1. n° 79 Sommaire
Nov 2012 l page 2: Des usages qui ne corres-
pondent pas aux équipements l page 5 :
Les TIC : impact limité l page 9 : TIC,
rapport au savoir et styles d’apprentissage
l page 12 : Le retour de la pedagogie
l page 17 : Bibliographie.
Pédagogie + numérique =
Dossier d’actualité
apprentissages 2.0
Par Rémi Thibert
La question du numérique dans l’éducation
n’est pas nouvelle dans nos publications,
Chargé d’étude et de
elle a été abordée à travers les probléma-
recherche au service
tiques de l’individualisation, de l’appren-
Veille et Analyses de
tissage des langues, des jeux sérieux, du
l’Institut Français de
travail collaboratif, de la jeunesse 2.0 ou
l’Éducation (IFÉ)
encore récemment de la pédagogie univer-
sitaire.
La lecture assidue de la presse spécialisée L’évolution sémantique à laquelle on assiste
sur les questions éducatives montre qu’elle depuis les années 1980 est symptomatique
est l’objet de nombreux articles et expérimen- de l’influence de ces technologies dans notre
tations. Un numéro récent des Cahiers péda- société. On parlait de plan « informatique
gogiques ouvrait son dossier thématique sur pour tous » en 1985, puis des NTIC (Nouvelles
le numérique en disant que « c’est la pensée technologies de l’information et de la commu-
complexe, chère à Edgar Morin, qui rentre nication) avant de faire disparaître l’adjectif
dans la classe. Une forme d’enseignement « nouvelles » pour utiliser l’acronyme TIC (ou
qui considère le monde dans sa globalité, qui TICE pour rajouter une dimension Éducative)
met l’élève en autonomie et en interaction pour pour aujourd’hui parler du numérique avec
établir des relations entre les connaissances, un sens beaucoup plus global qui inclut aussi
entre l’école et le monde, qui le responsabilise bien les pratiques sociales, les infrastruc-
face à ses apprentissages » (Jouneau-Sion & tures techniques, les supports d’inscription,
Touzé, 2012). les contenus, les modes de transmissions,
les types de pratiques, etc. Cette évolution
Michel Serres a fait de la société du numérique sémantique annonce aussi des mutations
le thème central de son livre « Petite poucette » organisationnelles et pédagogiques (Bassy,
VEILLE ET ANALYSES
où il estime que nous vivons actuellement une 2011).
révolution de la même envergure que l’inven-
tion de l’écriture puis plus tard de l’imprimerie, Au regard des enjeux réels ou supposés du
qui aura des conséquences au moins aussi im- numérique, les États, les collectivités, les
portantes sur notre rapport au savoir (Serres, institutions, etc. ont massivement investi
2012), générant des craintes identiques à celle dans des équipements ou des ressources
de Socrate qui en son temps prédisait que numériques. Ceci s’est accompagné d’une
l’écriture allait amoindrir les capacités de mé- demande d’évaluation de l’impact du numé-
morisation et rendrait le savoir plus superficiel. rique sur la qualité des systèmes éducatifs.
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0 1/21
2. Nous aborderons successivement dans ment-apprentissage plus efficace ou en
ce dossier centré sur le secondaire les provoquant un changement radical de
usages pédagogiques en lien avec les paradigme en éducation (Dutta et Bilbao-
équipements, l’impact des TIC sur les ré- Osorio, 2012).
sultats scolaires, l’évolution inévitable du
rapport que nous entretenons au savoir Le rapport Eurydice (2011) met en évi-
avant de nous intéresser à la pédagogie. dence dans les pays européens l’équipe-
ment grandissant (ordinateur et accès à
Internet) dans les foyers, mais il constate
Des usages qui ne aussi que leur usage pour des travaux
correspondent pas scolaires reste limité. Si les équipements
d’établissements se sont nettement amé-
aux équipements liorés, les difficultés résident dans le
manque d’encadrement et de logiciels
Les équipements en TIC sont impor- d’apprentissage appropriés (notamment
tants, notamment dans les pays les plus pour les mathématiques et les sciences).
riches. Les ménages sont bien pourvus,
les usages personnels sont très déve- En France, la question de l’équipement
loppés, tout comme les usages profes- des établissements a été prise en consi-
sionnels des enseignants (pour tout ce dération dès 1985 avec le plan « Infor-
qui concerne l’administratif notamment). matique pour tous » qui avait pour voca-
Les TIC font aussi partie intégrante de tion d’équiper en ordinateur les établis-
la vie des jeunes (Endrizzi, 2012a) pour sements. Cette logique d’équipement
communiquer, se divertir et même pour perdure : dans les Landes par exemple
travailler pour l’école (Paryono et Quito, avec la dotation d’un ordinateur portable
2010 - enquête portant sur les jeunes par élève de 4è et de 3è ainsi qu’un TNI
de 6 pays d’Asie). Mais cet équipement par salle de classe, ou dans les Bouches-
massif s’accompagne d’un constat para- du-Rhône (le cartable numérique) ou
doxal : les usages pédagogiques restent encore en Corrèze pour tous les élèves
limités (Thibert, 2011). de 6è (équipés en ordinateurs portables
puis plus récemment en tablettes). Deux
Des efforts d’équipement logiques co-existent : les équipements
indéniables personnels des élèves (1 :1) ou des équi-
pements centrés sur les établissements.
Le dernier rapport du GITR (Global In-
formation Technology – Report 2012)
montre que nous évoluons dans un
monde hyper-connecté, tous les pays
« Les TIC sont
ont fait de réels efforts financiers, d’au- omniprésentes dans la vie
tant plus lourds pour les pays les plus des élèves et des étudiants
pauvres, pour favoriser l’accès aux TIC, du Québec : ceux-ci s’en
notamment dans l’éducation. Les prin- servent continuellement
cipales raisons de ces investissements pour se divertir, pour
sont les suivantes : communiquer avec leurs
− Développement d’une société de l’in- amis ou pour faire leurs
formation et de la connaissance ; devoirs. En fait, les TIC sont
− Réduction de la fracture numérique ;
partout… sauf dans les salles
− Accès à la culture (et donc à la culture
numérique) ;
de classe ! »
− Développement de valeurs civiques CEFRIO, 2011.
(e-démocratie, e-administration).
Les décideurs partent du postulat que
la technologie peut améliorer la qualité
de l’éducation en rendant l’enseigne-
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
2/21 Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0
3. Des usages pédagogiques
TIC par les enseignants dans leurs pra-
limités tiques de classe.
Un rapport du Becta (Condie & Munro, Un rapport de 2010 présente d’autres
2007) révélait que bien que les ensei- chiffres : 95% des enseignants utilisent
gnants aient les compétences minimales les TIC à des fins professionnelles hors
requises et bien qu’ils utilisent ces outils de la présence des élèves, 80% en pré-
pour préparer leurs cours, ils sont peu en- sence des élèves, et 64% font manipuler
clins à y recourir dans leur salle de classe les élèves (37% seulement si l’on enlève
dans un contexte pédagogique. L’usage les utilisateurs en « classe-cible »), la
reste essentiellement bureautique et le plupart de manière « peu fréquente », ce
« blended learning » (apprentissage mê- qui signifie moins d’une fois par semaine
lant travail en présentiel et à distance) (Alluin, 2010). Il s’agit essentiellement du
n’est pas développé (Paryono et Quito, traitement de texte, de documents multi-
2010). média et d’Internet.
