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CE 28 juin 1889, Compagnie des chemins de fer de l’Est
Recueil des arrêts du Conseil d’Etat 1889, p. 781
Domaine public – domanialité publique des biens de retour d’une concession
Expropriation – extension de la gare de l’Est
Concession de service public – biens de retour
Fiscalité – taxe des biens de mainmorte (loi du 20 février 1849)
Messieurs, la compagnie du Chemin de fer de l'Est a été imposée à la taxe des biens de
mainmorte, en 1885, pour des immeubles acquis par elle, en 1882, par voie d'expropriation, pour
l'agrandissement de sa gare de Paris. La taxe des biens de mainmorte porte, d'après la loi du 20 février
1849 (art. 1er
), sur les immeubles appartenant aux communes, établissements publics, sociétés
anonymes, etc. A la différence de la contribution foncière, cet impôt ne s'applique pas aux biens de
l'Etat. Il en résulte que la voie ferrée et ses dépendances, qui sont grevées de la contribution foncière,
sont exemptes de la taxe des biens de mainmorte, puisque le chemin de fer est une propriété de l'Etat,
dont la compagnie n'a que la jouissance, et qu'il ne rentre dès lors pas dans l'énumération des
propriétés imposables faite par la loi du 20 février 1849 : la jurisprudence du Conseil d'Etat est
constante en ce sens (8 février 1851, Chemin de fer du Centre, p. 99; 22 août 1853, Chemin de fer
d'Orléans, p. 841 ; 11 janvier 1866, Chemin de fer de Lyon, p. 19 ; 6 juillet 1888, Chemin de fer de
Lyon, p. 614 et la note). Ladite taxe ne serait due que s'il s'agissait d'immeubles faisant partie du
domaine privé de la compagnie : car alors l'Etat n'est pas propriétaire ; c'est la compagnie seule qui
doit être atteinte par la loi de 1849 (6 janvier 1853, Chemin de fer du Nord, p. 24).
Dans l'affaire actuelle, la difficulté est de savoir si les immeubles litigieux devaient être
considérés, au moment de l'imposition, comme propriété de l'Etat ou de la compagnie. En effet, ils
avaient bien fait l'objet d'une expropriation régulière, avec déclaration d'utilité publique et jugement du
tribunal civil; mais ils n'étaient pas encore affectés au chemin de fer et continuaient d'être donnés en
location à des tiers, le prix de location étant d'ailleurs inscrit par la compagnie dans ses recettes
d'exploitation. L'administration des contributions directes prétendait que ces immeubles, n'étant pas
encore affectés au service du chemin de fer, ne faisaient pas partie du domaine public et demeuraient
la propriété privée de la compagnie qui en tirait partie comme un propriétaire ordinaire; qu'ils devaient
donc être imposés, tant que leur incorporation à la voie publique n'aurait pas eu effectivement lieu.
Cette opinion a prévalu devant le conseil de préfecture, qui a rejeté la réclamation de la compagnie.
Les ministres des finances et des travaux publics sont, au contraire, d'avis que lesdits immeubles
appartiennent à l'Etat ; ils pensent, dès lors, qu'il y a lieu de prononcer la décharge de l'imposition.
C'est aussi en ce sens que nous croyons devoir conclure. Les terrains ont été, nous venons de
le rappeler, acquis par voie d'expropriation, à la suite d'un décret déclaratif d'utilité publique ayant
pour but l'agrandissement de la gare de l'Est : il en résulte qu'ils constituent une dépendance du chemin
de fer, qui doit faire retour à l'Etat, à l'expiration de la concession, et qui est par suite la propriété de
l'Etat. Il faut en effet éviter une confusion qui se glisse souvent dans la terminologie usitée dans cette
matière. On dit couramment qu'il existe, pour les chemins de fer, deux domaines distincts : le domaine
public, qui doit faire retour à l'Etat, et le domaine privé, propriété de la compagnie. Il faut en réalité
distinguer seulement le domaine concédé et le domaine non concédé. Le domaine concédé comprend
tout ce qui doit faire retour à l'Etat, à l'expiration de la concession; il se compose de tout le domaine
publie, et, en même temps, des autres dépendances du chemin de fer, — très peu nombreuses, il est
vrai, — qui ne peuvent être classées dans le domaine public, comme par exemple, les ateliers de
construction. Le domaine non concédé est la propriété privée de la compagnie, qui peut en disposer à
son gré. Dès lors, pour savoir si un immeuble est la propriété de l'Etat ou de la compagnie, il faut
s'attacher à reconnaître, non pas s'il fait partie ou non du domaine public, mais s'il est compris ou non
dans le domaine concédé. Dans l'espèce, l'administration des contributions directes et le conseil de
préfecture ont raison de dire qu'on ne peut considérer hic et nunc les immeubles dont il s'agit comme
une partie du domaine public, alors surtout qu'ils étaient loués à des tiers. Mais cela importe peu, au
point de vue de la taxe de mainmorte, si ces immeubles sont compris dans le domaine concédé. Or, il
est certain que la déclaration d'utilité publique a été prononcée pour l'agrandissement de la gare, c'est-
à-dire pour étendre le domaine du chemin de fer : la consistance légale de ce domaine, qui appartient à
l'Etat, ne sera définitive que lorsque les travaux seront achevés, que le bornage sera effectué, et que le
ministre des travaux publics aura déclassé les parcelles inutiles. Mais, tant que ce bornage et ce
déclassement n'auront pas fait sortir du domaine concédé les portions non utilisées, la concession sera
réputée porter sur tous les terrains acquis par voie d'expropriation en vue des travaux du chemin de fer.
