1. 32Stratégies N° 1826 17/09/2015
INSPIRATIONS
Tendances
Le porno, c’est pop !
sociÉTÉAlors que la pornographie entre à l’université via les « porn studies »,
la culture porno se banalise de plus en plus. Y compris dans la publicité.
Delphine Le Goff @DelphineLeGoff1agattéatdataaddaatéLL
un orgasme avant
le mot « fin ». Hen-
ry James aurait-
il imaginé pareil
hommage ? Sour-
cilsfroncés,lademoiselleaupurvi-
sage déchiffre à haute voix Portrait
de femme, chef-d’œuvre de l’écri-
vain, paru en 1881. Mais au fil des
pages, la lectrice s’interrompt, est
prise de gloussements, de soupirs
incongrus. Avant d’abandonner la
lecture,pantelante,lesoufflecourt.
La jeune femme s’appelle Stoya, est
l’une des étoiles du cinéma porno,
etseprête,dansleprojetvidéoHys-
tericalLiterature,àuneexpérience
lancée par le photographe Clayton
Cubitt : lire tout en étant reliée… à
unvibromasseur.L’artisteexplique
avoir voulu mêler deux addictions :
sexe et littérature. Cette seule vi-
déo de Stoya a généré 16 millions
de pages vues. Stimulant.
Et mon cortex, tu l’aimes mon cor-
tex ? L’idée selon laquelle le cer-
veau serait, in fine, la principale
zone érogène n’a jamais semblé
aussi congruente : « Nous sommes
au pic de la rencontre entre le
monde intellectuel et le monde de
ceux qui font la pornographie, via
le phénomène des “porn studies” »,
résume Marie-Anne Paveau, pro-
fesseur en sciences du langage à
l’université de Paris XIII et auteur
du Discours pornographique (La
Musardine). Le sexe est bel et bien
entré à l’université. « Les “porn stu-
dies” sont nées à la fin des années
1980 dans un contexte particulier :
celui du féminisme américain, Lin-
da Williams et Andrea Dworkin
en tête », précise l’universitaire.
Si le sujet « intéresse aujourd’hui
nombre de jeunes chercheurs »,
note Marie-Anne Paveau, c’est que,
comme le relève une autre univer-
sitaire, Iris Brey (NYU Paris), « le
porno devient un objet discursif
qui englobe les questions raciales,
féministes et infuse notre société ».
« Triomphe de la culture porn »?
Dans la moiteur de l’été, le très
stylé GQ n’hésitait pas à sortir un
épais dossier sur ce thème, « parce
qu’on assiste à une extension du
domaine du porno, bien au-delà de
sa consommation privée sur inter-
net », remarque Emmanuel Poncet,
rédacteur en chef. « Lorsqu’on est
trentenaire, qu’on bosse dans un
tertiaire un peu moderne et qu’on
n’a aucune culture porno, on passe
pour un tendron échappé du Cou-
vent des Oiseaux, quelqu’un d’un
peu bizarre », s’amuse Thibaut Fer-
rali, directeur du planning straté-
gique chez Herezie. Chez les poli-
tiques aussi, le porno semble avoir
supplanté le rap dans les signes ex-
térieurs de coolitude : le très « pre-
mier de la classe » Laurent Wau-
quiez ne déclarait-il pas, en 2013,
« aller sur You Porn, comme tout le
monde » ? Petit coquin.
« Merciqui ? »Boucles blondes ché-
rubiques, Stephen des Aulnois
est l’un des hérauts de cette porn
culture, « plutôt comprise par les
moins de 35 ans, qui n’ont pas
besoin de sous-titre lorsque, par
exemple, on cite “Merci qui ?”, le
leitmotiv de Jacquie et Michel [site
de vidéos porno français]». Il y a
cinq ans, le jeune homme fonde
le site Le Tag parfait, avec, dans
la démarche, quelque chose qui
ressemble à une quête d’absolu :
« l’utopie de la vidéo idéale, qui
corresponde précisément à notre
envie à un moment donné ». Rien de
Père-la-pudeur dans la ligne édi-
toriale : « Ne pas aborder le porno
comme un cinéma bis, mais comme
un objet d’excitation. »
Le site, qui jouit d’une flatteuse
image médiatique, avec des sujets
dans l’esprit du journalisme gon-
zo comme « Ma première finition
dans un salon de massage », at-
teint « 200 000 à 300 000 visiteurs
uniques » par mois, selon son fon-
Lefilm«Love»deGaspar
Noé,sélectionnéàCannes,
montredesscènesdesexe
nonsimulées.
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