D’après une étude de la DEPP de 2010, Des études comparatives font état d’un
si 95% des enseignants français utilisent retard français en termes d’intégration des
les TIC à des fins professionnelles, essen- TIC dans les pratiques de classe (Com-
tiellement pour préparer leurs cours, ils ne mission européenne, 2006). Ce retard est
sont que 19% à les utiliser en présence à relativiser d’après Chaptal (2011), qui
des élèves, et que 11% à les faire utili- estime que les TIC sont réellement utili-
ser par les élèves eux-mêmes (Cerisier & sées par les enseignants, même si l’es-
Popuri, 2011). Le rapport de l’IPTS (Insti- sentiel de cette utilisation concerne mal-
tute for prospective technological studies) gré tout la préparation des cours. L’usage
pour la commission européenne mettait pédagogique reste donc très limité.
en évidence en 2006 que les TIC étaient
utilisées pour améliorer les pratiques exis- En novembre 2010 était lancé en France
tantes (pédagogiques et administratives) le plan DUNE (Développement des
mais qu’elles n’avaient pas transformé usages du numérique) qui avait pour ob-
l’enseignement apprentissage (Punie et jectif de développer des usages pédago-
al., 2006). giques des outils numériques. Il s’agissait
de passer d’une logique d’équipement à
Une étude de Ipsos Média CT, comman- une logique d’usages. Pourtant, le constat
ditée par le Café pédagogique et publiée de l’IGEN (2012) est sévère : le plan n’a
sur le site Éduscol en mai 2011 rapporte pas eu les effets escomptés.
que les enseignants français sont très
bien équipés à titre personnel. Les usages La proposition qui était fait par ce plan
principaux dans leurs pratiques de classe d’acquérir des ressources numériques
concernent les outils suivants : Vidéopro- n’a pas rencontré le succès escompté
jecteurs, Internet, ENT. Les TBI sont men- auprès des enseignants. Ces derniers
tionnés lorsqu’il s’agit d’évoquer les inves- préfèrent utiliser des ressources « ou-
tissements nécessaires à venir. vertes et interactives, utilisables dans
des conditions d’usage mobile et indivi-
L’enquête Profetic 2012 (Chambon & Le dualisé ».
Berre, 2011) lancée par le Ministère de
l’éducation nationale, visible aussi sur le Les ENT (qui ne sont toujours pas géné-
site Éduscol, indique que les enseignants ralisés) sont très peu utilisés à des fins
utilisent massivement les TIC pour des pédagogiques, ils servent essentiel-
activités hors cours (préparation de cours, lement pour la gestion administrative.
tâches administratives, etc.). 46% (contre Aujourd’hui, il apparaît clairement que
21 en 2008) font utiliser les TIC au moins l’innovation pédagogique pourtant tant
une fois par mois aux élèves, 21% au attendue ne viendra pas des ENT, mais
moins une fois par semaine (contre 8 en sûrement davantage des outils de mobi-
2008). On assiste donc à une prise en lité (smartphones, baladeurs, tablettes)
compte de plus en plus importante des (IGEN, 2012).
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Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0 3/21
4. Alluin liste les facteurs qui encouragent font, en dehors des heures et des locaux
l’usage des TIC (d’après les déclarations de cours, des activités complémen-
des enseignants français interrogés) : taires et d’enrichissement. Le quatrième
− Accès à une diversité de ressources niveau est celui où la plupart des acti-
documentaires ; vités d’apprentissage se réalisent en
− Disponibilité d’un équipement adap- dehors des heures et des locaux de
té ; cours. Le cinquième niveau est celui de
− Volonté d’améliorer la réussite des la formation entièrement à distance ».
élèves.
Le premier niveau demeure le plus
Par contre, les freins sont liés aux effec- répandu, mais c’est celui qui donne le
tifs de classe, aux contraintes horaires moins de résultats. Des résultats positifs
et aux problèmes d’équipement (Alluin, sont envisageables à partir des niveaux
2010). 2 et 3 l. Le rapport Ordicollège distin-
guait trois catégories d’utilisation des
Niveaux d’intégration des TIC TIC : dans la classe, hors la classe mais
dans l’établissement, et hors établisse-
Le rapport Fourgous (2012) repère ment (Durpaire et al., 2011).
quatre étapes principales de l’intégra- Voir aussi le modèle
l
TPack (Technology,
tion des TIC par les enseignants : Plusieurs facteurs peuvent expliquer
Pedagogy and Content
− découverte : utilisation personnelle que les TIC ne soient pas davantage knowledge) qui vise à
des outils ; utilisées dans un contexte pédagogique. articuler technologie,
− adoption : utilisation professionnelle D’abord, une intégration en profondeur contenus disciplinaires,
contexte et pédagogie.
mais la pédagogie reste inchangée ; des technologies dans les pratiques quo-
− appropriation : pédagogie plus inte- tidiennes est difficilement réalisable car
ractive ; une innovation technologique en chasse
− création : pédagogie innovante, une autre assez rapidement. Il est diffi-
élève acteur, producteur et créateur. cile d’en voir une s’installer durablement
(Depover, 2010). Ensuite, nombreux
La majorité des enseignants se situent sont les rapports et recherches à pointer
dans les deux premières étapes, ce qui le problème de la formation initiale (sur-
signifie que les TIC n’ont pas d’influence tout) et continue des enseignants en la
notable sur la pédagogie. Pourtant, à matière. La formation a tendance à être
l’heure du numérique, les compétences plutôt techno-centrée, l’évolution vers
transversales (autonomie, adaptabi- une formation davantage pédago-cen-
lité, collaboration, créativité, etc.) sont trée se fait lentement (Charlier, 2010).
essentielles. Fourgous préconise à cet L’IGEN pointe aussi cette insuffisance
égard d’hybrider la formation initiale en dans la formation et l’accompagnement
s’appuyant sur les outils numériques, no- des enseignants, ce qui explique en par-
tamment les TBI, les ENT, les tablettes, tie l’absence d’efficacité du plan de dé-
la baladodiffusion et la visio-conférence. veloppement des usages du numérique.
À ce titre, les partenariats avec les col-
Le projet français Competice, repris par lectivités locales sont à redéfinir (IGEN,
Barrette, acteur principal au Québec 2012). Charlier partage ce constat géné-
de la recherche sur les TICE au collé- ral, mais relève qu’on assiste à une part
gial (l’équivalent de la fin du lycée en grandissante des activités collaboratives
France) propose cinq niveaux d’utilisa- et créatives que permet le web social,
tion des TIC (voir sur le site de Thot) : même si elles restent assez confiden-
« Le premier niveau correspond à une tielles (Charlier, 2010).
utilisation des TIC en classe ou en
laboratoire uniquement. Le deuxième Cet état de fait pose la question de l’effica-
niveau correspond à la poursuite des cité des sommes investies dans les TIC.
activités en dehors des locaux et des Partout dans le monde, les collectivités lo-
heures de cours. Le troisième niveau cales qui financent équipements et infras-
correspond à la situation où les élèves tructures, les institutions qui pilotent ont
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
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5. souhaité que des recherches évaluent Les TIC en sciences
l’impact des TIC dans l’éducation, pour
savoir s’il était opportun de continuer à En ce qui concerne la compréhension de
débourser de telles sommes (Béliveau, l’algèbre, d’après Goulding & Kyriacou
2011). (2008), les élèves qui travaillent dans un
environnement informatisé atteignent un
meilleur niveau de raisonnement que les
Les TIC : impact autres, mais les TIC semblent être d’au-
limité tant plus bénéfiques que les élèves sont
considérés comme bons : les élèves les
Les résultats des enquêtes et recherches plus en difficultés préfèrent travailler arith-
mentionnées ci-après s’accordent en métiquement avec des tables de valeurs
général sur un point : les données ne et n’utilisent les graphiques générés par
sont pas forcément significatives, il l’ordinateur qu’à partir d’un certain niveau
convient de prendre avec beaucoup de de compréhension. Les TIC sont utilisées
précautions ces résultats. Il n’est pas de manière plus efficace lorsqu’il y a tra-
rare de lire en conclusion qu’il importe vail de groupe et des interactions au sein
de continuer à faire des enquêtes plus de ce groupe. Sans surprise, les élèves
conséquentes. qui utilisent les TIC à l’extérieur de l’école
sont ceux qui en ont une utilisation plus
Les TIC n’améliorent pas les efficace à l’école.
résultats scolaires…
Les TIC favorisent la compréhension
Convergence des méta-analyses des idées scientifiques, mais pour les
Voir le site Edutech plus hauts niveaux de compréhension, il
l
wiki Les méta-analyses l tentent de répondre n’y a pas de différences entre les appre-
de manière objective à la question de nants qui utilisent les TIC et les autres
l’efficacité des TIC, en se basant sur des (Hogarth et al., 2006).
