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« L’origine de la notion de symptôme n’est pas à chercher dans Hippocrate mais
dans Marx. »1
Psychanalyse et matérialisme : la motérialité du symptôme
1) Les quatre discours2
et le discours du capitaliste3
En tant que discours, le capitalisme se substitue à un autre discours que les
philosophes connaissent bien, le discours du maître (Aristote ; Hegel ; Marx). Durant
la révolution industrielle, le capitalisme s’est développé sous l’égide de patrons,
spoliant le savoir et le travail des ouvriers à leur profit, transformant leurs valeurs
d’usages en valeurs d’échanges.
Aujourd’hui, la subversion du capitalisme est de contraindre le salarié à être son
propre agent, son propre maître à l’égard de sa consommation suivant
l’impératif sadien : jouis /consomme ! Cette distorsion que n’avait pas imaginée Marx
à son époque consiste à ce que le sujet occupe la place du maître pour se faire
l’agent de son objet, de sa jouissance.
1 J. Lacan le séminaire RSI, leçon du 18/02/1975
2 J. Lacan, Le Séminaire L’envers de la psychanalyse (1969-1970).
3 J. Lacan, Conférence de Milan (1972)
1
La psychanalyse soutient que l’être parlant ne peut être que frustré dans son rapport
à l’objet (qui n’est que l’ersatz d’un objet définitivement perdu), et divisé dans sa
parole, parole constituée de mots qui manquent au sujet (un signifiant représente un
sujet pour un autre signifiant4
), un sujet en quelque sorte à côté de… ou entre d’eux.
La revendication légitime du salarié d’être reconnu à son juste prix pour sa valeur
d’usage, ses compétences, est comparable à la revendication du névrosé qui
demande à être compris ou entendu pour ce qu’il est, pour sa juste valeur… Dans
cette logique, pour matérialiser un symptôme, on a dans le discours, d’un côté la
crise économique, la grève ou la révolution comme manifestation du malaise social,
et de l’autre côté dans le langage, la souffrance, la maladie, la plainte, comme
manifestation du malaise individuel …
Lacan ne souscrira pas à l’idée marxiste que le maître, ne fait qu’opprimer l’ouvrier,
car celui-ci par sa fonction et son savoir tire aussi satisfaction. Déjà, en
1574, Etienne de la Boétie, alors âgé de dix-huit ans écrivait dans son discours de la
servitude volontaire5
: « Comment se fait-il que des milliers, des millions, se
livrent au pouvoir d’un seul, alors qu’il leur suffirait, pour s’en déprendre, de
simplement ne point lui donner leur assentiment ? »
Marx n’avait pas retenu la plus-value psychique de l’ouvrier qui servira à écrire le
capitalisme moderne6
… Lacan établira une homologie entre la plus-value et ce qu’il
appellera le plus-de-jouir… Selon lui, la plus-value est une sorte de compensation
pour le maître ou le patron vis-à-vis de son absence de savoir, le savoir est du côté
de l’ouvrier, de l’artisan, de l’esclave… Le plus-de-jouir est son équivalent psychique
pour le parlêtre en quête d’un dédommagement à l’égard de sa perte de jouissance
primordiale, sa castration…
Le discours du maître en position de S1 commande le S27
, l’oblige à céder sur sa
jouissance, le contraint à la castration, avec dans le meilleur des cas quand il s’agit
du père, du président, de Dieu, la promesse d’un avenir meilleur… Mais il lui offre
aussi un statut, une place, un nom…
4 Position de l’inconscient ; subversion du sujet et dialectique du désir, in les Ecrits au Seuil.
5 « Chacun d’eux préférait souffrir mille mort plutôt que de se soumettre à un autre maître que la loi ou la raison »
6 Le discours capitaliste tel que l’écrit Lacan en 1972 est le discours du capitalisme moderne celui de la redistribution, de
l’économie de marché keynésienne, ce n’est pas celui de Marx qui était le capitalisme du maître inflexible, sans sujet, je
vous propose celui-ci de l’écrire S1/1 S2/a… Le discours du capitalisme de Lacan est une subversion d’un discours du maître
avec un sujet S1/$ S2/a ce qui s’écrit $/S1 S2/a en inversant le premier terme …
7 Il existe deux logiques parallèles dans cette écriture à propos notamment du S1 et du S2, c’est-à-dire la logique du
langage, et celle du discours.
2
Le discours du capitaliste court-circuite la castration, annule l’impossible, et offre
toujours plus de jouissance, pour déchaîner la pulsion et finalement créer davantage
de frustration puisque l’objet présenté est soutenu par l’imaginaire, et lorsqu’il passe
dans le réel, il obture momentanément le vide, le trou, mais ne le supprime pas, c’est
impossible…
Comme cette jeune femme brillante, qui après s’être consacrée à ses études pour
satisfaire sa famille avait rejeté ce modèle de l’excellence sans failles, pour se
soumettre à un nouveau semblant, le corps bien fait du mannequin, cherchant à
satisfaire cette fois un nouveau maître beaucoup plus exigeant encore,
l’anorexique…
Le capitaliste a compris que c’est le marché qui commande, en lieu et place de
maître, il sait aussi comme le psychanalyste que c’est l’objet qui cause le désir et par
conséquent il lui suffit de créer l’illusion, dans ce que j’appellerai une forme de
suggestion visuelle ou d’hypnose généralisée, que le bonheur passe par
l’appropriation, la consommation de l’objet… Ce qu’il ne dit pas en revanche le
capitaliste, et que soutient le psychanalyste c’est que non seulement l’objet du désir
est métonymique, toujours manquant, manqué, mais surtout irréductible, ou
réductible à rien. La psychanalyse pose comme postulat que dans notre fantasme,
l’objet est cause de notre désir ($◊a), pas son produit comme dans le discours du
maître ou du capitaliste, c’est pourquoi, à l’envers du discours du maître, l’analyste
se tait la plupart du temps pour faire causer l’objet qui va par le truchement du sujet
divisé produire des signifiants maîtres, signifiants qu’il conviendra d’analyser dans la
cure psychanalytique.
