juillet 2014
vers un lieu
des mobilités
Étude de définition D'UN DISPOSITIF
de soutien à l'innovation dans
le domaine des nouvelles mobilités
Juillet 2014 - Ademe2
Avant-propos
La crise financière et la prise de
conscience écologique ont modifié
l’approche collective de la mobilité. La
voiture est remise en cause dans son
usage traditionnel. Les investissements
publics en infrastructures sont
questionnés. Le modèle économique
du transport collectif montre ses limites
en dehors des zones très denses.
Comment se déplaceront les 7 milliards
d’habitants à l’avenir ?
L’enjeu n’est plus seulement d’améliorer
les moyens de déplacement mais de
permettre à tous de mieux se déplacer.
La ville 2.0. a un potentiel immense
pour changer radicalement la manière
dont se conçoit la mobilité. À la
planification et aux transformations
urbaines se substituent des modes
d’optimisation des ressources et
infrastructures existantes. Des solutions
de “dé-mobilité” (travail et études à
distance, livraison, organisation des
temps...) se créent pour réduire,
potentiellement, l’empreinte de nos
déplacements. Certaines entreprises
agissent désormais à la source, en
modifiant l’organisation de leurs
activités, pour moins se déplacer tout
en améliorant leur coeur de métier.
Les nouvelles plateformes numériques
conquièrent des positions dominantes
dans l’“aval de la relation” entre le
voyageur et les acteurs de la mobilité.
Des services comme Uber ou Blablacar
proposent une offre abondante et peu
coûteuse à produire. D’autres
applications font appel aux contributions
volontaires des voyageurs pour recueillir
et diffuser leurs données de
déplacements. Demain les automobiles
connectées entreront dans la sphère
d’influence de ces géants du numérique,
de la construction à l’usage quotidien.
Non seulement ces plateformes tissent
de nouvelles relations avec les usagers
mais elles permettent également par les
assistants personnels de mobilités
(smartphone) qu’elles utilisent, de créer
de nouvelles connaissances sur les
pratiques et les usages de transport
qu’aucun acteur historique n’est capable
de produire.
Ces innovations n’ont pas été mises sur
le marché par les acteurs de la filière
automobile. Les fondateurs de Waze ne
viennent pas de la cartographie. Ceux de
Blablacar ne viennent pas de
l’automobile. Ce sont des entreprises
technologiques qui utilisent le
Juillet 2014 - Ademe3
Avant-propos
numérique pour atteindre rapidement
une taille mondiale. En 2004, 3 500
personnes s’inscrivaient sur Blablacar.
Aujourd’hui elles sont 3 500 par jour
dans plus de 10 pays. Waze est passée
d’1 à 70 millions d’utilisateurs en 5 ans.
Le succès de ces entreprises relève de
modèles d’innovation, de financement
et de croissance radicalement différents
de ceux rencontrés dans l’industrie et les
services. Basés sur un accès rapide au
marché, ils privilégient la recherche de
modèles d’affaires permettant une
croissance à coût marginal réduit
(scalabilité). Ces modèles s’appuient sur
le dynamisme de nouvelles entreprises,
appelées startups, qui se créent aussi
rapidement qu’elles disparaissent. Ces
startups évoluent dans un univers très
différent de celui des industriels
traditionnelles, avec leurs propres
infrastructures (matérielles et
immatérielles), financements et des
débouchés.
La filière des mobilités se retrouve ainsi,
malgré elle, dans un nouvel écosystème
numérique qu’elle connaît mal et ne
peut maîtriser. Le secteur n’a pas encore
pris la mesure de ces nouveaux
modèles. Il devient urgent de
développer de nouveaux processus
opérationnels adaptés à tous les acteurs.
Interroger le “comment innover ?” -
processus, méthodes - et le “où
innover ?” - lieux, structures de soutien
et d’accompagnement. Une nouvelle
filière industrielle émerge. Elle
rassemblera les acteurs historiques des
transports (transports publics,
infrastructures, énergies) et de
l'automobile qui cherchent à concevoir
de nouvelles briques technologiques
pour un nouveau système de mobilité.
Elle rassemblera également des acteurs
issus du numérique ou encore de
l'économie collaborative. Cette filière
n'a pas conscience d'elle même, en
conséquence tous les acteurs ne sont
pas synchronisés et les projets
s'engagent à la marge. Le risque à
l’inaction est grand car de nouveaux
acteurs concoivent aujourd’hui de
nouvelles relations avec les usagers.
L’objectif de la présente démarche est
de rendre cet écosystème réflexif (être
capable de réfléchir sur soi-même)
pour lui permettre d'accélérer
l'innovation, d'être conscient et
d'incarner cette nouvelle filière
industrielle créatrice de valeurs et
d'emplois.
Juillet 2014 - Ademe4
Comment - et avec qui - favoriser
l’innovation dans les nouvelles mobili-
tés ? Quel peut être le rôle de l’action
publique ? Celui de l’Ademe ?
S’appuyant sur les dynamiques
entreprenariales issues des 2 jours du
séminaire Mobilites Mutations, l’Ademe a
lancé une étude de définition d’un
nouveau dispositif de soutien à
l’innovation dans le domaine des
nouvelles mobilités.
La démarche retenue est inductive. Une
quinzaine d’entretiens semi-directifs ont
été réalisés. Le choix s’est
majoritairement porté sur des acteurs
hors du secteur traditionnel de
l’automobile, de tailles et de situations
variables : startups, structures de
soutien, grandes entreprises impliquées
dans l’écosystème, experts de
l’innovation. L’objectif n’était pas de
bénéficier d’un panorama global des
moyens dédiés à l’innovation, mais d’un
retour d’expériences sur le système.
L’innovation vue par les gens qui la
côtoient et la pratiquent au quotidien
pour mieux esquisser les contours de ce
nouveau dispositif.
Cette étude a été réalisée
pour l'Ademe par 15marches,
agence de conseil en stratégie
et innovation
Avant-propos
Agence conseil en stratégie
et marketing des services
74, rue Ange Blaise
35000 Rennes
06 17 18 03 71
info@15marches.fr
www.15marches.fr
Juillet 2014 - Ademe5
Avant-propos
Entretiens réalisés dans le cadre
de l’étude
Consultants :
Olivier EZRATTY (consultant)
Philippe MEDA (Merkapt)
Stéphanie BACQUERE (Node-A)
Structures d’accompagnement :
Nicolas COLIN (The Family)
Paul RICHARDET (Numa)
Startups :
Louis CHATRIOT (Local Motion)
Nicolas JAULIN (Pysae)
Transports :
Éric POYETON (Volvo et P.F.A.)
Mickael DESMOULINS (Renault)
Guillaume USTER (IFSTTAR)
Romain LALANNE (SNCF)
Grands groupes :
Arnaud MICHARD (Bouygues Telecom)
Romina STROYEMEYTE (Gemalto)
Acteurs publics :
Benoît JEANVOINE (BPI)
Romain LACOMBE (Etalab)
Raphael SUIRE (Université Rennes-1)
P.44
P.47
P.52
P.57
P.64
P.73
P.79
P.82
P.89
P.93
P.98
P.103
P.109
P.114
P.118
P.121
Juillet 2014 - Ademe6
INTRODUCTION
Le sentiment d’accélération du rythme
d’innovations ces dernières années
impose aux organisations en place de
réagir. Le succès foudroyant de startups
- souvent étrangères - interroge sur les
ingrédients et les modèles mis en
oeuvre par celles-ci. La manière dont
elles interagissent avec leur écosystème
en particulier est souvent décisive. La
question posée : “quel est le meilleur
dispositif pour soutenir l’innovation ?“ a
souvent été reformulée par nos
interlocuteurs en : “comment
développer une véritable culture de
l’innovation dans les entreprises et
organisations ?” et “comment faciliter
l’émergence d’innovations de rupture
au sein et autour de ces
organisations ?”.
Les personnalités interviewées pour
cette étude apportent un regard sans
concession sur les dispositifs de soutien
existants. Elles les considèrent
globalement comme peu adaptés aux
nouveaux enjeux économiques, car
trop orientés vers la recherche et les
innovations technologiques.
Ces changements profonds nécessitent
dans un premier temps de définir ce
que l’on entend par “innovation” à l’ère
numérique, et dans quel
environnement économique et
entrepreunarial elle se développe
aujourd’hui.
Nous détaillerons ensuite les
recommandations émises : ce qu’il ne
faut pas (plus) faire dans le domaine de
l’innovation et ce qu’il est recommandé
d’améliorer.
La dernière partie visera à esquisser sur
ces bases un projet d’intervention pour
l’Ademe dans le champs des nouvelles
mobilités.