éléments quantifiables (les résultats aux
examens par exemple). Un méta-analyse L’étude de Onuoha (2007) porte sur les
est une démarche qui consiste à analy- instructions assistées par ordinateur
ser différentes études portant sur un ob- (CAI : computer-assisted instructions) en
jet de recherche identique pour en tirer sciences chez des élèves de lycées et
des statistiques à partir d’une quantité étudiants. Les effets sont limités, mais ils
beaucoup plus importante de données. semblent plus positifs en sciences phy-
Cette démarche peut s’avérer intéres- siques qu’en biologie. En tout état de
sante pour des champs de recherche où cause, il apparait que le laboratoire as-
il est difficile d’avoir de grands effectifs sisté par ordinateur ne peut pas rempla-
avec les mêmes variables étudiées. À cer le laboratoire classique, il vient plutôt
l’origine, ces démarches étaient utilisées en complément. L’étude de Liao (2007)
l en médecine, puis elles ont été adoptées menée à Taïwan montre que les CAI sont
Dans le domaine de pour les recherches en sciences sociales plus efficaces que les instructions don-
l’éducation, les méta-
analyse de Hattie font
et en éducation. Les méta-analyses l nées de manière traditionnelle.
référence (Hattie, existent depuis longtemps et portent en
2008) général sur des périodes de temps assez Les TIC pour l’apprentissage de la
longues. langue maternelle (anglais)
À l’instar de la méta-analyse de Michko
(2007), la plupart conclut que la technolo- En ce qui concerne les TIC pour la pro-
gie a un impact modéré (voire inexistant duction en la langue maternelle chez
et même parfois négatif) sur les résultats des élèves de 5 à 16 ans, les recherches
des élèves. n’ont pas réussi à mettre en évidence une
réelle plus-value. Une des causes essen-
tielles est la diversité des expérimenta-
tions (Andrews et al., 2005).
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Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0 5/21
6. Torgesson & Zhu (2003) se sont quant Québec sont intéressantes pour ce qui
à eux intéressées à l’apprentissage relève de la pédagogie. Elles montrent
de la littératie en anglais (lange mater- « les conditions optimales pour une inté-
nelle toujours) chez les enfants âgés de gration pédagogique efficace » et pro-
5 à 16 ans : les résultats (épeler, écrire, posent « un modèle causal de l’efficacité
besoins éducatifs particuliers, etc.) sont de l’intégration des TICE » en collégial.
équivoques et nécessitent plus de re-
cherches. Les chercheurs estimaient ne Il en ressort que l’efficacité des TICE est
pas avoir assez de preuves de l’efficacité avérée lorsque « les approches péda-
des TIC pour préconiser une généralisa- gogiques (sont) appropriées aux ob-
tion de leur utilisation. jectifs des programmes d’études » :
− les « activités behavioristes ayant
Blended learning et rôle des recours à des dispositifs adaptatifs et
enseignants différenciés d’exercices répétés » ont
un effet sur la motivation et l’intérêt ;
En fait, la plupart des analyses mettent − les « activités d’inspiration cogniti-
en avant le rôle essentiel joué par l’ensei- viste ayant recours à des dispositifs
gnant. Une étude réalisée entre 1996 et favorisant la métacognition » (ex : les
2008 (essentiellement pour le supérieur) tutoriels) ont un effet sur les résultats
indiquait que les instructions qui com- scolaires ;
binent le travail à distance et le travail en − les « activités d’inspiration socio-
présentiel sont plus efficaces (blended constructivistes ayant recours à des
learning) (Means et al., 2009). Ces dispositifs d’apprentissage collabora-
mêmes chercheurs étaient plus réservés tif » (approche par projet / problème)
pour l’enseignement primaire et secon- ont un effet sur la motivation et l’inté-
daire, car trop peu d’études avaient été rêt et sollicitent des opérations cogni-
réalisées pour qu’ils soient réellement tives complexes.
assertifs.
Cela nécessite un niveau de compétence
D’autres recherches affirment quand des usagers et un équipement adéquats.
même le rôle essentiel des enseignants
dans des dispositifs incluant les TIC
(Goulding et Kyriacou, 2008; Paryono et « La mise en place de dis-
Quito, 2010 ; Hogarth et al., 2006) : ils positifs socioconstructivistes
aident les élèves à utiliser de manière demande des changements
critique la technologie afin de mieux en de pratique chez les ensei-
comprendre et interpréter les résultats. gnants »
Ils étayent les apprentissages. À ce titre, (Barrette, 2009 ). l
le recours à des simulations (utilisant les
l
Voir aussi Dede, 2008
outils numériques) est précieux.
C’est pour cette raison que la formation
pédagogique des enseignants est un Critique des méta-analyses
point essentiel, régulièrement mention-
né dans les études. Les usages restant Ces méta-analyses répondent à la volonté
en grande majorité bureautiques, il est politique de s’appuyer sur des dispositifs
nécessaire de développer des usages dont les résultats ont été scientifiquement
autres, collaboratifs notamment (Paryono prouvés, que ce soit aux États-Unis avec
et Quito, 2010 – étude dans les établisse- la loi No child left behind ou en Angleterre
ments professionnels et technologiques depuis le gouvernement Blair avec le dé-
dans les pays du Sud-Est asiatique). veloppement de l’Evidence-based educa- Voir le blog Éduveille
l
tion (recherche basée sur des preuves) pour l’EBE.
La méta-analyse (quantitative) et l’étude l. Mais elles font l’objet de critiques de la
qualitative menée à partir de 2003 par part de chercheurs, du fait notamment de
Barrette (2009) au niveau du collégial au la difficulté d’avoir une méthode commune
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7. à toutes les recherches et de prendre en qui montrent un impact négatif (1 en 2009).
considération les mêmes résultats scienti-
fiques (Pouts-Lajus, 2000). Le What Works Clearinghouse a travaillé
Si l’objectif de ces méta-analyses est sur ces questions aussi. Sur les 32 études
louable, Kirsch estime que la question de retenues pour leur analyse (selon des
l’efficacité est mal posée : il est impossible critères stricts prédéfinis), seules 8 pré-
d’isoler une variable unique (les TIC en sentent des effets positifs ou potentielle-
l’occurrence) en laissant de côté toutes les ment positifs. Une autre étude américaine
autres (contexte, sociologie, organisation, de 2007 sur des logiciels éducatifs pour
etc.), d’autant que les comparaisons ne se les mathématiques et la lecture arrive au
font qu’à partir de données quantifiables constat qu’il n’y a aucune preuve que les
(résultats aux examens, indicateurs de résultats soient améliorés (Chaptal, 2008).
performance, par exemple) (Kirch, 2008 ; Un rapport du Becta conclut aussi à l’ab-
Chaptal, 2008 ; Terhart, 2011). Il faut gar- sence de preuves flagrantes d’une meil-
der à l’esprit, comme le préconise d’ail- leure efficacité des apprentissages grâce
leurs Hattie, que l’école a pour ambition de aux TIC (Condie & Munro, 2007).
l poursuivre des objectifs plus généraux (par
Voir le site Educause
pour en savoir plus
exemple, préparer à la société numérique). Ce phénomène du NSD est qualifié de
sur le mythe NSD (en Tamim estime qu’il faudrait davantage ci- mythe par le think tank américain Edu-
anglais). bler ce que l’on souhaite évaluer (Tamim cause l qui soutient que l’apprentissage
et al., 2011). est le résultat de plusieurs aspects : moti-
vation, occasions, processus actifs, interac-
Snook et al. (2009) regrettent que le tions avec autrui, capacité à transférer les
contexte social soit évacué de ces méta- apprentissages dans d’autres contextes,
analyses, ainsi que tout ce sur quoi l’école etc. Pour tous ces aspects, les TIC sont un
n’a pas de prise. On ne se concentre que outil favorable, elles rendent plus faciles les
sur une seule dimension de l’apprentis- contacts avec des experts, les interactions
sage, sans tenir compte d’autres facteurs avec les pairs, le partage, etc.
comme l’attitude, la citoyenneté, les résul-
tats physiques, etc. Les auteurs pointent Il ne faut pas analyser les TIC à partir d’une
une autre dérive : les analyses positives vieille définition de ce qu’est la technolo-
sont beaucoup plus publiées que les gie. La technologie ne se réduit pas à un
autres, les résultats finaux sont donc biai- logiciel ou un navigateur. Le web est au-
sés par cette sur-représentativité. jourd’hui un médium participatif qui permet
l
Pour en savoir plus sur
le NSD (en anglais). de recevoir de l’information, mais aussi de
No Significant Difference : mythe ou la commenter, de collaborer et de créer son
réalité ? l propre contenu.
