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PACE
“Game of Thrones,
pourquoi un tel succès”

Thomas Rousseau
Télécom Paristech
Promo 2015
thomas.rousseau@telecom-paristech.fr
Pourquoi un tel succès ?

	 Game of Thrones, Le Trône de Fer en français, série
événement produite par la chaîne américaine HBO, dont
la diffusion a commencé en 2011, n’a cessé de surprendre
et d’interroger.
	
Basée sur la saga d’heroic fantasy (science fiction médiévale) de George R.R. Martin,
dont la réputation n’est pus à faire, cette série
au parfum sombre et médiéval a su mettre en
émoi toute la communauté de fans de ce genre
littéraire, tout en créant un énorme buzz sur la
toile. Déjà deux saisons produites, correspondant aux trois premiers tomes de la série de romans, et une troisième promise pour le mois
d’avril 2013. Une série au rythme effréné, visuellement impeccable, un univers chaotique
et complexe, une centaine de personnages, des
paysages et décors aussi impressionnants que
sublimes, des retournements de situation et un
suspense intenable pour les non-lecteurs, tout
ceci a su faire le succès d’une saga de fiction
moderne et prenante.
	

6

	
Cependant, on est en droit de s’interroger sur ce succès. Il s’agit d’un sous-genre
plutôt peu ou mal représenté sous forme de
série télévisuelle. Il règne de plus dans le milieu
de la production de ces séries une concurrence
implacable, et des coûts souvent monstrueux, si
l’on considère les quelques centaines de millions
de dollars qu’a coûté la trilogie du Seigneur des
Anneaux de Peter Jackson. On a également affaire à une série fortement critiquée, agressée
de tous cotés, souvent à cause d’un trop plein de
violence explicite, ou d’érotisme trop insistant.
Tout porte à croire à un succès atypique, basé
sur un roman qui, il y a quelques années, était
encore confidentiel relativement à ce qu’il est
devenu plus récemment. Mais peut être est ce
justement ce support papier qui a porté la série,
apportant une communauté de fans préexistante, et participant ainsi à son succès colossal.

p12	

	

p20
p22	

P28	

Argent & Serie
Diffusion & Pirates
Reception & Critique
Livres & Adaptation
7
C’est à travers ces multiples facettes
que l’on tentera de comprendre les causes de
ce phénomène médiatique, qui n’a eu que peu
d’égal ces dernières années. On se tournera
vers la chaîne HBO, dont cette série est l’investissement le plus récent, avant de décortiquer
le contenu de la série et ses critiques, et enfin
on appréciera le regard de
l’auteur George R.R. Martin sur cette œuvre, et toute
la communauté de fan que
cette adaptation a fédéré
dans une dynamique collective.
	

	
Avant même d’aborder et d’analyser la
production de la série, il est essentiel de dresser un résumé de l’univers afin de vous plonger
dans la série. Les puristes seront offensés, tant
il semble impossible de condenser un univers si
riche en quelques lignes, mais il s’agit là uniquement de donner quelques repères visuels.

Notre curiosité est rapidement piquée par ces
affiches d’HBO, souvent assez sombres, ici
pour la diffusiWon de
la deuxième saison

Une carte de l’univers de George R.R. Martin, disponible au début du roman, chose
très classique dans ce genre littéraire

8

9
L’histoire se déroule sur les deux continents fictifs de Westeros et d’Essos, le premier
rappelant l’Europe médiévale tandis que le second a quelque chose de plus exotique, tirant sur
le Moyen Orient. Le fil principal de l’histoire
prend place sur Westeros, où se situe King’s
Landing, Port Real en français, la capitale en
quelque sorte de cet univers. Là bas se trame une
sombre lutte pour le Trône de Fer, opposant la
famille Stark, venant du nord, froids, et accor-

dant une grande place à l’honneur, à la famille
Lannister, manipulateurs fourbes et avides de
pouvoirs. Puis viennent deux trames secondaires ; au nord, l’hiver arrive, et des êtres aussi
surnaturels qu’emplit de cruauté s’apprêtent à
fondre sur le continent. Et à l’est, une princesse,
Daenerys Targaryen, dernière descendante des
«  dragons  », dépossédée de son trône, mûrit
l’idée de le reconquérir

Bien qu’ils prennent leur temps pour
apparaitre dans la série, les dragons, ici
accompagné de Daenerys, permettent de
nous évader des intrigues politiques
Le monde des puissants ne peut
rester paisible très longtemps. En
haut, la famille Stark, attendant
la venue du roi. En bas, la famille
Lannister, mère et fils, qui tenteront tout pour accéder au trône

“The Wall”, le Mur, dernier rempart entre le monde civilisé et une
nature hostile et cruelle

10

11
Argent & Série
	
L’argent, toujours l’argent me direz vous.
Il s’agit néanmoins d’une piste pertinente lorsqu’on cherche à expliquer une telle performance. Est-il la garantie du succès d’une série ?
On peut trouver de nombreux exemples de
séries plutôt confidentielles voire abandonnées
(The Legend of the Seeker, The Women’s murder club ...), mal mises en scène, ou s’adressant
à un public trop restreint, et pour lesquelles on
est néanmoins surpris par un budget souvent
important. Plusieurs millions de dollars, au
moins pour l’épisode pilote. Est-ce une question de public ? Là encore, rien d’évident pour
Game of Thrones. L’heroic fantasy est un genre
peu ou mal représenté à la télévision, et de part
des intrigues souvent très complexes, ne s’adressent qu’à une communauté restreinte de fans.
Quels sont donc les points cruciaux qui mènent
au succès d’une série, et tout particulièrement
de cette série, et dans quelle mesure peut on
imputer cette performance à l’aspect financier
de la production ?
	

	
Le budget de la série en quelques chiffres. Pour les deux premières saisons réunies
(les chiffres étant encore trop vagues pour ce
qui est de la 3ème en cours de production),
HBO annonçait un coût total tournant autours
de 120 millions d’euros. La série table sur des
saisons de 10 épisodes, chacun d’eux durant aux
alentours de 1 heure. Après un rapide calcul, on
arrive à la conclusion que chaque épisode coûte
à HBO environ 6 millions d’euros. Soit plus du
double d’une série « classique » (True Blood et
ses vampires, Breaking Bad et ses drogues, The
Walking Dead et ses zombies, Homeland et ses
terroristes etc...). Et par pure comparaison, chaque épisode de Dexter, ce meurtrier intelligent
et attachant aux pratiques sanglantes, coûte 0,6
millions d’euros, l’adaptation au cinéma de la
trilogie de Tolkien a coûté aux alentours de 230
millions d’euros, la production de chacun des
opus de Star Wars aura coûté entre 10 et 30 millions d’euros.
	

HBO, des centaines de
séries en illimité et en
haute définition pour
une poignée de dollars mensuelle. Son
slogan ? “Get more”,
évidement ...

12

Petite comparaison indispensable des coût
moyen par épisode entre HBO et ses concurrents. Les échelles ne sont pas les mêmes ...

	
Pourquoi un tel coût ? L’explication est
plutôt simple en vérité : l’équipe tourne simultanément en Croatie, en Islande, et en Irlande
du Nord (voire au Maroc pour la dernière
saison paraîtrait-il), emportant à chaque fois
un gigantesque cortège d’acteurs, réalisateurs,
et des montagnes de matériels, costumes et décors. Un comportement qui rappelle le tournage
de films comme la trilogie Lord of The Rings,
Prometheus etc … Car en effet, la plupart des
paysages du Royaume des Sept Couronnes, sur
le continent fictif de Westeros, sont en réalité
certains des plus beaux sites d’Irlande du Nord.

	
Est ce que cela paye ? Dans un premier
temps, on peut au moins remarquer que l’esthétique visuelle a été saluée. En effet, Game of
Thrones est allé rafler pas moins de six trophées
des « Creative Arts Emmy Awards », pour ses
réalisations techniques, notamment l’«  Outstanding Visual Effects Award  », récompense
plutôt primée dans le domaine des séries télé.
Et un responsable d’HBO confirme qu’en effet,
un des buts du faramineux budget accordé à la
série, notamment dans le domaine graphique,
est de s’assurer que le continent de Westeros est
amené au premier plan, au moins sur le plan de
13
sa réalisation. Et il est vrai que cette stratégie
marche plutôt bien  : au delà de cette récompense technique, la série s’est également vu
nominée au Festival de Télévision de Monte-Carlo, aux Emmy Awards (2011/2012), aux
Golden Globes, mais également d’innombrables prix félicitant les acteurs, ou récompensant
le scénario ou la production … HBO voulait
qu’on parle d’elle, et c’est mission accomplie sur
ce point. La série est reconnue mondialement,
et crée le buzz partout où elle pose les pieds.
On ne la compare à d’autres séries uniquement
pour en faire les louanges. On a même laissé
entendre qu’il s’agissait « des Sopranos en Terre
du Milieu  », en référence à la série mythique
d’HBO, et à l’œuvre de Tolkien. Cela a bien entendu rassuré la chaîne HBO, qui mise sa réputation à chaque investissement de ce genre.

HBO fait très peu
dans la série de plateau basique comme
“Friends” ou “The Big
Bang Theory”. Elle
préfère les grandes
époques historiques,
avec ici trois de ses
séries phare : The Sopranos,
Boardwalk
Empire et Rome

	
La “salle au trésor”, ie la salle des accessoirs, décors, costumes, installée sur les lieux de tournage, ici au Maroc.
Avec une robe de Cersei Lannister, on produirait trois
saisons de How I Met Your Mother, paraitrait-t-il ...

14

15

	
On peut revenir sur quelques séries qui
ont été d’énormes investissements pour HBO,
et qui ont été couvertes de succès. The Sopranos, une sorte d’adaptation moderne du Parrain, décrivant tous les problèmes que rencontre Tony Soprano pour gérer son entreprise
mafieuse. Dans le même esprit, Boardwalk Empire, la prohibition de l’alcool à Atlantic City,
et toutes les intrigues politiques et criminelles
sous-jacentes. Cette dernière série, réalisée par
Martin Scorcese, fut une des plus chère d’HBO,
avec un pilote de 18 millions, et un coût moyen par épisode avoisinant les 6 millions. Mais
le succès fut au rendez vous, et la critique
unanime.
Difficile d’arracher un
sourire au patriarche
Lannister, interprété
par le charismatique
Charles Dance

	
Quand on parle de budget et du lieu
de tournage, on peut également légitimement
parler du casting. Game of Thrones affiche une
distribution prestigieuse et à toute épreuve :
Sean Bean, incarnant Eddard Stark (Troie, La
Communauté de l’Anneau), Charles Dance,
pour Tywin Lannister (Le Fantôme de l’Opéra,
Underworld), Peter Dinklage, jouant Tyrion
Lannister … HBO aime en effet conserver une
certaine image de marque à travers ses distributions, comme dans The Sopranos, ou Boardwalk Empire. Cette stratégie était d’autant plus
cruciale ici car, à l’opposé des romans de Tolk-

Sean Bean, dans le rôle
de l’irréprochable Eddard Stark accompagné
de son épouse Catelyn.
Comme à son habitude,
il manie un personnnage impénétrable et
peu enclin à survivre
plus de quelques épisodes

16

ien, ou d’autres saga dans la même veine, le
style de Martin est tel qu’on accompagne continuellement les pensées, les espoirs et les objectifs de la plupart des personnages. On finit,
au bout de trois tomes, ou de deux saisons, par
connaître vraiment très profondément chacun des personnages de cet univers fantastique
médiéval. Trouver des acteurs attachants, charismatiques, incernables, fourbes ou détestables
selon les rôles, s’est donc révélé une tache essentielle, pour la pérennité de la série. Le rendu
est excellent, et le public a été ravi, mais nous
développerons cela plus loin.

