"Du bon usage des badges" - Essai sur la Gamification par Josselin Perrus
1. DU BON USAGE DES BADGES
A PPORTS DE LA GAMIFICATION AU DESIGN
D ’ EXPERIENCE UTILISATEUR
Josselin Perrus
Juin 2011
2. DU BON USAGE
Josselin Perrus
DES BADGES
I NTRODUCTION
Quelques success stories comme Foursquare, Zynga (éditeur de Farmville),
Playfish, combinées à une théorisation par quelques figures internationales (voir
par exemple les conférences de Jessie Schell, Jane McGonigal ou Seth Priebatsch)
ont donné jour à un terme très en vogue depuis quelques mois : la gamification.
La migration du concept du domaine des expériences ludiques vers
« L’objet n’est plus de
les sphères du web et du marketing a donné lieu à l’apparition de
pratiques bien spécifiques que Margaret Robertson a désignées sous le
construire un jeu à
terme de pointification. L’objet n’est plus de construire un jeu à proprement parler
proprement parler mais de générer de l’engagement en utilisant des mais de générer de
mécaniques issues du domaine du jeu, à savoir les scores, les badges l’engagement en
et les leaderboards. Il s’agit de mettre en place des mécaniques de
utilisant des
récompenses incitatives comme le font les Frequent Flyer Programs
des compagnies aériennes. Des sociétés se sont mêmes développées
mécaniques issues du
autour de la vente de solutions clé en main pour gamifier un service domaine du jeu »
ou un site web.
D’abord présentée comme une solution miracle à l’engagement des utilisateurs, on
reconnait aujourd’hui l’insuffisance d’une approche uniquement basée sur des
motivations extrinsèques, c’est-à-dire des motivations liées à une récompense qui
vient sanctionner le résultat d’une action, comme le sont donc les badges et les
scores. Par opposition aux motivations intrinsèques dont la récompense est liée à la
performation de l’action elle-même : le plaisir simple pris à taper dans un ballon ou
à rouler à vélo par exemple.
Le succès de ces dites mécaniques de jeu relève donc plus du phénomène de mode
que d’une pratique aux fondements solides. Les badges et les scores constituent
cependant des briques au service du design de l’expérience utilisateur. Mais pour
le comprendre il faut abandonner le cadre de pensée de la gamification et opérer
un renversement de perspective.
La rédaction de ce dossier fait suite à une conférence donnée lors du Lift@Home sur le sujet
de la gamification organisé par Nicolas Nova, que je tiens à remercier pour m’avoir donné
l’opportunité d’organiser et présenter mes réflexions. Cette intervention est disponible sous
forme de slidecast.
2
3. DU BON USAGE
Josselin Perrus
DES BADGES
A PROPOS DE L ’ AUTEUR
Josselin Perrus Designer d’expériences, avec un intérêt particulier pour
l’utilisation des médias sous des formes interactives,
participatives ou ludiques.
Rédacteur sur les blogs Fais Moi Jouer ! et Meaning
Fool, traitant du jeu sous toutes ses formes, qu’il soit jeu
vidéo, jeu de plateau, jeu urbain ou jeu tangible, qu’il
soit à visée récréative, éducative, artistique ou
journalistique.
Créateur du projet participatif Paris en brèves qui met
en valeur les différents imaginaires de Paris (historique
ou anecdotique, littéraire, cinématographique et plus
généralement artistique) au travers de brèves géo-
localisées.
