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La réunion entre les syndicalistes de Florange (Moselle) et le premier ministre Jean-Marc Ayrault, prévue mercredi 5
décembre à 18 heures, risque de virer à l'explication de texte. L'accord signé entre ArcelorMittal et le gouvernement,
que Matignon refuse de publier mais dont Le Monde s'est procuré une copie, est en effet loin de lever toutes les
interrogations sur le site lorrain du numéro un mondial de la sidérurgie.

Dans ce document de – seulement – deux pages, il est ainsi indiqué que les 180 millions d'euros d'investissements sur
cinq ans promis par ArcelorMittal seront certes "réalisés de manière inconditionnelle", à la différence de ceux promis
par Lakshmi Mittal à Nicolas Sarkozy en 2008. Mais "les investissements stratégiques" ne représenteront que 53
millions d'euros de l'ensemble.


Tout le reste, ce sera "le flux d'investissements courants, les investissements de pérennité, santé, sécurité et progrès
continu, et la maintenance exceptionnelle", c'est-à-dire un vaste fourre-tout où à peu près tout et n'importe quoi peut être
comptabilisé, et notamment les frais de maintenance. Exactement ce que craignaient les syndicats, qui accusent
Lakshmi Mittal de vouloir faire passer pour une concession de sa part des dépenses qu'il était de toutes façons obligé
d'effectuer.

Néanmoins, il est indiqué que le train à chaud, un équipement stratégique du site, "fait partie des outils majeurs du
dispositif de laminage" de l'entreprise et verra donc son niveau de production "maintenu autour de 2 millions de tonnes
par an pour alimenter en bobines l'aval de la Lorraine ". Cette pérennisation du train à chaud était réclamée depuis
longtemps par l'intersyndicale de Florange.

SÉCURISER L'EMPLOI

Concernant les activités de packaging (fabrication du métal pour boîtes de conserve et canettes), dont une ligne sur deux
seulement fonctionne actuellement sur le site, il est écrit noir sur blanc que "ArcelorMittal concentrera les activités de
l'amont du packaging de l'entité Atlantique et Lorraine sur Florange ", ce qui devrait assurer la survie des lignes
d'étamage "pendant cinq ans" et sécuriser du même coup l'emploi sur la même période. En échange, "l'activité amont de
Basse-Indre [un autre site d'ArcelorMittal situé en Loire-Atlantique] sera mise en arrêt temporaire" et l'activité de recuit
d'Ebange, une usine du groupe située près de Florange, pourra être mise en "arrêt temporaire" elle aussi, "en fonction de
l'optimisation des carnets".

Mais, peut-on lire dans cet accord, "ce transfert d'activité n'impactera pas les effectifs inscrits à Basse-Indre", un
engagement sur lequel Jean-Marc Ayrault s'est battu puisque ce site est situé dans son fief électoral, près de Nantes.

Concernant Ulcos, le programme de recherche sur la captation du dioxyde de carbone (CO2), présenté par Matignon
comme la bouée de sauvetage des hauts-fourneaux de Florange, les engagements d'ArcelorMittal sont là aussi très
succincts. S'il est indiqué qu'Ulcos "reste un projet important pour développer de nouvelles solutions mieux adaptées
aux enjeux du changement climatique", il est aussi clairement écrit que "l'état actuel des résultats de la recherche ne
permet pas de passer directement sur le démonstrateur industriel de Florange". Autrement dit : le projet n'est pas près de
voir le jour.

Seul engagement concédé par Lakshmi Mittal : son groupe "va proposer (...) de continuer à travailler sur le projet de
recherche et de validation technologique, en s'appuyant notamment sur l'expertise du centre R&D de Maizières-lès-
Metz".

Conséquence, les "installations de la phase liquide seront mises sous cocon dans l'état actuel et compatible avec la
perspective de réalisation d'un démonstrateur industriel Ulcos sur un haut-fourneau". Une phrase qui confirme que le
P3, arrêté depuis juin 2011, est bien définitivement abandonné, et que le P6 ne sera pas relancé tout de suite puisque "le
fonctionnement de toutes ces installations sera arrêté en toute sécurité à l'issue de la procédure légale", c'est-à-dire fin
mars 2013. Le groupe s'engage simplement "à ne pas démonter ces installations dans les six ans".

LES SALARIÉS DE LA FILIALE GEPOR PRIS EN CHARGE

Sur le plan social, il est stipulé que les salariés des hauts-fourneaux, au nombre de 629, seront reclassés "sur des bases
exclusivement volontaires", avec "un dispositif de gestion des fins de carrière et sur la mobilité interne au site".
"ArcelorMittal continuera à proposer à des personnes volontaires les postes disponibles sur ses autres sites", est-il
également indiqué.

Par ailleurs, le document stipule que les salariés de Gepor, une filiale d'ArcelorMittal qui emploie 130 personnes à
Florange et pour lesquelles les syndicats se montraient très inquiets ces derniers jours, bénéficieront "des mesures de
gestion de fin de carrière et de mobilité avec des conditions similaires à Florange".
"Si le contenu de cet accord s'avère exact, c'est enfin la démonstration que Mittal a enfumé le gouvernement, affirme
Edouard Martin, délégué CFDT de Florange. Nous allons demander demain à Jean-Marc Ayrault si cet accord peut
encore être modifié. Nous exigeons notamment que la chauffe des hauts-fourneaux soit maintenue jusqu'à la
matérialisation du projet Ulcos". L'intersyndicale n'exclut pas de quitter Matignon avec fracas si l'accord n'est pas
modifié.