Peter Dinklage, révélé par la série, incarne le
facétieux Tyrion Lannister, dit “le Lutin”. Il reçoit
ici son Golden Globe en 2012, pour le meilleur
second rôle dans Game of Thrones.

	
Les réalisateurs voulaient faire de cette
série « un petit bijou d’esthétisme », et rien que
pour le générique, ils se sont tournés vers des
valeurs sures du genre. Ce dernier, très long, un
peu moins de 2 minutes, est signé Angus Wall,
déjà auteur du générique de Rome. Il est accompagné la musique de Ramin Djawadi, qui
avait déjà signé le générique de Prison Break.
Le générique nous fait survoler l’ensemble de la
carte des deux continents fictifs de George R R
Martin, nous positionnant géographiquement
dans la narration tout en nous exposant toute
l’ampleur épique de la saga. Et même après le
générique, chaque épisode en tant que tel est
un film, en terme de densité d’action, au niveau
visuel, au niveau du nombre de figurants etc
... Pour revenir sur des question de budgets,
on peut se pencher davantage sur un épisode
en particulier : « Blackwater », épisode 9 de la
saison 2. Il s’agit en effet d’un épisode de na-

ture légèrement différente ; c’est le premier épisode relatant un bataille navale, et terrestre, de
grande envergure. Le budget déjà énorme aurait donc littéralement explosé, à cause de cette
impressionnante scène de bataille d’une durée
avoisinant celle de l’épisode. David Benioff, l’un
des réalisateurs de la série, raconte être allé «
supplier HBO » de leur donner plus d’argent.
Cet épisode, comparé à la séquence de la bataille
du Gouffre de Helm dans le Seigneurs des Anneaux, a su s’adapter aux limitations de budget
imposées par HBO en se tournant davantage
vers les personnages individuellement plutôt
que de miser sur des grands plans de bataille
aériens. Il est à noter que cet épisode compte
parmi les plus visionnés de la série, le succès
a donc été (de manière assez peu surprenante)
au rendez vous, et a ici bien fait rimer fric avec
public.

17
George R.R. Martin, scénariste déçu
d’Hollywood, a profité des contrats et des
promesses de budget pour lâcher son écriture, complexifiant et diversifiant son univers
déjà très riche. Mais par la suite, notamment
lors du tournage de la deuxième saison, et lorsque HBO a commencé à mettre
des freins aux dépenses de la série,
il s’est révélé frustré. Il admet lui
même toujours en vouloir plus, et
être avide de plus de spectacle visuel. « Ils ont une tache particulière-

“Blackwater”, l’épisode aux 15
millions de dollars. Pourquoi
un tel coût ? L’épisode en lui
même : il s’agit d’une bataille
navale au cours de laquelle la
flotte est détruite à grand coup
de napalm moyenageux, suivi
d’un affrontement terrestre
aussi long que sanglant.

18

ment dure, à savoir faire tenir mon histoire en
dix heures par saisons, avec les limitations de
budget » admet-il au cours d’une interview.
Martin décrit l’épisode plein d’action « Blackwater » comme spectaculaire, mais avoue que
ses attentes étaient bien supérieures.

	
Le résultat est cependant bien là : la chaîne annonçait au début de la saison 2 quelques 3,9 millions
de téléspectateurs réunis pour visionner le premier
épisode, permettant à la série de battre son record
historique d’audience. Cela regonfle bien entendu la
notoriété de la chaîne pour ce genre de séries.
Diffusion & Pirates

	
L’autre aspect du buzz médiatique qu’a créé
Le Trône de Fer est le piratage, à savoir le visionnage illégal et gratuit de la série via les réseaux
de streaming ou de partage. On rappelle qu’HBO
est une chaîne payante, chaque mensualité vous
coûtant une dizaine de dollars. Game of Thrones
est ici victime de son succès : elle se retrouve en
tête du classement des séries les plus piratées en
2012, révèle Torrentfreak, un site spécialisé dans
ces réseaux de partages illégaux, et qui se charge
chaque année de faire paraître ce palmarès. En
2012, la série compte près de 4,28 millions d’épisodes téléchargés. Ces « pirates » se trouvent pour
une large majorité en dehors des États Unis. Des
impatients qui ne peuvent plus attendre plusieurs
jours, voire plusieurs semaines avant que la série
ne soit disponible légalement dans leur pays, note
Torrentfreak. La plupart des critiques s’accordent
pour dire que cela tient à une mauvaise stratégie
de diffusion adoptée par la chaîne, qui ne signe
des contrats de diffusion en Europe ou en Asie
qu’au compte goutte ...

20

	
Cela n’a pas empêché David Petrarca,
l’un des réalisateurs de la série, de déclarer dans
un quotidien australien que le téléchargement
illégal n’était pas un problème étant donné qu’il
permet d’entretenir un  «  buzz culturel  » qui
maintient et propage la popularité de la série.
Il a même ajouté que  c’est grâce au piratage
que les séries survivent. Bien qu’il ait par la
suite modéré ses propos, s’agirait-il d’un signe
d’ouverture d’esprit ? Quoiqu’il en soit, cela participe au succès médiatique, et n’empêche pas
le succès commercial de Game of Thrones : il
s’agit de la série d’HBO qui s’est le mieux vendue en DVD et Blu-Ray.
Le classement 2012 des séries les
plus téléchargées, comparé avec
les audiences américaines, publié par le site TorrentFreak. Les
utilisateurs utilisent la plupart
du temps des sites de partage ou
“peer to peer”, dont le plus emblématique reste jusqu’à présent
l’intouchable The Pirate Bay

	
	

	
Dans l’ensemble, HBO se débrouille
plutôt bien pour ce qui est de la promotion de sa
3ième saison, multipliant les coups de publicité
dans les journaux, par des affiches, augmentant
petit à petit la longueur des « trailers », lâchant
de ci de la des informations sur le casting ou les
épisodes … Le public est à cran, et cette saison
à venir a intérêt à tenir ses promesses.

Pour dynamiser sa présence en Europe, HBO lance en août 2012 HBO
Nordic, essentiellement accessible en
Scandinavie, mais se diffusant petit
à petit. Les utilisateurs peuvent ainsi
profiter de toutes les séries de la chaîne
en échange d’un abonnement mensuel,
chose jusqu’alors impossible.

	
Mais il est clair qu’HBO
tient, dans son propre intérêt,
à apprendre de ses erreurs. Les
fans auront tendance à se tourner vers un abonnement si ils en
ont la possibilité, pour avoir accès à la série de manière légale et
surtout pour l’avoir dés sa sortie. HBO va donc lancer, pour la
diffusion de la 3eme saison, un
service d’accès aux séries de la
chaîne pour l’Europe du Nord :
«  HBO Nordic  ». La concurrence sera rude, mais c’est un
premier pas vers son implantation en Europe et ailleurs. Un
des nombreux avantages sera la
diffusion en VO, et non dans un
doublage local de qualité souvent très discutable.
21
Réception & Critique
	
Un des points qui nous frappe, après
avoir visionné quelques épisodes, ou tout
bonnement l’épisode pilote, est qu’on est assailli par des images très crues de violence et de
sexe, et ce tout au long de la saga. Cependant,
si on se penche davantage sur la question, on
se rend compte que cet univers visuel n’a rien
d’artificiel, et n’est pas là juste pour qu’HBO
crée le buzz et fasse couler de l’encre, même si
cela plaît beaucoup à la chaîne américaine. Cela
s’intègre tout à fait dans l’univers de George R.
R. Martin, et ce dernier avoue que l’adaptation
a pour le moment dépassé ses espérances sur ce
point. Mais jetons un coup d’œil à la réception
du public et de la critique.

	
Une audience qui a doublé entre la première et la deuxième saison, passant de 2 a 4
millions par épisodes, juste pour les États Unis,
et ce quasiment instantanément à partir de la
diffusion du pilote. On sent ici le savoir faire
d’HBO pour ce qui est de faire la promotion de
sa série. Les communautés de fans attendaient
une adaptation de ce type et de cette qualité
depuis très longtemps, et se sont révélées conquises. Visiblement, HBO a su combler leurs
attentes. Bien entendu, il n’y a pas eu unanimité
et on a vu apparaitre de nombreux commentaires mitigés, surtout pendant la diffusion de la
saison 2 : un rythme qui ralentit, une lourdeur
et un certain immobilisme qui s’impose, un épisode (saison 2, épisode 4, «Garden of bones»)
sans queue ni tête, accompagné d’un deus ex
machina de sorcelerie mystique aussi inutile
qu’incompréhensible … Mais chaque fois, les
producteurs, aidés par l’auteur, ont gardé tête
haute, faisant miroiter les merveilles des épisodes à venir.

22

	
Du coté de la critique magazine et internet, les choses n’ont également pas été aussi
manichéennes. Malgré une réception globalement bonne dès le premier épisode, on se souvient de l’article virulent de Ginia Bellafantes
pour le New York Times, qui a fait polémique,
en attaquant la série pour un certain sexisme :
« La perversion incarnée, un trop plein sexuel,
des femmes traitées comme moins que rien. Je
ne connais aucune femme qui regarderait cette
série par plaisir. Il s’agit de fiction masculine,
rien de plus ». Cette critique a été huée unilatéralement, donnant par la même occasion un
image très vieillotte du New York Times. Martin a répliqué en disant tout simplement : « Mais
qui sont alors, tout ces types avec de fortes poitrines, qui se pressent pour avoir des dédicaces
lors des meetings de fantasy ? »

Sexe, viols, incestes, éxécutions plus ou moins sommaire et autres actes sanglants sont monnaie courrante dans la série, tout
comme dans l’univers del’oeuvre de Martin. Un moyen de mettre
le grappin sur les jeunes générations, ou une affection particulière pour le spectaculaire ?