Liens http://meaningfool.net/
http://www.faismoijouer.com/author/josselin/
http://parisenbreves.fr/
Contact josselin.perrus@gmail.com
@nonils sur Twitter
3
4. DU BON USAGE
Josselin Perrus
DES BADGES
S OMMAIRE
La gamification comme outil de contrôle ............................... 5
Les outils d’une Social Intelligence ......................................... 6
Le ratio S/B d’un service web .......................................................................................6
Aider la décision ..............................................................................................................6
Les indicateurs sociaux ...................................................................................................7
Utiliser les indicateurs algorithmiques ................................... 8
Hiérarchiser et catégoriser .............................................................................................8
Bien choisir ses indicateurs ............................................................................................9
Les pièges à éviter ...........................................................................................................9
Indicateurs hiérarchiques ...........................................................................................9
Indicateurs de catégories ..........................................................................................10
La dimension réflexive des indicateurs sociaux .................. 11
Conclusion ................................................................................. 12
4
5. DU BON USAGE
Josselin Perrus
DES BADGES
L A GAMIFICATION : UNE ATTITUDE DE CONTROLE
Pour un éditeur de service web, la gamification repose sur une approche en 3
étapes :
1. Identifiez un comportement que vous voulez favoriser (création de
contenu, notation, visite régulière du site, interactions entre individus,…)
2. Créez une métrique qui permette d’évaluer la performance de chaque
utilisateur : nombre de billets, commentaires, review, checkin postés, taux
de retour sur le service, nombre d’interaction avec d’autres membres,…
3. Usez d’une mécanique de jeu sur la base de cette métrique pour entraîner
un comportement maximisateur chez l’utilisateur.
Cette approche peut être reformulée de la manière suivante :
1. Provoquez chez l’utilisateur un comportement maximisateur
2. Selon des indicateurs que vous lui imposez
3. En le motivant au moyen de récompenses extrinsèques
Cette proposition évoque étrangement celle que pourrait faire une entreprise à son
commercial dont elle voudrait voir augmenter les ventes (comportement à
maximiser) en lui proposant un bonus (récompense extrinsèque) indexé sur le
chiffre d’affaire généré (indicateur imposé).
La gamification est donc un moyen par lequel l’éditeur cherche à conformer le
comportement de ses utilisateurs à ses propres besoins, plutôt que de chercher à
satisfaire les leurs. C’est pour cette raison qu’elle a été rapprochée des expériences
de conditionnement du comportement notamment menées par le professeur
Skinner dans les années 50. Cette attitude orientée “contrôle” entre
« Entre gamification et
en opposition frontale avec les approches user-centric en usage dans
le design d’expérience et le design d’interface. design centré utilisateur
il faut choisir. »
Entre gamification et design centré utilisateur il faut donc choisir.
L’abandon de la gamification ne signifie pas pour autant qu’il faut rejeter en bloc
les badges et scores. Pour se convaincre de leur utilité il faut cependant revenir à
leurs qualités premières et cesser de les considérer comme des récompenses.
5
6. DU BON USAGE
Josselin Perrus
DES BADGES
L ES OUTILS D ’ UNE S OCIAL I NTELLIGENCE
Le ratio S/B d’un service web
L’avènement d’un web social est celui d’un web où les individus interagissent les
uns avec les autres. Les uns avec les autres, mais pas de tous avec tous. Ces
interactions qui fondent les services web ne sont pas acquises. Elles sont au
contraire le résultat d’une décision : « Dois-je follower (ou friender) tel utilisateur
? » (Facebook, Twitter), « Est-il crédible ? » (Stack Overflow, Quora, tous sites de
Q/A), « Dois-je faire affaire avec lui ? » (sites en C2C dont eBay).
Autant de choix dont l’issue impacte positivement ou négativement la valeur
perçue du service. Une transaction ratée, une timeline dont on n’arrive
pas à maitriser le débit ou un bon conseil pas si bon que ça, et « L’amélioration du
l’utilisateur, frustré, risque de se désengager, ou pire, de s’orienter vers service passe par une
un service de substitution.
amélioration du ratio
L’amélioration du service passe par une diminution du ratio signal sur bruit »
d’expériences négatives, qu’on peut appeler, pour emprunter à la théorie
du signal, ratio signal sur bruit. De tels échecs sont dus à de mauvais choix
d’interlocuteurs. A ce qu’on appelle des « faux positifs », c’est-à-dire des membres
dont on a jugé à tort qu’ils permettraient d’avoir une interaction de valeur.
