Le rôle des citoyens mauriciens dans la construction de la République. Conférence de Catherine Boudet à Port-Louis, le 10 mars 2020 dans le cadre de la table-ronde sur "Maurice, sommes-nous en République ?". Malgré 52 ans d'indépendance et 28 ans de République, on constate en 2020 que le républicanisme mauricien n'existe que sur le papier. L'accession de Maurice au statut de République en 1992 est resté essentiellement technique. La Constitution reste élitiste et défend davantage les intérêts de la classe politique que l'intérêt général, tandis que la plupart des lois restent répressives envers les citoyens au lieu d'assurer leur protection. Cette présentation vise, tout en présentant les principes du républicanisme, à questionner quel peut être le rôle des citoyens mauriciens dans la mise en oeuvre d'une République effective, qui reste encore à construire.
Le rôle des citoyens mauriciens dans la construction de la République
1. LE RÔLE DES CITOYENS MAURICIENS
DANS LA CONSTRUCTION
DE LA RÉPUBLIQUE
Dr Catherine Boudet
Port-Louis, 10 mars 2020
2.
3. La République, étymologie & définition
O Jean-Jacques Rousseau appelle République « tout Etat régi par des lois, sous quelque
forme d'administration que ce puisse être : car alors seulement l'intérêt public
gouverne, et la chose publique est quelque chose. Tout gouvernement légitime est
républicain » (Le Contrat Social, 1762).
O Définition : Organisation politique d'un État où le pouvoir est non-héréditaire, partagé et
exercé par les représentants (généralement élus) de la population.
O Du latin Res Publica, la chose publique. Signifie
donc la sphère des affaires publiques, du bien
commun partagé par tous (par opposition à la res
privata).
O Devise de l’empire romain : Senatus Populusque
Romanus (SPQR), « le Sénat et le Peuple romain ».
Symbolise donc l’union entre les patriciens (Sénat)
et les plébéiens (Peuple).
4. QUEL RÔLE POUR LES CITOYENS MAURICIENS DANS LA
CONSTRUCTIONDE LA RÉPUBLIQUE ?
I. Démocratie & République
II. République & Républicanisme
III. Etat du républicanisme à Maurice
IV. Rôle des citoyens
5. I. DÉMOCRATIE &
RÉPUBLIQUE
1. Démocratie & République
2. Différence entre Démocratie & République
3. République, une interprétation de la Démocratie
6. I.1. Démocratie & République
DÉMOCRATIE
demos kratein
(“le peuple commande”)
La démocratie, étymologiquement en grec
«le pouvoir du peuple», signifie la
participation des citoyens à la vie politique.
O Aristote : «le principe de base de la
constitution démocratique c’est la
liberté. Et l’une des formes de la liberté
c’est d’être tour à tour gouverné et
gouvernant». (La Politique, 4e s. av. JC).
O Jean-Jacques Rousseau : un
gouvernement n’est démocratique que si
le peuple, «totalité concrète des
individus», est souverain, c’est-à-dire que
la loi est l’expression de la volonté
générale. Le vote ne garantit pas la
démocratie. (Du Contrat Social , 1762).
RÉPUBLIQUE
Res Publica
(“la chose publique”)
La République est la forme (ou régime)
que prend la Démocratie, c’est donc la
façon d’organiser la représentation et le
gouvernement du pays.
O Emmanuel-Joseph Sieyès : «Les citoyens
qui se nomment des représentants
renoncent et doivent renoncer à faire
eux-mêmes la loi ; donc ils n’ont pas de
volonté particulière à imposer. Toute
influence, tout pouvoir leur appartient
sur la personne de leur mandataire,
mais c’est tout. S’ils dictaient des
volontés ce ne serait plus un État
représentatif, ce serait un État
démocratique.» (discours à l’Assemblée
constituante du 7 septembre 1789).
7. I.2. Différence entre Démocratie & République
Une démocratie n’est pas obligatoirement une République et une
République n’est pas toujours démocratique.
OUne République n’est pas toujours une démocratie : la
République populaire de Chine est une dictature: les libertés sont
limités, le pouvoir communiste est autoritaire. Le président chinois est
désigné par le Parti Communiste. Il existe des élections en Chine,
mais c’est un suffrage indirect pour désigner un Parlement qui ne se
réunit qu’une seule fois par an, ne légifère pas et n’a qu’un pouvoir
symbolique.
OUne démocratie n’est pas obligatoirement une République : Le
Royaume-Uni est une monarchie mais la reine ne possède qu’un
pouvoir honorifique, c’est le Premier ministre britannique qui
gouverne avec un Parlement élu au suffrage universel direct.