	

23
Toute la presse n’a pas partagé ce point de
vue bien entendu. Les Inrocks par exemple ont
beaucoup 	 publié à propos de cette série. Très
exaltée à l’heure actuelle, on ne peut se permettre
d’oublier les articles très critiques à la sortie du
pilote, mettant en avant un univers trop complexe pour lequel on a du mal à se passionner,
et une lourdeur ambiante à laquelle s’ajoute un
trop plein de sexe et de violence  :  «  Les créateurs de la série, David Benioff et Daniel Weiss,
manquent singulièrement d’humour et de distance ». Un article paru deux mois après adoucissait cependant ces propos, annonçant cette
fois-ci une certaine originalité, et un canevas
de personnages attachants et vivants. Cette enseigne, jeune, dynamique, souvent très cynique
et très ouverte d’esprit, a été plutôt représentative de l’avis général, surtout sur internet. Elle a
décrit et analysé Game of Thrones comme une
seconde tentative de la série Rome, mais où
cette fois ci, HBO serait prête à aller au fond
des choses. Rome, série tournant autours des
intrigues politiques et militaires de la rome antique, dans une atmosphère dure et sanglante,
fut un des phénomènes amorçant le regain d’intérêt pour les péplums historiques. La série fut

24

cependant arrêtée, pour des raisons financières.
La critique fut largement enthousiaste à la sortie de la série et quatre Emmy Awards vinrent
la récompenser. Et cette critique, ici le blog du
Monde, annonçât à l’époque, ce qui cadre parfaitement avec Game of Thrones, que « l’ambition de Rome n’était pas de réussir une reconstitution fidèle des événements, mais à travers
le prétexte de l’Histoire de décrire une atmosphère, une manière de vivre et des mœurs,
celles qui existaient à Rome à cette époque. ».
De plus, cette comparaison avec Rome permet
aux Inrocks de contrer toutes les critiques de
violence ou de sexe en montrant que cela avait
déjà été fait, et qu’à cette époque, Rome n’avait
pas tellement eu de problème de ce point de
vue … En tout les cas, un travail d’adaptation
délicat et de longue haleine, mais une prise de
risque récompensée. Faire dans le spectaculaire
et l’historique pour contrer la vague des séries
comme Dr House, pour la Fox, ou Breaking
Bad, pour AMC, qui commencaient à sérieusement entamer le monopole d’HBO.

Dans le même esprit que la série Rome d’après
les réalisateurs, il s’agit, au dela du peplum antique ou moyenageux, de (re)construire une atmosphère, un malaise ambiant, une confusion
omniprésente ... Ici le sénat agité de Rome

George R. R. Martin adore
profiter et participer à l’enthousiasme de ses fans, et est
souvent décrit comme très
volubile en ce qui concerne
son oeuvre, comme ici au salon Comic Con de San Diego.
Ce genre de salon, exposant
des oeuvres et des univers de
science fiction, de fantasy, de
bande dessinée et autre, rassemble néanmoins un panel
très spécifique et restreint
de personnes, la plupart du
temps des fans très impliqués par leur passion pour ce
genre d’univers

	
Un des points également
discuté, est qu’on a souvent taxé
de « nerdy », ou « geek » la série,
à savoir ne s’adressant qu’à un
public très restreint composé de
jeunes isolés adeptes de ce type
d’univers. Mais on peut nuancer cela en disant
que le public effectif est composé des générations ayant grandi avec Star Trek, Star Wars, Dr
Who, Matrix, Pokémon ou bercé par Asimov,
Tolkien, Harry Potter et autres Monde de Narnia … Ce qui, en plus de comprendre plusieurs
générations et des millions de visionneurs potentiels, recouvre effectivement le panel attendu par la chaîne américaine. On a pu le voir sur
Twitter, « Les nerds adorent, les autres tentent
tant bien que mal de suivre ». La série plaît à
tous, même si l’on s’y accroche avec plus ou
moins de facilité.

	
	
Pour ce qui est des récompenses officielles, la série a été plutôt gâtée. Elle a été nommée pour treize Emmy Award, dont celui de la
meilleure série dramatique, du meilleur second
rôle dramatique pour l’acteur Peter Dinklage,
et de nombreux domaines concernant les effets
visuels, le casting, les décors … Peter Dinklage
reçoit quelques mois plus tard un Golden Globe,
et Le Trône de Fer a également remporté le prix
de la presse lors du Festival de Monte-Carlo.

25
Mais revenons maintenant sur un des
points qui a fait couler tant d’encre, j’ai nommé bien entendu le sexe et la violence dans
la série. De nombreux articles défendent ces
scènes crues, les voyant comme une obligation
pour tenter de rester le plus proche possible de
l’univers très dur décrit par le roman. C’est là
que tout devient intéressant, lorsqu’il s’agit de
comparer le livre et la série. Commençons par
la scène de l’adultère entre les deux jumeaux
Lannister, Cersei, reine au caractère dur et manipulateur, et son frère Jaime, grand, blond, et
le sourire en coin. Si dans le roman, tout n’est
que suggéré, l’auteur visant davantage à décrire
l’ambiance tendue et perturbante de cet acte
contre nature, dans la série tout est beaucoup
plus explicite et visuel. Cela en a choqué plus
d’un, puisque cette scène apparaît dès l’épisode
pilote. Traversons la mer entre les deux continents imaginaires, et passons à la scène de nuit
de noces en plein air entre Khal Drogo, chef

imposant d’une horde de cavaliers barbares, et
Daenerys Targaryen, frèle fillette vendue par
son détestable frère. Une scène qui dans le roman est simplement une scène d’amour mitigée
et bizarre, se transforme en viol pur et dur filmé
du début à la fin. On peut faire des commentaires similaires sur de nombreuses scènes ou
personnages violents. Il est facile d’en déduire
que l’adaptation à la télévision exacerbe le caractère déjà cru de la saga, certainement pour
rendre la série un peu plus accrocheuse. Cela
ne trompe personne : « Non, scènes de boucherie et levrettes ne suffisent pas à faire une bonne
série » peut on lire sur certains blogs …
	
On peut cependant remarquer qu’il s’agit
là de thèmes très actuels de société. Des exemples de même nature peuvent être dénichés
dans beaucoup de domaines. Que dire de Fifty
Shades of Grey, le roman pornographique qui a
fait fureur, du dévergondage dans les clips

Que dire de True
Blood et autres Vampire Diaries, marqués par une sexualité adolescente
et par une violence
sanglante et gratuite
? Un public différent
certainement, dans
le sens où Game of
Thrones cherche à
être quelque peu
plus grand public

musicaux, de films de violence et de débauche
comme Spring Breakers, à paraître ? Ou même
d’autres
séries,
comme
Boardwalk Empire ou
The Wire, brassant
sans cesse violence
et drogue ? Game
of Thrones aura
au moins le mérite de d’omettre la
drogue. La série,
classée
comme
«  soft porn  », appartient à la catégorie de restriction «  R18  », la
plus dure aux États
Unis, tandis que la
plupart des séries
d’HBO, même aussi discutable que
True Blood, pour

ses vampires adolescents aux mœurs légers, se
contentent bien souvent d’un « 16 ». On avait
l’habitude des séries policières très violentes
et sanglantes comme Law & Order ou autres,
mais cette transition d’un monde rongé par la
violence, l’alcool et la drogue, vers un univers
médiéval dévergondé fictif continue de choquer. HBO avoue elle même ne pas trop s’en
soucier, voyant plutôt cela comme participant
au battage médiatique environnant leurs productions. Les gens se plaignent et ainsi, incitent
d’autres à regarder … Le jeu vidéo officiel de la
série, à paraître, n’a d’ailleurs pas vu cela comme un avertissement, et sera gratifié d’un « Pegi
18 ».
	
	
La question se pose. Est ce que toutes ces
restrictions sont légitimes ? Est ce qu’elles veulent toujours dire quelque chose ? Est ce qu’elles
sont méritées  ? En tout les cas, cela participe
d’une manière ou d’une autre au buzz de la série.

Une scène d’adultère trop réaliste pour la plupart des critiques, et
ce dés l’épisode pilote. L’univers de Martin, déjà dur, se retrouve ici
effectivement exacerbé, souvent pour le plus grand plaisir du public

27
Livres & Adaptation

	
Nous allons ici nous pencher davantage
sur la saga de roman elle même, en tant que
base même du succès de la série, et tous les méandres du processus d’adaptation. Quelle brillante idée que de se baser sur une œuvre déjà
écrite pour produire une série à succès ! Il s’agit
là d’une stratégie déjà bien utilisée, mais qui a
tendance à se généraliser, tout spécialement en
ce qui concerne les séries à grand budget. On
citera Boardwalk Empire ou True Blood en ce
qui concerne HBO, et Bones ou Dexter pour
les concurrents, ces séries étant la plupart du
temps tirées des œuvres littéraires homonymes.
On notera que les œuvres originales, excepté

pour The Game of Thrones, ont connu le plus
souvent un succès très limité. Bien entendu, la
question se pose : un livre préexistent, même
un best seller, est-il en lui même une garantie
de succès ? Non, la réponse semble s’imposer
d’elle même, de part la quantité de navets cinématographiques que l’on voit produite chaque
année … Les choses se doivent donc d’être bien
faites sur trois plans : l’adaptation à l’écran, le
roman lui même, et le lien culturel entre les
deux, à savoir les éventuelles communautés de
fans concernées.

Sept livres achevés, et
sans doute au moins
deux, au dire de l’auteur,
pour clore les aventures
de Westeros. Outre le fait
que les livres en tant que
tels soient esthétiquement sublimes et invitent
à la collection, certaines
des premières éditions
sont aujourd’hui classées
commeobjet de collection et très recherchées
des grands fans

28

Tout dans l’oeuvre de Martin confirme les importantes recherches
qu’il a du mener sur le moyen-âge européen. Que ce soit au niveau de
l’architecture, des faits et techniques militaires, des us et coutumes ... Ici,
“King’s Landing”, la capitale, dans le générique stylisé de la série, où se fait
sentir l’insipration pour les temps des cathédrales

	
Le livre tout d’abord. On a vu qu’il
s’agissait du renouveau d’un genre plutôt ignoré
par les producteurs de séries, car, nous l’avons
vu, coûteux et délicat à mettre en place. Mais
ce ne sont pas les œuvres d’heroic fantasy ou
de science fiction qui manquent, alors qu’a-telle de particulier ? On notera d’abord un format cosmologique déroutant : une alternance
d’étés et d’hivers, longs chacun de plusieurs
années, nous ramenant dans des temps quasi
préhistoriques, bien plus loin que le moyen age
classique. Notons que ce même univers moyenâgeux continue tant bien que mal à fasciner
les esprits, tout spécialement outre atlantique.
Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil à toute cette science fiction de bas étage, « Warhammer » ou autre, aux univers de la plupart des jeux de rôle à
succès ou MMORPG, ou à ce nouvelle engouement pour tout ce qui touche aux vampires et
autres sorcelleries européennes moyenâgeuses.
	
L’auteur écrit sur son site officiel qu’il
pratique une immersion totale dans ses recherches, par exemple sur le moyen âge, que

cela concerne l’aspect militaire, artistique, ou
même gastronomique, s’inspirant des récits de
la guerre de 100 ans, ou de la guerre des roses.
D’où une impressionnante précision et une sensation de réel dans sa saga, qui participe au succès, en invitant le lecteur à se projeter dans cet
univers.
	