« Je n’aime plus mon mari mais je ne veux pas divorcer à cause de mes enfants,
j‘aurais peur de leur faire du mal. » ; « Je bois parce que j’ai des angoisses terribles
depuis mon accident. » ; « Je me mets toujours dans des situations d’échecs vis-à-
vis des femmes ou pour un autre patient au cours des examens. » « J’ai des maux
de têtes épouvantables depuis quelques temps. » « J’ai de l’eczéma et un peu plus
loin lors cette première séance d’un enfant, j’ai mal à mon père, il ne s’occupe jamais
de moi. » « J’ai eu un cancer et je voudrais bien savoir pourquoi »
Ce verbatim tiré de premiers entretiens met en évidence que quelque chose ne va
pas chez l’être-parlant, quelque chose cloche, ne tourne pas rond, au point de
l’amener parfois à consulter un médecin ou un psy.
Un symptôme, c’est un discours, une plainte, qui passe dans le corps et qui
s’adresse à un Autre pour énoncer une particularité, c’est une une métaphore. Il est
constitué de mots et de libido (Eros), il traduit pour celui qui le possède une
3
anormalité, une bizarrerie face à la norme… Il faut dire qu’il n’y a pas de norme chez
l’humain, l’homme est anormal, il est inadapté à son environnement…
Le symptôme est la preuve indiscutable de l’existence même de l’Inconscient
puisque quelque chose en moi me désoriente, me fait dire autre chose, à mon insu,
et me contrarie : «Je veux aller à un rendez-vous capital, et vlan j’ai perdu mes clés
de voiture… ». « J’ai révisé la veille ma leçon dit un enfant et le lendemain au
moment de la réciter, j’ai tout oublié… Acte-manqué, oubli, lapsus, mots d’esprits,
« j’ai disjoncté mais je ne veux pas mettre mon père au courant » (dixit une
adolescente), voilà que mon corps ne me répond pas, ne m’obéit plus et fait le
contraire de ce que j’attends…
Avec le symptôme, l’insondable, de l’inconscient, du sexuel, se révèle à la
conscience comme la production d’un savoir, un savoir inconscient… On peut donc
logiquement établir une similitude entre le non-dit du sujet et le dit du symptôme…
Comme cela se présente d’une façon bien étrange un symptôme… cela n’a
apparemment pas de sens comme certains rêves, et bien la psychanalyse nous
propose de dégager un sens, un pas-de-sens.
Voici ce que dit Lacan à propos du symptôme :
« Ce n’est pas du tout par hasard que le mot pas, qui en français redouble la
négation contrairement à bien d’autres langues, désigne aussi un pas. Si je
m’intéresse tellement au pas, ce n’est pas par hasard. Cela ne veut pas dire que la
langue constitue d’aucune façon un patrimoine. Il est tout à fait certain que c’est
dans la façon dont la langue a été parlée et aussi entendue pour tel et tel dans
sa particularité, que quelque chose ensuite ressortira en rêves, en toutes
sortes de trébuchements, en toutes sortes de façons de dire. C’est, si vous me
permettez d’employer pour la première fois ce terme, dans ce motérialisme que
réside la prise de l’inconscient – je veux dire que ce qui fait que chacun n’a pas
trouvé d’autres façons de sustenter que ce que j’ai appelé tout à l’heure le
symptôme. »8
Ce que propose la psychanalyse est ambitieux, ce n’est ni plus ni moins qu’un
traitement du symptôme, du moins le traitement de sa partie toxique, le symptôme
est très vulnérable à la parole, il est très sensible aux mots, c’est son point faible, son
talon d’Achille… il se déchiffre logiquement par les outils du langage que sont la
métaphore et la métonymie ; la linguistique nous permet d’en saisir le sens, puisque
l’inconscient est structuré comme un langage9
….
La mise à jour de certains signifiants, que Lacan appelle signifiants maîtres parce
qu’ils déterminent ou commandent l’inconscient, va alors s’avérer très utiles
puisqu’ils sont : la marque, la frappe comme on frappe une monnaie, du symptôme…
8 Conférence à Genève sur le symptôme, le 04 10 1975.
9 C’est la thèse de Lacan.
4
Le psychanalyste offre au patient un discours à l’envers du discours du maître en lui
demandant d’examiner ou d’analyser les signifiants S1 qui le commandent et qu’il
adresse à l’Autre…Les objets a, comme les objets du fantasme ($◊a) vont
logiquement prendre la place de l’agent du discours, les S1, le produit du
discours(Cf. le discours de l’analyste) …
Du fait de l’absence de garantie du langage, le sujet $ se perd dans sa parole et
s’exténue à réactiver le refoulement originaire, garant de sa place dans le discours.
Refoulement originaire qui constitue une perte, un renoncement à une jouissance
bien plus grande que la psychanalyse appelle primordiale, et que les toxicomanes
par exemple, les mystiques, les anorexiques, n’auront de cesse de retrouver…
Cette opération de refoulement est contrariée, incomplète, et souvent mise en échec
par la jouissance qui franchit les barrières, les limites, les interdits.
