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L’eau est un enjeu primordial dans les relations entre les États-Unis et le Mexique. Bon nombre de traités, de conventions et d’accords ont été signés entre les deux pays pour la distribution et la régulation des eaux des fleuves frontaliers (le Rio Grande, le Colorado et la rivière Tijuana) depuis la fin du XIX e siècle. C’est pourtant le Traité de 1944 qui marque le début d’une coopération, voulue soutenue, entre les deux pays pour répondre aux problèmes d’approvisionnement et de régulation de l’eau. Cette coopération s’est installée notamment grâce à l’amendement de l’International Boundary and Water Commission, instance binationale entre les États-Unis et le Mexique, qui permet une collaboration des deux pays autour des problèmes hydriques à la frontière. Le Traité de 1944 fut suivi par les accords de La Paz et de l’ALENA, qui ont des résultats plus mitigés.
L’IBWC, au fil des décennies, a laissé intervenir de nouveaux acteurs dans la résolution de problèmes hydriques, de manière à intégrer un aspect plus environnemental à ses prérogatives. En effet, l’implication des ONG dans les années 1990 et des habitants des États bassins dans les prises de décisions a permis à la Commission de percevoir des fonds et de pouvoir fournir des solutions hydriques et environnementales plus légitimes et plus ancrées, susceptibles de répondre effectivement aux problèmes.
L’analyse de certaines Minutes, procédé intégré au Traité de 1944, a permis de distinguer différentes phases dans la prise en charge des problèmes environnementaux, en partant de la mise en place de cadre jusqu’à la mise en œuvre d’un programme de coopération pour la gestion des problèmes environnementaux.

L’eau est un enjeu primordial dans les relations entre les États-Unis et le Mexique. Bon nombre de traités, de conventions et d’accords ont été signés entre les deux pays pour la distribution et la régulation des eaux des fleuves frontaliers (le Rio Grande, le Colorado et la rivière Tijuana) depuis la fin du XIX e siècle. C’est pourtant le Traité de 1944 qui marque le début d’une coopération, voulue soutenue, entre les deux pays pour répondre aux problèmes d’approvisionnement et de régulation de l’eau. Cette coopération s’est installée notamment grâce à l’amendement de l’International Boundary and Water Commission, instance binationale entre les États-Unis et le Mexique, qui permet une collaboration des deux pays autour des problèmes hydriques à la frontière. Le Traité de 1944 fut suivi par les accords de La Paz et de l’ALENA, qui ont des résultats plus mitigés.
L’IBWC, au fil des décennies, a laissé intervenir de nouveaux acteurs dans la résolution de problèmes hydriques, de manière à intégrer un aspect plus environnemental à ses prérogatives. En effet, l’implication des ONG dans les années 1990 et des habitants des États bassins dans les prises de décisions a permis à la Commission de percevoir des fonds et de pouvoir fournir des solutions hydriques et environnementales plus légitimes et plus ancrées, susceptibles de répondre effectivement aux problèmes.
L’analyse de certaines Minutes, procédé intégré au Traité de 1944, a permis de distinguer différentes phases dans la prise en charge des problèmes environnementaux, en partant de la mise en place de cadre jusqu’à la mise en œuvre d’un programme de coopération pour la gestion des problèmes environnementaux.

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  1. 1. Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 Institut du Monde Anglophone Études Européennes et Internationales-Aire anglophone – Civilisation des pays anglophones La Commission Internationale des Frontières et des Eaux (IBWC) face aux enjeux de la préservation de l’environnement Master 2 Mémoire de Recherche Clémence LÉGER Directeur de recherche : M. Didier AUBERT Juin 2022
  2. 2. Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 Institut du Monde Anglophone Études Européennes et Internationales-Aire anglophone – Civilisation des pays anglophones La Commission Internationale des Frontières et des Eaux (IBWC) face aux enjeux de la préservation de l’environnement Master 2 Mémoire de Recherche Clémence LÉGER Directeur de recherche : M. Didier AUBERT Juin 2022
  3. 3. 1 Déclaration sur l’honneur Je soussignée Clémence Léger déclare avoir rédigé ce travail sans aides extérieures ni sources autres que celles qui sont citées. Toutes les utilisations de textes préexistants, publiés ou non, y compris en version électronique, sont signalées comme telles. Ce travail n’a été soumis à aucun autre jury d’examen sous une forme identique ou similaire, que ce soit en France ou à l’étranger, à l’université ou dans une autre institution, par moi-même ou par autrui. 10 juin 2022
  4. 4. 2 Résumé L’eau est un enjeu primordial dans les relations entre les États-Unis et le Mexique. Bon nombre de traités, de conventions et d’accords ont été signés entre les deux pays pour la distribution et la régulation des eaux des fleuves frontaliers (le Rio Grande, le Colorado et la rivière Tijuana) depuis la fin du XIXe siècle. C’est pourtant le Traité de 1944 qui marque le début d’une coopération, voulue soutenue, entre les deux pays pour répondre aux problèmes d’approvisionnement et de régulation de l’eau. Cette coopération s’est installée notamment grâce à l’amendement de l’International Boundary and Water Commission, instance binationale entre les États-Unis et le Mexique, qui permet une collaboration des deux pays autour des problèmes hydriques à la frontière. Le Traité de 1944 fut suivi par les accords de La Paz et de l’ALENA, qui ont des résultats plus mitigés. L’IBWC, au fil des décennies, a laissé intervenir de nouveaux acteurs dans la résolution des problèmes hydriques, de manière à intégrer un aspect plus environnemental à ses prérogatives. En effet, l’implication des ONG dans les années 1990 et des habitants des États bassins dans les prises de décisions a permis à la Commission de percevoir des fonds et de pouvoir fournir des solutions hydriques et environnementales plus légitimes et plus ancrées, susceptibles de répondre effectivement aux problèmes. L’analyse de certaines Minutes, procédé intégré au Traité de 1944, a permis de distinguer différentes phases dans la prise en charge des problèmes environnementaux, en partant de la mise en place de cadre jusqu’à la mise en œuvre d’un programme de coopération pour la gestion des problèmes environnementaux. Mots clés : gestion de l’eau, hydro-diplomatie, International Water and Boundary Commission, Traité de 1944, Minutes Abstract Water plays a key role in the relationship between the United States and Mexico. Several treaties, conventions, and agreements have been signed between the two countries since the end of the 19th century to regulate the water flow of the three border rivers (the Rio Grande, the Colorado, and the Tijuana). It was the 1944 Treaty, however, that began a relationship of cooperation, which was to last for a long time, between the two countries. A major component of this cooperation has been the amendment of the International Boundary and Water Commission, the bi-national commission between the United States and Mexico that enables
  5. 5. 3 cooperation on water problems at the border between the two countries. The 1944 Treaty was followed by the La Paz Agreement and NAFTA, which had mixed results. Over the decades, this Commission has begun to engage new parties in the resolution of water problems in order to incorporate a more environmental focus into its functions. Through the involvement of NGOs in the 1990s as well as the participation of basin states in decision- making, the Commission has been able to collect funds and provide more legitimate and grounded water and environmental solutions that can effectively resolve problems. An examination of some of the Minutes, an amendment system integrated to the 1944 Treaty, has permitted distinguishing different phases of the handling of environmental problems; from the creation of a framework to the implementation of a programme for cooperation. Key words: water management, hydrodiplomacy, International Water & Boundary Commission, 1944 Water Treaty, Minutes
  6. 6. 4 Remerciements Je voudrais remercier, dans un premier temps, mon directeur de mémoire, M. Didier Aubert, pour ses précieux conseils, sa disponibilité et son soutien. Il m’a orientée dans mes recherches et a suivi avec attention la réalisation de ce mémoire. Je tiens également à remercier M. James Cohen qui a accepté d’être mon co-directeur de mémoire cette année. Je tiens à souligner tout particulièrement leur disponibilité et leur bienveillance. Enfin, je remercie ma famille qui m'a soutenue tout au long de ce processus de recherche.
