1. Vivre au quotidien avec Solvabilité II
Nicolas Guillaume
Associé assurance, Tuillet Risk & management
Yves Pizay
Associé assurance, Kea & Partners
La réflexion sur la mise en œuvre des changements induits par Solvabilité II se concentre sur les
impacts financiers et techniques de la nouvelle norme à l’intérieur des organismes. Pour impor-
tants qu’ils soient, ces effets ne doivent pas masquer l’enjeu de transformation culturelle qui carac-
térise la mise en œuvre de la nouvelle norme.
Dans un univers assuranciel marqué par des incertitudes économiques et par des accélérations
techniques, où la vitesse devient un enjeu de compétitivité majeure, Solvabilité II accroît la com-
plexité des modalités de prise de décision pour le dirigeant. Solvabilité II questionne le cadre même
de la performance, en l’ajustant à la notion de risque.
Devant cette complexification, le dirigeant d’un organisme d’assurance doit s’appuyer sur des
convictions fortes pour donner la priorité à un certain nombre de pistes de travail.
L’
expérience a ancré en nous la conviction rance, et modifiant les rapports que les parties pre-
que la norme Solvabilité II, au-delà des évo- nantes de cette entreprise entretiennent les unes avec
lutions réglementaires et techniques qu’elle les autres. Solvabilité II crée des connexions entre les
va entraîner, aura un impact important sur champs décisionnels des assureurs, qui doivent être
les organisations et les hommes. C’est en dispensant mesurées à l’aune de l’impact qu’elles ont sur le profil
des formations sur ce sujet à des administrateurs d’or- de risque. Solvabilité II interpelle donc tous les ac-
ganismes d’assurance, et en travaillant avec des diri- teurs de l’assurance, administrateurs, dirigeants et
geants ou des managers du secteur que nous avons managers. Cet article a pour ambition d’apporter un
ressenti le besoin d’une réflexion sur l’accompagne- éclairage pragmatique et concret sur ce que sera la vie
ment pratique de la mise en œuvre de Solvabilité II. avec Solvabilité II. Y sera faite la somme des princi-
A chaque fois qu’une session s’achevait, une question pales tendances entraînées par l’application de Solva-
revenait : « Mais comment allons-nous faire ? » bilité II à l’intérieur des organismes d’assurance ; puis
nous exprimerons nos convictions sur la manière
La norme Solvabilité II prévoit un arsenal impor- de réussir à faire de Solvabilité II un levier d’amélio-
tant de dispositifs de contrôle. Elle met la question ration de la performance de l’entreprise ; enfin des
du management du risque, dans son acception la plus pistes concrètes de travail pour mettre en œuvre ces
large au cœur du métier d’assureur, entraînant des ef- convictions y seront détaillées.
fets sur toutes les fonctions d’un organisme d’assu-
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2. Vivre au quotidien avec Solvabilité II
associer plus étroitement son conseil d’administra-
tion ou son conseil de surveillance à ses prises de
Les tendances décisions tout en s’appuyant plus qu’avant sur des
D
hyperspécialistes.
eux tendances vont naître de la mise en
œuvre de la gestion des risques consé- Extension du cadre de la notion
cutive au déploiement de Solvabilité II :
de performance
• un accroissement de la complexité des modalités
de prise de décision au sein de l’entreprise, alors que L’application de Solvabilité II induit une seconde
chacun recherche agilité et rapidité pour accroître tendance de fond. La nouvelle norme change le
sa performance ; cadre de la performance en vigueur jusqu’à pré-
sent dans les organismes d’assurance. La gestion du
• une extension du cadre de la notion de perfor- risque devient un critère majeur de performance :
mance pour le management intermédiaire, et par cette dernière étant systématiquement ajustée par
extension pour tous. le risque. A la contrainte réglementaire va donc
s’ajouter la pression du marché, qui s’assurera que
la gestion du risque n’obère pas les résultats des or-
Accroissement de la complexité ganismes d’assurance. Dans ce contexte nouveau,
la création de valeur n’est plus le paradigme unique
des modalités de prise de décision de la performance. Or pour servir la performance
ajustée par le risque, le management doit s’adapter :
Le management du risque au cœur de Solvabilité en plaçant le management du risque au cœur des
II s’accompagne de nombreux contrôles sur l’exposi- fonctions des organismes d’assurances, Solvabilité
tion aux risques que toute décision prise à l’intérieur II attend des managers que non seulement ils com-
d’un organisme d’assurance peut entraîner. Dans un prennent la culture du risque, mais encore qu’ils
contexte de complexification de l’environnement, la fassent de la prise en compte du risque un critère
nouvelle réglementation exige la mise en place de déterminant dans leurs prises de décision. Un nou-
nouvelles fonctions de contrôle (comme la fonction veau cadre de référence du management devra être
risque), ou élargit le rôle de fonctions existantes constitué en conséquence, qui ne s’imposera qu’à
(comme le comité d’audit). Ces évolutions vont condition d’être accompagné par une évolution de
avoir un impact sur l’agilité dans la prise de déci- la mesure de la performance de ces managers, pla-
sions de ces organismes. D’une part les administra- çant la capacité à manager le risque parmi les cri-
teurs, dont la responsabilité civile voire pénale peut tères clés d’évaluation. Le pilotage et le management
être engagée en cas de non-respect des obligations, par le risque sont des nécessités induites par Solva-
seront amenés à donner systématiquement leur avis bilité II.
