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L’ambiance Eurockéennes :
De la « petite république idéale éphémère »
à la toile mondiale.
Les Eurockéennes de Belfort
Hélène FAURE Année 2015 - 2016
MEMOIRE DE MASTER 2
Stratégie du Développement Culturel
Spécialité Publics de la Culture et Communication
Titre : L’ambiance Eurockéennes :
De la « petite république idéale éphémère » à la toile mondiale
Problématique : Comment l’ambiance si particulière et propre aux
Eurockéennes de Belfort se prolonge-t-elle hors de son cadre spatio-temporel
grâce aux outils numériques ?
Directeurs de mémoire :
Monsieur Damien MALINAS et Monsieur Raphaël ROTH
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 3
RESUME
Les Eurockéennes de Belfort est un festival de musique implanté de manière forte sur
son territoire et tourné vers ses publics depuis ses origines. Ces deux caractéristiques font
toujours partie intégrante de l’identité et des valeurs défendues par l’événement vingt-huit
ans après sa première édition. Cela contribue à créer une ambiance propre à la
manifestation qui motive prioritairement la venue de nombreux festivaliers. Fruit de
l’interaction entre le cadre de l’événement, ses organisateurs et ses publics, une « petite
république idéale éphémère » se forme ainsi chaque année aux Eurockéennes de Belfort.
Cependant, Internet permet aujourd’hui de dépasser le cadre spatio-temporel de la forme
festival et donc d’étendre son ambiance au-delà de ses frontières initiales. Nous nous
appuierons sur des enquêtes sociologiques complémentaires les unes des autres et basées
sur un travail de terrain pour étudier la co-construction de cette ambiance et questionner sa
retranscription numérique.
Mots clés : festival - Eurockéennes de Belfort - ambiance - publics - numérique - sociologie
ABSTRACT
The Eurockéennes de Belfort is a music festival strongly implanted in its territory and
turned towards its audiences since its origins. These two characteristics always took part of
the identity and values defended by the event twenty eight years after its first edition. This
helps creating a very specific atmosphere that is known to highly motivate lots of people to
come. A « small ephemeral ideal republic » is created every year at the Eurockéennes de
Belfort in result of the interaction between the event space, its organizers and its audiences.
However, today the Internet allows to overtake the spacetime frame of the festival form and
to expand the atmosphere beyond its original borders. We will rely on complementary
sociological surveys based on fieldwork to study the co-construction of this atmosphere and
to ask its digital retranscription.
Key words : festival - Eurockéennes de Belfort - atmosphere - audiences - digital - sociology
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 4
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué, de près comme de loin, à
l’élaboration de ce mémoire qui signe la fin de ma vie étudiante et le début de nouvelles
aventures.
Merci tout d’abord à Monsieur Emmanuel Ethis, ancien directeur de l’Université
d’Avignon et des Pays de Vaucluse, de m’avoir permis d’intégrer le Master 2 Publics de la
Culture et Communication. Je remercie ensuite très sincèrement mes directeurs de mémoire
Monsieur Damien Malinas et Monsieur Raphaël Roth de leur encadrement, leur disponibilité
ainsi que du temps qu’ils m’ont accordé pour me guider dans mes réflexions. Merci
également de m’avoir permis de faire mes tous premiers pas en sociologie. Merci encore à
Lauriane Guillou pour son attention et ses précieux conseils. J’adresse plus généralement
toute ma reconnaissance envers l’équipe pédagogique du Master Publics de la Culture et
Communication pour son accueil durant cette année remplie de belles expériences.
Je tiens ensuite à remercier toute l’équipe de l’Association Territoire de Musiques
pour la merveilleuse édition des Eurockéennes qu’ils m’ont permis de vivre et du bonheur
que j’ai eu en travaillant à leurs côtés. Un grand merci en particulier au pôle
communication et web pour leur bonne humeur et bienveillance : Hervé Castéran,
Guillaume Chauvigné, Valentin Flausse et Victorien Del Tatto. Merci à mes collègues,
devenus des amis au fil des jours, de m’avoir soutenue tout en essayant de me corrompre
parfois pour passer du temps ensemble plutôt que devant mon mémoire.
Merci encore à Alexia, Benoît, Guillaume et Jean-Paul qui ont gentiment accepté de
répondre à mes questions en me faisant partager leur vision des Eurockéennes.
Pour finir, merci à mes amis et leur soutien constant pour la deuxième année
consécutive ainsi qu’à toutes les Galettes-Saucisses et ces amitiés créées à Avignon faisant
de ce Master 2 une si belle aventure. Merci encore à ma famille pour sa présence et sa
confiance indéfectible malgré la distance.
Je dédie ce mémoire à mon père, lui qui a tant donné pour nous, lui, la bonne étoile
qui n’a cessé de veiller sur moi et de me porter chance durant ces deux dernières années.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 5
SOMMAIRE
RESUME...................................................................................................................................... 3
REMERCIEMENTS ....................................................................................................................... 4
SOMMAIRE ................................................................................................................................. 5
INTRODUCTION .......................................................................................................................... 8
L’ambiance...................................................................................................................... 8
Les Eurockéennes de Belfort : un festival et ses publics................................................ 9
La toile mondiale .......................................................................................................... 12
La méthode et démarche employées........................................................................... 13
PARTIE 1 : Une histoire et un territoire pour fondations......................................................... 16
I/ Du projet politique à la construction d’un mythe ?.................................................. 17
A. Une naissance politisée................................................................................ 17
1. Un contexte national opportun ........................................................ 17
2. Un désir de dynamisation du territoire ............................................ 18
3. Le modèle des fêtes révolutionnaires............................................... 18
B. Trajectoire et mutations............................................................................... 19
1. Le virage des années 2000................................................................ 19
2. Un développement cohérent............................................................ 20
C. Ligne artistique et expérience festivalière : un juste équilibre.................... 20
1. L’esprit rock et les « musiques actuelles » ....................................... 20
2. Une démarcation vis-à-vis des autres festivals................................. 21
3. L’expérience festivalière ................................................................... 22
D. Notoriété et mythification ........................................................................... 23
1. Une reconnaissance nationale.......................................................... 23
2. Du rite au mythe ............................................................................... 24
II/ Un lieu inscrit dans l’ADN......................................................................................... 25
A. La presqu'île du Malsaucy ............................................................................ 25
1. Le choix d’un site emblématique...................................................... 25
2. Le site à l’épreuve des festivaliers .................................................... 26
B. La matérialisation d'un espace-temps.......................................................... 26
1. La forme festival : un temps hors du temps ..................................... 26
2. Un dispositif particulier..................................................................... 27
C. Un espace de liberté..................................................................................... 28
1. Une échappatoire à la vie quotidienne............................................. 28
2. Des comportements désinhibés ....................................................... 28
III/ Un engagement et des valeurs revendiquées ........................................................ 29
A. Un festival militant ....................................................................................... 29
1. Une empreinte associative ............................................................... 29
2. L’implication dans l’actualité ............................................................ 29
B. Eurocks Solidaires......................................................................................... 30
1. L’engagement.................................................................................... 30
2. La mise en place................................................................................ 31
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 6
IV/ Le camping, un concentré de l'ambiance Eurockéennes ....................................... 32
A. Un mode d'hébergement privilégié ............................................................. 32
1. Des chiffres à l’appui......................................................................... 32
2. Les motivations des campeurs.......................................................... 33
B. Une véritable ville autonome et éphémère ................................................. 33
1. Un vaste espace public...................................................................... 33
2. Des propositions adaptées................................................................ 34
3. Les instruments d’une scénarisation ................................................ 34
C. Des comportements exacerbés.................................................................... 35
1. Une festivité stimulée....................................................................... 35
2. Une sociabilité facilitée..................................................................... 36
PARTIE 2 : Les Eurockéens, citoyens d’une petite république idéale éphémère..................... 39
Préambule sur les enquêtes......................................................................................... 40
I/ Les festivaliers, partie prenante fondamentale du festival ...................................... 41
A. La notion de partie prenante........................................................................ 41
1. Les origines du concept..................................................................... 41
2. L’inscription sociologique ................................................................. 41
