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10          GROS PLAN                                                                                                                                                                                     LA LIBERTÉ
                                                                                                                                                                                                            MARDI 4 MAI 2010



AFRIQUE DU SUD.


L’UTOPIE DU TOITGRATUITFAITLONG FEU
Le président Jacob Zuma promet 2,7 millions de maisons pour 2014.Dans les townships,le rêve d’un toit
solide et gratuit est toujours là.Mais de plus en plus,on parle de trompe-l’œil du gouvernement.
TIPHAINE BÜHLER                       chaque famille paye 20 rands
REPORTAGE AU CAP                      (3,20 fr.) par jour à la munici-
                  « Mo n r ê v e ,    palité. En cas de retard, on leur
                  c’est d’avoir       coupe l’électricité. Dans
                  une maison à        d’autres townships de Cape
                  moi», sourit        Town, il n’y a pas de courant.
                  Nolumbo, une        La communauté bricole des
                  maman de 30         câbles depuis les poteaux élec-
                  ans vivant dans     triques de l’autoroute. Les
le township de Langa, le plus         morts sont fréquentes, mais ne
vieux de Cape Town (sud-ouest         découragent pas la pratique.
du pays). Elle travaille en ville,
chez les riches, où elle dort trois   Violence endémique
nuits par semaine. Son mari,              «Ce township a mauvaise
lui, répare les ascenseurs. De-       réputation, souligne Nolum-
puis qu’elle a eu son premier         bo. Il y a beaucoup de vio-
fils, à 16 ans, Nolumbo vit dans      lences et de vols. Mais on ne
un foyer désaffecté d’ouvriers.       voit rien. Je sais seulement que
Elle partage une chambre avec         je mets mes économies à la
son mari et ses enfants.              banque, comme tous ceux qui
                                      le peuvent. On ne garde rien de
                                      valeur chez nous. Car c’est
«J’ai une télé et                     entre nous que les vols se font.
un travail. Mais                      Et la police n’en a rien à faire.
                                      Elle ne vient jamais jusqu’ici.»
en hiver, il fait                     Par contre, il y a une école et
                                      un hôpital dans le secteur. Au-
très froid»                           cune grogne ne se fait sentir de
                                      ce côté-là. «On peut rester six
     «C’est mieux qu’à l’étage        heures après un accouche-
au-dessous. Je ne dois pas vivre      ment, c’est bien», relève-t-elle.
avec d’autres femmes, j’ai une            Une seule cabine télépho-
télé et un travail. Mais en hiver,    nique a été installée dans une
il fait très froid. On se chauffe à   maison du quartier. «Ici, on
la paraffine. C’est dangereux et      peut acheter des médicaments
les murs deviennent noirs.»           traditionnels, des écorces de
                                      baobab ou du «dahra», c’est de
Dormir sous les lits                  la drogue», explique Nolumbo
    Au rez-de-chaussée, trois         en riant. Les dealers reçoivent
familles s’agglutinent dans           leurs commandes grâce au té-
une pièce d’à peine 15 m2, vi-        léphone public. Un travail
vant sur des lits à étages sca-       comme un autre à les en-            Aujourd’hui, 37% de la population sud-africaine n’a ni eau, ni électricité. Plus de 25% n’a pas accès à l’éducation primaire. Mais dans
breux. «Il n’y a pas d’intimité,      tendre, plus stable même,           les townships, on croit dur comme fer aux promesses du président Jacob Zuma. TIPHAINE BÜHLER
sourit doucement l’une des lo-        puisque l’un des trois hommes
cataires de l’espace. On vit à        qui partagent le local vient de
trois couples et les enfants          perdre son boulot. L’ambiance       Ce qui est plus grave, c’est que      rentrent plus facilement en           lation, Nolumbo est une excep-        des gens. Nolumbo n’est pas un
dorment sous les lits.» Quinze        est malsaine, les gars sont visi-   cela touche des gamins de dix         contact avec les enfants car          tion dans le périmètre. Et            cas unique. Elle craint aujour-
personnes partagent cette             blement gênés de la présence        ans. Depuis quelques années,          ceux-ci n’avaient pas accès à la      même si elle rêve d’une maison        d’hui d’être déplacée par la po-
chambre insalubre. A côté, on         blanche.                            les tavernes du township doi-         taverne. Il n’y a plus de sépara-     à elle, c’est ici qu’elle la vou-     litique gouvernementale du
cuisine au feu dans un local              Au centre de soins du quar-     vent fermer à 21h30. Les              tion et les parents sont rare-        drait. Là où elle a développé ses     «housing». Elle s’est pourtant
borgne. En face, trois murs et        tier, une mama s’inquiète de        ivrognes traînent donc vers les       ment là pour surveiller.»             amitiés, là où ses enfants ne         inscrite, il y a des années de ça,
