 23

- la marque corporate : Elle est une mise en scène de l’entreprise. Au contraire de cette dernière,
son rôle est moins de vendre que de « se faire des alliers » comme le dit si bien Muriel
Humbertjean, directrice générale adjointe de TNS Sofres. Dans une interview 24 , elle essaie d'en
expliquer l'importance en montrant que seule la marque corporate peut répondre à l'ensemble des


21
  Site des professionnels du marketing/ Définition du glossaire du/ e-marketing.fr /en partenariat avec
l’Encyclopédie du marketing de LEHU Jean-Marc, Eyrolles /consulté le 2 avril 2010.
22
     IBID

23
     http://www.pierrecardin.com

24
     http://www.dailymotion.com/video/xchpek_la-marque-corporate-est-elle-morte_webcam

                                                         16
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



publics. Elle ajoute également : « Les gens ne s'intéressent plus qu'aux produits mais aussi aux
conditions dans lesquelles ce produit a été conçu et fabriqué. Les entreprises doivent donc
apprendre à mieux articuler marques commerciales et corporate, assumer le développement
durable et enfin apprendre à composer avec les marchés financiers. » LVMH est la marque
corporate par excellence en France.

        « En ligne depuis 1998, Lvmh.fr a fait l'objet d'une refonte complète en juillet 2002, graphique,
        ergonomique et éditoriale.[…] Un effort particulier a porté sur la visibilité des marques du groupe :
        actualisation régulière des pages d'accueil et des actualités produits, adresse des sociétés mères et de
        chacune des filiales dans le monde, et liens vers les adresses Internet de chacune. Lvmh.fr joue ici un rôle
        d'aiguillage vers les sites de marque. Pour cultiver "l'attachement au groupe via les marques", explique
        Evelyne Renard, un magazine dédié exclusivement à l'actualité et à l'événementiel produit a été mis en
        ligne, relayé par une newsletter. Créée fin juillet 2004, elle enregistre près de 500 nouveaux inscrits par
        mois dans plus de 80 pays. Le taux de clics de la dernière newsletter, envoyée mi février à 4.000 abonnés, a
        atteint 47 %. 25 »

La marque corporate joue un rôle tampon face à la marque commerciale. L’élaboration d’un site
web avec une rubrique dédiée à cette relation est donc un choix judicieux. L’important est de
rendre le plus transparent possible les recompositions récentes :

        « Le rachat de PME indépendantes liées à des marques prestigieuses a permis la constitution de groupes
        nouveaux pluriproduits et internationaux. Les synergies réalisées ont permis aux principaux groupes
        (LVMH, PPR et Richemont) de s’adapter aux évolutions du marché et des comportements des
        consommateurs. Derrière les combats médiatiques, comme celui autour du rachat de Gucci, se joue en fait
        une recomposition financière et industrielle de grande ampleur tant certains secteurs du luxe constituent des
        domaines fortement bénéficiaires. 26

Le dernier exemple illustre bien la dynamique actuelle qui répond en fait aux aléas de la
conjoncture. Les gains liés aux échanges internationaux se sont figés à la suite de deux
évènements qui ont inversé la tendance : la guerre du golfe, et le 11 septembre 2001. Par
exemple, une étude de la COFREMCA et le CCA, RISC SOFRES démontre la chute des flux




25
  Article du site Le journal du Net, « LVMH.fr le changement dans la continuité », LEVEQUE Emilie, le 2 mars
2005, consulté le 02 avril 210.

26
   CHATRIOT Alain, Entreprises et histoire ESKA, La construction récente des groupes de luxe français : mythes,
discours et pratiques, I.S.B.N.2747212526, 208 pages, p. 143 à 156

                                                        17
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



touristiques, surtout pour le Japon. 27

Dès le XIXe siècle l’innovation technologique pousse le secteur du luxe à se démocratiser et à se
rapprocher du fonctionnement de n’importe quelle autre grande industrie. Jean Castarède décrit la
position ambivalente du luxe à cette époque :

          « Dès 1948, tout en conservant leur activité artistique vouée au vrai luxe, à celui de l'exceptionnel, celui du
          hors série, et du sur mesure qui satisfait de grands bourgeois fortunés et les expositions universelles, les
          créateurs d'objets d'art avaient développé le "demi-luxe" sous forme de séries d'objet de qualité à moindre
          prix. Ce sont les accessoires. » 28

Le présupposé selon lequel Internet a un effet négatif sur le luxe du fait de ses répercussions en
termes de démocratisation, ne fait en réalité que soulever un débat plus ancien. Ce secteur a les
moyens financiers et les capacités artistiques, culturelles pour dépasser ce type de contradiction.
En élargissant sa clientèle, il a complexifié sa définition. Déjà, plusieurs branches du luxe
naissaient, et décomposaient par là même la définition connue du luxe. Cependant, l’extension
sur des domaines plus nombreux doit à mon avis être interprétée de façon positive puisque cela
signifie que le luxe parvient à évoluer en fonction du mouvement et des tendances de chaque
période. Le passage du XIXe au XXe siècle montre une adaptation du concept de rareté du luxe.
L’industrialisation de ce secteur doit abandonner le concept classique de rareté pour se tourner
vers l’innovation. Si la rareté ne se situe plus dans l’unicité de l’objet car celui-ci est produit en
série, elle peut néanmoins jouir des évolutions technologiques et profiter des apports de la
techniques pour améliorer ses moyens de fabrication et de distribution. C’est ce que je souhaite
démontrer dans la partie suivante.




27
     CASTAREDE Jean, Le Luxe, Que sais-je ? 2007, 128 pages, p.72
28
  CASTAREDE Jean, Histoire du luxe en France, Des origines à nos jours, Marsat, Eyrolles, 2007, Partie 3, « Le
19eme siècle et le luxe bourgeois », chapitre 8, « le luxe au XXe siècle : entre démocratisation et innovation »



                                                           18
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



     B. L’industrie du chic à l’épreuve de la rareté

Si tout ce qui est chic est cher, alors est-ce que tout ce qui est rare est cher ?
L’émotion est souvent fondée sur le sentiment d’exclusivité, de rareté que procure la possession
ou la consommation des objets exceptionnels. Le périmètre du secteur du luxe reste assez
imprécis et la définition peut être à géométrie variable, mais les intervenants du secteur
communiquent tous, à des degrés différents, sur la notion de rareté. Jochen Zeitz, CEO de Puma
l’a explicitement revendiqué fin 2003 dans le magazine économique suisse Bilan lorsqu’il
déclare : « les chaussures Puma ne devraient pas se vendre à chaque coin de rue, elles doivent
être rares ». 29 Mais cette quête de la rareté ne contredit-elle pas les impératifs de croissance
suscités par des actionnaires qui, notamment dans le domaine du « nouveau luxe », veulent
rentabiliser leurs investissements ? Surtout depuis que l’industrie est en partie contrôlée par des
groupes de luxe comme LVMH avec Vuitton ou Dior, Richemont avec Cartier ou Dunhill, PPR
avec Gucci ou Boucheron qui ne cachent pas leur souci de valorisation de leur cours boursier.

        « En 2007, toutes les marques du groupe LVMH devraient gagner de l'argent. C'est du moins l'objectif
        affiché en marge de la présentation, hier soir, des résultats 2006 du numéro un mondial du luxe. Dans un
        souci d'équilibrer ses activités et ses profits, le groupe cherche à pousser la rentabilité de chacune de ses
        quelque soixante marques. Déjà, les quelques « moutons noirs » des analystes financiers ces dernières
        années ont commencé à faire leurs preuves. […] Il s'agit ainsi de prouver le succès de la stratégie de groupe
        multimarques initiée par Bernard Arnault dans les années 1990. À moyen terme, l'idée est de trouver des
        relais de croissance et de profits capables de diminuer la dépendance du groupe à l'égard de sa vache à lait
        Louis Vuitton qui rapporte encore grosso modo la moitié du résultat opérationnel. » 30

La notion de rareté a plusieurs dimensions ; pour les uns, elle se traduit par des produits chers
composés de matières premières précieuses ou peu accessibles. Récemment, la notion de rareté
est devenue plus virtuelle, reposant sur des pratiques telles que les séries limitées, la distribution
sélective ou encore les relations publiques, l’évènementiel, à l’instar de Breitling avec son tour du
monde en ballon. Voici l’anecdote :




29
  CATRY Bernard, Revue française de gestion, no171, Lavoisier, Cachan, 2007, article « Le luxe peut être cher, mais
est-il toujours rare? » pp. 49-63
30
  Article du site Le Figaro, « LVMH pousse la rentabilité de ses petites marques » par COLLOMP Florentin, le 15
octobre 2007, consulté le 30 mars 2010

                                                        19
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



         « La Fédération aéronautique internationale parraine cette entreprise extravagante et en fixe les règles. Il
         s'agit de parcourir d'un trait au moins 26 700 kilomètres - les deux tiers de la circonférence de la planète - en
         franchissant tous les méridiens, sans moteur à bord.

         Six équipes sont en lice, avec six ballons différents et six stratégies distinctes.[…] Deux candidats
         milliardaires, Richard Branson, le flamboyant patron de Virgin, et Steve Fossett, le roi du béton canadien,
         partis tout fiers de Marrakech, sont déjà tombés avec leur nacelle dans la mer. » 31


Tandis que l’évènement apparaît marquant par sa grandeur, il révèle également la rareté
technique des montres Breitling. La marque allie la fabrication de montres et d’instruments de
précision pour l’aviation mondiale. 32 C’est autour de ces différents axes que se construit la partie
suivante. Elle suit une perception linéaire de la rareté, c’est-à-dire en allant du sens conventionnel
et large du terme ; puis j’aborderai la rareté technologique, pour enfin explorer les nouveaux
contours de la rareté virtuelle.



     a. De la rareté naturelle à la rareté virtuelle : la fin de la rareté ?

Voici la définition de la rareté proposée par le dictionnaire le Littré :

                  « Petit nombre, petite quantité, par opposition à abondance. La rareté de l'argent. La rareté des
                  hommes après une longue guerre. »




31
  Article du site L’Express.fr, « Le tour du monde en ballon » écrit par MONIER Françoise, publié le 14 janvier 1999,
consulté le 02 avril 2010.
32
  DEQUEANT Frédéric, GARNIER Stéphanie, Dossier Analyse Marketing Cartier, 2004- 2005, document PDF : « En
1884, Léon Breitling ouvre à Saint-Imiez, dans le Jura suisse, un atelier spécialisé dans la fabrication de
chronographes et de compteurs de précision pour les sciences et l’industrie. En 1936, Breitling devient fournisseur
officiel de la Royal Air Force. C’est le début de la grande coopération avec l’aviation mondiale.

En 1976, Ernest Schneider (pilote, fabricant de montres et spécialiste en microélectronique) reprend la marque
Breitling de Willy Breitling, petit-fils du fondateur.

Plusieurs de ses modèles, tels la Navitimer et le Chronomat, sont devenus des objets-cultes pour les pilotes du monde
entier.

La marque s’est spécialisée dans les « instruments de poignet » fiables et performants, conçus pour les professionnels
les plus exigeants. Ses chronographes, qui répondent aux plus hauts critères de robustesse et de fonctionnalité, et sont
tous équipés de mouvements certifiés chronomètres par le Contrôle officiel suisse des chronomètres (COSC), la plus
haute référence en matière de précision et de fiabilité. John Travolta est l’égérie de Breitling. »

                                                           20
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



Cette définition relativement simple de la rareté correspond bien aux critères traditionnels du
luxe.

            « A l’origine du luxe, la rareté naturelle se fonde sur la faible disponibilité de certaines matières premières,
            de composants ou même de capacité de production. C’est le cas de la joaillerie avec les métaux précieux, ou
            encore des vins et spiritueux avec la limitation naturelle de la talle des vignobles ou des conditions
            climatiques. Une politique de rareté naturelle à l’intérêt évident de générer un puissant avantage
            concurrentiel si l’entreprise peut sécuriser ses approvisionnements. Il s’ensuit que le succès d’une telle
            politique repose autant sur l’aptitude à négocier et établir des relations à long terme avec des fournisseurs de
            matériaux précieux, en amont, que sur la capacité marketing de convaincre le consommateur, en aval. » […]
            « La rareté naturelle relève du caractère provisoire ou partagé de l’indisponibilité de certains matériaux qui
            avaient pu, à l’origine, construire l’exclusivité d’un produit de luxe. […] La pénurie des composants est
            l’attribut de l’industrie, pas de l’entreprise qui doit donc en partager les bénéfices avec ses confrères. Cette
            pénurie est donc une condition nécessaire mais pas suffisante pour sécuriser les marges des maisons
            concernées. Le défi devient, comme le tente DeBeers dans les magasins qu’il gère avec LVMH en associant
            régulièrement le cuir aux diamants, de faire en sorte que la marque ajoute quelque chose à la rareté
            générique du secteur. » 33




Un exemple de rareté classique est Dormeuil. Le spécialiste des draperies de luxe déniche des
matières rares et exceptionnelles qui s'adressent au gratin des tailleurs ainsi qu'aux spécialistes de
la mode masculine de grand luxe. En 2008, ce fut le Royal Qiviuk _ une matière provenant de la
fourrure intérieure du bœuf musqué, animal du grand nord canadien _, vendu 1840 euros le
mètre. Ses fibres courtes et fragiles, récoltées à la main par les Inuits, étaient mélangées à la laine
super 200s et à du cachemire. 34

Dans une interview pour Monsieur, « le magazine de l’homme élégant » des mois de septembre-
octobre 2004, Yann Moix dit : « Quand je vois des mannequins de chez Givenchy, j’ai
l’impression que c’est des inaccessibles qui portent de l’inabordable ». 35 Cet homme à tout faire
de la culture, à la fois réalisateur (Podium, 2002) et écrivain (son premier roman, Jubilations vers
le ciel, reçoit le prix Goncourt du premier roman et le prix François Mauriac de l'Académie
française en 1996) montre bien que quelle que ce soit sa position dans la société (homme de



33
     IBID
34
     BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages, p125
35
     AURAY Nicolas, GENSOLLEN Michel, Internet et la synthèse collective des goûts, PDF, 2007, 22 pages
                                                             21
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



talent, reconnu, médiatique), personne n’échappe à la fascination que la rareté exerce. Les
marques l’ont bien compris.

Elles continuent donc à cultiver le sentiment de rareté, d’autant plus que cela leur permet
d’augmenter leurs tarifs et leurs marges. Les sociétés suivent une stratégie qui consiste à
restreindre la distribution de certains produits dans le but de créer artificiellement une survaleur
selon le principe que « ce qui est rare est cher ».

        « Elles cherchent constamment à convaincre leurs publics, quitte à monter en gamme : Cartier a réduit le
        nombre de ces références dans sa ligne « Must », diminué le nombre de ses points de vente en particulier
        chez les opérateurs « Duty free », et lancé un département « Private collection » pour les montres de
        prestige. Gucci a créé une série de sacs et de chaussures sur mesure. Les clientes peuvent choisir le style, la
        couleur et le type de cuir de ces objets pour un prix relativement élevé. » 36

Pourtant, l’extrait du document de Bernard Catry montre également que les marques ont pour
mission de reconquérir le sentiment de rareté. La notion connaît aujourd’hui une large
complexification de son sens. Elle implique désormais plusieurs paramètres telle l’augmentation
de l’accessibilité aux biens et services partout dans le monde ; de façon tangible, de par la
métamorphose des circuits de distribution, et de manière intangible, grâce à Internet. Ainsi, on
constate un double phénomène : l’abandon de la rareté du fait de la désintermédiation des
produits via Internet et l’exigence de plus d’information de la part du consommateur, dont résulte
une plus grande transparence et visibilité des marques et des produits en général.

La qualité passe en effet par la connaissance et le savoir associé au produit. En effet, qu’appelle-
t-on aujourd’hui « luxe » ? Les auteurs d’un ouvrage de marketing affirment :

        « Par construction le luxe, étant réservé à une élite, est dès l'origine rare. Rareté et luxe sont donc
        consubstantiels. A partir du moment où le luxe se démocratise, s'il perd son attribut de rareté, il se sépare de
        son essence et risque de devenir vulgaire. 37 »

Or, Internet a enrichi le débat dans la mesure où il est un réseau informatique et un média


36
  CATRY Bernard, Revue française de gestion, no171, Lavoisier, Cachan, 2007, article « Le luxe peut être cher, mais
est-il toujours rare? » pp. 49-63
37
  BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages, p260 « La distribution doit
gérer la rareté »



                                                         22
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



mondial qui rend accessible au public de multiples services, parmi lesquels le World Wide Web.
Grâce au protocole de communication IP (Internet protocol), il favorise donc également l’accès
aux choses les plus rares. Par exemple, la connexion au réseau rend possible la commande en
ligne, et nombreux sites, notamment ceux de luxe, en profitent pour détailler les qualités du
produit. De plus, bien que l’information soit accessible partout, la notion d’effort n’est pas
perdue. La recherche sur Internet est presque aussi longue que dans des livres. Malgré l’ouverture
sur de grandes possibilités nouvelles, Internet est aussi perçu comme un média qui participe de la
dépréciation de la rareté. Pourtant, la qualité de l’information existe. La rareté naturelle s’affaiblit
et devient une valeur trop incertaine pour être soutenue par les nouveaux entrants dans le secteur,
qui se tournent d’avantage vers une mise en valeur d’une image de rareté et d’exceptionnel par le
biais de campagnes de publicité.



       b. le mass luxury

Aux antipodes de la rareté, la démocratisation du luxe atteint son paroxysme à travers le concept
de la "mass luxury".