B. La prise en compte des publics..................................................................... 42
1. Les publics comme parties prenantes .............................................. 42
2. Une connaissance indispensable ...................................................... 42
3. La pluralité des publics...................................................................... 43
II/ Le portrait des Eurockéens ...................................................................................... 44
A. Un profil chiffré ............................................................................................ 44
1. Le talon sociologique ........................................................................ 44
2. Les goûts et pratiques culturelles..................................................... 45
B. La fréquentation des Eurockéennes............................................................. 47
1. Entre assiduité et renouvellement ................................................... 47
2. L’accompagnement........................................................................... 48
3. Des motivations humaines et artistiques ......................................... 48
III/ De la participation à l’appropriation....................................................................... 50
A. Le public émancipé et participant................................................................ 50
1. Le spectateur actif............................................................................. 50
2. La parole en festival.......................................................................... 50
B. La prescription, forme commune de participation ...................................... 51
1. La transmission culturelle ................................................................. 51
2. L’importance de la recommandation ............................................... 51
C. L'appropriation du festival............................................................................ 52
1. Un festival destiné à son public ........................................................ 52
2. Fidèles et régionaux ? ....................................................................... 53
IV/ Les sociabilités festivalières.................................................................................... 55
A. A la rencontre de l'autre............................................................................... 55
1. Un contexte opportun ...................................................................... 55
2. Un état d’esprit ................................................................................. 56
B. La formation d'une communauté................................................................. 57
1. Une pratique culturelle commune.................................................... 57
2. Un concept qui divise........................................................................ 58
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 7
PARTIE 3 : Internet comme extension du territoire Eurockéen............................................... 60
I/ L’ère du numérique................................................................................................... 61
A. Le numérique dans nos vies quotidiennes................................................... 61
1. La notion de numérique.................................................................... 61
2. Une révolution à tempérer............................................................... 61
3. Un élargissement de l’espace public ................................................ 62
B. La culture à l’ère du numérique ................................................................... 63
1. La culture par l’écran ........................................................................ 63
2. Le numérique à l’épreuve des festivals ............................................ 64
II/ Les Eurockéennes sur la toile................................................................................... 65
A. Panorama des outils numériques des Eurockéennes .................................. 65
1. Le(s) site(s) Internet ......................................................................... 65
2. Les réseaux sociaux........................................................................... 67
3. L’application mobile.......................................................................... 68
B. Des contenus contrôlés ................................................................................ 68
1. Une éditorialisation du discours....................................................... 68
2. La modération des internautes......................................................... 69
C. L’image, clé de la retranscription numérique .............................................. 70
1. Une « société de l’image »................................................................ 70
2. Outil au service de l’ambiance.......................................................... 71
III/ Un public participant en trois temps ...................................................................... 73
A. « L’enclenchement de l’expertise » ............................................................. 73
1. L’horizon d’attente............................................................................ 73
2. La préparation de la venue ............................................................... 74
B. « La mise en œuvre de l’expertise »............................................................. 76
1. Une immersion amplifiée.................................................................. 76
2. Atout ou limite à l’immersion........................................................... 77
C. « la revendication de l’expertise aboutie ».................................................. 78
1. L’acquisition du statut de prescripteur............................................. 78
2. Une mémoire du festival................................................................... 78
IV/ La sociabilité numérique......................................................................................... 79
A. Publiciser sa présence .................................................................................. 79
1. Une construction identitaire............................................................. 79
2. Une quête de reconnaissance........................................................... 79
3. Une prise de parole inégale .............................................................. 80
B. Une communauté numérique ? ................................................................... 81
1. Un rapprochement virtuel ................................................................ 81
2. Une communauté de défenseurs ..................................................... 82
CONCLUSION ............................................................................................................................ 84
BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................................... 87
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 8
INTRODUCTION
L’ambiance
Capture d’écran réalisée sur la page Twitter du collectif créatif From Paris.
L'ambiance compose la base de ce que l’on peut appeler le « monde sensible », c’est-
à-dire « Qui est, qui peut être perçu par les sens. » d’après la définition courante délivrée
dans le dictionnaire Larousse. Elle représente « la toile de fond à partir de laquelle
s'actualisent nos perceptions et nos sensations. »1
comme l’écrit Jean-Paul Thibaud qui s’est
penché sur la question. Il n’est ainsi pas rare d’évoquer l’ambiance, à l’instar du collectif
From Paris, pour décrire nos émotions et ressentis.
De ce fait, nous pouvons partir du postulat que tous les lieux possèdent une
ambiance et que chacun d’entre nous est à même de ressentir une ambiance mais
concrètement, qu’est-ce qu’une ambiance ? Dans le numéro 117 du bulletin Culture et
recherche édité par le ministère de la Culture, Nicolas Tixier la définit comme « une notion
qui échappe à toute définition formelle »2
. Reprenant les recherches étymologiques de Leo
Spitzer, Jean-Paul Thibaud met quant à lui tout de même en exergue le fait que le mot
renvoie à « ce qui environne les hommes ou les choses », en d’autres termes, à l’ensemble
des caractères définissant le contexte dans lequel ils se trouvent. Définition à laquelle il
ajoute qu’il s’agit de « ce qui nous entoure, nous enveloppe et nous influence. »3
, introduisant
ainsi dans un même temps la conception d’un environnement actif et ayant un impact sur le
corps, l'esprit et donc, le comportement des individus.
1
THIBAUD Jean-Paul, « Petite archéologie de la notion d’ambiance », in Communications, n°90, Paris, 2012.
2
TIXIER Nicolas, « L’usage des ambiances », in Culture et recherche, n° 113, 2007.
3
Ibid.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 9
Si il est possible, en tout lieu et à tout moment, de parler d’ambiance, d’après Gernot
Böhme elle serait aussi « la manifestation de la co-présence entre sujet et objet » 4
. Affectant
les individus, l’ambiance est donc, non seulement le produit de l’action d’un concepteur,
mais aussi l’objet de la réception d’un acteur selon sa sensorialité propre ainsi que son
expérience personnelle. On comprend alors bien qu’il convient, plutôt que de postuler la
possibilité d'une définition formelle et univoque, de considérer la notion d’ambiance en
fonction des cadres et contextes dans lesquels elle s’inscrit.
Par son rattachement à une dimension affective, nous pouvons, tout comme Nicolas
Tixier, nous demander si finalement « faire une ambiance ? N’est-ce pas une finalité pour [...]
nombre de projets culturels ? »5
. C’est en tout cas ainsi que raisonne Jean-Paul Roland,
Directeur des Eurockéennes de Belfort en déclarant « quand tu fais 34 000 personnes là où
on est, à mon avis il faut être au-delà de la musique [...] On vient d’abord vivre une
expérience Eurockéennes. »6
et en accordant à l’ambiance une attention toute particulière.
Les Eurockéennes de Belfort : un festival et ses publics
Comptabilisant plus de 34 000 spectateurs par jour cette année et 104 000
festivaliers au total pour une cinquantaine d'artistes programmés, les Eurockéennes de
Belfort est un événement « grand format » et compte parmi les plus grands festivals de
musique français.
Créé en 1989 par le Conseil Général du Territoire de Belfort, les Eurockéennes de
Belfort tiennent leurs origines d’un projet politique tourné en faveur de la jeunesse. Dans un
désir de transformer l'image majoritairement militaire et industrielle du Département, une
politique a été imaginée et l’un de ses instruments phares n’a été autre que la création
d’une manifestation ouverte à la jeunesse et propre au Territoire de Belfort. Le choix du lieu
sur lequel l’événement a été organisé n’a, en réponse à cela, pas été laissé au hasard. La
presqu’île du Malsaucy, véritable écrin dans une zone naturelle protégée, entourée de deux
4
BÖHME Gernot, « Atmosphere as an Aesthetic Concept », Daidalos, n°42/43, 1998, p. 112-115.