Thomas Russel a publié sur le phénomène La vraie question est celle relative à la pé-
NSD (no significant difference) : les études dagogie : la technologie sans changement
d’envergure sur les TIC à l’école n’arrivent pédagogique n’apporte rien, ce qui peut
pas à conclure à l’efficacité des TIC pour expliquer en partie le phénomène NSD,
les apprentissages. Le livre « The No Signi- au même titre que les reproches faites aux
ficant Difference Phenomenon » de Russel méthodes de recherche des méta-ana-
(2001) recense 355 rapports de recherche lyses.
qui évaluent l’efficacité ou l’absence d’effi-
cacité des TIC. Le livre a été plusieurs Une analyse binaire (avec ou sans techno-
fois remis à jour et le site internet en est logie) n’est pas pertinente, il faut accepter
le prolongement. L’utilisation du moteur que le monde réel soit baigné par la techno-
de recherche de ce site nous indique que logie. Les relations interpersonnelles sont
sur les dernières années, la plupart des multimodales, elles ont lieu physiquement
méta-analyses valident la thèse du NSD. et en ligne. Nous pouvons mettre à profit
Quelques unes montrent un apport positif les possibilités offertes par ces technolo-
des TIC, mais essentiellement dans le su- gies pour inventer d’autres types d’activi-
périeur. Rares sont les études cependant tés (Oblinger & Hawkins, 2006). Tout a été
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0 7/21
8. modifié par le numérique : les attitudes des l’autonomie, l’individualisation, la respon-
élèves, la formation des enseignants, les sabilisation (Balanskat et al., 2006). Mais
attentes de la société (Livingstone, 2012). la motivation accrue des élèves n’est peut-
être que le fruit de la nouveauté, comment
D’autres types de recherche être sûr qu’elle perdure sur du moyen ou
long terme ?
D’autres types de recherche existent, qui
plutôt que d’isoler une variable pour l’étu- Les élèves sont les premiers à dire qu’ils
dier privilégient une approche plus holis- sont plus motivés lors de séances péda-
tique (en particulier les sciences de l’ap- gogiques utilisant les TIC. Viau inter-
prendre, ou learning sciences en anglais). roge la motivation en contexte scolaire
Ces recherches confrontent des points et affirme que les TIC ne sont pas moti-
de vue issus de différentes disciplines, à vantes en elles-mêmes, notamment une
la croisée des champs des sciences de fois passé l’effet nouveauté. Par contre,
l
En savoir plus sur
l’éducation, de la psychologie, sociologie, elles ont un fort pouvoir motivationnel, les Sciences de l’ap-
prendre.
neurosciences, etc. et s’appuient davan- sous certaines conditions : l’élève doit
tage sur des « design-based researches » percevoir d’une part la valeur de l’activité
(DBR) l. Pour les « learning scientists », pédagogique et d’autre part qu’il est assez
la cognition n’est pas localisée dans l’indi- compétent ; il doit aussi avoir un certain
vidu mais est un processus distribué entre contrôle sur le déroulement de l’activité
le détenteur du savoir, l’environnement (Viau, 2009). L’auteur emprunte une cita-
dans lequel le savoir évolue, et l’activité à tion de Laferrière (2002) : « il faut se rendre
laquelle l’apprenant participe. On ne peut à l’évidence que les ordinateurs portables
donc pas isoler une entité ou un proces- ne constituent des outils valables que
sus (apprentissage, cognition, savoir, ou dans la mesure où les enseignants ac-
contexte) (Barab & Squire, 2004). ceptent de changer leurs pratiques en les
rapprochant d’une philosophie constructi-
Dix (2007) indique une forte synergie viste qui met l’élève responsable de ses
entre les DBR et les TIC. Le contexte dans apprentissages »
lequel a lieu une expérimentation doit être
pris en compte dans l’analyse des effets Le constat de la nécessité d’avoir une ap-
des TIC sur les apprentissages. Sans proche pédagogique différente est lar-
cela, la recherche en éducation s’éloigne gement partagé, mais force est de consta-
des pratiques réelles. L’auteur propose ter que ce n’est pas toujours le cas. À titre
la mise en place d’un DBRIEF : Design- d’exemple, la collaboration accrue entre
based research in innovative education élèves n’est pas suffisamment exploitée
framework. alors même que les TIC offrent des pos-
sibilités très intéressantes. Pour Tamim, le
… Mais soulèvent beaucoup principal atout des TIC semble être le sup-
d’espoir port aux efforts des élèves pour atteindre
un objectif plutôt qu’un outil utilisé pour
Malgré les résultats des méta-analyses délivrer du contenu (Tamim, 2011).
et le phénomène du no significant diffe-
rence, les technologies numériques sou- Pour Dutta & Bilbao-Osorio (2012), s’il n’y
lèvent beaucoup d’espoir et les finance- a effectivement pas de preuves que les
ments pour les généraliser sont toujours résultats des élèves soient améliorés par
importants, même si au fil du temps ils l’utilisation des TIC, les enquêtes PISA
se concentrent moins sur l’équipement et apportent quelques pistes de réflexion.
davantage sur les ressources. La question de départ (impact des TIC sur
les résultats) est mal posée : il ne s’agit
Le rapport européen de 2006 sur l’impact pas de savoir s’il faut utiliser les TIC,
des TICE, comme beaucoup d’autres rap- mais de savoir quelles solutions tech-
ports ou recherches, met en avant l’as- nologiques peuvent soutenir l’appren-
pect motivationnel des TIC pour les appre- tissage, qui est lui-même en constante
nants, dans la mesure où elles favorisent évolution (Dutta et Bilbao-Osorio, 2012).
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
8/21 Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0
9. Chaptal (2008) relève le même problème, fie que si l’on souhaite que les outils numé-
en s’appuyant sur un rapport de l’IGEN riques rendent les apprentissages plus effi-
de 1997 (rapport Pouzard) qui plaide pour caces, il est nécessaire que les contextes
une nouvelle organisation pédagogique. dans lesquels ils sont utilisés évoluent. La
En effet, l’environnement organisationnel forme scolaire actuelle avec son cloisonne-
français n’est pas considéré comme propice ment disciplinaire et la pédagogie transmis-
à l’usage des TICE. Un nouveau modèle sive qui prédomine n’est pas propice à l’utili-
d’inspiration constructiviste serait néces- sation des outils numériques qui permettent
saire, mais cela prend du temps et exige la collaboration, les interactions ou encore
que les enseignants soient formés. D’après l’individualisation (Poyet, 2011).