Ainsi, aborder la notion de rareté implique une analyse de la redéfinition du périmètre du luxe de
nos jours :

       « Certains acteurs en proposent une version relativement inaccessible : haute couture avec Chanel ou
       joaillerie avec Boucheron par exemple. D’autres élaborent des produits valorisants mais moins exclusifs :
       montres Tissot ou stylos Mont-Blanc par exemple. Certains commercialisent des sensations et des plaisirs
       accessibles, à l’instar des cosmétiques Estée Lauder ou du champagne Mercier. Enfin, chaque année voit
       apparaître de nouveaux entrants dans le secteur qui, jusqu’à présent été perçus comme exclusivement « mass
       market » et souhaitent désormais monter en gamme. C’est le cas de Starbuck dans le secteur des cafés, de
       Ben & Jerry ou Haagen-Dasz pour les glaces, […] marques qui témoignent de l’émergence d’un « nouveau
       luxe », ou du « masstige » selon l’odieux néologisme à la mode. Ces objets sont bien plus accessibles que
       ceux du luxe traditionnel, mais moins que ceux proposés au grand public. Bien que leur stratégie repose sur
       les grands médias et la distribution moderne, ces produits prétendent eux aussi à une image
       d’exceptionnalité, même relative. »

Il faut souligner l’existence de ces catégories émergentes dont on doit tenir compte si l’on veut
avoir une vue exhaustive de la conception du luxe au XXIe siècle. La citation exprime la
multiplicité dans la manière de concevoir le luxe et la rareté.

Le dernier aspect suggère les possibilités de transfert entre les différents secteurs de
                                          23
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



consommation et permet d’identifier un mouvement général qui tend à l’horizontalisation des
usages et pratiques, c’est-à-dire que l’on passe plus facilement d’un goût à un autre, d’un secteur
à un autre :

        « La frontière entre culture populaire et culture savante aurait tendance à se brouiller. De nombreuses
        enquêtes montrent l’apparition dans les normes de bon goût d’un éclectisme culturel, le dominant serait
        devenu culturellement omnivore, et l’omnivoracité serait même devenue une norme de bon goût (par
        opposition à l’ancien exclusivisme snob). L’édification des frontières symboliques se déplace des objets
        culturels vers les attitudes, la manière de consommer : le même produit culturel fait plus facilement l’objet
        de plusieurs lectures simultanées. Aujourd’hui, ceux qui ont adhéré sous l’étiquette "rock and roll" aux
        styles populaires de musique dans leur jeunesse, y compris aux styles de danse afro-américaines, ont
        conservé cet engouement à l’âge adulte : ils composent ainsi "la génération Woodstock" et cessent de se
        normaliser sur une échelle unidimensionnelle. Ils ont des goûts dissonants. »

La dernière partie de la citation fait référence à l’émergence de la contre-culture aux Etats-Unis
dans les années 1960. 38 Face à la guerre du Vietnam et à une baisse de confiance dans le pouvoir
en place, le peuple américain est en proie à un véritable désenchantement de ses valeurs autrefois
si solides. Mais dans le creux de la vague, une nouvelle culture apparaît, elle est issue de
l’histoire du multiculturalisme aux Etats-Unis, ainsi qu’à la montée de la contestation qui s’établit
peu à peu comme nouvelle valeur. Pourtant, la contre-culture va elle aussi venir envahir la culture
de masse. Par exemple, Elvis Presley qui incarnait le rock et la rébellion, devient rapidement un
emblème pour les foules. Ses disques sont vendus à des millions d’exemplaires. Bien sûr
l’invention du disque microsillon facilite sa diffusion au large public. On peut présumer la même
chose avec Internet. Si j’ai laissé entrevoir le rôle d’Internet comme nouveau média de
communication, de marketing et même de distribution dans la fin de la rareté, il faut également
étudier les répercussions des innovations sur l’avenir du luxe.



     c. la rareté technologique

Les apports des nouvelles technologies sont si rapides et impressionnants quelles constituent des
raretés à elles-seules. Loin de la tradition et de l’héritage, qui sont pourtant des valeurs chères au
luxe traditionnel, la technologie est en train de devenir une denrée rare pour le luxe ! On peut



38
  Pour plus de renseignements à ce sujet, consulter : KASPI, André, Les Américains, tome2 : Les Etats-Unis de 1945
à nos jours, Seuil, Paris, 2008, p344à 761 
                                                        24
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



même dire que les deux univers sont inextricables :

     "Le luxe étant à la fois intemporel et actuel, doit toujours mêler tradition et innovation, c'est même souvent lui
     qui est à la pointe de l'innovation, ses clients en étant friands et l'absence de la contrainte du prix le permettant :
     l'innovation est toujours coûteuse au début." 39

D’après la citation, la notion de luxe contient une valeur de dépassement et de renouvellement
qui implique qu’elle s’articule parfaitement avec les nouvelles technologies. En se tournant vers
le passé, on s’aperçoit que c’était le cas dès l’entrée des nouvelles technologies au cœur de la
société :

         « Fondé en 1925 par deux ingénieurs Danois, B&O s'est toujours voulu à la pointe du design et de
         l'innovation technique. Jusque dans les années 70, le succès a été au rendez-vous : les produits étaient à la
         fois des objets au design exceptionnel (entrée au MOMA) et des produits à la pointe de la technologie. »

De par le côté fascinant, et au-delà de toute logique rationnelle (le travail sous-jacent semble
incommensurable à l’échelle d’un individu) chaque invention est susceptible d’enrichir l’aspect
d’un produit luxueux. En effet, être à la pointe du progrès c’est se permettre une complexité
technique maximale. Ce critère entre en jeu de la phase de conception, réalisation par un maître
d’œuvre, à celle de l’appropriation par l’usager. Le savoir-faire de fabrication, le processus de
commercialisation, la capacité d’atteindre des niveaux exceptionnels de qualité sont importants.
Par exemple, Valmont utilise des plantes de montagnes pour produire en Suisse des cosmétiques
de haut de gamme. Leur rareté est plus fondée sur la technologie de fabrication que sur la
disponibilité des plantes elles-mêmes. Le techno-luxe permet donc un retour aux produits de
haute qualité.

De surcroît, la finesse du techno-luxe est de pouvoir faire preuve d’une transparence absolue.
Cela revient en fait à jouir pleinement du progrès, sans avoir à s'en préoccuper ! Certains objets
utilisés au quotidien peuvent se transformer en vrais bijoux. C’est le cas du téléphone mobile
Vertu de la marque du constructeur finlandais Nokia. C’est une division orientée luxe appartenant
à Nokia, composée principalement de designers et d’ingénieurs. Le parti pris de ne pas attribuer
le nom de Nokia est d’ailleurs un choix stratégique du constructeur, afin de délimiter la gamme


39
 BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages, chapitre 13 : Les business
modèles du luxe, "Luxe et innovation permanente : le business modèle high-tech" p331



                                                            25
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



luxe de Vertu. Par ailleurs, cette marque n’est pas distribuée au travers de « simples » magasins
d’électroniques ou d’opérateurs téléphoniques, mais seulement par l’intermédiaire de bijouteries.

        « La marque Vertu propose des modèles de très haut standing, notamment composés et/ou intégrant des
        matières ultra nobles telles la platine, l’or, le cuir, les diamants.

        Les prix sont bien évidemment en conséquence puisqu’un modèle Vertu peut s’échanger contre plus de
        30 000 euros (pour les modèles les plus coûteux). » 40


Les lourds investissements en Recherche et Développement demeurent un handicap qui peut
néanmoins être rattrapé si l’on s’efforce d’améliorer la structure des coûts. L’enjeu se reporte
alors sur la productivité de la fabrication et le coût de revient de cette technologie. La rareté
technologique repose alors sur l'utilisation d'ingrédients et processus de fabrication complexes et
a pour résultat de limiter le volume des ventes.

         « Si l’innovation technologique trouve un écho favorable sur le marché, la concurrence cherchera à suivre,
        annulant ainsi l’avantage acquis par la firme innovante si elle n’est pas protégée par un savoir exclusif ou
        des brevets. » 41

Le techno-luxe doit s’encadrer d’une législation adaptée à la précision et au savoir technique,
mais ces problématiques rejoignent celles bien connues du savoir-faire artisanal du luxe
traditionnel. La reconnaissance de l’inventeur ou d’un constructeur est pareille à celle du créateur
dans l’univers de la mode par exemple.

Un des enjeux pour réussir à se distinguer par l’innovation est de maîtriser parfaitement les
moyens de production. En voici un exemple :

        « La Trilogie des Grands Crus domine la gamme des champagnes Moët et Chandon maintenant que Don
        Pérignon est devenue une marque plus indépendante dans la société. Alors que la plupart des champagnes
        sont élaborés à partir d’un mélange de récoltes dans la région, la Trilogie repose sur un seul prestigieux
        cépage pour chacune de ses trois appellations : les « Vignes de Saran », « Les Champs de Romont » et « Les
        Sarments d’Ay ». Seules quelques 15000 bouteilles de chaque vin sont commercialisées, uniquement par
        l’intermédiaire de restaurants prestigieux : une innovation de production porteuse d’image. »




40
   Site Génération Nouvelle Technologie, Article « Vertu, la division luxe de Nokia : demande très élevée » par
Laurent T. , le 18 août 2006, consulté le 17 avril 2010  
41
   CATRY Bernard, Revue française de gestion, no171, Lavoisier, Cachan, 2007, article « Le luxe peut être cher,
mais est-il toujours rare? » pp. 49-63

                                                        26
Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours



Si l’on est ici loin des enjeux liés aux nouvelles technologies, on peut penser que la production de
champagne requiert tout de même un savoir singulier. C’est l’expression d’un terroir allié à la
finesse d’une production d’exception. On peut dire qu’il existe un parallèle entre les technologies
de pointe et les exigences de qualité et d’innovation requises par le luxe. En outre je pars du
présupposé que nos envies et la quête du plaisir est une expérience de plus en plus individualisé.
La contrainte de la rapidité d’acquisition et la volonté de plus d’information de la part des
consommateurs laisse présager un avenir tourné vers les apports d’Internet et ses services.

D’après certains le sentiment de rareté est bafoué par Internet. Voici un résumé des présupposés
communs auxquels on rattache le luxe :

        « La diffusion perçue tue le rêve via la perte d'exclusivité, donc la perte du ressort social du luxe, et de la
        tension du désir de l'autre. Il faut donc réduire la diffusion, accroître les obstacles à l'accès à la marque. Cela
        passe d'abord par la hausse forte des prix : elle fait le tri entre les vrais et faux clients du luxe, ceux qui
        cherchent du sens et ceux qui consomment du signe, aujourd'hui de cette marque, demain de telle autre, en
        fonction des modes. Cela passe aussi par une réduction de la distribution, la hausse de la sélectivité, des
        exclusivités offertes aux clients, etc. » 42




De mon point de vue, je retiendrai que c’est finalement l’expérience du luxe qui compte. Alain
Etchegoyen, « un château Yquem n’est ni inabordable, ni réduit à un seul exemplaire, mais la
bouteille, la robe, l’étiquette, la concentration qu’il exige en dégustation, l’imaginaire, le sucre, le
soleil, l’invasion du palais, toutes ces sensations disent le luxe ». On peut se procurer à sa guise
une bouteille d’un grand nom de domaine via Internet, mais cela ne remet pas en question la
qualité du produit commandé, qui reste détenteur de tout son charme. L’expérience vécue avec et
grâce au produit (de par sa qualité de fabrication, etc.) reste prioritaire. En l’occurrence, Internet
facilite cette expérience.




42
  BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages, Chapitre 6 : Développer le
capital de la marque "Construire et préserver le rêve", p168

                                                           27
Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet



        C. Le rêve agrégateur d'Internet et du luxe

Dans une conférence de Presse, Georges Pompidou aura une de ces formules qui marquent cet
exercice toujours très attendu :

        « Chère vieille France… La bonne cuisine… Les Folies Bergère… Le gai Paris… La Haute couture, les
        bonnes exportations… Du Cognac, Du Champagne et même du Bordeaux et du Bourgogne… » Puis après
        un court silence durant lequel il remue le doigt en signe de négation, il ajoute : « C’est terminé ! La France a
        commencé et largement entamé une révolution industrielle ! ».

Car la France de Pompidou, c’est la France qui met en projet le TGV en 1974 peu de temps après
la mort du président, la filière Airbus, le programme Ariane, le supersonique Concorde, le
nucléaire civil dynamisé après les chocs pétroliers. Cette époque a bouleversé l’imaginaire et la
symbolique d’un objet de luxe. Du rang de sacré il s’est aligné au banc du consumérisme et est
devenu un simple objet en série.

Pourtant l’homme continue de vouloir du rêve, et se projette dans des univers qui assouvissent
son désir d’individualité. A ce sujet le sociologue Gilles Lipovetsky écrit :

        "N’ayant plus foi en un avenir qui serait mécaniquement meilleur et plus juste, il reste pour les individus,
        l'espoir d'un mieux être, la fête des sens, l'attente des beautés qui nous sortent de la grisaille du quotidien. Le
        luxe n'est plus la part maudite, mais la part du rêve, de l'excellence et du superlatif dont l'homme a besoin."

Selon une étude de la "société Ipsos France" sur les hauts revenus 2005, le luxe serait avant tout associé à
un plaisir personnel (55%) destiné à éviter une forme de désœuvrement. Le luxe interviendrait comme une
alternative à l'oisiveté, comme un divertissement au sens pascalien. 43 Selon Pascal, le divertissement
revient à se détourner de sa solitude car se retrouver seul face à soi-même a un côté inquiétant :

        « Le silence des espaces infinis m’effraient. »

Ainsi, il est commun de retenir deux lectures différentes sur le luxe. D’une part, certains ont un
regard péjoratif sur l’univers du rêve cultivé par le monde du luxe car ils croient au présupposé
que cette réalité autre vise à nous faire croire que posséder des biens participent au bonheur.
D’autre part, l’onirisme intrinsèque à l’image du luxe peut devenir créatif et novateur lorsqu’il est


43
   CASTAREDE Jean, Histoire du luxe en France, Des origines à nos jours, Marsat, Eyrolles, 2007, 377pages, partie
III « Embourgeoisement et démocratisation du luxe », chapitre 8 « Le luxe du XXème siècle entre démocratie et
innovation », p357

                                                           28
Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet



conjugué à l’univers virtuel d’Internet.



       a. Le rêve impossible sans la notoriété

Pour faire rêver leur client, les plonger dans un univers à part, singulier, qui les sort de leur
quotidien, les marques doivent cultiver une image du succès. Leur réputation et leur notoriété
doivent être connues de tous. Les grandes maisons ont la possibilité de mettre au service de la
création des moyens largement supérieurs à ceux dont disposent de petites entreprises. Tout le
monde ne peut pas miser trois, cinq ou dix millions de francs sur tel ou tel niveau de création. De
plus, la création peut prendre du temps : certaines entreprises ne prennent que six mois pour
concevoir un parfum, mais Hermès va prochainement mettre en vente un nouveau parfum
masculin qui est en préparation depuis sept ans. Il faut avoir les moyens d’attendre !

Etant donné que la médiatisation est essentielle à la notoriété, Internet joue désormais un rôle
fondamental dans la diffusion de cette image. Il favorise donc le rêve. Il permet une notoriété à
faible coût et avec une grande qualité d'exécution. En effet, pour une petite marque, un site très
qualitatif constitue un renfort considérable de la stratégie de "buzz". Le premier principe des
outils de buzz est d’être collaboratif :

           « Le buzz c’est une nouvelle approche du marketing. C’est tout simplement le « bouche à oreille », le média
           le plus puissant du monde. On l’appelle plus communément « buzz », qui signifie bourdonnement en
           anglais. Le message sera diffusé par les internautes eux-mêmes. L’effet du message est donc décuplé,
           l’utilisateur devient un leader d’opinion. » 44

De fait, ce sont d’excellents détecteurs de tendance. Wikio 45 par exemple est un portail
d’informations qui fouille dans les sites de presse et dans les blogs pour trouver l’actualité qui
vous intéresse. Il existe donc une partie « presse » et une autre qui permet de connaître les blogs
intéressants sur tout type de thématique ou secteur d’activité.

Cependant, la renommée d’une marque peut se retourner contre elle-même. Parmi les grandes
marques nombreuses sont victimes de la contrefaçon. C’est notamment un des risques encourus


44
     Glossaire « Luxe, web et nouvelles technologies »

45
     http://www.wikio.com il existe différentes éditions de Wikio dans le monde

                                                           29
Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet



par Internet.

