1. ANGÉIOLOGIE ET DERMATOLOGIE
Troubles trophiques des membres
inférieurs chez les patients de race noire
Trophic lesions of the lower limbs
in black patients
Patrice BOURÉE1, Jacqueline LE GOASTER2
1 Service des Maladies Parasitaires et Tropicales, Hôpital Bicêtre, Univ Paris XI
2 Dermatologue, 2 rue Jean Richepin, 75116 Paris
Résumé
Summary
En pathologie tropicale, les membres inférieurs des sujets
de race noire sont l’objet de troubles trophiques diverses.
Tout d’abord, il faut remarquer de nombreuses cicatrices
dues à des microtraumatismes dans l’enfance. Puis des
atteintes plus rares, mais plus graves, sont provoquées par
les mycétomes avec destruction des tissus mous et des os,
nécessitant au maximum une amputation. Par ailleurs, les
filarioses, fréquentes en zone trropicale, provoquent des
troubles parfois importants. La filaire de Médine
(Dracunculus medinensis) se manifeste par une phlyctène
d’apparition spontanée suivie d’une sortie d’une filaire
évoquant un spaghetti, dont le traitement reste la « méthode
indigène », c’est-à-dire l’extraction douce par enroulement
sur un bâtonnet. La filaire Loa loa, en Afrique centrale,
provoque du prurit et des oedèmes fugaces et migrateurs, de
la face et des membres supérieurs mais assez rarement au
niveau des membres inférieurs mais toutefois possibles en
cas de complication cardiaque. L’onchocercose, transmise
par un moucheron, provoque des nodules durs et mobiles
(agrégats de filaires adultes d’Onchocerca volvulus), un
prurit féroce entraînant une dépigmentation cutanées des
zones prétibiales en « peau de léopard », mais le risque
majeur est une destruction de la rétine avec une cécité
définitive. Enfin, les atteintes les plus impressionnantes des
membres inférieurs sont dues aux filaires lymphatiques
(Wuchereria bancrofti), transmises par la piqûre de
moustiques, qui se manifestent par des lymphangites
rétrogrades, une chylurie, des adénopathies et surtout un
éléphantiasis. Le diagnostic nécessite une recherche des
microfilaires sanguines à minuit. Le traitement médical de
ces filaires s’effectue par une prise unique d’ivermectine,
mais l’éléphantiasis nécessite des bandages serrés puis
éventuellement une intervention chirurgicale.
The legs of black people living in tropical countries are
often the seat of cutaneous lesions : from multiple scars
due to minor trauma in childhood to less common but
more serious lesions. Mycetomas with involvement of the
skin, the muscles and the bone may lead to amputations.
An erythema nodosum leprosum is sometimes a reaction
to the treatment of leprosy. Filariasis may cause skin
lesions. Dracontiasis, or Guinea worm, (Dracunculus
medinensis) produces a vesicle on the skin in which the
spaghetti-like worm gradually appears – it is then
extracted by the “indigenous method” which consists in
twirling it slowly and progressively daily around a small
stick until it is removed. In central Africa a Loa Loa
infection causes pruritus and transitory migratory areas
of oedema mostly on the face and arms but more rarely
on the legs when it is associated with cardiac
complications. Onchocerciasis, is transmitted through
the bite of black-flies (Simulium). It produces
subcutaneous nodules (which contain a dense mass of
connective tissue with encapsulated adults worms) and a
severe pruritic skin rash resulting in a lichenification of
the skin and a depigmentation of the skin in the pretibial
region; but the major risk is the eye lesions (retinitis and
choroiditis) which lead to permanent blindness. Finally,
the most spectacular lesions of the legs are due to
lymphatic filariasis (Wuchereria bancrofti), transmitted
through mosquito bites, which provoke a lymphadenitis
with lymphangitis, a chyluria and, particularly, an
elephantiasis. The diagnosis is confirmed when the
microfilariae are found in the blood drawn at night.
Ivermectin is an effective treatment of the filariasis, but
the elephantiasis requires prolonged firm bandaging and,
often, surgical excision.
ANGÉIOLOGIE, 2011, VOL. 63, N° 3
1
2. 2
ANGÉIOLOGIE ET DERMATOLOGIE
Introduction
En pathologie tropicale, les membres inférieurs des
sujets de race noire sont l’objet de troubles trophiques
diverses. Les simples cicatrices sont très fréquentes. Des
mycoses graves peuvent détruire les tissus. Un érythème
noueux peut révéler une lèpre. Différents filarioses des
jambes provoquent de troubles trophiques parfois
importants.