  7. 7. 5 Table des matières Déclaration sur l’honneur..............................................................................................................1 Résumé..........................................................................................................................................2 Abstract .........................................................................................................................................2 Remerciements..............................................................................................................................4 Table des matières.........................................................................................................................5 Liste d’abréviations.......................................................................................................................7 Table des illustrations....................................................................................................................8 INTRODUCTION.........................................................................................................................9 Les problèmes hydriques actuels à la frontière États-Unis-Mexique........................................9 Répartition des eaux du Colorado et du Rio Grande ..............................................................11 Les causes des problèmes liés à l’eau à la frontière États-Unis-Mexique..............................13 Le rôle de la Commission Internationale des Frontières et des Eaux (IBWC)....................16 Antécédents des relations hydro-diplomatiques entre les États-Unis et le Mexique...............19 L’émergence de la question environnementale .......................................................................21 PARTIE I – L’hydro-diplomatie : une approche efficace pour une gestion de l’eau pacifique et durable.....................................................................................................................................25 Qu’est-ce que l’hydro-diplomatie ?.....................................................................................25 La diplomatie environnementale..........................................................................................29 Gestion Intégrée des Ressources en Eau .............................................................................30 Hydro-hégémonie.................................................................................................................32 Commission de coopération.................................................................................................33 Hydro-diplomatie et gouvernance adaptative entre les États-Unis et le Mexique ..............33 PARTIE II – L’hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique : l’évolution de l’IBWC.38 Chapitre I – Le rôle de l’IBWC et des Minutes, vecteurs d’hydro-diplomatie entre les États- Unis et le Mexique ...................................................................................................................38 Chapitre II – Relations diplomatiques et hydriques jusqu’à 1944..........................................42 Diplomatie entre les États-Unis et le Mexique ....................................................................42 Gouvernance de l’eau avant le Traité de 1944....................................................................46 La démographie : vectrice de problèmes hydriques............................................................47 La crise de Mexicali de 1943...............................................................................................49 Le rôle de l’IBWC dans la mise en œuvre du Traité de 1944 ..............................................50 Situation inégale entre les deux pays lors de la signature du Traité de 1944.....................52 Chapitre III – Efficacité de l’IBWC depuis 1944 : un nouvel outil à disposition ...................55 Le Traité de 1944.................................................................................................................55 Avancées et problèmes hydro-diplomatiques depuis les années 1940.................................57 Problèmes de salinité dans le fleuve Colorado.................................................................57 L’Accord de La Paz : nouveau pas dans la préservation de l’environnement .................60
  8. 8. 6 L’ALENA : des avancées environnementales grâce à la BECC......................................62 Etat des lieux des problèmes environnementaux dans les années 1990...........................63 Le cas des eaux souterraines ............................................................................................65 L’impact du public sur les politiques hydriques..................................................................66 PARTIE III – L’environnement : de plus en plus important dans les Minutes...........................67 Chapitre I – Minutes 306 et 316 : de la mise en place de cadre à la mise en œuvre de solutions environnementales dans la rivière du Colorado......................................................67 La Minute 306......................................................................................................................67 Analyse de la Minute 306.....................................................................................................68 La Minute 316......................................................................................................................69 Analyse de la Minute 316.....................................................................................................70 Chapitre II – Minutes 319 : point culminant des relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique et mise en place d’un programme de surveillance écologique.................................71 La Minute 319......................................................................................................................71 Analyse de la Minute 319.....................................................................................................72 Chapitre III – Minutes 323 : mise en œuvre d’un programme de coopération pour la gestion des problèmes environnementaux............................................................................................75 La Minute 323......................................................................................................................75 Analyse de la Minute 323.....................................................................................................75 CONCLUSION ...........................................................................................................................79 Liste de références.......................................................................................................................84
  9. 9. 7 Liste d’abréviations ACEUM Accord Canada, États-Unis, Canada ALENA Accord de libre-échange nord-américain ANACDE Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement BECC Border Environment Cooperation Commission CEC Commission for Environmental Cooperation CILA Comisión Internacional de Límites y Aguas EPA Environmental Protection Agency IBW International Boundary Commission IBWC International Boundary and Water Commission IID Imperial Irrigation District NABD North American Development Bank NAFTA North American Free Trade Agreement ONG Organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies PNUE Programme des Nations Unies pour l’environnement USCMA US-Mexico-Canada Agreement USIBWC US International Boundary and Water Commission
  10. 10. 8 Table des illustrations Figure 1 : Carte de la retenue d'Amistad et de sa région.......................................................... 9 Figure 2 : Les rivières du Colorado et du Rio Grande à la frontière États-Unis-Mexique..... 11 Tableau 1 : Croissance démographique à San Diego, E.U. et à Tijuana, Mexique ................. 48 Tableau 2 : Valeurs extrêmes des précipitations dans la région de Mexicali........................... 50 Tableau 3 : Les économies en eau mexicaines pour le BWSCP.............................................. 77
  11. 11. 9 INTRODUCTION Les problèmes hydriques actuels à la frontière États-Unis-Mexique La frontière entre le Mexique et les États-Unis est actuellement une région de tensions hydriques liées, entre autres, à des sécheresses successives et à une pollution accrue des fleuves qui mettent en danger l’agriculture, les populations et la biodiversité. À l’automne 2020, ces tensions ont débouché sur une crise dans la vallée du Rio Grande lorsque le gouverneur conservateur du Texas, Greg Abbott, pressa le Mexique d’honorer ses engagements et de verser aux États-Unis la quantité d’eau demandée dans le Traité de 1944. Il déclara notamment que le Mexique devait de l’eau aux États-Unis (Varady, Gerlak et al. 2021) dans la mesure où ce dernier détient la plupart des affluents du fleuve et donc la majorité des flux arrivant dans le Rio Grande. Le Traité de 1944 visait, à sa création, à réglementer et organiser la distribution équitable des ressources hydriques des fleuves du Colorado, du Rio Grande (appelé Rio Bravo au Mexique) et de la rivière Tijuana (dont il ne sera pas question dans ce travail), entre les États-Unis et le Mexique. Par ailleurs, il prévoit des exemptions possibles en cas de problèmes environnementaux majeurs tels que des sécheresses ou une pollution exceptionnelle, singulièrement du côté mexicain (Umoff 2008, 75). Malgré cette possibilité d’exemption, le Mexique s’est acquitté de la tâche qui lui incombait grâce aux ressources en eau de la retenue d’Amistad, située à la frontière, sur le Rio Grande. Cette décision a été prise en accord avec les États-Unis ; puisque les deux nations gèrent cette retenue, il est nécessaire d’avoir un accord mutuel pour l’utilisation de son eau. Toutefois, même si cette retenue a permis au Mexique de répondre aux attentes des États-Unis et du Traité, l’utilisation de cette eau a mis en péril l’approvisionnement des habitants de l’État de Coahuila, localisé en aval de la retenue comme le montre la Figure 1 ci-dessous (Kamps 2009). Figure 1 : Carte de la retenue d'Amistad et de sa région
  12. 12. 10 Cet évènement a intensifié les tensions et les préoccupations, en particulier parce que les agriculteurs ont besoin d’une quantité d’eau suffisante pour leurs cultures difficilement atteinte (Varady, Gerlak et al. 2021). Cela illustre la difficulté persistante des deux côtés de la frontière de surmonter les différends liés à l’eau, malgré la mise en place d’accords et d’organisations binationales dédiés à cet enjeu, tel que l’IBWC (International Boundary and Water Commission) créée dès 1889, et qui près d’un siècle et demi plus tard reste le principal canal de médiation sur ces questions. L’exemple des complications telles qu’exposées plus haut est une des conséquences des problèmes hydriques qui se multiplient à la frontière au fil du temps et encore plus depuis les années 1990. La situation géographique de la frontière est, en elle-même, une des causes des conflits liés à l’eau. En effet, la localisation des fleuves du Colorado et du Rio Grande/Bravo à la frontière États-Unis-Mexique génère des problèmes hydriques dans la mesure où la zone est semi-aride et souffre de périodes de sécheresses impressionnantes. Le dérèglement climatique entraîne aussi un changement de climat dans la zone qui devient encore plus aride et qui accentue, de fait, les sécheresses et les pénuries d’eau. Dans ces conditions, les deux pays ne sont pas égaux devant les risques liés à cette pénurie. Comme il est possible de le constater sur la Figure 2 (« Les rivières du Colorado et du Rio Grande à la frontière États-Unis-Mexique »), l’approvisionnement en eau pour les régions frontalières, notamment pour les États d’Arizona, du Nouveau-Mexique et du Texas du côté des États-Unis et les États de Basse Californie, de Coahuila, de Tamaulipas, de Sonora et de Chihuahua du côté mexicain, est fourni principalement par les rivières et les affluents du Colorado et du Rio Grande/Bravo. Ainsi, imaginer que le Mexique est d’autant plus touché qu’il est localisé en aval des rivières est crédible, particulièrement pour ce qui est du Colorado, puisqu’il accède à l’eau de cette dernière en fin de parcours, alors qu’elle est potentiellement déjà polluée ou disponible en trop faible quantité pour répondre à la demande de la population. Ce constat est, cependant, contrasté dans le cas du Rio Grande/Bravo dans le sens où le Mexique possède les débits de la plupart des affluents du fleuve en aval de Fort Quitman, comme il est possible de le voir sur la Figure 2 (« History of the International Boundary and Water Commission » s.d.). Il a ainsi un pouvoir très important sur les débits de ce fleuve puisque c’est à lui de fournir de l’eau aux États-Unis depuis le Traité de 1944. Il est également essentiel d’insister sur le fait que, dès le début des années 2000, le Mexique se déclarait en situation de stress hydrique (Vega Cárdenas 2020, 28), notamment, et surtout, dans la région frontalière des États-Unis, semi-aride. Cela signifie que ses ressources
  13. 13. 11 en eau disponibles étaient déjà inférieures à la demande en eau de la population (Macé 2021). La crise du Rio Grande/Bravo de 2020 représente, à mon avis, une suite logique du processus de stress hydrique puisqu’avec l’aggravation du dérèglement climatique, le Mexique est de moins en moins capable de fournir suffisamment d’eau pour sa population, et n’est plus en mesure non plus de remplir, en toutes circonstances, sa part des accords et des traités signés avec les États-Unis. L’évolution du dérèglement climatique laisse à penser que ce phénomène n’ira qu’en empirant si rien n’est fait pour en atténuer les effets. Figure 2 : Les rivières du Colorado et du Rio Grande à la frontière États-Unis-Mexique Source : Carter, Nicole T., et al. 2018. « Sharing the Colorado and the Rio Grande: Cooperation and Conflict with Mexico ». Congressional Research Service. 12 Décembre 2018 : 1-33. https://fas.org/sgp/crs/row/R45430.pdf. Répartition des eaux du Colorado et du Rio Grande Pour comprendre les raisons pour lesquelles les États-Unis et le Mexique doivent se partager les ressources hydriques des fleuves et fournir une certaine quantité d’eau à l’autre, il faut se souvenir que le Traité de 1944 avait pour objectif, lors de son élaboration, de délimiter les droits des deux pays en ce qui concerne les eaux du Rio Grande/Bravo et du Colorado (Taylor 1996, 46).
  14. 14. 12 Pour ce qui est du fleuve Colorado, les États-Unis possèdent la partie principale du fleuve, en amont, et doivent verser 1 500 000 acres-pieds1 de leur eau chaque année au Mexique. Ce chiffre comprend 900 000 acres-pieds provenant du drainage des projets étatsuniens qui, selon toute vraisemblance, devait permettre de contrôler la quantité d’eau qui serait fournie ainsi que de diminuer les probabilités d’inondations des eaux du Colorado. De plus, selon le Traité, en cas d’excédent au cours de l’année, le Mexique devait recevoir 200 000 acres-pieds supplémentaires des États-Unis (Glaeser 1946, 7). La qualité de l’eau n’était alors pas prise en compte dans les négociations. De plus, comme il en est question dans ce travail, la construction d’infrastructures et de déviation a entraîné une raréfaction des ressources hydriques dans différentes zones du fleuve du Colorado et notamment dans son delta (« Colorado River Delta (in Mexico) » s.d.), localisé entre les États de Basse Californie et de Sonora au Mexique, comme le montre la Figure 2. La raison de ce constat dans la région du delta n’est autre que l’agriculture. En effet, l’eau du Colorado au Mexique est déviée, au-delà du barrage de Morelos, pour fournir de l’eau aux champs de coton, de blé, de foin et de légumes dans la vallée de Mexicali, au nord- ouest du Mexique (James 2020). Ainsi, durant plusieurs décennies, les débits du Colorado, déviés, n’atteignaient plus le delta, mais la Minute 306 et les suivantes permirent de réapprovisionner la zone en eau, petit à petit (Bussey 2018, 162) notamment grâce au développement de nouvelles infrastructures. Depuis la Minute 306 donc, le delta est au cœur des discussions de l’IBWC, entre autres, ce qui a permis un réapprovisionnement progressif en eau (Vanderpool 2018) même si le chemin reste long. S’agissant du Rio Grande/Bravo, en aval de Fort Quitman, au Texas, chaque pays dispose de la moitié du débit du fleuve. Pour ce qui est des affluents du fleuve, le Mexique a la jouissance de toutes les eaux provenant des rivières San Juan et Alamo. Il a également accès aux deux tiers du débit des affluents mexicains de Conchos, San Diego, San Rodrigo, Escondido, Salado et Las Vacas Arroyo (« History of the International Boundary and Water Commission » s.d.). Les États-Unis, quant à eux, possèdent la totalité des débits des affluents Pecos, Devils, Goodenough Spring, Alamito, Terlingua, San Felipe et Pinto Creeks, en amont du Rio Grande/Bravo. Ils ont par ailleurs accès au dernier tiers des débits des affluents mexicains. De plus, puisque le Mexique détient la plupart des affluents, il doit allouer aux États-Unis, chaque année, au moins 350 000 acres-pieds des débits du Rio Grande/Bravo. Cette allocation est mesurée par cycle de cinq ans, ce qui signifie que le Mexique doit livrer 1 Un acre-pied est une unité de volume utilisée aux États-Unis. Un acre-pied correspond à 0,405 hectare sur une profondeur de 30,48 centimètres, soit 1233,4 mètres cubes.