Aider la décision
La réduction du nombre de ces faux positifs passe par la capacité de l’utilisateur à
réaliser un filtrage a priori efficace, c’est-à-dire la capacité à décider, avec justesse,
en amont d’une interaction si un interlocuteur est pertinent.
« C’est la responsabilité
du designer de leur Faciliter les choix de l’utilisateur c’est donc d’abord réduire sa
fournir les outils charge cognitive, qui est un frein à l’utilisation du service. Mais c’est
aussi enclencher un cercle vertueux : le taux élevé d’interactions de
nécessaires à des
valeur est une incitation à s’engager plus avant, à utiliser le service
décisions pertinentes.» de manière plus intense.
6
7. DU BON USAGE
Josselin Perrus
DES BADGES
Les utilisateurs n’ont donc pas vocation à interagir avec l’ensemble des membres
mais à avoir des interactions choisies. C’est la responsabilité du designer de leur
fournir les outils nécessaires à des décisions pertinentes. Cette problématique de
l’aide à la décision a, dans l’entreprise, un terme qui lui est propre : la Business
Intelligence. L’analogie que fournit cette pratique permet de repenser le rôle des
badges et autres scores.
Les indicateurs sociaux
La Business Intelligence (BI) consiste à identifier et fournir au décisionnaire les
informations pertinentes pour qu’il puisse agir. Information fournie sous forme
d’indicateurs. Dans le contexte du web social, quels sont les indicateurs devant
permettre à l’utilisateur de choisir les membres avec lesquels interagir ?
Un premier type d’indicateur est l’indicateur déclaratif, qui constitue en général
l’essentiel du profil d’un utilisateur. Les services de dating en sont
particulièrement friands : âge, taille, poids ou couleur des cheveux. Car sur ce type
de service, ces informations sont réputées comme essentielles au
« Dans le contexte du choix d’interagir ou non avec un autre utilisateur. Et pourtant les
web social, quels sont les faux positifs (i.e. les erreurs de casting) sont à la fois le fond de
indicateurs devant commerce et la plaie de ce type de service.
permettre à l’utilisateur De la même manière la description de profil de Twitter permet en
de choisir les membres général de connaitre les sujets d’intérêt de l’utilisateur, mais pas de
avec lesquels interagir ? savoir quelle proportion de ses publications est en relation avec l’un
ou l’autre, et quel est son degré d’autorité dans chacun de ces
domaines. Autant d’informations auxquelles je ne peux accéder qu’a posteriori,
c’est-à-dire en le followant et en faisant l’expérience de sa manière de twitter, c’est-
à-dire de se comporter sur le service.
Les indicateurs déclaratifs présentent deux défauts pour aider au filtrage des
utilisateurs : ils sont sujet à la subjectivité, et surtout ils décrivent la personne de
manière statique et non son comportement. Défauts auxquels répondent les
indicateurs algorithmiques dont font partie les badges et les scores.
Il s’agit d’indicateurs calculés sur la base des actions de l’internaute : quels sont les
contenus qu’il a liké, quels sont ceux qu’il a publié, combien parmi ceux-là ont été
repartagés par leur réseau...
Les indicateurs calculés ont les défauts de leurs qualités : ils manquent
d’expressivité et sont fortement normés, mais ils se montrent complémentaires des
indicateurs déclaratifs. Les parties suivantes cherchent à faire une analyse et à
dégager de bonnes pratiques pour leur utilisation.
7
8. DU BON USAGE
Josselin Perrus
DES BADGES
U TILISER LES INDICATEURS ALGORITHMIQUES
Hiérarchiser et catégoriser
Parmi ces indicateurs algorithmiques il faut distinguer entre ceux de nature
hiérarchique et ceux de nature catégorielle. La hiérarchie s’exprime en général au
travers d’un score, échelle commune de référence. Mais les niveaux et autres
médailles peuvent jouer le même rôle.