Les mycétomes
Tout d’abord, il faut remarquer de nombreuses
cicatrices sur la région prétibiale, dues à des
microtraumatismes dans l’enfance (égratignures diverses,
traces de bagarres, séquelles de foot). Ces cicatrices
laissent souvent des traces hyperpigmentées, voire des
chéloïdes.
Plus rares, mais plus graves sont les atteintes des
jambes, en Afrique ou en Asie, par des champignons
(Madurella mycetomatis, leptosphaeria) ou des bactéries
(Nocardia, Streptomyces) responsables des mycétomes qui
détruisent les tissus sous-cutanés et les os (fig. 1). Le pied
est boursouflé et percé de nombreux pertuis en « pomme
d’arrosoir », (fig. 2) d’où sortent des grains de couleurs
différentes (noirs, blancs, jaunes) qui sont des amas de
champignons qui sont mis en culture pour permettre leur
indentification [1] Les chromomycoses, dues à des
champignons tropicaux (Cladiosporium, Fonsecaea))
transmis par les piqûres d’épineux, apparaissent sous
forme de lésions végétantes et verruqueuses. Le
traitement médical est difficile et parfois insuffisant,
nécessitant le recours à l’amputation [2].
L’érythème noueux
Encore assez fréquent en zone tropicale, un érythème
noueux peut, dans un contexte particulier, révéler peut
certaines affections : une yersiniose (diarrhée ou
lymphadénite mésentérique), une sarcoïdose (polyarthrites
fébriles, adénopathies médiastinales, intradermo réaction
à la tuberculine négative), une primo-infection
tuberculeuse (BK au tubage), infections streptococciques
(angine, granulome dentaire) [3] mais aussi une lèpre
(réaction au traitement, poussée évolutive), [4, 5] une
trypanosomose africaine adénopathies cervicales, troubles
neurologiques),
ou
encore
une
intoxication
médicamenteuse (sulfamides, β-lactamines, salicylés). Les
recherches étiologiques de ces affections sont nécessaires,
même si elles n’aboutissent pas toujours au diagnostic
précis, pour affirmer le diagnostic et mettre en route le
traitement spécifique.
Les filarioses
Figure 1 : Mycétome du pied.
Figure 2 : Destruction osseuse due aux mycétomes.
ANGÉIOLOGIE, 2011, VOL. 63, N° 3
Les filarioses sont des affections fréquentes en zone
tropicale et ont très souvent des manifestations cutanées.
La filariose de Loa loa, localisée en Afrique centrale,
est transmise par la piqûre d’un taon. Cette filaire
provoque un prurit généralisé mais surtout un oedème
fugace et migrateur (visage et membre supérieur) et le
passage du ver adulte (environ 5 cm) sous la conjonctive :
impressionnant mais ne touche pas la vision. La recherche
des microfilaires sanguicoles doit se faire vers midi,
correspondant aux heures les plus chaudes du nycthémère
et à l’activité maximum des taons [6].
L’onchocercose, en Afrique et en Amérique du sud, est
transmise par la piqûre d’un moucheron (simulie). La
filaire adulte se pelotonne sous la peau en formant des
nodules durs et mobiles. Les microfilaires d’Onchocerca
volvulus traversent la rétine et viennent nager dans
l’humeur aqueuse en provoquant une cécité définitive. Le
prurit est féroce et généralisé (fig. 3), à tel point que la
peau est dépigmentée en région prétibiale (peau de
léopard) (fig. 4) et lichenifiée en région lombaire (peau de
crocodile) [7]. La recherche des microfilaires s’effectue par
biopsie cutanée exsangue [8].
3. ANGÉIOLOGIE ET DERMATOLOGIE
Figure 3 : Prurit dû à l’onchocercose.
Figure 4 : Dépigmentation prétibiale de l’onchocercose.
Les filarioses lymphatiques, présentes dans toutes les
zones tropicales, sont transmises par la, piqûre d’un
moustique (Culex). Les filaires adultes sont localisées dans
les voies lymphatiques et les microfilaires dans le sang. Il
existe plusieurs espèces de filaires lymphatiques :
Wuchereria bancrofti (périodicité nocturne), Brugia malayi
(subpériodique) et W. b. pacifica (apériodique). Elles se
manifestent par une lymphangite rétrograde et des
Figure 5 : Eléphantiasis des jambes des filarioses lymphatiques.