  15. 15. 13 1 750 000 acres-pieds à la fin d’un cycle. S’il n’est pas en mesure d’atteindre ce résultat, il doit rembourser les États-Unis, mais il lui est aussi possible de fournir cette eau au cours du cycle quinquennal suivant (Taylor 1996 47-8). Il est ainsi possible de constater que pour le cycle 2015-2020, le Mexique n’a pas souhaité d’exemption et a finalement fourni la quantité d’eau demandée aux États-Unis. Les causes des problèmes liés à l’eau à la frontière États-Unis-Mexique Les problèmes hydriques rencontrés à la frontière sont nombreux. Il semblerait que la difficulté principale, datant d’avant la signature du Traité de 1944, soit l’approvisionnement en eau en raison des sécheresses qui se multiplient dans la zone. En effet, en 1943 déjà, le Mexique faisait face à une sécheresse dans la vallée de Mexicali (Anderson 1972, 608), en Basse Californie, au nord-ouest du Mexique. Ce problème est né, en majeure partie, de la croissance démographique et du développement constant des industries, de part et d’autre de la frontière, qui ont entraîné un stress hydrique au cours des XXe et XXIe siècles (Nava Jiménez 2007, 11). En effet, ces dernières décennies, la population à la frontière a augmenté de manière exponentielle pour atteindre 14 millions d’habitants. Cette population est localisée, pour une grande part, dans les villes frontalières jumelées telles que San Diego aux États-Unis et Tijuana au Mexique qui cumulent 4,9 millions d’habitants et à El Paso et Ciudad Juarez qui comptent 2,2 millions d’habitants. Les autres villes frontalières des deux côtés de la frontière s’y ajoutent pour former un ensemble de 14 millions (Wilder et al. 2020, 192). Pour préciser ce propos, en se focalisant sur les villes jumelles de Ciudad Juarez et d’El Paso, il est possible de constater une augmentation impressionnante tout au long du XXe siècle. Par exemple, El Paso est passé de quelques milliers d’habitants en 1900 à plus de 600 000 habitants en 1998, tandis que la ville de Ciudad Juarez comptait une population de 43 000 habitants en 1930, puis plus d’un million en 1995 (Peach 1998, 3), enregistrant ainsi une augmentation de 2 225,6 %. Ceci a entraîné une utilisation de plus en plus importante de ressources épuisables. En effet, puisque la population et les industries utilisent de plus en plus d’eau pour satisfaire leurs besoins sans que les réserves ne soient pleines ou sans qu’elles n’aient le temps de se renouveler, il est prévisible que la demande puisse dépasser la quantité d’eau disponible. Dans ce contexte, le secteur agricole pose un double problème. En effet, dans un premier temps, il nécessite une utilisation accrue des ressources hydriques qui peut entraîner des problèmes environnementaux :
  16. 16. 14 « In the Upper Rio Grande Basin alone, from its headwaters in Colorado to Fort Quitman in Texas, over 300,000 acres (120,000 hectares) are irrigated, including 25,000 acres (10,000 hectares) on the Mexican side of this section of the basin (SECURE Water Act 2011). Agriculture, including livestock production, accounts for over 85 percent of the surface water withdrawals in the bains » (Lubner et Thiel s.d., 1). Il est ainsi aisé de comprendre le lien entre croissance démographique et utilisation accrue des ressources en eau ainsi que les problèmes que ce phénomène engendre. Cette croissance démographique a entraîné une augmentation constante de la demande en eau par les industries et les populations qui a provoqué, au fur et à mesure, un appauvrissement, voire la disparition, des ressources en eau, qu’elles soient souterraines ou non. Ce premier facteur, ajouté à un dérèglement climatique global qui s’intensifie dans les bassins des fleuves du Colorado et du Rio Grande favorisent l’apparition de sécheresses prolongées et d’un climat de plus en plus aride. Ceci peut également porter atteinte à la biodiversité puisqu’un manque d’eau constant dans une zone donnée ne permet pas aux espèces marines et aquatiques, entre autres, de rester, de se développer et d’évoluer (« Colorado River Basin and Delta » s.d.). Ce fut notamment le cas dans le delta du Colorado pendant plusieurs décennies (James 2020). C’est dans ce contexte que, durant l’été 2021, les États frontaliers mexicains et étatsuniens ont déclaré un état d’urgence environnemental puisqu’ils faisaient face à une pénurie d’eau induisant une réduction des livraisons d’eau dans le sud-ouest des États-Unis (Snider 2021) et par extension dans le nord-ouest du Mexique. Cette situation, si elle perdure, ne permettra bientôt plus aux retenues du Colorado, dont le lac Powell situé dans les États d’Arizona et du Nevada, mais étant partagé, depuis la Minute 319, entre les deux pays, de se remplir suffisamment pour compléter les débits naturels du Colorado et pour continuer de produire assez d’électricité dans des barrages, comme celui de Glen Canyon, dans l’État d’Arizona (Snider 2021). Ce nouvel exemple permet de comprendre la multitude de problèmes liés à une diminution constante du débit d’eau des fleuves du Colorado et du Rio Grande et le lien intrinsèque entre toutes les conséquences qui en découlent et qui s’enchaînent. Par ailleurs, un second problème émerge du développement de l’agriculture intensive et de la croissance démographique. Il s’agit de la pollution qu’elle induit avec l’utilisation d’engrais, de pesticides et d’autres polluants pour favoriser la production (Wilder et al. 2019). En effet, les répercussions de la croissance démographique se ressentent particulièrement avec
  17. 17. 15 la surexploitation des eaux par les activités agricoles, par exemple, qui induit une explosion de la pollution des débits du Colorado et du Rio Grande, causée par l’utilisation de polluants, comme il en sera question plus tard (Burman et Cornish 1975, 387). Comme l’expliquent Flores B., Ren J., Krishnamurthy S. et Belzer W. dans Chemical Contamination of the Lower Rio Grande near Laredo, TX, le Rio Grande a été fortement affecté par la pollution de l’activité humaine à la frontière qui a réduit la présence de biodiversité dans la zone : « For many years the Rio Grande has been polluted with municipal, industrial, agricultural and farming contaminants from both sides of the border. This pollution has led to the extinction or reduction of certain wildlife species as well as affecting the health of the residents along the border » (Flores et al. 2006, résumé). Ainsi, par le biais des industries qui fleurissent et des polluants du secteur agricole, les eaux des deux côtés de la frontière sont de plus en plus polluées et en quantité de moins en moins suffisante pour répondre aux besoins de la population. Ceci dégrade notamment les écosystèmes dans la zone (Vega Cárdenas 2020, 29). Ainsi, pour ce qui est du Colorado, le plus long fleuve à la frontière, logiquement, le Mexique reçoit de plus en plus régulièrement de l’eau impropre à l’utilisation pour l’agriculture et pour la consommation des habitants, même si des Minutes récentes tentent de répondre aux problèmes de salinité. C’est le cas des Minutes 319 de 2012 et 323 de 2017 dont il sera question dans ce travail. L’installation de barrage du côté des États-Unis est également un facteur de problèmes hydriques et de sécheresse à la frontière et au Mexique puisque, d’une certaine manière, l’eau est contrôlée pour ne pas provoquer d’inondation. Pour rappel, les barrages servent aussi à la conservation de l’eau pour les États-Unis et le Mexique comme des retenues d’eau (« Amistad Dam and Power Plant, Del Rio, Texas » s.d.). Ces barrages peuvent aussi être utilisés pour l’approvisionnement en électricité des populations dans une zone donnée. Cependant, puisque l’eau, au niveau des barrages localisés sur la section étatsunienne du Colorado, ne s’écoule que lorsque les États-Unis libèrent un certain volume d’eau, il arrive que cela conduise à des sécheresses du côté mexicain (Vega Cárdenas 2020, 33). En effet, comme l’explique Benedito Braga dans le chapitre « Water without Borders: sharing the flows? » de l’ouvrage Hydro- Diplomacy: Sharing Water Across Border : « When a dam is constructed, benefits are generated but at the same time change the flow regime will impact downstream users » (Pangare 2014, 17). Ainsi, les agriculteurs mexicains peuvent craindre, à raison, de manquer
  18. 18. 16 d’eau pour leurs cultures ou de recevoir de l’eau inutilisable puisque polluée. La crise dans la vallée du Rio Grande présentée plus haut est un exemple du manque d’approvisionnement en eau pour ces derniers puisque les Mexicains doivent céder de l’eau provenant d’une retenue binationale pour pouvoir répondre aux attentes des États-Unis. Il est aussi possible de considérer que le problème d’approvisionnement du delta du Colorado est causé par le barrage de Morelos. En effet, comme il l’a été mentionné plus tôt, puisque les débits du Colorado sont déviés au niveau du barrage de Morelos pour permettre l’irrigation des champs dans la vallée de Mexicali (James 2021), ces débits n’ont plus atteint le delta qui voyait son volume d’eau diminuer au fil des décennies jusqu’à ce que l’eau ne puisse plus se jeter dans le golfe de Californie. En ce qui concerne les nappes phréatiques, qui n’étaient pas prises en compte dans le Traité de 1944, leur quantité en eau dans la région frontalière a considérablement baissé, tout comme la quantité d’eau dans les retenues ; les réserves en eau ont été partiellement détruites. Par exemple, au début de l’année 2022, le niveau en eau dans le lac Powell, sur le fleuve Colorado, était descendu à 3 525 pieds par rapport au niveau de la mer, soit 1 074,42 mètres ; niveau le plus bas constaté depuis sa création dans les années 1960 (Torres 2022). Le niveau du lac est, en moyenne, situé à 3 700 pieds par rapport au niveau de la mer, soit 1 128 mètres. Il est ainsi possible de distinguer une forte baisse de la quantité d’eau dans la réserve qu’il faudrait maîtriser pour permettre à cette réserve de continuer de répondre aux besoins en eau en cas de besoin. Ce n’est qu’en 1973 que fut demandé par l’IBWC le développement de la première Minute couvrant les ressources souterraines en eau qui ne vit finalement jamais le jour (Umoff 2008, 86). L’utilisation des eaux souterraines demeure un enjeu principal à la frontière avec la protection de l’environnement (Umoff 2008, 89) puisque plus de 40 % des eaux fournies à l’État d’Arizona et 60 % des eaux versées au Texas proviennent de ressources souterraines (Umoff 2008, 95). Ainsi, l’appauvrissement des retenues souterraines provoque, aujourd’hui, encore davantage de sécheresse dans la région (Vega Cárdenas 2020, 33). Le rôle de la Commission Internationale des Frontières et des Eaux (IBWC) Les problèmes cités plus haut, notamment celui de la dégradation de la biodiversité et l’aggravation constante des sécheresses, constituent en grande partie les raisons pour lesquelles le XXIe siècle représente un tournant dans la prise en charge des problèmes hydriques à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Ainsi, l’accroissement et la