Source : « Quelle est la différence entre Démocratie et République ? »
http://www.madissertation.fr/archives/1471
8. I.3. La République,
une interprétation de la Démocratie
O La République est une interprétation de la Démocratie concernant les
valeurs de libertés et de pluralisme, en particulier les rapports entre les
trois pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire).
O Au plan constitutionnel, il s'agit d'un pays dans lequel la fonction de chef
d'État n'est pas héréditaire. C'est un président (élu, nommé ou désigné) qui
assume la fonction de chef d'État.
O Une république s'oppose donc à la monarchie où le pouvoir est assumé par
un roi ou une reine par filiation familiale.
O Une république n'est pas nécessairement démocratique puisque le
président peut être désigné autoritairement.
O Quel que soit le mode d'accès des dirigeants au pouvoir, une république
repose généralement sur la prétention du chef de l’Etat à représenter ou
d'incarner le corps social.
9. II. RÉPUBLIQUE &
RÉPUBLICANISME
1. Différentes formes de républiques
2. Les principes du républicanisme
3. Les implications du républicanisme
10. II.1. Différentes formes de républiques
O République fédérale : (Brésil, Allemagne, Somalie)
O République islamique (Iran, Afghanistan, Mauritanie, Pakistan)
O République populaire (Chine, Bangladesh)
O République démocratique (Timor oriental, Congo, Sao Tomé-et-Principe)
O République socialiste (Vietnam)
O République populaire démocratique (Corée du Nord, Algérie)
O République démocratique socialiste (Sri Lanka)
O République démocratique fédérale (Ethiopie, Népal)
O République sérenissime (San Marino)
O République arabe (Egypte, Syrie)
O République coopérative (Guyana)
O République “bananière”…
11. II.2. Les principes du républicanisme
O Le républicanisme peut se définir comme la doctrine des partisans de la République
en tant qu'organisation politique d'un État.
O Le républicanisme est basé sur une conception de l’Etat comme garant du bien
commun et de la liberté comme non-domination de quiconque sur autrui.
O Pour les partisans du républicanisme, des lois au service de l’intérêt général
protègent les citoyens de la domination et de l’arbitraire.
O Le républicanisme accorde un rôle essentiel à l'Etat conçu comme le garant des
droits et libertés au moyen de la loi :
O les "droits-libertés" (liberté d’expression, d’opinion, de réunion, d’association,
d’information) offrent aux individus une certaine autonomie et la possibilité
d’agir sans soumission.
O Les droits politiques permettent la “liberté-participation” permettent au citoyen
de prendre part à l’exercice du pouvoir politique.
O Les droits-créances (droit à l’emploi, à la protection de la santé, à l’instruction,
droit d’appartenance à un syndicat…) afin que la liberté et l’égalité des citoyens
ne soient pas uniquement formelles.
12. II.3. Les implications du républicanisme
O Dans la perspective républicaniste, les institutions doivent
combattre toutes les formes possibles de domination.
O La puissance publique se doit donc d’intervenir avec des politiques
protégeant les citoyens et visant l’égalité des chances.
O Le gouvernement n’est républicain que s’il peut être contesté, cad.
s’il met en place et garantit l’existence de contre-pouvoirs
efficaces.
O Pour éviter la domination institutionnelle arbitraire, l’Etat propose
des mécanismes permettant aux citoyens de contester les
décisions politiques.
Source : “Le Républicanisme”, Science Politique, Editions Sup’
Foucher (2013).
13. III. ETAT DU RÉPUBLICANISME
DANS LA RÉPUBLIQUE
DE MAURICE
1. Dresser un état des lieux
2. La Constitution
3. Une République sur le papier ?
14. III.1. Etat des lieux du républicanisme à Maurice
Le notion de républicanisme nous fournit donc une grille de
lecture des réalités mauriciennes qui nous permet de faire un
état des lieux sur des questions essentielles :
O Où en est-on avec la notion d’intérêt public ? L’Etat incarne-t-il
le « bien commun » ?
O Les lois et la Constitution protègent-elles les citoyens de la
domination des plus forts et de l’arbitraire ?
O Les libertés pour les citoyens d’être autonomes, informés et
d’exercer leur participation politique sont-elles garanties et
effectives ?
O L’égalité des chances est-elle garantie ?
O Les politiques publiques assurent-elles la protection (sociale,
économique) des citoyens ?
O Existe-t-il des contre-pouvoirs et sont-ils efficaces ?
16. III.3. Un républicanisme sur le papier ?
Constat : Un passage à la République essentiellement technique (remplacement de la Reine par un
Président à la tête de l’Etat) et un système élitiste, privilégiant la stabilité des élites politiques en place et
des lois répressives contre les citoyens ou ne fournissant pas assez de mécanismes de protection :
O Une définition lacunaire de la République : Section 1 de la Constitution : “The State Mauritius shall be
a sovereign democratic State which shall be known as the Republic of Mauritius”.