Chaptal, la plupart des enseignants n’a pas
renouvelé ses pratiques pédagogiques mais Rapport au savoir
il y a en fait une « appropriation prudente et
progressive de la part des enseignants qui « Internet rend-il bête ? ». Telle était la
adaptent l’usage de nouveaux outils à leurs question posée par Nicholas Carr dans un
pratiques éprouvées ». Les progrès sont livre paru en 2011. La thèse présentée était
incrémentaux et donc pas toujours visibles. que notre cerveau s’adapte aux « nou-
Rajoutons qu’établir un lien entre les usages velles » technologies et que nous sommes
numériques et une meilleure réussite des en train de perdre notre capacité à nous
élèves est difficile dans la mesure où les concentrer. La preuve en résiderait dans la
évaluations ont gardé des formes tradition- généralisation du zapping, devenu le mode
nelles, au moins en France. de fonctionnement privilégié des jeunes.
En effet, pour les neurosciences, notre
« Les technologies numé- capacité de « lecture profonde » (deep rea-
riques en réseaux sont des ding) qui consiste à pouvoir inférer, déduire,
technologies de maitrise per- à analyser ce que nous lisons risque de se
sonnelle de l’information et de fragiliser avec l’envahissement des techno-
logies qui favorisent plutôt l’immédiateté et
la communication qui rendent
le passage d’une information à l’autre. Si
du contrôle à leurs utilisateurs le lecteur expert n’a besoin que de millise-
et leur permettent de maitri- condes pour effectuer les opérations men-
ser le rythme et la nature du tionnées ci-dessus, il a fallu à l’apprenant
processus en cours (…). Uti- quelques années pour les maîtriser. Or ce
liser les TICE à l’école relève, temps d’apprentissage risque d’être remis
à l’évidence, de la nécessité, en cause. Notre cerveau est façonné par
sauf à vouloir constituer celle- ce que nous lisons et comment nous le
ci en sanctuaire durablement lisons.
coupé de ce qui fait la réalité
Le risque existe de devenir davantage des
de l’activité économique et de
« lecteurs distraits » par toute l’information
la vie sociale, avec les consé- accessible rapidement en ligne (via les
quences prévisibles d’une telle liens hypertextes notamment), d’où la né-
coupure ». (Chaptal, 2008) cessité de former à la lecture critique et de
développer des compétences relatives à la
prise de décision ou encore à la gestion de
l’attention, compétences qui s’acquièrent
sur du long terme (Wolf, 2009). Une étude
l
Etude de Manfred
Spitzer (Allemagne -
psychiatrie).
TIC, rapport au allemande quant à elle montre que l’ordi-
nateur nuit à la mémoire, mettant en garde
savoir et styles contre la perte de concentration prolongée
d’apprentissage constatée chez certains patients (l’étude
parle de « démence numérique »). l
Il y a une tension entre la culture numérique Le savoir est donc largement questionné par
des jeunes et la culture scolaire. Cela signi- le numérique, non pas qu’il le redéfinisse,
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0 9/21
10. mais plutôt parce que les TIC modifient nos Dans ce contexte, comment peut-on es-
manières de penser, ce qui, en soi, aura des pérer mesurer l’impact des TIC sur des
conséquences sur l’École. C’est le rapport au apprentissages dont l’organisation n’évo-
savoir, à l’autorité, mais aussi à l’évaluation, lue pratiquement pas ? La notion même
qui évolue. L’enseignant est placé dans une d’impact n’est pas adaptée : cela revient à
posture moins dogmatique, l’apprentissage rester « prisonnier » d’une grille d’analyse
par cœur laisse le pas à une « méthodologie adaptée à une situation « ancienne » sans
de tri et d’interprétation de l’information plé- pouvoir ni prendre en compte de nou-
thorique dispensée par la toile ». On assiste veaux paradigmes ni mesurer une évolu-
à une triangulation entre les technologies tion qui existe pourtant, mais en dehors de
numériques, l’éducation informelle (médias, ce cadre pré-établi.
centres de cultures, etc.) et les paradigmes
pédagogiques : outre leur influence sur ces Nouveaux lieux
derniers, les technologies numériques ont d’apprentissage et nouvelles
aussi un impact sur l’apprentissage informel façons d’apprendre
qui lui-même agit sur les pratiques pédago-
giques (Eastes & Pellaud, 2008).
Bassy (2011) relève que l’apparition du
Pour d’autres, c’est plutôt la trajectoire qui terme de littératie dans les programmes
mène au savoir qui a été modifiée : elle est est symptomatique des évolutions en
devenue plus riche et plus complexe. Le cours. En anglais, le terme de literacy a
numérique change la façon de penser (De- évolué car il ne cible plus uniquement le
vauchelle, 2012), ce que Mathias appelle la lire / écrire, mais plus largement les com-
« transmutation des savoirs » avec une pen- pétences dont les individus ont besoin
sée nouvelle, davantage inscrite dans le pré- pour apprendre, travailler, interagir et évo-
sent. L’intelligence devient embarquée dans luer dans tous les aspects de la vie quoti-
les outils que nous utilisons (Mathias, 2011). dienne (Mioduser et al., 2008).
Nous pouvons faire le lien avec l’image uti-
lisée par Michel Serres (2012) : « Notre tête Bassy prend pour exemple le CDI (Centre
est jetée devant nous, en cette boîte cogni- de documentation et d’information) qui
tive objectivée ». Le bon élève n’est plus tend à devenir une sorte de learning
celui qui ingère des savoirs qu’il est capable centre, à l’instar de ce qui s’organise dans
de restituer, mais plutôt celui capable de les le supérieur (Endrizzi, 2012b, Durpaire &
« hacker », dans le sens positif du terme, Lamouroux, 2011)) où les savoirs s’orga-
c’est-à-dire de les manipuler, les modifier, nisent différemment, dans une logique
les transformer, les rendre plus opération- transversale et interdisciplinaire en faisant
nels, etc. cohabiter le livre (et ses déclinaisons) avec
le numérique (sous toutes ses formes).
Cette réflexion sur les espaces amène à
« Ne dites surtout pas que considérer les CDI comme « mutipolaires
l’élève manque des fonctions et virtuels » (Durpaire, 2005). L’interro-
gation sur les territoires –salles d’études,
cognitives qui permettent d’as-
CDI – est posée avec l’introduction de
similer le savoir ainsi distribué, l’idée des centres de connaissances et de
puisque, justement, ces fonc- culture (3C). l
l
Voir le vadémécum
tions se transforment avec le des 3C de la DGESCO
support et par lui. Par l’écriture et de l’IGEN.
Bassy regrette que les expérimentations
et l’imprimerie, la mémoire, par existantes soient en général imposées par
exemple, muta au point que le haut aux établissements scolaires (pro-
Montaigne voulut une tête bien grammes, équipements, etc.) alors qu’il
faite plutôt qu’une tête bien leur est demandé de faire vivre le numé-
pleine. Cette tête vient de muter rique en leur sein : « L’établissement sco-
laire est le théâtre d’expérimentation des
encore une fois » (Serres, 2012).
politiques numériques plus qu’il n’en est le
metteur en scène. »
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
10/21 Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0
11. Nouveaux lieux diants et avec l’enseignant et propose
On peut faire le parallèle avec les « nou- plusieurs espaces de travail (Cantin,
veaux lieux de savoir » où le numérique 2010). Punie et Ala-Mukta envisagent les
serait intégré aux pratiques scolaires. futurs espaces d’apprentissages comme
Le décloisonnement des lieux de savoir des environnements numériques person-
devient une nécessité dans les établis- nels, interconnectés, où les apprenants
sements scolaires, et cela ne devrait pas peuvent évoluer en toute confiance. Ces
concerner exclusivement le CDI (Devau- espaces sont flexibles, modulables, moti-
chelle, 2012). vants et permettent facilement la créati-
vité (Punie & Ala-Mukta, 2007).