[N.B. : les spécialistes de l’économie des startups peuvent
sauter la première partie et passer directement à la partie
2]
Juillet 2014 - Ademe7
plan détaillé
Partie I
Comprendre l’innovation
à l’ère numérique
1. Innover aujourd’hui
2. Entreprendre dans l’économie
de l’innovation
3. Favoriser le “gâchis utile”
et la capitalisation des erreurs
Partie II
Comment soutenir
l’innovation aujourd’hui ?
1. Ce qu’il ne faut pas (plus) faire
2. Ce qu’il faudrait faire : de bonnes pratiques
et des idées pour avancer
Partie III
Créer une “Vallée des Mobilité”
1. Favoriser l’innovation “out of the box”
2. Révéler et faire vivre l’éco-système
3. Donner des permissions plutôt que des moyens
ANNEXE : Entretiens réalisés
P.8
p.19
p.31
p.43
partie I
Comprendre l’innovation
à l’ère numérique
Quelles sont les innovations qui peuvent
changer la donne en matière de nouvelles
mobilités ?
Comment les entreprises et organisations
font-elles pour les développer ?
• Innover aujourd’hui
• Entreprendre dans l’économie de l’innovation
Juillet 2014 - Ademe9
partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique
1 / Innover aujourd’hui
1.1. Définitions
Le rapport Manceau-Morand de 2009
Pour une nouvelle vision de
l’innovation, (dit rapport Manceau-
Morand), propose la définition suivante :
“l’innovation est l’exploitation de
nouvelles idées dans de (nouveaux)
produits et services, de nouveaux
modèles économiques et de nouvelles
manières de travailler”.
Le rapport souligne le décalage entre
une vision macro-économique de
l’innovation, très centrée sur les brevets
et la RD, et la pratique des entreprises.
Confondre innovation et RD est un
premier écueil à éviter. Par exemple 50%
des entreprises n’ont pas de RD, ce qui
ne les empêche pas d’innover. Celles qui
en ont la combine avec de nombreuses
autres disciplines : le développement, le
design, l’organisation, le marketing, le
management,...
Surtout, l’innovation ne créé de la valeur
qu’en cas de succès commercial :
“l’innovation a vocation à être adoptée
par les utilisateurs, clients, employés, et
doit donc avoir un marché” (rapport
Manceau).
1.2. Approches
L’innovation combine
schématiquement deux approches
du marché :
• l’innovation par la technologie
(technology push), qui peut se
résumer par la question : “j’ai une
solution, où est le problème ?” Le
marketing doit contribuer à trouver
une application de la solution qui
réponde à une attente du marché.
• l’innovation par les usages (market
pull) : “vous avez un problème, quelle
est sa solution ?”. Le marketing
constate une insatisfaction des clients.
Les services de RD (ou autres)
travaillent ensuite à l’élaboration d’un
produit qui résoud le problème ou le
manque perçu.
L'innovation a vocation à être adoptée
par les utilisateurs, clients, employés,
et doit donc avoir un marché
Juillet 2014 - Ademe10
partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique
1.3. Innovation de rupture
ou incrémentale
L’innovation dite “incrémentale” s’inscrit
dans la continuité de l’existant et porte
sur des marchés connus. L’innovation
“de rupture” révolutionne un secteur ou
un usage, et s’attaque souvent à des
marchés nouveaux et peu connus.
Exemples : un bus hybride est une
innovation incrémentale, tandis qu’un
service comme Uber ou Blablacar est
une innovation de rupture. La
plateforme ouverte de construction
automobile OS Vehicule sera une
innovation de rupture si elle trouve son
marché.
L’innovation de rupture n’est pas
nécessairement plus performante ni
plus coûteuse que l’innovation
incrémentale, mais elle résoud de
manière différente le problème des
utilisateurs. Lorsqu’elle trouve son
marché, elle génère par la suite de
nombreuses innovations
incrémentales : tarifs, design, usages,...
1.4. Innovation et nouvelles mobilités
Pour réduire l’impact de la voiture,
développer massivement tous les
modes de transport et la multimodalité,
améliorer l’existant ne suffira pas.
L’exemple de mutations profondes de
certains secteurs - medias, loisirs,
commerce - démontre la puissance des
innovations portant sur les nouvelles
modèles d’affaires et d’intermédiation.
“L’innovation, dans un monde ultra-
connecté, devient continue,
écosystémique, agile, protéiforme et
parfois militante. Des marchés entiers se
reconfigurent autour de nouvelles
plates-formes qui favorisent à leur tour
de nouveaux modèles économiques, de
nouvelles formes de consommation”
indique Daniel Kaplan, dans un article
du Monde daté du 30 mai 2013. Les
nouvelles mobilités, en changeant le
rapport entre l’offre et la demande de
déplacements, portent en elles le
changement écosystémique attendu. La
place des acteurs existants
(constructeurs automobiles,
collectivités, transporteurs,...) est remise
en cause par des plateformes comme
Waze ou Blablacar qui “font levier de la
multitude” (N.Colin et H. Verdier dans
l’Âge de la Multitude).
L'innovation de rupture résoud
de manière différente les problèmes
des utilisateurs
Juillet 2014 - Ademe11
partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique
1.5. La nécessité de changer le soutien
à l’innovation
Les pouvoirs publics ciblent (et
financent) principalement les
“inventions” issues de la recherche,
portées par des grandes entreprises. Les
PME ne bénéficient que de 12% des
crédits européens. Les indicateurs
utilisés pour évaluer le retour sur
investissement, notamment le nombre
de brevets, sont jugés obsolètes (rapport
Manceau). Que vaut un brevet si le
produit qu’il protège n’est pas adopté
par ses utilisateurs ?
“Le nombre de brevets n’est pas
l’indicateur. Mieux vaut lui préférer le
nombre de produits et services qui
atteignent leur marché” (Stéphane
Bacquere, co-fondatrice de Node-A, un
cabinet spécialisé dans les méthodes
collaboratives).
L’aide publique à l’innovation
n’encourage pas non plus la recherche
de modèles innovants : “Par habitude,
par facilité, par conviction parfois, ils (les
pouvoirs publics) privilégient d’une
manière presque exclusive des projets
dont l’innovation technologique
constitue le principe directeur (...) et tout
ce qui sort des clous, les idées en
rupture, les “simples” innovations de
service ou de modèle d’affaire, leur reste
invisible” (Daniel Kaplan in Le Monde,
précité). Conséquence pour les
nouvelles mobilités : pas ou très peu de
crédits pour étudier les comportements
et l’usage des services, pour améliorer le
marketing des transports alternatifs ou
encore tester de nouveaux modèles
économiques et sociaux. Il est
significatif que les innovations qui
émergent dans ce domaine ne viennent
pas de la filière des déplacements, mais
de l’extérieur.
Il ne s’agit pas pour autant de
sélectionner a priori les innovations de
rupture. “Dans les entreprises toute
innovation est bonne (...) Il serait peu
productif de se concentrer sur quelques
projets dont le succès est toujours
impossible à évaluer a posteriori”
(rapport Manceau-Morand).
L’enjeu est de générer un flux
d’innovations vers le marché, qui fera le
tri. C’est le modèle de l’économie
moderne de l’innovation, portée par un
“véhicule”, la startup.
Que vaut un brevet si le produit qu'il protège
n'est pas adopté par le marché ?
Juillet 2014 - Ademe12
partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique
2 / Entreprendre
dans l’économie
de l’innovation
2.1. Il n’a jamais été aussi facile
de se lancer
“Je n’ai pas peur de mes concurrents,
j’ai peur du type dans son garage en
train d’inventer la prochaine révolution”
(Bill Gates). Google, Apple, Amazon,
Facebook, AirBnb,... ne sont pas issus de
dynasties industrielles. Ces géants
d’aujourd’hui ont été fondés par des
particuliers avec de faibles moyens.
Les barrières à l’entrée n’ont jamais été
aussi basses pour aller de l’idée au
business d’autant que, précisement, de
nombreuses start-up travaillent pour
baisser ces barrières. Les technologies
et pratiques liées au numérique
permettent désormais de lancer des
produits et services à très grande
échelle pour des coûts modiques et
essentiellement variables.
Tout est réuni pour libérer les
“créateurs” des contraintes matérielles
traditionnelles afin qu’ils puissent se
concentrer sur leur produit et leur
marché.
Ce qui a changé :
• créer un premier site web ou une
application mobile représente un
investissement modique,
• des millions de fichiers et “briques”
de programmes informatiques sont
accessibles gratuitement en ligne
• des services dans le “cloud”
fournissent capacités de stockage,
machines virtuelles, bases de
données,...à la demande et sans
investissement
• les imprimantes 3D permettent de
prototyper et fabriquer des objets à
partir de simples PC
• elles sont accessibles au sein
d’ateliers de prototypage et de
fabrication (fablabs)
• des “usines à louer” permettre de
faire fabriquer et livrer des produits
en petites quantités avec une simple
carte bleue
• la méthode “lean” appliquée à
l’entrepreunariat est enseignée et
diffusée très largement : lean startup,
customer development, business
model canvas,...