Les productions qui sont hors-sens, jouis-sens, qui « effractent » le langage et ne
rentrent pas dans le discours on va en analyse les repérer dans leur motérialité sous
la forme de particules, telles que des lettres, des bouts de mots, lalangue, des bruits,
des fragments, bref des déchets, déchets de mots ou mots déchets : Litter (=déchet),
letter (=lettre) chez Joyce10
, comme les déchets du corps…
Note clinique sur la lettre :
Un enfant de dix ans me dit lors de la première séance : il n’y pas de trou (en
écrivant j’ai fait un lapsus calami, j’ai écrits trois !) dans ma famille à propos de trois
maisons mitoyennes occupées par elle. Peut-être voulait-il dire qu’il lui était difficile
de vivre dans une famille qui n’avait pas fait son trou en France, que ses pulsions
corporelles qui passent par les trous du corps étaient bouchées (ne pas voir, ne pas
entendre, etc.), je ne sais pas, il m’a semblé plutôt normal ou névrosé…
Il souhaite écrire famille dans un dessin et fait tomber une lettre, la lettre M, ce qui
donne faille… M, c’est la première lettre de Maman et de Maroc où ses parents sont
nés… Cette lettre va se balader dans le langage et disparaitre ou venir incongrument
se loger dans son écriture par exemple f-maille ; Il ne parviendra pas à écrire le mot
famille…
Cet enfant d’origine maghrébine présentait des difficultés d’attention, de
concentration à l’école, il semblait ailleurs, son père ne parlait pas ou peu le français,
et lorsque je lui ai demandé s’il connaissait l’arabe et savait l’écrire, il s’exécuta sans
peine écrivant au tableau d’une très belle écriture calligraphiée de la droite de la
feuille vers la gauche le mot maman… Comme m’en faisait la remarque Bernard
Frannais lors d’un échange à propos de ce cas, écrire une langue étrangère lorsque
10 J. Lacan, La leçon du 12 mai 1971 du Séminaire : D’un discours qui ne serait pas du semblant) ; Lituraterre, [1971], Autres
écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 11.
5
l’on est exilé, c’est pour certains transgresser la terre des ancêtres, et de la
Religion… Cet enfant est inscrit à l’école coranique de son quartier…
Le travail s’est déroulé en peu de séances et a permis grâce aux associations libres
(par la métaphore et la métonymie) de créer une faille symbolique dans le sujet $, de
faire entrer ses lettres M et A dans des mots comme Maman, Allah, Maison, Maroc,
Ayoub, Marouane, etc. Constituer en quelque sorte un récit, une fiction, soutenu par
son fantasme de castration de petit garçon… Restaurer pacifiquement la fonction
symbolique vis-à-vis de son père illettré.
Nous ne recevons aucune prescription sur notre désir remarque Charles Melman
La parole des parents à leurs enfants en matière de sexualité est la plupart du temps
sans effet, en revanche, ils ont la charge, s’ils veulent bien l’assumer, de poser des
interdits… des interdits sur la jouissance, ce qui entre nous, va bien plus loin que
l’interdit de l’inceste… Interdits transmis par les anciens, nos ancêtres, dans les
textes religieux, les écrits.
Les questions sexuelles précèdent toujours les lois chargées de les interdire de les
refouler. Si le sexe est hors la loi… le désir « normal » va consister à cheviller l’Eros
à la loi, à l’éduquer, dans le bon sens du terme.
Freud dit : « C’est renoncer à cette érogénéisation de ces parties du corps de
l’enfant que la civilisation doit son progrès »11
, mais ce renoncement sera toujours
discutable pour un sujet et polémique dans le discours puisqu’il s’accompagne
nécessairement d’une perte, parfois dans le corps…
La psychanalyse offre par son discours à l’envers du discours du maître un accès à
cette logique où la lettre va pouvoir s’écrire non seulement dans le texte, le récit du
patient, mais dans une écriture que l’on trouve dans les mathèmes, la topologie.
L’objet qui est la cause d’un désir contrarié, symptomatique, cet objet que Lacan
désigne d’une lettre a va s’écrire autrement.
L’analyste demande au patient de dire ce qui lui vient dans la tête, parce que dans le
défilé de ses mots, dans la motérialité du langage, quelque chose va apparaitre et se
produire à son insu, des lettres, des mots, vont insister, se répéter un peu comme
cette formule voila chez un patient obsessionnel, un «Don Juan », partagé entre la
pulsion scopique de voir la femme de son désir, vois la femme, toutes les femmes…
et son désir de voiler le phallus, de respecter un interdit, c’est-à-dire de mettre un
voile sur l’objet de son désir, voile-la. Ou bien ce jeune enfant « toqué » qui ne
pouvait s’empêcher de dire Merde, souvent à la messe, au grand dam de ses
parents, notamment au moment critique pour lui du Sainte Marie mère de Dieu, qu’il
11 Lettres à Fliess, In la naissance de la psychanalyse, PUF
6
entendait Mère d’eux ou mère 2… Dieux… Le signifiant gelé produisait alors
systématiquement une angoisse et un agir, du moins verbal…
Dans les pathologies psychotiques, mais pas seulement psychotiques, en panne du
côté du refoulement, on note des impératifs comme chez cette adolescente
boulimique qui me disait combien le soir avant de se coucher elle ne pouvait pas
s’empêcher de vomir… Il faut dire que la première phrase prononcée par sa mère qui
me l’a présentée lors du premier entretien, après avoir garée son auto, a été : je
vous l’ai jetée12
au bout de la rue…Identifiée à l’objet-a-déchet de sa mère, cette
patiente ne pouvait que vomir pour se rassurer en s’identifiant à l’objet de la
jouissance de sa mère, s’épuisant sans y renoncer à la satisfaire.
On peut maintenant s’interroger sur le traitement et le destin du symptôme.
Si une personne qui souffre d’un symptôme obtient pour toute réponse un conseil,
une prescription émanant d’un discours du maître, un signifiant maître, proposée par
de savantes méthodes comportementales, alors le symptôme après une courte
sédation repartira de plus belle puisque le sujet forclos réclamera sa part de vérité
dans son symptôme. La psychanalyse n’utilise pas la science pour prescrire mais la
logique scientifique comme les mathématiques pour s’orienter.
Comme nous l’avons dit, le symptôme avance masqué, il est opaque, retors, il
demande une réponse, un soulagement, que la parole seule ne parvient pas à
endiguer puisque sa cause est en grande partie réelle. Ce n’est donc pas par un
échange de parole, où l’un répond à l’autre, comme un maître à son élève, un
médecin à son malade, que son traitement a lieu en psychanalyse
A la recherche d’un maître supposé savoir, d’un signifiant maître, d’une prescription,
chargé de le soulager de son symptôme, l’analyste répond à son patient, non pas
une réponse objective, sûre, garante de vérité, mais pas une écoute, un silence qui
aura pour effet pour l’analyste et le patient d’entendre l’inaudible, l’inouï, l’impensable
du symptôme chargé de ces résidus, ces débris de jouissance.
