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Extraits du billet de blog « Craft Quality », par Sarah Schulman
1. Extraits du billet de blog « Craft Quality », par Sarah Schulman
Publié le 6 août 2013 à l’adresse http://sarahschulman.com/craftquality/
Traduction La 27e
Région
[…] InWithFor, l’organisation que j’ai cofondé, va bientôt disparaître, l’Helsinki Design Lab
a fermé ses portes, et Think Public n’est plus vraiment actif, tout cela pour des raisons très
différentes. La première génération de laboratoires de « design social » laisse désormais la
place à la seconde génération s’implantant au Canada, à Singapour, aux Pays-Bas, en France.
J’ai visité ces lieux pendant les deux derniers mois, j’ai écouté leurs visions, j’ai vu leurs
méthodes, j’ai discuté à bâton rompu avec eux. Et il y a du nouveau, il y a eu un apprentissage
des erreurs passées, il y a de l’ambition, de la curiosité, du travail – beaucoup de travail.
Toutefois, il n’y a pas encore un langage ou une compréhension de ce que signifie « le bien »,
« la qualité » d’une action, d’un programme. Malgré les différences culturelles importantes
entre ces pays, j’ai été frappée des similarités, et notamment de la reproduction des structures
et modes de pensées anciens, et du discours désormais classique sur l’innovation et le design
thinking […].
La 27e
Région, basée à Paris, travaille sur un secteur public plus innovation et plus centré sur
l’utilisateur […]. Leur théorie est de commencer par faire évoluer les fonctionnaires eux-
mêmes et l’administration dans son ensemble pour engager des changements sociaux
profonds. Après 5 ans à expérimenter autour de ces thèmes lors de programmes courts et
intensifs en résidence ou des programmes immersifs de plus longue durée, ils souhaitent
désormais posséder une approche plus systémique pour faire évoluer la culture du service
public. Ils vont essayer de créer des formations pour les écoles de fonctionnaires, de toucher
plus d’étudiants d’écoles de design et de déconstruire les notions d’évaluation, d’appel à
projet ou encore de contrat. Ce qui est vraiment très rafraichissant dans le travail est leur réel
sens de l’expérimentation […]. Toutefois, ce qui constituerait un « bon résultat » ne paraît pas
encore tout à fait clair pour eux. L’équipe parle d’agents travaillant de manière plus
collaborative, de manière moins top-down, s’épanouissant dans leur environnement de travail,
mieux connectés à la sociétés… J’aimerais pousser les questionnements un peu plus loin :
pourquoi est-ce qu’un service public plus collaboratif, plus bottom-up, plus connecté est-il
nécessairement « bon » par essence ? Il n’y pas encore de réponses explicites à cette question.
Un service public centré sur l’utilisateur et innovant contredit apparemment l’idée originelle
d’un service public indépendant et bureaucratique. En effet, la bureaucratie a été conçue à
l’origine comme un antidote à la corruption. Le service public se devait d’être hiérarchique,
impersonnel, et surtout fiable. On l’oublie souvent : si le service public était construit comme
cela, c’était pour permettre l’équité, à savoir la même considération pour tous : un processus
standardisé, une réponse technique, documentée étape par étape, sans variabilité et sans
caprices. L’approche centrée sur l’utilisateur propose une vision différente de l’équité, où la
« même chose » n’est pas nécessairement ce qui est le plus juste. Toutefois, elle tombe déjà
dans les travers de la pensée bureaucratique : elle est trop centrée sur la standardisation et les
2. réponses techniques. Certes les processus standardisés ne sont pas de la même nature, et les
réponses techniques plus modernes, plus technologiques. Je n’affirme pas que les processus
standardisés et les solutions techniques sont nécessairement problématiques, mais je défends
en revanche qu’ils ne sont pas non plus bons par essence. Quand l’on est formé à appliqué un
processus sans en comprendre le fondement, l’objet premier, en quoi est-ce qu’il permet de
une situation plus équitable ou meilleure, on ne peut pas résoudre un problème radicalement :
on est coincé dans ce système de pensée.
Prenons par exemple une problématique fonctionnelle comme l’évaluation. Bien entendu, on
peut repenser toutes les procédures existantes. Aujourd’hui, l’évaluation arrive à la fin d’une
expérimentation, s’appuie sur des focus groupes ou encore des études, et publie ses résultats
dans des rapports. On peut bien sûr remplacer toutes ces procédures par des méthodes plus
visuelles ou sensibles. On peut utiliser des téléphones mobiles. On peut utiliser un tableau de
bord et compiler et analyser les données en temps réel. Mais cela ne repose pas forcément la
question du but premier de l’évaluation, de quels sont les résultats à identifier, et comment les
interpréter. En d’autres mots, à moins de s’interroger réellement sur la manière de faire une
évaluation de qualité, on reste dans la même boucle vertigineuse installée dans la même
rationalité scientifique qui renforce nos systèmes existants […].
Dans toutes ces expériences, les laboratoires essayent de mêler méthode et substance, forme
et fonction. C’est aussi ce qu’avait essayé de faire InWithFor à l’époque. Mais ce que l’on
semble avoir laissé de côté, c’est le « tissu fondamental » (« the connective tissue »). La
qualité, l’artisanat, la sensibilité à chercher, comprendre, redéfinir et réinventer ce qui est bon.
Et de le faire simultanément avec les fonctionnaires, les politiciens, des prestataires, les
utilisateurs… Si on se concentrer sur ce tissu fondamental, je pense que notre langage serait
différent : des exemples spécifiques de qualité remplaceraient les mots-valise comme celui
« d’innovation » ou de « centré sur l’usager ». On raconterait les histoires différemment : on
en dirait moins à propos de ce que l’on fait, et probablement plus sur pourquoi le fait-on. On
poserait des questions différentes : non plus rhétoriques ou empiriques mais plutôt
dialectiques. On formerait autrement : moins par les méthodes et les outils, et plus par
l’interprétation, les points de références, la logique. En fait, on pourrait créer un nouveau
secteur professionnel qui traverserait les politiciens, les professionnels et les profanes, à
l’image des corporations d’artisans défendant la qualité artisanale. Une corporation qui se
caractériserait par un discours éthique affirmé, des maîtres et des apprentis, des routines…
[…]