• les techniques de marketing
numérique offrent des solutions
efficaces pour toucher rapidement
un grand nombre d’utilisateurs.
Juillet 2014 - Ademe13
partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique
2 / Entreprendre
dans l’économie
de l’innovation
2.2. Startups et grandes entreprises
ne sont pas égales face
à l’innovation
Les startups ne sont pas que des
industries low cost. Elles développent
également des modèles d’innovation
singuliers basés sur la recherche de
croissance.
Une startup n’est pas une PME ni une
entreprise technologique. Selon Steve
Blank, investisseur de la Silicon Valley,
une startup est une “organisation
temporaire, conçue pour rechercher
un modèle d’affaires répétable et
“scalable” (= qui peut passer à l’échelle
à un coût marginal faible). Les startups
auraient donc vocation à...ne plus
être des startups. Soit elles trouvent
leurs modèles et deviennent alors des
entreprises traditionnelles chargées
d’exécuter le modèle. Soit elles ne le
trouvent pas et disparaissent.
Une entreprise qui créé un logiciel
en espérant qu’il soit adopté dans le
monde entier est une startup. Une
entreprise de conseil en stratégie
comme 15marches, même spécialisée
dans le numérique, n’en est pas une.
Pour toute ces raisons, les (vraies)
startups sont les “têtes chercheuses”
de l’innovation, dédiées entièrement
à la recherche de nouveaux produits
et nouveaux marchés. Et les autres
entreprises ?
“La manière de travailler des grandes
entreprises n’est plus adaptée au
monde d’aujourd’hui” (Stéphanie
Bacquère). “Les grandes entreprises ne
savent pas faire de modèles innovants
de type web ou startup” (Paul Richardet,
chargé de mission au NUMA). On leur
reproche principalement leur manque
d’agilité et leur éloignement du marché.
Une startup est une organisation temporaire
conçue pour rechercher un modèle d'affaires
répétable et scalable
Juillet 2014 - Ademe14
partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique
Ceci expliquerait que beaucoup
d’innovations découvertes par ces
grandes entreprises sont mises sur le
marché par d’autres.
La réalité est moins manichéenne. Les
techniques mises en oeuvre dans les
startups sont désormais enseignées
dans les écoles d’ingénieurs et de
management. Le Numa organise de
nombreux évènements et ateliers
qui rassemblent startups et grandes
entreprises. Des consultants spécialisés
comme Node-A ou Philippe Meda
aident les grandes entreprises à
travailler “comme des startups”.
2.3. Une économie hautement
spéculative
Pour que quelques innovations
réussissent, il est indispensable d’en
initier un très grand nombre. Comme
dans les industries créatives - cinéma,
musique, mode -, le succès est souvent
lié au hasard. Son coût est lissé en
finançant de nombreux échecs par
quelques best-sellers. Il serait “peu
productif de concentrer ses efforts
sur quelques projets dont le succès
est toujours impossible à évaluer
a posteriori” indiquait le rapport
Manceau.
L'économie des startups se caractérise
par le foisonnement, la prise de risque et
le lien avec le marché.
Le cycle de vie d’une startup suit celui
des idées qu’elles portent : génération,
conception de prototypes, améliorations
et pivots, puis lancement. Le schéma
suivant présente l’environnement de vie
de la startup.
Durant la première phase d’ “amorçage”,
les startups sont encore à l’état d’idées.
Elles sont portées par des étudiants en
fin de cycle, des salariés ou ex-salariés,
des freelances,... Des évènements
comme les Bootcamps, les Startups
Weekend ou les hackathons permettent
à ces personnes de se rencontrer et
de travailler ensemble, le temps d’une
soirée ou d’un week-end. Des lieux
spécialisés comme les espaces de
coworking favorisent également les
contacts et les liens entre personnes
désireuses de se lancer. Il n’est pas
rare de “recruter” des membres de son
équipe dans ces lieux.
Le financement à ce stade est
essentiellement du “love money” (argent
personnel ou familial), et pour beaucoup
les allocations chômage perçues à titre
individuel. Les coûts sont minimes, mais
les revenus inexistants.
Juillet 2014 - Ademe15
IPO : Initial Public Offer
introduction en bourse
LOVE MONEY : argent
personnel (famille,...)
Juillet 2014 - Ademe16
partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique
La phase suivante est l’admission dans
un accélérateur type Numa ou Le
Booster à Rennes. Certaines structures
sont associatives, d’autres privées, ce
qui leur permet de prendre une part
du capital des sociétés admises en
contrepartie des prestations fournies.
Les dossiers sont sélectionnés selon les
exigences propres à chaque structure.
Les prestations fournies sont variées
et dépendent de la qualité/notoriété
de la structure : hébergement
(pas systématique ni obligatoire),
accompagnement par des experts
salariés ou des prestataires, formations
(ateliers, conférences,...), networking
(selon les lieux : local ou international)
et “partage de culture” avec de
nombreux évènements et animations.
Le Camping à Paris par exemple
octroie une “bourse” de 4500€ à
chaque startup en échange de 3% de
leur capital, ainsi que 80 heures par
semaine de mentoring en design,
business et technologie, 10 heures
de consulting avec des spécialistes
juridiques et fiscaux, des locaux ouverts
24h/24 et 7 jours/7. L’équivalent de “120
K€ de prestations par session”.
Durant cette période, les startups
essaient à la fois de concevoir leur
produit/service et le tester auprès de
leur marché. Beaucoup pratiquent la
méthode du lean startup, qui consiste
à itérer son “produit minimum viable”
(une sorte d’ébauche du produit final
détenant les principaux éléments
de la proposition de valeur) avec le
marché (clients réels). C’est la fameuse
“recherche de modèle” qui caractérise
les startups. Les itérations conduisent
à l’acquisition d’une connaissance fine
du marché, et amènent le plus souvent
la startup à “pivoter”. Ce terme signifie :
changer de cible (segment de clientèle),
ou de problème à résoudre, ou les
deux.
80 % le nombre de startups qui développent
un produit différent de celui pour lequel
elles sont lancées.
Juillet 2014 - Ademe17
partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique
Beaucoup disparaissent à ce stade,
ne parvenant pas à trouver dans un
temps limité la bonne solution au bon
problème, ni des revenus suffisants
pour financer la suite.
Les besoins de fonds d’une startup sont
très différents de ceux d’une entreprise
“classique” : le besoin de fonds au
départ - la phase de recherche - est
faible, mais il est plus élevé une fois que
le “produit minimum viable” a été validé
auprès du marché. Cet investissement
est d’autant plus crucial que la rapidité
d’exécution au moment du “passage
à l’échelle” est la clé sur ce type de
marché.
La plupart vont chercher des
financements externes en ouvrant leur
capital à des investisseurs spécialisés,
les business angels (phase d’amorçage
/ accélération) et les capital-risqueurs
(phases d’incubation et ultérieures).
Ces investisseurs évaluent les dossiers à
l’aide d’un mix de données (expérience
de l’équipe, analyse du marché...),
d’intuitions et de prise de risque. Les
demandes étant très nombreuses (un
grand fonds de la Silicon Valley voit
plusieurs milliers de “pitchs” par an),
mieux vaut se faire repérer au préalable.
Les évènements comme les concours
ou présentations publiques de startups
permettent d’acquérir une notoriété.
En France, environ 4 000 startups
“pitchent” chaque année devant des
investisseurs. 200 seront retenues
soit 5% à peine (source : France
Digitale). Entre 0 et 2 seront introduites
en bourse chaque année. Les plus
chanceuses seront rachetées par de
grands groupes ou des startups mieux
dotées : exemple de La Fourchette,
achetée 100 millions d’euros par
TripAdvisor, elle-même propriété
d’Expedia. La plupart cependant
disparaîtront ou changeront d’activités :
“elles deviennent de mauvaises agences
web qui travaillent pour de grandes
comptes, avec un chiffre d’affaires
balbutiant” (Nicolas Colin, co-fondateur
de The Family).
Philippe Meda estime qu’ “un
investisseur doit avoir environ 200
startups dans son portefeuille pour être
rentable”. Un accélérateur comme The
Family vise les 400 startups.
à peine 5% des startups qui en font la
demande sont financées par le capital-risque
Juillet 2014 - Ademe18
partie 1 / Comprendre l’innovation à l’ère numérique
3 / Favoriser le “gâchis
utile” et la capitalisa-
tion des erreurs
Favoriser l’innovation nécessite par
conséquent d’encourager la création
et le développement de startups,
en sachant que la quasi-totalité
échoueront économiquement parlant.