  19. 19. 17 récurrence des incidents liés à la pollution et à des sécheresses ont poussé l’International Boundary and Water Commission (la Commission Internationale des Frontières et des Eaux) à mettre en œuvre de nouvelles réglementations binationales pour tenter de sauvegarder la biodiversité et maintenir un niveau d’eau suffisant dans les rivières frontalières en essayant d’instaurer une coopération durable entre les deux pays. Pour comprendre le rôle de l’IBWC dans le contexte mexicano-étatsunien, il convient de se rappeler que le partage d’une frontière fluviale implique la nécessité, pour les États limitrophes, de coopérer pour pouvoir résoudre les différends liés à la gestion et à la dégradation des ressources, ou du moins de les minimiser sur le long terme, sans fragiliser les relations diplomatiques binationales. De la même manière, le partage équitable de l’eau à la frontière est primordial et requiert une collaboration constante. Ce facteur reste considérable même si depuis plusieurs décennies s’y ajoutent les enjeux de protection de l’environnement, devenue un aspect fondamental des relations hydriques régionales (Comair 2021). Toutefois, les exemples mexicano-étatsuniens présentés ci-dessus prouvent que cette coopération demeure compliquée à mettre en place et à maintenir dans les faits. Malgré ces difficultés, l’aspect environnemental, aujourd’hui prépondérant, pousse les deux nations à mettre de côté leurs différends pour protéger leurs ressources en eau et leurs populations contre de potentiels incidents environnementaux découlant des problèmes hydriques. La mise en place d’une hydro-diplomatie est ainsi incontournable puisque la protection de l’environnement est devenue un enjeu fondamental. En effet, les économies, les cultures, les sociétés et l’historique des relations propres aux États-Unis et au Mexique ne permettent pas de consolider et pérenniser une coopération durable sans l’instauration de réglementations et d’instances de coopération. Il est, par exemple, possible de constater l’importance des questions environnementales qui se reflète dans leur inclusion dans des accords économiques majeurs tels que l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain). Cet accord, selon certains, a été le premier accord de libre-échange faisant un lien entre l’environnement et le commerce, notamment avec l’ANACDE (Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement) (Gouvernement du Canada 2020, 2), dont il sera question dans ce travail. Malgré tout, les exemples mexicano-étatsuniens présentés ci-dessus prouvent que cette coopération demeure compliquée à mettre en place. En outre, les relations entre les deux pays sont asymétriques dans le sens où les États- Unis sont beaucoup plus influents sur le plan économique, avec une économie industrialisée
  20. 20. 18 avancée, par rapport à une économie mexicaine toujours en développement. De la même manière, les relations entre les États-Unis et le Mexique sont jalonnées de conflits liés à la délimitation de la frontière, à l’utilisation de l’eau et à l’immigration des Mexicains aux États- Unis, par exemple. Ces conflits se résolvent avec l’élaboration de compromis et d’accords pour la mise en place de relations commerciales ainsi que pour la lutte contre tous les types de trafics à la frontière et en faveur de la préservation de la frontière et de son environnement (Wilder et al. 2019). Pour en venir à la définition de l’hydro-diplomatie, elle peut être précisée, d’un point de vue général, ainsi : « those aspects of water that are subject to international relations – including negotiations of differences and conflicts, establishment of specialised transnational institutions, and establishment of protocols and agreement on use » (Pangare 2014, 23). Cette définition marque une volonté d’appliquer des moyens diplomatiques, tels que des accords et le recours à des institutions spécialisées pour gérer les conflits liés à l’eau. Il est ainsi possible de considérer que l’IBWC, institution transnationale entre les États-Unis et le Mexique, créée dès 1889 sous le nom d’IBC, International Boundary Commission, relève d’une forme précoce d’hydro-diplomatie. Elle devient l’IBWC avec la signature du Traité de 1944, dont il sera question plus tard. Ses prérogatives sont les suivantes : « [the IBWC] has responsibility for applying the boundary and water treaties between the United States and Mexico and settling differences that may arise in their application » (« The IBWC – Its Mission, Organization and Procedures for Solution of Boundary and Water Problems » s.d.). Pour résumer, le but principal de la Commission est de créer une coopération entre les États-Unis et le Mexique pour la gouvernance de l’eau. Cette gouvernance se partage en deux organisations distinctes et équitables, une étatsunienne et une mexicaine, pour qu’aucun de ces pays n’ait, en théorie, plus de pouvoir décisionnel que l’autre (« The IBWC – Its Mission, Organization and Procedures for Solution of Boundary and Water Problems » s.d.). L’année 1944 est ainsi fondamentale pour les relations hydriques à la frontière des États-Unis et du Mexique. En effet, la signature du Traité de 1944 sur l’utilisation des eaux des rivières du Colorado et de Tijuana et du Rio Grande (Water Treaty for the Utilization of Waters of the Colorado and Tijuana Rivers and of the Rio Grande) marque une nouvelle fois
  21. 21. 19 une tentative de coopération durable entre les deux pays s’agissant des eaux des fleuves et rivières citées et surtout un approfondissement de la coopération déjà existante avec la mise en place de Minutes.2 Ces documents ont permis à l’IBWC d’accroître ses prérogatives en faveur de l’environnement ainsi que de la régulation et de la gestion de l’eau à la frontière. Ces nouvelles prérogatives peuvent ainsi aussi aider à la préservation des économies et des relations entre les deux pays. Antécédents des relations hydro-diplomatiques entre les États-Unis et le Mexique Pour mieux comprendre les enjeux et problèmes actuels de l’eau à la frontière, il faut revenir au siècle dernier. Même s’il n’est pas le premier accord à gérer les eaux frontalières entre les deux pays, le Traité de 1944 est le premier à instaurer des limites d’utilisation et une vraie réglementation à la frontière. Toutefois, il faut rappeler que l’asymétrie des relations politiques au niveau régional et des statuts des États-Unis et du Mexique en 1944 ont probablement pu avantager les États-Unis dans la signature de ce Traité quand le Mexique a, en quelque sorte, été contraint de le signer. En effet, en 1944, les États-Unis étaient en pleine construction de leur superpuissance au niveau militaire, économique et diplomatique. En d’autres termes, ils construisaient leur hégémonie alors que le Mexique, économiquement faible et fragilisé par une corruption institutionnalisée post-révolution (Rubenstein 2001, 180), se développait et faisait face, une nouvelle fois, aux conséquences d’une sécheresse dans la vallée de Mexicali. Ceci le plaçait encore plus en position de faiblesse par rapport aux États-Unis (Anderson 1972, 607-8). En outre, plus de soixante-dix ans après sa mise en place, le Traité de 1944 est critiqué puisqu’il ne fait, en aucun cas, référence ni à la gestion durable des ressources hydriques, ni à la gestion de la pollution, de la qualité de l’eau ou des nappes phréatiques et des écosystèmes (Wilder et al. 2019). Ainsi, il est possible de remarquer que la gouvernance des eaux en 1944 et, plus généralement, dans la première moitié du XXe siècle ne se focalisait ni sur la conservation de l’environnement ni sur la biodiversité, mais plutôt sur une préservation de la paix dans la région et une répartition équitable des ressources hydriques à la frontière. Cependant, l’augmentation et l’aggravation des problèmes environnementaux ont poussé les 2 Comme il en sera question plus précisément dans le corps du mémoire, les Minutes sont des documents officiels qui mettent en place des réglementations pour résoudre les problèmes hydriques à la frontière.
  22. 22. 20 deux pays et l’IBWC à favoriser, de plus en plus, une approche écologique pour la résolution de ces problèmes. Pour tenter de pallier ces problèmes hydriques, les États-Unis et le Mexique ont signé l’Accord de La Paz en 1983, aussi connu sous le nom d’Accord États-Unis-Mexique sur la coopération pour la protection et l’amélioration de l’environnement dans la zone frontalière (Mumme et Duncan 1997-8, 44), mettant ainsi en place une coopération entre les deux nations pour la protection de la frontière et, par la même occasion, la préservation des rivières frontalières. Cet accord fut créé, en particulier, pour augmenter les marges de manœuvre de l’IBWC dans la résolution des problèmes. De plus, les enjeux de cet accord n’étaient pas uniquement environnementaux, mais aussi économiques puisqu’il s’agit de résoudre des problèmes de types environnementaux et hydriques qui coûtent de plus en plus, sur le plan politique, économique et environnemental, aux deux nations. Plus récemment encore, en 1994, les États d’Amérique du Nord ont signé l’ALENA, l’Accord de coopération économique et de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (NAFTA – North-American Free Trade Agreement), qui a été remplacé par l’Accord Canada-États-Unis-Mexique – ACEUM en 2021. Au début des années 1990, les critiques concernant l’IBWC et l’Accord de La Paz étaient de plus en plus vives dans une période où les problèmes hydriques à la frontière se succédaient (Mumme et al. 2012, 10). On peut citer, entre autres, la multitude de sécheresses qui a touché le Mexique à cette époque et la période qui a vu un déficit de précipitations prolongé et extrême (Stahle 2016, 36). Dans cette mesure, l’accord de l’ALENA devait permettre, comme il en sera question plus tard, d’apporter davantage de nouvelles solutions à l’IBWC pour résoudre les problèmes hydriques entre les deux pays. Faciliter la résolution de problèmes environnementaux a pu se faire d’une part grâce à la Commission de coopération environnementale, créée également en 1994 – qui a mis en œuvre l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement (ANACDE) (Lavoie 2001, 3-4) – et d’autre part à la Banque de développement d’Amérique du Nord (Seelke et Klein 2021, 29). L’objectif de ces deux institutions était d’offrir un financement pour les projets qui visaient à rétablir un environnement sain, mais les résultats obtenus ne furent pas ceux escomptés ; les organisations citées restaient passives malgré les projets et les fonds disponibles n’étaient pas utilisés de façon optimale pour répondre aux attentes environnementales (Runde et Rice 2021).
  23. 23. 21 Le nouvel accord de l’ACEUM reprend notamment les principales dispositions de l’ALENA et modernise les dispositions de l’ANACDE et de la Commission de coopération environnementale avec un nouvel accord de coopération dans le domaine de l’environnement (Gouvernement du Canada 2020, 3). Tous ces accords ont permis à l’IBWC de progresser en lui donnant, grâce à la mise en place de nouvelles réglementations, la possibilité de travailler sur la préservation de l’environnement en particulier. Par exemple, la Minute 319 de 2012, qui sera analysée plus tard, a permis des flux d’eau vers le delta du fleuve Colorado, situé dans l’État de Basse Californie, au Mexique. Il s’agissait de la première fois où les États-Unis et le Mexique fournissaient de l’eau au delta dans le but de promouvoir la restauration de l’écosystème (Wilder et al. 2019). Il est ainsi possible de distinguer, depuis le début des années 2000 notamment, une intensification du travail de la Commission ainsi que des ONG environnementales en faveur de la préservation et de la réhabilitation environnementale des rivières. Les ONG sont ainsi supposées permettre depuis plusieurs décennies de réunir les fonds pour respecter les engagements de préservation et de restauration (Wilder et al. 2019). En somme, on peut considérer que l’évolution de l’IBWC depuis sa création lui a permis d’intégrer le concept d’hydro-diplomatie à sa définition. Pour ce faire, l’instauration de Minutes a été primordiale depuis 1944 et a rendu possible un changement d’axe plus environnemental au fil des décennies tout en préservant le rôle traditionnel de la Commission. Cependant, les problèmes environnementaux se multiplient et posent la question de l’adaptabilité de la Commission aux questions environnementales. En effet, à quel degré l’IBWC est-elle efficace face à la préservation de l’environnement et dans quelle mesure l’évolution de la Commission lui permet-elle, aujourd’hui, de pallier les problèmes environnementaux, de plus en plus prépondérants ? L’émergence de la question environnementale Mon projet consiste donc à interpréter le concept d’hydro-diplomatie, tel qu’il sera défini dans la première partie du travail, et d’observer l’efficacité et la durabilité de l’IBWC pour lutter contre les problèmes environnementaux à la frontière. Il s’agira d’évaluer dans quelle mesure l’institution créée au milieu du XXe siècle a été capable de prendre en charge des questions hydriques plus globales que celles pour lesquelles elle avait été imaginée, en prenant en compte notamment les nouveaux enjeux environnementaux.
