1. Agathe ROY ECOLE DU LOUVRE
Séminaire d’art vénitien
La dispersion de la prédelle du retable de S. Zénon
La prédelle de San Zeno constituait la partie basse d’un grand triptyque illustrant une
Sacra Conversazione, commandé par le protonotaire Gregorio Correr, pour la basilique San
Zeno Maggiore de Vérone et peint par Andrea Mantegna (Isola di Carturo, v.1431 – Mantoue,
1506) entre 1457 et 1459. Trois panneaux de peuplier la composent. Ils représentent trois
scènes de la passion du Christ.
Le premier panneau représente la Prière au jardin des Oliviers. Le Christ s’adresse à Dieu
dans une fervente prière, alors que ses trois disciples sont endormis à ses pieds. Un ange
tenant un calice descend du ciel à sa rencontre. Ils prennent place dans un paysage rocailleux,
à l’écart de la ville que l’on aperçoit en haut à gauche du panneau. Les soldats, qui avancent le
long d’un sentier sinueux, sont déjà en route pour arrêter le Christ.
Suite à son arrestation, Jésus sera conduit devant ses juges et crucifié. C’est cette
Crucifixion qui est illustrée sur le second panneau. Les trois croix, recevant les corps des deux
larrons à gauche et à droite et du Christ, au centre, rythment la composition. Le corps de Jésus
suit l’axe vertical central du panneau. A ses pieds, un crane rappelle que la scène se déroule
sur le Mont Golgotha. Dans ce panneau, Mantegna a utilisé un grand répertoire
d’expressions : on peut lire l’horreur sur le visage de saint Jean, vêtu de bleu ; la profonde
douleur sur ceux du groupe de femmes retenant la Vierge évanouie ; la souffrance physique
qui marque le visage et le corps des larrons ; ou encore l’indifférence des soldats jouant aux
dés. Le Christ, amaigri, est déjà mort. Son flanc a été percé de la lance, du sang s’échappe de
sa plaie.
2. Dans le troisième panneau, le Christ ressuscite. Son corps, désormais musclé, est drapé à
l’antique. Son pied gauche, qui porte les stigmates, est posé sur le rebord du tombeau de
marbre blanc dans lequel il avait été déposé. Il se tient devant une mandorle dorée, faite de
rayons lumineux et d’angelots rouges et blancs, et effectue un signe de bénédiction de sa main
droite. Autour de lui, des soldats assistent à la scène. On peut lire dans leurs expressions un
mélange de peur, d’étonnement et d’une certaine incrédulité.
Bien que peinte sur des panneaux indépendants, l’œuvre de Mantegna est parfaitement
unitaire. Il l’a conçue comme un tout, du cadre aux éléments peints en veillant à une
concordance stylistique, mais aussi narrative de l’ensemble. Le thème de la « Conversation
Sacrée », représenté sur les panneaux principaux, invite à une réflexion sur le rachat de
l’humanité par le Christ et sur les souffrances qu’il a endurées, souffrances figurées dans la
prédelle. Des éléments, comme le ciel bleu parsemé de nuages se retrouvent dans chaque
panneau et créent une liaison entre eux. Mantegna avait également pris en considération la
provenance de la lumière au sein de la basilique afin de la retranscrire dans son œuvre, en
donnant l’illusion que les fenêtres hautes éclairent directement ces scènes bibliques.
Cette communion si bien pensée, s’est trouvée, en partie, sacrifiée lorsque les troupes
napoléoniennes se sont emparées de la pala le 15 mai 1797. Les savants Gaspard Monge et
Claude Louis Berthollet ont été chargés de saisir tout ce qui possédait un intérêt artistique à
Vérone. En vue de l’admiration que suscitait la pala de San Zeno depuis sa création, elle ne
pouvait échapper au pillage. Pour faciliter son transport, le cadre fut laissé sur place et les
panneaux transportés indépendamment. Ils rejoignirent Paris le 27 juillet 1798 et furent
présentés au Museum Central des Arts, l’actuel Musée du Louvre, dès le mois de novembre.
Mais dès ce moment là, la cohésion entre chaque partie ne fut plus respectée. Les panneaux
furent considérés comme des entités indépendantes, notamment à cause de leurs dimensions.
Chaque panneau de prédelle mesure environ 76cm sur 96cm, soit les dimensions de panneaux
de dévotion privée.
Après la chute de Napoléon et le congrès de Vienne, qui s’est tenu du 1er novembre 1814
au 9 juin 1815, la France s’est vue dans l’obligation de restituer aux pays anciennement
vaincus par les troupes napoléoniennes les œuvres d’art saisies. Les panneaux principaux du
retable de San Zeno – La Vierge et l’Enfant Jésus, Saint Laurent et d’autres saints et Saint
Pierre et d’autres saints – rejoignirent Vérone dès 1815. En revanche, les trois panneaux de
prédelle demeurèrent en France, mais pas exclusivement au Louvre.
En effet, c’est dès 1804 que s’est jouée la dispersion des trois éléments de la prédelle de
San Zeno. Les biens du cardinal de Richelieu furent saisis en Touraine, et déposés dans la
3. ville de Tours. Parmi ces biens, se trouvaient des panneaux du Studiolo d’Isabelle d’Este que
le Louvre réclama. Ce sera pour compenser le rapatriement de ces tableaux que le Museum
Central enverra à Tours La Prière au jardin des Oliviers et La Résurrection en 1806, après
restauration des panneaux. Les raisons de cette dispersion de la prédelle demeurent inconnues.