Il faut pour l’analyste une certaine audace, une expérience nourrie de sa propre
analyse, une certaine disposition à entendre l’équivoque, par exemple « cette fille,
c’est pas mon type » ou « mon frère est masseur13
» ou lors d’un premier contact
avec une patiente : « Quand j’enseigne… »… qui distingue parfaitement à l’oreille
Jean de saigne… Quelques séances plus tard j’apprendrai non sans étonnement
que son mari s’appelait Jean…
Ensuite, la libre association a pu s’établir sur la seconde syllabe du mot saigne, avec
un souvenir d’enfance traumatique qui aura des conséquences dans sa relation à sa
12 Que l’on peut aussi entendre : « Je voulais, je t’ai »
13 Que l’on peut entendre : « Mon frère hait ma sœur »
7
mère et sa relation conjugale auprès de son mari Jean qu’elle prenait pour sa mère.
« On prend toujours quelqu’un pour un autre » : dit Lacan…
Comme dans « Les mots pour le dire 14
» de Marie Cardinal, le problème de cette
patiente était son rapport particulier à sa mère qu’elle vivait comme un S1/tyran et
qu’elle ne parvenait pas à ne pas haimer. La jouissance symptomatique, dépressive,
de cette patiente consistait, avec des arrêts de travail coupable à répétitions, à tenir
et rejeter cette place de S1 de l’enseignant où elle se trouvait aliénée comme sujet
entre deux signifiants incompatibles d’amour et de haine, le j’en sais de sa mère S1
et le S2 ne de la négation (j’en sais/ne), avec comme produit la dépression
narcissique…
Le patient en entendant les équivocités de sa langue pourra comprendre qu’il
possède en lui un savoir inconscient qui le pousse à jouir et à souffrir. La
psychanalyse n’a pas vocation de lever les doutes mais de les déplacer grâce à
l’équivoque, de l’aider par exemple à sortir de ses impasses imaginaires en exerçant
son oreille aux chausse-trappes de son inconscient, créer ces moments de vérité, en
l’amenant par le dispositif de la cure à découvrir en lui ce véritable trésor qui provient
de l’Autre, le trésor des signifiants…
Un patient a pu comprendre ses conduites d’échecs dans un moment de vérité qui
amena la coupure de la fin de la séance, il s’agissait de son inscription dans un club
d’échecs : « j’aime les échecs » dit-il…Lorsque la coupure de fin de séance se fait
sur un signifiant maître vous pouvez être sûr de ses effets d’interprétation !
Un symptôme ça peut être nécessaire en-deçà de la gêne, de l’embarras dans la tête
ou dans le corps, si on le considère du point de vue de la structure du sujet. A cet
égard il faut être très prudent pour le traiter. Je pense à des symptômes comme les
addictions qui masquent très souvent une fragilité bien plus grande parce qu’elles
servent pour beaucoup de suppléances. Chercher à éradiquer le symptôme à tout
prix, c’est prendre le risque d’attaquer la structure du sujet … Il serait dangereux de
chercher à tout prix à le détruire15
.
Lacan préconisait pour la fin du traitement un réaménagement des S1 après « leur
désamorçage », une reconstruction auprès de nouveaux S1, pacifiques, ceux que
l’on choisit librement après la cure pour nous représenter, avec consentement, et
responsabilité, sans garantie comme le dit Melman16
… Choisir en quelque sorte un
nouveau symptôme, comme la psychanalyse, pourquoi pas…
14 M. Cardinal, Les mots pour le dire, 1975, le livre de poche.
15 En psychanalyse les moments de vérités lorsqu’ils sont seulement raccordés aux signifiants peuvent prendre la forme
d’une angoisse ou d’une jouissance, une vraie jouissance de sens, une sorte d’insight. Il est important de ne pas laisser
l’analysant s’enfermer dans cette posture, ne pas encourager ces éclairs de vérité qui peuvent créer chez lui une addiction
de sens ; certains patients ne peuvent plus se passer de l’analyse tellement fascinés par le sens et les trouvailles de
l’analyse…… Ils jouissent du sens en quelque sorte…. D’où la nécessité de faire coupure à la fin de séance si possible sur la
cession de l’objet afin de remettre une distance entre le sujet et l’objet suivant la formule de Lacan du fantasme $◊a.
8
Faire lien social, à deux comme dans un couple, ou bien à plusieurs comme dans un
groupe, une société c’est accepter certes un renoncement, une perte singulière,
intime, au moins… avec comme solution de se conduire sous l’égide d’un maître
raisonnable, d’un discours du maître librement choisi… Dans le discours social, cela
s’appelle la démocratie…
Mais c’est surtout pour le parlêtre, d’essayer de vivre comme il peut avec son désir,
dans l’amour du savoir, du gai savoir, du travail accompli…
16 « D'où vient ce sentiment de responsabilité ? C'est-à-dire le fait que j'ai à répondre de mon désir c'est-à-dire de ma
démarche. J'ai personnellement à en répondre, pourquoi ? Parce que les autres réels qui ont formé mon enfance, mes
parents, mes éducateurs, mes lectures ont cherché à me déterminer dans mon désir mais le grand Autre, celui auquel mes
propres parents ont affaire, l'Autre du langage, n'implique aucune prescription concernant mon désir, c'est-à-dire que, dans
le grand Autre, le choix de mon désir est parfaitement ouvert et l'action de mes parents ou de mes éducateurs a été de me
protéger contre ce choix c'est-à-dire contre l'angoisse que je pourrais éprouver de constater que dans le grand Autre, celui
du langage, il n'y a aucune prescription concernant mon désir et c'est à cause de ce rapport au grand Autre du langage que
se trouve ouverte une question essentielle, écrite en toutes lettres chez Lacan : Que voy ? Que veux-tu ? puisque mon désir
c'est` toujours de désirer autre chose. Je ne suis jamais satisfait par l'objet qui vient répondre à mon désir et à cette
insatisfaction fondatrice répond dans l'Autre cette question : Que Voy ? Que veux-tu ? C'est pourquoi j'ai à répondre de mon
désir. C'est pourquoi malgré ces autres réels, mes parents, mes éducateurs, mes livres, ma langue qui sont venus me