sur les décisions critiques à prendre. D’autre part la La complexification des processus de décision
profusion et la complexité des normes quantitatives et le placement de la gestion du risque au cœur du
dictées par le nouvel environnement réglementaire pilotage des hommes entraînent un changement de
nécessite un nombre croissant «d’hyperspécialistes» paradigme pour l’univers assurantiel. Pour réussir
qui assistent le dirigeant dans sa prise de décision. à en tirer le meilleur parti, il convient d’avoir une
Solvabilité II va donc induire une double tendance, vision globale de la gestion des risques et de sa fu-
un renforcement du contrôle ex ante des décisions ture place dans les organismes d’assurance plutôt
par les organes non exécutifs d’une part, un accrois- qu’une approche de simple mise aux normes de l’or-
sement important du nombre de paramètres à in- ganisme. Les acteurs du marché qui seront capables
tégrer dans une prise de décision, et la nécessité de de mettre en place une nouvelle culture de gestion
faire intervenir des hyperspécialistes en amont des du risque à travers Solvabilité II seront les futurs ga-
prises de décision d’autre part. En d’autres termes, gnants.
le dirigeant d’un organisme d’assurance va devoir
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3. Vivre au quotidien avec Solvabilité II
La mise en oeuvre de la Solvabilité II
Nos convictions
Notre troisième conviction est que privilégier une
Solvabilité II n’est pas une finalité démarche de travail apprenante passera par le choix
d’une « démarche apprenante «. C’est le meilleur
Notre première conviction est que Solvabilité II moyen de garantir un équilibre optimal entre les
un excellent moyen de développer une politique de efforts fournis pour la traduction de cette mise en
gestion des risques intelligente, mais ne doit rester œuvre et le travail opérationnel global fourni dans
qu’un moyen. C’est au dirigeant de garder le cap sur l’entreprise.
la gestion du risque comme finalité de l’organisme,
et de ne pas tomber dans le piège d’une approche par Il n’y aura pas de grand soir Solvabilité II. Le
la mise en conformité, ou dans celui d’une approche paysage réglementaire de l’assurance va poursuivre
perfectionniste, visant à une maîtrise globale ex l’évolution entamée, au gré des transpositions des
ante de l’ensemble des modifications entraînées par piliers dans les droits nationaux. Solvabilité II sera
Solvabilité II sur l’entreprise. La première approche appliquée au moyen d’une « politique des petits
serait réductrice, la seconde serait illusoire et crée- pas », c’est-à-dire une politique de mise en œuvre
rait un «effet-tunnel» démotivant pour les équipes. des recommandations au fur et à mesure qu’elles
sont écrites. C’est pourquoi le mode projet, avec
une équipe dédiée à la mise en place de Solvabilité
Solvabilité II est une opportunité II au sein des entreprises n’est pas le plus à même
d’accompagner le changement. Au contraire une
Notre deuxième conviction est qu’il faut prendre démarche apprenante, pragmatique, itérative est la
la mise en place de Solvabilité II comme une op- mieux adaptée pour accompagner le changement
portunité de créer une culture du risque dans les culturel initié par Solvabilité II. Cette transforma-
organismes d’assurance tion profonde des organismes d’assurance serait
et non comme une contrainte. C’est en effet l’occa- nourrie régulièrement, et fonctionnerait de manière
sion pour les organismes d’assurance de placer la récurrente en suivant une boucle « conception, ac-
gestion du risque au cœur de la culture de la perfor- tion, mesure », permettant d’amender et améliorer
mance de l’entreprise. Bien comprise et bien inté- les outils mis en place.