5
Ibid.
6
Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 10
plans d’eau (le Malsaucy et la Verrone) et située à quelques minutes de la ville de Belfort,
accueille ainsi le festival depuis sa première édition. Comme nous l’avons montré
précédemment, il est important de tenir compte de cet historique ainsi que du lieu sur
lequel les Eurockéennes se déroulent si nous souhaitons en étudier l’ambiance puisque
ceux-ci caractérisent le contexte dans lequel elle s’inscrit.
Il est possible d’observer la notion d’ambiance au sein de projets culturels les plus
divers possibles. Cependant, les festivals, par leur délimitation dans le temps et dans
l'espace, forment des moments particuliers dans une vie. Comme le souligne Emmanuel
Ethis : « Le festival constitue aujourd’hui un format paradigmatique de la manifestation
culturelle, associant un lieu, une programmation, des rituels et la volonté, pas toujours
couronnée du succès, d’acquérir du renom et de s’inscrire dans l’histoire. Le festival est un
universel »7
. Faisant office de loupe orientée sur le monde, ils constituent un lieu adéquat
pour l'observation de la société, des comportements, des attitudes, des usages et des
pratiques. Dans le cas des Eurockéennes de Belfort, la forme festival représente aussi à son
tour l’un des éléments clés du contexte permettant d’analyser l’ambiance qui s’en dégage.
Dans le cadre d’un événement de cette ampleur, ayant pour priorité originelle ses
spectateurs, la question des publics prend une importance toute particulière. Les chercheurs
de l'Université d'Avignon considèrent qu'à chaque festival, chaque événement culturel,
correspond un public. Ce qui signifie qu’il existe un public des Eurockéennes de Belfort,
propre à l'événement, qui vient dans un lieu précis pour des raisons particulières. Ceux-ci
constituent la pierre angulaire sans laquelle le festival n’existerait pas car sans eux il ne
serait qu’une simple répétition. On comprend alors l’intérêt de leur porter une attention
spécifique et preuve en est, de plus, avec les appellations qui leur sont spécialement
dédiées, celle de « festivaliers » et celle plus précise d’« Eurockéens » à Belfort. Les
festivaliers sont des acteurs à part entière du festival, des parties prenantes fondamentales
qui contribuent elles aussi à la construction de la manifestation. Cela fait ainsi écho à la
notion d’ambiance, fruit de l’interaction entre le concepteur et le récepteur qu’il est
essentiel de prendre en compte.
7
ETHIS Emmanuel, FABIANI Jean-Louis, MALINAS Damien, Avignon ou le public participant,
L’entretemps/Documentation Française, Paris, 2009, 231 pages.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 11
L’héritage symbolique de l’événement, la dimension festivalière ainsi que le caractère
massif du public des Eurockéennes contribuent à ce que cette pratique culturelle dessine
une ambiance particulière qui lui est propre.
Mais nous pouvons nous demander ce qui nous pousse à observer l’ambiance des
Eurockéennes de Belfort et non d’un autre festival que l’on pourrait identifier comme
similaire à celui-ci. La programmation est certes la clé de voûte de tout festival mais, aux
Eurockéennes les festivaliers viennent en priorité pour « l'ambiance, faire la fête, le choix, la
découverte, retrouver des copains, le camping, être coupé du monde, prendre trois jours hors
du temps... »8
comme nous l’ont montré les études des publics publiées en 20129
et 201510
.
Ainsi, il semble que la programmation serve surtout de prétexte à une venue
essentiellement motivée par l'ambiance à la différence d’autres festivals ou de concerts en
salles.
« Un rite de passage, une expérience de vie, de fête, de fraternité, et bien sûr de bonheur
musical qui marque pour longtemps les festivaliers, le tout dans un espace de liberté et de
foisonnement créatif, accessible au plus grand nombre, ce qui est rare dans notre société. »11
C’est ainsi que Jean-Marc Pautras, ancien Président de l’association Territoire de Musiques,
organisatrice des Eurockéennes de Belfort, présente les multiples facettes du festival. Il s’agit
autant d’une expérience esthétique et musicale qu’humaine et sociale. Mais le festival est
aussi l’occasion pour les organisateurs de véhiculer un ensemble de valeurs fortes et de les
transmettre au public. En somme l’équivalent d’une « petite république idéale éphémère »
sort de terre chaque année pour reprendre les mots d’Emmanuel Négrier ainsi qu’une
formulation parfois employée dans la communication du festival.
8
COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des
Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 87.
9
Ibid.
10
NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014,
Montpellier, 2015.
11
COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des
Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, Avant-propos de Jean-Marc Pautras, ancien Président de
Territoire de Musiques.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 12
La toile mondiale
La toile (d’araignée) mondiale est la traduction littérale de l’expression World Wide
Web ou, plus communément, Web. Il s’agit d’une métaphore créée par Tim Berners-Lee,
l’inventeur d’Internet pour qualifier l’une des grandes fonctions d’Internet aux côtés du
courrier électronique et de l’échange de fichiers par FTP12
par exemple. Par extension,
il désigne cependant Internet de façon plus globale dans le langage courant. D’après le
dictionnaire Larousse, Internet est par ailleurs défini comme un :
« Réseau télématique international, qui résulte de l'interconnexion des ordinateurs du monde
entier utilisant un protocole commun d'échanges de données afin de dialoguer entre eux via
les lignes de télécommunication (lignes téléphoniques, liaisons numériques, câble). »
Ce réseau a aujourd’hui pris une place majeure dans notre société et est largement
ancré dans de nombreux événements culturels. La grande enquête menée par Olivier
Donnat pour le Ministère de la Culture13
illustre à ce titre l’importance du tournant
numérique. En 2008, son enquête ne porte plus seulement sur les pratiques culturelles des
Français, mais sur ces dernières à « l’ère du numérique ». Les mutations incitent en effet à
questionner les nouveaux usages des publics. Parmi les événements culturels, on observe
que les festivals ont bien une place privilégiée sur les réseaux sociaux : plus de six millions de
tweets qui contiennent le mot « festival » sur Twitter ont par exemple été recensés par
GaFes14
depuis octobre 2014. Comme l’a souligné Emmanuel Ethis lors de la table ronde
organisée aux Rencontres Trans Musicales 2015, « le numérique permet de faire exister un
avant et un après du festival ». En effet, les festivaliers, ainsi que les organisateurs de
festivals utilisent des outils numériques avant, pendant et après le festival. En créant une
temporalité virtuelle de l'événement, les échanges jusqu'alors conditionnés à un temps
donné se déplacent vers une temporalité infinie. Grâce à ce vaste réseau, de nouvelles
possibilités d’expression ont vu le jour. Les réseaux dits sociaux permettent plus
12
« File Transfer Protocol : Protocole applicatif pour le transfert de fichiers sur Internet. Le recours à ce
protocole est particulièrement utile lorsque l'on développe une page sur une machine locale et que l'on veut la
publier sur un site Web. » via futura-sciences.com
13
DONNAT Olivier, Les Pratiques culturelles des Français à l’ère du numérique, Eléments de synthèse 1997-
2008, Ministère de la culture et de la communication / La Découverte, Paris, 2009, 12 pages.
14
GaFes (Galerie des Festivals) est un projet de recherche, débuté en octobre 2014, qui vise à appréhender la
présence médiatique des festivals sur Internet, à partir des données produites par les festivaliers sur la toile.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 13
particulièrement au public d’asseoir sa position de « public participant », en reprenant les
mots d’Emmanuel Ethis, Jean-Louis Fabiani et Damien Malinas.
« les réseaux sociaux ont trouvé aujourd’hui une place quasi-évidente d’où se réifie la
dynamique même des régimes de participation à certains événements culturels en offrant
une possibilité d’expression inédite et immédiate à leurs participants »15
.