           "Sur EBay, beaucoup d'offreurs vendent en réalité des contrefaçons : c'est pourquoi les marques ayant signé
           le protocole vero peuvent faire supprimer de ce site des offres dont la provenance n'est pas assurée. LVMH
           a obtenu une sévère condamnation d’eBay pour la vente de produits Louis Vuitton contrefaits en juillet
           2008. Chose intéressante, le préjudice a été calculé à partir de nombre de clics et du manque à gagner en
           royalties si ces produits avaient été authentiques." 46

C’est également le résultat de la large médiatisation du luxe et de sa tendance à la
démocratisation. Le phénomène des stars illustre bien cette tendance à la médiatisation et la
démocratisation du luxe. Edgar Morin propose une réflexion intéressante sur le rapport que l’on
entretient avec elles.

           « Comme tout culte spontané et naïf mais entretenu par ceux qui en profitent, le culte des stars s’épanouit en
           fétichisme. L’amour impuissant veut se fixer sur un fragment, un symbole de l’être aimé, à défaut de sa
           présence réelle, par exemple les photographies, présences-fétichistes universelles du XXe siècle. 47 »

           « En outre, la star marchandise ne s’use ni ne se dépérit à la consommation. La multiplication de ses images,
           loin de l’altérer, augmente sa valeur, la rend plus désirable. Autrement dit, la star demeure originale, rare,
           unique, lors même qu’elle est partagée. Très précieuse matrice de ses propres images, elle est ainsi une sorte
           de capital fixe. […]La star est comme l’or, matière à ce point précieuse qu’elle se confond avec la notion
           même de capital, avec la notion même de luxe (bijou) et confère une valeur à la monnaie fiducière. » […]
           Elle est aussi comme des produits manufacturés dont le capitalisme, devenu industriel, assure la
           multiplication massive. Après les matières premières et les marchandises de consommation matérielle, les
           techniques industrielles devaient s’emparer des rêves et du cœur humain : la grande presse, la radio, le
           cinéma nous révèlent dès lors la prodigieuse rentabilité du rêve, matière première libre et plastique comme
           le vent qu’il suffit de former et de standardiser pour qu’il réponde aux archétypes fondamentaux de
           l’imaginaire. » 48

L’image de luxe que nous renvoient les stars dans les magazines people sont effectivement des
mini représentations qui peuvent servir de modèle pour certaines jeunes personnes influencées
par des looks, des styles de vie, des paroles. L’invasion des célébrités, notamment sur le marché
des cosmétiques est significative du désir de projection des individus. Les ambassadrices de


46
  BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages, Chapitre 11 « Manager le
rêve par la communication », "Contrefaçon et Internet" p 177
47
     MORIN Edgar, Les Stars, Evreux, Editions du Seuil, 1972, 188 pages, « La liturgie stellaire » p83
48
     IBID « La star marchandise » p100

                                                           30
Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet



l’Oréal par exemple, sont l’incarnation d’un mode de vie, de valeurs ; elles apportent de la
modernité au produit et génèrent de la projection. On observe donc à la fois une volonté de
proximité avec le consommateur et d’offrir du rêve, du divertissement à une échelle plus
collective via l’imaginaire que représentent les stars.



       b. Internet et le rêve d’authenticité

Les marques de luxe ont le choix entre une communication forte s’adressant à un public assez
large, ou une faible communication destinée à une élite. Néanmoins, on peut aussi dire que
chaque objet luxueux réclame une communication particulière et abondante.

L’univers du luxe oscille entre deux tendances : la tentation de l’ostentatoire et celle d’un luxe
plus culturel, valeur d’accomplissement de soi. Aujourd’hui il est clair que l’affirmation du luxe
comme signe extérieur de richesse a perdu sa superbe. Depuis plusieurs années déjà, la
communication des marques de luxe utilise la sociologie et l’éthique. Le luxe est désormais fondé
sur l'épanouissement de l'être, à la fois moral, physique et spirituel. Ce n'est plus un objet (comme
avant) mais une nouvelle manière d'être comme l’exprime cette citation de Jean Castarède :

           « Nos aspirations profondes sont elles-mêmes liées au désir de luxe. L'homme, cet être insatisfait, poursuit
           en rêve un but inaccessible qui l'aide pourtant à progresser. Le luxe est aussi une forme de dépassement,
           source de progrès et donc incitation à obtenir d'avantage ou à être meilleur. [...] la créativité, l'innovation
           reposent sur cette volonté de l'homme d'aller toujours plus loin et de ne pas se contenter de la satisfaction
                                      49
           des besoins immédiats. »

Le concurrent du luxe au XXIe siècle c’est la communication authentique, celle qui veut se
rapprocher d’un savoir éternel.

           "Les années 1980 ont été celles de l'argent facile, du clinquant, du frivole et parfois de l'imposture. Les
           années 1990 seront celles du retour au sérieux, au simple et à l'authentique. Le grand banquet matérialiste
           est terminé. Les consommateurs n'achètent plus pour la galerie. Tous les secteurs sont touchés : dans la
           publicité, la gastronomie, et même dans l'art ou la littérature, les français récusent le bluff et retournent aux
           vraies valeurs" 50



49
     CASTAREDE Jean, Le Luxe, Que sais-je ? 2007, 128 pages, p8

50
     IBID, Le Point, 16 novembre 1991, n°1000

                                                             31
Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet



Jean Castarède exploite les résultats d’une étude de la COFREMCA pour montrer les
métamorphoses dans le secteur. Le luxe met en avant la créativité et s’appuie sur le choix
personnel guidé par une communication intelligente et de bon goût.

          "Quelque chose a changé dans la tête des français. Moins capricieux, plus experts, plus exigeants, ils
          dépensent autrement, et recherchent des produits simples, pratiques 51 ,

En amont, l'acte d'achat implique une connaissance, du goût, et un choix délibéré. En aval, on
attend de lui un enrichissement au même titre qu’avec la culture. La consommation devient alors
une sublimation.




51
     IBID, n°2105

                                                           32
Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet




PARTIE 2 : Marketing et image du luxe sur Internet  

 
Après des débuts hésitants, les maisons de luxe se sont finalement positionnées sur la toile, pour
y tisser leur univers virtuel et resserrer les liens avec une clientèle de plus en plus « cyberphile ».
Comment les Maisons de luxe gèrent-elles leur image, leur distribution et leur relation clients à
l’ère de la mobilité interactive ?

Dans cette partie on étude dans un premier temps le portrait de l’internaute du luxe afin de
comprendre les enjeux sociologiques du goût, à savoir : est-ce que l’internaute peut avoir des
goûts de luxe ? On croyait que les consommateurs de produits de luxe sont par essence des être
privilégiés faisant partie d’une élite. Mais ces maisons de luxe ne permettent pas aux élites de
faire vivre l’économie de luxe. C’est pour cela que les marques orientent leurs images et leur
discours vers le grand public qui peut lui aussi faire parfois des excursions dans l’univers du luxe.
Ensuite on évaluera les risques à prendre pour une maison de luxe à s'imposer sur la toile ainsi
que les avantages du côté des annonceurs à communiquer via le web. La thèse avancée sera que
les valeurs et moyens propres aux médias sociaux sont adaptés à la vente ou, du moins, à la
visibilité d’une marque de luxe sur Internet, dans la mesure où le luxe peut aujourd’hui s’adresser
à tout le monde.



           A. Connaître le consommateur : les enjeux du webmarketing

Dès qu’il y a interchangeabilité, banalisation, destruction par la consommation, le luxe peut se
heurter à un risque existentiel, c’est-à-dire à une consommation plus banalisée. Les deux termes
ont un commun dénominateur comme la définition de Baudrillard : « on n’achète pas un objet
mais un signe » 52 . On quitte l’univers matériel pour entrer dans l’univers symbolique. Et c’est
cette osmose de l’un et de l’autre, cette interaction de l’un sur l’autre qui donne sa spécificité au
luxe. Dans cette situation, comment se fait-il que les marques de luxe gardent leurs aspects
d’inaccessibilité, de désir, de rêve, avec un taux de pénétration d’environ 60% ? Quand les


52
     ECO Umberto, « Sémiologie des messages visuels », in Communications, n°15, Paris, Seuil, 1970, p.11-51

                                                         33
Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet



marques de luxe arrivent à la production de masse, elles ne peuvent pas insister dans la même
logique de marché. Donc ce secteur a changé de système, mais il est encore dans une logique très
élitiste. Il est néanmoins vrai que la perception des marques de luxe évolue.



     a. Portrait du consommateur du luxe sur Internet

Pour devenir un marché de masse, le luxe s’adapte à une nouvelle logique et passe à la vitesse
supérieure en matière de connaissance de la clientèle. Dans Système de la mode, Roland Barthes
explique que :

        « La mode apparaît essentiellement – et c’est la définition finale de son économie – comme un système de
                                                                                                       53
        signifiants, une activité classificatrice, un ordre bien plus sémiologique que sémantique ».

 A cet égard, on peut parfaitement appliquer cette explication au luxe. C’est la raison pour
laquelle aujourd’hui, leurs stratégies de marketing moderne se focalisent sur leur volet
électronique. Les marques de luxe sont en mesure de mieux répondre aux attentes de leurs
clientèles, elles utilisent leurs sites Internet pour créer un lien avec leurs clients, pour les tenir
informés des nouvelles collections, des ouvertures de boutiques ou tout simplement de l’actualité
de la marque.

        « Votre adresse IP, les mots clés que vous avez saisis pour trouver le site de réservation, les sites que vous
        avez visités, votre destination, toutes ces informations ont été analysées pour déterminer quelle publicité
        pourrait vous intéresser… Avec le développement de la géolocalisation (fonctionnalités GPS incluses dans
        les téléphones couplés à un accès Internet), la publicité sera à l’avenir ciblée au plus près de l’internaute. »54

Ce qui a poussé les marques de luxe à développer un site moderne, ce n’est justement pas la
notoriété de la marque, qui n’est plus à faire, mais bien son image. Certes, l’Internet est
aujourd’hui encore un vecteur de modernité pouvant aisément contaminer favorablement la
marque qui s’y présente. Le site Web induit de nouveaux comportements d’achat et amène de
nouveaux consommateurs aux marques de luxe. Un site Internet, c’est d’abord une vitrine ouverte


53
  EVERAERT-DESMET Nicole, La communication publicitaire : étude sémio-pragmatique, Louvain-la-Neuve, Cabay,
1984, 307p.

54
  Article du site CNIL, Marketing ciblé sur Internet : vos données ont de la valeur, PEYRAT Bernard, le 5 février
2009, consulté le 26 novembre 2009

                                                          34
Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet



24h sur 24, accessible partout dans le monde, visible par n’importe qui. Tout le monde peut
rentrer dans cette boutique virtuelle.

Depuis plusieurs années, toutes ont pour cible les mêmes 18-25 ans et pour obsession le
rajeunissement de leur clientèle et de leur image. Certes, le pouvoir d’achat et la puissance de
prescription des jeunes augmentent. Ils consomment du luxe avec appétit, comme tout le reste,
zappant volontiers d’une marque à une autre. Par ailleurs, les marques de luxe se présentent sur
l’Internet, en comptant sur l’audience des jeunes générations riches qui utilisent les nouvelles
technologies et sont de plus en plus attirées par les objets de luxe. Mais elles misent à présent
aussi sur l’arrivée dans leurs boutiques de nouveaux clients qui auront effectué une visite
préalable sur leur site Internet. De l’autre côté, les clients habituels ont aussi à leur disposition
une information plus précise et connaissent donc mieux les produits. Ils peuvent aussi bénéficier
de services particuliers.

En ce qui concerne les jeunes millionnaires sur Internet, citons une rubrique de CB News
« spécial luxe » 55 : « de jeunes millionnaires branchés sur Internet et animés par une furieuse
envie de dépenser en ligne. Reste que du côté des maisons de luxe, on hésite à franchir le cap. Ils
sont jeunes. Ils sont riches. Ils sont connectés. Millionnaires en euros et en dollars, ils ne
demandent qu’à combler leurs besoins. Ils vivent dans des pays matures ou émergents et ont une
valeur commune : l’épicurisme. Pas question donc de s’embourber dans des questions de délais
ou de déplacement. Quoi de plus simple pour eux que de céder au plaisir d’effectuer leurs achats
d’un simple clic, confortablement installés devant leur écran de PC ? Pour la marque Lancôme, la
vente en ligne représente aujourd'hui 1 % des revenus de la marque de produits de beauté. Mais
l'attitude et la confiance des clientes Internet évoluent, et Lancôme espère en tirer partie. 56

Du côté des grandes maisons, on hésite encore à franchir le pas de la vente en ligne. Ce n’est
pourtant pas l’envie qui manque du côté des cyberconsommateurs. Pour preuve, aux Etats-Unis,




55
  FAURE Blandine, « L’optimisation de l’impact des affiches publicitaires », in Ecrit, image, oral et nouvelle
technologies, Actes de séminaire, 1993-1994, Sous la direction de Marie-Claude VETTRANO- SOULARD,
Université Paris VII, p.54-67.

56
  Site Journal du net, article « E–COMMERCE, Lancôme pense aux achats d'impulsion en ligne » par ARNAL
Philippine, le 22/06/2004

                                                         35
Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet



ils seraient 91% de « nouveaux riches » à surfer régulièrement en ligne 57 . Mieux 76% se seraient
déclarés prêts à acheter au moins un produit de luxe au cours de l’année 2002. Du côté européen,
le chiffre n’est pas mal non plus. Il y a moins d’un an, ils étaient ainsi 48% à prévoir des achats
haut de gamme on line dans les mois à venir 58 . Et contrairement aux idées reçues, les jeunes
nababs du Net ne seraient pas plus difficiles à contenter que la moyenne des acheteurs : environ
90% d’entre eux seraient satisfait de leurs récentes acquisitions sur la Toile.

Comment se rendre compte alors des besoins de cette population désireuse de dépenser sur le
Net ? Pour Simon Nyeck, professeur associé au département marketing de l’ESSEC, les sites de
luxe doivent s’axer sur les exclusivités, le côté pratique et la facilité.

            « Dans cette logique, il faut des rubriques précises, affirme le professeur de l’ESSEC. Les portails doivent
           aussi avoir un certain design et posséder des animations en 3D pour permettre aux visiteurs d’observer la
                            59
           marchandise. »

Les marques tentées par l’expérience n’ont plus qu’à s’exécuter. Mais nul doute que la route sera
longue avant que les jeunes internautes voient leurs attentes mercantiles comblées par la fée
Internet.

Finalement on sait qu’il n’y a pas qu’une seule sorte de clients des marques de luxe. Le produit
de luxe, parce qu’il n’est pas très inaccessible, est l’objet d’une très forte communication, et
l’arrivée d’Internet va sans doute amplifier le phénomène. C’est la raison pour laquelle on parle si
souvent de « démocratisation du luxe » au niveau de la communication. Dans cette situation de
démocratisation du luxe, est-ce que le luxe peut être indépendant dans la société ? Quelles
relations existe-t-il entre le contexte social et les marques de luxe ?




57
     FLOCH Jean-Marie, « La génération d’un espace commercial », in Actes sémiotique – Documents, IX, 89, 1987.

58
  FLOCH Jean-Marie, «Kandinsky : sémiotique d’un discours plastique non figuratif », in Communications, n°34, Les
ordres de la figuration, Paris, Seuil, 1981, p.135-158.

59
     FLOCH Jean-Marie, Identités visuelles, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, 220p.

                                                            36
Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet



           b. D’où vient l’internaute du luxe ?

La question de l’origine sociale du consommateur de produits luxueux apparaît cruciale dans la
compréhension des usages et pratiques liés au luxe sur Internet. Quelles sont les habitudes de
consommation des internautes et sont-elles compatibles avec celles du luxe ? Longtemps, la thèse
du sociologue Bourdieu selon laquelle l’individu est déterminé par sa classe sociale 60 a dominé
la pensée sociologique en France. Bernard Lahire revisite les enquêtes et les théories développées
par Pierre Bourdieu dans La Distinction : critique sociale du jugement pour mener une réflexion
sur la compréhension sociologique des pratiques culturelles et, plus largement, des styles de vie.
Il brosse le tableau de la situation culturelle considérée à l’échelle individuelle (en utilisant
l’approche statistique et l’analyse de cent onze entretiens présentés sous forme de portraits). Il
revient alors de manière détaillée sur les raisons principales des variations intra-individuelles : les
mobilités sociales, scolaires ou professionnelles, les contraintes et influences relationnelles
(celles des pairs, du conjoint(e), des collègues de travail), la baisse d’intensité de la croyance en
la culture littéraire et artistique. Bernard Lahire montre que l’existence d’habitus culturels en tant
que systèmes cohérents de dispositions, n’est pas ce qu’il y a de plus fréquent statistiquement.
L’individu serait multidéterminé par des expériences sociales qui l’influencent tout au long de la
vie.