défendre contre l'angoisse de ma liberté, c'est pourquoi je suis néanmoins responsable de mon désir. » Charles Melman, le
10/10/1992, sur le site de l’ALI
9

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La motérialité du symptôme

  • 1. « L’origine de la notion de symptôme n’est pas à chercher dans Hippocrate mais dans Marx. »1 Psychanalyse et matérialisme : la motérialité du symptôme 1) Les quatre discours2 et le discours du capitaliste3 En tant que discours, le capitalisme se substitue à un autre discours que les philosophes connaissent bien, le discours du maître (Aristote ; Hegel ; Marx). Durant la révolution industrielle, le capitalisme s’est développé sous l’égide de patrons, spoliant le savoir et le travail des ouvriers à leur profit, transformant leurs valeurs d’usages en valeurs d’échanges. Aujourd’hui, la subversion du capitalisme est de contraindre le salarié à être son propre agent, son propre maître à l’égard de sa consommation suivant l’impératif sadien : jouis /consomme ! Cette distorsion que n’avait pas imaginée Marx à son époque consiste à ce que le sujet occupe la place du maître pour se faire l’agent de son objet, de sa jouissance. 1 J. Lacan le séminaire RSI, leçon du 18/02/1975 2 J. Lacan, Le Séminaire L’envers de la psychanalyse (1969-1970). 3 J. Lacan, Conférence de Milan (1972) 1
  • 2. La psychanalyse soutient que l’être parlant ne peut être que frustré dans son rapport à l’objet (qui n’est que l’ersatz d’un objet définitivement perdu), et divisé dans sa parole, parole constituée de mots qui manquent au sujet (un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant4 ), un sujet en quelque sorte à côté de… ou entre d’eux. La revendication légitime du salarié d’être reconnu à son juste prix pour sa valeur d’usage, ses compétences, est comparable à la revendication du névrosé qui demande à être compris ou entendu pour ce qu’il est, pour sa juste valeur… Dans cette logique, pour matérialiser un symptôme, on a dans le discours, d’un côté la crise économique, la grève ou la révolution comme manifestation du malaise social, et de l’autre côté dans le langage, la souffrance, la maladie, la plainte, comme manifestation du malaise individuel … Lacan ne souscrira pas à l’idée marxiste que le maître, ne fait qu’opprimer l’ouvrier, car celui-ci par sa fonction et son savoir tire aussi satisfaction. Déjà, en 1574, Etienne de la Boétie, alors âgé de dix-huit ans écrivait dans son discours de la servitude volontaire5 : « Comment se fait-il que des milliers, des millions, se livrent au pouvoir d’un seul, alors qu’il leur suffirait, pour s’en déprendre, de simplement ne point lui donner leur assentiment ? » Marx n’avait pas retenu la plus-value psychique de l’ouvrier qui servira à écrire le capitalisme moderne6 … Lacan établira une homologie entre la plus-value et ce qu’il appellera le plus-de-jouir… Selon lui, la plus-value est une sorte de compensation pour le maître ou le patron vis-à-vis de son absence de savoir, le savoir est du côté de l’ouvrier, de l’artisan, de l’esclave… Le plus-de-jouir est son équivalent psychique pour le parlêtre en quête d’un dédommagement à l’égard de sa perte de jouissance primordiale, sa castration… Le discours du maître en position de S1 commande le S27 , l’oblige à céder sur sa jouissance, le contraint à la castration, avec dans le meilleur des cas quand il s’agit du père, du président, de Dieu, la promesse d’un avenir meilleur… Mais il lui offre aussi un statut, une place, un nom… 4 Position de l’inconscient ; subversion du sujet et dialectique du désir, in les Ecrits au Seuil. 5 « Chacun d’eux préférait souffrir mille mort plutôt que de se soumettre à un autre maître que la loi ou la raison » 6 Le discours capitaliste tel que l’écrit Lacan en 1972 est le discours du capitalisme moderne celui de la redistribution, de l’économie de marché keynésienne, ce n’est pas celui de Marx qui était le capitalisme du maître inflexible, sans sujet, je vous propose celui-ci de l’écrire S1/1 S2/a… Le discours du capitalisme de Lacan est une subversion d’un discours du maître avec un sujet S1/$ S2/a ce qui s’écrit $/S1 S2/a en inversant le premier terme … 7 Il existe deux logiques parallèles dans cette écriture à propos notamment du S1 et du S2, c’est-à-dire la logique du langage, et celle du discours. 2
  • 3. Le discours du capitaliste court-circuite la castration, annule l’impossible, et offre toujours plus de jouissance, pour déchaîner la pulsion et finalement créer davantage de frustration puisque l’objet présenté est soutenu par l’imaginaire, et lorsqu’il passe dans le réel, il obture momentanément le vide, le trou, mais ne le supprime pas, c’est impossible… Comme cette jeune femme brillante, qui après s’être consacrée à ses études pour satisfaire sa famille avait rejeté ce modèle de l’excellence sans failles, pour se soumettre à un nouveau semblant, le corps bien fait du mannequin, cherchant à satisfaire cette fois un nouveau maître beaucoup plus exigeant encore, l’anorexique… Le capitaliste a compris que c’est le marché qui commande, en lieu et place de maître, il sait aussi comme le psychanalyste que c’est l’objet qui cause le désir et par conséquent il lui suffit de créer l’illusion, dans ce que j’appellerai une forme de suggestion visuelle ou d’hypnose généralisée, que le bonheur passe par l’appropriation, la consommation de l’objet… Ce qu’il ne dit pas en revanche le capitaliste, et que soutient le psychanalyste c’est que non seulement l’objet du désir est métonymique, toujours manquant, manqué, mais surtout irréductible, ou réductible à rien. La psychanalyse pose comme postulat que dans notre fantasme, l’objet est cause de notre désir ($◊a), pas son produit comme dans le discours du maître ou du capitaliste, c’est pourquoi, à l’envers du discours du maître, l’analyste se tait la plupart du temps pour faire causer l’objet qui va par le truchement du sujet divisé produire des signifiants