Le numérique crée donc un nouveau type de lien entre la structure événementielle et le
public festivalier et participe à renouveler sur plusieurs plans la forme culturelle et artistique
de ce qu’est un festival ainsi que les pratiques et comportements festivaliers. On peut alors
se demander ce qu’il en est au niveau de l’ambiance, si celle-ci est modifiée et si elle reste
limitée au cadre spatio-temporel initial du festival ou si elle s’étend, tout comme
l’événement lui-même, bien au-delà.
La méthode et démarche employées
Ce travail de recherche sur les Eurockéennes de Belfort s’inscrit dans les concepts
développés par la sociologie de la réception. Dans l’« Apologie de l’expérience esthétique »,
conférence donnée par Hans Robert Jauss à l’Ecole de Constance en 1978, le philosophe
dessine un programme dont la sociologie peut s’approprier les thématiques. Il insiste sur le
rôle primordial de l’espace de réception en littérature. Le lecteur est ainsi au centre de sa
théorie dans laquelle le texte s’écrit et s’éprouve en fonction de ce que Hans Robert Jauss a
nommé « l’horizon d’attente du lecteur ». Nous pouvons définir cette notion comme un
système de références résultant notamment de l’expérience et de la connaissance préalable
de l’individu, qui a ensuite un impact sur sa réception de l’œuvre, littéraire ou non.
La sociologie de la réception se défait par cela de l’idée d’un public homogène et
préexistant comme le soutiennent aussi les chercheurs de l’Université d’Avignon. Le public
est composé de plusieurs individus qui ont des caractéristiques différentes ou particulières.
15
ETHIS Emmanuel, « Twitter au festival de Cannes ou l’illusion d’appartenir à une même communauté », in
ethis-e.blogspot.fr, 2015.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 14
C’est dans cet état d’esprit que nous entreprenons nos recherches sur « l’ambiance
Eurockéennes ».
La sociologie de la réception entraîne aussi vers d’autres considérations telles que
l’émotion. La compréhension sociologique de l’émotion éclaire les comportements et
représentations des individus au sujet de l’ambiance mais doit cependant faire face à une
difficulté méthodologique et épisthémologique car « l’émotion excède l’ordinaire des
dénominations, l’exclusive logique des définitions et semble débouter de ses prétentions
toute explication rationnelle ». 16
Afin de palier cela et mener les recherches les plus efficaces et proches de la réalité
possibles, nous nous concentrons sur un seul et unique sujet d’études : les Eurockéennes de
Belfort. En effet, analyser une ambiance exige de s’intéresser au contexte précis de l’objet
en question de manière approfondie. Cela n’empêche pas pour autant les comparaisons
avec d’autres festivals ou objets culturels, bien au contraire. Comme l’a écrit Jean-Claude
Passeron : « La réhabilitation de la pensée par cas est très récente, elle ne relève en aucun
cas d’une volonté de « statuer un cas unique », mais bien de travailler sur un cas précis afin
d’en tirer une argumentation plus générale »17
.
Constituant le fondement essentiel à la définition, à l’évaluation et à l’évolution des
connaissances sur les festivals, nous réservons une place importante aux enquêtes de
terrain. Nous fondons nos observations sur des enquêtes à la fois qualitatives et
quantitatives menées auprès des festivaliers des Eurockéennes. Une opposition entre la
démarche qualitative et la démarche quantitative a, pendant longtemps, entraîné un conflit
épistémologique contre-productif. Il ne faut pas les appréhender comme opposées mais à
l’inverse comme deux méthodes indissociables et complémentaires. C’est dans le sillage de
cette approche que nous nous plaçons. Nous allons utiliser les études des publics des
Eurockéennes de Belfort réalisées par Emmanuel Négrier et son équipe en 201018
et 201419
.
Celles-ci s’inscrivent dans une tradition similaire aux travaux réalisés sur le Festival d’Avignon
16
FLEURY Laurent, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, Armand Colin, Paris, 2006, 128 pages, p.
115.
17
PASSERON Jean-Claude, REVEL Jacques, Penser par cas, raisonner à partir de singularités, Editions EHESS,
2005, 292 pages.
18
Ibid.
19
Ibid.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 15
par Jean-Louis Fabiani et ses collègues par leur récurrence ainsi que leur orientation
sociologique. En 2010, 1365 questionnaires avaient été distribués et 71 entretiens semi-
directifs menés tandis que 955 questionnaires et 83 témoignages ont été recueillis en 2014.
Afin de compléter ces éléments, nous avons par ailleurs effectué d’autres entretiens semi-
directifs cette année avec des festivaliers aux profils complémentaires et des personnes clés
dans l’organisation du festival ainsi que des observations sur les Eurockéennes et d’autres
festivals. Nous articulerons ensemble résultats quantitatifs et qualitatifs tout au long de ce
mémoire afin d’éclairer au mieux tous les aspects d’un même thème. Ce travail et le savoir
produit pourront être utilisés à la fois comme un outil de compréhension de l’événement et
de ses publics ainsi que d’aide à la prise de décision.
Ayant mis en évidence l’importance de l’ambiance présente aux Eurockéennes ainsi
que l’impact du numérique sur la forme festivalière, nous pouvons nous demander si
l’ambiance reste limitée à son lieu physique. Il semble en effet, qu’elle peut, au même titre
que le festival lui-même, s’étendre au-delà, sur un espace-temps virtuel. Mais, étudier
l‘ambiance des Eurockéennes de Belfort implique de réfléchir au contexte particulier du
festival, aux ressentis relevant de l'intime ainsi qu’aux parcours individuels de festivaliers
puisqu’elle est le fruit de l’interaction entre ces divers éléments. Dès lors, on peut
s’interroger pour savoir si la « petite république idéale éphémère » des Eurockéennes
connaît son équivalent sur Internet puisque le contexte est alors différent. Il paraît aussi
probable que les festivaliers présents sur Internet ainsi que leur état d’esprit ne soient pas
identiques à ceux se rendant sur le festival. C’est pour cela que nous répondrons à la
problématique suivante : Comment l’ambiance si particulière et propre aux Eurockéennes de
Belfort se prolonge-t-elle hors de son cadre spatio-temporel grâce aux outils numériques ?
Nous remonterons dans un premier temps aux origines du projet pour comprendre
comment s’est construite et à quoi correspond la « petite république idéale éphémère » des
Eurockéennes. Ensuite, nous nous pencherons sur les Eurockéens, les citoyens de cette
république sans qui l’ambiance propre au festival n’existerait pas. Afin d’analyser comment
cette ambiance s’étend sur un territoire numérique, nous concentrerons notre dernière
partie sur les pratiques numériques des festivaliers ainsi que celles des organisateurs de la
manifestation.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 16
PARTIE 1 : Une histoire et un territoire pour fondations
Capture d’écran réalisée sur la page Twitter des Eurockéennes de Belfort.
Une ambiance est couramment associée à un lieu en particulier et il convient, si nous
souhaitons l’analyser, de nous pencher sur son contexte et son cadre précis. Toute
recherche s’inscrivant dans le domaine des sciences sociales nécessite, de plus, au préalable
une connaissance aigüe de son objet et terrain d’étude. Il est ainsi indispensable de
commencer notre travail par une présentation des Eurockéennes de Belfort, depuis sa
création jusqu’à la 28ème édition qui a eu lieu cette année. Nous retracerons donc dans
cette première partie l’histoire des Eurockéennes en mettant en évidence son impact sur
l’ambiance du festival ainsi que celui de son territoire dans sa signification la plus large. « Si
le festival propose une expérience musicale et sociale singulière, c'est peut-être aussi qu'il
procède d'une histoire propre, qui s'inscrit dans un territoire tout autant que dans un
ensemble de courants musicaux. »20
avancent à ce sujet Jean-Damien Collin, Aurélien
Djakouane et Emmanuel Négrier, les auteurs de l’étude sur les publics des Eurockéennes
publiée en 2012. Nous évoquerons les caractéristiques ayant contribué à bâtir l’identité du
festival et de cette « petite république idéale éphémère » qui prend notamment toute son
ampleur sur le camping de l’événement.