un trou sans eau servent de           l’augmentation de la drogue.        habitations et cherchent                  Avec un travail et un mari        peuvent pas sortir en sécurité le     sur les listes pour bénéficier
toilettes. Pour habiter ici,          «C’est nouveau, estime Nomsa.       d’autres moyens d’évasion. Ils        qui n’a pas disparu de la circu-      soir et où le sida touche 40%         d’une maison gratuite. I


Une maison, mais pas d’école                                                                                                                          MAINTENUS SOUS DÉPENDANCE
                                                                                                                                                      Manager dans un hôtel de
                                                                                                                                                      Cape Town, Estelle Millward a
                                                                                                                                                                                            rance et c’est ça qui est dange-
                                                                                                                                                                                            reux pour l’avenir du pays. Ce
Le Gouvernement sud-africain se flatte de                                                                                                             grandi dans des townships.            sont des emplois qu’il faut et
sa politique de logements sociaux («hou-                                                                                                              Elle a aujourd’hui une situation      de l’éducation. Mais beaucoup
sing»): 480000 habitations ont été                                                                                                                    confortable. Cette femme              préfèrent rester dans des
construites en 2009. Le but est de voir dis-                                                                                                          d’origine bushmen porte un            taudis et vivoter avec leurs
paraître les «shacks», ces milliers de ca-                                                                                                            regard critique tant sur le pro-      allocations.»
banes en tôle ou en bois, totalement invi-                                                                                                            gramme RDP «Reconstruction
sibles sur les plans urbains. «Quatre                                                                                                                 and Development Pro-                  Douze millions de rentes sont
millions de maisons ont été bâties depuis la                                                                                                          gramme» – budgétisé à 75 mil-         distribuées en Afrique du Sud,
fin de l'apartheid. C'est bien, reconnaît Pas-                                                                                                        lions de rands par an (12             soit, pour une personne sur
cal Holliger, d’une ONG de Port Elizabeth.                                                                                                            millions de fr.) – que sur l’atti-    quatre. Les plus importantes
                                                                                                                                                      tude attentiste de la popula-         sont pour les personnes âgées.
ABUS Mais il y a eu aussi beaucoup de pro-                                                                                                            tion. «On parque les gens à           Elles se montent à 1200 rands
fiteurs. Au début, l’Etat donnait 15000                                                                                                               l’extérieur de la ville où il n’y a   (190 fr.) par mois. Les per-
rands (2400 fr.) aux familles pour qu'elles                                                                                                           pas de boulot, dénonce Estelle        sonnes handicapées et les
construisent un appartement. Rien ne bou-                                                                                                             Millward. Lorsqu’il y a trop          enfants reçoivent entre 700
geait. Il y a eu ensuite des contrats de copi-                                                                                                        d’agitation, les autorités amé-       (110 fr.) et 200 rands (32 fr.)
nage, passés avec des entreprises n’ayant                                                                                                             nagent quelque chose pour les         Ces montants ne permettent
aucune expérience dans la construction.                                                                                                               calmer. Il y a trois ans, la muni-    pas de vivre décemment.