maîtres, signifiants qu’il conviendra d’analyser dans la cure psychanalytique. « Je n’aime plus mon mari mais je ne veux pas divorcer à cause de mes enfants, j‘aurais peur de leur faire du mal. » ; « Je bois parce que j’ai des angoisses terribles depuis mon accident. » ; « Je me mets toujours dans des situations d’échecs vis-à- vis des femmes ou pour un autre patient au cours des examens. » « J’ai des maux de têtes épouvantables depuis quelques temps. » « J’ai de l’eczéma et un peu plus loin lors cette première séance d’un enfant, j’ai mal à mon père, il ne s’occupe jamais de moi. » « J’ai eu un cancer et je voudrais bien savoir pourquoi » Ce verbatim tiré de premiers entretiens met en évidence que quelque chose ne va pas chez l’être-parlant, quelque chose cloche, ne tourne pas rond, au point de l’amener parfois à consulter un médecin ou un psy. Un symptôme, c’est un discours, une plainte, qui passe dans le corps et qui s’adresse à un Autre pour énoncer une particularité, c’est une une métaphore. Il est constitué de mots et de libido (Eros), il traduit pour celui qui le possède une 3
  • 4. anormalité, une bizarrerie face à la norme… Il faut dire qu’il n’y a pas de norme chez l’humain, l’homme est anormal, il est inadapté à son environnement… Le symptôme est la preuve indiscutable de l’existence même de l’Inconscient puisque quelque chose en moi me désoriente, me fait dire autre chose, à mon insu, et me contrarie : «Je veux aller à un rendez-vous capital, et vlan j’ai perdu mes clés de voiture… ». « J’ai révisé la veille ma leçon dit un enfant et le lendemain au moment de la réciter, j’ai tout oublié… Acte-manqué, oubli, lapsus, mots d’esprits, « j’ai disjoncté mais je ne veux pas mettre mon père au courant » (dixit une adolescente), voilà que mon corps ne me répond pas, ne m’obéit plus et fait le contraire de ce que j’attends… Avec le symptôme, l’insondable, de l’inconscient, du sexuel, se révèle à la conscience comme la production d’un savoir, un savoir inconscient… On peut donc logiquement établir une similitude entre le non-dit du sujet et le dit du symptôme… Comme cela se présente d’une façon bien étrange un symptôme… cela n’a apparemment pas de sens comme certains rêves, et bien la psychanalyse nous propose de dégager un sens, un pas-de-sens. Voici ce que dit Lacan à propos du symptôme : « Ce n’est pas du tout par hasard que le mot pas, qui en français redouble la négation contrairement à bien d’autres langues, désigne aussi un pas. Si je m’intéresse tellement au pas, ce n’est pas par hasard. Cela ne veut pas dire que la langue constitue d’aucune façon un patrimoine. Il est tout à fait certain que c’est dans la façon dont la langue a été parlée et aussi entendue pour tel et tel dans sa particularité, que quelque chose ensuite ressortira en rêves, en toutes sortes de trébuchements, en toutes sortes de façons de dire. C’est, si vous me permettez d’employer pour la première fois ce terme, dans ce motérialisme que réside la prise de l’inconscient – je veux dire que ce qui fait que chacun n’a pas trouvé d’autres façons de sustenter que ce que j’ai appelé tout à l’heure le symptôme. »8 Ce que propose la psychanalyse est ambitieux, ce n’est ni plus ni moins qu’un traitement du symptôme, du moins le traitement de sa partie toxique, le symptôme est très vulnérable à la parole, il est très sensible aux mots, c’est son point faible, son talon d’Achille… il se déchiffre logiquement par les outils du langage que sont la métaphore et la métonymie ; la linguistique nous permet d’en saisir le sens, puisque l’inconscient est structuré comme un langage9 …. La mise à jour de certains signifiants, que Lacan appelle signifiants maîtres parce qu’ils déterminent ou commandent l’inconscient, va alors s’avérer très utiles puisqu’ils sont : la marque, la frappe comme on frappe une monnaie, du symptôme… 8 Conférence à Genève sur le symptôme, le 04 10 1975. 9 C’est la thèse de Lacan. 4
  • 5. Le psychanalyste offre au patient un discours à l’envers du discours du maître en lui demandant d’examiner ou d’analyser les signifiants S1 qui le commandent et qu’il adresse à l’Autre…Les objets a, comme les objets du fantasme ($◊a) vont logiquement prendre la place de l’agent du discours, les S1, le produit du discours(Cf. le discours de l’analyste) … Du fait de l’absence de garantie du langage, le sujet $ se perd dans sa parole et s’exténue à réactiver le refoulement originaire, garant de sa place dans le discours. Refoulement originaire qui constitue une perte, un renoncement à une jouissance bien plus grande que la psychanalyse appelle primordiale, et que les toxicomanes par exemple, les mystiques, les anorexiques, n’auront de cesse de retrouver… Cette opération de refoulement est contrariée, incomplète, et souvent mise en échec par la jouissance qui franchit les barrières, les limites, les interdits. Les productions qui sont hors-sens, jouis-sens, qui « effractent » le langage et ne rentrent pas dans le discours on va en analyse les repérer dans leur motérialité sous la forme de particules, telles que des lettres, des bouts de mots, lalangue, des bruits, des fragments, bref des déchets, déchets de mots ou mots déchets : Litter (=déchet), letter (=lettre) chez Joyce10 , comme les déchets du corps… Note clinique sur la lettre : Un enfant de dix ans me dit lors de la première séance : il n’y pas de trou (en écrivant j’ai fait un lapsus calami, j’ai écrits trois !) dans ma famille à propos de trois maisons mitoyennes occupées par elle. Peut-être voulait-il dire qu’il lui était difficile de vivre dans une famille qui n’avait pas fait son trou en France, que ses pulsions corporelles qui passent par les trous du corps étaient bouchées (ne pas voir, ne pas entendre, etc.), je ne sais pas, il m’a semblé plutôt normal ou névrosé… Il souhaite écrire famille dans un dessin et fait tomber une lettre, la lettre M, ce qui donne faille… M, c’est la première