Au delà de l’univers fantastique, des
dragons et autres revenants, cette saga a été désignée comme « touche à tout ». On y côtoie de
nombreux types de problématiques : la famille,
l’honneur, donner à un sens à nos courtes existences, et plus complexes que ces quelques
idées chevaleresques, l’atomisation de la société, l’opposition entre religion personnelle et
religion établie, l’acceptation de la violence …
Certes, on se rend compte de l’élitisme de ces
romans, mais en même temps, on peut aussi
se dire que chacun y trouve son compte, et que
toute cette trame intellectuelle est bien lissée
par la violence et le sexe de l’’univers de George
R. R. Martin.
29
Le revers de la médaille est bien entendue la
complexité titanesque des lieux, événements,
liens entre les personnages … Qui importe,
car à l’inverse de la trilogie du Seigneur des
Anneaux, on cherche à reproduire cette complexité à l’écran, plutôt que de la simplifier
dramatiquement. Et l’univers satisfera tout le
monde, qu’on soit friand de détails,
de cartes ou de généalogie, ou que
l’on cherche simplement à se laisser
bercer par les grands passages descriptifs et les flash back romancés.
	
Nous avons la matière, passons au processus d’adaptation.
Pour une adaptation réussie, y a-til un secret ? D’après Robert Colvile, éditeur au Telegraph, il tient en
deux points précis. Tout d’abord le
casting : Sean Bean, Charles Dance,
Roger Allam … Puis le scénario
lui-même : « une exploration aussi
déroutante que réaliste d’intrigues
politiques et de pouvoir, et tout ce
dont nous sommes capables pour
nous l’approprier». Il continue en
disant que « Game of Thrones me
semble très novatrice et très perturbante dans le genre certainement à
cause du plaisir quasi sadique que
l’auteur prend à tuer ses personnages les plus importants ou attachants.
Il n’existe aucune corrélation entre
mérite et récompense. » On citera
l’exemple de Sean Bean, incarnant
le paterfamilias de la famille Stark,
bon, juste, loyal et mesuré, qui n’a
pas eu la chance de tourner dans la
deuxième saison …
	
Au delà de cet attachement
du public aux personnages et cette
quasi trahison de la part de l’auteur, il est également à noter que la
30

structure même des romans crée ce malaise,
et éventuellement, cet intérêt. En effet, Martin s’amuse à partir d’une trame simple, puis
à prendre de plus en plus de recul, éloignant
et isolant les personnages les uns des autres,
supprimant instantanément les zones de confiance et de confort qui tentent d’apparaître.

Un diagramme, plutôt bien construit, résumant
les iens principaux entre les personnages majeurs de l’univers de George R. R. Martin. Il faut
du talent pour garder la série attrayante et ne
pas blaser des spectateurs qui se perdraient dans
ces méandres généalogiques ... Ne pas perdre de
vue que ce diagramme est simplifié à l’extrème
Mais le mérite principal revient bien
évidement aux réalisateurs Benioff et Weiss
qui ont su apporter l’univers visuel adapté, si
bien qu’on ne peut s’imaginer les personnages des romans différents des acteurs. Pas une
seule fausse note, incompréhension, ou faille
en se qui concerne les personnages, seulement
quelques modifications scéniques : simplifications, suppressions de scènes de combats
superfétatoires, ou amélioration pour plus de
spectaculaire, comme pour la bataille navale
de l’épisode « Black Water ». On assiste à une
certaine distorsion des distances, du temps, ou
au niveau de l’âge des personnages, comparé
aux romans, mais rien, en soi, de bien tragique.
Mais il est clair que l’adaptation de l’œuvre de
Martin pour un rendu attrayant a du être un
défi d’ingéniosité. Les réalisateurs se sont focalisés sur deux points : les acteurs, et la manière
de filmer.

David Benioff et Daniel B Weiss, les
deux principaux réalisateurs, entourant Jason Momoa, incarnant le
barbare exotique Khal Drogo. Si David Benioff est un réalisateur prisé
d’Hollywood, pour ses réalisations
comme Troie ou X-Men, Daniel B
Weiss est à l’origine un écrivain, qui a
donc eu la délicate tâche d’adapter les
romans de Martin et de les préparer
pour l’écran.

George R. R. Martin, juché sur un
rempart décors de sa série. Il dit
se projetter assez facilement dans
l’univers bon vivant des banquets
et festins royaux qu’il dépeind dans
ses romans

	
Face a un public, et un auteur, aux exigences graphiques très fortes, les deux réalisateurs n’ont eu d’autres choix que de s’adapter. « Nous avons du nous tourner beaucoup
plus vers les personnages et tendre vers des
séquences personnelles, en introspection,
plutôt que de donner dans le spectaculaire
distant des scènes de bataille à la Peter Jackson
» déclare Weiss. Ce à quoi Benioff renchérit
« L’un des avantages que nous avions par
rapport aux films est que lorsqu’un personnage s’élance dans la bataille, nous avons déjà
passé quelques dizaines d’heures à ses cotés.

C’est cet attachement et cette proximité que
nous recherchons ». C’est un des points qui
a participé à l’élargissement du panel visé par
la série, en la rendant moins démonstrative,
plus personnelle, et plus proche des personnages, à la manière de la plupart des séries
actuelles. Et HBO n’oublie pas d’extraire de la
saga quelques phrases emblématiques, pour
avoir une image et une publicité efficace. On
retiendra «In the game of thrones, you win
or you die », ou mieux encore, l’omniprésent
«Winter is coming ».

33
Rose Leslie, incarnant le personnage
audacieux et habile
d’Ygrid, une barbare
plutôt civiisée vivant
par dela le Mur. Et
grâce à la justesse de
son interprétation,
l’auteur aurait été
émerveillé et serait
allé juqu’à promettre
une place plus importante à ce personnage dans la fin de
ses livres

	
Un des points qu’il me reste à soulever
est que l’on assiste ici à un phénomène plutôt
rare d’écriture et d’adaptation quasi simultanée,
car l’auteur est en train de finir son dernier roman. Martin semble d’ailleurs préoccupé par la
vitesse de tournage d’HBO par rapport à l’écriture de ses romans, face a ce qu’il appelle lui
même « la locomotive de l’adaptation ». D’habitude, sur de grandes séries similaires, seuls les
fans donnaient leur avis, comme pour Star Trek
ou Dr Who, mais ici, l’auteur lui même vagabonde de temps à autre sur les lieux de tournage, et la série comme le livre ont la possibilité
d’être améliorés directement.

	
Pour ce qui est du jeu d’acteur, l’auteur
se montre très exigent, mais entièrement satisfait jusqu’à présent. Il serait venu féliciter Jack
Gleeson, l’acteur interprétant Jeoffrey Baratheon, fils pédant d’une reine manipulatrice, en lui
disant : «Bravo, bon travail. Tout le monde te
déteste. » Cela va même plus loin : Ygrid, une
barbare rousse de caractère, s’est retrouvée interprétée par Rose Leslie, qui a si bien su cerner
le personnage que l’auteur aurait déclaré avoir
été inspiré par sa personnalité, et allait en tenir
compte lors de l’écriture de son roman actuel, et
sans doute lui donner une place et un rôle plus
important que ce qu’il avait prévu a l’origine…
	

34

	
Délaissons un peu les plateaux de tournage pour nous tourner un peu plus vers ces
communautés préexistantes de fans, car il semblerait que la série aurait eu beaucoup plus de
difficultés à décoller sans elles. Des études sociologiques assez poussées ont été menées en
ce qui concerne les échanges entre les producteurs, de livres ou de séries, et la communauté
de fans qui leur est attachée. C’est la “culture
participative”, ou Participatory Culture, chère
à Henry Jenkins, célèbre auteur et professeur
dans ce domaine. En décortiquant des séries
comme Dr Who, ou Star Trek, et leur audience, il nous montre à quelle point les fans sont
porteurs pour une série, et qu’ils permettent, à
travers leurs réactions, leurs critiques, leurs demandes et leurs espoirs, de rectifier et d’améliorer. L’adaptation télévisuelle de l’œuvre littéraire
de Martin leur a donné l’occasion de s’exprimer, et on a assisté à un véritable déluge de
blogs, de “meme”, de fanart etc … C’est ce
lien, que l’auteur s’efforce de conserver et
de renforcer, qui est intéressant. Car on
en arrive à des situations plutôt comiques,
comme ce fan, Elio Garcia, Ran de son
pseudo, qui, aux dires de Martin, connaît
mieux l’univers que lui. Tant et si bien qu’il
a annoncé dans une interview sur un ton
de plaisanterie qu’il lui téléphone quand il
a un doute sur tel ou tel point … Certains
fans se plongent également dans la complexité quasi fractale de l’univers, comme
avec le livre « Beyond the wall », recueil de
réflexions pointilleuses et sans intérêt pour
le commun des mortels.
Henry Jenkins, professeur et spécialiste
en culture participative, réseaux sociaux
et séries télvisuelles, aux conférences si
prisées, nous apprend énormément sur les
logiques d’échanges entre les auteurs et les
communautés de fans, notamment à travers des livres comme Textual Poachers:
Television Fans and Participatory Culture

35

	
L’ampleur du phénomène Game of
Thrones est encore une fois prouvée par la diversité des produits dérivés que l’on peut trouver. Des nouvelles éditions des romans, avec la
couverture HBO de la série, des adaptations
sous forme de comics, un jeu vidéo en cours
de développement, et même des bières et des
livres de cuisine … Cela atteste du cercle de
succès qui a été initié entre livre et série, mais
également du dynamisme et de l’agitation de la
communauté internet et artistique autours de
ce riche univers.
Un livre, une série, une saga, un
succès ? Une grande compagnie, des investissements suffisants, une présence
médiatique, un auteur très présents et des
fans très dynamiques, autant d’atouts qui
rendent aujourd’hui ce phénomène incontournable. Cela soulève bien entendu d’autres interrogations, mais qui ne sont plus de
notre ressort. De tels coûts sont-ils décents
? La littérature doit elle d’une quelconque
manière se soucier de faciliter une éventuelle adaptation à l’écran, ou du moins va-telle aller dans ce sens ? A-t-on mangé notre
pain blanc avec les deux premières saisons
? Le public se verra-t-il blasé ou déçu par
les prochains épisodes ? Tout ce qu’on peut
souhaiter à cette série est une bonne continuation, et un bon courage à l’auteur. Et si
cela a d’une manière ou d’une autre éveillé
votre curiosité, ou si vous vous trouvez être
un fan averti, ne ratez pas la sortie de la
3ième saison début avril.
HBO manque de nous épouvanter en nous
laissant imaginer qu’un dragon nous survole,
comme avec cette publicité ingénieuse pour
la sortie de sa nouvelle saison, dans le New
York Times

Preuve de sa volonté de présence
en Europe, HBO ne réintère pas
ses erreurs de stratégie de diffusion des premières saisons. Elle
s’impose souvent largement face
aux concurrents locaux en terme
de visibilité. Ici, une affiche du
métro parisien

36
Sources & Bibliographie

Sources internet
Disponibles en ligne sur http://tinyurl.com/pace-game-of-thrones

Sources bibliographiques
Science Fiction Audiences, watching Docotor Who and Star Trek, John Tulloch and Henry Jenkins, Routledge, 1995
Fans, Bloggers and amers, exploring participatory culture, Henry Jenkins, New York University
Press, 2006
A Song of Ice and Fire, George R. R. Martin, Bantam Books HBO cover, 2011
A Game of Thrones, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011
A Clash of Kings, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011
A Storm of Swords, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011
A Feast of Crows, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011
A Dance with Dragons, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011

Remerciements

Wikipédia
Wordreference
The Pirate Bay
Morgan Schmitz, ENSAE, fan invétéré qui m’a été d’une grande aide
Game of Thrones : Pourquoi un tel succès ?