20
COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des
Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 17.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 17
I/ Du projet politique à la construction d’un mythe ?
Avant d’entreprendre ce retour aux origines du festival, énonçons d’emblée un
renoncement méritant une précision. L’ensemble des réalités pouvant être désignées par le
vocable « festival de musique » sont si larges qu’en donner une définition complète semble
difficilement concevable. Nous nous en tiendrons donc tout au long de ce mémoire au
consensus suivant à peu près universel concernant la notion de festival. Enoncé par
l’anthropologue Alessandro Falassi et complété par Damien Malinas et Raphaël Roth dans le
Publictionnaire, le Dictionnaire encyclopédique et critique des publics, le festival est
présenté comme : « un événement délimité dans le temps, dans l’espace et défini par une
action. En festival le temps quotidien est perturbé et suspendu [...] et l’action se traduit par
une intensification d’activités spéciales telles des spectacles, des fêtes, des concerts, qui ne
font généralement pas partie de la vie quotidienne. Lorsque ces trois facteurs interviennent
simultanément, la vie « normale » est modifiée par une interruption graduelle ou soudaine
qui introduit « un temps hors du temps, une dimension temporelle spéciale consacrée à des
activités spéciales » (Falassi, 1987). Il faut y ajouter la récurrence de l’événement. ».21
A. Une naissance politisée
1. Un contexte national opportun
L’essor des festivals peut être rattaché à une période particulière des politiques
culturelles nationales. Elle correspond au moment où les premières mesures ont été mises
en place dans le cadre de la décentralisation culturelle. Ces manifestations ont donc
notamment reçu le soutien ministériel de Jack Lang, ministre de la Culture de 1981 à 1993.
Le développement des collectivités territoriales dans les années 1980 a aussi beaucoup
contribué au soutien des événements culturels au sens large, dont celui des festivals. Rien
d’étonnant donc à ce que la naissance des Eurockéeennes ait été initiée par le Conseil
Général du Territoire de Belfort.
21
MALINAS Damien, ROTH Raphaël, « Festivaliers, Festival », in peq.hypotheses.org/publictionnaire, 2016.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 18
2. Un désir de dynamisation du territoire
En 1989, le Conseil Général du Territoire de Belfort ainsi que son jeune président
Christian Proust émettent le souhait de transformer l'image majoritairement militaire et
industrielle du territoire par le biais d’une politique en faveur de la jeunesse. En réponse à
cela, émerge l’idée de la création d’une manifestation organisée sous la forme d’un festival,
ouverte à la jeunesse et propre au Territoire de Belfort. En effet, ce type d’événement
répond complètement à ce désir comme l’expliquent Damien Malinas et Raphaël Roth : « Les
festivals sont des événements qui ont une influence sur les territoires et comptent tant
socialement, économiquement, que médiatiquement pour notre histoire culturelle. »22
. Les
festivaliers ont encore actuellement conscience de cela comme nous le montre l’entretien
que nous avons effectué avec Benoît Pinot, festivalier et ambassadeur aux Eurockéennes de
Belfort : « C’est quand même le but des Eurockéennes je pense, c’est d’amener du monde, un
peu de gens dans cette région qui est éloignée de tout. »23
. Une association qui prend le nom
de Territoire de Musiques est alors créée pour fournir une structure à l’organisation du
festival.
3. Le modèle des fêtes révolutionnaires
La célébration du bicentenaire de la Révolution française de 1789 est ensuite utilisée
pour justifier la mise en place du festival tout en lui permettant de bénéficier de
subventions. Mais si le lien avec cette commémoration pourrait apparaître comme un
prétexte anecdotique, il ne l’est pas et mérite d’être souligné. En effet, l’une des
caractéristiques de la Révolution pour créer et construire les notions de citoyenneté a été
d’expérimenter la fête et la célébration de masse24
. Comme le présente Pierre Rosanvallon :
« Les fêtes révolutionnaires ont d’abord voulu faire vivre à leurs participants une expérience
forte de constitution d’un espace véritablement public. »25
. Ces objectifs ne sont pas sans
rappeler les finalités du projet défendu par le Conseil Général. C’est ainsi qu’a lieu, fin juin
22
MALINAS Damien, ROTH Raphaël, « Les festivaliers comme publics en SIC. Une sémio-anthropologie des
drapeaux et emblèmes communicationnels du festival des Vieilles Charrues », in Revue française des sciences
de l'information et de la communication, n°7, 2015.
23
Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2.
24
OZOUF Mona, La Fête révolutionnaire, 1789-1799, Gallimard, Paris, 1976, 480 pages.
25
ROSANVALLON Pierre, La société des égaux, Les Livres du nouveau monde, Paris, 2011, 432 pages, p. 65.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 19
1989, la première édition du festival sous le nom de Festival du Ballon et non
d’Eurockéennes de Belfort qui ne sera lui adopté que lors de la deuxième année.
Voici comment apparaissait la présentation du festival dans l’éditorial du programme
de cette première édition : « Nous avons voulu un festival ouvert sur l’Europe et sur le
monde. Qu’il soit d’abord une rencontre entre jeunes Allemands, Suisses et Français. Nous
l’avons voulu symbolique de cette Europe des cultures que nous souhaitons : où le langage
soit commun et l’identité de chacun respectée [...] Enfin nous avons voulu surtout que cela
soit une fête. Où l’on chante et l’on danse. Où prime le plaisir. Où la musique, langage
universel, soit synonyme de dialogue, de tolérance et d’ouverture sur les autres. »26
. Celle-ci
donne le ton sur les valeurs défendues par le festival ainsi que l’esprit festif qui participent à
la définition de son ambiance et qui ne le quitteront pas jusqu’à nos jours.
B. Trajectoire et mutations
Comme nous venons de le voir et comme Jean-Paul Roland, directeur actuel du
festival, me l’a confirmé lors de notre entretien, l’événement était donc « au départ, (un)
objet de promotion du département ». Mais comme l’a présenté John Dewey : « La
connaissance de l’histoire est bien sûr nécessaire à l’exactitude de la connaissance. Mais
l’histoire qui n’est pas ramenée à proximité de la scène actuelle des événements laisse un
vide »27
. Concentrons-nous désormais sur la trajectoire suivie par le festival pour en arriver à
ce qu’il est aujourd’hui et fournir une observation actualisée.
1. Le virage des années 2000
Quelques changements ont eu lieu au sein de l’équipe de Territoire de Musiques
entre 1989 et 2000 avec, au fur et à mesure, une association de plus en plus structurée
administrativement et un festival de plus en plus enraciné dans son territoire. Mais le vrai
virage a été pris en 2001, au moment où la manifestation connaît une crise à la fois
26
COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des
Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 19.
27
DEWEY John, Le Public et ses problèmes, Gallimard, Paris, 2001, 336 pages, p. 88.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 20
financière et d’image. « Ça craignait un peu avant les Eurockéennes »28
a ainsi confié Benoît
d’après les échos de ses parents. Une nouvelle équipe associative ainsi qu’une équipe de
direction, menée par Jean-Paul Roland, sont alors arrivées aux commandes du festival avec
pour objectif de l’éloigner de la stratégie de « course à la tête d’affiche » entreprise depuis
quelques années. A cela, on choisit de privilégier le site du festival, son territoire et de doter
l’événement d’une image particulière. Une programmation plus pointue, des créations
artistiques initiées par les Eurockéennes ainsi que le soutien de productions de jeunes
artistes accompagnent ce redressement de trajectoire.