  24. 24. 22 Ce travail contribue à la recherche dans le domaine de la diplomatie de l’eau à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. La plupart des recherches portant sur l’eau à la frontière et l’hydro-diplomatie rapportent que les relations asymétriques entre les deux pays jouent un rôle prépondérant, que ce soit au XXe ou au XXIe siècle, dans la mise en place de projets binationaux pour la résolution de problèmes hydriques. De plus, les institutions binationales demeurent essentielles pour la mise en œuvre de projets communs de préservation de l’environnement et d’une gouvernance adaptative permettant d’adopter, petit à petit, une gouvernance de plus en plus écologique. Toutefois, l’importance, le pouvoir et le poids de ces institutions pourraient être accrus. Par ailleurs, même si beaucoup de ces études portent sur l’alliance et l’entente entre les institutions, ainsi que sur les populations et les gouvernements des deux pays, un grand nombre d’entre elles se focalisent sur la frontière, les problèmes hydriques et leur impact aux États-Unis, davantage qu’au Mexique. Dans ce contexte, ma recherche viendra apporter une perspective environnementale à l’analyse des projets binationaux de l’IBWC, en particulier. Ce travail s’inscrit dans une dynamique d’analyse environnementale des relations internationales et de l’évolution de l’environnement dans la mise en place de projets binationaux et dans la volonté de résolution des problèmes hydriques. Les articles scientifiques de Stephen Mumme et de Margaret O. Wilder, entre autres, ont également permis de comprendre la place de l’asymétrie dans les relations entre les États-Unis et le Mexique et la manière dont l’IBWC travaille à la réduire dans la résolution des problèmes hydriques binationaux pour répondre aux attentes environnementales de manière optimale. Ainsi, dans un premier temps, il s’agira de définir l’hydro-diplomatie et d’appliquer cette définition au contexte de la frontière mexicano-étatsunienne. Pour ce faire, ce travail s’appuiera notamment sur l’ouvrage Hydro-diplomacy: Sharing Water Across Border, dirigé par Ganesh Pangare, qui pose la question de l’hydro-diplomatie comme acteur et vecteur de coopération dans des régions plus ou moins stables. Il pose les bases et concepts liés à l’hydro-diplomatie et particulièrement les organisations internationales, telles que l’ONU, et les accords internationaux comme la Convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux (Vega Cárdenas 2020, 31) qui vise à protéger les ressources et à garantir une quantité et une qualité d’eau suffisante. J’utilise également des articles scientifiques et des interviews de Fadi Comair, dans la mesure où il explique sa propre vision du concept d’un point de vue global et dans le contexte régional particulier du Moyen-Orient qu’il est possible de comparer avec la
  25. 25. 23 frontière entre les États-Unis et le Mexique. Il est nécessaire, dès lors, de mettre en lumière la particularité des relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique qui n’ont jamais ratifié un quelconque instrument international, en dehors de l’IBWC, lié à la conservation de l’eau. Ils n’ont pas, non plus, ratifié la Convention citée au-dessus, mais préfèrent leurs instruments régionaux, tels que l’IBWC, pour gérer et préserver l’eau à leur frontière. Dans cette dynamique, et puisque les deux nations semblent se détacher de la question du dérèglement climatique à l’échelle internationale, comment leur coopération peut-elle persister dans le temps pour résoudre les problèmes environnementaux et ceux liés à l’eau ? L’utilisation d’articles de revues scientifiques sur l’hydro-diplomatie et la diplomatie environnementale permet également de rendre compte de l’importance grandissante de ce concept dans les régions du monde, et notamment à la frontière États-Unis-Mexique, où une stabilité des relations est nécessaire à tous les niveaux dans un ordre mondial en évolution. Une seconde partie reviendra plus en détail sur l’évolution de l’IBWC et de traités depuis celui de 1944 pour la préservation des rivières et de l’environnement. Il s’agit d’analyser l’évolution de l’IBWC au fil du temps pour, aujourd’hui, être capable d’intégrer le concept d’hydro-diplomatie à sa définition. Quels biais permettent, à l’heure actuelle, à la Commission de pouvoir résoudre, plus ou moins efficacement, les problèmes liés à l’eau et de préserver, autant que possible et jusqu’à quel point, les ressources hydriques à la frontière ? L’IBWC parvient-elle à régler l’ensemble des problèmes environnementaux ? Il faut comprendre la manière dont la relation hydrique a évolué entre les deux instances de l’IBWC et comment les ambitions écologiques globales ont changé pour permettre à l’IBWC de se développer en faveur de l’environnement. Pour répondre à cette question, je prends appui, notamment, sur l’ouvrage The U.S.- Mexican Border Environment: Progress and Challenges for Sustainability, coordonné par Erik Lee et Paul Ganster, qui propose un éventail de points de vue sur la frontière entre les États-Unis et le Mexique et la relation de chaque État avec cette frontière. Le livre consiste, pour une grande part, à détailler les initiatives des gouvernements fédéraux, voire l’action de la population pour la conservation de la qualité de l’eau à la frontière, des énergies durables dans la région et pour la mise en place d’infrastructures environnementales durables. L’idée principale du livre, comme son nom l’indique, est d’exposer les progrès qui ont été réalisés ces dernières décennies, ainsi que les défis et enjeux qu’il reste à relever concernant la préservation de l’environnement pour le futur.
  26. 26. 24 Enfin, la troisième partie tentera de mettre en évidence le changement de perspective récent de l’IBWC et le changement de son axe de travail, devenu bien plus environnemental. Il sera question, notamment à l’aide des sources secondaires, de constater le nouvel impact et la nouvelle efficacité, plus ou moins constante, de la Commission Internationale des Frontières et des Eaux sur la préservation de l’environnement et la réactivité croissante des ONG au fil du temps dans la mise en œuvre de nouvelles Minutes et plus globalement dans la résolution de problèmes environnementaux. Les années 1990 et 2000 marquent un tournant notable dans la prise de conscience de l’importance de la protection des écosystèmes et de la biodiversité à la frontière. Les coûts devenant de plus en plus élevés pour résoudre les problèmes hydriques, comme les sécheresses ou la pollution, les États-Unis et le Mexique ont dû améliorer, au moyen de différents traités et accords tout au long de ces dernières décennies, leur coopération en faveur de l’environnement. L’utilisation et l’analyse finale de certaines Minutes permettront de mettre en lumière la capacité et la volonté, de plus en plus marquées, de l’IBWC de préserver l’environnement à la frontière des États-Unis et du Mexique, même si la Commission ne parvient pas à solutionner tous les problèmes environnementaux à la frontière. En effet, les dernières Minutes de l’IBWC sont un exemple concret de ces avancées, avec notamment une mise en œuvre de pratiques et d’un plan binational pour la préservation et la restauration du fleuve du Colorado.
  27. 27. 25 PARTIE I – L’hydro-diplomatie : une approche efficace pour une gestion de l’eau pacifique et durable Qu’est-ce que l’hydro-diplomatie ? Dans cette première partie, il est question de définir, de manière générale, l’hydro- diplomatie et sa fonction dans les relations hydriques entre les États. Ainsi, l’hydro- diplomatie, ou diplomatie de l’eau, permet, comme l’écrivent Shadiqul Islam et Amanda C. Repella dans l’article « Water Diplomacy: A Negotiated Approach to Manage Complex Water Problems », de mettre en relation les différents États, les intérêts des entités concernées et les outils à la disposition des différentes parties afin de distinguer l’angle d’approche pour analyser un problème, le traiter et peut-être le résoudre sans que cela ne désavantage l’une des parties concernées. En ce sens, ces dernières entités peuvent aussi bien être les États limitrophes que tous les autres acteurs impliqués dans le problème hydrique en question. Il peut donc s’agir des populations touchées par le problème, des organisations gouvernementales, telles que des commissions gouvernementales spécialisées dans le domaine des affaires hydriques, ou non gouvernementales. De plus, les intérêts mentionnés plus haut sont définis par les auteurs de la manière suivante : « the reasons and objectives that underlie positions that develop to secure or advance the values held by stakeholders » (Islam et Repella 2015, 3). Puisque les problèmes hydriques sont certes écologiques, mais entraînent également des conséquences sociales et politiques, au niveau étatique et non-étatique, il est nécessaire de trouver des solutions qui conviennent au mieux au plus grand nombre. Selon les deux auteurs encore, le concept de diplomatie de l’eau a émergé pour permettre une alternative plus flexible aux approches diplomatiques conventionnelles, souvent peu adaptées aux risques et aux intérêts des parties engagées dans un problème hydrique (Islam et Repella 2015, 6). En effet, ces approches diplomatiques traditionnelles n’envisageaient pas l’intervention d’organisations non gouvernementales, ni des populations, dont les points de vue sont aujourd’hui pris en compte. Il semble donc que le dessein de l’hydro-diplomatie pour Islam et Repella soit de constater les différences entre les États et les parties concernées dans le but de garantir les intérêts de chacun d’entre eux dans une coopération, afin que celle-ci reste pacifique et qu’elle débouche sur une résolution du problème donné.
  28. 28. 26 De plus, dans la mesure où la diplomatie hydrique est définie comme la pratique de l’utilisation de l’eau comme vecteur de relations internationales et de coopération entre les parties impliquées dans cette gouvernance (« Water Diplomacy and Mediation » s.d.) et la diplomatie scientifique comme le recours à la collaboration scientifique entre les nations pour résoudre des problèmes communs et mettre en place des partenariats et une coopération (« What Do You Mean by Science Diplomacy? » s.d.), il est opportun de considérer l’hydro- diplomatie comme un mélange de ces deux concepts. En effet, même si la diplomatie de l’eau doit être conçue et perçue comme utilisant des moyens diplomatiques pour faire coopérer des nations, entre autres, en lien avec l’utilisation, la préservation et la conservation de l’eau et de la biodiversité aquatique à la frontière, l’intervention de scientifiques dans cette gestion pacifique des problèmes peut se révéler primordiale. Ils peuvent, par exemple, aider à mettre en œuvre des projets à l’échelle régionale. L’IBWC en est un exemple puisque des experts, des scientifiques et des agents locaux travaillent conjointement pour tenter de répondre aux problèmes hydriques à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, comme il en sera question dans la prochaine partie. Il existe également un enjeu économique et social à cette préservation. Souvent, l’eau à la frontière permet aux populations limitrophes de préserver leur économie qui repose, entre autres, sur une agriculture nécessitant l’utilisation d’une très grande quantité d’eau. En effet, dans un contexte de pollution grandissante des eaux qui entraîne une impossibilité de l’utiliser et de réchauffement climatique global qui peut déboucher sur une réduction de la quantité d’eau à la frontière, les enjeux de conservation et d’approvisionnement sont encore plus importants. L’un des objectifs affichés de l’hydro-diplomatie est de prévenir la militarisation des conflits liés à l’eau en utilisant la diplomatie et la coopération (Comair 2021). Par exemple, l’Afghanistan et ses voisins, dont l’Iran, sont actuellement impliqués dans un conflit que des organisations internationales tentent de maîtriser. En effet, ce pays souhaite développer des infrastructures hydriques grâce aux rivières frontalières et les exploiter au maximum pour l’irrigation et la fabrication d’électricité. Toutefois, même si les pays voisins ne voient pas cette utilisation de l’eau d’un très bon œil, aucun dialogue n’est initié et donc aucun moyen de résoudre les tensions de manière coopérative n’a été trouvé (« Transboundary Water Disputes between Afghanistan and Iran » s.d.). Il est ainsi possible de redouter une militarisation de ce conflit.