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Game of Thrones : Pourquoi un tel succès ?

  • 1. PACE “Game of Thrones, pourquoi un tel succès” Thomas Rousseau Télécom Paristech Promo 2015 thomas.rousseau@telecom-paristech.fr
  • 2.
  • 3. Pourquoi un tel succès ? Game of Thrones, Le Trône de Fer en français, série événement produite par la chaîne américaine HBO, dont la diffusion a commencé en 2011, n’a cessé de surprendre et d’interroger. Basée sur la saga d’heroic fantasy (science fiction médiévale) de George R.R. Martin, dont la réputation n’est pus à faire, cette série au parfum sombre et médiéval a su mettre en émoi toute la communauté de fans de ce genre littéraire, tout en créant un énorme buzz sur la toile. Déjà deux saisons produites, correspondant aux trois premiers tomes de la série de romans, et une troisième promise pour le mois d’avril 2013. Une série au rythme effréné, visuellement impeccable, un univers chaotique et complexe, une centaine de personnages, des paysages et décors aussi impressionnants que sublimes, des retournements de situation et un suspense intenable pour les non-lecteurs, tout ceci a su faire le succès d’une saga de fiction moderne et prenante. 6 Cependant, on est en droit de s’interroger sur ce succès. Il s’agit d’un sous-genre plutôt peu ou mal représenté sous forme de série télévisuelle. Il règne de plus dans le milieu de la production de ces séries une concurrence implacable, et des coûts souvent monstrueux, si l’on considère les quelques centaines de millions de dollars qu’a coûté la trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. On a également affaire à une série fortement critiquée, agressée de tous cotés, souvent à cause d’un trop plein de violence explicite, ou d’érotisme trop insistant. Tout porte à croire à un succès atypique, basé sur un roman qui, il y a quelques années, était encore confidentiel relativement à ce qu’il est devenu plus récemment. Mais peut être est ce justement ce support papier qui a porté la série, apportant une communauté de fans préexistante, et participant ainsi à son succès colossal. p12 p20 p22 P28 Argent & Serie Diffusion & Pirates Reception & Critique Livres & Adaptation 7
  • 4. C’est à travers ces multiples facettes que l’on tentera de comprendre les causes de ce phénomène médiatique, qui n’a eu que peu d’égal ces dernières années. On se tournera vers la chaîne HBO, dont cette série est l’investissement le plus récent, avant de décortiquer le contenu de la série et ses critiques, et enfin on appréciera le regard de l’auteur George R.R. Martin sur cette œuvre, et toute la communauté de fan que cette adaptation a fédéré dans une dynamique collective. Avant même d’aborder et d’analyser la production de la série, il est essentiel de dresser un résumé de l’univers afin de vous plonger dans la série. Les puristes seront offensés, tant il semble impossible de condenser un univers si riche en quelques lignes, mais il s’agit là uniquement de donner quelques repères visuels. Notre curiosité est rapidement piquée par ces affiches d’HBO, souvent assez sombres, ici pour la diffusiWon de la deuxième saison Une carte de l’univers de George R.R. Martin, disponible au début du roman, chose très classique dans ce genre littéraire 8 9
  • 5. L’histoire se déroule sur les deux continents fictifs de Westeros et d’Essos, le premier rappelant l’Europe médiévale tandis que le second a quelque chose de plus exotique, tirant sur le Moyen Orient. Le fil principal de l’histoire prend place sur Westeros, où se situe King’s Landing, Port Real en français, la capitale en quelque sorte de cet univers. Là bas se trame une sombre lutte pour le Trône de Fer, opposant la famille Stark, venant du nord, froids, et accor- dant une grande place à l’honneur, à la famille Lannister, manipulateurs fourbes et avides de pouvoirs. Puis viennent deux trames secondaires ; au nord, l’hiver arrive, et des êtres aussi surnaturels qu’emplit de cruauté s’apprêtent à fondre sur le continent. Et à l’est, une princesse, Daenerys Targaryen, dernière descendante des «  dragons  », dépossédée de son trône, mûrit l’idée de le reconquérir Bien qu’ils prennent leur temps pour apparaitre dans la série, les dragons, ici accompagné de Daenerys, permettent de nous évader des intrigues politiques Le monde des puissants ne peut rester paisible très longtemps. En haut, la famille Stark, attendant la venue du roi. En bas, la famille Lannister, mère et fils, qui tenteront tout pour accéder au trône “The Wall”, le Mur, dernier rempart entre le monde civilisé et une nature hostile et cruelle 10 11
  • 6. Argent & Série L’argent, toujours l’argent me direz vous. Il s’agit néanmoins d’une piste pertinente lorsqu’on cherche à expliquer une telle performance. Est-il la garantie du succès d’une série ? On peut trouver de nombreux exemples de séries plutôt confidentielles voire abandonnées (The Legend of the Seeker, The Women’s murder club ...), mal mises en scène, ou s’adressant à un public trop restreint, et pour lesquelles on est néanmoins surpris par un budget souvent important. Plusieurs millions de dollars, au moins pour l’épisode pilote. Est-ce une question de public ? Là encore, rien d’évident pour Game of Thrones. L’heroic fantasy est un genre peu ou mal représenté à la télévision, et de part des intrigues souvent très complexes, ne s’adressent qu’à une communauté restreinte de fans. Quels sont donc les points cruciaux qui mènent au succès d’une série, et tout particulièrement de cette série, et dans quelle mesure peut on imputer cette performance à l’aspect financier de la production ? Le budget de la série en quelques chiffres. Pour les deux premières saisons réunies (les chiffres étant encore trop vagues pour ce qui est de la 3ème en cours de production), HBO annonçait un coût total tournant autours de 120 millions d’euros. La série table sur des saisons de 10 épisodes, chacun d’eux durant aux alentours de 1 heure. Après un rapide calcul, on arrive à la conclusion que chaque épisode coûte à HBO environ 6 millions d’euros. Soit plus du double d’une série « classique » (True Blood et ses vampires, Breaking Bad et ses drogues, The Walking Dead et ses zombies, Homeland et ses terroristes etc...). Et par pure comparaison, chaque épisode de Dexter, ce meurtrier intelligent et attachant aux pratiques sanglantes, coûte 0,6 millions d’euros, l’adaptation au cinéma de la trilogie de Tolkien a coûté aux alentours de 230 millions d’euros, la production de chacun des opus de Star Wars aura coûté entre 10 et 30 millions d’euros. HBO, des centaines de séries en illimité et en haute définition pour une poignée de dollars mensuelle. Son slogan ? “Get more”, évidement ... 12 Petite comparaison indispensable des coût moyen par épisode entre HBO et ses concurrents. Les échelles ne sont pas les mêmes ... Pourquoi un tel coût ? L’explication est plutôt simple en vérité : l’équipe tourne simultanément en Croatie, en Islande, et en Irlande du Nord (voire au Maroc pour la dernière saison paraîtrait-il), emportant à chaque fois un gigantesque cortège d’acteurs, réalisateurs, et des montagnes de matériels, costumes et décors. Un comportement qui rappelle le tournage de films comme la trilogie Lord of The Rings, Prometheus etc … Car en effet, la plupart des paysages du Royaume des Sept Couronnes, sur le continent fictif de Westeros, sont en réalité certains des plus beaux sites d’Irlande du Nord. Est ce que cela paye ? Dans un premier temps, on peut au moins remarquer que l’esthétique visuelle a été saluée. En effet, Game of Thrones est allé rafler pas moins de six trophées des « Creative Arts Emmy Awards », pour ses réalisations techniques, notamment l’«  Outstanding Visual Effects Award  », récompense plutôt primée dans le domaine des séries télé. Et un responsable d’HBO confirme qu’en effet, un des buts du faramineux budget accordé à la série, notamment dans le domaine graphique, est de s’assurer que le continent de Westeros est amené au premier plan, au moins sur le plan de 13
  • 7. sa réalisation. Et il est vrai que cette stratégie marche plutôt bien  : au delà de cette récompense technique, la série s’est également vu nominée au Festival de Télévision de Monte-Carlo, aux Emmy Awards (2011/2012), aux Golden Globes, mais également d’innombrables prix félicitant les acteurs, ou récompensant le scénario ou la production … HBO voulait qu’on parle d’elle, et c’est mission accomplie sur ce point. La série est reconnue mondialement, et crée le buzz partout où elle pose les pieds. On ne la compare à d’autres séries uniquement pour en faire les louanges. On a même laissé entendre qu’il s’agissait « des Sopranos en Terre du Milieu  », en référence à la série mythique d’HBO, et à l’œuvre de Tolkien. Cela a bien entendu rassuré la chaîne HBO, qui mise sa réputation à chaque investissement de ce genre. HBO fait très peu dans la série de plateau basique comme “Friends” ou “The Big Bang Theory”. Elle préfère les grandes époques historiques, avec ici trois de ses séries phare : The Sopranos, Boardwalk Empire et Rome La “salle au trésor”, ie la salle des accessoirs, décors, costumes, installée sur les lieux de tournage, ici au Maroc. Avec une robe de Cersei Lannister, on produirait trois saisons de How I Met Your Mother, paraitrait-t-il ... 14 15 On peut revenir sur quelques séries qui ont été d’énormes investissements pour HBO, et qui ont été couvertes de succès. The Sopranos, une sorte d’adaptation moderne du Parrain, décrivant tous les problèmes que rencontre Tony Soprano pour gérer son entreprise mafieuse. Dans le même esprit, Boardwalk Empire, la prohibition de l’alcool à Atlantic City, et toutes les intrigues politiques et criminelles sous-jacentes. Cette dernière série, réalisée par Martin Scorcese, fut une des plus chère d’HBO, avec un pilote de 18 millions, et un coût moyen par épisode avoisinant les 6 millions. Mais le succès fut au rendez vous, et la critique unanime.