2. Un développement cohérent
Ainsi, comme l’a livré Jean-Paul Roland, on peut dire qu’il y a eu deux grandes
périodes. Aujourd’hui, son rôle est de garantir, de porter l’esprit général du festival et de
garder une certaine cohérence avec les choix effectués durant cette deuxième phase. L’idée
étant de travailler sur le développement du festival pour l’améliorer constamment et se
renouveler dans le but de défendre une certaine modernité. L’équipe garde donc en ligne de
mire la défense d’un développement territorial culturel et Jean-Paul Roland s’assure « qu’il
n’y ait pas trop d’espaces entre les différentes lignes » pour reprendre une métaphore
footballistique qu’il aime employer. Cela passe notamment par le déploiement de projets
annexes tels que le festival GéNéRiQ ou l’Opération Iceberg29
qui sont aussi conduits par
l’association Territoire de Musiques et permettent de soutenir l’émergence des artistes en
les intégrant parfois ensuite directement aux Eurockéennes.
C. Ligne artistique et expérience festivalière : un juste équilibre
1. L’esprit rock et les « musiques actuelles »
Programmer des artistes sur un festival nécessite de jongler entre plusieurs éléments
et impératifs tels que les agendas des artistes, le montant demandé pour venir jouer et, bien
sûr, les goûts du public, tout en restant fidèle à la ligne de conduite énoncée précédemment.
28
Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2.
29
Voir Annexe 8.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 21
Si par son nom les Eurockéennes montre son empreinte dans le style « rock », le festival est
sorti petit à petit d’une spécialisation de genre pour aborder le rock comme « le carrefour
d’une pluralité d’esthétiques et d’expériences musicales. »30
. Nous pouvons retrouver une
approche similaire dans le domaine des sciences sociales où de nombreux auteurs ont
présenté l’univers du rock comme dépassant celui d’un genre, de goûts et de pratiques
particulières. Mais, marqué par une profondeur de champ très large et une grande diversité,
le concept reste difficile à définir. On peut lui rattacher des idées de diversité donc mais
aussi de fête, de transgression des interdits ou encore de partage. Finalement, le rock n’est
plus seulement un « monde de références et esthétiques singulières »31
mais plutôt le
carrefour autour duquel se rassemblent divers registres que nous pouvons nommer les
« musiques actuelles » ou « musiques amplifiées »32
. Un projet artistique cohérent perdure
donc mais sans être lié à la spécificité d’un style. Et cela n’est pas sans déplaire à certains
festivaliers comme Alexia : « c’est tant mieux parce que bon j’aime bien le rock et tout mais si
ça peut être diversifié c’est sympa »33
.
2. Une démarcation vis-à-vis des autres festivals
Nombreux semblent être les festivals surfant sur la vague de ces musiques dites
actuelles ou amplifiées. Cependant, en se rendant sur le terrain même des manifestations
comme nous l’avons fait, nous pouvons distinguer les différences qui persistent entre
chacun. Ainsi, le festival identifié comme « concurrent principal » par Guillaume Chauvigné,
Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort34
, est le Mainsquare Festival d’Arras
qui, selon lui, programme peu de découvertes : « ils vont prendre tout ce qui fonctionne et le
30
COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des
Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 23.
31
Ibid.
32
« L'expression "musiques amplifiées" (ou "électro-amplifiées") permet de souligner la place importante et
spécifique de l'électrification et de l'amplification tant dans l'esthétique des courants musicaux au sein ou
autour du rock, des musiques électroniques et du rap, que dans la vie des musiciens s'inscrivant dans ces
différents genres. L'expression "musiques actuelles" a permis de désigner un champ d'interventions publiques
englobant, outre les musiques amplifiées, la chanson, le jazz et les musiques traditionnelles. Lorsque nous
évoquerons l'action des pouvoirs publics, nous reprendrons l'expression "musiques actuelles" qui sert le plus
souvent à désigner ce vaste domaine d'intervention. L'expression "musiques amplifiées" permettra plutôt
d'évoquer le champ de production musicale considéré comme le plus spécifique à la jeunesse, en lieu et place du
terme "rock". » TEILLET Philippe, « Publics et politiques des musiques actuelles », in Le(s) public(s) de la culture,
Presses de Sciences Po Paris, 2003, p. 155.
33
Entretien avec Alexia Vannequé, festivalière des Eurockéennes de Belfort 2016, voir Annexe 3.
34
Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 22
mettre ». Ce que Benoît approuve en qualifiant la programmation de « trop mainstream »35
.
De leur côté les Vieilles Charrues étendent par exemple leurs propositions jusqu’à la variété
française. En définitive, tous deux vantent la programmation des Eurockéennes et
s’accordent sur le fait que le festival cherche à « satisfaire aussi les gens en proposant des
groupes plus gros, plus connus et arriver à un subtil mélange de découvertes et de groupes
qui correspondent à tout le monde. » comme le décrit Guillaume Chauvigné.
3. L’expérience festivalière
S’il est difficile de juger de manière impartiale de la force de distinction de la
programmation des Eurockéennes de Belfort, le caractère différenciant peut provenir
d’autres éléments constitutifs de l’expérience festivalière qui « ne se limite pas au fait de
voir un artiste sur scène »36
. La programmation reste le levier des Eurockéennes mais d’après
Jean-Paul Roland, l’expérience festivalière est devenue aussi importante que la musique.
Cela se ressent aussi dans les propos de Benoît : « Si tu veux on s’est tous dit ça, même si la
programmation est nulle de toute façon on y va quand même parce qu’il y a une
ambiance. »37
. Les agencements et configurations dédiées au bien-être du festivalier
contribuent à créer cela mais aussi les partenaires qui installent leurs stands et proposent
des activités à côté des concerts. Ceux-ci viennent alors participer à un moment de
modernité et de fête et partagent l’énergie communicative émise par le festival. Nous
reviendrons plus tard sur cette notion de « « festivité des festivals » (qui) n’est pas
équivalente d’un événement à l’autre. »38
pour l’équipe d’Emmanuel Négrier. L’enjeu pour
les Eurockéennes est donc de réussir à maintenir un équilibre entre toutes les « lignes » du
festival et constitutives de son ambiance.
35
Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2.
36
MALINAS Damien, ROTH Raphaël, « Les festivaliers comme publics en SIC. Une sémio-anthropologie des
drapeaux et emblèmes communicationnels du festival des Vieilles Charrues », in Revue française des sciences
de l'information et de la communication, n°7, 2015.
37
Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2.
38
NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, JOURDA Marie, Les publics des festivals, Michel de Maule, Paris,
2010, 282 pages, p. 33.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 23
D. Notoriété et mythification
1. Une reconnaissance nationale
Comme nous l’avons évoqué précédemment, les Eurockéennes de Belfort ont
aujourd’hui une histoire, un passif, une expérience de 28 ans et peuvent se positionner en
précurseur dans le domaine des festivals de musiques actuelles. Le Mainsquare et Rock en
Seine, manifestations comparables, sont par exemple des festivals beaucoup plus récents. Et
cette « structure solide » contribue selon Jean-Paul Roland à la notoriété et au succès des
Eurockéennes : « L’histoire, la solidité de l’affaire, des techniciens qui connaissent
parfaitement leur boulot »39
. Tout comme Benoît et Alexia, nombreux sont les festivaliers qui
connaissent les Eurockéennes depuis qu’ils sont petits ou du moins depuis longtemps avant
d’y aller pour la première fois : « Pour la majorité des festivaliers, la renommée précède la
venue »40
. Pour les locaux, il s’agit de l’événement de l’année et du territoire dont la
renommée rejaillit sur toute la région. Nous pouvons reprendre l’exemple d’une
conversation lors de vacances dans le Sud de la France décrite par ce festivalier pour illustrer
cela :
« « Vous connaissez Belfort ?
- Ouais bah oui les Eurockéennes ! » parce que pour localiser d’habitude :
« Bah tu viens d’où ? (rire)
- Bah la Franche Comté.
- Euh ouais c’est dans le Nord.
- Non pas trop (rire). » »41
Cet échange montre bien la renommée nationale acquise par le festival et relayée par les
médias ainsi que par les festivaliers eux-mêmes, nous y reviendrons. Pour reprendre l’une
des fonctions originelles de l’événement, celle d’objet de promotion du département, « on
va dire qu’il a atteint son but puisqu’il y a pas mal de gens qui associent quand même la ville
de Belfort à son festival » déclare ainsi Jean-Paul Roland.
