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AMINA 2
1. 24.10.2014 • GRAZIA 45
08
C
heveux rasés, regard noir déterminé,
rouge à lèvres rouge vif… Amina Sboui,
sulfureuse féministe, assise telle une
reine dans un somptueux fauteuil en
cuir au milieu d’un squat désaffecté,
ne mâche pas ses mots : « Tu crois, quoi ? Je suis
habituée, c’est mon septième procès. La nouveauté,
c’est que je suis coupable de ce dont on m’accuse.
Ça change ! », ironise-t-elle dans un sourire, une
cigarette entre les lèvres. Sans vaciller d’un iota,
la jeune Tunisienne de 19 ans prend ses
responsabilités. Elle assume le fait d’avoir inventé
une violente agression, soi-disant par cinq
islamistes, et de s’être elle-même rasée, début
juillet, cheveux et sourcils. « Oui, j’ai menti, mais en
m’inspirant de la réalité. Je reçois trois menaces de
mort par jour, je me fais parfois insulter dans la rue,
les barbus étant mes ennemis. Face à eux, je suis
seule. Mon mensonge aurait pu être vrai », confie-t-
elle songeuse. Serait-ce pour cette raison que le
verdict du tribunal, rendu le 8 octobre, est très
léger ? Une amende avec sursis de 1 500 euros. Il
semblerait qu’à travers son affabulation, Amina ait
eu besoin de formuler de réelles craintes afin qu’on
s’intéresse à son nouveau quotidien, loin de son
glorieux militantisme dans son pays natal. Le célèbre
symbole aux seins nus de la lutte contre la dictature
tunisienne, autrefois emprisonné et torturé, serait
devenu, en un an, une simple étudiante en terminale
littéraire, bientôt sans papiers, vivant comme une
exilée dans un squat parisien, avec 500 euros par
mois (une bourse d’Amnesty International), « obligée
de voler pour manger, de mentir pour alerter ».
BIENTÔT EN AFGHANISTAN…
Un courant d’air frais parcourt la pièce, Amina
demeure silencieuse et, tout à coup, son jeune âge
saute aux yeux. Sa fragilité aussi. Sans prononcer
un mot, uniquement par la force de ses traits, il est
possible de deviner son militantisme viscéral, dû à
une oppression personnelle. « Je suis née en Tunisie
mais j’ai grandi, de 9 à 13 ans, en Arabie saoudite. Je
me souviens du calvaire subi par les femmes à cause
des islamistes et je ne voulais pas que les Tunisiennes
connaissent ça, alors j’ai milité seins nus contre eux.
On m’a traitée de folle », livre la jeune activiste.
Elle ajoute d’une voix ferme : « Je ne suis pas folle,
je suis engagée. Je compte faire une action choc
dans un pays d’Asie de l’Est, opprimé et fermé, puis
en Afghanistan. Si je m’en sors vivante, j’ai deux
projets : ouvrir un local en France pour défendre
la liberté, la laïcité, le droit des femmes, puis un
centre qui reçoit les femmes sortant de prison, en
Tunisie. » Martin Pradel, l’avocat d’Amina Sboui,
qui la suit depuis ses débuts en Tunisie, confirme
que « son militantisme radical » repose « sur
des constats entièrement factuels ». Il ajoute :
« Elle n’a même pas 20 ans, mais elle a vécu et vit
des choses difficiles : l’injustice, la prison, le rejet,
la séquestration par sa famille, le déracinement pour
sa protection, l’isolement, le manque de ses proches,
de nombreux déménagements, des problèmes
administratifs pour le renouvellement de son visa…
Malgré tout, c’est une femme sensée qui tient
le coup et qui trouve des solutions. » Autre touche
positive : « Lors du procès, Amina a été soutenue
par son lycée, à travers la présence de sa prof
principale, madame Sliman. Celle-ci a écrit une
lettre pour la défendre, elle souhaitait même
témoigner », se réjouit Martin Pradel.
… OU EN BRETAGNE
Amina Sboui ne fait pas l’unanimité dans la presse,
ni au sein de son entourage, d’ailleurs. La réalisatrice
franco-tunisienne Nadia El Fani ne sait plus quoi
penser de la jeune femme qu’elle a aidée dès le
premier jour : création d’un comité de soutien quand
elle était en prison, aide pour obtenir son visa
français, hébergement et inscription dans un lycée.
« Elle a fait de grandes choses pour la Tunisie,
oui ! Mais là, elle ment encore. Elle est entourée :
une tante en Bretagne, un oncle en banlieue, des
parents et des amis qui lui prêtent de l’argent…
Sa bourse de 500 euros, c’est un bonus ! Il est
indécent qu’elle se plaigne, son comportement
est lamentable », s’indigne-t-elle avant de donner
le coup de grâce : « Qu’elle rentre à Tunis ou
qu’elle prenne exemple sur Malala ! (1) » •
(1) Jeune militante de 17 ans des droits des femmes
pakistanaises, prix Nobel de la paix en 2014.
Quelques jours après sa condamnation
pour avoir mis en scène une fausse
agression, Grazia a retrouvé l’ex-Femen,
aujourd’hui lycéenne de terminale, dans
un squat à Paris. Par Chloé HENRY Photo Fabien BREUIL