Il semblerait que ce soit les dimensions et le traitement de chaque panneau comme une
scénette indépendante, bien qu’incluse dans une narration, qui ait conduit à cette division. Au
départ, seule La Résurrection devait être envoyée à Tours, accompagnée de cinq autres
tableaux. L’un d’eux fut finalement réservé pour un autre lieu, et on envoya La Prière au
Jardin des Oliviers de Mantegna pour combler le manque.
Ainsi séparés, les panneaux ont du se construire une identité propre. Au musée du Louvre,
la Crucifixion a presque toujours pris place à côté des autres œuvres de Mantegna présentes
dans le musée : Le Triomphe de César, La Vierge de la Victoire, Le Parnasse et La Sagesse
victorieuse des Vices. C’est alors toujours dans un discours historiographique qu’a été inséré
le tableau. Il représentait à lui seul les innovations que Mantegna a développées dans la Pala
de San Zeno. En revanche, à Tours les choses étaient différentes. Ce n’est pas un mais deux
panneaux qui y ont été envoyés. Malheureusement pas deux panneaux consécutifs, et l’on sait
combien Mantegna avait travaillé à faire correspondre une évolution stylistique à la
chronologie des évènements représentés. Très tôt considérés comme les chefs-d’œuvre du
musée, ces deux panneaux se sont toujours vus attribuer la meilleure place sur les cimaises
tourangelles. Mais, bien qu’exposés côte à côte, ils procèdent, eux aussi, désormais d’un
fonctionnement individuel. Les panneaux ainsi séparés n’existent plus comme un ensemble
dans lequel chaque élément fait écho au suivant, ils représentent autant d’épisodes
indépendants qu’il y a de tableaux.
Le rassemblement de la prédelle a souvent été pensé, mais n’a jamais abouti de manière
définitive. Les expositions temporaires ont donc été perçues comme l’unique moyen de
recomposer le temps de quelques mois l’œuvre telle que Mantegna l’avait pensée. Elles sont
au nombre de cinq. La première qui a proposé cette réunion des trois éléments de la prédelle
de San Zeno fut la grande exposition d’art italien qui s’est tenue à Londres, à la Royal
Academy, en 1930. Cinq ans plus tard, c’est au Petit Palais de Paris qu’a eut lieu une nouvelle
rétrospective de l’art italien. Les panneaux étaient accrochés côte à côte, mais chacun avec
son cadre. Alors qu’en 1956, l’exposition ‘De Giotto à Bellini. Les primitifs dans les musées
de France’ – Paris, musée de l’Orangerie – releva le défi de présenter les panneaux dans un
cadre unique et de recomposer ainsi explicitement la prédelle de San Zeno. Puis, les trois
panneaux se sont retrouvés en 2008 au musée du Louvre (‘Mantegna. 1451-1506’) et l’année
4. suivant au musée des Beaux-arts de Tours, dépourvus de tout cadre. Ces rassemblements
seront de plus en plus rares à cause de l’extrême fragilité des panneaux, notamment de La
Prière au jardin des Oliviers, transposée en 1870 et actuellement disposée, tout comme La
Résurrection, dans un caisson climatique.
Ces manifestations permettent une lecture nouvelle de chacun de ces panneaux de prédelle,
ainsi qu’une meilleure compréhension de la genèse de l’œuvre de Mantegna. La récente
exposition ‘Mantegna. La prédelle de San Zeno de Vérone, 1457-1459’, qui s’est tenue au
musée des Beaux-arts de Tours du 4 avril au 22 juin 2009, a permis, grâce aux études
scientifiques effectuées pour l’occasion, de proposer un ordre d’exécution pour les trois
tableaux. En vue des repentirs au niveau des dessins sous-jacents et des pigments utilisés à
divers endroits sur les trois panneaux, il semblerait que ceux-ci aient été peints de gauche à
droite, dans l’ordre chronologique de l’iconographie.
Afin de palier au manque de cette prédelle dans la basilique San Zeno Maggiore, une
copie, presque conforme, des trois panneaux, exécutée par Paolino Caliari (Vérone, 1763 –
Vérone, 1835), a rejoint le triptyque. Ceci a permis de conserver l’œuvre dans son cadre
d’origine, conçu par le maître et de faire perdurer l’invention de sa composition qui marqua
tant l’Italie de la Renaissance.
Bibliographie :
BLUMER, Marie-Louise. « Catalogue des peintures transportées d’Italie en France de
1796 à 1814 », Bulletin de la Société de l’Art Français, 2ème fascicule. Paris : 1936.
CIATTI, Marco et MARINI, Paola. Andrea Mantegna : la Pala di San Zeno : studio e
conservazione. Florence : Edifir, 2009.
GOB, André. Des musées au dessus de tout soupçon. Paris : Presses Universitaires de
France, 2009.
GOETZ, Adrien. « Un Mantegna en trois morceaux », Le Figaro, 8 juin 2009.
Mantegna. La prédelle de San Zeno de Vérone, 1457-1459 : [sous la direction de Philippe
Le Leyzour] Tours, musée des Beaux-arts, 4 avril – 22 juin 2009. Milan : Silvana Editoriale
Spa, 2009.
MARCHI, Gian Paolo et MARINI, Paola. 1797 Bonaparte a Verona. Venise : Marsilio
Editori, 1997.
PRESENTI, F.R. « Les œuvres démembrées dans la peinture italienne », Inventaire illustré
d'œuvres démembrées célèbres dans la peinture européenne. Unesco, 1973.
ROY, Agathe. La prédelle du retable de San Zeno de Mantegna : Démembrement et
dispersion : quels enjeux pour l’accrochage des panneaux relatant la passion du Christ ?
[sous la direction de Cécilia Hurley-Griener], Mémoire de l’École du Louvre, 2010-2011.