L’intérêt des structures
d’accompagnement est ailleurs :
• tout d’abord, aider à l’émergence des
idées et à la constitution d’équipes à
même de les mettre en oeuvre
• ensuite, faciliter le prototypage et le
test des produits créés,
• aider la startup à faire évoluer ses
produits et son approche des marchés
visés (on parle de “pivots”)
• capitaliser les erreurs dans des
modules de formation
Enfin, et ceci a été longuement
souligné par nos interlocuteurs, les
projets qui échouent génèrent de
nombreuses externalités positives -
capacité à l’entreprenariat, données
collectées, retours d’expérience,
innovations incrémentales,... - qu’il
appartient de valoriser et diffuser.
Un échec n’est jamais inutile et peut
aboutir à des idées ou des projets
d’innovations ultérieurs.
L’enjeu est par conséquent d’organiser
la diffusion des enseignements
au cours de la vie des startups et
lorsqu’elles se transforment ou
disparaissent. À la fois pour renforcer
les chances des autres startups et pour
enrichir l’ensemble de l’écosystème au-
delà des startups.
Ces besoins dessinent les contours de
la structure attendue.
Valoriser et diffuser les externalités positives
partie 2
Comment soutenir
l’innovation aujourd’hui ?
• Ce qu’il ne faut pas (plus) faire
• Ce qu’il faudrait faire : des bonnes pratiques
et des idées pour avancer
Juillet 2014 - Ademe20
Avant de faire il faut parfois défaire. Pour les personnalités interrogées, il est
important dans un premier temps de “ne pas refaire ce qui ne marche pas”.
La structure de soutien à l’innovation se définit ainsi pour partie en creux,
en évitant les pièges rencontrés par d’autres.
Les entretiens ont également mis en évidence les bonnes pratiques
qui favorisent une innovation ouverte, distribuée et qui profite à l’écosystème.
Cet ensemble - ce qu’il faut faire et ne pas faire - jette les bases du futur
Lieu des Mobilités, creuset d’une nouvelle culture de l’innovation
dans les nouvelles mobilités.
partie 2 / Comment soutenir l’innovation
aujourd’hui ?
ne pas faire faire
1 / Sélectionner un projet selon :
• Ses chances préalables de succès
• Uniquement son apport
technologique
• Son absence de danger pour
les sortants
1/ Développer une culture
de l'innovation
2/ Sélectionner les projets
qui n'ont pas leur place ailleurs
2 / Considérer les startups comme :
• Des entreprises comme les autres
• Des sous-traitants des grands groupes
3/ Concentrer les services pour libérer
les créateurs
3 / Faire survivre trop longtemps
des projets qui n'ont pas prouvé
leur viabilité
4/ Créer des connexions
4 / Créer des lieux vides
5/ Donner des terrains de jeux
matériels et immatériels5 / Abandonner la startup
dans la Vallée de la Mort
Juillet 2014 - Ademe21
partie 2 / Comment soutenir l’innovation
aujourd’hui ?
1 / Ce qu’il ne faut
pas (plus) faire
1.1 Sélectionner un projet selon
ses chances préalables de réussite
De nombreuses structures de soutien
se félicitent d’avoir un “taux élevé
de survie des startups après 5 ans”.
Ce critère signifie sans doute que la
structure a bien fait son travail. Mais
il peut aussi signifier que la sélection
en amont a privilégié des solutions
sans risque : anticipant des tendances
déjà identifiées, pouvant être lancées
rapidement, déjà bien documentées et/
ou qui portent sur des marchés connus.
Il n’appartient pas à cette étude de
questionner l’opportunité des pouvoirs
publics à soutenir ce type d’innovation.
En revanche, ce ne sont pas ce type
d’innovations que la structure étudiée
souhaite soutenir.
1.2. Sélectionner un projet uniquement
pour son apport technologique
C’est le principal reproche entendu
au sujet des pôles de compétitivité
et des programmes comme les
Investissements d’Avenir.
La RD et la conception de produits
technologiques bénéficient déjà de
nombreuses structures et financement
en France. En trustant la quasi-totalité
des aides, elles défavorisent à l’opposé
les solutions plus risquées et moins
connues des organes de tutelle. C’est
le sens de la tribune écrite par Daniel
Kaplan et citée plus haut. Le reproche
fait au système n’est pas de financer
la RD technologique, il est de ne
financer que la RD technologique
(voir plus haut 1.1.).
B. Jeanvoine (BPI) : “Une société
comme Blablacar a été aidée à son
démarrage, mais uniquement sur le
volet technologie, pas sur le service”.
La société s’est ensuite tournée vers
des investisseurs privés étrangers
pour financer son développement :
étude des comportements, marketing,
commercialisation, relation-client et
développement international.
1.3. Sélectionner les startups selon
les mêmes critères que les autres
entreprises
Une startup est une “organisation
temporaire à la recherche de son
modèle économique”. Elle ne peut pas
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partie 2 / Comment soutenir l’innovation
aujourd’hui ?
être évaluée et jugée selon les mêmes
critères qu’une entreprise qui se lance
dans un secteur connu pour lequel les
données sont claires. “La difficulté est
que l’on nous demande de savoir où
on va à une période où on cherche
d’abord. Un business plan ne veut rien
dire lorsque l’on cherche son marché et
son modèle” (Stéphanie Bacquere).
Cela pose aussi la question de
l’expérience et la compétence des
personnes en contact avec les
startups : “si tu es salarié tu ne peux
pas t'occuper efficacement d'une
entreprise. Seul un entrepreneur peut
aider un entrepreneur” (Nicolas Colin).
“La nécessaire sélection darwinienne
des projets ne se fait pas dans des
réunions mais sur le terrain” rappelle-t-il.
1.4. Refuser un projet qui contrevient
à la stratégie des entreprises “en
place”
Bouygues Telecom Initiative soutient
les startups qui ont un lien avec ses
propres activités, même si ce lien n’est
pas nécessairement direct. Gemalto,
avec son Business Innovation Garage,
soutient les initiatives internes qui sont
en lien avec le plan stratégique de
l’entreprise. Ces démarches ne posent
aucun problème du moment où elles
concernent des structures clairement
rattachées à l’entreprise en question.
En revanche, “il ne faut pas qu’une
innovation de rupture soit bloquée
parce que n’entrant pas dans le plan
produit d’une entreprise” souligne
Éric Poyeton du Pôle de Compétitivité
LUTB. “Si l’on veut que la France soit
leader des solutions de mobilité, il faut
faire travailler ensemble des acteurs
y compris ceux qui peuvent craindre
de voir leur business ou leurs emplois
disparaître avec les changements à
venir” (ibid).
Ce reproche est apparu notamment
vis-à-vis de certains clusters où sont
présentes de grandes entreprises.
“Notre projet de startup innovante
dans les paiements n’a pas eu le
soutien de (la grande entreprise locale)
qui travaillait sur un projet similaire”
indique Raphael Suire, Maître de
Conférence à l’Université de Rennes-1.
Cette présence ne doit pas conduire
à limiter la capacité d’innovation des
startups.
Juillet 2014 - Ademe23
partie 2 / Comment soutenir l’innovation
aujourd’hui ?
1.5. Considérer que les startups sont de
simples sous-traitants des grands
groupes
“Une startup (BtoB) a besoin de
contrats” rappellent Arnaud Michard de
Bouygues Telecom et Louis Chatriot
de Local Motion. Notre PDG souhaite
que l’entreprise travaille plus avec
des startups” détaille A. Michard. “Le
parrainage interne dont bénéficient les
startups de l’accélérateur de Bouygues
Telecom augmente leurs chances
d’avoir des contrats avec nous”.
Mais Benoît Jeanvoine de BPI rappelle
qu’il existe des blocages culturels dans
les grandes entreprises : “les mentalités
sont restées du type donneurs d’ordre
- sous-traitants”. Mickael Desmoulins
de Renault : “sur la partie amont, en
phase de recherche et développement,
il y a un intérêt pour les startups à
co-construire avec nous”. Aujourd'hui
l’entreprise n’est pas organisée pour
coopérer étroitement sur les phases
aval avec des startups. Pour travailler
avec le coeur de métier, il faut être “au
panel”, c’est à dire référencé dans les
circuits d’achat et de coopération”.
Nicolas Colin considère que les startups
n'ont pas intérêt à devenir sous-
traitantes des grands groupes : “La
politique d’achat des grands groupes
exploite une filière ultra-optimisée :
ce n’est pas favorable à l’innovation”.
Par ailleurs, “lorsque les startups
échouent, au lieu de recommencer
avec l’expérience : elles deviennent
de mauvais prestataires des grandes
groupes et n’innovent plus”.