  • 8. Difficile d’arracher un sourire au patriarche Lannister, interprété par le charismatique Charles Dance Quand on parle de budget et du lieu de tournage, on peut également légitimement parler du casting. Game of Thrones affiche une distribution prestigieuse et à toute épreuve : Sean Bean, incarnant Eddard Stark (Troie, La Communauté de l’Anneau), Charles Dance, pour Tywin Lannister (Le Fantôme de l’Opéra, Underworld), Peter Dinklage, jouant Tyrion Lannister … HBO aime en effet conserver une certaine image de marque à travers ses distributions, comme dans The Sopranos, ou Boardwalk Empire. Cette stratégie était d’autant plus cruciale ici car, à l’opposé des romans de Tolk- Sean Bean, dans le rôle de l’irréprochable Eddard Stark accompagné de son épouse Catelyn. Comme à son habitude, il manie un personnnage impénétrable et peu enclin à survivre plus de quelques épisodes 16 ien, ou d’autres saga dans la même veine, le style de Martin est tel qu’on accompagne continuellement les pensées, les espoirs et les objectifs de la plupart des personnages. On finit, au bout de trois tomes, ou de deux saisons, par connaître vraiment très profondément chacun des personnages de cet univers fantastique médiéval. Trouver des acteurs attachants, charismatiques, incernables, fourbes ou détestables selon les rôles, s’est donc révélé une tache essentielle, pour la pérennité de la série. Le rendu est excellent, et le public a été ravi, mais nous développerons cela plus loin. Peter Dinklage, révélé par la série, incarne le facétieux Tyrion Lannister, dit “le Lutin”. Il reçoit ici son Golden Globe en 2012, pour le meilleur second rôle dans Game of Thrones. Les réalisateurs voulaient faire de cette série « un petit bijou d’esthétisme », et rien que pour le générique, ils se sont tournés vers des valeurs sures du genre. Ce dernier, très long, un peu moins de 2 minutes, est signé Angus Wall, déjà auteur du générique de Rome. Il est accompagné la musique de Ramin Djawadi, qui avait déjà signé le générique de Prison Break. Le générique nous fait survoler l’ensemble de la carte des deux continents fictifs de George R R Martin, nous positionnant géographiquement dans la narration tout en nous exposant toute l’ampleur épique de la saga. Et même après le générique, chaque épisode en tant que tel est un film, en terme de densité d’action, au niveau visuel, au niveau du nombre de figurants etc ... Pour revenir sur des question de budgets, on peut se pencher davantage sur un épisode en particulier : « Blackwater », épisode 9 de la saison 2. Il s’agit en effet d’un épisode de na- ture légèrement différente ; c’est le premier épisode relatant un bataille navale, et terrestre, de grande envergure. Le budget déjà énorme aurait donc littéralement explosé, à cause de cette impressionnante scène de bataille d’une durée avoisinant celle de l’épisode. David Benioff, l’un des réalisateurs de la série, raconte être allé « supplier HBO » de leur donner plus d’argent. Cet épisode, comparé à la séquence de la bataille du Gouffre de Helm dans le Seigneurs des Anneaux, a su s’adapter aux limitations de budget imposées par HBO en se tournant davantage vers les personnages individuellement plutôt que de miser sur des grands plans de bataille aériens. Il est à noter que cet épisode compte parmi les plus visionnés de la série, le succès a donc été (de manière assez peu surprenante) au rendez vous, et a ici bien fait rimer fric avec public. 17
  • 9. George R.R. Martin, scénariste déçu d’Hollywood, a profité des contrats et des promesses de budget pour lâcher son écriture, complexifiant et diversifiant son univers déjà très riche. Mais par la suite, notamment lors du tournage de la deuxième saison, et lorsque HBO a commencé à mettre des freins aux dépenses de la série, il s’est révélé frustré. Il admet lui même toujours en vouloir plus, et être avide de plus de spectacle visuel. « Ils ont une tache particulière- “Blackwater”, l’épisode aux 15 millions de dollars. Pourquoi un tel coût ? L’épisode en lui même : il s’agit d’une bataille navale au cours de laquelle la flotte est détruite à grand coup de napalm moyenageux, suivi d’un affrontement terrestre aussi long que sanglant. 18 ment dure, à savoir faire tenir mon histoire en dix heures par saisons, avec les limitations de budget » admet-il au cours d’une interview. Martin décrit l’épisode plein d’action « Blackwater » comme spectaculaire, mais avoue que ses attentes étaient bien supérieures. Le résultat est cependant bien là : la chaîne annonçait au début de la saison 2 quelques 3,9 millions de téléspectateurs réunis pour visionner le premier épisode, permettant à la série de battre son record historique d’audience. Cela regonfle bien entendu la notoriété de la chaîne pour ce genre de séries.
  • 10. Diffusion & Pirates L’autre aspect du buzz médiatique qu’a créé Le Trône de Fer est le piratage, à savoir le visionnage illégal et gratuit de la série via les réseaux de streaming ou de partage. On rappelle qu’HBO est une chaîne payante, chaque mensualité vous coûtant une dizaine de dollars. Game of Thrones est ici victime de son succès : elle se retrouve en tête du classement des séries les plus piratées en 2012, révèle Torrentfreak, un site spécialisé dans ces réseaux de partages illégaux, et qui se charge chaque année de faire paraître ce palmarès. En 2012, la série compte près de 4,28 millions d’épisodes téléchargés. Ces « pirates » se trouvent pour une large majorité en dehors des États Unis. Des impatients qui ne peuvent plus attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines avant que la série ne soit disponible légalement dans leur pays, note Torrentfreak. La plupart des critiques s’accordent pour dire que cela tient à une mauvaise stratégie de diffusion adoptée par la chaîne, qui ne signe des contrats de diffusion en Europe ou en Asie qu’au compte goutte ... 20 Cela n’a pas empêché David Petrarca, l’un des réalisateurs de la série, de déclarer dans un quotidien australien que le téléchargement illégal n’était pas un problème étant donné qu’il permet d’entretenir un  «  buzz culturel  » qui maintient et propage la popularité de la série. Il a même ajouté que  c’est grâce au piratage que les séries survivent. Bien qu’il ait par la suite modéré ses propos, s’agirait-il d’un signe d’ouverture d’esprit ? Quoiqu’il en soit, cela participe au succès médiatique, et n’empêche pas le succès commercial de Game of Thrones : il s’agit de la série d’HBO qui s’est le mieux vendue en DVD et Blu-Ray. Le classement 2012 des séries les plus téléchargées, comparé avec les audiences américaines, publié par le site TorrentFreak. Les utilisateurs utilisent la plupart du temps des sites de partage ou “peer to peer”, dont le plus emblématique reste jusqu’à présent l’intouchable The Pirate Bay Dans l’ensemble, HBO se débrouille plutôt bien pour ce qui est de la promotion de sa 3ième saison, multipliant les coups de publicité dans les journaux, par des affiches, augmentant petit à petit la longueur des « trailers », lâchant de ci de la des informations sur le casting ou les épisodes … Le public est à cran, et cette saison à venir a intérêt à tenir ses promesses. Pour dynamiser sa présence en Europe, HBO lance en août 2012 HBO Nordic, essentiellement accessible en Scandinavie, mais se diffusant petit à petit. Les utilisateurs peuvent ainsi profiter de toutes les séries de la chaîne en échange d’un abonnement mensuel, chose jusqu’alors impossible. Mais il est clair qu’HBO tient, dans son propre intérêt, à apprendre de ses erreurs. Les fans auront tendance à se tourner vers un abonnement si ils en ont la possibilité, pour avoir accès à la série de manière légale et surtout pour l’avoir dés sa sortie. HBO va donc lancer, pour la diffusion de la 3eme saison, un service d’accès aux séries de la chaîne pour l’Europe du Nord : «  HBO Nordic  ». La concurrence sera rude, mais c’est un premier pas vers son implantation en Europe et ailleurs. Un des nombreux avantages sera la diffusion en VO, et non dans un doublage local de qualité souvent très discutable. 21
  • 11. Réception & Critique Un des points qui nous frappe, après avoir visionné quelques épisodes, ou tout bonnement l’épisode pilote, est qu’on est assailli par des images très crues de violence et de sexe, et ce tout au long de la saga. Cependant, si on se penche davantage sur la question, on se rend compte que cet univers visuel n’a rien d’artificiel, et n’est pas là juste pour qu’HBO crée le buzz et fasse couler de l’encre, même si cela plaît beaucoup à la chaîne américaine. Cela s’intègre tout à fait dans l’univers de George R. R. Martin, et ce dernier avoue que l’adaptation a pour le moment dépassé ses espérances sur ce point. Mais jetons un coup d’œil à la réception du public et de la critique. Une audience qui a doublé entre la première et la deuxième saison, passant de 2 a 4 millions par épisodes, juste pour les États Unis, et ce quasiment instantanément à partir de la diffusion du pilote. On sent ici le savoir faire d’HBO pour ce qui est de faire la promotion de sa série. Les communautés de fans attendaient une adaptation de ce type et de cette qualité depuis très longtemps, et se sont révélées conquises. Visiblement, HBO a su combler leurs attentes. Bien entendu, il n’y a pas eu unanimité et on a vu apparaitre de nombreux commentaires mitigés, surtout pendant la diffusion de la saison 2 : un rythme qui ralentit, une lourdeur et un certain immobilisme qui s’impose, un épisode (saison 2, épisode 4, «Garden of bones») sans queue ni tête, accompagné d’un deus ex machina de sorcelerie mystique aussi inutile qu’incompréhensible … Mais chaque fois, les producteurs, aidés par l’auteur, ont gardé tête haute, faisant miroiter les merveilles des épisodes à venir. 22 Du coté de la critique magazine et internet, les choses n’ont également pas été aussi manichéennes. Malgré une réception globalement bonne dès le premier épisode, on se souvient de l’article virulent de Ginia Bellafantes pour le New York Times, qui a fait polémique, en attaquant la série pour un certain sexisme : « La perversion incarnée, un trop plein sexuel, des femmes traitées comme moins que rien. Je ne connais aucune femme qui regarderait cette série par plaisir. Il s’agit de fiction masculine, rien de plus ». Cette critique a été huée unilatéralement, donnant par la même occasion un image très vieillotte du New York Times. Martin a répliqué en disant tout simplement : « Mais qui sont alors, tout ces types avec de fortes poitrines, qui se pressent pour avoir des dédicaces lors des meetings de fantasy ? » Sexe, viols, incestes, éxécutions plus ou moins sommaire et autres actes sanglants sont monnaie courrante dans la série, tout comme dans l’univers del’oeuvre de Martin. Un moyen de mettre le grappin sur les jeunes générations, ou une affection particulière pour le spectaculaire ? 23