lettre de Maman et de Maroc où ses parents sont nés… Cette lettre va se balader dans le langage et disparaitre ou venir incongrument se loger dans son écriture par exemple f-maille ; Il ne parviendra pas à écrire le mot famille… Cet enfant d’origine maghrébine présentait des difficultés d’attention, de concentration à l’école, il semblait ailleurs, son père ne parlait pas ou peu le français, et lorsque je lui ai demandé s’il connaissait l’arabe et savait l’écrire, il s’exécuta sans peine écrivant au tableau d’une très belle écriture calligraphiée de la droite de la feuille vers la gauche le mot maman… Comme m’en faisait la remarque Bernard Frannais lors d’un échange à propos de ce cas, écrire une langue étrangère lorsque 10 J. Lacan, La leçon du 12 mai 1971 du Séminaire : D’un discours qui ne serait pas du semblant) ; Lituraterre, [1971], Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 11. 5
  • 6. l’on est exilé, c’est pour certains transgresser la terre des ancêtres, et de la Religion… Cet enfant est inscrit à l’école coranique de son quartier… Le travail s’est déroulé en peu de séances et a permis grâce aux associations libres (par la métaphore et la métonymie) de créer une faille symbolique dans le sujet $, de faire entrer ses lettres M et A dans des mots comme Maman, Allah, Maison, Maroc, Ayoub, Marouane, etc. Constituer en quelque sorte un récit, une fiction, soutenu par son fantasme de castration de petit garçon… Restaurer pacifiquement la fonction symbolique vis-à-vis de son père illettré. Nous ne recevons aucune prescription sur notre désir remarque Charles Melman La parole des parents à leurs enfants en matière de sexualité est la plupart du temps sans effet, en revanche, ils ont la charge, s’ils veulent bien l’assumer, de poser des interdits… des interdits sur la jouissance, ce qui entre nous, va bien plus loin que l’interdit de l’inceste… Interdits transmis par les anciens, nos ancêtres, dans les textes religieux, les écrits. Les questions sexuelles précèdent toujours les lois chargées de les interdire de les refouler. Si le sexe est hors la loi… le désir « normal » va consister à cheviller l’Eros à la loi, à l’éduquer, dans le bon sens du terme. Freud dit : « C’est renoncer à cette érogénéisation de ces parties du corps de l’enfant que la civilisation doit son progrès »11 , mais ce renoncement sera toujours discutable pour un sujet et polémique dans le discours puisqu’il s’accompagne nécessairement d’une perte, parfois dans le corps… La psychanalyse offre par son discours à l’envers du discours du maître un accès à cette logique où la lettre va pouvoir s’écrire non seulement dans le texte, le récit du patient, mais dans une écriture que l’on trouve dans les mathèmes, la topologie. L’objet qui est la cause d’un désir contrarié, symptomatique, cet objet que Lacan désigne d’une lettre a va s’écrire autrement. L’analyste demande au patient de dire ce qui lui vient dans la tête, parce que dans le défilé de ses mots, dans la motérialité du langage, quelque chose va apparaitre et se produire à son insu, des lettres, des mots, vont insister, se répéter un peu comme cette formule voila chez un patient obsessionnel, un «Don Juan », partagé entre la pulsion scopique de voir la femme de son désir, vois la femme, toutes les femmes… et son désir de voiler le phallus, de respecter un interdit, c’est-à-dire de mettre un voile sur l’objet de son désir, voile-la. Ou bien ce jeune enfant « toqué » qui ne pouvait s’empêcher de dire Merde, souvent à la messe, au grand dam de ses parents, notamment au moment critique pour lui du Sainte Marie mère de Dieu, qu’il 11 Lettres à Fliess, In la naissance de la psychanalyse, PUF 6
  • 7. entendait Mère d’eux ou mère 2… Dieux… Le signifiant gelé produisait alors systématiquement une angoisse et un agir, du moins verbal… Dans les pathologies psychotiques, mais pas seulement psychotiques, en panne du côté du refoulement, on note des impératifs comme chez cette adolescente boulimique qui me disait combien le soir avant de se coucher elle ne pouvait pas s’empêcher de vomir… Il faut dire que la première phrase prononcée par sa mère qui me l’a présentée lors du premier entretien, après avoir garée son auto, a été : je vous l’ai jetée12 au bout de la rue…Identifiée à l’objet-a-déchet de sa mère, cette patiente ne pouvait que vomir pour se rassurer en s’identifiant à l’objet de la jouissance de sa mère, s’épuisant sans y renoncer à la satisfaire. On peut maintenant s’interroger sur le traitement et le destin du symptôme. Si une personne qui souffre d’un symptôme obtient pour toute réponse un conseil, une prescription émanant d’un discours du maître, un signifiant maître, proposée par de savantes méthodes comportementales, alors le symptôme après une courte sédation repartira de plus belle puisque le sujet forclos réclamera sa part de vérité dans son symptôme. La psychanalyse n’utilise pas la science pour prescrire mais la logique scientifique comme les mathématiques pour s’orienter. Comme nous l’avons dit, le symptôme avance masqué, il est opaque, retors, il demande une réponse, un soulagement, que la parole seule ne parvient pas à endiguer puisque sa cause est en grande partie réelle. Ce n’est donc pas par un échange de parole, où l’un répond à l’autre, comme un maître à son élève, un médecin à son malade, que son traitement a lieu en psychanalyse A la recherche d’un maître supposé savoir, d’un signifiant maître, d’une prescription, chargé de le soulager de son symptôme, l’analyste répond à son patient, non pas une réponse objective, sûre, garante de vérité, mais pas une écoute, un silence qui aura pour effet pour l’analyste et le patient d’entendre l’inaudible, l’inouï, l’impensable du symptôme chargé de ces résidus, ces débris de jouissance. Il faut pour l’analyste une certaine audace, une expérience nourrie de sa propre analyse, une certaine disposition à entendre l’équivoque, par exemple « cette fille, c’est pas mon type » ou « mon frère est masseur13 » ou lors d’un premier contact avec une patiente : « Quand j’enseigne… »… qui distingue parfaitement à l’oreille Jean de saigne… Quelques séances plus tard j’apprendrai non sans étonnement que son mari s’appelait Jean… Ensuite, la libre association a pu s’établir sur la seconde syllabe du mot saigne, avec un souvenir d’enfance traumatique qui aura des conséquences dans sa relation à sa 12 Que l’on peut aussi entendre : « Je voulais, je t’ai » 13 Que l’on peut entendre : « Mon frère hait ma sœur » 7