1.6. Faire survivre trop longtemps des
projets qui n’ont pas prouvé leur
viabilité
“Le doublement des crédits ne fait
pas le doublement de l’innovation”
(Philippe Méda). “Au lieu de fermer
leurs boîtes et d’en recommencer
une autre avec l’expérience acquise,
les fondateurs restent enfermés à ce
stade intermédiaire” (Nicolas Colin). La
startup qui ne trouve pas son modèle
économique, pas de ressources propres
et/ou de financement doit disparaître
le plus tôt possible pour conserver
des moyens notamment financiers de
rebondir.
C’est pour cette raison notamment que
les programmes les plus recherchés (Y
Combinator aux USA, Numa à Paris) ont
une durée courte. Quelques semaines à
6 mois maximum suffisent pour trouver
un partenaire qui s’engagera à plus long
Juillet 2014 - Ademe24
partie 2 / Comment soutenir l’innovation
aujourd’hui ?
terme (ex. : capital-risqueur). Ensuite
ce sont les actionnaires de la startup
qui l’accompagnent dans les phases
ultérieures. Dans le cas contraire, les
fondateurs peuvent se joindre à un
autre projet, recommencer un autre
avec les enseignements du premier, ou
être embauché par des entreprises.
1.7. Créer un lieu “vide”
Thibault de Jaegher, de l’Usine Digitale,
estime à 350 le nombres de structures
identifiées d’aides à l’innovation. En
faut-il de nouvelles ? “Ne faites pas des
locaux + des gens + du Wifi, il y en a
déjà des dizaines qui ne donnent rien”
(Philippe Meda).
Les personnalités interviewées ne
contestent pas l’utilité d’un lieu, mais
considèrent que bien d’autres questions
doivent être examinées avant : “Créer
un lieu, pour quoi faire ? Avec qui ?
Les gens vont-ils jouer le jeu ou pas ?
Il y a un vrai risque de monter un lieu
vide” (Paul Richardet, NUMA). “Le lieu
est une boîte, l’important ce sont les
gens : ce sont eux qui inventent, qui
développent, qui adaptent. Le lieu n’est
que l’emballage des relations entre
acteurs et des interactions qui y ont été
négociées. Il faut d’abord travailler sur
le réseau avant de l’enfermer quelque
part” (P. Richardet).
Un autre risque est de réduire et
enfermer l’éco-système. Cette
réduction peut être liée à des critères
de sélection territoriaux : “Actuellement
les lieux sont financés par des acteurs
locaux qui défendent leur territoire. Ces
lieux ont l’obligation de travailler avec
des gens qui développent des emplois
sur place. Cela pose le problème des
compétences et des financements
dédiés et affectés.”(Guillaume Uster,
IFFSTAR).
1.8. Ne pas soutenir au bon moment
Actuellement se créent un nombre très
important de lieux et de structures pour
le early stage, le début de la vie d’une
start-up. “En France on ne manque
pas d’aides pour le démarrage, avec
les fonds d’amorçage comme BPI et
le réseau des Business Angels” (Benoît
Jeanvoine, BPI). En revanche pour la
phase suivante (les 3 ans qui suivent),
on manque de fonds. On a toujours
“la vallée de la mort” après l’amorçage
car nous n’avons pas de fonds dédié
pour cette phase”. Les startups qui ont
démontré que leur produit rencontrait
le marché doivent se développer
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partie 2 / Comment soutenir l’innovation
aujourd’hui ?
rapidement. Or, c’est à ce moment que
l’argent manque dans l’écosystème
français. “L’indicateur Chausson, qui
recense les sommes investies dans le
capital-risque en France, montre un
certaine stabilité alors que le nombre
de projets à financer augmentent
(...) Au moment où elles doivent se
développer on leur demande de faire
“preuve de raison” alors qu’en Israël
ou à aux USA elles bénéficieront de
soutien. C’est un problème européen”
note Arnaud Michard (Bouygues
Telecom). “Les startups françaises ont
un problème de sous-capitalisation”.
NB : la question spécifique
du financement des startups
en phase de développement
n’a pas été étudiée en détail
dans cette étude.
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partie 2 / Comment soutenir l’innovation
aujourd’hui ?
2 / Ce qu’il faut faire
2.1. Développer avant tout une culture
de l’innovation
Philippe Méda : “la notion de lieu est un
enjeu qui peut être traité à la fin car ce
n’est pas ce qui va faire la différence”.
”Ce n’est pas le lieu qui est important,
c’est la culture que tu mets dedans :
l’ambiance, la doctrine, la déco, la
configuration…” confirme Nicolas Colin.
“L’innovation c’est un état d’esprit, une
culture. Pas un lieu ou une structure”
(Olivier Ezratty). Éric Poyeton : “pour
innover sur la mobilité, il faut jouer sur
les compétences, les processus, mais il
faut aussi faire germer un état d’esprit
innovant et agile”.
2.2. Comment favoriser cette culture ?
Paul Richardet, du Numa : “Il faut créer
de l'envie, du besoin, une dynamique
interne et positive. C’est la matérialité
réelle et symbolique de l’écosystème
qui importe. Il faut d’abord travailler
sur le réseau avant de l’enfermer
quelque part”. Ne pas vouloir tout faire
et tout décider seul : “Qu’est-ce que
veut l’écosystème ? Il faut en avoir
une vision claire, identifier les acteurs
notamment les petits, ceux qui n’étaient
pas identifiés jusqu’alors et qui sont
peut être les pépites de demain. Créer
un espace pour les nouveaux entrants.”
La notion de culture est indissociable
de celle de l’écosystème qui la pratique.
“Un écosystème permet de faire
naître de nouvelles idées, les tester,
les accompagner et les protéger” (P.
Richardet, Numa). Sinon c’est “5 ans de
travaux et je décide tout tout seul”.
Pour cela, les structures développent
des animations, évènements,
différents formats de rencontres et de
partenariats. Par exemple le Camping à
Paris propose aux grandes entreprises
des formats d’accompagnement
sur la durée comme le Data Shaker
ou le parrainage de promotions de
l’accelérateur. Le Numa accueille aussi
plus de cent évènements par ans dans
Juillet 2014 - Ademe27
partie 2 / Comment soutenir l’innovation
aujourd’hui ?
ses murs, dont la moitié est laissée à
l’initiative de ses membres.
Grâce à cette culture partagée, la
génération de projets sera facilitée : “Il
faut créer un espace pour les nouveaux
entrants. Un écosystème permettant
de faire naître de nouvelles idées, les
tester, les accompagner et les protéger”
(Paul Richardet, Numa).
2.3. Sélectionner les projets qui n’ont
pas déjà leur place ailleurs
“Il faut permettre l’émergence
d’innovations hors du pipeline,
celles qui ne correspondent pas à
un lancement de produit proche et
pour lequelles nous ne bénéficions
pas ou peu de données” dit Philippe
Meda. Pour cela, il faut “faire une anti-
sélection de projets (...) refuser les
business as usual, les projets purement
technologiques (...) recommande-t-il.
La sélection des startups doit
encourager celles qui recherchent
de nouvelles manières d’accéder au
marché, de faire évoluer les usages,
les tendances, les réglementations.
“Il faut mettre en place des dispositifs
pour explorer des marchés qu’on ne
connaît pas et sur lesquels on a pas ou
peu de données (...) des dispositifs qui
mettent en évidence la partie délicate
et risquée : quand on ne sait pas où,
par qui et comment vont se construire
de nouveaux modèles économiques”
(Philippe Méda).
Pour cela il faut favoriser le
foisonnement et la prise de risque :
“Très souvent les startups ne sont
pas repérables et les bonnes idées
innovantes ressemblent à de mauvaises
idées au départ” indique Nicolas Colin.
2.4. S’appuyer sur des “connecteurs”
Olivier Ezratty, consultant et auteur
du Guide des Startups, souligne le
rôle des mentors dans les processus
d’innovation des startups. Ces mentors
peuvent être des consultants, des
experts indépendants ou des salariés
de grandes entreprises ou de startups
(c’est le cas par exemple de Louis
Chatriot de Local Motion).
Le mentor apporte son expertise sur
des domaines ou des phases précises
de développement. Les mentors
connectent les startups au marché,
notamment en BtoB. Pour les grandes
entreprises, c’est à fois donner et
apprendre : “Devenir mentor dans un
lieu externe aurait beaucoup de sens
pour nous” précise Mickael Desmoulins
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partie 2 / Comment soutenir l’innovation
aujourd’hui ?
de Renault. Dans la Silicon Valley les
mentors sont souvent des alumnis
(anciens des incubateurs) qui “rendent
ce qu’on leur a donné” en aidant les
startups (Louis Chatriot).
Au-delà des aspects matériels, la
connexion avec l’écosystème est
essentielle pour une startup. Arnaud
Michard de Bouygues Telecom
Initiative : “quand on est une startup
on ne connaît personne (...) au début
c’est hyper dur de rencontrer des gens”.