Figure 6 : Eléphantiasis « historique ».
adénopathies, et au bout de plusieurs années, une chylurie
et un éléphantiasis des membres (fig. 5) et du scrotum [9]
(fig. 6). Le diagnostic est confirmé par la recherche des
microfilaires dans le sang vers minuit, correspondant aux
heures les plus fraîches du nycthémère et à l’activité
maximum des moustiques. Les campagnes de traitement
de masse ont fait reculer l’incidence de la filariose et
permettent d’envisager une éradication [10].
ANGÉIOLOGIE, 2011, VOL. 63, N° 3
3
4. 4
ANGÉIOLOGIE ET DERMATOLOGIE
Figure 7 : Phlyctène due à la filaire de Médine.
Figure 8 : Extraction de la filaire de Médine.
La filariose de Médine, ou Dracunculus medinensis,
mesurant de 50 à 100 cm, est située en Afrique
subsaharienne. L’homme s’infeste par ingestion de
crustacés microscopiques (cyclops) contenant les
microfilaires. Celles-ci vont traverser la paroi gastrique et
gagner, en plusieurs mois, les tissus sous-cutanés où elles
deviennent adultes [11]. Elles forment alors une phlyctène
(fig. 7) puis sortent au contact de l’eau douce où elles
émettent des millions de microfilaires. Le diagnostic est
facile dès l’inspection. Outre la vaccination antitétanique,
le traitement reste encore l’extraction douce à la main en
l’enroulant sur un bâtonnet («méthode indigène ») (fig. 8).
Le risque étant une infection cutanée et en particulier le
tétanos, la vaccination contre le tétanos est systématique
dans cette indication.
Le traitement des filarioses, autrefois basé sur la
diéthylcarbamazine, efficace mais souvent mal toléré, est
à l’heure actuelle, simplifié par la prise unique
d’ivermectine [12]. La chirurgie est parfois nécessaire pour
l’ablation des nodules onchocerquiens ou la cure
d’éléphantiasis. Dans le cas des éléphantiasis des jambes,
les bandages apportent un soulagement indéniable. Le
repos et le régime remplaçant les graisses par des
triglycérides à chaîne moyenne seraient bénéfiques mais
difficiles à appliquer aux patients en zone rurale.
dues aux filarioses qu’il est important de diagnostiquer,
d’autant plus que le traitement actuel est rapide, efficace
et bien toléré.
Conclusion
Devant des lésions cutanées chez un sujet de race
noire, outre des oédèmes fistulisés dus aux mycétomes, les
principales causes des troubles cutanés des jambes sont
ANGÉIOLOGIE, 2011, VOL. 63, N° 3
Bibliographie
1.
Develoux M, Dieng MT, Kane H et al. Prise en charge des
mycétomes en Afrique de l’Ouest. Bull Soc Pathol Exot 2003,
96 :376-82.
2. Welsh O, Vera-Cabrera I, Salinas-Carmora MC. Mycetoma.
Dermatol Clin 2007; 25:195-202.
3. Requena L, Yus ES. Erythema nodosum. Dermatol Clin.
2008;26:425-38.
4. Worobec SM. Treatment of leprosy/Hansen’s disease in the
early 21st century. Dermatol Ther. 2009 ;22:518-37.
5. Bourée P, Bisaro F, Lançon A, Djibo N. Un érythème noueux
tropical. Rev Fr Lab 2009 ; 39 : 61-65.
6. Boussinesq M. .Loiasis. Ann Trop Med Parasitol. 2006;
100 :715-31.
7. Stingl P. Onchocerciasis: developments in diagnosis,
treatment and control. Int J Dermatol. 2009;48:393-6.
8. Bourée P, Issoire C. L’onchocercose. Rev Eur Dermatol 1991 ;
3 : 387-93.
9. Pfarr KM, Debrah AY, Specht S, Hoerauf A. Filariasis and
lymphoedema. Parasite Immunol. 2009 ;31:664-72.
10. Bockarie MJ, Deb RM. Elimination of lymphatic filariasis : do
we have the drugs to complete the job? Curr Opin Infect Dis
2010; 23: 617-20.
11. Ruiz-Tiben E, Hopkins DR. Dracunculiasis (Guinea worm disease) eradication Adv Parasitol. 2006;61:275-309.
12. Datry A, Thellier M, Alfa-Cissé O, Danis M, Caumes E.
Ivermectine, un antiparasitaire à large spectre. Presse Med.
2002 6;31:607-11.