  29. 29. 27 Dans un contexte de tentative d’apaisement pour éviter de la militarisation d’un conflit hydrique, il est important de rappeler que le terme « hydro-diplomatie » lui-même n’est apparu que tardivement, dans les années 1990, période pendant laquelle il était nécessaire de trouver un terme précis pour qualifier la régulation et la gestion pacifique de l’eau entre différentes parties. En cette fin du XXe siècle, les problèmes hydriques au niveau mondial se multipliaient, notamment causés par le dérèglement climatique et la pollution des eaux par les industries. Néanmoins, la gouvernance qui existait jusqu’alors n’incluait pas l’aspect environnemental et les problèmes environnementaux que cela impliquait, mais seulement la gestion et la répartition des eaux entre différents États. C’est ainsi que de plus en plus d’ONG se sont engagées pour la préservation de l’environnement et pour aider les communautés limitrophes à la conservation des eaux (Fauchon 2012, 12). C’est grâce à l’hydro-diplomatie que les États faisant face à des problèmes hydriques et aux retombées environnementales choisissaient, dès lors, d’utiliser la voie diplomatique plutôt que d’avoir recours à la force militaire dans un premier temps ou de faire le choix de ne pas s’en préoccuper et de laisser s’installer les conséquences sociales, économiques et environnementales de ces problèmes. L’idée était de permettre de résoudre ces problèmes dans une certaine mesure ou, au moins, de contribuer à maintenir la meilleure situation possible sans l’aide militaire. L’instauration du terme hydro-diplomatie a donc permis, au niveau international, d’inclure l’environnement et sa préservation dans les relations hydriques. En effet, jusqu’alors, la gouvernance hydrique entre les États se contentait de répartir une certaine quantité d’eau entre différentes parties et de s’assurer que cette quantité était respectée sans se soucier de la qualité de cette eau ni des problèmes environnementaux à la frontière. C’est pour cette raison que Fadi Comair, Diplomate de l’eau de l’American Academy of Water, a pensé ce concept comme : « le travail diplomatique avec l’expertise en matière de planification de projets hydrauliques, via la création d’une coopération régionale. […] Une grande place est également allouée à l’utilisation des eaux non conventionnelles – dessalement, recyclage des eaux usées… - qui permet un apport d’eau supplémentaire pour satisfaire la demande de tous les secteurs d’utilisation » (Comair 2017b). Cette citation résume l’efficacité souhaitée de l’hydro-diplomatie et des apports d’une telle gouvernance pour la préservation de l’eau puisqu’il est question de la gestion des eaux conventionnelles et non-conventionnelles et de leur réutilisation pour répondre aux attentes des populations et des États limitrophes. Aussi, Fadi George Comair prend l’exemple du Moyen-Orient, dont il est expert, en expliquant qu’il faut rassembler dans une nouvelle
  30. 30. 28 gouvernance tous les acteurs liés à la gestion de l’eau, que ce soit des institutions transnationales, des organisations gouvernementales ou non gouvernementales ou tout autre acteur (Comair 2021). S’agissant des États-Unis et du Mexique, comme il en sera question dans la prochaine partie, l’IBWC (International Boundary and Water Commission) est une Commission binationale qui tente de jouer ce rôle. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de 1994 fut également un point clé, en théorie, pour l’introduction d’un aspect plus environnemental à la gouvernance de l’eau à la frontière de l’IBWC. En effet, il devait mettre en place une coopération environnementale, notamment à travers la création de différentes instances, telles que l’ANACDE qui devait améliorer la protection de l’environnement en Amérique du Nord tout en empêchant que le libre-échange ne nuise à celui-ci (Lemieux et Groulx-Julien 2012, 73). Dorénavant, la Commission tente de préserver les relations diplomatiques, politiques et économiques mexicano-étatsuniennes tout en essayant d’apporter des solutions aux problèmes hydriques et environnementaux à la frontière. Docteur Susanne Schmeier, quant à elle, définit l’hydro-diplomatie comme un ensemble de points permettant une coopération. Il s’agit de l’application d’instruments diplomatiques qui se concentrent sur les désaccords et les conflits pour assurer la coopération régionale, la stabilité et la paix (Schmeier 2018, 2). Cette définition est similaire à celle de Fadi George Comair qui considère les pays frontaliers comme des « catalyseurs pour la paix » qui collaboreraient positivement pour assurer une véritable politique de gestion de l’eau pacifique (Comair 2017a, 53). Dans cette perspective, l’hydro-diplomatie permet une coopération lors de problèmes hydriques entre des pays plus ou moins développés ou, lorsque les pays en question sont peu développés, d’être soutenus par des organismes internationaux. De plus, Ganesh Pangare et Bushra Nishat considèrent, dans un chapitre du livre Hydro- Diplomacy: Sharing Water Across Border, que l’hydro-diplomatie ne se résume pas à l’expertise scientifique : « with growing environmental concerns and strong disagreement about water infrastructures, the international community is looking at facilitating trust building processes, focusing not only on knowledge management, thematic studies, environmental monitoring but also on ensuring soft skills towards improving political sensitivity and negotiation » (Pangare 2014, 4). Ainsi, selon eux, la communauté internationale est d’autant plus essentielle qu’elle doit permettre de cultiver des compétences en négociation et en gestion coopérative des connaissances et de la surveillance de l’environnement. Ainsi, encore une fois, un point
  31. 31. 29 fondamental de l’hydro-diplomatie demeure la coopération pacifique qui allie des études scientifiques à de la négociation. Néanmoins, comme il peut être observé avec les relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique et, par exemple, le Traité de 1944 qui semble incarner une forme précoce d’hydro-diplomatie, il arrive que l’État mettant en place un cadre de travail le fasse de manière à ce qu’il lui soit plus favorable qu’aux autres États. Ainsi, comme cela a été évoqué dans l’introduction, l’IBWC permet aux deux États partenaires de détenir le même nombre de scientifiques, d’experts et d’ingénieurs, pour des questions d’égalité. Malgré cette égalité affichée, il sera étudié dans la prochaine partie que, dans la période précédant la signature du Traité de 1944, le poids de certains États, tels que le Texas, a déséquilibré cet équilibre pour favoriser leurs intérêts dans sa mise en œuvre, dans le cas du Rio Grande. Ceci a pu se faire grâce au poids du Texas à l’échelle nationale (Mumme et Little 2010, 256), comme il en sera question plus précisément dans une prochaine partie. De plus, la sécheresse de Mexicali de 1943 a encore plus affaibli le Mexique qui a fait appel à un organisme californien pour obtenir davantage d’eau (Anderson 1972, 608). Cette initiative du Mexique a ainsi augmenté le pouvoir de l’État de Californie dans la mise en place des principes du Traité concernant le Colorado. Dans cette optique, l’impact du Mexique dans la mise en place de ce Traité était bien plus faible. Les États-Unis ont ainsi fait en sorte qu’il leur bénéficie plus qu’au Mexique. La diplomatie environnementale Dans un premier temps, l’hydro-diplomatie s’intègre dans la diplomatie environnementale qui, comme son nom le laisse présager, consiste à mettre en place des accords bilatéraux ou multilatéraux pour la gestion et la préservation des ressources environnementales, quelles qu’elles soient. C’est lors du Sommet de Stockholm (Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement de 1972) que la diplomatie environnementale fut mentionnée pour la première fois. Il s’agit de l’art de la négociation sur les questions de politique environnementale dans un contexte de relations internationales (Pisupati 2015, 4). Dans la mesure où l’environnement est un bien partagé par tous, il doit être préservé de la même manière par tous les acteurs, étatiques et non-étatiques. Aussi, l’idée de la diplomatie environnementale est d’associer un principe de précaution avant de mettre en place des actions et des réponses proportionnelles par rapport au niveau de développement et à l’impact environnemental des pays en question (Pisupati 2015, 4) : « Le sommet souligne […] la priorité des préoccupations environnementales, mais reconnaît du même souffle l’importance du développement économique » (Orsini 2018, 2). Ainsi, l’environnement ne
  32. 32. 30 doit pas porter préjudice à l’économie et inversement. C’est pourquoi les actions se font en fonction du niveau de développement des pays. Une action menée dans un pays très développé sera d’envergure nettement plus importante que dans un pays en développement, par exemple. De plus, le principe de précaution constitue une sécurité qui doit mettre en œuvre des mesures de prévention des risques lorsque la science et les connaissances techniques ne peuvent pas apporter de certitudes. Il s’agit donc de prendre en compte les risques pour répondre à un problème assez tôt. Il fut officiellement entériné lors de la Déclaration de Rio en 1992 durant la deuxième Conférence des Nations Unies – suite à celle de Stockholm – sur l’environnement et de développement (« Le principe de précaution : prévenir plutôt que guérir » s.d.). Ainsi, il est possible de constater que ce principe permet de mettre en œuvre des actions avant que des problèmes environnementaux ne s’intensifient. Dans un autre temps, l’hydro-diplomatie est ainsi d’autant plus importante qu’elle est supposée apporter des solutions pérennes dans la zone frontalière États-Unis-Mexique, comme il en sera question dans les prochaines parties. Natalie Triedman explique notamment que les projets de développement et donc d’activité humaine ont, au fil de l’utilisation de son eau et de sa pollution, causé la perte d’une écologie aquatique, entre autres, dans le Colorado (Triedman 2012, 90). L’hydro-diplomatie doit permettre de retrouver, ou du moins d’essayer de retrouver, une certaine stabilité dans l’écosystème de la rivière en mettant en place des infrastructures en faveur de l’environnement. Il sera étudié plus tard les problèmes de salinité du fleuve liés à l’agriculture et qui détruisirent la biodiversité au fil du temps. Gestion Intégrée des Ressources en Eau L’hydro-diplomatie, selon Fadi George Comair inclut le concept de Gestion Intégrée des Ressources en Eau qui consiste en « l’application des principes du développement durable au secteur de l’eau. […] Elle vise à intégrer les multiples parties prenantes, usages et enjeux concurrents, dont la préservation environnementale, afin d’assurer la pérennité des ressources en eau » (de La Plaza et al. s.d.). Il est donc question de demander à différentes parties de coopérer alors que ces États ne sont pas nécessairement alliés, ou n’ont pas de volonté convergente, en faveur de la préservation des ressources hydriques, par exemple. Pour ce faire, les gouvernements peuvent avoir recours à l’ONU comme acteur international pour la coopération, la sécurité et la paix autour de l’eau. Il est possible de citer, entre autres, l’ONU Environment, créé lors du Sommet de Stockholm, qui n’est autre qu’un Programme des
  33. 33. 31 Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) (Orsini 2018, 2). Il est question de la plus haute autorité des Nations Unies en matière environnementale qui doit : « montrer la voie et encourager la coopération pour protéger l’environnement. Elle se doit aussi d’être une source d’inspiration et d’information pour les États et les populations et un instrument de facilitation » (Sundholm s.d.). Cette description donne un pouvoir théoriquement fort au PNUE puisqu’il doit montrer la voie aux pays. Ainsi, force est de constater que l’ONU, avec l’appui de tous les accords mis en place, entend favoriser la coopération et faciliter la résolution de problèmes environnementaux, notamment en montrant l’exemple. Cependant, encore faudrait-il que tous les pays concernés se joignent aux programmes. Ce n’est pas le cas dans les relations Mexique- États-Unis si l’on considère que ces deux pays, comme indiqué dans l’introduction, n’ont ratifié aucun accord international ni aucune convention sur la protection ou l’utilisation des eaux frontalières, préférant limiter ces questions à un niveau régional et binational. Ils utilisent donc particulièrement, comme il en sera question dans la partie suivante, l’IBWC et le Traité de La Paz de 1983 ou encore l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement (ANACDE). Ces trois entités peuvent, dans certains cas, permettre de gérer et de préserver l’eau et la biodiversité à la frontière. Ce phénomène illustre un problème général que rencontre l’hydro-diplomatie : de nombreuses institutions internationales traitent des eaux partagées, mais ne peuvent pas avoir de rôle déterminant dans la résolution de problèmes hydriques, notamment dans le sens où les États-Unis, depuis plusieurs années, tournent le dos au multilatéralisme et à ses contraintes. Donald Trump a, par exemple, sorti les États-Unis de l’Accord de Paris en 2020 (la COP 21 devait limiter à 2°C le réchauffement global de la planète) (Hersher 2020) pour garder le contrôle sur l’utilisation de ses ressources et pour préserver l’économie liée à des secteurs polluants. Il a notamment supprimé les limites de pollution au carbone pour les centrales électriques, les voitures et les industries liées aux combustibles fossiles (Hersher 2020). L’initiative de Donald Trump peut être une des raisons pour lesquelles les États-Unis et le Mexique ne préfèrent pas intégrer ces organisations trop contraignantes pour leurs industries et leurs économies au profit de leurs organisations binationales ou régionales que les deux pays peuvent modeler de la manière dont ils le désirent.