La hiérarchisation s’observe dans le réel (grades militaires par
« La hiérarchisation
exemple), ainsi que sur le web. Elle permet par exemple d’établir un
permet par exemple niveau de crédibilité des utilisateurs dans Stack Overflow ou un
d’établir un niveau de indice de confiance sur eBay. Mais le nombre de tweet est aussi un
crédibilité des indicateur hiérarchique, puisque permettant d’ordonner les
utilisateurs. Rares sont cependant les choix que cet indicateur permet
utilisateurs dans Stack
d’éclairer.
Overflow ou un indice
de confiance sur eBay. » L’indicateur hiérarchique est simple avant tout. Mais, et c’en est le
revers, par son aspect mono-dimensionnel il échoue à rendre compte
des usages multiples d’un service, ainsi que des différentes typologies
d’utilisateurs.
L’indicateur de catégorie permet lui de distinguer différentes classes d’individus,
sans pour autant les hiérarchiser. Dans le réel, l’uniforme (de policier, de pompier
ou de médecin) permet d’identifier une catégorie d’individus, et de lui associer une
fonction. Il renseigne ainsi sur les interactions sociales possibles (ou
« L’indicateur de
affordances sociales pour utiliser le jargon du design).
catégorie permet lui de
De tels indicateurs sont très peu présents sur le web à l’heure distinguer différentes
actuelle. Ce qui s’en rapproche le plus aujourd’hui ce sont les badges
classes d’individus »
utilisés par Foursquare. Mais que permettent-ils de dire d’un
utilisateur au premier coup d’œil à son profil ? Pas grand-chose… La
difficulté d’interprétation s’explique par le fait que les badges ont été
conçus comme des récompenses à accumuler plutôt que comme des
indicateurs.
Les badges Foursquare sont particulièrement représentatifs des erreurs
à ne pas commettre lorsqu’on met en place un indicateur de catégorie.
Mais avant de s’intéresser aux pièges à éviter, voyons comment choisir
ses indicateurs sociaux.
8
9. DU BON USAGE
Josselin Perrus
DES BADGES
Bien choisir ses indicateurs
La construction d’indicateurs est un processus qui peut se décomposer en 4 étapes:
1. Identifier les choix que sont amenés à faire les utilisateurs.
2. Classer ces choix par ordre d’importance. Ce classement pourra prendre en
compte le coût comparé d’une erreur, et/ou la fréquence relative de ces
choix.
3. Pour chacun, identifier les facteurs de choix et en déterminer les
informations pertinentes à fournir.
4. Construire un ou des indicateurs à mêmes de convoyer ces « La construction
informations de manière condensée.
d’indicateurs est
La construction d’indicateurs est avant tout un processus d’arbitrage. avant tout un
Car la première erreur possible est de chercher à tendre vers processus d’arbitrage.
l’information parfaite. L’accumulation des indicateurs nuit au processus
de choix plutôt que de le faciliter. Le cerveau humain ne peut en effet traiter qu’un
nombre limité d’objets en parallèle. Ce qui le conduit à mettre en place des
heuristiques, c’est-à-dire des routines de choix, basées sur un petit nombre
d’informations. S’il y en a trop, le risque est qu’il fonde ses décisions sur les
mauvais indicateurs.
Lorsqu’on s’adresse au cerveau humain, l’économie de moyen est toujours une
bonne solution. Il faut donc savoir se contenter d’un jeu d’indicateurs restreint et
“le moins mauvais” possible.
Les pièges à éviter
La qualité d’un indicateur social est liée à sa pertinence, c’est-à-dire à la capacité
qu’il confère de discriminer avec justesse les “positifs” des “négatifs” en amont
d’une interaction sociale. La pertinence n’est cependant pas suffisante : l’individu
soumet généralement difficilement son choix à des critères qui lui semblent
arbitraires.