            « Les variations culturelles intra-individuelles dépendent de l’ensemble des petits ou des grands écarts
           culturels entre les différentes influences culturelles passées (plus ou moins fortement incorporées sous la
           forme de dispositions et de compétences culturelles) et présentes. 61

De façon générale, on peut dire qu’Internet favorise la multiplication et la variété de nos achats,
quelque soit notre classe sociale. L’essayiste français Gilles Lipovetsky nomme ce type de
comportement le «turbo-consommateur » et le décrit ainsi :


60
   BOURDIEU Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement, Paris, Les Editions de Minuit, 1979, 670 pages,
Chapitre 3 « La dynamique des champs », « La correspondance entre la production des biens et la production des
goûts » p257 "L'accord qui s'établit ainsi objectivement entre des classes de produits et des classes de
consommateurs ne se réalise dans les consommations que par l'intermédiaire de cette sorte de sens de l'homologie
entre des biens et des groupes qui définit le goût : choisir selon ses goûts, c'est opérer le repérage de biens
objectivement accordés à sa position et assortis entre eux, parce que situés en des positions grossièrement
équivalentes de leurs espaces respectifs, films ou pièces de théâtre, bandes dessinées ou romans, meubles ou
vêtements, aidé en cela par des institutions, boutiques, théâtres (de rive droite ou de rive gauche), critiques, journaux,
et hebdomadaires, que l'on choisit d'ailleurs selon le même principe et qui, étant définies par leur position dans un
champ, doivent elles-mêmes faire l'objet d'un repérage distinctif. »
61
     LAHIRE Bernard, Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, 2006