39
Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
40
COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des
Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 86.
41
Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 24
2. Du rite au mythe
« C’est un des plus gros festivals français, faut le faire au moins une fois. » : pour
Frédéric42
, c’est une évidence et pour tous les fidèles, l’événement est même devenu un
rendez-vous immanquable. Pour certains, il revêt alors les caractéristiques d’un rite
initiatique où même les expériences un peu plus dures telles que celles liées à la météo
souvent redoutable sont valorisées. Pour d’autres, il coïncide avec une période clé : le début
de l’été, des vacances, la fin des examens ou du bac pour les plus jeunes. Pour d’autres
encore, il s’agit d’un événement mythique par sa renommée où des artistes connus ont joué
et où certains ont vécu leur tout premier festival. Il est même comparé à un « pèlerinage »43
et la chanteuse Olivia Ruiz le qualifie par exemple de « culte »44
. Même si nous pouvons bien
sûr identifier l’impact important des médias sur cela, c’est donc aussi en partie le public qui
contribue à ériger le festival au rang de mythe, par son discours et son comportement. Mais
malgré cela le festival a réussi à conserver, voire accentuer son côté simple, « populaire » et
« accessible », loin d’une image « élitiste » et « commerciale » comme le montrent les
résultats des enquêtes effectuées en 2010 et 201445
.
Figure 1 : Evolution de la perception du festival à partir
de critères entre 2010 et 2014 (note /20).
Il faut lire : En 2014, les festivaliers ont donné la note
17,2/20 au critère « populaire » pour qualifier les
Eurockéennes tandis que le critère « élitiste » a reçu
celle de 6,4/20.
42
NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014,
Montpellier, 2015, p. 24.
43
Philippe, 36 ans, Ingénieur, Lyon - NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes
de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015.
44
Entretien avec Olivia Ruiz - COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire
de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 155.
45
NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014,
Montpellier, 2015.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 25
II/ Un lieu inscrit dans l’ADN
A. La presqu'île du Malsaucy
1. Le choix d’un site emblématique
D’abord préparées au Ballon d’Alsace, les Eurockéennes ont été rapatriées (pour
causes écologiques) dès la première édition sur le site du Malsaucy, zone naturelle protégée
appartenant au département, au pied du Ballon d’Alsace. Comme l’explique Jean-Paul
Roland, l’expérience est particulière et rare car le lieu où elle se déroule est beau et naturel
mais n’est pas « fait pour » : « On l’a fait dans un endroit difficile mais c’était aussi pour dire
« Regardez l’endroit où on le fait » et ça c’était déjà annoncer l’ambition. »46
. Et ce choix du
lieu a eu une importance capitale sur ce qu’est aujourd’hui le festival ainsi que son ambiance
à propos de laquelle Guillaume Chauvigné déclare par exemple : « tu peux avoir n’importe
quel concert, Daft Punk, n’importe qui, le lieu y fait pour beaucoup »47
. Pour eux, le Malsaucy
est « la première tête d’affiche », « l’ADN » du festival. Autrement dit, sans ce lieu, les
Eurockéennes de Belfort ne pourraient plus exister.
« D’ailleurs pour communiquer on a besoin d’avoir des images aériennes parce que le site est magnifique. »
Guillaume Chauvigné - © Matthieu Vitré
46
Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
47
Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 26
2. Le site à l’épreuve des festivaliers
Si chacun semble mesurer la chance de bénéficier d’un site si « exceptionnel »48
et
« magique »49
, les festivaliers sont aussi conscients des efforts effectués par les
organisateurs : « le lieu se transforme totalement et ça devient magique »50
. Citons à ce titre
la fameuse scène de La Plage sur l’eau où les concerts s’apprécient les pieds dans le sable et
en maillot de bain pour une partie des festivaliers qui n’hésite pas à se mettre en condition.
Que ce soit le public, les artistes ou les journalistes, tous vantent les mérites du lieu. Ainsi, à
la question « Qu’est-ce qui fait l’originalité des Eurockéennes ? », « le lieu » a été cité 164
fois et « l’ambiance » 69 fois, devant la proximité, la programmation et les artistes51
. Preuve
en est, encore une fois du lien et plus précisément de l’impact du lieu sur l’ambiance du
festival. Comme le souligne aussi Jean-Paul Roland « cette expérience du plein air, d’être sous
les cieux, ça donne une atmosphère, je sais pas pourquoi, ça aiguise les sens »52
ou Olivia
Ruiz : « il y a des décors naturels qui portent »53
. Le rapport au cadre naturel, à la presqu’île
du Malsaucy, est unanimement favorable et contribue donc à renforcer le côté exceptionnel
accordé à l’ambiance ressentie et au vécu des festivaliers.
B. La matérialisation d'un espace-temps
1. La forme festival : un temps hors du temps
Par la temporalité des festivals réduite à quelques jours et leur concentration sur un
seul lieu déterminé, les festivaliers sont plongés dans un espace-temps singulier et séparé du
monde ordinaire. Reprenons les mots employés par Alessandro Falassi qui décrit les festivals
comme « un cycle festif, une série d'événements qui dans d'autres temps et cultures,
48
Yoann, 24 ans, Technicien - COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire
de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 112.
49
Fanny, 48 ans, Enseignante, Belfort - NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des
Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015, p. 33.
50
Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2.
5151
NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014,
Montpellier, 2015.
52
Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
53
Entretien avec Olivia Ruiz - COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire
de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 157.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 27
auraient été circonscrits dans des limites temporelles et spatiales bien plus nettes [...]. Mais
au-delà de ces transformations, le festival a retenu une de ses spécificités : celle de célébrer le
temps au-delà du temps »54
. Beaucoup matérialisent ce temps hors du temps sous la forme
d’une « parenthèse » comme nous avons pu le recueillir lors de nos différents entretiens.
Nous retrouvons par ailleurs ici une autre notion évoquée précédemment et bien présente
sur les Eurockéennes : celle d’un moment de fête et de célébration. En effet, cette
dimension d’exception et de parenthèse vis-à-vis du cours normal des choses revêt
inévitablement un caractère festif.
Aux Eurockéennes, notons par ailleurs que la délimitation spatiale et temporelle est
encore plus prégnante que sur d’autres festivals grâce aux caractéristiques physiques de son
site. En effet, la forme de la presqu’île et l’eau entourant le lieu permettent de créer et de
renforcer le sentiment de pénétrer dans un autre monde comme le raconte Alexia : « quand
on entre sur l’île ça fait vraiment comme un cocon, on est vraiment isolés du monde
extérieur. Ca fait comme un monde à part »55
.
2. Un dispositif particulier
De plus en plus de festivals valorisent aujourd’hui l’idée de l'évasion et du bien-être
des festivaliers. Les Eurockéennes de Belfort s’inscrivent dans la veine du Paléo Festival ou
de This Is Not A Love Song par exemple où nous avons pu observer qu’une attention toute
particulière était accordée au lieu et sa décoration. Des espaces et des atmosphères sont
créés au Malsaucy grâce à une scénographie travaillée afin de transporter les festivaliers
dans un autre monde. Nous pouvons ainsi citer la plage, la Place du Village , la Silent Party,
l’espace Music and football for all dédié à l’UEFA Euro 2016, les espaces aménagés par les
partenaires tels que la terrasse Greenroom ou le Desperados bar ou encore les zones
réservées comme le Bar du boulot, le Village des mécènes et l’espace médias. Tout cela
contribue à proposer une profusion de choses à faire et à voir à côté des concerts. A tel point
que Benoît et Alexia m’ont confié ne jamais avoir assez de temps pour profiter de tout.
54
FALASSI Alessandro, « Time out of time : essays on the festival », University of New Mexico Press, 1987, 311
pages, p. 7.