Si l'on admettait la solution contraire, c'est-à-dire si l'on considérait la compagnie comme propriétaire
desdits terrains tant qu'ils n'ont pas reçu leur affectation définitive, on serait forcé de lui reconnaître le
droit d'aliénation pendant cette période préparatoire et cette conséquence seule doit suffire à faire
rejeter une pareille doctrine.
ARRET
CE (sect. temp.) 28 juin 1889, n° 68,503, 70,204, 72,434 Compagnie des Chemins de fer de l'Est.-
MM. Ravario, rap.; Romieu, c. du g.; Devin, av.)
Vu la loi du 20 fév. 1849 ;
Considérant qu'aux termes de l'art. 1er
de la loi du 20 fév. 1849, la taxe représentative des
droits de transmission entre vifs et par décès n'est établie que sur les biens immeubles, passibles de la
contrib. fonc. appartenant aux établissements ou personnes civiles désignés par ledit article ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les immeubles situés à Paris, rue du Faubourg
Saint-Martin, nos
165, 167, 169, 171, 173, 175, 177 et 179, ont été acquis, en exécution d'un décret
déclaratif d'utilité publique, en vue de l'agrandissement de la gare des Chemins de fer de l'Est ; que ces
immeubles constituent une dépendance du Chemin de fer et qu'ils appartiennent à l'Etat, auquel ils
doivent faire retour à l'expiration de la concession ; que, par suite, ils ne sont pas passibles de la taxe
de mainmorte ; qu'ainsi c'est à tort que le cons. de préf. a maintenu la Compagnie requérante aux droits
qui, de ce chef, lui avaient été imposés, en 1885, 1886 et 1888, sur les rôles de la ville de Paris...
(Arrêtés annulés. Décharge.)

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18890628 compagnie des chemins de fer de l'est

  • 1. 1 CE 28 juin 1889, Compagnie des chemins de fer de l’Est Recueil des arrêts du Conseil d’Etat 1889, p. 781 Domaine public – domanialité publique des biens de retour d’une concession Expropriation – extension de la gare de l’Est Concession de service public – biens de retour Fiscalité – taxe des biens de mainmorte (loi du 20 février 1849) Messieurs, la compagnie du Chemin de fer de l'Est a été imposée à la taxe des biens de mainmorte, en 1885, pour des immeubles acquis par elle, en 1882, par voie d'expropriation, pour l'agrandissement de sa gare de Paris. La taxe des biens de mainmorte porte, d'après la loi du 20 février 1849 (art. 1er ), sur les immeubles appartenant aux communes, établissements publics, sociétés anonymes, etc. A la différence de la contribution foncière, cet impôt ne s'applique pas aux biens de l'Etat. Il en résulte que la voie ferrée et ses dépendances, qui sont grevées de la contribution foncière, sont exemptes de la taxe des biens de mainmorte, puisque le chemin de fer est une propriété de l'Etat, dont la compagnie n'a que la jouissance, et qu'il ne rentre dès lors pas dans l'énumération des propriétés imposables faite par la loi du 20 février 1849 : la jurisprudence du Conseil d'Etat est constante en ce sens (8 février 1851, Chemin de fer du Centre, p. 99; 22 août 1853, Chemin de fer d'Orléans, p. 841 ; 11 janvier 1866, Chemin de fer de Lyon, p. 19 ; 6 juillet 1888, Chemin de fer de Lyon, p. 614 et la note). Ladite taxe ne serait due que s'il s'agissait d'immeubles faisant partie du domaine privé de la compagnie : car alors l'Etat n'est pas propriétaire ; c'est la compagnie seule qui doit être atteinte par la loi de 1849 (6 janvier 1853, Chemin de fer du Nord, p. 24). Dans l'affaire actuelle, la difficulté est de savoir si les immeubles litigieux devaient être considérés, au moment de l'imposition, comme propriété de l'Etat ou de la compagnie. En effet, ils avaient bien fait l'objet d'une expropriation régulière, avec déclaration d'utilité publique et jugement du tribunal civil; mais ils n'étaient pas encore affectés au chemin de fer et continuaient d'être donnés en location à des tiers, le prix de location étant d'ailleurs inscrit par la compagnie dans ses recettes d'exploitation. L'administration des contributions directes prétendait que ces immeubles, n'étant pas encore affectés au service du chemin de fer, ne faisaient pas partie du domaine public et demeuraient la propriété privée de la compagnie qui en tirait partie comme un propriétaire ordinaire; qu'ils devaient donc être imposés, tant que leur incorporation à la voie publique n'aurait pas eu effectivement lieu. Cette opinion