Certains bâtiments étaient déjà en ruine                                                                                                              cipalité a promis de construire
moins de dix ans après, d’autres ne se sont                  Quatre millions de maisons ont été bâties depuis la fin de l’apartheid. Mais le          des sanitaires à Makhaza dans         Malgré cela, les écoles
même jamais terminées.»                                      problème des townships est loin d’être résolu. KEYSTONE                                  le township de Khayelitsha.           publiques des townships doi-
                                                                                                                                                      Aujourd’hui, il y a une seule toi-    vent faire face à un problème
ISOLEMENT Le plus grand problème du                                                                                                                   lette au milieu d’un terrain          récurrent, lié à la politique
«housing» reste l’isolement des groupes dé-      semaines et le prix de l’électricité a doublé,     nent. Le gouvernement est venu nous ins-          vague, sans mur, sans dignité,        d’aide sociale. «Dès que les
placés. Depuis 2006 le quartier de Soweto on     peste Evelyne. Le soir, on ne peut plus sortir     taller des toilettes (réd. sans eau) et distri-   pour des milliers de personnes.       filles ont 14 ans, elles tombent
Sea a été relogé en périphérie de la Nelson      de chez soi et mon fils ne trouve pas de tra-      buer des couvertures plastifiées à mettre sur     Le budget alloué pour les tra-        enceintes pour toucher une
Mandela Bay, sans école, sans magasin, sans      vail.» Elle hausse les épaules lorsqu'on lui       nos toits pour empêcher la pluie de rentrer       vaux aurait disparu.»                 allocation, déplore la respon-
clinique. Plus de 1500 enfants ont dû            parle de la rente vieillesse de 1200 rands (190    dans nos shacks». Personne n'est relié à                                                sable de la Daniel School de
prendre le bus pour rejoindre leur ancienne      fr.) et de la maison qu’elle a reçue du gouver-    l'électricité dans ce coin du township. Pour-     La manager engage autant de           Port Elizabeth. C’est parfois
école. Trop coûteux, les trajets ont peu à peu   nement. «C'est de la poudre aux yeux», gri-        tant, deux centrales nucléaires qui servaient     personnes des ghettos qu’elle         même un membre de la famille
été abandonnés et les gamins ont cessé leur      mace-t-elle.                                       à fournir le courant aux quartiers blancs         le peut. Elle se désespère du         qui les met enceinte.» Il peut y
scolarité quelques mois plus tard. Ils atten-                                                       pendant l'apartheid sont à 500 mètres. Fer-       manque de combativité de              avoir plusieurs cas par classe.
dent toujours une solution du gouverne-          PATIENCE A Soweto, on croit dur comme              mées, elles abritent une plateforme de            beaucoup. «Le gouvernement            En général, elles reviennent à
ment. Une mama de 67 ans, Evelyne, se            fer aux promesses de Jacob Zuma qui sont           body-jumping pour les touristes. Aujour-          leur offre un toit et les gens ne     l’école, puis retombent
plaint de ses conditions de vie dans le town-    affichées sur des panneaux publicitaires           d’hui, 37% de la population sud-africaine         bougent pas pour se trouver           enceintes et arrêtent finale-
ship de New Brighton à Port Elizabeth. Elle      géants. «Il faut être patient, explique Eric, un   n’a ni eau ni électricité courante. Plus de       du travail, déplore Estelle Mill-     ment les cours avant d’avoir
est pourtant logée dans l’une de ces nou-        jeune de la zone informelle de Soweto. Cela        25% n’a pas accès à l’éducation primaire.         ward. Ils restent dans l’igno-        atteint un niveau correct. TBU
velles maisons. «Il n’y a pas d’eau depuis des   prend du temps. Mais les choses fonction-                                                     TBU

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La vie dans un township