  34. 34. 32 Hydro-hégémonie Un autre élément qui semble crucial pour mieux cerner les enjeux de l’hydro-diplomatie et la situation à la frontière entre les États-Unis et le Mexique est le concept d’hydro- hégémonie. Robert G. Varady, Andrea K. Gerlak et Emily D. McGovern en proposent une définition dans le chapitre « Hydrosolidarity and its place in International Water Diplomacy » de l’ouvrage Hydro-Diplomacy: Sharing Water Across Border : « the term implies features unequal power relationships such as upstream-downstream interactions between states » (Pangare 2014, 23). Ce concept implique nécessairement qu’une relation de pouvoir existe entre les différentes entités impliquées dans la gouvernance hydrique et que l’une d’entre elles est toujours plus puissante que l’autre. Cette supériorité peut être due à des particularités géographiques (amont et aval). L’exemple des relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique à l’époque de la mise en place du Traité de 1944, et encore après, peut s’apparenter à de l’hydro-hégémonie. En effet, comme expliqué dans l’introduction, les États-Unis, possédant l’amont du fleuve Colorado, pouvaient décider de la plupart des principes des traités concernant cette rivière. C’était également le cas à cause d’une sécheresse en 1943 dans la vallée de Mexicali qui avait affaibli le Mexique, comme il en sera question dans la prochaine partie. Quant au Mexique, détenant la plupart des affluents du Rio Grande, il devait avoir une influence essentielle dans la mise en place des principes pour le fleuve. Il sera néanmoins observable, dans une section dédiée à la situation inégale entre les deux pays lors de la signature du Traité de 1944, que le Texas, entre autres, a eu un très fort impact dans les principes d’approvisionnement en eau du Rio Grande (Mumme et Little 2010, 256). De plus, lorsque le Traité de 1944 fut signé et lors de la détermination des principes de ce dernier, les États-Unis se pensaient supérieurs diplomatiquement, économiquement et même au niveau de l’ethnie. En effet, la frontière représentait une limite entre le Nord et le Sud, entre un peuple civilisé et un autre qui ne l’était pas, selon la pensée étatsunienne (Massey 2016, 160). Dans cette perspective, il n’est pas faux de penser que les États-Unis désiraient mettre en place des principes qui les avantageaient le plus sans se soucier des retombées environnementales probables de ces principes sur le Mexique puisque cette question n’était pas importante lors de la signature du Traité. Ainsi, les politiques binationales évoluent, même si durant de longues décennies, les problèmes en aval des fleuves, causés par de mauvaises pratiques en amont et par une mauvaise gestion globale des ressources, ne se voyaient pas résolus par les États-Unis puisque cela ne les impactait pas directement.
  35. 35. 33 Commission de coopération D’après Marko Keskinen et ses co-auteurs dans un chapitre sur les Commissions de coopération de l’ouvrage Hydro-Diplomacy: Sharing Water Across Border, les Commissions sont sources d’hydro-diplomatie : « Many water cooperation agreements also have a joint body, such as a river commission, that facilitates the cooperation by providing technical support and by gathering information. Such a body can provide major support also for water diplomacy, as it creates a natural forum for discussion and can generate relevant and jointly produced data and information to facilitate the discussions » (Pangare 2014, 38). Ici, les auteurs font référence à des commissions autour de rivières qui pourraient aider à la mise en place d’une coopération au niveau hydrique entre les pays limitrophes en apportant des supports techniques, en rassemblant des informations et en créant des forums de discussions. L’IBWC représente l’une de ces Commissions. Même si, dans les faits, il peut être compliqué pour les États-Unis et le Mexique de coopérer sur le plan hydrique, l’aggravation des problèmes environnementaux à la frontière et leur impact sur les populations rend l’IBWC de plus en plus essentielle pour éviter les conflits. Il sera étudié dans la suite de ce travail des forums de discussions mis en place par l’IBWC pour échanger les informations entre les populations, les scientifiques et la Commission, entre autres (« Citizens’ Forum Meetings » s.d.) afin de trouver les meilleures solutions possibles. De plus, la mise en place de Minutes en faveur de l’environnement depuis les années 2000 est un exemple de coopération accrue. En outre, la collaboration et la mise en commun des informations récoltées par les scientifiques de part et d’autre de la frontière rend possible la mise en place de discussions qui aboutissent à des Minutes, en faveur de l’environnement notamment, comme il sera expliqué plus amplement dans les prochaines parties. Hydro-diplomatie et gouvernance adaptative entre les États-Unis et le Mexique Malgré l’apparition du terme d’hydro-diplomatie dans les années 1990 et la non- intégration de l’aspect environnemental dans les relations hydriques entre les États-Unis et le Mexique avant les années 1980 et le Traité de La Paz, la plupart des articles scientifiques portant sur le Traité de 1944 ou sur les relations hydriques entre les deux pays de manière générale rapportent que dès 1944 il s’agissait déjà d’hydro-diplomatie : « the treaty is the
  36. 36. 34 countries’ most notable and enduring act of hydrodiplomacy » (Wilder et al. 2019). Dans cet article, Margaret O. Wilder et ses co-auteurs définissent l’hydro-diplomatie telle que Fadi George Comair l’a fait puisqu’ils la désignent comme une coopération internationale concernant des ressources hydriques partagées par différents États et qui peut varier en fonction des outils et des pouvoirs de ces différents pays. Il s’agit également d’utiliser des expertises scientifiques pour mettre en place des actions visant à contrer des scénarios pessimistes d’un point de vue environnemental (Wilder et al. 2019). Par exemple, les auteurs constatent un paradoxe entre les États-Unis et le Mexique. En effet, même si le manque d’eau n’est pas effectivement encouragé par l’un des deux pays, lorsque des pénuries d’eau apparaissent à la frontière, elles sont souvent le résultat d’une mésentente. En ce sens, il est possible de reprendre l’exemple des barrages étatsuniens qui ne libèrent de l’eau que lorsque les États-Unis décident de le faire. Ceci prouve la nécessité de la coopération entre les deux pays pour tenter d’éviter les pénuries au sud des États-Unis et au Mexique. De plus, la méfiance des populations de part et d’autre de la frontière les conduit à faire appel à leur gouvernement pour résoudre les crises. Ces résolutions se font dans cent pour cent des cas en passant par l’IBWC. C’est ainsi qu’à la fin des années 2010, la Commission a mis en place des groupes de travail mexicano-étatsuniens concernant certains problèmes sur le Rio Grande (Wilder et al. 2019). Toutefois, ces groupes ne répondent pas aux questions d’approvisionnement en eau du Mexique vers les États-Unis en temps de sécheresse (Wilder et al. 2019) et ne répondent donc pas non plus au problème initial. En effet, le volume d’eau supposé être fourni lors d’un cycle de cinq ans n’est pas atteinte en temps de sécheresse par le Mexique et cela influe sur le secteur agricole étatsunien, notamment au Texas, qui a de forts besoins en eau et particulièrement celle du Rio Grande. Un autre article scientifique rend compte de l’hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique comme étant effectivement introduite dans les discours au XXIe siècle et posant la question des éléments d’une collaboration scientifique et politique efficace pour la gouvernance de l’eau à la frontière. Dans l’article « Hydrodiplomacy and adaptative governance at the U.S.-Mexico border: 75 years of tradition and innovation in transboundary water management », Margaret O. Wilder et ses co-auteurs expliquent que même si des recherches scientifiques et des constats ont été faits sur les problèmes hydriques et environnementaux pour aider à les résoudre, la plupart des problèmes, au niveau global, ne sont toujours pas réglés, voire se révèlent impossible à l’être. En outre, selon eux, les résultats des problèmes hydriques sont souvent perçus comme binaires, positifs ou négatifs, faisant des
  37. 37. 35 gagnants et des perdants. Ce phénomène est très clair avec l’exemple des relations entre les États-Unis et le Mexique : concernant le Colorado, les États-Unis avaient l’ascendant sur le Mexique puisqu’ils possédaient la majeure partie du fleuve et pour ce qui est du Rio Grande, le Texas avait un impact très important lors de la signature du Traité de 1944. Ceci diminuait le poids du Mexique dans la relation, comme il sera possible de le voir dans la prochaine partie. C’est pour cette raison qu’une hydro-diplomatie effective et efficace doit faire en sorte que les États limitrophes prennent confiance l’un en l’autre pour finalement s’accorder sur des actions en faveur de l’environnement (Wilder et al. 2020, 190). C’est exactement l’ambition de l’IBWC qui doit faire coopérer l’instance mexicaine et étatsunienne pour tenter de résoudre les problèmes hydriques à la frontière. Un terme important que soulève ce même article est celui de « gouvernance adaptative » des ressources en eau : « adaptative governance eschews static water-resources management prescriptions, opting instead for engagement and knowledge exchange with diverse stakeholders, usually loosely, or formally organized within a multiscalar network » (Wilder et al. 2020, 191). Cette gouvernance inclut les relations et la coopération entre les entités étatiques et non étatiques. Elle est d’ailleurs également nommée « cogestion adaptative », ce qui montre bien une intégration de différentes parties dans cette gouvernance hydrique. L’idée est de pouvoir mettre en commun les connaissances scientifiques et les connaissances locales dans le but d’adapter, potentiellement, les politiques à la région où elles seront mises en place. La gouvernance adaptative conçoit les questions de ressources hydriques à l’échelle locale, régionale et internationale ; il faut ainsi s’adapter encore et encore aux entités en cause. Il s’agit ainsi de faire œuvre les différents États entre eux ou les États avec des communautés locales (telles que des agriculteurs) ou encore des communautés entre elles ainsi que des communautés d’experts pour résoudre les problèmes hydriques (Wilder et al. 2020, 191). Pour ce qui est des États-Unis et du Mexique, il est souvent question des agriculteurs texans qui mettent en cause les États Étatsunien et Mexicain pour ce qui est de la résolution des problèmes hydriques sur le Rio Grande. Plusieurs auteurs désignent une gouvernance adaptative comme la meilleure garantie possible pour tenter de résoudre les problèmes hydriques environnementaux. En effet, la capacité à générer des connaissances et à les appliquer permet de répondre efficacement aux problèmes ou, du moins, d’apporter des réponses et solutions claires et adaptées même si elles