Nicolas Jaulin, fondateur de Pysae,
jeune startup de géocalisation : “dans le
transport il y a des grandes entreprises
et organisations : pas facile d’entrer
en contact avec la bonne personne; il
faut avoir des relations, ou gagner des
concours”. Un mentor peut mettre en
relation la startup avec des contacts
précieux pour elle.
“Rencontrer des mentors de l’industrie
a une double utilité : ils t’aident mais
ils peuvent aussi être clients de ton
produit en BtoB” (Louis Chatriot).
2.5. Concentrer les services pour
libérer les créateurs
Les créateurs de startups sont dédiés
à 100% au développement de leur
produit et à l’exploration de son
marché : ils n’ont ni le temps ni les
moyens de démarcher, se renseigner,
rechercher de l’information ou
accomplir des formalités. Ces tâches
doivent leur être facilitées. Nicolas
Jaulin : “nous aurions besoin d’un
guide clé-en-main, d’un guichet
unique à toutes les étapes”. Le Guide
réalisé par Olivier Ezratty est une aide
précieuse. Des “connecteurs” pourraient
également compléter le dispositif en
l’adaptant aux besoins spécifiques de
chaque startup.
C’est le principe développé par des
structures comme Y Combinator en
Californie, ou The Family à Paris. Plutôt
que de concentrer les entrepreneurs, ce
sont les ressources qui le sont : juristes,
experts, connecteurs, communiquants.
Ils sont accessibles à tous les “incubés”
en un même lieu. Des évènements
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partie 2 / Comment soutenir l’innovation
aujourd’hui ?
sont également organisés, dans les
murs - un dîner par semaine avec des
personnalités extérieures - ou hors les
murs, avec des tournées d’investisseurs
en Europe (Numa) ou dans la Silicon
Valley (The Family).
2.6. Donner des “terrains de jeux”
matériels et immatériels
Romain Lacombe (Etalab) : “l’innovation
a autant besoin de ressources que de
permissions et de possibilités”.
Les startups doivent pouvoir innover
dans tous les domaines, y compris
juridiques et modèles d’affaires.
Pour cela, des capacités de tests et
d'expérimentation sont essentielles. Il
peut s’agir de pistes d’essais techniques,
comme celles développées par le
Pôle LUTB, mais aussi de plateformes
technologiques, de données ou de
webservices. Le programme Paris
Région Lab met à disposition de 40
projets de mobiliers “intelligents” des
espaces publics et du mobilier urbain,
sur lequels les expérimentateurs
peuvent interfacer leurs prototypes.
Romain Lacombe (Etalab) propose que
les “quartiers numériques” soient aussi
ceux dans lesquels il serait possible
d’innover sur le mobilier urbain.
L’innovation a aussi besoin de “terrains
de jeux” juridiques. La récente actualité
sur le conflit taxis/VTC l’a souligné :
beaucoup de startups innovent sur les
aspects juridiques et modèles d’affaires.
Le soutien à l’innovation doit intégrer
des “permissions” de modifier ou
adapter ces règles afin notamment de
prendre en compte les capacités offertes
par la technologie : mise en relation
individualisées, personnalisation, temps
réel, désintermédiation.
Le statut particulier de la startup -
précarité, caractère éphémère - pose
également la question du statut
juridique de ses fondateurs. Raphaël
Suire (Université de Rennes-1) souligne
le manque de passerelles entre
l’université et l’entreprise. Les étudiants
qui portent un projet de startup pendant
leurs études n’ont plus de statut une fois
celles-ci achevées. Il faut “bricoler” des
conventions de stages.
Les terrains de jeux peuvent être
managériaux également. Chez Renault,
Mickael Desmoulins souligne le besoin
pour les salariés du groupe de disposer
de “terrains de jeux” neutres, “hors des
silos de l’entreprise”. D’où la création de
fablabs internes, ouverts aux membres
de l’entreprise.
Juillet 2014 - Ademe30
partie 2 / Comment soutenir l’innovation
aujourd’hui ?
2.7. Favoriser une nouvelle coopération
entre startups et grands groupes
Les entreprises ne doivent pas avoir
peur de travailler avec des startups.
Romain Lalanne (opendata SNCF)
indique que “beaucoup de grands
groupes ont peur de travailler avec
startups, car ils y voient un risque de
perte de compétitivité”. “Organiser
des rencontres entre agents SNCF
et startups a pu représenter un choc
culturel pour certains” au début, mais
la SNCF tire un bilan très positif de
sa collaboration avec Le Camping
(incubateur de Paris) : “travailler avec
des startups est une nouvelle façon
d’innover; on est sur un enjeu de
transformation en interne”.
2.8. Quel est le bon type de relations
entre grands groupes et startups ?
Pour Nicolas Colin, il existe deux façons
principales pour les grands groupes de
travailler avec les startups :
• les racheter, notamment celles
qui ont échoué : “cela permet de
faire entrer dans ton entreprise des
entrepreneurs exceptionnels, qui ont
une culture d’exécution très forte;
plutôt que d’investir dans les startups
au début, ce qui peut bloquer d’autres
actionnaires, N. Colin recommande
de les racheter “à l’arrivée pour y
faire entrer des managers que les
recruteurs n’auraient pas vu”
• mettre à disposition une plateforme
de ressources : créer des plateformes
de données et des webservices
permettant aux startups de créer des
applications; il s’agirait de plateformes
ouvertes à tous avec des conditions
générales, sans négociation de gré à
gré, à l’image des AppStores.
La culture de l’innovation appelée de
tous les voeux ne se fera pas sans des
changements profonds à tous les
niveaux de l’économie : changer les
mentalités, apprendre à coopérer, faire
confiance, libérer les initiatives et ouvrir
les ressources. Le “lieu” proprement dit
n’est qu’accessoire, même si il porte en
lui les symboles de ces changements.
partie 3
Créer une “Vallée
des Mobilités”
• Favoriser l’innovation “out of the box”
• Révéler et faire vivre l’éco-système
• Donner des permissions plutôt que des moyens
Juillet 2014 - Ademe32
partie 3 / Créer une “Vallée des Mobilités”
1 / Favoriser l’innovation
“out of the box”
1.1. Faire une “anti-sélection”
de projets
Le rapport Manceau-Morand (précité)
l’a rappelé : il serait illusoire de ne
prétendre sélectionner que les
“innovations disruptives”. Pour autant,
il serait vain de soutenir des “pseudo-
innovations”, qui ne font par exemple
que reproduire le passé en y ajoutant
de la technologie.
La sélection doit par conséquent
s’opérer d’abord par défaut, en
éliminant les projets qui apparaissent
comme de simples anticipations de
tendances, sur des marchés connus,
avec des capacités d’exploration limitées.
Trois éléments principaux sont pris en
compte dans la sélection d’un projet :
• l’équipe,
• le produit (ou l’idée de produit)
• le(s) marché(s) visé(s)
Ce n’est pas tant l’expérience de
l’équipe qui est recherchée que sa
capacité à “exécuter”: délivrer le produit
au marché. Nombreux sont les succès
venant d’entrepreneurs qui “n’avaient
jamais fait cela avant”. La qualité du
produit se définit elle par la manière
dont il est adopté par le marché, et par
ses qualités intrinsèques : simplicité,
rapidité, fonctionnalité,…La taille du
marché est à la fois le nombre de
clients potentiels et la capacité de
croissance.
Il n’y a pas de recette miracle pour “trouver le prochain Blablacar”.
En revanche, de bonnes pratiques permettraient de progresser dans la sélection,
l’accompagnement et le suivi des startups, augmentant leurs chances de succès.
Au-delà, ces pratiques permettraient de révéler une “autre vallée” qui s’ignore :
l’écosystème des nouvelles mobilités.
Nous proposons ici une esquisse de ce que pourrait faire une structure de soutien
à l'innovation dans les nouvelles mobilités.
Juillet 2014 - Ademe33
partie 3 / Créer une “Vallée des Mobilités”
La sélection prend en compte
également le “portefeuille” de projets
au sein de la même structure : éviter la
concurrence entre solutions, favoriser
les complémentarités et répartir les
risques.
Les modes de sélection des startups est
majoritairement le “pitch” : de courtes
présentations orales concrètes, allant à
l’essentiel. Elles visent à mettre en avant
les problèmes que le produit envisage
de résoudre, les avantages compétitifs
attendus et les premiers retours
du marché (personnes intéressées,
premiers clients, croissance). Avantage :
ces méthodes sont peu coûteuses et
ne nécessitent pas de passer par des
intermédiaires spécialisés.
1.2. Mettre en tension les projets
Une fois sélectionnée, la startup se
met au travail au sein de la structure.