  • 1. 10 GROS PLAN LA LIBERTÉ MARDI 4 MAI 2010 AFRIQUE DU SUD. L’UTOPIE DU TOITGRATUITFAITLONG FEU Le président Jacob Zuma promet 2,7 millions de maisons pour 2014.Dans les townships,le rêve d’un toit solide et gratuit est toujours là.Mais de plus en plus,on parle de trompe-l’œil du gouvernement. TIPHAINE BÜHLER chaque famille paye 20 rands REPORTAGE AU CAP (3,20 fr.) par jour à la munici- « Mo n r ê v e , palité. En cas de retard, on leur c’est d’avoir coupe l’électricité. Dans une maison à d’autres townships de Cape moi», sourit Town, il n’y a pas de courant. Nolumbo, une La communauté bricole des maman de 30 câbles depuis les poteaux élec- ans vivant dans triques de l’autoroute. Les le township de Langa, le plus morts sont fréquentes, mais ne vieux de Cape Town (sud-ouest découragent pas la pratique. du pays). Elle travaille en ville, chez les riches, où elle dort trois Violence endémique nuits par semaine. Son mari, «Ce township a mauvaise lui, répare les ascenseurs. De- réputation, souligne Nolum- puis qu’elle a eu son premier bo. Il y a beaucoup de vio- fils, à 16 ans, Nolumbo vit dans lences et de vols. Mais on ne un foyer désaffecté d’ouvriers. voit rien. Je sais seulement que Elle partage une chambre avec je mets mes économies à la son mari et ses enfants. banque, comme tous ceux qui le peuvent. On ne garde rien de valeur chez nous. Car c’est «J’ai une télé et entre nous que les vols se font. un travail. Mais Et la police n’en a rien à faire. Elle ne vient jamais jusqu’ici.» en hiver, il fait Par contre, il y a une école et un hôpital dans le secteur. Au- très froid» cune grogne ne se fait sentir de ce côté-là. «On peut rester six «C’est mieux qu’à l’étage heures après un accouche- au-dessous. Je ne dois pas vivre ment, c’est bien», relève-t-elle. avec d’autres femmes, j’ai une Une seule cabine télépho- télé et un travail. Mais en hiver, nique a été installée dans une il fait très froid. On se chauffe à maison du quartier. «Ici, on la paraffine. C’est dangereux et peut acheter des médicaments les murs deviennent noirs.» traditionnels, des écorces de baobab ou du «dahra», c’est de Dormir sous les lits la drogue», explique Nolumbo Au rez-de-chaussée, trois en riant. Les dealers reçoivent familles s’agglutinent dans leurs commandes grâce au té- une pièce d’à peine 15 m2, vi- léphone public. Un travail vant sur des lits à étages sca- comme un autre à les en- Aujourd’hui, 37% de la population sud-africaine n’a ni eau, ni électricité. Plus de 25% n’a pas accès à l’éducation primaire. Mais dans breux. «Il n’y a pas d’intimité, tendre, plus stable même, les townships, on croit dur comme fer aux promesses du président Jacob Zuma. TIPHAINE BÜHLER sourit doucement l’une des lo- puisque l’un des trois hommes cataires de l’espace. On vit à qui partagent le local vient de trois couples et les enfants perdre son boulot. L’ambiance Ce qui est plus grave, c’est que rentrent plus facilement en lation, Nolumbo est une excep- des gens. Nolumbo n’est pas un dorment sous les lits.» Quinze est malsaine, les gars sont visi- cela touche des gamins de dix contact avec les enfants car tion dans le périmètre. Et cas unique. Elle craint aujour- personnes partagent cette blement gênés de la présence ans. Depuis quelques années, ceux-ci n’avaient pas accès à la même si elle rêve d’une maison d’hui d’être déplacée par la po- chambre insalubre. A côté, on blanche. les tavernes du township doi- taverne. Il n’y a plus de sépara- à elle, c’est ici qu’elle la vou- litique gouvernementale du cuisine au feu dans un local Au centre de soins du quar- vent fermer à 21h30. Les tion et les parents sont rare- drait. Là où elle a développé ses «housing». Elle s’est pourtant borgne. En face, trois murs et tier, une mama s’inquiète de ivrognes traînent donc vers les ment là pour surveiller.» amitiés, là où ses enfants ne inscrite, il y a des années de ça, un trou sans eau servent de l’augmentation de la drogue. habitations et cherchent Avec un travail et un mari peuvent pas sortir en sécurité le sur les listes pour bénéficier toilettes. Pour habiter ici, «C’est nouveau, estime Nomsa. d’autres moyens d’évasion. Ils qui n’a pas disparu de la circu- soir et où le sida touche 40% d’une maison gratuite. I Une maison, mais pas d’école MAINTENUS SOUS DÉPENDANCE Manager dans un hôtel de Cape Town, Estelle Millward a rance et c’est ça qui est dange- reux pour l’avenir du pays. Ce Le Gouvernement sud-africain se flatte de grandi dans des townships. sont des emplois qu’il faut et sa politique de logements sociaux («hou- Elle a aujourd’hui une situation de l’éducation. Mais beaucoup sing»): 480000 habitations ont été confortable. Cette femme préfèrent rester dans des construites en 2009. Le but est de voir dis- d’origine bushmen porte un taudis et vivoter