  • 12. Toute la presse n’a pas partagé ce point de vue bien entendu. Les Inrocks par exemple ont beaucoup publié à propos de cette série. Très exaltée à l’heure actuelle, on ne peut se permettre d’oublier les articles très critiques à la sortie du pilote, mettant en avant un univers trop complexe pour lequel on a du mal à se passionner, et une lourdeur ambiante à laquelle s’ajoute un trop plein de sexe et de violence  :  «  Les créateurs de la série, David Benioff et Daniel Weiss, manquent singulièrement d’humour et de distance ». Un article paru deux mois après adoucissait cependant ces propos, annonçant cette fois-ci une certaine originalité, et un canevas de personnages attachants et vivants. Cette enseigne, jeune, dynamique, souvent très cynique et très ouverte d’esprit, a été plutôt représentative de l’avis général, surtout sur internet. Elle a décrit et analysé Game of Thrones comme une seconde tentative de la série Rome, mais où cette fois ci, HBO serait prête à aller au fond des choses. Rome, série tournant autours des intrigues politiques et militaires de la rome antique, dans une atmosphère dure et sanglante, fut un des phénomènes amorçant le regain d’intérêt pour les péplums historiques. La série fut 24 cependant arrêtée, pour des raisons financières. La critique fut largement enthousiaste à la sortie de la série et quatre Emmy Awards vinrent la récompenser. Et cette critique, ici le blog du Monde, annonçât à l’époque, ce qui cadre parfaitement avec Game of Thrones, que « l’ambition de Rome n’était pas de réussir une reconstitution fidèle des événements, mais à travers le prétexte de l’Histoire de décrire une atmosphère, une manière de vivre et des mœurs, celles qui existaient à Rome à cette époque. ». De plus, cette comparaison avec Rome permet aux Inrocks de contrer toutes les critiques de violence ou de sexe en montrant que cela avait déjà été fait, et qu’à cette époque, Rome n’avait pas tellement eu de problème de ce point de vue … En tout les cas, un travail d’adaptation délicat et de longue haleine, mais une prise de risque récompensée. Faire dans le spectaculaire et l’historique pour contrer la vague des séries comme Dr House, pour la Fox, ou Breaking Bad, pour AMC, qui commencaient à sérieusement entamer le monopole d’HBO. Dans le même esprit que la série Rome d’après les réalisateurs, il s’agit, au dela du peplum antique ou moyenageux, de (re)construire une atmosphère, un malaise ambiant, une confusion omniprésente ... Ici le sénat agité de Rome George R. R. Martin adore profiter et participer à l’enthousiasme de ses fans, et est souvent décrit comme très volubile en ce qui concerne son oeuvre, comme ici au salon Comic Con de San Diego. Ce genre de salon, exposant des oeuvres et des univers de science fiction, de fantasy, de bande dessinée et autre, rassemble néanmoins un panel très spécifique et restreint de personnes, la plupart du temps des fans très impliqués par leur passion pour ce genre d’univers Un des points également discuté, est qu’on a souvent taxé de « nerdy », ou « geek » la série, à savoir ne s’adressant qu’à un public très restreint composé de jeunes isolés adeptes de ce type d’univers. Mais on peut nuancer cela en disant que le public effectif est composé des générations ayant grandi avec Star Trek, Star Wars, Dr Who, Matrix, Pokémon ou bercé par Asimov, Tolkien, Harry Potter et autres Monde de Narnia … Ce qui, en plus de comprendre plusieurs générations et des millions de visionneurs potentiels, recouvre effectivement le panel attendu par la chaîne américaine. On a pu le voir sur Twitter, « Les nerds adorent, les autres tentent tant bien que mal de suivre ». La série plaît à tous, même si l’on s’y accroche avec plus ou moins de facilité. Pour ce qui est des récompenses officielles, la série a été plutôt gâtée. Elle a été nommée pour treize Emmy Award, dont celui de la meilleure série dramatique, du meilleur second rôle dramatique pour l’acteur Peter Dinklage, et de nombreux domaines concernant les effets visuels, le casting, les décors … Peter Dinklage reçoit quelques mois plus tard un Golden Globe, et Le Trône de Fer a également remporté le prix de la presse lors du Festival de Monte-Carlo. 25
  • 13. Mais revenons maintenant sur un des points qui a fait couler tant d’encre, j’ai nommé bien entendu le sexe et la violence dans la série. De nombreux articles défendent ces scènes crues, les voyant comme une obligation pour tenter de rester le plus proche possible de l’univers très dur décrit par le roman. C’est là que tout devient intéressant, lorsqu’il s’agit de comparer le livre et la série. Commençons par la scène de l’adultère entre les deux jumeaux Lannister, Cersei, reine au caractère dur et manipulateur, et son frère Jaime, grand, blond, et le sourire en coin. Si dans le roman, tout n’est que suggéré, l’auteur visant davantage à décrire l’ambiance tendue et perturbante de cet acte contre nature, dans la série tout est beaucoup plus explicite et visuel. Cela en a choqué plus d’un, puisque cette scène apparaît dès l’épisode pilote. Traversons la mer entre les deux continents imaginaires, et passons à la scène de nuit de noces en plein air entre Khal Drogo, chef imposant d’une horde de cavaliers barbares, et Daenerys Targaryen, frèle fillette vendue par son détestable frère. Une scène qui dans le roman est simplement une scène d’amour mitigée et bizarre, se transforme en viol pur et dur filmé du début à la fin. On peut faire des commentaires similaires sur de nombreuses scènes ou personnages violents. Il est facile d’en déduire que l’adaptation à la télévision exacerbe le caractère déjà cru de la saga, certainement pour rendre la série un peu plus accrocheuse. Cela ne trompe personne : « Non, scènes de boucherie et levrettes ne suffisent pas à faire une bonne série » peut on lire sur certains blogs … On peut cependant remarquer qu’il s’agit là de thèmes très actuels de société. Des exemples de même nature peuvent être dénichés dans beaucoup de domaines. Que dire de Fifty Shades of Grey, le roman pornographique qui a fait fureur, du dévergondage dans les clips Que dire de True Blood et autres Vampire Diaries, marqués par une sexualité adolescente et par une violence sanglante et gratuite ? Un public différent certainement, dans le sens où Game of Thrones cherche à être quelque peu plus grand public musicaux, de films de violence et de débauche comme Spring Breakers, à paraître ? Ou même d’autres séries, comme Boardwalk Empire ou The Wire, brassant sans cesse violence et drogue ? Game of Thrones aura au moins le mérite de d’omettre la drogue. La série, classée comme «  soft porn  », appartient à la catégorie de restriction «  R18  », la plus dure aux États Unis, tandis que la plupart des séries d’HBO, même aussi discutable que True Blood, pour ses vampires adolescents aux mœurs légers, se contentent bien souvent d’un « 16 ». On avait l’habitude des séries policières très violentes et sanglantes comme Law & Order ou autres, mais cette transition d’un monde rongé par la violence, l’alcool et la drogue, vers un univers médiéval dévergondé fictif continue de choquer. HBO avoue elle même ne pas trop s’en soucier, voyant plutôt cela comme participant au battage médiatique environnant leurs productions. Les gens se plaignent et ainsi, incitent d’autres à regarder … Le jeu vidéo officiel de la série, à paraître, n’a d’ailleurs pas vu cela comme un avertissement, et sera gratifié d’un « Pegi 18 ». La question se pose. Est ce que toutes ces restrictions sont légitimes ? Est ce qu’elles veulent toujours dire quelque chose ? Est ce qu’elles sont méritées  ? En tout les cas, cela participe d’une manière ou d’une autre au buzz de la série. Une scène d’adultère trop réaliste pour la plupart des critiques, et ce dés l’épisode pilote. L’univers de Martin, déjà dur, se retrouve ici effectivement exacerbé, souvent pour le plus grand plaisir du public 27
  • 14. Livres & Adaptation Nous allons ici nous pencher davantage sur la saga de roman elle même, en tant que base même du succès de la série, et tous les méandres du processus d’adaptation. Quelle brillante idée que de se baser sur une œuvre déjà écrite pour produire une série à succès ! Il s’agit là d’une stratégie déjà bien utilisée, mais qui a tendance à se généraliser, tout spécialement en ce qui concerne les séries à grand budget. On citera Boardwalk Empire ou True Blood en ce qui concerne HBO, et Bones ou Dexter pour les concurrents, ces séries étant la plupart du temps tirées des œuvres littéraires homonymes. On notera que les œuvres originales, excepté pour The Game of Thrones, ont connu le plus souvent un succès très limité. Bien entendu, la question se pose : un livre préexistent, même un best seller, est-il en lui même une garantie de succès ? Non, la réponse semble s’imposer d’elle même, de part la quantité de navets cinématographiques que l’on voit produite chaque année … Les choses se doivent donc d’être bien faites sur trois plans : l’adaptation à l’écran, le roman lui même, et le lien culturel entre les deux, à savoir les éventuelles communautés de fans concernées. Sept livres achevés, et sans doute au moins deux, au dire de l’auteur, pour clore les aventures de Westeros. Outre le fait que les livres en tant que tels soient esthétiquement sublimes et invitent à la collection, certaines des premières éditions sont aujourd’hui classées commeobjet de collection et très recherchées des grands fans 28 Tout dans l’oeuvre de Martin confirme les importantes recherches qu’il a du mener sur le moyen-âge européen. Que ce soit au niveau de l’architecture, des faits et techniques militaires, des us et coutumes ... Ici, “King’s Landing”, la capitale, dans le générique stylisé de la série, où se fait sentir l’insipration pour les temps des cathédrales Le livre tout d’abord. On a vu qu’il s’agissait du renouveau d’un genre plutôt ignoré par les producteurs de séries, car, nous l’avons vu, coûteux et délicat à mettre en place. Mais ce ne sont pas les œuvres d’heroic fantasy ou de science fiction qui manquent, alors qu’a-telle de particulier ? On notera d’abord un format cosmologique déroutant : une alternance d’étés et d’hivers, longs chacun de plusieurs années, nous ramenant dans des temps quasi préhistoriques, bien plus loin que le moyen age classique. Notons que ce même univers moyenâgeux continue tant bien que mal à fasciner les esprits, tout spécialement outre atlantique. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil à toute cette science fiction de bas étage, « Warhammer » ou autre, aux univers de la plupart des jeux de rôle à succès ou MMORPG, ou à ce nouvelle engouement pour tout ce qui touche aux vampires et autres sorcelleries européennes moyenâgeuses. L’auteur écrit sur son site officiel qu’il pratique une immersion totale dans ses recherches, par exemple sur le moyen âge, que cela concerne l’aspect militaire, artistique, ou même gastronomique, s’inspirant des récits de la guerre de 100 ans, ou de la guerre des roses. D’où une impressionnante précision et une sensation de réel dans sa saga, qui participe au succès, en invitant le lecteur à se projeter dans cet univers. Au delà de l’univers fantastique, des dragons et autres revenants, cette saga a été désignée comme « touche à tout ». On y côtoie de nombreux types de problématiques : la famille, l’honneur, donner à un sens à nos courtes existences, et plus complexes que ces quelques idées chevaleresques, l’atomisation de la société, l’opposition entre religion personnelle et religion établie, l’acceptation de la violence … Certes, on se rend compte de l’élitisme de ces romans, mais en même temps, on peut aussi se dire que chacun y trouve son compte, et que toute cette trame intellectuelle est bien lissée par la violence et le sexe de l’’univers de George R. R. Martin. 29