                                                           37
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Mémoire Luxe et Internet

  • 1. Université Paris Est Marne-la-Vallée CFA Descartes Laure NERIA Clic & Chic Le web et les nouvelles technologies, Au cœur de l’identité du luxe au XXIe siècle ? Mémoire de recherche pour l’obtention du master 1 Culture et Métiers du Web Tuteur : Edouard BOURBON Soutenu en juin 2010 1
  • 2. Université Paris Est Marne-la-Vallée CFA Descartes Je remercie mon tuteur M. Edouard Bourbon pour son suivi pédagogique, son soutien et ses conseils expérimentés qui m’ont permis de mener à bien ce travail et notamment d’entrer en contact avec des professionnels du secteur du luxe et du web. Je remercie mon maître d’apprentissage M.Sébastien Gayat ainsi que toute l’équipe du Groupware d’Essilor pour leur partage d’expérience et avis sur mon travail. J’adresse mes plus sincères et chaleureux remerciements à ma famille pour leur soutien affectif constant. 2
  • 3. Université Paris Est Marne-la-Vallée CFA Descartes Sommaire  Introduction PARTIE 1 : HISTOIRE POLITIQUE, INDUSTRIELLE, SOCIALE ET CULTURELLE DU LUXE DE 1700 A NOS JOURS A. Continuité et discontinuité dans l'histoire du luxe B. L'industrie du chic à l'épreuve de la rareté C. Le rêve agrégateur d'Internet et du luxe PARTIE 2 : MARKETING ET IMAGE DU LUXE SUR INTERNET A. Connaître le consommateur : les enjeux du webmarketing B. Positionnement éthico-commercial des marques de luxe sur Internet C. Les Social Media au service des marques de luxe PARTIE 3 : L’INNOVATION : VERS LE SUCCES DE LA DISTINCTION DU LUXE SUR LA TOILE A. Internet et le luxe at home B. Le retour aux cinq sens Conclusion Bibliographie Annexes 3
  • 4. Université Paris Est Marne-la-Vallée CFA Descartes Introduction Lorsque Gilles Lipovetsky, à la fin du chapitre « luxe et comparaison provocante » du Bonheur paradoxal affirme : « Dans la société d’hyperconsommation, il ne s’agit plus tant de combattre des privilèges en ôtant des biens aux nantis que d’y accéder à des fins de jouissances émotionnelles » 1 , il met en valeur le rapport plus que jamais individualiste qu’entretient le consommateur avec les biens hauts de gamme qu’il désire. On consomme avant tout pour se faire plaisir, et chacun peut rêver de posséder l’excellence, comme le dit si bien le slogan de la marque de cosmétiques la plus glamour du moment « L’Oréal : parce que je le vaux bien ». En France, le luxe (tel qu'on peut le définir par posséder un objet raffiné, couteux, somptueux) n’est plus réservé à une élite qui perçoit les privilèges comme c’était le cas au XVIIème siècle, mais est désormais accessible à un plus grand nombre grâce à la dématérialisation des supports d’accès, de visibilité voire d’achat de produits sur Internet. L’accès au haut débit est l’unique contrainte. Passée cette étape, l’internaute peut avoir accès à un très large éventail de sites de présentation d’une marque ou de boutiques en ligne. En effet, le web comme plateforme de développement du e-commerce est très prisé. La plupart des enseignes les plus connues, parmi celles des biens ordinaires, tendent à décliner leur présence physique sur la toile via des sites officiels, des boutiques en ligne, des vidéos de pubs et bien d’autres choses encore. Cependant, si les grandes marques trouvent un avantage à faire rêver le plus grand nombre et à vendre plus, elles courent aussi le risque de se banaliser aux yeux de tous, de perdre leur aura. En effet, la marque doit veiller à donner l’impression que la boutique et les produits sont inaccessibles car le consommateur va attacher plus de valeur à ce qui lui paraît inabordable. Par le passé, les marques françaises ont cherché à rivaliser d’imagination pour transmettre une image de qualité et de 1 LIPOVETSKY Gilles, Le Bonheur paradoxal, Essai sur la société d’hyperconsommation, Gallimard, 2006, 455 pages, p. 369. 4
  • 5. Université Paris Est Marne-la-Vallée CFA Descartes perfection autour de leurs produits. Le luxe reste et a souvent été réservé à une classe sociale privilégiée. Néanmoins, on voit que la première barrière, celle de l’entrée dans une boutique de luxe peut par exemple être dépassé par tous dans la mesure où la majorité des grandes marques de luxe possèdent une boutique en ligne qui permet de présenter les produits (via un site vitrine) ou encore de vendre. La présence quasi forcée des marques sur Internet, au même titre que les autres enseignes, peut laisser envisager la démocratisation totale du luxe. Si tout le monde peut avoir accès aux mêmes produits et services, alors qu’en est-il de l’exclusivité du consommateur du luxe ? L’alliance du luxe et d’Internet peut s’avérer prometteuse comme assez risquée. Ma recherche aura donc un aspect prospectif dans la mesure où j’essaierai de cerner les tendances futures en matière de management du luxe sur Internet. Les récentes études sociologiques faites sur le désir de distinction par le goût montrent que nos façons de consommer ont évolué. Dans les sociétés modernes, les individus sont-ils caractérisés par leur appartenance à une multiplicité de mondes ? C’est la question que pose Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi. 2 Dans ce livre imposant de près de huit cents pages qui utilise les résultats de plusieurs enquêtes menées par Bernard Lahire, avec l’aide de collaborateurs, collaboratrices et étudiant(e)s, l’auteur revisite les enquêtes et les théories développées par Pierre Bourdieu dans La Distinction : critique sociale du jugement pour mener une réflexion sur la compréhension sociologique des pratiques culturelles et, plus largement, des styles de vie. Il brosse le tableau de la situation culturelle considérée à l’échelle individuelle (en utilisant l’approche statistique et l’analyse de cent onze entretiens présentés sous forme de portraits). Il revient alors de manière détaillée sur les raisons principales des variations intra- individuelles : les mobilités sociales, scolaires ou professionnelles, les contraintes et influences relationnelles (celles des pairs, du conjoint(e), des collègues de travail), la baisse d’intensité de la croyance en la culture littéraire et artistique. Bernard Lahire montre que l’existence d’habitus culturels en tant que systèmes cohérents de dispositions, n’est pas ce qu’il y a de plus fréquent statistiquement. L’individu serait multidéterminé par des expériences sociales qui l’influencent tout au long de la vie. L’heure n’est plus à l’exposition de sa richesse, ou alors on passe du côté du « bling-bling » (expression qui désigne l’ostentation), mais le luxe réside plus dans un confort de vie qui regroupe le gain de temps, l’assurance de la sécurité à l’achat, l’innovation constante et 2 LAHIRE Bernard, Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004, 777pages 5
  • 6. Université Paris Est Marne-la-Vallée CFA Descartes l’esthétique en général. C’est, entre autre, ce qu’explique l’essayiste et professeur agrégé de philosophie Gilles Lipovetsky dans Le bonheur paradoxal, essai sur la société d’hyperconsommation 3 . De ce fait, les nouvelles technologies jouent un rôle important sur le plan de la recherche et du développement des produits, ou encore pour le marketing du luxe via des sites internet design, créatifs et générateurs de rêve. A ce sujet, je m’appuierai largement sur le travail de Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, dans l’œuvre Luxe oblige 4 , ainsi que sur l’étude de Nicolas Auray et Michel Gensollen, Internet et la synthèse collective des goûts. 5 Il sera donc important de se positionner à la fois du côté du consommateur, que des annonceurs et personnels à l’origine de la conception, réalisation et gestion des projets de luxe sur internet. D’une part, pour mieux appréhender l’éventualité d’un changement de structure dans la consommation des produits de luxe, on veillera à interroger des personnes qui consomment de façon traditionnelle, c’est-à-dire qui sont habitués aux points de vente et aux services physiques ainsi que des consommateurs lambdas, omnivores, qui consomment le luxe sans distinction particulière avec d’autres types de produits, par exemple en se rendant sur leur site de vente privée favori. Mais on cherchera à savoir quelle est la particularité des sites et plus généralement, les moyens de visibilité du luxe sur Internet, et vers quoi ils doivent tendre pour assurer leur pérennité. D’autre part on enquêtera sur le classement des marques de maisons de luxe ; on comparera la démarche sur la toile en concomitance avec leur image. Les techniques actuelles permettent aux grandes marques de répondre précisément aux attentes de leurs clients et de capter l’attention d’un vaste public, attiré par la vente en ligne. Reste à savoir si elles ont envie d’élargir leur audience ou de fidéliser les bons clients. Sur ce point, l’étude de la stratégie de communication et de marketing de certaines marques de luxe permettra d’évaluer les risques et avantages de l’exposition ou la vente en ligne. On se tournera également vers l’appréciation du design des sites afin de montrer les potentialités visuelles et plus largement sensorielles développées par les nouvelles technologies numériques. Jusqu’ici les marques communiquent peu sur leurs chiffres mais on tentera d’analyser les premières répercussions du média Internet sur les 3 LIPOVETSKY Gilles, Le Bonheur paradoxal, Essai sur la société d’hyperconsommation, Gallimard, 2006, 455 pages 4 BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages 5 AURAY Nicolas, GENSOLLEN Michel, Internet et la synthèse collective des goûts, PDF, 2007, 22 pages 6
  • 7. Université Paris Est Marne-la-Vallée CFA Descartes usages et pratiques des consommateurs du secteur du luxe. Internet doit servir de faire-valoir aux grandes maisons sans cannibaliser les boutiques ou ternir l’image de grandeur de la marque. Pour se faire, l’étude d’ouvrages consacrés à la sémiologie de l’image servira de base à l’analyse des sites web rencontrés. La sociologie et la sociologie du goût seront des domaines très utiles à la compréhension de l’évolution des tendances et usages des internautes vis-à-vis de la consommation des biens luxueux. Les ouvrages disponibles actuellement ne traitent que très partiellement la question du luxe sur Internet : ils émettent quasi systématiquement une réserve vis-à-vis de la vente et ne tiennent pas compte des potentialités créatives à l’ère du tout numérique. En effet, on sait à présent qu’Internet est pour la majorité des Internautes (70%) un support adapté aux marques de luxe, tant par les possibilités qu'il offre (son, image) que par les outils qu'il propose (newsletter, courriers personnalisés). On se tournera vers les marques qui choisissent d’investir dans ce support et misent sur l’interactivité des ressources technologiques. Ainsi notre terrain sera constitué d’interviews de professionnels du web des grandes maisons afin de connaître les différentes stratégies choisies en fonction de la marque, que ce soit du côté des annonceurs que du marketing ou de la communication. En parallèle, nous monterons des sondages pour connaître l’avis des principaux intéressés : les consommateurs du luxe sur internet et autres. Des micro-trottoirs viendront enrichir de témoignages les impressions laissées à travers les sondages. Par ailleurs l’analyse de sites web de marques de luxe sera essentielle à la compréhension générale du sujet ainsi qu’à la perception de la variété de stratégies. D’abord nous étudierons l’histoire générale du luxe en France, afin de dégager les temps forts du marché du luxe et les caractéristiques, à travers les époques, convergentes avec l’époque actuelle pour comprendre quelles pistes sont à exploiter pour l’avenir. Cela nous mènera à distinguer la rareté comme un élément à redéfinir, et le rêve comme élément d’agrégation du luxe et d’Internet qui laisse présager un bel avenir. Après avoir dessiné les contours des principales notions en jeu, nous analyserons ensuite les techniques de communication et de marketing des grandes marques sur Internet. Nous verrons comment chacune d’elles agit en fonction de son image propre et fait des choix singuliers, selon qu’elle ait pour priorité la vente ou la mise en valeur de son image. Enfin, nous dévoilerons les potentialités créatives des nouvelles technologies sur le secteur du luxe. 7
  • 8. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours PARTIE  1 :  Histoire  politique,  industrielle,  sociale  et  culturelle  du luxe de 1700 à nos jours    Ma démarche vise à adopter un point de vue critique afin de comprendre le paradoxe du luxe sur Internet. Je pars du présupposé que l’avènement d’Internet représente un tournant majeur dans l’univers du luxe dans la mesure où le secteur a ainsi connu une remise en question de ses valeurs. Afin de mieux comprendre la notion, on fera un détour par l’histoire de ses valeurs. En France, ce secteur existe depuis le XVIIIe siècle et l’histoire de la consommation montre l’importance des notions de distinction et de richesse dans le contexte de la vie de Cour. Dès la fin du XVIIe siècle, le monde littéraire qui gravite de près ou de loin autour du roi Louis XIV, engage une réflexion sur la société. De nombreux thèmes sont traités, par le biais de textes littéraires qui miment la conversation 6 , ou dans une forme souvent proche des sentences. Le style bref, elliptique vise parfois à énoncer, voire dénoncer une vérité générale sur la société et ses individus. Très en vogue à la cour du roi, le mouvement de pensée des moralistes français aborde plusieurs questionnements. Tantôt défenseurs de la morale chrétienne, comme Pascal avec ses Pensées 7 , tantôt partisans de la satire ou du rire plus généralement, les philosophes et humanistes français s’emparent de la question de la morale et des mœurs pour mener, notamment, une réflexion sur le pouvoir et les Grands. Je souligne ces deux derniers thèmes car ils introduisent la réflexion sur le luxe au XVIIe siècle. L’historien Daniel Roche, dont les travaux portent essentiellement sur l'histoire culturelle et sociale de la France de l'Ancien régime affirme : « Le luxe a d’abord une fonction politique : il entretient la différenciation culturelle, impose le respect dû à la puissance royale et à Dieu, dont on ne conteste pas la somptuosité accumulée pour son service. » 8 Dès lors la France s’illustre comme le pays par excellence. Que ce soit dans les 6 Voir MONTAIGNE Michel Eyquem, Les Essais, Paris, Gallimard, imprimé en 2007 7 PASCAL Blaise, Les Pensées, Paris, Gallimard, 1999 8 ROCHE Daniel, « Consommation ordinaire et consommation de luxe », De la rareté au luxe, p. 85-91 in Histoire des choses banales, Naissance de la consommation XVII-XIXe siècle, Fayard, 1997, 330 p. « D’autres modes de vie sont donc possibles, inimaginables il y a peu. La progressive réhabilitation de la dépense, 8
  • 9. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours habitudes de consommation des individus ou au sein de l’activité économique du pays en général. Ce thème est donc particulièrement intéressant à étudier dans le contexte d’Internet. De par son lien avec le pouvoir, le désir et l’esthétique, le luxe est un bien de consommation singulier révélateur. Ses évolutions au fil des époques permettent de mettre en valeur les marques clés qui ont réussi à s’imposer sur le marché, à appréhender les raisons qui ont écarté ou enclin certaines à étendre leur périmètre au web. Les concepts de rareté et de rêve font tout particulièrement l’objet de mon attention dans la mesure où ils agissent comme des catalyseurs de la réflexion du luxe sur Internet. l’éloge du luxe, le passage du mot d’ordre “dépensez ce que vous gagnez“ à l’impératif “gagnez ce que vous dépensez pour dépenser plus“, la réhabilitation des entrepreneurs marchent d’un même pas, dessinant une autre sensibilité, suscitant d’autres normes et d’autres consommations intellectuelles. La nouvelle philosophie qui unit échange et besoins accrus suppose plusieurs ruptures, avec l’autoconsommation familiale et régionale, avec une économie faiblement monétarisée, avec l’immobilité des choses.»[…] « Le luxe agit en marge, car condamné par les prédicateurs, contrôlé par les lois somptuaires (au moins dans le principe) et par l’action mercantiliste sur le commerce et la production, moyen d’enrichissement extérieur et apanage d’une étroite élite intérieure. » […] « Les économistes de la croissance par la consommation, Boisguilbert et Cantillon, les observateurs du miracle hollandais, Bayle, concourent à l réhabilitation du luxe. C’est le moyen de mesurer la compréhension nouvelles des hommes confrontés à l’expansion et appelés à un hédonisme.’ La nécessité du superflu s’impose par le détour d’un nouveau rapport au monde et aux objets qui sécurisent, embellissent et rassurent. La vertu n’est plus le fruit du renoncement mais de l’usage modéré et raisonnable des biens et des bienfaits qu’ils prodiguent. L’amour de soi ne sépare plus l’individu de la communauté des chrétiens. “ » Note 50. C. Walter, « Les lois somptuaires ou le rêve d’un ordre social. Evolution et enjeux de la politique somptuaire à Genève, XVIe-XVIIIe siècle », Equinoxe, 11, 1994, pp. 111-126 ; J. Séquora, Luxury, the concept in Western thought, Londres, 1977. 9
  • 10. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours A. Continuité et discontinuité dans l’Histoire du luxe a. La naissance des valeurs du luxe en France du XVIe au XVIIIe siècle A l’article LUXE du nouveau Petit Robert de la langue française 2007, on peut lire : « 1. Mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées à l’acquisition de biens superflus, par goût de l’ostentation et du plus grand bien-être. 2. Caractère coûteux, somptueux (d’un bien ou d’un service). 3. Bien ou plaisir coûteux qu’on s’offre sans nécessité.» On peut donc en conclure que le luxe possède la caractéristique de se distinguer des autres objets de consommation ordinaire. En effet, choisir un bien luxueux c’est être dégagé des contraintes du besoin, et en même temps tendu par le désir de posséder la chose, à tel point que l’on oublie de considérer (ou que l’on dénigre volontairement) le montant de l’objet. Ne dit-on pas que « l’amour rend aveugle » ? On peut effectivement comparer l’acte d'achat d’un produit de luxe à la pulsion amoureuse. Cependant, il semblerait que la confusion entre objet de luxe et bien ordinaire est de plus en plus courante. Une grande partie des objets est aujourd’hui relié au désir dans les publicités alors que je souhaite montrer qu’en fait, seul l’objet de luxe possède véritablement ce pouvoir de susciter et se substituer au désir. La femme dans la société occidentale contemporaine a pu être comparée à un objet dans les publicités. Depuis la lutte pour la reconnaissance des droits de la femme, il est assez commun de dénoncer la dévalorisation de sa représentation dans ces publicités. Le luxe semble intrinsèquement lié à la notion plus générale de désir à assouvir, que ce soit par la possession de l’objet de luxe, le goût du paraître ou le plaisir que l’on en retire. Les mots « luxe » et « luxure » ont ainsi la même étymologie. Du latin, luxus, ils désignent tous deux la lumière. Cette racine commune suggère que l’aura joue une place prépondérante dans la compréhension et l’analyse du luxe. Louis XIV, connu pour son faste, se faisait d’ailleurs appeler « le roi soleil ». L’image que l’on donne de soi par la possession et l’ostentation d’objets de luxe peut être assimilée à une recherche de cette aura. Dans la quête, le désir joue un rôle primordial. C’est ce qu’explique Pascal lorsqu’il définit l’objet de luxe et le luxe en général à partir des trois libidos : la libido dominandi, la libido sentiendi et enfin la libido capiendi. 9 A la libido dominandi 9 PASCAL Blaise, Les Pensées, Paris, Gallimard, 1999 10
  • 11. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours correspond une définition du luxe comme forme de paraître et de domination. C’est typiquement l’attitude des Grands que les Moralistes du XVIIème siècle ont dénoncé, en se jouant de la préciosité et des normes liées à l’étiquette. Les accessoires et les vêtements composés de tissus luxueux participent aux éléments de paraître. Le paraître et la domination incluent dans le rapport à l’autre la volonté de se démarquer par la magnificence. Par exemple, on note que dès la Renaissance on ne peut user du luxe qu’à condition que ce soit conforme à son statut. La libido sentiendi se traduit par l’épuisement des ressources et le désir de séduire. On veut plaire à autrui, et en même temps se satisfaire soi. La richesse de l’objet de luxe réside aussi dans le fait que pour maximiser l’effet, il doit mobiliser les cinq sens. L’individu à la recherche de luxe oscille entre le désir de liberté et la servilité dans le regard d’autrui. Les trois fonctions du parfum dans l’histoire peuvent signifier cette ambiguïté. 10 Dans les cérémonies funéraires, le parfum devient somptuaire. Il peut servir à enfumer les dieux, adoucir la mort, prolonger le corps, et séduire. Symboliquement, l’embaumement sert à célébrer le corps car cela consiste à le protéger de la décrépitude de la mort. Mais chercher le pouvoir de résister au temps peut aussi s’interpréter comme la manifestation d’une grande crainte. Enfin, la libido capiendi fait référence à la connaissance et à l’acte patrimonial. L’objet de luxe, en plus de se devoir d’être résolument esthétique, entre dans l’histoire en ce que chaque pièce créée est unique car elle est le résultat d’un savoir-faire authentique. La tradition et la transmission de savoir sont les clés de voute du luxe français jusqu’au XIXe siècle. Résultat d’un riche héritage, les grandes maisons fleurissent en mettant en valeur un nom et la qualité de leur produit. En conclusion, la citation de Colonna d'Istria 11 résume bien mon propos, à savoir que : "Le luxe c'est, en somme, à la rencontre de l'homme et de son histoire, l'acte volontaire d'un individu dans ce qu'il a d'unique pour marquer sa liberté et pour, gratuitement et dans le plaisir, s'élever au dessus de sa condition." Cette définition regroupe à mon sens les principaux éléments qui font du luxe une notion qui a pu traverser les époques. Si la valeur symbolique des produits de luxe a évolué, les fondamentaux que sont l’esthétique et le désir de dépassement composent des points clé de ma pensée. Le présupposé qui admet que l’homme tend au renouvellement et à l’innovation dans le domaine du luxe va, plus tard dans cette étude, permettre de justifier l’intérêt des ressources exploitables par 10 CASTAREDE Jean, Le Luxe, Que sais-je ?, 2007, 128 pages, l’exemple du parfum est extrait de la page 50 11 COLONNA D’ISTRIA Robert, L’art du luxe, petit traité du luxe suivi d'un catalogue raisonné des objets, des lieux et des pensées y contribuant, Hermé, Paris, 1991, 224 pages 11