avec leurs paraître les «shacks», ces milliers de ca- regard critique tant sur le pro- allocations.» banes en tôle ou en bois, totalement invi- gramme RDP «Reconstruction sibles sur les plans urbains. «Quatre and Development Pro- Douze millions de rentes sont millions de maisons ont été bâties depuis la gramme» – budgétisé à 75 mil- distribuées en Afrique du Sud, fin de l'apartheid. C'est bien, reconnaît Pas- lions de rands par an (12 soit, pour une personne sur cal Holliger, d’une ONG de Port Elizabeth. millions de fr.) – que sur l’atti- quatre. Les plus importantes tude attentiste de la popula- sont pour les personnes âgées. ABUS Mais il y a eu aussi beaucoup de pro- tion. «On parque les gens à Elles se montent à 1200 rands fiteurs. Au début, l’Etat donnait 15000 l’extérieur de la ville où il n’y a (190 fr.) par mois. Les per- rands (2400 fr.) aux familles pour qu'elles pas de boulot, dénonce Estelle sonnes handicapées et les construisent un appartement. Rien ne bou- Millward. Lorsqu’il y a trop enfants reçoivent entre 700 geait. Il y a eu ensuite des contrats de copi- d’agitation, les autorités amé- (110 fr.) et 200 rands (32 fr.) nage, passés avec des entreprises n’ayant nagent quelque chose pour les Ces montants ne permettent aucune expérience dans la construction. calmer. Il y a trois ans, la muni- pas de vivre décemment. Certains bâtiments étaient déjà en ruine cipalité a promis de construire moins de dix ans après, d’autres ne se sont Quatre millions de maisons ont été bâties depuis la fin de l’apartheid. Mais le des sanitaires à Makhaza dans Malgré cela, les écoles même jamais terminées.» problème des townships est loin d’être résolu. KEYSTONE le township de Khayelitsha. publiques des townships doi- Aujourd’hui, il y a une seule toi- vent faire face à un problème ISOLEMENT Le plus grand problème du lette au milieu d’un terrain récurrent, lié à la politique «housing» reste l’isolement des groupes dé- semaines et le prix de l’électricité a doublé, nent. Le gouvernement est venu nous ins- vague, sans mur, sans dignité, d’aide sociale. «Dès que les placés. Depuis 2006 le quartier de Soweto on peste Evelyne. Le soir, on ne peut plus sortir taller des toilettes (réd. sans eau) et distri- pour des milliers de personnes. filles ont 14 ans, elles tombent Sea a été relogé en périphérie de la Nelson de chez soi et mon fils ne trouve pas de tra- buer des couvertures plastifiées à mettre sur Le budget alloué pour les tra- enceintes pour toucher une Mandela Bay, sans école, sans magasin, sans vail.» Elle hausse les épaules lorsqu'on lui nos toits pour empêcher la pluie de rentrer vaux aurait disparu.» allocation, déplore la respon- clinique. Plus de 1500 enfants ont dû parle de la rente vieillesse de 1200 rands (190 dans nos shacks». Personne n'est relié à sable de la Daniel School de prendre le bus pour rejoindre leur ancienne fr.) et de la maison qu’elle a reçue du gouver- l'électricité dans ce coin du township. Pour- La manager engage autant de Port Elizabeth. C’est parfois école. Trop coûteux, les trajets ont peu à peu nement. «C'est de la poudre aux yeux», gri- tant, deux centrales nucléaires qui servaient personnes des ghettos qu’elle même un membre de la famille été abandonnés et les gamins ont cessé leur mace-t-elle. à fournir le courant aux quartiers blancs le peut. Elle se désespère du qui les met enceinte.» Il peut y scolarité quelques mois plus tard. Ils atten- pendant l'apartheid sont à 500 mètres. Fer- manque de combativité de avoir plusieurs cas par classe. dent toujours une solution du gouverne- PATIENCE A Soweto, on croit dur comme mées, elles abritent une plateforme de beaucoup. «Le gouvernement En général, elles reviennent à ment. Une mama de 67 ans, Evelyne, se fer aux promesses de Jacob Zuma qui sont body-jumping pour les touristes. Aujour- leur offre un toit et les gens ne l’école, puis retombent plaint de ses conditions de vie dans le town- affichées sur des panneaux publicitaires d’hui, 37% de la population sud-africaine bougent pas pour se trouver enceintes et arrêtent finale- ship de New Brighton à Port Elizabeth. Elle géants. «Il faut être patient, explique Eric, un n’a ni eau ni électricité courante. Plus de du travail, déplore Estelle Mill- ment les cours avant d’avoir est pourtant logée dans l’une de ces nou- jeune de la zone informelle de Soweto. Cela 25% n’a pas accès à l’éducation primaire. ward. Ils restent dans l’igno- atteint un niveau correct. TBU velles maisons. «Il n’y a pas d’eau depuis des prend du temps. Mais les choses fonction- TBU