grée et partagée par les équipes, la culture du risque
dans l’entreprise est un facteur supplémentaire de
création de valeur. L’intégration par tous les indivi- Les pistes de travail
P
dus composant l’organisme d’assurance du facteur
risque dans leurs comportements permet d’aug- our favoriser la traduction en actes de ces
menter l’efficience des processus et l’agilité globale convictions, nous avons identifié six pistes de
de l’organisme. travail concrètes, qui peuvent être déclinées
en chantiers opérationnels dès aujourd’hui.
Plutôt que d’appliquer mécaniquement les exi-
gences de Solvabilité II à l’intérieur des organismes
d’assurance, les dirigeants doivent utiliser la modifi- Mettre en place une culture de
cation réglementaire comme un levier pour mener coopération
un programme de développement de la culture du
risque à l’intérieur de leur entreprise, qui mette le Il paraît tout d’abord fondamental d’intégrer dès
management du risque au cœur de la performance la conception des nouveaux modes de fonctionne-
et de la création de valeur, au même titre que le dé- ment une culture forte de coopération au sein de
veloppement et la rentabilité.
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4. Vivre au quotidien avec Solvabilité II
l’organisme d’assurance. Cela signifie qu’il faut Ces règles gagneront à s’alimenter d’un audit
mettre en place les quatre conditions instaurant de gouvernance préventif, qui pourra notamment
l’émergence d’une culture de coopération : donner des recommandations sur les modalités de
reporting de la fonction risques aux dirigeants opé-
• la mise en place d’une vision commune ; rationnels, puis aux administrateurs (et en particu-
lier au Comité d’audit), puis si nécessaire en dernier
• lexemplarité du top management ; recours à l’ACP.
• la sanction positive ou négative des comporte- Ces règles seront d’autant plus efficaces qu’elles
ments au regard des exigences nouvelles de mana- clarifieront les conditions de choix des hommes de-
gement du risque ; vant occuper la fonction risque et les autres fonc-
tions clés (diplômes, expérience) pour remplir les
• la mesure de la volonté de coopérer d’une part, et conditions fit and proper de Solvabilité II.
de la coopération d’autre part à travers des indica-
teurs compris et connus de tous. Choisir attentivement son chief
risk officer
Créer le consensus autour de la
vision Il semble encore crucial de porter une attention
particulière au choix à la fois du chief risk officer et
La nouvelle vision ne fonctionnera que si un à l’ensemble du dispositif de mesure du risque. Le
consensus se fait autour d’elle à l’intérieur de l’or- chief risk officer, qui jusqu’à présent traitait essen-
ganisme d’assurance. Il est nécessaire à l’atteinte des tiellement le champ du risque assurantiel va main-
objectifs de l’entreprise que cette vision soit parta- tenant coordonner la maîtrise des autres risques
gée. Le directeur général a pour rôle clé d’impulser (économiques, financiers, de réputation, psy-
cette vision, et de la faire partager par les organes cho-sociaux). La coordination des risques et leur
dirigeants qui auront pour rôle de la diffuser à leur management global qu’il va assumer vont l’amener
tour dans tout l’organisme, en s’appuyant sur le ma- à s’insérer dans un dispositif complexe de rapports
nagement intermédiaire. de pouvoirs. Malgré l’importance de son rôle, il doit
en permanence avoir en tête que sa fonction n’est
La vision doit tendre à atteindre les grands équi- pas une fin en soi, mais est intégrée à un processus
libres créateurs de valeur dans l’entreprise et ne pas de décision général au service de l’intérêt de l’entre-
être focalisée sur le risque uniquement, qui n’est prise. La nature même de la fonction évolue donc :
qu’un nouveau levier au service de la performance. plus qu’avant, ses responsables doivent endosser les
Parmi les éléments de cette vision, l’organisme d’as- habits d’un critical friend pour aider efficacement la
surance doit identifier les dix risques clés qu’elle direction de l’organisme à gérer ses risques. Critical,
entend manager en priorité. Et dix, cela fait déjà parce qu’on attend d’eux qu’ils alertent la direction
beaucoup. en cas de risque identifié, même, et surtout, quand
l’alerte tend à freiner la mise en œuvre du dessein
Ecrire des règles délimitant les du dirigeant. Friend, parce qu’ils doivent com-
prendre, faire leur et partager la vision élaborée par
pouvoirs la direction. Si tel n’est pas le cas, ils ne seront pas
à même de juger du degré de risque acceptable, et
Il est ensuite important d’écrire des règles claires se poseront systématiquement en défenseurs d’une
de partage des pouvoirs et des responsabilités entre sécurité maximale de principe, aveugle à l’intérêt
conseil d’administration (ou conseil de surveil- stratégique de l’entreprise, voire qui pourra aller à
lance) et comité exécutif (ou directoire). contresens de celui-ci.