  38. 38. 36 ne sont pas toutes efficaces (VanNijnatten 2020, 1052). Encore une fois, la gouvernance adaptative suppose de prendre en compte les antécédents des problèmes hydriques et des résultats des solutions apportées. Il s’agit également de concilier les solutions avec les paramètres économiques, politiques et sociaux des États-Unis et du Mexique ainsi qu’avec les résultats des solutions précédentes pour optimiser les chances de réussite des nouvelles réponses. Pour ce qui est de la frontière États-Unis-Mexique, l’agriculture et les retombées économiques sont primordiales des deux côtés de la frontière et doivent être considérées lors de la prise de décision pour résoudre les problèmes hydriques. En effet, les enjeux économiques ne doivent pas surpasser les enjeux environnementaux même si les intérêts économiques des agriculteurs doivent être respectés. Ces enjeux économiques peuvent notamment concerner l’irrigation et les sécheresses et donc être liés à l’environnement. La gestion intégrée des ressources en eau est également indissociable et pertinente dans la gouvernance adaptative de l’eau. En effet, la possibilité de faire participer une multitude de différents décideurs, riverains et autres entités en lien avec la gouvernance est également cruciale pour résoudre les problèmes, comme l’explique par exemple Debora L. VanNijnatten : « There is clear evidence that governance and policy systems which promote interactions within and across state, private sector and civil society are more successful in terms of increasing both the legitimacy of decision-making within these governance systems as well as the quality of decisions made, particularly at local and watershed scales » (VanNijnatten 2020, 1053). Ainsi, avoir un panel de points de vue différents permet de pouvoir répondre aux attentes de la plupart des entités prises en compte dans la mise en place de solutions des problèmes hydriques. En ce sens, tenir compte de la société civile permet d’accroître la légitimité et la qualité des décisions prises puisqu’elles seraient plus pertinentes pour ces populations. Il s’agit encore une fois de gérer à plusieurs et de partager le pouvoir à différentes échelles pour résoudre les problèmes hydriques. La gouvernance adaptative requiert donc une coopération entre entités étatiques et non-étatiques pour répondre aux problèmes liés à l’eau. Pour ce qui est des agriculteurs à la frontière États-Unis-Mexique, leur opinion est entendue dans la mise en place de solutions environnementales puisque leur voix est très importante dans la région. Il n’est cependant pas certain que cette voix soit convergente avec la protection de l’environnement. On notera notamment que l’utilisation de l’agriculture
  39. 39. 37 intensive est problématique pour l’environnement. Néanmoins, les sécheresses ou les pénuries, par exemple, ont des retombées négatives pour les agriculteurs qui veulent alors les éviter. En considérant l’exemple de la crise dans la vallée du Rio Grande de l’automne 2020 mentionnée dans l’introduction, il convient de rappeler qu’il est question de la frustration des agriculteurs mexicains lorsque l’État utilise l’eau de la retenue d’Amistad pour répondre aux attentes du Traité de 1944 plutôt que pour répondre aux besoins des Mexicains. En effet, les agriculteurs ont besoin d’une quantité importante d’eau, mais le manque constant d’eau dans la région frontalière rend ce besoin difficile à satisfaire. Ainsi, lorsque le Mexique utilise ses réserves pour répondre aux attentes du Traité de 1944, les agriculteurs peuvent craindre un manque d’eau encore plus important qui ne permettrait pas de garantir une irrigation suffisante des cultures. Cette crainte débouche sur des manifestations et des affrontements pour préserver leurs intérêts (Varady, Gerlak et al. 2021). Ceci démontre donc un paradoxe entre la gouvernance adaptative souhaitée et la réalité de la situation qui dénote une inaptitude à prendre en compte les besoins des usagers. Il est ainsi possible de constater le lien entre les intérêts des parties concernées par le problème et la solution mise en place pour y répondre.
  40. 40. 38 PARTIE II – L’hydro-diplomatie entre les États- Unis et le Mexique : l’évolution de l’IBWC Chapitre I – Le rôle de l’IBWC et des Minutes, vecteurs d’hydro-diplomatie entre les États-Unis et le Mexique Je me focaliserai, pour ce chapitre, sur la Commission Internationale des Frontières et des Eaux pour définir ses objectifs et ses enjeux au fil du temps. Dans un premier temps, bien avant que le terme d’hydro-diplomatie ne soit développé dans les années 1990, une gouvernance de l’eau à la frontière entre le Mexique et les États- Unis était cruciale. En effet, elle devait gérer les conflits liés à l’approvisionnement en eau à la frontière, qu’il s’agisse de problèmes de sécheresse ne permettant pas un apport optimal dans la zone ou bien des problèmes de salinité et de pollution entraînant une impossibilité d’utiliser l’eau fournie. Ainsi, en 1889 fut créée la Commission Internationale des Frontières (IBC – International Boundary Commission) qui se chargeait uniquement de la frontière. Elle devint la Commission Internationale des Frontières et des Eaux (IBWC) en 1944 pour intégrer l’aspect hydrique et mettre en œuvre les accords binationaux concernant les frontières et les traités sur l’eau signés entre les deux pays (Mumme 2005, 509). Telle qu’introduite dans les sections précédentes, l’IBWC est, depuis 1944, composée d’une instance mexicaine et d’une autre étatsunienne qui sont administrativement séparées et régies par leurs institutions nationales respectives. L’instance étatsunienne, appelée la U.S. International Boundary and Water Commission, est contrôlée par le Département d’État des États-Unis, tandis que l’instance mexicaine, la Comisión Internacional de Límites y Aguas (la Commission Internationale des Frontières et des Eaux), est gérée par le Ministère des Affaires étrangères (Secretaría de Relaciones Exteriores) à Mexico. L’instance étatsunienne, quant à elle, est localisée à la frontière (Mumme et Little 2010, 256) pour pouvoir répondre plus efficacement aux problèmes dans la région. De plus, les deux nations disposent du même nombre d’experts, d’ingénieurs, de secrétaires, etc. pour permettre une égalité théorique : « each Section is led by a Commissioner (required to be an engineer), two Principal Engineers, a legal advisor, and a secretary; this administration has diplomatic privileges and immunities in the territory of the other country » (Sánchez 2006, 134).
  41. 41. 39 En ce sens, la Commission donne les mêmes clés à chaque pays pour que chaque instance puisse résoudre les problèmes liés à l’eau et pour qu’elles puissent interpréter et appliquer les traités binationaux. Les employés de chaque instance bénéficient, de plus, de l’immunité diplomatique aux États-Unis ou au Mexique. L’IBWC s’occupe des rivières du Rio Grande, du Colorado, des affluents, lacs et barrages situés de part et d’autre de la frontière. Chaque instance est notamment autorisée à faire appel à d’autres agences pour gérer les ressources en eau et résoudre les problèmes hydriques et environnementaux liés (Mumme et al. 2012, 8). Il est question, par exemple, de faire appel aux tribunaux nationaux pour l’application des décisions prises et pour la résolution de certains différends (Mumme et al. 2012, 8). Malgré cela, pendant longtemps, la Commission n’a pas suffi à elle seule à contrôler l’eau à la frontière. Il a donc été nécessaire de mettre en place un traité afin de garantir le respect de ses décisions par les deux pays. Cette garantie devait permettre effectivement de fournir une quantité d’eau équitable à chaque pays et de régler les autres problèmes liés à l’eau et son utilisation à la frontière. C’est lors de l’année 1941 que débutèrent des échanges de propositions entre les États- Unis et le Mexique qui aboutirent au Traité de 1944. Ces échanges permirent de déterminer que le Mexique devrait recevoir chaque année 1 500 000 acres-pieds du fleuve Colorado ainsi qu’un supplément de 200 000 acres-pieds en cas de surplus aux États-Unis (Glaeser 1946, 7). Les négociateurs des États-Unis décidèrent notamment que 900 000 acres-pieds de l’approvisionnement total proviendraient du drainage aux États-Unis (Gantz 1972, 499). Il est possible de penser que cela devait permettre aux États-Unis de maîtriser l’attribution de l’eau au Mexique et de réguler les inondations. La quantité d’eau que devait recevoir le Mexique représentait environ 10 % du débit moyen du Colorado (Carter et al. 2017, summary). Le débit moyen était, dans les années 1940, de 16,8 millions acres-pieds, ce qui laissait plus de 15 millions d’acres-pieds pour répondre aux besoins des États-Unis (Carter et al. 2017, 10). Cette décision démontre d’autant plus le pouvoir des États-Unis sur le Mexique puisqu’ils avaient le dernier mot, que la qualité de l’eau n’a jamais été remise en question. Le problème majeur à l’époque du Traité de 1944 était de s’assurer de la quantité d’eau que recevrait le Mexique et jamais de la qualité de cette eau. Pourtant, lors des négociations du Traité, une des seules volontés du Mexique concernait les eaux qu’il devait recevoir du Colorado. En effet, il souhaitait que la majeure partie de ces eaux proviennent de zones situées au-dessus de la frontière inférieure, moins salines, pour disposer d’eau consommable et utilisable pour la population (Anderson 1972, 610). Il est ainsi possible de constater que le souhait du Mexique

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