  • 15. Le revers de la médaille est bien entendue la complexité titanesque des lieux, événements, liens entre les personnages … Qui importe, car à l’inverse de la trilogie du Seigneur des Anneaux, on cherche à reproduire cette complexité à l’écran, plutôt que de la simplifier dramatiquement. Et l’univers satisfera tout le monde, qu’on soit friand de détails, de cartes ou de généalogie, ou que l’on cherche simplement à se laisser bercer par les grands passages descriptifs et les flash back romancés. Nous avons la matière, passons au processus d’adaptation. Pour une adaptation réussie, y a-til un secret ? D’après Robert Colvile, éditeur au Telegraph, il tient en deux points précis. Tout d’abord le casting : Sean Bean, Charles Dance, Roger Allam … Puis le scénario lui-même : « une exploration aussi déroutante que réaliste d’intrigues politiques et de pouvoir, et tout ce dont nous sommes capables pour nous l’approprier». Il continue en disant que « Game of Thrones me semble très novatrice et très perturbante dans le genre certainement à cause du plaisir quasi sadique que l’auteur prend à tuer ses personnages les plus importants ou attachants. Il n’existe aucune corrélation entre mérite et récompense. » On citera l’exemple de Sean Bean, incarnant le paterfamilias de la famille Stark, bon, juste, loyal et mesuré, qui n’a pas eu la chance de tourner dans la deuxième saison … Au delà de cet attachement du public aux personnages et cette quasi trahison de la part de l’auteur, il est également à noter que la 30 structure même des romans crée ce malaise, et éventuellement, cet intérêt. En effet, Martin s’amuse à partir d’une trame simple, puis à prendre de plus en plus de recul, éloignant et isolant les personnages les uns des autres, supprimant instantanément les zones de confiance et de confort qui tentent d’apparaître. Un diagramme, plutôt bien construit, résumant les iens principaux entre les personnages majeurs de l’univers de George R. R. Martin. Il faut du talent pour garder la série attrayante et ne pas blaser des spectateurs qui se perdraient dans ces méandres généalogiques ... Ne pas perdre de vue que ce diagramme est simplifié à l’extrème
  • 16. Mais le mérite principal revient bien évidement aux réalisateurs Benioff et Weiss qui ont su apporter l’univers visuel adapté, si bien qu’on ne peut s’imaginer les personnages des romans différents des acteurs. Pas une seule fausse note, incompréhension, ou faille en se qui concerne les personnages, seulement quelques modifications scéniques : simplifications, suppressions de scènes de combats superfétatoires, ou amélioration pour plus de spectaculaire, comme pour la bataille navale de l’épisode « Black Water ». On assiste à une certaine distorsion des distances, du temps, ou au niveau de l’âge des personnages, comparé aux romans, mais rien, en soi, de bien tragique. Mais il est clair que l’adaptation de l’œuvre de Martin pour un rendu attrayant a du être un défi d’ingéniosité. Les réalisateurs se sont focalisés sur deux points : les acteurs, et la manière de filmer. David Benioff et Daniel B Weiss, les deux principaux réalisateurs, entourant Jason Momoa, incarnant le barbare exotique Khal Drogo. Si David Benioff est un réalisateur prisé d’Hollywood, pour ses réalisations comme Troie ou X-Men, Daniel B Weiss est à l’origine un écrivain, qui a donc eu la délicate tâche d’adapter les romans de Martin et de les préparer pour l’écran. George R. R. Martin, juché sur un rempart décors de sa série. Il dit se projetter assez facilement dans l’univers bon vivant des banquets et festins royaux qu’il dépeind dans ses romans Face a un public, et un auteur, aux exigences graphiques très fortes, les deux réalisateurs n’ont eu d’autres choix que de s’adapter. « Nous avons du nous tourner beaucoup plus vers les personnages et tendre vers des séquences personnelles, en introspection, plutôt que de donner dans le spectaculaire distant des scènes de bataille à la Peter Jackson » déclare Weiss. Ce à quoi Benioff renchérit « L’un des avantages que nous avions par rapport aux films est que lorsqu’un personnage s’élance dans la bataille, nous avons déjà passé quelques dizaines d’heures à ses cotés. C’est cet attachement et cette proximité que nous recherchons ». C’est un des points qui a participé à l’élargissement du panel visé par la série, en la rendant moins démonstrative, plus personnelle, et plus proche des personnages, à la manière de la plupart des séries actuelles. Et HBO n’oublie pas d’extraire de la saga quelques phrases emblématiques, pour avoir une image et une publicité efficace. On retiendra «In the game of thrones, you win or you die », ou mieux encore, l’omniprésent «Winter is coming ». 33
  • 17. Rose Leslie, incarnant le personnage audacieux et habile d’Ygrid, une barbare plutôt civiisée vivant par dela le Mur. Et grâce à la justesse de son interprétation, l’auteur aurait été émerveillé et serait allé juqu’à promettre une place plus importante à ce personnage dans la fin de ses livres Un des points qu’il me reste à soulever est que l’on assiste ici à un phénomène plutôt rare d’écriture et d’adaptation quasi simultanée, car l’auteur est en train de finir son dernier roman. Martin semble d’ailleurs préoccupé par la vitesse de tournage d’HBO par rapport à l’écriture de ses romans, face a ce qu’il appelle lui même « la locomotive de l’adaptation ». D’habitude, sur de grandes séries similaires, seuls les fans donnaient leur avis, comme pour Star Trek ou Dr Who, mais ici, l’auteur lui même vagabonde de temps à autre sur les lieux de tournage, et la série comme le livre ont la possibilité d’être améliorés directement. Pour ce qui est du jeu d’acteur, l’auteur se montre très exigent, mais entièrement satisfait jusqu’à présent. Il serait venu féliciter Jack Gleeson, l’acteur interprétant Jeoffrey Baratheon, fils pédant d’une reine manipulatrice, en lui disant : «Bravo, bon travail. Tout le monde te déteste. » Cela va même plus loin : Ygrid, une barbare rousse de caractère, s’est retrouvée interprétée par Rose Leslie, qui a si bien su cerner le personnage que l’auteur aurait déclaré avoir été inspiré par sa personnalité, et allait en tenir compte lors de l’écriture de son roman actuel, et sans doute lui donner une place et un rôle plus important que ce qu’il avait prévu a l’origine… 34 Délaissons un peu les plateaux de tournage pour nous tourner un peu plus vers ces communautés préexistantes de fans, car il semblerait que la série aurait eu beaucoup plus de difficultés à décoller sans elles. Des études sociologiques assez poussées ont été menées en ce qui concerne les échanges entre les producteurs, de livres ou de séries, et la communauté de fans qui leur est attachée. C’est la “culture participative”, ou Participatory Culture, chère à Henry Jenkins, célèbre auteur et professeur dans ce domaine. En décortiquant des séries comme Dr Who, ou Star Trek, et leur audience, il nous montre à quelle point les fans sont porteurs pour une série, et qu’ils permettent, à travers leurs réactions, leurs critiques, leurs demandes et leurs espoirs, de rectifier et d’améliorer. L’adaptation télévisuelle de l’œuvre littéraire de Martin leur a donné l’occasion de s’exprimer, et on a assisté à un véritable déluge de blogs, de “meme”, de fanart etc … C’est ce lien, que l’auteur s’efforce de conserver et de renforcer, qui est intéressant. Car on en arrive à des situations plutôt comiques, comme ce fan, Elio Garcia, Ran de son pseudo, qui, aux dires de Martin, connaît mieux l’univers que lui. Tant et si bien qu’il a annoncé dans une interview sur un ton de plaisanterie qu’il lui téléphone quand il a un doute sur tel ou tel point … Certains fans se plongent également dans la complexité quasi fractale de l’univers, comme avec le livre « Beyond the wall », recueil de réflexions pointilleuses et sans intérêt pour le commun des mortels. Henry Jenkins, professeur et spécialiste en culture participative, réseaux sociaux et séries télvisuelles, aux conférences si prisées, nous apprend énormément sur les logiques d’échanges entre les auteurs et les communautés de fans, notamment à travers des livres comme Textual Poachers: Television Fans and Participatory Culture 35 L’ampleur du phénomène Game of Thrones est encore une fois prouvée par la diversité des produits dérivés que l’on peut trouver. Des nouvelles éditions des romans, avec la couverture HBO de la série, des adaptations sous forme de comics, un jeu vidéo en cours de développement, et même des bières et des livres de cuisine … Cela atteste du cercle de succès qui a été initié entre livre et série, mais également du dynamisme et de l’agitation de la communauté internet et artistique autours de ce riche univers.
  • 18. Un livre, une série, une saga, un succès ? Une grande compagnie, des investissements suffisants, une présence médiatique, un auteur très présents et des fans très dynamiques, autant d’atouts qui rendent aujourd’hui ce phénomène incontournable. Cela soulève bien entendu d’autres interrogations, mais qui ne sont plus de notre ressort. De tels coûts sont-ils décents ? La littérature doit elle d’une quelconque manière se soucier de faciliter une éventuelle adaptation à l’écran, ou du moins va-telle aller dans ce sens ? A-t-on mangé notre pain blanc avec les deux premières saisons ? Le public se verra-t-il blasé ou déçu par les prochains épisodes ? Tout ce qu’on peut souhaiter à cette série est une bonne continuation, et un bon courage à l’auteur. Et si cela a d’une manière ou d’une autre éveillé votre curiosité, ou si vous vous trouvez être un fan averti, ne ratez pas la sortie de la 3ième saison début avril. HBO manque de nous épouvanter en nous laissant imaginer qu’un dragon nous survole, comme avec cette publicité ingénieuse pour la sortie de sa nouvelle saison, dans le New York Times Preuve de sa volonté de présence en Europe, HBO ne réintère pas ses erreurs de stratégie de diffusion des premières saisons. Elle s’impose souvent largement face aux concurrents locaux en terme de visibilité. Ici, une affiche du métro parisien 36
  • 19. Sources & Bibliographie Sources internet Disponibles en ligne sur http://tinyurl.com/pace-game-of-thrones Sources bibliographiques Science Fiction Audiences, watching Docotor Who and Star Trek, John Tulloch and Henry Jenkins, Routledge, 1995 Fans, Bloggers and amers, exploring participatory culture, Henry Jenkins, New York University Press, 2006 A Song of Ice and Fire, George R. R. Martin, Bantam Books HBO cover, 2011 A Game of Thrones, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011 A Clash of Kings, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011 A Storm of Swords, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011 A Feast of Crows, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011 A Dance with Dragons, George R. R. Martin, Bantam Books Books HBO cover, 2011 Remerciements Wikipédia Wordreference The Pirate Bay Morgan Schmitz, ENSAE, fan invétéré qui m’a été d’une grande aide