Cédric Pietralunga

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Contenu de l'accord secret conclu entre le gouvernement et arcelor mittal

  • 1. La réunion entre les syndicalistes de Florange (Moselle) et le premier ministre Jean-Marc Ayrault, prévue mercredi 5 décembre à 18 heures, risque de virer à l'explication de texte. L'accord signé entre ArcelorMittal et le gouvernement, que Matignon refuse de publier mais dont Le Monde s'est procuré une copie, est en effet loin de lever toutes les interrogations sur le site lorrain du numéro un mondial de la sidérurgie. Dans ce document de – seulement – deux pages, il est ainsi indiqué que les 180 millions d'euros d'investissements sur cinq ans promis par ArcelorMittal seront certes "réalisés de manière inconditionnelle", à la différence de ceux promis par Lakshmi Mittal à Nicolas Sarkozy en 2008. Mais "les investissements stratégiques" ne représenteront que 53 millions d'euros de l'ensemble. Tout le reste, ce sera "le flux d'investissements courants, les investissements de pérennité, santé, sécurité et progrès continu, et la maintenance exceptionnelle", c'est-à-dire un vaste fourre-tout où à peu près tout et n'importe quoi peut être comptabilisé, et notamment les frais de maintenance. Exactement ce que craignaient les syndicats, qui accusent Lakshmi Mittal de vouloir faire passer pour une concession de sa part des dépenses qu'il était de toutes façons obligé d'effectuer. Néanmoins, il est indiqué que le train à chaud, un équipement stratégique du site, "fait partie des outils majeurs du dispositif de laminage" de l'entreprise et verra donc son niveau de production "maintenu autour de 2 millions de tonnes par an pour alimenter en bobines l'aval de la Lorraine ". Cette pérennisation du train à chaud était réclamée depuis longtemps par l'intersyndicale de Florange. SÉCURISER L'EMPLOI Concernant les activités de packaging (fabrication du métal pour boîtes de conserve et canettes), dont une ligne sur deux seulement fonctionne actuellement sur le site, il est écrit noir sur blanc que "ArcelorMittal concentrera les activités de l'amont du packaging de l'entité Atlantique et Lorraine sur Florange ", ce qui devrait assurer la survie des lignes d'étamage "pendant cinq ans" et sécuriser du même coup l'emploi sur la même période. En échange, "l'activité amont de Basse-Indre [un autre site d'ArcelorMittal situé en Loire-Atlantique] sera mise en arrêt temporaire" et l'activité de recuit d'Ebange, une usine du groupe située près de Florange, pourra être mise en "arrêt temporaire" elle aussi, "en fonction de l'optimisation des carnets". Mais, peut-on lire dans cet accord, "ce transfert d'activité n'impactera pas les effectifs inscrits à Basse-Indre", un engagement sur lequel Jean-Marc Ayrault s'est battu puisque ce site est situé dans son fief électoral, près de Nantes. Concernant Ulcos, le programme de recherche sur la captation du dioxyde de carbone (CO2), présenté par Matignon comme la bouée de sauvetage des hauts-fourneaux de Florange, les engagements d'ArcelorMittal sont là aussi très succincts. S'il est indiqué qu'Ulcos "reste un projet important pour développer de nouvelles solutions mieux adaptées aux enjeux du changement climatique", il est aussi clairement écrit que "l'état actuel des résultats de la recherche ne permet pas de passer directement sur le démonstrateur industriel de Florange". Autrement dit : le projet n'est pas près de voir le jour. Seul engagement concédé par Lakshmi Mittal : son groupe "va proposer (...) de continuer à travailler sur le projet de recherche et de validation technologique, en s'appuyant notamment sur l'expertise du centre R&D de Maizières-lès- Metz". Conséquence, les "installations de la phase liquide seront mises sous cocon dans l'état actuel et compatible avec la perspective de réalisation d'un démonstrateur industriel Ulcos sur un haut-fourneau". Une phrase qui confirme que le P3, arrêté depuis juin 2011, est bien définitivement abandonné, et que le P6 ne sera pas relancé tout de suite puisque "le fonctionnement de toutes ces installations sera arrêté en toute sécurité à l'issue de la procédure légale", c'est-à-dire fin mars 2013. Le groupe s'engage simplement "à ne pas démonter ces installations dans les six ans". LES SALARIÉS DE LA FILIALE GEPOR PRIS EN CHARGE Sur le plan social, il est stipulé que les salariés des hauts-fourneaux, au nombre de 629, seront reclassés "sur des bases exclusivement volontaires", avec "un dispositif de gestion des fins de carrière et sur la mobilité interne au site". "ArcelorMittal continuera à proposer à des personnes volontaires les postes disponibles sur ses autres sites", est-il également indiqué. Par ailleurs, le document stipule que les salariés de Gepor, une filiale d'ArcelorMittal qui emploie 130 personnes à Florange et pour lesquelles les syndicats se montraient très inquiets ces derniers jours, bénéficieront "des mesures de gestion de fin de carrière et de mobilité avec des conditions similaires à Florange".
  • 2. "Si le contenu de cet accord s'avère exact, c'est enfin la démonstration que Mittal a enfumé le gouvernement, affirme Edouard Martin, délégué CFDT de Florange. Nous allons demander demain à Jean-Marc Ayrault si cet accord peut encore être modifié. Nous exigeons notamment que la chauffe des hauts-fourneaux soit maintenue jusqu'à la matérialisation du projet Ulcos". L'intersyndicale n'exclut pas de quitter Matignon avec fracas si l'accord n'est pas modifié. Cédric Pietralunga