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5. Vivre au quotidien avec Solvabilité II
Revoir les démarches théoriques ayant trait à Solvabilité II sont épuisées.
Pour travailler avec des organismes d’assurance,
d’apprentissage nous mesurons l’étendue des interrogations en sus-
pens. Mais nous sommes convaincus que les enjeux
Pour aider les équipes à s’approprier le nouveau
théoriques ne doivent pas masquer ceux de la mise
paradigme, il existe un effort important à faire sur
en œuvre, alors que les organismes d’assurance ont
la démarche d’apprentissage. Deux idées retiennent
tous commencé à appliquer la norme, et à appor-
notre intérêt :
ter des éléments de réponses concrets aux questions
qu’elle pose. Aujourd’hui, les projets Solvabilité 2
• pour les formations des managers, s’appuyer sur
sont le plus souvent menés du point de vue opéra-
des cas concrets pour comprendre le risque dans sa
tionnel de l’outillage et de la mise en conformité. Ils
réalité et dans sa globalité ;
doivent être connectés avec une démarche globale,
et avec toutes les questions ayant trait au cœur de
• cartographier les risques au fur et à mesure :
métier des organismes d’assurance. Le mode projet
- accepter d’avancer par petits pas,
est faiblement adapté à la mise en place de la nou-
- confronter risque théorique a priori et risque
velle culture.
avéré a posteriori,
- accepter de faire vivre régulièrement la cartogra
La dynamique de mise en œuvre de Solvabilité
phie, qui n’est jamais finie.
II va continuer à mettre la question de la gestion
des risques au cœur de l’agenda des dirigeants. Le
Définir de nouveaux indicateurs secteur a une maturité faible aujourd’hui sur le
sujet des risques, en comparaison avec certaines
Un dernier chantier de travail important est de industries à risque, comme l’aéronautique, ou le
définir de nouveaux indicateurs au service de la nucléaire. Mais à l’image de ces industries, qui ont
gestion des risques. Ces derniers n’ont pas vocation construit une culture forte du risque à mesure que
à être ajoutés mécaniquement aux indicateurs exis- l’environnement réglementaire évoluait, le secteur
tants, il s’agit plutôt de revoir tous les indicateurs de l’assurance entre sur la voie d’un cercle vertueux
actuels à l’aune du risque, et de les retravailler en d’appropriation croissante du besoin de gestion glo-
conséquence. De même que le S/P a été peu à peu bale des risques.
complété pour devenir le ratio combiné, la perfor-
mance capitalistique aura vocation à être agglomé- Nous conclurons en rappelant ce que nous n’avons
rée aux indicateurs existants. A titre d’exemple, le eu de cesse de répéter au long de cet article : Solva-
Return on Risk Adjusted Capital, illustre bien cette bilité II est un cadre, et n’est qu’un cadre. C’est la
idée, puisqu’il pondère par le risque un indicateur lettre d’une réglementation donnée à une époque
financier traditionnel. donnée. Ceux qui feront l’effort de comprendre l’es-
prit de la réglementation au-delà de sa formalisa-
Pour conclure, nous voudrions mettre en exergue tion seront les gagnants de demain, d’autant plus
le fait que si cet article a résolument adopté une que Solvabilité III arrivera un jour.
approche pragmatique et opérationnelle, nous
sommes loin de considérer que toutes les questions
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