O Une Constitution datée dont l’esprit reste élitiste et privilégiant la stabilité des élites politiques en
place (ex : mode de désignation des deux têtes de l’Exécutif qui se désignent mutuellement)
O Rigidité des mécanismes d’amendement : l’obligation d’une majorité parlementaire de ¾ (section
47) qui bloque des réformes d’intérêt commun comme la réforme électorale alors qu’un amendement
sur le version de la pension des députés ne rencontre aucun obstacle.
O Les droits et libertés reconnus dans la Constitution (Section 2) sont principalement individuels (liberté
de conscience, d’expression…) ou liés à la propriété (8. Protection from deprivation of property, 9.
Protection for privacy of home).
O Est exclue une liberté civile essentielle à l’intérêt commun comme le droit à l’information. Alors que
parallèlement les droits des députés au paiement de retraite est inscrits parmi les droits
fondamentaux individuels. [Added 4/96].
O Une politique de «containment» à l'encontre des expressions de la société civile, qui s’exprime
principalement par un arsenal juridique, notamment les législations répressives sur le droit de grève
ou de manifestation ou ne protégeant pas suffisamment les citoyens (ex : Public Gatherings Act 1991,
Criminal Code 1838, Representation of the People’s Act 1958).
O Des avancées dans l’esprit républicain : Equal Opportunity Act 2008, Workers Rights Act 2019…
17. IV. RÔLE DES CITOYENS
DANS LA REPUBLIQUE
1. Citoyenneté & participation politique
2. La perspective machiavélienne
3. Les citoyens mauriciens dans la
république
18. IV.1. Citoyenneté & participation politique
Etymologie de ‘citoyen’ : du latin civis, « celui qui a droit de cité », « ceux qui dorment
sous le même toit ».
O Les citoyens sont donc tous les membres de l’Etat.
Elle est : « dans son principe ouverte à tous les
individus, par-delà leurs différences historiques,
sociales ou biologiques » (Dominique Schnapper).
O La citoyenneté donne accès à l’ensemble des
droits politiques (droit de voter, d’être élu et
d’élire, droit de participer à la vie politique).
O La participation politique fait donc partie
intégrante des droits et attributs de la citoyenneté.
O La participation politique est l’«ensemble des
activités, individuelles ou collectives, susceptibles
de donner aux gouvernés une influence sur le
fonctionnement du système politique» (Philippe
Braud).
19. IV.2. La perspective machiavélienne
O Pour Machiavel et les penseurs républicanistes, la
liberté politique ne consiste pas à jouir de droits
individuels sous la protection de la loi (conception
de Montesquieu et Hobbes de la liberté politique)
mais réside dans l’exercice de la vie civique.
O Pour Machiavel, la République se caractérise par
la possibilité d’expression des désaccords
(tumulti) entre les puissants et le peuple : «Dans
toute République, il y a deux partis, celui des
grands et celui du peuple, et toutes les lois
favorables à la liberté ne naissent que de leur
opposition.» (Machiavel, Discours sur la première
décade de Tite-Live, 1513-1520).
O Les « tumulti » contribuent à l’édification des
bonnes lois et agissent comme des garde-fous
contre la corruption.
Nicolas Machiavel (1469-1527),
auteur du Prince (1532) et du
Discours sur la première décade de
Tite-Live (1513-1520)
20. IV.3. Les citoyens mauriciens dans la République
O Quels canaux d’expression ? Existence du référendum dans la Constitution
mais sous condition et il n’existe aucune provision pour son organisation.
O Dans la logique westminstérienne, le Parlement reste le principal canal
d’expression des doléances citoyennes (par représentation).
O Quelle poids des citoyens et de la société civile dans la rédaction des lois ?
O Poids des voix citoyennes dans la modification de la loi sur l’avortement en
2010.
O Elections 2019 et listes électorales : quel poids des citoyens dans la
modification de la RoP Act et dans le dossier des liste électorales ?
O Difficulté des citoyens à jouer un rôle de contre-pouvoir : la corruption
(phénomène du ‘roder boute’), faible cohésion d’action de la société civile, une
société civile morcelée, présence des socio-culturels avec une logique de
lobbying…
O Importance des réseaux sociaux dans la démocratie délibérative (poids de
l’opinion publique).
21. Conclusion
• La République demande un apprentissage... Pas seulement de la part
des citoyens mais aussi des politiciens.
• Vers une logique transactionnelle politiciens-citoyens ?
• Avec l’indépendance, la Nation existe déjà de fait et n’est donc plus à
construire. La République existe déjà sur le papier, mais dans son
application nous avons pu en observer les lacunes et manques de
contour dans les échanges de cette conférence.
• Aller vers non plus la construction nationale (déjà acquise) mais la
construction de la République.