La prise en compte des outils numériques
réinterroge l’espace scolaire dans son en- De nouvelles façons d’apprendre se
semble ainsi que l’architecture (Musset, font jour, du fait de la connexion perma-
2012). L’initiative de European School- nente des jeunes. La pensée est moins
net avec la classe du futur est à ce titre linéaire et plus visuelle, les jeunes sont
très intéressante. Le Future Classroom davantage multitâches. En parallèle, des
Lab, mis au point dans le cadre du projet compétences transversales apparaissent
iTEC (Designing the future classroom), comme nécessaires dans le monde nu-
part du postulat que ce n’est pas tant mérique d’aujourd’hui :
le numérique qui conditionne l’espace − des compétences réflexives, critiques
que l’utilisation pédagogique qui en est et évaluatives ;
fait. La classe telle qu’ils l’imaginent (au − des compétences en communication
jour d’aujourd’hui, avec les outils d’au- et en travail collaboratif ;
jourd’hui) comporte six zones d’appren- − la capacité à apprendre à apprendre,
tissages, correspondant à six situations à innover et à créer.
d’apprentissage :
− Une zone de recherche et d’accès aux À cet égard, Internet et les médias so-
ressources (textes, images, vidéos, ciaux répondent à ces exigences et leur
son, etc.) ; utilisation dans l’apprentissage formel
− Une zone de création pour la réalisa- semble prometteuse, en favorisant les
tion de projets ; démarches actives de recherche, de pro-
− Une zone de présentation avec inte- duction et de partage. Ils peuvent soute-
ractivité, audience, etc. nir les apprentissages formels et surtout
− Une zone d’échange et de collabora- informels (Deschryver, 2010, Redecker &
tion ; Punie, 2011).
− Une zone d’interactions entre l’ensei-
gnant et les élèves ; Innovations pédagogiques
− Une zone de développement plus
personnel (apprentissage informel, Il ressort de l’étude de Redecker et Punie
recherches individuelles, etc.) pour l’IPTS que « l’usage du web 2.0 à
la fois requiert et facilite des innova-
Les élèves sont davantage interconnec- tions technologiques, pédagogiques et
tés, plus impliqués, la technologie ap- organisationnelles, contribuant ainsi à
porte de la valeur ajoutée aux apprentis- une modernisation des institutions édu-
sages et leur donne aussi du sens. catives jugée nécessaire pour faire face
aux défis du 21è siècle ». On peut parler
D’autres projets plus ou moins similaires de convergences entre les innovations
existent, comme le projet TEAL (Tech- didactiques et les innovations technolo-
nology Enabled Active Learning) du MIT giques, convergences nécessaires pour
avec une salle de classe innovatrice que les changements s’inscrivent dans la
pour l’enseignement apprentissage de durée (Puren, 2009).
la physique ou encore le projet SCALE-
UP de l’Université de l’État de Caroline
du Nord où la salle de classe est conçue
pour faciliter les interactions entre étu-
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0 11/21
12. Resta et Lafferrière (2008) identifient cinq
« Le learning 2.0 permet sur- stratégies au niveau mondial pour lutter
tout des innovations pédago- contre ces fractures numériques :
giques en encourageant les − accès à du matériel, des logiciels et
des infrastructures ;
processus davantage centrés
− accès à des contenus pertinents, de
sur les apprenants, une meil-
qualité et dans les langues locales ;
leure personnalisation et un − accès à des éducateurs qui sachent
travail collaboratif »(Redecker utiliser le numérique ;
& Punie, 2011). − accès à des recherches de qualité sur
la pédagogie numérique ;
− accès à la création de contenu.
Pour autant, même si les possibilités du Pour l’Unesco et l’IFLA (Fédération inter-
numérique semblent prometteuses, cer- nationale des institutions et associations
tains aspects méritent d’être pris en de bibliothécaires), il faut développer la
compte. L’émergence des réseaux sociaux Media and Information literacy, l cette
l
Voir la page de
bouscule les relations interpersonnelles, éducation aux médias et à l’information l’UNESCO.
favorisant les relations horizontales (entre (EMI) est la convergence des deux mou-
pairs) plus que les relations verticales (hié- vements : éducation aux médias (portée
rarchiques). Or, pour Mouisset-Lacan en France par le Clemi) et l’éducation à
(2012), « la symbolique de la verticalité l’information portée par les bibliothécaires.
contribue à la co-construction de sens dans Le parcours de formation à la culture de
la mobilisation scolaire ». L’horizontalité l’information (Pacifi) proposé par l’IGEN et
des relations prend de plus en plus d’im- la DGESCO va dans ce sens en portant
portance avec l’utilisation des réseaux so- cette EMI au cœur des apprentissages.
ciaux et « semble s’accompagner de
risques sur la socialisation et la mobilisa-
tion scolaire des adolescents ». Seuls les Le retour de la
adolescents qui ont déjà des « représenta- pedagogie
tions de l’engagement éducatif parental
d’internet en lien avec la scolarité inves-
tissent la sphère culturelle d’Internet ». Ne Role des établissements
risque-t-on pas donc de renforcer des iné-
galités face au numérique ? L’enquête de l’IEA (International asso-
ciation for the evaluation of educational
Inégalités achievement) de 2006 (SITES-M1 l)
l
IEA: SITES-M1.
avait pour but d’aider les pays à évaluer
Un rapport du Centre d’analyses straté- leur positionnement dans l’usage pédago-
giques d’avril 2011 faisait état de trois fos- gique des TIC.
sés numériques : un fossé générationnel,
un fossé social et un fossé culturel (Centre Cette recherche internationale publiée en
d’analyse stratégique, 2011). Ce fossé 2006 et avec 27 pays participants a mon-
culturel est plus compliqué que les deux tré que même si l’équipement est variable
autres à combler. Tous les enfants, toutes d’un pays à l’autre, les directeurs ont en
catégories sociales confondues, passent général une attitude positive à l’égard des
beaucoup de temps devant les écrans TIC et participent à l’achat d’équipement,
(tous écrans confondus). Mais plus les de logiciels, ont le souci de la formation
familles sont culturellement défavorisées, des enseignants et de l’accès pour tous
plus les usages seront exclusivement aux technologies. Dans certains pays,
divertissants au détriment d’usages plus les enseignants ont adopté une approche
éducatifs (Rideout et al., 2010). L’appren- pédagogique davantage centrée sur l’ap-
tissage informel serait donc plus important prenant en les rendant plus actifs et res-
pour les jeunes qui sont dans un environ- ponsables. C’est particulièrement vrai au
nement favorable. secondaire au Danemark, en Israël, au
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
12/21 Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0
13. Canada, en Hongrie et en Slovénie. objectifs d’apprentissage sont inscrits
dans les programmes de cours, en par-
Assude et al. ont montré que l’adhé- ticulier dans le secondaire (Eurydice,
sion des acteurs (enseignants, élèves, 2011). L’articulation entre ces curri-
direction, hiérarchie, formateurs, etc.) culums et les pratiques de classe est
favorise les usages, même si des ré- à penser au niveau de l’établissement
sistances sont perçues, qu’elles soient qui est l’échelon essentiel de la mise
d’ordre personnelle, institutionnelle ou en œuvre des politiques numériques.
encore didactique (Assude et al., 2010). Cette articulation est d’ailleurs difficile à
faire vivre, les expérimentations ont sou-
En Angleterre, souvent considérée vent lieu sur une petite échelle et ont du
comme le « paradis des TIC », un rap- mal à s’implanter (Voogt, 2008). Même
port de 2007 du Becta montre que les lorsque les TIC sont intégrées dans les
établissements du secondaire sont bien curricula, la mise en application effective
équipés (ratio élève/ordinateur, TBI, sur le terrain est le plus souvent le fait
etc.), mais qu’ils n’ont pas de straté- d’écoles innovantes (Nachmias et al.,
gie en matière de TIC (ce que le Bec- 2008).