a prévalu devant le conseil de préfecture, qui a rejeté la réclamation de la compagnie. Les ministres des finances et des travaux publics sont, au contraire, d'avis que lesdits immeubles appartiennent à l'Etat ; ils pensent, dès lors, qu'il y a lieu de prononcer la décharge de l'imposition. C'est aussi en ce sens que nous croyons devoir conclure. Les terrains ont été, nous venons de le rappeler, acquis par voie d'expropriation, à la suite d'un décret déclaratif d'utilité publique ayant pour but l'agrandissement de la gare de l'Est : il en résulte qu'ils constituent une dépendance du chemin de fer, qui doit faire retour à l'Etat, à l'expiration de la concession, et qui est par suite la propriété de l'Etat. Il faut en effet éviter une confusion qui se glisse souvent dans la terminologie usitée dans cette matière. On dit couramment qu'il existe, pour les chemins de fer, deux domaines distincts : le domaine public, qui doit faire retour à l'Etat, et le domaine privé, propriété de la compagnie. Il faut en réalité distinguer seulement le domaine concédé et le domaine non concédé. Le domaine concédé comprend
  • 2. tout ce qui doit faire retour à l'Etat, à l'expiration de la concession; il se compose de tout le domaine publie, et, en même temps, des autres dépendances du chemin de fer, — très peu nombreuses, il est vrai, — qui ne peuvent être classées dans le domaine public, comme par exemple, les ateliers de construction. Le domaine non concédé est la propriété privée de la compagnie, qui peut en disposer à son gré. Dès lors, pour savoir si un immeuble est la propriété de l'Etat ou de la compagnie, il faut s'attacher à reconnaître, non pas s'il fait partie ou non du domaine public, mais s'il est compris ou non dans le domaine concédé. Dans l'espèce, l'administration des contributions directes et le conseil de préfecture ont raison de dire qu'on ne peut considérer hic et nunc les immeubles dont il s'agit comme une partie du domaine public, alors surtout qu'ils étaient loués à des tiers. Mais cela importe peu, au point de vue de la taxe de mainmorte, si ces immeubles sont compris dans le domaine concédé. Or, il est certain que la déclaration d'utilité publique a été prononcée pour l'agrandissement de la gare, c'est- à-dire pour étendre le domaine du chemin de fer : la consistance légale de ce domaine, qui appartient à l'Etat, ne sera définitive que lorsque les travaux seront achevés, que le bornage sera effectué, et que le ministre des travaux publics aura déclassé les parcelles inutiles. Mais, tant que ce bornage et ce déclassement n'auront pas fait sortir du domaine concédé les portions non utilisées, la concession sera réputée porter sur tous les terrains acquis par voie d'expropriation en vue des travaux du chemin de fer. Si l'on admettait la solution contraire, c'est-à-dire si l'on considérait la compagnie comme propriétaire desdits terrains tant qu'ils n'ont pas reçu leur affectation définitive, on serait forcé de lui reconnaître le droit d'aliénation pendant cette période préparatoire et cette conséquence seule doit suffire à faire rejeter une pareille doctrine. ARRET CE (sect. temp.) 28 juin 1889, n° 68,503, 70,204, 72,434 Compagnie des Chemins de fer de l'Est.- MM. Ravario, rap.; Romieu, c. du g.; Devin, av.) Vu la loi du 20 fév. 1849 ; Considérant qu'aux termes de l'art. 1er de la loi du 20 fév. 1849, la taxe représentative des droits de transmission entre vifs et par décès n'est établie que sur les biens immeubles, passibles de la contrib. fonc. appartenant aux établissements ou personnes civiles désignés par ledit article ; Considérant qu'il résulte de l'instruction que les immeubles situés à Paris, rue du Faubourg Saint-Martin, nos 165, 167, 169, 171, 173, 175, 177 et 179, ont été acquis, en exécution d'un décret déclaratif d'utilité publique, en vue de l'agrandissement de la gare des Chemins de fer de l'Est ; que ces immeubles constituent une dépendance du Chemin de fer et qu'ils appartiennent à l'Etat, auquel ils doivent faire retour à l'expiration de la concession ; que, par suite, ils ne sont pas passibles de la taxe de mainmorte ; qu'ainsi c'est à tort que le cons. de préf. a maintenu la Compagnie requérante aux droits qui, de ce chef, lui avaient été imposés, en 1885, 1886 et 1888, sur les rôles de la ville de Paris... (Arrêtés annulés. Décharge.)