  • 12. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours Internet. b. La notion de goût au cœur du luxe des XIXe et XXe siècles Au XIXe siècle, l’innovation technologique dans le secteur du luxe s’exprime d’abord comme une tension. L’objet de luxe jusqu’alors présenté comme unique, peut aussi dès ce moment se concevoir comme issu d’une industrie. La dualité entre le caractère unique d’un objet de luxe et sa reproductibilité technique est apparue au XIXe siècle. Elle donne lieu au renforcement de l’image du luxe grâce à l’imposition du goût. C’est peut-être sur cet argument qu’ont réussi à se développer les marques au XIXe siècle. La révolution industrielle qui se joue à cette époque change les façons de fabriquer et de consommer. L’objet de luxe autrefois unique, devient le produit d’une série. L’auteur Bruno Remaury revient sur l’expression « Epiphanie de la marchandise » de Walter Benjamin, afin de montrer l’impact de l’industrialisation sur l’objet de luxe : « Selon l’étymologie même du mot épiphanie, c’est le dispositif qui régit les conditions de l’apparition. Le moment fondateur est la naissance des grands magasins et les Expositions Universelles. Le XIXème siècle industriel aura pour volonté d’unir « l’industrie et l’art » afin, précisément, « d’arracher la marchandise à la sphère de l’humain », cherchant ainsi à lui conférer une aura d’autant plus problématique qu’elle s’applique à une fabrication en série, c’est-à-dire à l’infinie répétition standardisée d’un geste jusque là tissée d’exclusivité. » 12 Les valeurs d’authenticité du savoir-faire technique et de création se dissipent au profit d’une production à plus grande échelle. Pourtant, le luxe est reconnu internationalement, et son succès ne décroît pas. La qualité de production fait encore du luxe une entité économique unique. Cette réussite s’appuie en grande partie sur la capacité à produire de la valeur ajoutée. Il procure le sentiment de pouvoir se dégager des contraintes matérielles premières. Malgré ce tournant dans l’histoire, le luxe a su conserver son aura en développant une idéologie du goût : « Une rhétorique du goût accompagne déjà le catalogue de l’Exposition universelle de 1851 : « l’objet principal de la connaissance est le goût, qui n’est pas un simple effet du caprice mais le produit de la raison, aussi complètement que n’importe quelle autre conclusion à propos du bien et du mal ou du vrai et du faux que nous atteignons par le travail et par l’esprit ». Le débat, particulièrement nourri dans l’Europe de cette époque, entre tenants d’un « beau dans l’utile » et producteurs de copies de styles réalisées en grandes séries 12 REMAURY Bruno, « L’objet de luxe à l’ère de la reproductibilité technique » p371, « L’objet de luxe à l’épreuve de la marchandise », in ASSOULI, Olivier, Le luxe, Essai sur la fabrique de l’ostentation, Paris, Institut français de la mode, Regard, 2005, 410 pages 12
  • 13. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours est moins, comme on l’a souvent analysée, une opposition entre artisans et industriels qu’une tentative de rédemption de l’avilissement mercantile de la marchandise par le goût, quel que soit par ailleurs son mode de production. On préfère parler de « client » plutôt que de consommateur. Plus la marque est étendue et moins son consommateur a de chance d’être un connaisseur, plus elle place son discours dans la perspective d’une rhétorique du goût. » 13 Cette définition du goût repose sur les concepts de la philosophie idéaliste de Kant. Ce philosophe allemand du XVIIIe siècle affirme : « Est beau ce qui plaît universellement sans concept 14 ». L’encyclopédie Wikipédia propose de l’expliquer ainsi. « Le but de Kant n'est pas de proposer des normes du beau, mais d'expliquer pourquoi une chose est belle, et en quoi consiste un jugement de goût. Le beau serait un produit du sens esthétique. En ce sens, ce qui est beau, ce n'est pas un objet, mais sa représentation. » Dans ce débat, Kant prône la «finalité sans fin » (le beau n’est pas l’utile) ; et le « plaisir désintéressé ». Le beau ne se confond pas avec « l’agréable », qui relève pour sa part d'une perception strictement personnelle : « Quand je dis que le vin des Canaries est agréable, je souffre volontiers qu'on me reprenne et qu'on me 15 rappelle que je dois dire seulement qu'il est agréable à moi. », Alors que pour l'exemple d'un jugement sur la beauté d'une chose, il explique : « Je ne juge pas seulement pour moi, mais pour tout le monde, et je parle de la beauté comme si c'était une qualité des choses » 16 Si le beau apporte plaisir et satisfaction, c'est de manière désintéressée. Ce mouvement de pensée suffit à rehausser la vision du luxe alors un peu ébranlée. Cette philosophie idéaliste se convertit dans les mœurs en un moyen déguisé d’afficher une haute position sociale. L’objet de luxe s’entoure d’une aura particulière. Dès cette époque, on n’achète pas un objet mais un signe. Un peu à la manière des blasons au XVIe siècle, où l’illustration reflète l’armoirie familiale, chargée de son histoire. Au XIXe siècle, le regroupement de grandes maisons sous un nom de marque est 13 IBID « Le goût comme source d’achat » 14 KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, Gallimard, Paris, 1985, p978 15 IBID 16 IBID Chapitre 7 13
  • 14. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours le résultat de l’adaptation des groupes à la révolution industrielle. Si Brunon Remaury parle de « rhétorique du goût », c’est bien que l’on a à faire à un langage parlé et corporel issu d’une nouvelle culture. Le terme « consommateur » est dénigré car associé à la culture de masse, à l’instar de celui de « client ». Ce dernier, beaucoup plus abstrait, (du latin cliens. on le rattache au latin cluere, entendre) indique que l’on quitte l'univers matériel pour entrer dans l'univers mental. Tout est mis en œuvre pour faire sentir au « consommateur » qu’il est un « client » particulier. Cela fait alors parti des codes naissant de la distinction sociale. A ce stade de l’étude on peut déjà créer un parallèle entre l’aura d’une marque basée sur l’univers immatériel, ainsi que le rêve d’un autre soi, et la sphère virtuelle sur Internet. Par exemple, les utilisateurs d’Internet n’ont pas de pays dans le sens où ils peuvent accéder à n’importe quelle culture depuis leur poste de travail. Via les réseaux sociaux sur le web, chacun peut également se créer un ou plusieurs avatars et ainsi rêver à d’autres univers. Tout le paradoxe réside cependant dans le fait qu’aujourd’hui le consommateur est mis en avant en tant, justement, que consommateur actif vis-à-vis de la marque, et non plus client passif. Néanmoins, je souhaite souligner le fait qu’au XIXe siècle le débat autour du goût démontre que l’affirmation de soi par des symboles ne fait que revisiter un lieu commun de la consommation ostentatoire. Par ailleurs, le concept du goût universel et désintéressé de Kant glisse vers le relativisme. Le jugement du goût est subjectif, on discute des goûts sans réel fondement. En outre la mode accompagne l’avènement de la philosophie du goût et devient un secteur du luxe à part entière, de plus en plus dynamique. En effet, on peut dire que la mode a toutes les caractéristiques du luxe. Elle fait appel à la magie du créateur ; elle vise à la beauté et la séduction ; elle renvoie à la fonction sociale 17 . c. Evolutions notoires au XX et XXIe siècle : l’arrivée des marques La notion de marque soulève à mon sens un paradoxe intéressant si on veut identifier les perspectives du luxe sur Internet. Elle implique d’étudier la position du client du luxe face à une entité qu’il intègre et rejette tout en même temps. D’un côté la marque joue sur sa capacité à influencer l’individu. 18 Il s’identifie aux codes qu’elle diffuse à travers son image. De l’autre, il 17 CASTAREDE Jean, Le Luxe, Que sais-je ?, 2007, 128 pages, p35 18 JEON Hyeong-Yeon, Analyse des sites web de marques de luxe, support publicitaire, marketing et identité des marques, thèse soutenue sous la direction de M. le professeur Jean-François TETU, Université Lumière-Lyon2, 2003 p.12 « nommer, ce n’est pas seulement élire un nom, c’est conférer une identité, assigner une manière 14
  • 15. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours serait biaisé de croire que l’individu est entièrement passif face à cette image. Au contraire, dans le but de se distinguer et de fidéliser, la marque de luxe permet à l’individu de se réapproprier des valeurs. Le concept « d’image de marque » peut donc bien être perçu comme une interface entre le consommateur et la marque elle-même. La marque affiche un logo qui lui permet d’affirmer sa singularité. Les logos sont généralement issus d’une histoire, tel que le logo Lacoste. « Selon René Lacoste lui-même, l'origine du logo de la marque (un crocodile vert) viendrait d'un pari que lui avait lancé le capitaine de l'équipe de France de tennis lors de la Coupe Davis en 1927 : celui-ci lui aurait promis une valise en crocodile s'il gagnait un match important. Le public américain aurait alors retenu ce surnom, qui « soulignait la ténacité dont [il faisait] preuve sur les courts de tennis, ne lâchant jamais [sa] proie ». C'est Robert George qui lui dessine le crocodile qu'il porte désormais sur son blazer, sur le court ou en dehors, et qui deviendra le symbole de la marque. La marque se réclame d’ailleurs comme étant le 19 premier exemple d'un nom de marque figurant à l'extérieur d'un article d'habillement. » Chaque détail est étudié pour créer un univers et une histoire autour de la marque, à la manière des grandes maisons de luxe issues d’un héritage financier, culturel et patrimonial. Le logo peut être un signe qui s’accompagne d’un slogan. Tout objet vendu se doit de suivre le design propre à la charte graphique de l’entreprise, et ce jusqu’au moindre détail, comme par exemple l’emballage. Jean Castarède regroupe les principaux atouts des marques comme suivant. Tout est mis en œuvre afin que la marque réponde à une triple fonction : 1. Simplification et identité 2. Garantie 3. Imaginaire et symbolique 20 Le premier point rejoint mon assertion selon laquelle la marque promeut une image qui influence l’identité de l’individu, ou inversement, une identité qui influence l’image que l’individu à de lui- même. Le second point est l’assurance de la qualité du produit vendu ; il doit se démarquer par rapport à la concurrence. Il montre que la marque vend avec l’objet son service au client. Le troisième point regroupe l’histoire et tous les signes et codifications qui entourent la marque. Afin d’être, et peut-être une bonne ou mauvaise fortune. Aux créateurs de marque incombe pour une part la responsabilité du sort d’un produit : comment il sera, sur le marché, identifié, repéré, reçu, mémorisé, désiré...» 19 Encyclopédie Wikipédia 20 CASTAREDE Jean, Le Luxe, Que sais-je ?, 2007, 128 pages, p35, p88 15
  • 16. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours d’affiner la réflexion sur la construction de la notion de marque au XXe et XXIe siècle, on peut distinguer plusieurs types de marques. - la marque produit est une marque affectée de façon unique à chaque type de produit fabriqué par l’entreprise. C’est par exemple le cas de toutes les marques de champagne. 21 - la marque ombrelle est une « marque unique utilisée pour des produits différents, de manière à faire bénéficier ces produits de la notoriété et de l'image de la marque ombrelle. Par exemple, exprimant l'importante diversification du groupe Cartier, Hermès ou encore Yves Saint Laurent, sa marque est apposée sur de la maroquinerie, de la parfumerie, de la joaillerie, de l’horlogerie, etc. Elle devient marque mère lorsqu'elle est associée à diverses marques produits (alors qualifiées de marques prénoms). L'objectif est toujours de faire bénéficier le produit de sa notoriété et éventuellement de son image, tout en le dotant d'une identité spécifique facilitant la communication. 22 - la marque caution est caractéristique d'une marque qui, par sa notoriété et son image, authentifie le produit et éventuellement son origine et sa qualité. Elle est une sorte de garantie donnée par l'entreprise de la qualité de son produit. Acheter un produit de marque est un moyen pour le consommateur de se protéger contre le risque et de réduire son incertitude. C'est ainsi que certaines marques sont considérées comme marques-griffe car elles servent à garantir la fiabilité, la qualité et l'origine de produits ainsi que la compétence des concepteurs et des fabricants. Par exemple, Cardin soutient autant la mode, l’art, la gastronomie et l’art de vivre avec Maxim’s, que l’évènementiel. 23 - la marque corporate : Elle est une mise en scène de l’entreprise. Au contraire de cette dernière, son rôle est moins de vendre que de « se faire des alliers » comme le dit si bien Muriel Humbertjean, directrice générale adjointe de TNS Sofres. Dans une interview 24 , elle essaie d'en expliquer l'importance en montrant que seule la marque corporate peut répondre à l'ensemble des 21 Site des professionnels du marketing/ Définition du glossaire du/ e-marketing.fr /en partenariat avec l’Encyclopédie du marketing de LEHU Jean-Marc, Eyrolles /consulté le 2 avril 2010. 22 IBID 23 http://www.pierrecardin.com 24 http://www.dailymotion.com/video/xchpek_la-marque-corporate-est-elle-morte_webcam 16
  • 17. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours publics. Elle ajoute également : « Les gens ne s'intéressent plus qu'aux produits mais aussi aux conditions dans lesquelles ce produit a été conçu et fabriqué. Les entreprises doivent donc apprendre à mieux articuler marques commerciales et corporate, assumer le développement durable et enfin apprendre à composer avec les marchés financiers. » LVMH est la marque corporate par excellence en France. « En ligne depuis 1998, Lvmh.fr a fait l'objet d'une refonte complète en juillet 2002, graphique, ergonomique et éditoriale.[…] Un effort particulier a porté sur la visibilité des marques du groupe : actualisation régulière des pages d'accueil et des actualités produits, adresse des sociétés mères et de chacune des filiales dans le monde, et liens vers les adresses Internet de chacune. Lvmh.fr joue ici un rôle d'aiguillage vers les sites de marque. Pour cultiver "l'attachement au groupe via les marques", explique Evelyne Renard, un magazine dédié exclusivement à l'actualité et à l'événementiel produit a été mis en ligne, relayé par une newsletter. Créée fin juillet 2004, elle enregistre près de 500 nouveaux inscrits par mois dans plus de 80 pays. Le taux de clics de la dernière newsletter, envoyée mi février à 4.000 abonnés, a atteint 47 %. 25 » La marque corporate joue un rôle tampon face à la marque commerciale. L’élaboration d’un site web avec une rubrique dédiée à cette relation est donc un choix judicieux. L’important est de rendre le plus transparent possible les recompositions récentes : « Le rachat de PME indépendantes liées à des marques prestigieuses a permis la constitution de groupes nouveaux pluriproduits et internationaux. Les synergies réalisées ont permis aux principaux groupes (LVMH, PPR et Richemont) de s’adapter aux évolutions du marché et des comportements des consommateurs. Derrière les combats médiatiques, comme celui autour du rachat de Gucci, se joue en fait une recomposition financière et industrielle de grande ampleur tant certains secteurs du luxe constituent des domaines fortement bénéficiaires. 26 Le dernier exemple illustre bien la dynamique actuelle qui répond en fait aux aléas de la conjoncture. Les gains liés aux échanges internationaux se sont figés à la suite de deux évènements qui ont inversé la tendance : la guerre du golfe, et le 11 septembre 2001. Par exemple, une étude de la COFREMCA et le CCA, RISC SOFRES démontre la chute des flux 25 Article du site Le journal du Net, « LVMH.fr le changement dans la continuité », LEVEQUE Emilie, le 2 mars 2005, consulté le 02 avril 210. 26 CHATRIOT Alain, Entreprises et histoire ESKA, La construction récente des groupes de luxe français : mythes, discours et pratiques, I.S.B.N.2747212526, 208 pages, p. 143 à 156 17
  • 18. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours touristiques, surtout pour le Japon. 27 Dès le XIXe siècle l’innovation technologique pousse le secteur du luxe à se démocratiser et à se rapprocher du fonctionnement de n’importe quelle autre grande industrie. Jean Castarède décrit la position ambivalente du luxe à cette époque : « Dès 1948, tout en conservant leur activité artistique vouée au vrai luxe, à celui de l'exceptionnel, celui du hors série, et du sur mesure qui satisfait de grands bourgeois fortunés et les expositions universelles, les créateurs d'objets d'art avaient développé le "demi-luxe" sous forme de séries d'objet de qualité à moindre prix. Ce sont les accessoires. » 28 Le présupposé selon lequel Internet a un effet négatif sur le luxe du fait de ses répercussions en termes de démocratisation, ne fait en réalité que soulever un débat plus ancien. Ce secteur a les moyens financiers et les capacités artistiques, culturelles pour dépasser ce type de contradiction. En élargissant sa clientèle, il a complexifié sa définition. Déjà, plusieurs branches du luxe naissaient, et décomposaient par là même la définition connue du luxe. Cependant, l’extension sur des domaines plus nombreux doit à mon avis être interprétée de façon positive puisque cela signifie que le luxe parvient à évoluer en fonction du mouvement et des tendances de chaque période. Le passage du XIXe au XXe siècle montre une adaptation du concept de rareté du luxe. L’industrialisation de ce secteur doit abandonner le concept classique de rareté pour se tourner vers l’innovation. Si la rareté ne se situe plus dans l’unicité de l’objet car celui-ci est produit en série, elle peut néanmoins jouir des évolutions technologiques et profiter des apports de la techniques pour améliorer ses moyens de fabrication et de distribution. C’est ce que je souhaite démontrer dans la partie suivante. 27 CASTAREDE Jean, Le Luxe, Que sais-je ? 2007, 128 pages, p.72 28 CASTAREDE Jean, Histoire du luxe en France, Des origines à nos jours, Marsat, Eyrolles, 2007, Partie 3, « Le 19eme siècle et le luxe bourgeois », chapitre 8, « le luxe au XXe siècle : entre démocratisation et innovation » 18
  • 19. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours B. L’industrie du chic à l’épreuve de la rareté Si tout ce qui est chic est cher, alors est-ce que tout ce qui est rare est cher ? L’émotion est souvent fondée sur le sentiment d’exclusivité, de rareté que procure la possession ou la consommation des objets exceptionnels. Le périmètre du secteur du luxe reste assez imprécis et la définition peut être à géométrie variable, mais les intervenants du secteur communiquent tous, à des degrés différents, sur la notion de rareté. Jochen Zeitz, CEO de Puma l’a explicitement revendiqué fin 2003 dans le magazine économique suisse Bilan lorsqu’il déclare : « les chaussures Puma ne devraient pas se vendre à chaque coin de rue, elles doivent être rares ». 29 Mais cette quête de la rareté ne contredit-elle pas les impératifs de croissance suscités par des actionnaires qui, notamment dans le domaine du « nouveau luxe », veulent rentabiliser leurs investissements ? Surtout depuis que l’industrie est en partie contrôlée par des groupes de luxe comme LVMH avec Vuitton ou Dior, Richemont avec Cartier ou Dunhill, PPR avec Gucci ou Boucheron qui ne cachent pas leur souci de valorisation de leur cours boursier. « En 2007, toutes les marques du groupe LVMH devraient gagner de l'argent. C'est du moins l'objectif affiché en marge de la présentation, hier soir, des résultats 2006 du numéro un mondial du luxe. Dans un souci d'équilibrer ses activités et ses profits, le groupe cherche à pousser la rentabilité de chacune de ses quelque soixante marques. Déjà, les quelques « moutons noirs » des analystes financiers ces dernières années ont commencé à faire leurs preuves. […] Il s'agit ainsi de prouver le succès de la stratégie de groupe multimarques initiée par Bernard Arnault dans les années 1990. À moyen terme, l'idée est de trouver des relais de croissance et de profits capables de diminuer la dépendance du groupe à l'égard de sa vache à lait Louis Vuitton qui rapporte encore grosso modo la moitié du résultat opérationnel. » 30 La notion de rareté a plusieurs dimensions ; pour les uns, elle se traduit par des produits chers composés de matières premières précieuses ou peu accessibles. Récemment, la notion de rareté est devenue plus virtuelle, reposant sur des pratiques telles que les séries limitées, la distribution sélective ou encore les relations publiques, l’évènementiel, à l’instar de Breitling avec son tour du monde en ballon. Voici l’anecdote : 29 CATRY Bernard, Revue française de gestion, no171, Lavoisier, Cachan, 2007, article « Le luxe peut être cher, mais est-il toujours rare? » pp. 49-63 30 Article du site Le Figaro, « LVMH pousse la rentabilité de ses petites marques » par COLLOMP Florentin, le 15 octobre 2007, consulté le 30 mars 2010 19