ta appelle e-strategy). L’implication de
l’équipe de direction est un facteur de Une étude finlandaise (Niemi et al., 2012)
progrès significatif. Lorsque tous les fac- montre qu’une intégration réussie des
teurs sont favorables et que les résultats TIC à l’école demande des qualités
des élèves s’améliorent, on peut alors pédagogiques aussi bien qu’orga-
parler de e-maturity (Cros et al., 2010). nisationnelles. Le rôle du leadership
est essentiel pour développer une vraie
Le Becta remarque qu’une pratique in- culture d’établissement (« community-
tégrée à la classe au quotidien est plus oriented approach »). Les chercheurs
favorable aux apprentissages, les TIC ont identifié six caractéristiques d’une
favorisent l’autonomie des apprenants, intégration réussie des TIC l :
mais pour autant, elles n’ont pas trans- − composante intégrée au projet de
formé les processus éducatifs (Condie & l’établissement, elles font partie de
l Voir le livre de Voogt et
Knezek, 2009 qui pro-
Munro, 2007). Un rapport des Pays-Bas la culture de l’école dans son en-
pose plusieurs articles établit le même constat : les enseignants semble ;
sur le rôle du leader- qui utilisent le numérique privilégient − développement de méthodes d’en-
ship, des teacher lea- toujours la transmission des connais- seignement apprentissage centrées
ders ou de spécialistes
du numérique dans les
sances plutôt que leur construction par sur les apprenants, qui favorisent la
établissements. les élèves, ils ne profitent pas non plus participation et l’autonomisation (em-
des potentialités du web 2.0 (collabora- powerment), avec prise en compte
tion, mondes virtuels, etc.) pour en res- des élèves à besoins éducatifs parti-
ter à une utilisation traditionnelle. (Ken- culier et réorganisation des salles de
nisnet, 2010). classes dans certains cas ;
− existence de curricula flexibles réor-
Au niveau européen, on assiste à une ganisés en fonction des besoins des
volonté politique de promouvoir des élèves ;
méthodes d’enseignement innovantes − investissements importants dans la
(apprentissage actif). La formation des communication notamment à desti-
enseignants, et surtout la formation ini- nation des parents, de la communau-
tiale, est un vecteur essentiel de l’appro- té autour de l’école, etc. ;
priation de compétences numériques − leadership et management optimum :
nouvelles (voir à cet égard le rapport encouragement, support, organisa-
belge de Vandeput et Henry, 2012 et tion ;
Fourgous, 2010). Les stratégies numé- − implication forte du personnel, avec
riques (e-strategies) sont le plus sou- une culture du partage et du travail
vent dévolues aux établissements, en d’équipe, et l’acceptation de la prise
lien avec les autorités locales ou parfois de risque (où les essais et les échecs
des agences indépendantes. Mais les sont acceptés).
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0 13/21
14. Un rapport pour la Commission euro- Le débat pédagogique revient sur le de-
péenne (2010) a quant à lui retenu six vant de la scène avec le numérique, mais
recommandations pour une bonne inté- la nature même de ces technologies fait
gration du numérique : débat : sont-elles des outils d’appren-
− rôle du leadership et de l’institution : tissage ou provoquent-elles des chan-
nécessité de développer des poli- gements importants dans les infrastruc-
tiques inclusives et ouvertes en favo- tures de l’apprentissage, auquel cas il
risant l’intégration des TIC en éduca- convient de repenser les relations entre
tion et formation ; pédagogie et société, entre enseignant
− développement des compétences et élève, entre savoir et participation (Li-
numériques et des compétences vingstone, 2012). Sanchez opte pour la
transversales transférables à la vie deuxième option et estime que l’on n’as-
quotidienne et sur le marché de l’em- siste pas seulement à une numérisation
ploi ; de pratiques préexistantes, mais aussi à
− changement de paradigme d’appren- l’émergence de nouvelles pratiques cen-
tissage (davantage centré sur les trées sur l’apprenant (Sanchez, 2012).
apprenants) ;
− développement de la formation des Les situations d’apprentissage ou l’élève
enseignants afin qu’ils utilisent des est actif et collabore (active learning)
environnements d’apprentissage sont plus efficaces en ce qui concerne
plus souples ; la réussite et la motivation (Béliveau,
− recherches sur l’apprentissage dans 2011).
une société de la connaissance, avec
des approches plus holistiques ; En 2006, l’IEA (International associa-
− vision d’avenir en ce qui concerne tion for the evaluation of educational
l’apprentissage dans un monde nu- achievement) a publié les résultats d’en-
mérique afin qu’il soit plus efficace, quêtes comparatives à l’échelle d’une
plus équitable et innovant. vingtaine de pays.
La recherche intitulée IEA : SITES
Le primat de la pédagogie 2006 l (pour Second information tech-
nology in education study) portait sur les
Nous avons vu que la question de la usages pédagogiques des TIC en ma-
pédagogie est en fait sous-jacente, pour thématiques et en sciences. L’étude re-
ne pas dire primordiale. Ce n’est donc lève que l’immense majorité des écoles
pas l’impact du numérique sur les résul- ont un accès internet pour un usage
tats qu’il faut évaluer, mais les condi- pédagogique, mais que le pourcentage
tions pédagogiques dans lesquelles ces d’enseignants qui utilisent effectivement
l
En savoir plus :IEA:
usages ont lieu. Ce sont les stratégies les TIC dans leur classe reste faible. SITES 2006.
pédagogiques qu’il convient d’analyser Les enseignants de sciences sont plus
afin de trouver quelles sont les condi- enclins à utiliser les TIC que les ensei-
tions d’une intégration réussie des gnants de mathématiques. Aucune cor-
TICE. Fourgous rappelait dans son rélation n’a été constatée entre le niveau
rapport que « ce sont les enseignants d’accès aux TIC (ratio élève/ordinateur)
possédant le plus de connaissances et le pourcentage d’enseignants qui dé-
pédagogiques qui parviennent le mieux clarent utiliser les TIC pour leur ensei-
à créer des situations stimulantes et à gnement.
faire progresser les élèves ». La maitrise
technique et pédagogique des TIC par Les facteurs favorables à l’adoption
les enseignants influence positivement des TIC relèvent essentiellement de
la réussite des élèves (Fourgous, 2012). la disponibilité perçue de la technique,
Dans son rapport précédent, il notait des infrastructures ou de l’administratif.
déjà que les TIC favorisaient la mise en L’équipement des établissements n’est
œuvre de pédagogies actives et diffé- pas une condition suffisante, le numé-
renciées (Fourgous, 2010). rique doit aussi être un élément essen-
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
14/21 Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0
15. tiel pris en compte dans les curricula. l scientifiques, chercheurs, etc.
l Pour le cas des mathé- L’impact des TIC sur les étudiants Par contre, il est à noter que les innova-
matiques, voir Trouche
et al. (à paraître) : « dépend beaucoup des approches tions ont peu d’impact sur les autres
Technology-Driven pédagogiques des enseignants : ceux classes ou sur l’école. Le transfert de
Developments and qui envisagent la formation comme un l’innovation au reste de l’école dépend
Policy Implications apprentissage tout au long de la vie fa- de l’investissement des enseignants, de
for Mathematics Edu-
cation » dans le livre vorisent les compétences attendues au l’intérêt des élèves, de la perception de
Third International XXIe siècle telles la collaboration ou la l’innovation, des possibilités de forma-
Handbook of Mathe- recherche (Law et al., 2008). tion professionnelle ou encore du sou-
matics Education. tien de l’administration. L’existence d’un
Une autre étude du même organisme plan national est aussi un facteur positif.
porte sur les innovations mises en va-
leur par les pays (28 pays) en maths Si l’institution (au niveau national et lo-
et en sciences dans le secondaire (IEA cal) et les établissements ne favorisent
SITES-M2 l). Il en ressort que les disci- pas les usages numériques, à travers
l plines les plus concernées par les inno- les équipements, la formation, les cur-
IEA: SITES-M2.
vations sont les sciences et les langues ricula, les innovations risquent de rester
(maternelles et étrangères) et dans une le fait de quelques enseignants militants
moindre mesure les sciences sociales et l’école risque de se couper davan-
ou les arts. Beaucoup d’innovations tage des évolutions numériques.