La recherche du “product/market fit”
(adéquation entre un produit et un
marché) ne prend pas des années
lorsque l’entreprise est bien encadrée
et qu’elle pratique des méthodes agiles.
Quelques semaines suffisent à créer
un produit minimum viable et le tester
auprès du marché. Une fois le modèle
validé, le processus est plus long
mais les éléments sont réunis pour
progresser.
C’est pourquoi la méthode préconisée
privilégie des cycles courts (3 à 6 mois)
en phase de démarrage. Ces cycles
courts permettent de :
• limiter la consommation de
ressources
• itérer rapidement avec le marché, en
faisant évoluer son produit et/ou ses
cibles
• sélectionner les équipes à même de
“délivrer” leurs produits et cibler leurs
marchés
• privilégier la mort rapide des projets
(fail fast, fail often) pour “renaître”
avec de nouveaux projets, plutôt que
de perdre du temps et de l’argent
à développer des projets dont le
marché ne veut pas.
À la fin de cette période, les startups
doivent trouver des financements
auprès d’investisseurs spécialisés pour
continuer leur développement.
Juillet 2014 - Ademe34
partie 3 / Créer une “Vallée des Mobilités”
1.3. Former et accompagner
La formation et l’accompagnement des
entrepreneurs portent sur divers sujets :
• la veille sectorielle sur les marchés, les
solutions et les modèles
• l’apprentissage du travail en équipe
• la pratique des méthodes agiles de
conception, de test et d’itération
• l’aide au prototypage
• la recherche de marchés
• le customer development, le
marketing et la communication
• ...
L’accompagnement peut prendre
plusieurs formes : aide individualisée,
ateliers, conférences, visites et rendez-
vous externes avec des clients, des
investisseurs. Les formations peuvent
être structurées en sessions internes,
ouvertes au public ou partagées en
ligne (e-learning, MOOC). La proximité
des startups entre elles, permanente ou
temporaire (à l’occasion d’évènements
ou de formations) permet d’échanger
et de partager les savoir-faire.
L’accompagnement implique en
contrepartie pour la startup de rendre
compte sur les avancées des différentes
phases de développement et sur ses
orientations.
Cet accompagnement est dispensé
par des professionnels, salariés de la
structure, mais aussi par des mentors
et experts prestataires ou bénévoles.
D’anciens entrepreneurs apportent
expérience et relations à la structure.
1.4. Créer un guichet unique pour les
entrepreneurs
Les entrepreneurs ont besoin de se
concentrer sur ce qu’ils savent faire :
concevoir, développer et vendre
leurs produits. Les spécificités des
startups s’accomodent peu des
structures traditionnelles de soutien
à la création d’entreprise : formes
juridiques et pactes d’actionnaires
particuliers, problématique des levées
de fonds, importance de la propriété
intellectuelle,...
Or les ressources spécialisées
(juridique, comptables,...) sont rares
et souvent dispersées. Concentrer ce
type de ressources semble un moyen
efficace d’aider les entrepreneurs
aux différents stades de leur projet.
Certaines strucures proposent déjà
des packages de services : juridiques,
comptables, y ajoutant des aides pour
la communication ou le marketing
numérique.
Juillet 2014 - Ademe35
partie 3 / Créer une “Vallée des Mobilités”
2 / Révéler et faire vivre
l’écosystème
La particularité de l’écosystème des
nouvelles mobilités est qu’il n’entre
pas dans les limites prédéfinies d’une
filière ou d’un secteur industriel.
La première tâche d’une structure
dédiée à l’innovation sera de le
révéler, en connectant ses membres
pour exprimer le potentiel de leur
coopération.
2.1. Connecter
Une startup s’inscrit dans un triangle de
relations avec les grandes entreprises et
les investisseurs.
La startup a besoin de connexions avec
les entreprises présentes sur le marché
qu’elle vise (distributeurs, fournisseurs
d’accès, opérateurs téléphoniques,
transporteurs,...) ainsi qu’avec les
investisseurs pour être soutenue
financièrement.
En particulier, les “premiers pas” doivent
être favorisés pour les nouveaux
entrants dans l’écosystème : de
l’université à la startup (quel statut
pour les anciens étudiants ? quelles
connexions ?), de la startup vers les
grands groupes (quelles relations ?), des
grands groupes vers les startups (quels
contrats ?).
L’ouverture des grandes entreprises
et des PME vers les startups est une
des clés de voûte de cet écosystème.
Ni relation de sous-traitance, ni
concurrence, cette ouverture doit
profiter également aux deux parties
pour réussir l’innovation en matière
de nouvelles mobilités. La Silicon
Valley, souvent citée en exemple, se
caractérise par la proximité et la qualité
des relations entre grands groupes et
startups.
Il est essentiel enfin que ces trois
“points du triangle” soient reliés à
un écosystème qui inclut également
les mentors, les acteurs publics,
l’enseignement, la recherche,...
Une structure publique a un rôle de
facilitateur essentiel à y jouer.
Juillet 2014 - Ademe36
partie 3 / Créer une “Vallée des Mobilités”
2.2. Révéler
Les animations et évènements sont
indispensables pour connecter les
différentes parties prenantes de
l’écosystème : formations (voir plus
haut), conférences, ateliers, rencontres
avec des professionnels, des mentors,
anciens entrepreneurs et investisseurs.
Ils doivent être ouverts largement
pour attirer des publics non identifiés
au préalable comme faisant partie de
l’écosystème.
Ces animations doivent être co-
produites par les membres et
partenaires de la structure (grands
groupes), les mentors, et les
startups elles-mêmes. Cette co-
production garantit implication des
parties prenantes, pertinence et
renouvellement des sujets présentés.
Ces pratiques sont déjà mises en
oeuvre par certaines structures comme
le Numa à Paris. Elles posent cependant
la question de la capacité à dupliquer
ce type de schéma : les orateurs,
accompagnateurs, experts et mentors
sont des ressources rares; les grandes
entreprises qui y participent ne sont
pas représentées sur tout le territoire.
L’écosystème aujourd’hui est très
centralisé et ne semble pas pouvoir être
“transposé” facilement.
Juillet 2014 - Ademe37
partie 3 / Créer une “Vallée des Mobilités”
3 / Donner des permissions
plutôt que des moyens
Les acteurs rencontrés ont insisté
sur la nécessité de ne pas enfermer
l’innovation, mais au contraire de la
libérer. L’innovation est dans le hasard
et la sérendipidité. Elle ne se provoque
pas, elle se constate. Pour favoriser
le foisonnement des idées et leur
créativité, il faut proposer des accès,
des ouvertures, des autorisations de
faire. Les startups ont besoin aussi de
capacités de test de leurs solutions
pour faciliter leur prototypage. De
plus en plus de projets nécessitent
également l’accès à des données et des
services (cas du transport).
3.1. Proposer des “terrains de jeux”
Disposer d’un “terrain de jeux”
consiste à bénéficier de l’accès à des
fonctionnalités, des données, des
capacités de test,..appartenant à des
tiers ou la collectivité. C’est également
disposer de “permissions” temporaires
ou définitives permettant de s’affranchir
de certaines règles ou principes afin de
libérer l’innovation.
Cette notion de “terrain de jeu”
diffère de celle d’expérimentation.
L’expérimentation implique le plus
souvent un cadre strict en amont et une
destination fléchée des résultats en aval.
La formidable réussite des Appstores
d’Apple et Android démontre la
puissance de modèles où une
organisation ouvre à d’autres
ses fonctionnalités et facilite leur
réutilisation. L’entreprise qui ouvre sa
plateforme considère que la puissance
et la créativité de l’ “extérieur” sont
supérieures à celles dont elle dispose.
La plateforme devient un “terrain
de jeu” pour les développeurs. Ils y
disposent d’une grande liberté, sur la
base de règles préétablies et non de
négociations de gré à gré. L’attractivité
des applications créées renforce
l’attractivité de la plateforme en créant
un écosystème autour de ses solutions.
Ce modèle est très différent du modèle
traditionnel de relations clients/
fournisseurs qui prévaut encore dans
beaucoup de secteur, dont celui des
mobilités.
L'innovation ne se provoque pas,
elle se constate
Considérer que la puissance et la créativité
sont plus fortes à l'extérieur qu'à l'intérieur
de son organisation
Juillet 2014 - Ademe38
partie 3 / Créer une “Vallée des Mobilités”
Les pouvoirs publics disposent par
essence d’une grande capacité à
créer des plateformes : la décision
du gouvernement américain de
rendre accessible aux usages civils
le système GPS de géolocalisation
par satellite a ouvert une ère de
développement et d’innovations
sans précédent dans de nombreux
domaines. Les réseaux routiers,
ferroviaires, de communications,... sont
des plateformes. Les futures “régies
de données” seront des plateformes
pour créer des applications ayant pour
ingrédients les données des villes et
grands services publics.