  • 8. mère et sa relation conjugale auprès de son mari Jean qu’elle prenait pour sa mère. « On prend toujours quelqu’un pour un autre » : dit Lacan… Comme dans « Les mots pour le dire 14 » de Marie Cardinal, le problème de cette patiente était son rapport particulier à sa mère qu’elle vivait comme un S1/tyran et qu’elle ne parvenait pas à ne pas haimer. La jouissance symptomatique, dépressive, de cette patiente consistait, avec des arrêts de travail coupable à répétitions, à tenir et rejeter cette place de S1 de l’enseignant où elle se trouvait aliénée comme sujet entre deux signifiants incompatibles d’amour et de haine, le j’en sais de sa mère S1 et le S2 ne de la négation (j’en sais/ne), avec comme produit la dépression narcissique… Le patient en entendant les équivocités de sa langue pourra comprendre qu’il possède en lui un savoir inconscient qui le pousse à jouir et à souffrir. La psychanalyse n’a pas vocation de lever les doutes mais de les déplacer grâce à l’équivoque, de l’aider par exemple à sortir de ses impasses imaginaires en exerçant son oreille aux chausse-trappes de son inconscient, créer ces moments de vérité, en l’amenant par le dispositif de la cure à découvrir en lui ce véritable trésor qui provient de l’Autre, le trésor des signifiants… Un patient a pu comprendre ses conduites d’échecs dans un moment de vérité qui amena la coupure de la fin de la séance, il s’agissait de son inscription dans un club d’échecs : « j’aime les échecs » dit-il…Lorsque la coupure de fin de séance se fait sur un signifiant maître vous pouvez être sûr de ses effets d’interprétation ! Un symptôme ça peut être nécessaire en-deçà de la gêne, de l’embarras dans la tête ou dans le corps, si on le considère du point de vue de la structure du sujet. A cet égard il faut être très prudent pour le traiter. Je pense à des symptômes comme les addictions qui masquent très souvent une fragilité bien plus grande parce qu’elles servent pour beaucoup de suppléances. Chercher à éradiquer le symptôme à tout prix, c’est prendre le risque d’attaquer la structure du sujet … Il serait dangereux de chercher à tout prix à le détruire15 . Lacan préconisait pour la fin du traitement un réaménagement des S1 après « leur désamorçage », une reconstruction auprès de nouveaux S1, pacifiques, ceux que l’on choisit librement après la cure pour nous représenter, avec consentement, et responsabilité, sans garantie comme le dit Melman16 … Choisir en quelque sorte un nouveau symptôme, comme la psychanalyse, pourquoi pas… 14 M. Cardinal, Les mots pour le dire, 1975, le livre de poche. 15 En psychanalyse les moments de vérités lorsqu’ils sont seulement raccordés aux signifiants peuvent prendre la forme d’une angoisse ou d’une jouissance, une vraie jouissance de sens, une sorte d’insight. Il est important de ne pas laisser l’analysant s’enfermer dans cette posture, ne pas encourager ces éclairs de vérité qui peuvent créer chez lui une addiction de sens ; certains patients ne peuvent plus se passer de l’analyse tellement fascinés par le sens et les trouvailles de l’analyse…… Ils jouissent du sens en quelque sorte…. D’où la nécessité de faire coupure à la fin de séance si possible sur la cession de l’objet afin de remettre une distance entre le sujet et l’objet suivant la formule de Lacan du fantasme $◊a. 8
  • 9. Faire lien social, à deux comme dans un couple, ou bien à plusieurs comme dans un groupe, une société c’est accepter certes un renoncement, une perte singulière, intime, au moins… avec comme solution de se conduire sous l’égide d’un maître raisonnable, d’un discours du maître librement choisi… Dans le discours social, cela s’appelle la démocratie… Mais c’est surtout pour le parlêtre, d’essayer de vivre comme il peut avec son désir, dans l’amour du savoir, du gai savoir, du travail accompli… 16 « D'où vient ce sentiment de responsabilité ? C'est-à-dire le fait que j'ai à répondre de mon désir c'est-à-dire de ma démarche. J'ai personnellement à en répondre, pourquoi ? Parce que les autres réels qui ont formé mon enfance, mes parents, mes éducateurs, mes lectures ont cherché à me déterminer dans mon désir mais le grand Autre, celui auquel mes propres parents ont affaire, l'Autre du langage, n'implique aucune prescription concernant mon désir, c'est-à-dire que, dans le grand Autre, le choix de mon désir est parfaitement ouvert et l'action de mes parents ou de mes éducateurs a été de me protéger contre ce choix c'est-à-dire contre l'angoisse que je pourrais éprouver de constater que dans le grand Autre, celui du langage, il n'y a aucune prescription concernant mon désir et c'est à cause de ce rapport au grand Autre du langage que se trouve ouverte une question essentielle, écrite en toutes lettres chez Lacan : Que voy ? Que veux-tu ? puisque mon désir c'est` toujours de désirer autre chose. Je ne suis jamais satisfait par l'objet qui vient répondre à mon désir et à cette insatisfaction fondatrice répond dans l'Autre cette question : Que Voy ? Que veux-tu ? C'est pourquoi j'ai à répondre de mon désir. C'est pourquoi malgré ces autres réels, mes parents, mes éducateurs, mes livres, ma langue qui sont venus me défendre contre l'angoisse de ma liberté, c'est pourquoi je suis néanmoins responsable de mon désir. » Charles Melman, le 10/10/1992, sur le site de l’ALI 9