  • 20. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours « La Fédération aéronautique internationale parraine cette entreprise extravagante et en fixe les règles. Il s'agit de parcourir d'un trait au moins 26 700 kilomètres - les deux tiers de la circonférence de la planète - en franchissant tous les méridiens, sans moteur à bord. Six équipes sont en lice, avec six ballons différents et six stratégies distinctes.[…] Deux candidats milliardaires, Richard Branson, le flamboyant patron de Virgin, et Steve Fossett, le roi du béton canadien, partis tout fiers de Marrakech, sont déjà tombés avec leur nacelle dans la mer. » 31 Tandis que l’évènement apparaît marquant par sa grandeur, il révèle également la rareté technique des montres Breitling. La marque allie la fabrication de montres et d’instruments de précision pour l’aviation mondiale. 32 C’est autour de ces différents axes que se construit la partie suivante. Elle suit une perception linéaire de la rareté, c’est-à-dire en allant du sens conventionnel et large du terme ; puis j’aborderai la rareté technologique, pour enfin explorer les nouveaux contours de la rareté virtuelle. a. De la rareté naturelle à la rareté virtuelle : la fin de la rareté ? Voici la définition de la rareté proposée par le dictionnaire le Littré : « Petit nombre, petite quantité, par opposition à abondance. La rareté de l'argent. La rareté des hommes après une longue guerre. » 31 Article du site L’Express.fr, « Le tour du monde en ballon » écrit par MONIER Françoise, publié le 14 janvier 1999, consulté le 02 avril 2010. 32 DEQUEANT Frédéric, GARNIER Stéphanie, Dossier Analyse Marketing Cartier, 2004- 2005, document PDF : « En 1884, Léon Breitling ouvre à Saint-Imiez, dans le Jura suisse, un atelier spécialisé dans la fabrication de chronographes et de compteurs de précision pour les sciences et l’industrie. En 1936, Breitling devient fournisseur officiel de la Royal Air Force. C’est le début de la grande coopération avec l’aviation mondiale. En 1976, Ernest Schneider (pilote, fabricant de montres et spécialiste en microélectronique) reprend la marque Breitling de Willy Breitling, petit-fils du fondateur. Plusieurs de ses modèles, tels la Navitimer et le Chronomat, sont devenus des objets-cultes pour les pilotes du monde entier. La marque s’est spécialisée dans les « instruments de poignet » fiables et performants, conçus pour les professionnels les plus exigeants. Ses chronographes, qui répondent aux plus hauts critères de robustesse et de fonctionnalité, et sont tous équipés de mouvements certifiés chronomètres par le Contrôle officiel suisse des chronomètres (COSC), la plus haute référence en matière de précision et de fiabilité. John Travolta est l’égérie de Breitling. » 20
  • 21. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours Cette définition relativement simple de la rareté correspond bien aux critères traditionnels du luxe. « A l’origine du luxe, la rareté naturelle se fonde sur la faible disponibilité de certaines matières premières, de composants ou même de capacité de production. C’est le cas de la joaillerie avec les métaux précieux, ou encore des vins et spiritueux avec la limitation naturelle de la talle des vignobles ou des conditions climatiques. Une politique de rareté naturelle à l’intérêt évident de générer un puissant avantage concurrentiel si l’entreprise peut sécuriser ses approvisionnements. Il s’ensuit que le succès d’une telle politique repose autant sur l’aptitude à négocier et établir des relations à long terme avec des fournisseurs de matériaux précieux, en amont, que sur la capacité marketing de convaincre le consommateur, en aval. » […] « La rareté naturelle relève du caractère provisoire ou partagé de l’indisponibilité de certains matériaux qui avaient pu, à l’origine, construire l’exclusivité d’un produit de luxe. […] La pénurie des composants est l’attribut de l’industrie, pas de l’entreprise qui doit donc en partager les bénéfices avec ses confrères. Cette pénurie est donc une condition nécessaire mais pas suffisante pour sécuriser les marges des maisons concernées. Le défi devient, comme le tente DeBeers dans les magasins qu’il gère avec LVMH en associant régulièrement le cuir aux diamants, de faire en sorte que la marque ajoute quelque chose à la rareté générique du secteur. » 33 Un exemple de rareté classique est Dormeuil. Le spécialiste des draperies de luxe déniche des matières rares et exceptionnelles qui s'adressent au gratin des tailleurs ainsi qu'aux spécialistes de la mode masculine de grand luxe. En 2008, ce fut le Royal Qiviuk _ une matière provenant de la fourrure intérieure du bœuf musqué, animal du grand nord canadien _, vendu 1840 euros le mètre. Ses fibres courtes et fragiles, récoltées à la main par les Inuits, étaient mélangées à la laine super 200s et à du cachemire. 34 Dans une interview pour Monsieur, « le magazine de l’homme élégant » des mois de septembre- octobre 2004, Yann Moix dit : « Quand je vois des mannequins de chez Givenchy, j’ai l’impression que c’est des inaccessibles qui portent de l’inabordable ». 35 Cet homme à tout faire de la culture, à la fois réalisateur (Podium, 2002) et écrivain (son premier roman, Jubilations vers le ciel, reçoit le prix Goncourt du premier roman et le prix François Mauriac de l'Académie française en 1996) montre bien que quelle que ce soit sa position dans la société (homme de 33 IBID 34 BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages, p125 35 AURAY Nicolas, GENSOLLEN Michel, Internet et la synthèse collective des goûts, PDF, 2007, 22 pages 21
  • 22. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours talent, reconnu, médiatique), personne n’échappe à la fascination que la rareté exerce. Les marques l’ont bien compris. Elles continuent donc à cultiver le sentiment de rareté, d’autant plus que cela leur permet d’augmenter leurs tarifs et leurs marges. Les sociétés suivent une stratégie qui consiste à restreindre la distribution de certains produits dans le but de créer artificiellement une survaleur selon le principe que « ce qui est rare est cher ». « Elles cherchent constamment à convaincre leurs publics, quitte à monter en gamme : Cartier a réduit le nombre de ces références dans sa ligne « Must », diminué le nombre de ses points de vente en particulier chez les opérateurs « Duty free », et lancé un département « Private collection » pour les montres de prestige. Gucci a créé une série de sacs et de chaussures sur mesure. Les clientes peuvent choisir le style, la couleur et le type de cuir de ces objets pour un prix relativement élevé. » 36 Pourtant, l’extrait du document de Bernard Catry montre également que les marques ont pour mission de reconquérir le sentiment de rareté. La notion connaît aujourd’hui une large complexification de son sens. Elle implique désormais plusieurs paramètres telle l’augmentation de l’accessibilité aux biens et services partout dans le monde ; de façon tangible, de par la métamorphose des circuits de distribution, et de manière intangible, grâce à Internet. Ainsi, on constate un double phénomène : l’abandon de la rareté du fait de la désintermédiation des produits via Internet et l’exigence de plus d’information de la part du consommateur, dont résulte une plus grande transparence et visibilité des marques et des produits en général. La qualité passe en effet par la connaissance et le savoir associé au produit. En effet, qu’appelle- t-on aujourd’hui « luxe » ? Les auteurs d’un ouvrage de marketing affirment : « Par construction le luxe, étant réservé à une élite, est dès l'origine rare. Rareté et luxe sont donc consubstantiels. A partir du moment où le luxe se démocratise, s'il perd son attribut de rareté, il se sépare de son essence et risque de devenir vulgaire. 37 » Or, Internet a enrichi le débat dans la mesure où il est un réseau informatique et un média 36 CATRY Bernard, Revue française de gestion, no171, Lavoisier, Cachan, 2007, article « Le luxe peut être cher, mais est-il toujours rare? » pp. 49-63 37 BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages, p260 « La distribution doit gérer la rareté » 22
  • 23. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours mondial qui rend accessible au public de multiples services, parmi lesquels le World Wide Web. Grâce au protocole de communication IP (Internet protocol), il favorise donc également l’accès aux choses les plus rares. Par exemple, la connexion au réseau rend possible la commande en ligne, et nombreux sites, notamment ceux de luxe, en profitent pour détailler les qualités du produit. De plus, bien que l’information soit accessible partout, la notion d’effort n’est pas perdue. La recherche sur Internet est presque aussi longue que dans des livres. Malgré l’ouverture sur de grandes possibilités nouvelles, Internet est aussi perçu comme un média qui participe de la dépréciation de la rareté. Pourtant, la qualité de l’information existe. La rareté naturelle s’affaiblit et devient une valeur trop incertaine pour être soutenue par les nouveaux entrants dans le secteur, qui se tournent d’avantage vers une mise en valeur d’une image de rareté et d’exceptionnel par le biais de campagnes de publicité. b. le mass luxury Aux antipodes de la rareté, la démocratisation du luxe atteint son paroxysme à travers le concept de la "mass luxury". Ainsi, aborder la notion de rareté implique une analyse de la redéfinition du périmètre du luxe de nos jours : « Certains acteurs en proposent une version relativement inaccessible : haute couture avec Chanel ou joaillerie avec Boucheron par exemple. D’autres élaborent des produits valorisants mais moins exclusifs : montres Tissot ou stylos Mont-Blanc par exemple. Certains commercialisent des sensations et des plaisirs accessibles, à l’instar des cosmétiques Estée Lauder ou du champagne Mercier. Enfin, chaque année voit apparaître de nouveaux entrants dans le secteur qui, jusqu’à présent été perçus comme exclusivement « mass market » et souhaitent désormais monter en gamme. C’est le cas de Starbuck dans le secteur des cafés, de Ben & Jerry ou Haagen-Dasz pour les glaces, […] marques qui témoignent de l’émergence d’un « nouveau luxe », ou du « masstige » selon l’odieux néologisme à la mode. Ces objets sont bien plus accessibles que ceux du luxe traditionnel, mais moins que ceux proposés au grand public. Bien que leur stratégie repose sur les grands médias et la distribution moderne, ces produits prétendent eux aussi à une image d’exceptionnalité, même relative. » Il faut souligner l’existence de ces catégories émergentes dont on doit tenir compte si l’on veut avoir une vue exhaustive de la conception du luxe au XXIe siècle. La citation exprime la multiplicité dans la manière de concevoir le luxe et la rareté. Le dernier aspect suggère les possibilités de transfert entre les différents secteurs de 23
  • 24. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours consommation et permet d’identifier un mouvement général qui tend à l’horizontalisation des usages et pratiques, c’est-à-dire que l’on passe plus facilement d’un goût à un autre, d’un secteur à un autre : « La frontière entre culture populaire et culture savante aurait tendance à se brouiller. De nombreuses enquêtes montrent l’apparition dans les normes de bon goût d’un éclectisme culturel, le dominant serait devenu culturellement omnivore, et l’omnivoracité serait même devenue une norme de bon goût (par opposition à l’ancien exclusivisme snob). L’édification des frontières symboliques se déplace des objets culturels vers les attitudes, la manière de consommer : le même produit culturel fait plus facilement l’objet de plusieurs lectures simultanées. Aujourd’hui, ceux qui ont adhéré sous l’étiquette "rock and roll" aux styles populaires de musique dans leur jeunesse, y compris aux styles de danse afro-américaines, ont conservé cet engouement à l’âge adulte : ils composent ainsi "la génération Woodstock" et cessent de se normaliser sur une échelle unidimensionnelle. Ils ont des goûts dissonants. » La dernière partie de la citation fait référence à l’émergence de la contre-culture aux Etats-Unis dans les années 1960. 38 Face à la guerre du Vietnam et à une baisse de confiance dans le pouvoir en place, le peuple américain est en proie à un véritable désenchantement de ses valeurs autrefois si solides. Mais dans le creux de la vague, une nouvelle culture apparaît, elle est issue de l’histoire du multiculturalisme aux Etats-Unis, ainsi qu’à la montée de la contestation qui s’établit peu à peu comme nouvelle valeur. Pourtant, la contre-culture va elle aussi venir envahir la culture de masse. Par exemple, Elvis Presley qui incarnait le rock et la rébellion, devient rapidement un emblème pour les foules. Ses disques sont vendus à des millions d’exemplaires. Bien sûr l’invention du disque microsillon facilite sa diffusion au large public. On peut présumer la même chose avec Internet. Si j’ai laissé entrevoir le rôle d’Internet comme nouveau média de communication, de marketing et même de distribution dans la fin de la rareté, il faut également étudier les répercussions des innovations sur l’avenir du luxe. c. la rareté technologique Les apports des nouvelles technologies sont si rapides et impressionnants quelles constituent des raretés à elles-seules. Loin de la tradition et de l’héritage, qui sont pourtant des valeurs chères au luxe traditionnel, la technologie est en train de devenir une denrée rare pour le luxe ! On peut 38 Pour plus de renseignements à ce sujet, consulter : KASPI, André, Les Américains, tome2 : Les Etats-Unis de 1945 à nos jours, Seuil, Paris, 2008, p344à 761  24
  • 25. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours même dire que les deux univers sont inextricables : "Le luxe étant à la fois intemporel et actuel, doit toujours mêler tradition et innovation, c'est même souvent lui qui est à la pointe de l'innovation, ses clients en étant friands et l'absence de la contrainte du prix le permettant : l'innovation est toujours coûteuse au début." 39 D’après la citation, la notion de luxe contient une valeur de dépassement et de renouvellement qui implique qu’elle s’articule parfaitement avec les nouvelles technologies. En se tournant vers le passé, on s’aperçoit que c’était le cas dès l’entrée des nouvelles technologies au cœur de la société : « Fondé en 1925 par deux ingénieurs Danois, B&O s'est toujours voulu à la pointe du design et de l'innovation technique. Jusque dans les années 70, le succès a été au rendez-vous : les produits étaient à la fois des objets au design exceptionnel (entrée au MOMA) et des produits à la pointe de la technologie. » De par le côté fascinant, et au-delà de toute logique rationnelle (le travail sous-jacent semble incommensurable à l’échelle d’un individu) chaque invention est susceptible d’enrichir l’aspect d’un produit luxueux. En effet, être à la pointe du progrès c’est se permettre une complexité technique maximale. Ce critère entre en jeu de la phase de conception, réalisation par un maître d’œuvre, à celle de l’appropriation par l’usager. Le savoir-faire de fabrication, le processus de commercialisation, la capacité d’atteindre des niveaux exceptionnels de qualité sont importants. Par exemple, Valmont utilise des plantes de montagnes pour produire en Suisse des cosmétiques de haut de gamme. Leur rareté est plus fondée sur la technologie de fabrication que sur la disponibilité des plantes elles-mêmes. Le techno-luxe permet donc un retour aux produits de haute qualité. De surcroît, la finesse du techno-luxe est de pouvoir faire preuve d’une transparence absolue. Cela revient en fait à jouir pleinement du progrès, sans avoir à s'en préoccuper ! Certains objets utilisés au quotidien peuvent se transformer en vrais bijoux. C’est le cas du téléphone mobile Vertu de la marque du constructeur finlandais Nokia. C’est une division orientée luxe appartenant à Nokia, composée principalement de designers et d’ingénieurs. Le parti pris de ne pas attribuer le nom de Nokia est d’ailleurs un choix stratégique du constructeur, afin de délimiter la gamme 39 BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages, chapitre 13 : Les business modèles du luxe, "Luxe et innovation permanente : le business modèle high-tech" p331 25
  • 26. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours luxe de Vertu. Par ailleurs, cette marque n’est pas distribuée au travers de « simples » magasins d’électroniques ou d’opérateurs téléphoniques, mais seulement par l’intermédiaire de bijouteries. « La marque Vertu propose des modèles de très haut standing, notamment composés et/ou intégrant des matières ultra nobles telles la platine, l’or, le cuir, les diamants. Les prix sont bien évidemment en conséquence puisqu’un modèle Vertu peut s’échanger contre plus de 30 000 euros (pour les modèles les plus coûteux). » 40 Les lourds investissements en Recherche et Développement demeurent un handicap qui peut néanmoins être rattrapé si l’on s’efforce d’améliorer la structure des coûts. L’enjeu se reporte alors sur la productivité de la fabrication et le coût de revient de cette technologie. La rareté technologique repose alors sur l'utilisation d'ingrédients et processus de fabrication complexes et a pour résultat de limiter le volume des ventes. « Si l’innovation technologique trouve un écho favorable sur le marché, la concurrence cherchera à suivre, annulant ainsi l’avantage acquis par la firme innovante si elle n’est pas protégée par un savoir exclusif ou des brevets. » 41 Le techno-luxe doit s’encadrer d’une législation adaptée à la précision et au savoir technique, mais ces problématiques rejoignent celles bien connues du savoir-faire artisanal du luxe traditionnel. La reconnaissance de l’inventeur ou d’un constructeur est pareille à celle du créateur dans l’univers de la mode par exemple. Un des enjeux pour réussir à se distinguer par l’innovation est de maîtriser parfaitement les moyens de production. En voici un exemple : « La Trilogie des Grands Crus domine la gamme des champagnes Moët et Chandon maintenant que Don Pérignon est devenue une marque plus indépendante dans la société. Alors que la plupart des champagnes sont élaborés à partir d’un mélange de récoltes dans la région, la Trilogie repose sur un seul prestigieux cépage pour chacune de ses trois appellations : les « Vignes de Saran », « Les Champs de Romont » et « Les Sarments d’Ay ». Seules quelques 15000 bouteilles de chaque vin sont commercialisées, uniquement par l’intermédiaire de restaurants prestigieux : une innovation de production porteuse d’image. » 40 Site Génération Nouvelle Technologie, Article « Vertu, la division luxe de Nokia : demande très élevée » par Laurent T. , le 18 août 2006, consulté le 17 avril 2010   41 CATRY Bernard, Revue française de gestion, no171, Lavoisier, Cachan, 2007, article « Le luxe peut être cher, mais est-il toujours rare? » pp. 49-63 26
  • 27. Partie 1 : Histoire politique, sociale et culturelle du luxe de 1700 à nos jours Si l’on est ici loin des enjeux liés aux nouvelles technologies, on peut penser que la production de champagne requiert tout de même un savoir singulier. C’est l’expression d’un terroir allié à la finesse d’une production d’exception. On peut dire qu’il existe un parallèle entre les technologies de pointe et les exigences de qualité et d’innovation requises par le luxe. En outre je pars du présupposé que nos envies et la quête du plaisir est une expérience de plus en plus individualisé. La contrainte de la rapidité d’acquisition et la volonté de plus d’information de la part des consommateurs laisse présager un avenir tourné vers les apports d’Internet et ses services. D’après certains le sentiment de rareté est bafoué par Internet. Voici un résumé des présupposés communs auxquels on rattache le luxe : « La diffusion perçue tue le rêve via la perte d'exclusivité, donc la perte du ressort social du luxe, et de la tension du désir de l'autre. Il faut donc réduire la diffusion, accroître les obstacles à l'accès à la marque. Cela passe d'abord par la hausse forte des prix : elle fait le tri entre les vrais et faux clients du luxe, ceux qui cherchent du sens et ceux qui consomment du signe, aujourd'hui de cette marque, demain de telle autre, en fonction des modes. Cela passe aussi par une réduction de la distribution, la hausse de la sélectivité, des exclusivités offertes aux clients, etc. » 42 De mon point de vue, je retiendrai que c’est finalement l’expérience du luxe qui compte. Alain Etchegoyen, « un château Yquem n’est ni inabordable, ni réduit à un seul exemplaire, mais la bouteille, la robe, l’étiquette, la concentration qu’il exige en dégustation, l’imaginaire, le sucre, le soleil, l’invasion du palais, toutes ces sensations disent le luxe ». On peut se procurer à sa guise une bouteille d’un grand nom de domaine via Internet, mais cela ne remet pas en question la qualité du produit commandé, qui reste détenteur de tout son charme. L’expérience vécue avec et grâce au produit (de par sa qualité de fabrication, etc.) reste prioritaire. En l’occurrence, Internet facilite cette expérience. 42 BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages, Chapitre 6 : Développer le capital de la marque "Construire et préserver le rêve", p168 27
  • 28. Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet C. Le rêve agrégateur d'Internet et du luxe Dans une conférence de Presse, Georges Pompidou aura une de ces formules qui marquent cet exercice toujours très attendu : « Chère vieille France… La bonne cuisine… Les Folies Bergère… Le gai Paris… La Haute couture, les bonnes exportations… Du Cognac, Du Champagne et même du Bordeaux et du Bourgogne… » Puis après un court silence durant lequel il remue le doigt en signe de négation, il ajoute : « C’est terminé ! La France a commencé et largement entamé une révolution industrielle ! ». Car la France de Pompidou, c’est la France qui met en projet le TGV en 1974 peu de temps après la mort du président, la filière Airbus, le programme Ariane, le supersonique Concorde, le nucléaire civil dynamisé après les chocs pétroliers. Cette époque a bouleversé l’imaginaire et la symbolique d’un objet de luxe. Du rang de sacré il s’est aligné au banc du consumérisme et est devenu un simple objet en série. Pourtant l’homme continue de vouloir du rêve, et se projette dans des univers qui assouvissent son désir d’individualité. A ce sujet le sociologue Gilles Lipovetsky écrit : "N’ayant plus foi en un avenir qui serait mécaniquement meilleur et plus juste, il reste pour les individus, l'espoir d'un mieux être, la fête des sens, l'attente des beautés qui nous sortent de la grisaille du quotidien. Le luxe n'est plus la part maudite, mais la part du rêve, de l'excellence et du superlatif dont l'homme a besoin." Selon une étude de la "société Ipsos France" sur les hauts revenus 2005, le luxe serait avant tout associé à un plaisir personnel (55%) destiné à éviter une forme de désœuvrement. Le luxe interviendrait comme une alternative à l'oisiveté, comme un divertissement au sens pascalien. 43 Selon Pascal, le divertissement revient à se détourner de sa solitude car se retrouver seul face à soi-même a un côté inquiétant : « Le silence des espaces infinis m’effraient. » Ainsi, il est commun de retenir deux lectures différentes sur le luxe. D’une part, certains ont un regard péjoratif sur l’univers du rêve cultivé par le monde du luxe car ils croient au présupposé que cette réalité autre vise à nous faire croire que posséder des biens participent au bonheur. D’autre part, l’onirisme intrinsèque à l’image du luxe peut devenir créatif et novateur lorsqu’il est 43 CASTAREDE Jean, Histoire du luxe en France, Des origines à nos jours, Marsat, Eyrolles, 2007, 377pages, partie III « Embourgeoisement et démocratisation du luxe », chapitre 8 « Le luxe du XXème siècle entre démocratie et innovation », p357 28