En particulier dans le cas d’indicateurs calculés, il faut éviter l’effet « boite noire »
qui ne permet pas à l’utilisateur de faire le lien entre un indicateur et les
comportements qu’il est censé décrire. Ce qui implique que la
« Il faut éviter l’effet ‘boite
méthode de calcul soit :
noire’ qui ne permet pas à
1. Transparente : les utilisateurs adhéreront à un indicateur l’utilisateur de faire le lien
s’ils sont en mesure de le questionner et de le valider eux- entre un indicateur et les
mêmes.
comportements qu’il est
2. Simple : au-delà du ratio ou multiple de 2 termes,
considérez que votre formule est incompréhensible.
censé décrire. »
I n d ica teu r s hié rar ch iq ue s
Pour illustrer ces deux points, prenons Klout, un service adossé à Twitter qui
propose des indicateurs sociaux pour compléter les profils d’utilisateurs. Ce
service rencontre un certain succès mais celui-ci n’est certainement pas attribuable
à l’utilisabilité des indicateurs proposés.
9
10. DU BON USAGE
Josselin Perrus
DES BADGES
L’indicateur phare est un indicateur hiérarchique permettant de mesurer
l’influence mieux que n’est censé le faire le nombre de follower. Sous une
simplicité apparente – il s’exprime comme un score entre 1 et 100 – se cache la
complexité d’un calcul faisant intervenir plusieurs dizaines de variables dont la
formule reste secrète.
Bien qu’on ne puisse lui nier une certaine pertinence au niveau macro, cet
indicateur suscite l’incompréhension quant à ses variations, et ne donne aucune clé
permettant d’expliquer de manière simple un écart de quelques points entre deux
utilisateurs. In fine le Klout ne permet pas de fonder une décision. Comme pour
tous les indicateurs dont l’attrait tient plus au fait qu’ils flattent l’ego qu’à leur
utilité propre, on peut prédire que son usage restera limité à une frange de la
population qui aime à se regarder le nombril, et qu’il tombera en désuétude le jour
où un indicateur plus branché viendra lui souffler la vedette.
I n d ica teu r s de caté gor i e s
Les indicateurs de catégorie sont sujets aux mêmes nécessités de transparence et de
simplicité. Revenons à l’exemple de Foursquare. A l’échelle du badge ces
conditions sont remplies : les conditions d’attribution en sont simples et connues.
Cependant les badges font système et c’est à cette échelle là qu’il faut les
considérer. Ils forment un alphabet, un code, comme le code de la route. Or la
capacité à déchiffrer un code est liée au fait qu’on puisse en
« Les badges Foursquare ne distinguer les signes. Pour favoriser cette distinction le code
permettent pas d’extraire doit manifester deux propriétés : l’économie et la non ambiguïté.
d’information pertinente Deux propriétés que ne possède pas le système de badges de
quant au comportement Foursquare. Parce qu’ils sont considérés comme des
d’un utilisateur » récompenses ils sont multipliés à l’infini. Et leur design, plus
porté sur l’effet esthétique que sur une fonction signalétique ne
permet pas de les identifier clairement les uns relativement aux autres, au point de
ne plus pouvoir en extraire d’information pertinente quant au comportement d’un
utilisateur.
Faciliter et sécuriser les choix des utilisateurs est source d’énormément de valeur
pour un service, et les badges et autres indicateurs calculés complémentent les
indicateurs déclarés, par leur capacité à traduire les comportements des utilisateurs
de manière synthétique. La mise en place d’indicateurs sociaux n’est cependant pas
exempte de chausse-trappes. Leur efficacité se résume en trois qualités : frugalité,
simplicité, transparence.
10
11. DU BON USAGE
Josselin Perrus
DES BADGES
L A DIMENSION REFLEXIVE DES INDICATEURS SOCIAUX
Des indicateurs pertinents permettent donc en première instance de réduire le ratio
signal/bruit d’un service. Mais leur impact s’étend au-delà de leur utilité
immédiate. Ils ont une dimension réflexive : un indicateur me caractérise autant
qu’il caractérise les autres. Lorsqu’il est pertinent, c’est-à-dire lorsqu’il permet
d’émettre un jugement utile sur un autre utilisateur, un indicateur est
nécessairement internalisé comme une expression significative sa
« Un indicateur pertinent
propre identité.
est internalisé comme une
L’internalisation d’un critère produit généralement des
expression significative de
comportements d’auto-actualisation. L’individu cherche à
sa propre identité »
amender celui qu’il est pour devenir celui qu’il voudrait être. Et
l’indicateur joue le rôle de médiateur, de proxy, entre l’utilisateur et la
représentation qu’il a de lui-même. Ce qui explique que dans le cas d’un indicateur
hiérarchique, cela puisse se traduire par un comportement maximisateur.