3.2. Accéder à des données
et des services
Le fait de conserver des données
hors de portée des tiers est un frein
nettement plus important que le
manque de moyens.
Dans le cas des nouvelles mobilités,
les acteurs publics et privés génèrent
une masse importante de données
- infrastructure, offre, usage - qui
pourraient servir de socle à la création
de milliers de services. En particulier
elles pourraient aider à la génération
d’applications situées en aval des
solutions existantes : information
voyageurs, aide au déplacement,
pricing, distribution des titres, relation-
client,...L’hypothèse est que l’ouverture
et l’accès organisés à ces données
(documentation, web services,...)
génère des applications dont personne
n’avait pu avoir l’idée auparavant.
L’accès à des “briques” de données et
service permet également de gagner
du temps et créer des solutions “over-
the-top” : par exemple, s’interfacer
avec une solution de cartographie
plutôt que de la créer de toutes pièces.
Chaque “brique” gère ses propres
développements et mises à jour,
profitant à l’ensemble des solutions
interfacées.
Pour cela, il est essentiel que ces
interfaces soient disponibles sans
conditions en amont (sélection des
réutilisateurs) ou en aval (restrictions
d’usage).
Ouvrir ses données pour générer des
applications dont personne n'avait pu avoir
l'idée auparavant
Juillet 2014 - Ademe39
partie 3 / Créer une “Vallée des Mobilités”
De même, il est vain de penser que
cette ouverture peut donner lieu à
un retour sur investissement direct et
immédiat. Les données brutes n’ont
pas de valeur intrinsèque. C’est leur
transformation en services qui va
(peut-être) en créer. Le succès de ces
services contribue alors au succès
des plateformes qui les accueillent ou
qui sont interfacées avec elles. Ainsi,
le réseau de transport qui ouvre ses
données pour permettre la création
d’applications innovantes verra sa
fréquentation augmenter grâce à ces
applications.
De compétition ou sous-traitance, les
acteurs passent à la co-opétition et la
sur-traitance, inventant de nouvelles
formes de collaboration. On assiste
ainsi à des “échanges de données”
entre autorités publiques et entreprises
privées : des solutions comme Moovit
ou encore MotionLoft transmettent une
partie des données qu’elles collectent
aux collectivités en échange d’accès
à d’autres données ou services (San
Francisco, ou Rio pendant la Coupe
du Monde). Une entreprise comme
Tesla (voitures, bornes et batteries
électriques) ouvre l’accès à ses brevets
afin de favoriser le développement d’un
écosystème autour de ses solutions.
3.3. Accéder à des plateformes
techniques
L’accès à des plateformes de tests et
d’ingénierie techniques est stratégique
pour des startups technologiques.
Comme pour les données, des modèles
de coopération sont à imaginer pour
favoriser l’innovation “avec et par
l’extérieur”.
L’accès à des laboratoires, ateliers
et “fablabs” (ateliers de fabrication)
ouverts permettrait de disposer d’outils,
de machines, mais aussi de conseils et
d’échanges.
De même, les entreprises travaillant sur
des objets, des interfaces ou des solu-
tions en rapport avec le mobilier urbain
devraient pouvoir bénéficier d’ “accès” à
ce mobilier pour tester leurs solutions.
Créer de toutes pièces des “villes
virtuelles” ne répond que partiellement
aux besoins : en effet, c’est la réponse du
marché - des utilisateurs - qui détermine
les progrès et le succès du projet. Celle-ci
ne peut être recréée “in vitro”. Les futurs
quartiers numériques pourraient être le
cadre de ces “laboratoires vivants” : des
territoires pionniers pourraient accepter
d’être le terrain de jeux d’entreprises,
organisations et laboratoires à la
recherche d’innovations dans le domaine
des mobilités.
Juillet 2014 - Ademe40
partie 3 / Créer une “Vallée des Mobilités”
3.4. Accéder à des “oasis juridiques”
De nombreux succès récents
portent autant sur les fonctionnalités
proposées que sur le modèle d’affaires :
louer plutôt qu’acheter, partager,
échanger, mettre en relation,... Ces
situations peuvent se confronter aux
réglementations en vigueur, comme le
montrent l’exemple de Booking, Airbnb
ou Uber.
De même, la Google Car a montré
que des innovations radicales - une
voiture sans conducteur pilotée
par des logiciels - nécessitent des
changements législatifs pour permettre
leur utilisation.
Des territoires pionniers pourraient
autoriser localement et/ou
temporairement la déréglementation
de certains secteurs, afin de servir
de terrain de jeux à des startups. On
pourrait imaginer des villes accueillant
des drones, des robots, des voitures
sans conducteurs, ou encore autorisant
des modifications du code de la route,
du stationnement, des tarifs de services
publics,...Bien évidemment cette
déréglementation devrait respecter
les droits des tiers, en particulier la
sécurité.
Ceci créerait un appel d’air pour les
startups qui travaillent aux franges
de la réglementation. Des systèmes
d’évaluation permettraient de tirer les
conclusions de ces expériences, afin de
faire évoluer ou non la réglementation
nationale par la suite.
3.5. Accéder de manière privilégiée
à des marchés publics
Les collectivités pourraient développer
une politique d’achat plus favorable aux
startups et à l’innovation de rupture.
Ceci signifie par exemple :
• donner un accès privilégié aux très
petites entreprises dans leurs appel
d’offres (exemple du Small Business
Act américain)
• accepter d’acheter ou participer à
l’achat de produits ou services “en
l’état futur” et qui ne seront peut-être
jamais mis en service (exemple du
crowdfunding).
Cette mesure pourrait être couplée
avec celle créant des “oasis juridiques”.
Les quartiers numériques pourraient être les
terrains de jeux des entreprises innovantes
Juillet 2014 - Ademe41
CONCLUSION
L’innovation aujourd’hui ne s’impose
plus. Elle ne se déclare plus. Elle se
constate, dans l’adoption massive par
le marché d’une technologie, d’un
service ou d’un usage. Ce changement
de paradigme nécessite d’adopter une
approche plus modeste, résiliente et
plus “apprenante” de l’innovation.
Pour les acteurs traditionnels du
transport la question aujourd’hui
n’est plus : “comment lutter contre
les changements et défendre nos
positions ?”, mais “comment apprendre
nous aussi à inventer des services de
mobilités qui soient adoptés par nos
clients ?”.
Les personnalités interrogées dans
cette étude considèrent que les
démarches d’innovation actuelles sont
peu efficaces pour relever ces défis :
trop prévisibles, trop lourdes, trop
ciblées sur les seules technologies. Ces
méthodes passent à côté de ce qui
fait le succès des “nouveaux entrants” :
la capacité à trouver l’adéquation
produit/marché en s’appuyant sur des
technologies existantes et passer à
l’échelle rapidement. Et surtout, ces
démarches privilégient les grandes
entreprises au détriment des startups,
têtes chercheuses de l’innovation
moderne.
Le défi de l’innovation à l’ère d’internet
est de faire confiance à la capacité
créative de chaque partie pour faire
progresser l’ensemble de l’écosystème.
Ceci suppose pour la filière d’accepter
de ne plus tout maîtriser et de se
mettre au service des autres acteurs,
déjà identifiés ou non. De créer les
conditions de réussite et ouvrir ses
ressources, sans savoir à l’avance ce
qu’il en adviendra.
Les pouvoirs publics ont un rôle
essentiel à jouer : ils maîtrisent
l’infrastructure physique et légale;
ils peuvent favoriser la diffusion des
externalités positives générées et
jouer le rôle d’intermédiation entre
tous les acteurs pour identifier et lever
les barrières. La tâche est immense,
tant la filière des nouvelles mobilités
s’ignore encore aujourd’hui. Elle
est passionnante, car l’essentiel des
changements est devant nous.
Juillet 2014 - Ademe42
CONCLUSION
Le dispositif proposé dans cette étude
n’a pas vocation à être exhaustif; il s’agit
ici d’une esquisse. Ce ne sont que des
pistes dont l’application doit être testée,
améliorée et surtout négociée avec
les parties prenantes. En revanche, ce
dispositif ne peut être mis en oeuvre
partiellement : l’accès aux ressources,
l’accompagnement, la capitalisation
par la formation et l’animation sont
indissociables.
La création d’une nouvelle culture de
l’innovation en France est appelée de
tous les voeux. Le secteur des nouvelles
mobilités, au croisement des modes de
vie et de la technologie, peut en être
le fer de lance tant il touche à la fois
nos vies quotidiennes, nos territoires
et nos industries. C’est une chance qui
se présente pour les citoyens, pour les
entrepreneurs et pour l’environnement.
Agence conseil en stratégie
et marketing des services
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