ont un caractère pluridisciplinaire. Une
évolution notable réside dans le chan- innovation pedagogique et
gement de posture adopté par les outils mobiles
enseignants qui se considèrent moins
comme des passeurs de savoir et plutôt À l’heure actuelle, il est impossible de
comme des conseilleurs, orientateurs parler des TIC, du numérique en géné-
ou guides. Les changements opérés ral, sans s’intéresser aux outils mobiles
concernent aussi les situations de tra- qui s’imposent dans notre quotidien,
vail dans la mesure où les élèves colla- qu’il s’agisse de baladeurs, de tablettes
borent la plupart du temps et effectuent ou de smartphones.
des recherches sur Internet et sont
moins dans un fonctionnement tradition- Pour certains, le virage numérique n’a
nel de classe avec prise de notes et tra- pas été pris par le monde de l’éduca-
vaux dirigés. D’importantes similitudes tion, du fait de résistances de l’institu-
entre pays ont été notées à cet égard. tion ou du corps enseignant, l’innova-
Les apprenants sont davantage enga- tion tant vantée n’est pas au rendez-
gés dans des activités constructivistes vous. L’innovation pédagogique ne vient
(recherche d’information, création de pas non plus des ENT comme cela a été
produits, publication de leurs travaux) promis, mais bel et bien des outils de
favorables à la collaboration entre pairs mobilité : « les outils de mobilité sont
(que ce soit au sein de l’établissement les véritables vecteurs de l’innovation
ou avec des élèves de l’étranger). Béli- pédagogique par l’interactivité qu’ils
veau notait dans sa recherche que les rendent possible, alors qu’ils semblent
méthodes socio-constructivistes ont la avoir été négligés par l’institution, si l’on
faveur des chercheurs (Béliveau, 2011). excepte quelques expérimentations »
(IGEN, 2012).
Les enseignants créent les dispositifs
dans la plupart des cas, organisent les Pourtant, le mobile learning (apprentis-
activités des élèves et évaluent les per- sage avec des appareils nomades) reste
formances des élèves. Dans plus de confidentiel en Europe. D’après un rap-
la moitié des cas, les enseignants col- port de l’UNESCO de 2012, seuls trois
laborent entre eux. Dans quelques cas pays le prennent en considération de
marginaux, la collaboration a lieu avec manière sérieuse au niveau national :
des personnes extérieures : experts, − le Royaume-Uni, même si la respon-
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0 15/21
16. sabilité des recherches est depuis à Internet depuis un outil mobile est en
peu laissée au autorités locales ; croissance de 34%, soit 5 fois plus que
− le Danemark, avec un fort pilotage le taux de ceux qui se connectent depuis
national ; un ordinateur.
− les Pays-Bas, malgré une absence de
stratégie nationale. Hooft part du principe que les outils évo-
luent très rapidement et qu’ils peuvent
Pour les autres pays d’Europe, aucune disparaître pour être remplacés par
recherche ni aucun rapport ne sont réfé- d’autres. Par contre, la connexion per-
rencés par l’UNESCO. Les freins à l’uti- manente des individus est une réalité de
lisation de ces outils relèvent d’une part plus en plus partagée. C’est pourquoi il
d’un manque d’intérêt des décideurs et plaide pour que soit repensé ce qui se
d’autre part d’un a priori négatif qui asso- fait à l’école dans les champs de l’en-
cie les téléphones portables aux loisirs seignement, de l’apprentissage et des
(jeux, réseaux sociaux) et l’internet à des technologies. L’école est devenue un
dangers (cyber-bullying). processus, et non plus une entité définie
par un espace et un temps fixes (Hooft,
Si l’on considère le taux de pénétra- 2008).
tion des téléphones portables de 130%,
l’usage de ces terminaux dans le do- En Afrique et au Moyen Orient, l’accès
maine scolaire reste très faible. Pour à internet se fait davantage par les té-
que les outils nomades soutiennent les léphones portables. D’ici à 2015, il est
apprentissages, il convient de les utili- estimé que les africains auront plus faci-
ser en complément des outils déjà exis- lement accès à internet qu’à l’électricité
tants (ordinateurs) et dans une approche chez eux. Au Moyen-Orient, le taux de
mixte, associant enseignement en pré- pénétration des téléphones portables
sence et à distance (blended learning). est autour de 90 / 100% et même dans
Il est pertinent aussi de disséminer les les pays les plus pauvres comme le
résultats, les expériences (Hylen, 2012). Yémen ou la Palestine, ce taux devrait
Trois scénarios sont possibles d’après croitre d’ici peu du fait de l’arrivée de
l’auteur du rapport : nouveaux opérateurs et d’un marché de
− À l’instar de la France, les technolo- la jeunesse en plein boom. En Chine, en
gies mobiles sont mal perçues et la juillet 2012, plus de la moitié des inter-
tendance est à l’interdiction ; nautes surfait depuis son téléphone por-
− Comme aux Pays-Bas ou au Dane- table plutôt que depuis un ordinateur.
mark, elles ne sont qu’un nouvel outil
TIC au même titre que les autres ; Dans les pays d’Afrique, les infrastruc-
− Elles sont vues comme portant en tures sont peu développées, la connexion
elles une pratique pédagogique révo- via des lignes fixes est inexistante dans
lutionnaire parce qu’elles permettent certaines régions. Ceci explique l’essor
notamment des apprentissages for- des technologies sans fils, qui peut se-
mels et informels quelques soient les lon les pays être plus importante que
lieux et les moments. dans certains pays développés (Brown,
2008).
L’étude « Mobile Web Watch 2012 » qui
concerne treize pays d’Europe, d’Amé- La plupart des projets d’apprentissage
rique latine et d’Afrique du sud, publiée nomade concerne l’enseignement pri-
au mois d’octobre est sans équivoque : maire et secondaire dans les pays
les outils mobiles (smartphones, ta- d’Afrique et du Moyen Orient, particuliè-
blettes et netbooks) sont devenus les rement en Afrique du Sud, au Kenya et
principaux moyens de connexion à en Ouganda et utilisent des téléphones
Internet (69%), quelque soit l’âge des portables. Les projets se font en général
personnes. Le smartphone se situant à petite échelle et utilisent principale-
bien devant les autres outils (61%). Le ment du texte (sms, messagerie instan-
taux des personnes qui se connectent tanée).
Dossier d’actualité veille et analyses • n° 79 • Décembre 2012
16/21 Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0
17. D’après un rapport de l’UNESCO, les La formation des enseignants est un levier
conditions pour développer l’apprentis- essentiel pour que le numérique soit utilisé
sage mobile relèvent d’un leadership de manière efficace dans des situations
visionnaire et impliqué dans les établis- d’apprentissage, et la présence d’un « ré-
sements, de capacités technologiques férent pédagogique » peut s’avérer utile.
(infrastructures et matériel), d’un dévelop- (Cros et al., 2010). Pourtant, à l’heure
pement professionnel cohérent (formation actuelle en France, la formation s’acquiert
pédagogique, blended learning) et de poli- surtout par l’autoformation (Alluin, 2010).
tiques volontaires qui visent à promouvoir
et soutenir les initiatives (Fritschi et Wolf,
2012).
Bibliographie • Barrette Christian (2009). « Métarecherche sur les
effets de l’intégration des TIC en pédagogie collé-
La plupart des liens figurant dans ce Dossier giale ». RITPU - Revue internationale des techno-
renvoient vers les notices correspondantes dans notre logies en pédagogie universitaire, vol. 6, n° 2-3, p.
bibliographie collaborative qui comprend les réfé- 18-25.
rences complètes et les accès éventuels aux articles
cités (libres ou payants selon les abonnements électro- • Bassy Alain-Marie (2011). « Le numérique ou les
niques de votre institution). fausses évidences ». Administration et éducation,
vol. 2011-1, n° 129, p. 19-25.
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Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0 17/21