La valeur identitaire accordée par l’utilisateur à un indicateur s’explique alors dans
une relation de lui-même à lui-même. Il est toujours possible de se soustraire au
jugement des autres, jamais au sien. Et en cela l’indicateur internalisé se distingue
de la norme, qui est un critère imposé par l’environnement.
C’est d’ailleurs l’erreur d’analyse faite par les tenants de la gamification qui ont vu
dans la compétition, c’est-à-dire dans une relation à l’environnement, la source des
comportements d’optimisation. Alors que s’exprimaient
« Vos utilisateurs vous seront
des comportements totalement egocentriques d’auto-
actualisation. Comment ne pas se sentir seul lorsqu’on a 5 reconnaissants de leur permettre
followers ? Comment être rassuré par sa propre de se définir autrement qu’au
compétence sur Stack Overflow lorsque ses réponses ne travers d’une simple mesure
récoltent aucune médaille ? unidimensionnelle.»
Dans le cas des indicateurs de catégorie cette réflexivité
offre des possibilités intéressantes mais sous-utilisées. Ces
indicateurs permettent, comme on l’a vu, d’attester de la
diversité des usages d’un service, mais ils permettent de
plus la construction d’identités plus riches que les seuls
indicateurs de hiérarchie.
Vos utilisateurs vous seront reconnaissants de leur
permettre de se définir autrement qu’au travers d’une
simple mesure unidimensionnelle. Des catégories
pertinentes leur permettent de se différencier et leur
reconnaissent une existence et une valeur au sein de la
communauté. Pour en revenir à l’image du jeu, les
indicateurs de catégories témoignent de l’existence de
différentes formes de gameplay.
11
12. DU BON USAGE
Josselin Perrus
DES BADGES
C ONCLUSION
La gamification a popularisé l’utilisation des badges et autres scores par les
services web. Par-delà les désillusions à attendre sur le terrain de l’engagement par
les mécaniques de jeu, ces dispositifs peuvent être vus non dans une optique de
contrôle mais dans une optique d’empowerment de l’utilisateur. Faciliter ses
décisions c’est réduire le nombre d’interactions inutiles. Plus le ratio signal/bruit
du service est élevé plus la valeur extraite est importante donnant un incentive
clair à l’utilisateur à une utilisation plus poussée du service.
Parmi les indicateurs sociaux qui permettent d’éclairer les choix des utilisateurs
d’interagir ou non avec d’autres membres, les indicateurs calculés complémentent
les indicateurs déclarés, en permettant de renseigner les comportements. Ces
indicateurs calculés se doivent bien sûr d’être pertinents, mais pour être adoptés,
ils doivent aussi répondre à des impératifs de simplicité et de transparence pour
éviter les effets « boite noire ».
Le web s’est déjà saisi des indicateurs sociaux, en particulier des indicateurs de
hiérarchie qui permettent de définir des niveaux : de confiance, d’influence, de
crédibilité,… Les indicateurs de catégorie sont eux beaucoup moins exploités alors
qu’ils permettent de rendre compte des différents usages d’un service, et des
différentes typolologies d’utilisateurs. De plus, dans leur dimension réflexive, les
indicateurs de catégorie permettent aux utilisateurs d’affirmer leur différence et de
s’en sentir valorisés.
La gamification, à défaut d’en faire bon usage, a imposé de nouvelles briques au
design d’expérience que sont les badges et les scores. Il faut désormais s’extraire
d’une vision orientée récompense, pour revenir à une démarche centrée utilisateur.
Et on s’aperçoit que les possibilités offertes par les indicateurs calculés sont encore
largement sous-exploitées.
12