1. UberPOP est morte, vive BlaBlaCar et les autres plateformes de covoiturage ! Dans
sa décision très attendue du 22 septembre 2015, le Conseil constitutionnel l'a dit tout
net : le covoiturage n'est pas visé par l'incrimination de l'article L. 3124-13 du Code
des transports. Ce texte, relatif au « transport public » de personnes, punit de deux
ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende le fait d'organiser un système
de mise en relation de clients avec des personnes qui effectuent une prestation de
transport routier « à titre onéreux » sans être des taxis ou des VTC.
La liberté d'entreprendre est saine et sauve
L'avocat d'Uber, Hugues Calvet, avait plaidé que le partage des frais d'essence, de
péage ou d'assurance par les chauffeurs BlaBlaCar relevait du « titre onéreux » visé
2. par le texte et que le principe de légalité des délits et des peines commandait de loger
ce service à la même enseigne qu'UberPOP. Mais tel n'est pas l'avis du Conseil
constitutionnel. Le covoiturage, mode de transport routier privé (et non public) de
personnes, est défini par un texte spécifique, l'article L. 3132-1. Et celui-ci concerne
uniquement les prestations de transport privé à « titre non onéreux, excepté le partage
des frais, dans le cadre d'un déplacement que le conducteur effectue pour son propre
compte », souligne la décision.
Autre motif balayé par les sages, la méconnaissance du principe constitutionnel de
liberté d'entreprendre. Uber considère que son service d'intermédiation répond à une
demande de transport non satisfaite qui n'affecte en rien l'activité des professionnels
du transport. Il s'agit, là encore, d'un « grief inopérant », estiment les sages, puisqu'il
ne s'adresse pas à la loi réglementant l'activité de transport public particulier de
personnes à titre onéreux dont l'une des dispositions « réprime les agissements
facilitant l'exercice d'une activité interdite ».
Deux plaintes devant la Commission européenne
La société de VTC, dont deux dirigeants comparaîtront bientôt devant le tribunal
correctionnel, n'entend pas stopper là sa croisade judiciaire. Elle est allée frapper à
l'étage au-dessus en saisissant la Commission européenne de deux plaintes.
Sur la forme, d'abord. L'acteur américain de VTC dénonce le fait que la loi Thévenoud
aurait dû être notifiée à la Commission européenne avant d'être examinée par le
Parlement. Uber vise ici une directive du 22 juin 1998 qui rend obligatoire cette
notification lorsqu'une loi nationale concerne des « services liés à la société de
l'information » et risque de causer une entrave aux échanges intracommunautaires.
Encore faut-il que les services visés répondent aux quatre critères cumulatifs suivants :
il doit s'agir d'un service à distance, déclenché par une demande individuelle émanant
du destinataire, et la contrepartie de la fourniture du service doit être une
rémunération. De cette question de procédure dépendent la validité de la loi
Thévenoud et surtout son opposabilité à l'acteur californien. « Uber veut s'affranchir
des contraintes réglementaires en disant qu'il offre non pas un service de
transport mais un service numérique », décrypte Daniel Kadar, avocat associé au
cabinet Reed Smith. La société californienne se présente, en effet, comme une simple
plateforme technologique mettant en relation des chauffeurs et des usagers au travers
de différents services (uberX, taxi, Black, SUV, LUX) et fonctionnalités (commander,
géolocaliser, payer de manière automatisée, partager l'addition…). La Commission
3. européenne devra donc dire si la disposition contestée du Code des transports entre
ou non dans le champ d'application de la directive.
Entrave à la liberté d'entreprendre
Autre plainte, sur le fond cette fois, déposée par Uber en janvier 2015 : la société
californienne estime que l'interdiction légale d'offrir et de participer à un transport de
personnes contre rémunération viole le droit européen. « Un État ne devrait pas
pouvoir interdire à un acteur étranger de proposer un service de réservation de
véhicule avec chauffeur par voie électronique dans un pays de l'UE », argumente
Thibaud Simphal. Au soutien de sa plainte, Uber ratisse large. Cette loi ferait fi d'un
certain nombre de dispositions fondamentales du droit de l'Union européenne, à
commencer par la liberté d'entreprendre. L'avocat Éric David, associé du cabinet
Vaughan, doute du poids de cet argument. « La Charte des droits fondamentaux qui
protège la liberté d'entreprise n'offre pas plus de protection que celle du droit français,
ce qui laisse supposer qu'en l'absence de discrimination entre opérateurs nationaux et
non nationaux la Commission européenne devrait suivre la position du Conseil
constitutionnel », augure-t-il.
La société de VTC, présente dans un peu plus de 300 villes réparties dans une
cinquantaine de pays, dénonce par ailleurs l'interdiction de la maraude et l'obligation
de retour au garage pour les VTC, exigences légales auxquelles le Conseil
constitutionnel a pourtant donné son blanc-seing dans une décision rendue en juin
2015. « La seule restriction du texte est justifiée par un motif d'ordre public qui est de
ne pas laisser les voitures d'Uber s'arrêter à tout endroit de la voie publique pour
attendre des clients, note Me David. Le fait qu'elles aient moins de droits que les taxis
ne suffit pas à déclarer le texte non conforme au droit communautaire. Il n'est pas
davantage discriminatoire à l'égard d'Uber puisqu'il s'applique à tous les VTC, qu'ils
aient recours ou non à la plateforme Uber. Et l'on constate le succès d'Uber en France,
il est difficile de croire à un cloisonnement du marché. »
Reste que, dans le domaine des prestations de services 2.0 qui bousculent l'ordre
établi et chevauchent les lignes du droit, les prises de position doivent tenir compte du
contexte global de cette nouvelle économie. Une radioscopie globale s'avère donc
indispensable, et c'est ce grand chantier qu'a entrepris début septembre la
Commission européenne en marge des procédures nationales. Plusieurs de ses
services sont mobilisés sur les différents aspects de cette économie « collaborative »
dont se réclament les plateformes numériques proposant des services « à la demande
» (Uber, Airbnb, Tok Tok Tok...). L'objectif est d'analyser le potentiel économique de
4. ces modèles innovants tout en mesurant les risques et les dangers qu'ils véhiculent
quant à la sécurité et la protection des consommateurs, mais aussi au regard du statut
social et fiscal des participants. Vaste chantier...