  • 29. Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet conjugué à l’univers virtuel d’Internet. a. Le rêve impossible sans la notoriété Pour faire rêver leur client, les plonger dans un univers à part, singulier, qui les sort de leur quotidien, les marques doivent cultiver une image du succès. Leur réputation et leur notoriété doivent être connues de tous. Les grandes maisons ont la possibilité de mettre au service de la création des moyens largement supérieurs à ceux dont disposent de petites entreprises. Tout le monde ne peut pas miser trois, cinq ou dix millions de francs sur tel ou tel niveau de création. De plus, la création peut prendre du temps : certaines entreprises ne prennent que six mois pour concevoir un parfum, mais Hermès va prochainement mettre en vente un nouveau parfum masculin qui est en préparation depuis sept ans. Il faut avoir les moyens d’attendre ! Etant donné que la médiatisation est essentielle à la notoriété, Internet joue désormais un rôle fondamental dans la diffusion de cette image. Il favorise donc le rêve. Il permet une notoriété à faible coût et avec une grande qualité d'exécution. En effet, pour une petite marque, un site très qualitatif constitue un renfort considérable de la stratégie de "buzz". Le premier principe des outils de buzz est d’être collaboratif : « Le buzz c’est une nouvelle approche du marketing. C’est tout simplement le « bouche à oreille », le média le plus puissant du monde. On l’appelle plus communément « buzz », qui signifie bourdonnement en anglais. Le message sera diffusé par les internautes eux-mêmes. L’effet du message est donc décuplé, l’utilisateur devient un leader d’opinion. » 44 De fait, ce sont d’excellents détecteurs de tendance. Wikio 45 par exemple est un portail d’informations qui fouille dans les sites de presse et dans les blogs pour trouver l’actualité qui vous intéresse. Il existe donc une partie « presse » et une autre qui permet de connaître les blogs intéressants sur tout type de thématique ou secteur d’activité. Cependant, la renommée d’une marque peut se retourner contre elle-même. Parmi les grandes marques nombreuses sont victimes de la contrefaçon. C’est notamment un des risques encourus 44 Glossaire « Luxe, web et nouvelles technologies » 45 http://www.wikio.com il existe différentes éditions de Wikio dans le monde 29
  • 30. Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet par Internet. "Sur EBay, beaucoup d'offreurs vendent en réalité des contrefaçons : c'est pourquoi les marques ayant signé le protocole vero peuvent faire supprimer de ce site des offres dont la provenance n'est pas assurée. LVMH a obtenu une sévère condamnation d’eBay pour la vente de produits Louis Vuitton contrefaits en juillet 2008. Chose intéressante, le préjudice a été calculé à partir de nombre de clics et du manque à gagner en royalties si ces produits avaient été authentiques." 46 C’est également le résultat de la large médiatisation du luxe et de sa tendance à la démocratisation. Le phénomène des stars illustre bien cette tendance à la médiatisation et la démocratisation du luxe. Edgar Morin propose une réflexion intéressante sur le rapport que l’on entretient avec elles. « Comme tout culte spontané et naïf mais entretenu par ceux qui en profitent, le culte des stars s’épanouit en fétichisme. L’amour impuissant veut se fixer sur un fragment, un symbole de l’être aimé, à défaut de sa présence réelle, par exemple les photographies, présences-fétichistes universelles du XXe siècle. 47 » « En outre, la star marchandise ne s’use ni ne se dépérit à la consommation. La multiplication de ses images, loin de l’altérer, augmente sa valeur, la rend plus désirable. Autrement dit, la star demeure originale, rare, unique, lors même qu’elle est partagée. Très précieuse matrice de ses propres images, elle est ainsi une sorte de capital fixe. […]La star est comme l’or, matière à ce point précieuse qu’elle se confond avec la notion même de capital, avec la notion même de luxe (bijou) et confère une valeur à la monnaie fiducière. » […] Elle est aussi comme des produits manufacturés dont le capitalisme, devenu industriel, assure la multiplication massive. Après les matières premières et les marchandises de consommation matérielle, les techniques industrielles devaient s’emparer des rêves et du cœur humain : la grande presse, la radio, le cinéma nous révèlent dès lors la prodigieuse rentabilité du rêve, matière première libre et plastique comme le vent qu’il suffit de former et de standardiser pour qu’il réponde aux archétypes fondamentaux de l’imaginaire. » 48 L’image de luxe que nous renvoient les stars dans les magazines people sont effectivement des mini représentations qui peuvent servir de modèle pour certaines jeunes personnes influencées par des looks, des styles de vie, des paroles. L’invasion des célébrités, notamment sur le marché des cosmétiques est significative du désir de projection des individus. Les ambassadrices de 46 BASTIEN Vincent, KAPFERER Jean-Noël, Luxe oblige, Paris, Eyrolles, 2008, 383 pages, Chapitre 11 « Manager le rêve par la communication », "Contrefaçon et Internet" p 177 47 MORIN Edgar, Les Stars, Evreux, Editions du Seuil, 1972, 188 pages, « La liturgie stellaire » p83 48 IBID « La star marchandise » p100 30
  • 31. Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet l’Oréal par exemple, sont l’incarnation d’un mode de vie, de valeurs ; elles apportent de la modernité au produit et génèrent de la projection. On observe donc à la fois une volonté de proximité avec le consommateur et d’offrir du rêve, du divertissement à une échelle plus collective via l’imaginaire que représentent les stars. b. Internet et le rêve d’authenticité Les marques de luxe ont le choix entre une communication forte s’adressant à un public assez large, ou une faible communication destinée à une élite. Néanmoins, on peut aussi dire que chaque objet luxueux réclame une communication particulière et abondante. L’univers du luxe oscille entre deux tendances : la tentation de l’ostentatoire et celle d’un luxe plus culturel, valeur d’accomplissement de soi. Aujourd’hui il est clair que l’affirmation du luxe comme signe extérieur de richesse a perdu sa superbe. Depuis plusieurs années déjà, la communication des marques de luxe utilise la sociologie et l’éthique. Le luxe est désormais fondé sur l'épanouissement de l'être, à la fois moral, physique et spirituel. Ce n'est plus un objet (comme avant) mais une nouvelle manière d'être comme l’exprime cette citation de Jean Castarède : « Nos aspirations profondes sont elles-mêmes liées au désir de luxe. L'homme, cet être insatisfait, poursuit en rêve un but inaccessible qui l'aide pourtant à progresser. Le luxe est aussi une forme de dépassement, source de progrès et donc incitation à obtenir d'avantage ou à être meilleur. [...] la créativité, l'innovation reposent sur cette volonté de l'homme d'aller toujours plus loin et de ne pas se contenter de la satisfaction 49 des besoins immédiats. » Le concurrent du luxe au XXIe siècle c’est la communication authentique, celle qui veut se rapprocher d’un savoir éternel. "Les années 1980 ont été celles de l'argent facile, du clinquant, du frivole et parfois de l'imposture. Les années 1990 seront celles du retour au sérieux, au simple et à l'authentique. Le grand banquet matérialiste est terminé. Les consommateurs n'achètent plus pour la galerie. Tous les secteurs sont touchés : dans la publicité, la gastronomie, et même dans l'art ou la littérature, les français récusent le bluff et retournent aux vraies valeurs" 50 49 CASTAREDE Jean, Le Luxe, Que sais-je ? 2007, 128 pages, p8 50 IBID, Le Point, 16 novembre 1991, n°1000 31
  • 32. Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet Jean Castarède exploite les résultats d’une étude de la COFREMCA pour montrer les métamorphoses dans le secteur. Le luxe met en avant la créativité et s’appuie sur le choix personnel guidé par une communication intelligente et de bon goût. "Quelque chose a changé dans la tête des français. Moins capricieux, plus experts, plus exigeants, ils dépensent autrement, et recherchent des produits simples, pratiques 51 , En amont, l'acte d'achat implique une connaissance, du goût, et un choix délibéré. En aval, on attend de lui un enrichissement au même titre qu’avec la culture. La consommation devient alors une sublimation. 51 IBID, n°2105 32
  • 33. Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet PARTIE 2 : Marketing et image du luxe sur Internet     Après des débuts hésitants, les maisons de luxe se sont finalement positionnées sur la toile, pour y tisser leur univers virtuel et resserrer les liens avec une clientèle de plus en plus « cyberphile ». Comment les Maisons de luxe gèrent-elles leur image, leur distribution et leur relation clients à l’ère de la mobilité interactive ? Dans cette partie on étude dans un premier temps le portrait de l’internaute du luxe afin de comprendre les enjeux sociologiques du goût, à savoir : est-ce que l’internaute peut avoir des goûts de luxe ? On croyait que les consommateurs de produits de luxe sont par essence des être privilégiés faisant partie d’une élite. Mais ces maisons de luxe ne permettent pas aux élites de faire vivre l’économie de luxe. C’est pour cela que les marques orientent leurs images et leur discours vers le grand public qui peut lui aussi faire parfois des excursions dans l’univers du luxe. Ensuite on évaluera les risques à prendre pour une maison de luxe à s'imposer sur la toile ainsi que les avantages du côté des annonceurs à communiquer via le web. La thèse avancée sera que les valeurs et moyens propres aux médias sociaux sont adaptés à la vente ou, du moins, à la visibilité d’une marque de luxe sur Internet, dans la mesure où le luxe peut aujourd’hui s’adresser à tout le monde. A. Connaître le consommateur : les enjeux du webmarketing Dès qu’il y a interchangeabilité, banalisation, destruction par la consommation, le luxe peut se heurter à un risque existentiel, c’est-à-dire à une consommation plus banalisée. Les deux termes ont un commun dénominateur comme la définition de Baudrillard : « on n’achète pas un objet mais un signe » 52 . On quitte l’univers matériel pour entrer dans l’univers symbolique. Et c’est cette osmose de l’un et de l’autre, cette interaction de l’un sur l’autre qui donne sa spécificité au luxe. Dans cette situation, comment se fait-il que les marques de luxe gardent leurs aspects d’inaccessibilité, de désir, de rêve, avec un taux de pénétration d’environ 60% ? Quand les 52 ECO Umberto, « Sémiologie des messages visuels », in Communications, n°15, Paris, Seuil, 1970, p.11-51 33
  • 34. Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet marques de luxe arrivent à la production de masse, elles ne peuvent pas insister dans la même logique de marché. Donc ce secteur a changé de système, mais il est encore dans une logique très élitiste. Il est néanmoins vrai que la perception des marques de luxe évolue. a. Portrait du consommateur du luxe sur Internet Pour devenir un marché de masse, le luxe s’adapte à une nouvelle logique et passe à la vitesse supérieure en matière de connaissance de la clientèle. Dans Système de la mode, Roland Barthes explique que : « La mode apparaît essentiellement – et c’est la définition finale de son économie – comme un système de 53 signifiants, une activité classificatrice, un ordre bien plus sémiologique que sémantique ». A cet égard, on peut parfaitement appliquer cette explication au luxe. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, leurs stratégies de marketing moderne se focalisent sur leur volet électronique. Les marques de luxe sont en mesure de mieux répondre aux attentes de leurs clientèles, elles utilisent leurs sites Internet pour créer un lien avec leurs clients, pour les tenir informés des nouvelles collections, des ouvertures de boutiques ou tout simplement de l’actualité de la marque. « Votre adresse IP, les mots clés que vous avez saisis pour trouver le site de réservation, les sites que vous avez visités, votre destination, toutes ces informations ont été analysées pour déterminer quelle publicité pourrait vous intéresser… Avec le développement de la géolocalisation (fonctionnalités GPS incluses dans les téléphones couplés à un accès Internet), la publicité sera à l’avenir ciblée au plus près de l’internaute. »54 Ce qui a poussé les marques de luxe à développer un site moderne, ce n’est justement pas la notoriété de la marque, qui n’est plus à faire, mais bien son image. Certes, l’Internet est aujourd’hui encore un vecteur de modernité pouvant aisément contaminer favorablement la marque qui s’y présente. Le site Web induit de nouveaux comportements d’achat et amène de nouveaux consommateurs aux marques de luxe. Un site Internet, c’est d’abord une vitrine ouverte 53 EVERAERT-DESMET Nicole, La communication publicitaire : étude sémio-pragmatique, Louvain-la-Neuve, Cabay, 1984, 307p. 54 Article du site CNIL, Marketing ciblé sur Internet : vos données ont de la valeur, PEYRAT Bernard, le 5 février 2009, consulté le 26 novembre 2009 34
  • 35. Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet 24h sur 24, accessible partout dans le monde, visible par n’importe qui. Tout le monde peut rentrer dans cette boutique virtuelle. Depuis plusieurs années, toutes ont pour cible les mêmes 18-25 ans et pour obsession le rajeunissement de leur clientèle et de leur image. Certes, le pouvoir d’achat et la puissance de prescription des jeunes augmentent. Ils consomment du luxe avec appétit, comme tout le reste, zappant volontiers d’une marque à une autre. Par ailleurs, les marques de luxe se présentent sur l’Internet, en comptant sur l’audience des jeunes générations riches qui utilisent les nouvelles technologies et sont de plus en plus attirées par les objets de luxe. Mais elles misent à présent aussi sur l’arrivée dans leurs boutiques de nouveaux clients qui auront effectué une visite préalable sur leur site Internet. De l’autre côté, les clients habituels ont aussi à leur disposition une information plus précise et connaissent donc mieux les produits. Ils peuvent aussi bénéficier de services particuliers. En ce qui concerne les jeunes millionnaires sur Internet, citons une rubrique de CB News « spécial luxe » 55 : « de jeunes millionnaires branchés sur Internet et animés par une furieuse envie de dépenser en ligne. Reste que du côté des maisons de luxe, on hésite à franchir le cap. Ils sont jeunes. Ils sont riches. Ils sont connectés. Millionnaires en euros et en dollars, ils ne demandent qu’à combler leurs besoins. Ils vivent dans des pays matures ou émergents et ont une valeur commune : l’épicurisme. Pas question donc de s’embourber dans des questions de délais ou de déplacement. Quoi de plus simple pour eux que de céder au plaisir d’effectuer leurs achats d’un simple clic, confortablement installés devant leur écran de PC ? Pour la marque Lancôme, la vente en ligne représente aujourd'hui 1 % des revenus de la marque de produits de beauté. Mais l'attitude et la confiance des clientes Internet évoluent, et Lancôme espère en tirer partie. 56 Du côté des grandes maisons, on hésite encore à franchir le pas de la vente en ligne. Ce n’est pourtant pas l’envie qui manque du côté des cyberconsommateurs. Pour preuve, aux Etats-Unis, 55 FAURE Blandine, « L’optimisation de l’impact des affiches publicitaires », in Ecrit, image, oral et nouvelle technologies, Actes de séminaire, 1993-1994, Sous la direction de Marie-Claude VETTRANO- SOULARD, Université Paris VII, p.54-67. 56 Site Journal du net, article « E–COMMERCE, Lancôme pense aux achats d'impulsion en ligne » par ARNAL Philippine, le 22/06/2004 35
  • 36. Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet ils seraient 91% de « nouveaux riches » à surfer régulièrement en ligne 57 . Mieux 76% se seraient déclarés prêts à acheter au moins un produit de luxe au cours de l’année 2002. Du côté européen, le chiffre n’est pas mal non plus. Il y a moins d’un an, ils étaient ainsi 48% à prévoir des achats haut de gamme on line dans les mois à venir 58 . Et contrairement aux idées reçues, les jeunes nababs du Net ne seraient pas plus difficiles à contenter que la moyenne des acheteurs : environ 90% d’entre eux seraient satisfait de leurs récentes acquisitions sur la Toile. Comment se rendre compte alors des besoins de cette population désireuse de dépenser sur le Net ? Pour Simon Nyeck, professeur associé au département marketing de l’ESSEC, les sites de luxe doivent s’axer sur les exclusivités, le côté pratique et la facilité. « Dans cette logique, il faut des rubriques précises, affirme le professeur de l’ESSEC. Les portails doivent aussi avoir un certain design et posséder des animations en 3D pour permettre aux visiteurs d’observer la 59 marchandise. » Les marques tentées par l’expérience n’ont plus qu’à s’exécuter. Mais nul doute que la route sera longue avant que les jeunes internautes voient leurs attentes mercantiles comblées par la fée Internet. Finalement on sait qu’il n’y a pas qu’une seule sorte de clients des marques de luxe. Le produit de luxe, parce qu’il n’est pas très inaccessible, est l’objet d’une très forte communication, et l’arrivée d’Internet va sans doute amplifier le phénomène. C’est la raison pour laquelle on parle si souvent de « démocratisation du luxe » au niveau de la communication. Dans cette situation de démocratisation du luxe, est-ce que le luxe peut être indépendant dans la société ? Quelles relations existe-t-il entre le contexte social et les marques de luxe ? 57 FLOCH Jean-Marie, « La génération d’un espace commercial », in Actes sémiotique – Documents, IX, 89, 1987. 58 FLOCH Jean-Marie, «Kandinsky : sémiotique d’un discours plastique non figuratif », in Communications, n°34, Les ordres de la figuration, Paris, Seuil, 1981, p.135-158. 59 FLOCH Jean-Marie, Identités visuelles, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, 220p. 36
  • 37. Partie 2 : Marketing et image du luxe sur Internet b. D’où vient l’internaute du luxe ? La question de l’origine sociale du consommateur de produits luxueux apparaît cruciale dans la compréhension des usages et pratiques liés au luxe sur Internet. Quelles sont les habitudes de consommation des internautes et sont-elles compatibles avec celles du luxe ? Longtemps, la thèse du sociologue Bourdieu selon laquelle l’individu est déterminé par sa classe sociale 60 a dominé la pensée sociologique en France. Bernard Lahire revisite les enquêtes et les théories développées par Pierre Bourdieu dans La Distinction : critique sociale du jugement pour mener une réflexion sur la compréhension sociologique des pratiques culturelles et, plus largement, des styles de vie. Il brosse le tableau de la situation culturelle considérée à l’échelle individuelle (en utilisant l’approche statistique et l’analyse de cent onze entretiens présentés sous forme de portraits). Il revient alors de manière détaillée sur les raisons principales des variations intra-individuelles : les mobilités sociales, scolaires ou professionnelles, les contraintes et influences relationnelles (celles des pairs, du conjoint(e), des collègues de travail), la baisse d’intensité de la croyance en la culture littéraire et artistique. Bernard Lahire montre que l’existence d’habitus culturels en tant que systèmes cohérents de dispositions, n’est pas ce qu’il y a de plus fréquent statistiquement. L’individu serait multidéterminé par des expériences sociales qui l’influencent tout au long de la vie. « Les variations culturelles intra-individuelles dépendent de l’ensemble des petits ou des grands écarts culturels entre les différentes influences culturelles passées (plus ou moins fortement incorporées sous la forme de dispositions et de compétences culturelles) et présentes. 61 De façon générale, on peut dire qu’Internet favorise la multiplication et la variété de nos achats, quelque soit notre classe sociale. L’essayiste français Gilles Lipovetsky nomme ce type de comportement le «turbo-consommateur » et le décrit ainsi : 60 BOURDIEU Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement, Paris, Les Editions de Minuit, 1979, 670 pages, Chapitre 3 « La dynamique des champs », « La correspondance entre la production des biens et la production des goûts » p257 "L'accord qui s'établit ainsi objectivement entre des classes de produits et des classes de consommateurs ne se réalise dans les consommations que par l'intermédiaire de cette sorte de sens de l'homologie entre des biens et des groupes qui définit le goût : choisir selon ses goûts, c'est opérer le repérage de biens objectivement accordés à sa position et assortis entre eux, parce que situés en des positions grossièrement équivalentes de leurs espaces respectifs, films ou pièces de théâtre, bandes dessinées ou romans, meubles ou vêtements, aidé en cela par des institutions, boutiques, théâtres (de rive droite ou de rive gauche), critiques, journaux, et hebdomadaires, que l'on choisit d'ailleurs selon le même principe et qui, étant définies par leur position dans un champ, doivent elles-mêmes faire l'objet d'un repérage distinctif. » 61 LAHIRE Bernard, Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, 2006 37