55
Entretien avec Alexia Vannequé, festivalière des Eurockéennes de Belfort 2016, voir Annexe 3.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 28
C. Un espace de liberté
1. Une échappatoire à la vie quotidienne
John Dewey a écrit : « La fonction de l’art a toujours été de briser la croûte de la
conscience conventionnelle et routinière. »56
et quel meilleur exemple pour illustrer cela que
celui des festivals. « Par leur dispositif spécifique, les festivals offrent un espace/temps
singulier qui bouscule les codes et les repères habituels. »57
et permettent aux festivaliers de
s’isoler et de s’échapper de leur quotidien, de la ville et des tumultes urbains. A leur propos,
Guillaume Chauvigné déclare : « ils oublient, ils laissent leurs soucis à l’entrée du festival »58
et Benoît complète : « c’est un monde où t’as l’impression qu’il n’y a pas trop de problème,
t’es hors des conflits, hors de tout ce qui se passe. Même l’Euro, même si on avait perdu le
match c’était pas grave on s’en foutait parce qu’il y avait le reste. »59
.
2. Des comportements désinhibés
Affranchis des contraintes et des soucis du monde « courant », les festivaliers se
libèrent et s’autorisent des choses qu’ils ne font pas forcément en temps normal. La forme
festival permet notamment de naviguer comme on le souhaite entre les concerts, de partir
en plein milieu, « on peut boire et fumer » souligne aussi Jeanne60
. La liberté de chacun est
encouragée et même les mécènes et autres publics privilégiés sont par exemple invités à se
mêler aux autres festivaliers dans la foule afin d’éviter de créer des vases trop clos. Cette
ambiance incite aussi à transgresser les codes habituels. Les déguisements et accoutrements
en tous genres sont ainsi nombreux et les spectateurs dansent et bougent de façon plus libre
qu’en salle de concert par exemple. Jean-Paul Roland compare même les Eurockéennes à
l’esprit que l’on peut retrouver dans les carnavals populaires : « les gens viennent chez nous
avec parfois la même atmosphère que dans les carnavals populaires. »61
.
56
DEWEY John, Le Public et ses problèmes, Gallimard, Paris, 2001, 336 pages, p.90.
57
NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, JOURDA Marie, Les publics des festivals, Michel de Maule, Paris,
2010, 282 pages, p. 49.
58
Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6.
59
Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2.
60
Jeanne, 35 ans, Enseignante, Paris - NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des
Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015.
61
Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 29
III/ Un engagement et des valeurs revendiquées
A. Un festival militant
1. Une empreinte associative
Comme nous l’avons présenté précédemment, les Eurockéennes de Belfort sont
gérées depuis leurs débuts par l’association Territoire de Musiques qui, au fil du temps, s’est
émancipée du joug du Conseil Général. Il s’agit d’une association de loi 1901 à but non
lucratif et l’une des priorités du directeur du festival est de continuer à honorer ce statut qui
lui est cher : « c’est une association à but non lucratif donc en fait on va dire qu’il y a quand
même un certain esprit à conserver »62
. Cette forme d’organisation a une influence directe
sur ce qu’est et représente le festival. Divers festivals sont aujourd’hui sous la gestion de
grandes multinationales comme Live Nation avec le Mainsquare ou Alias avec Beauregard,
Musilac, Garorock, ou Les Déferlantes et cela se ressent à différents niveaux. L’indépendance
associative des Eurockéennes leur permet de défendre des valeurs, parmi lesquelles on
retrouve la ligne artistique, la politique de prix ou d’embauches.
2. L’implication dans l’actualité
Les Eurockéennes est un festival militant depuis sa création. Ayant d’abord soutenu la
démocratisation culturelle et la dynamisation économique, sociale et bien sûr culturelle de
son territoire, l’association s’est ensuite impliquée dans différents sujets sensibles au cours
du temps. Ce fût par exemple un acteur majeur lors des mouvements des Intermittents du
spectacle en 2014. Cette année, c’est sur les événements sensibles dont le pays a été victime
que l’accent a été mis dans le discours du festival. Chaque édition possède son propre visuel
et slogan et celui de cette 28ème édition a été : Music and peace for all. Dans l’éditorial du
dossier de presse on pouvait ainsi lire : « En 2016, il devient encore plus urgent de se
retrouver ensemble pour une chose toute simple : fêter ». Le message que les Eurockéennes
ont voulu faire passer aux festivaliers est celui d’une invitation au rassemblement autour
d’un moment de fête promouvant la paix, la tolérance, le vivre-ensemble et l’amour. Les
festivals permettent en effet de se confronter et de faire foule, ils représentent « des
62
Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 30
moments précieux dans des sociétés divisées » où l’on a tendance à vivre dans une sorte de
« réalité virtuelle ». Le projet Peace For All a notamment permis de faire résonner ce
discours cette année : Fanny Bouyagui63
, le mot « peace » tatoué sur le bras, a réalisé 4313
corps-à-corps photographiques constituant une chaîne symbolique de « Peace Portraits ».
Projet Peace For All - © Brice Robert
B. Eurocks Solidaires
1. L’engagement
Depuis sa création, l’association Territoire de Musiques s’est donnée pour objectif
d’améliorer toujours plus ses pratiques sociales et environnementales en utilisant la
puissance des Eurockéennes de Belfort comme levier. Ces engagements sont matérialisés et
valorisés depuis 2008 à travers un programme nommé Eurocks Solidaires. Celui-ci s’appuie
sur quatre axes majeurs : citoyenneté, culture pour tous, environnement et prévention et
intègre de nombreux acteurs institutionnels, privés et associatifs pour défendre diverses
causes.64
Identifié parmi les valeurs citées lors des entretiens que nous avons menés, le
terme « solidaire » reçoit aussi la troisième meilleure note (14,2/20) pour qualifier sa
63
Fanny Bouyagui est une performeuse de la compagnie Art Point M.
64
http://solidaires.eurockeennes.fr
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 31
perception. Il ne revient cependant pas dans les mots les plus donnés lors des enquêtes
quantitatives pour citer spontanément trois valeurs du festival même si les notions de
« diversité » et de « partage » que l’on retrouve le plus souvent peuvent y être rattachées.
Nous pouvons nous demander si il aurait été associé au festival de manière encore plus
importante cette année au regard des actions et de la communication qui y ont été plus
nombreuses.
2. La mise en place
Loin de n’être que des belles paroles, ces engagements prennent forme sur le festival
où il est possible de « sensibiliser le festivalier de façon ludique mais un peu sérieuse quand
même »65
et donc de dépasser les barrières ou tabous qu’il peut parfois y avoir sur certains
sujets. Divers partenaires sont présents sur le festival et proposent des installations et
expériences. Les Eurockéennes ont notamment poussé leur soutien à l’accessibilité encore
plus loin cette année en créant l’espace All Access : un lieu pour tous au cœur du festival
favorisant l’échange entre les publics par le biais d’animations et espaces de rencontres pour
rapprocher les expériences de chacun dans le but d’améliorer le vivre-ensemble et de
répercuter ce changement au quotidien66
. En somme, une illustration concrète des valeurs
défendues par le festival et reconnues par le public et une invitation à les partager.
L’espace All Access - ©Lucile Volpei
65
Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
66
Voir Annexe 9.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 32
IV/ Le camping, un concentré de l'ambiance Eurockéennes
A. Un mode d'hébergement privilégié
1. Des chiffres à l’appui
Le camping des Eurockéennes de Belfort a le même âge que son festival et une
réputation presque aussi forte que ce dernier. Et pour cause, avec ses 14 000 campeurs
cette année, difficile de passer à côté. Comme en 2010, le camping continue d’attirer plus
d’un tiers des festivaliers, suivi ensuite par la résidence principale et l’hébergement chez la
famille ou les amis.
Figure 2 : Comparaison des types d’hébergements en 2010 et 2014.
Il faut lire : 38,1% des interrogés ont déclaré avoir logé au camping du festival en 2014 contre 37,8% en 2010.
Nous serions tentés d’expliquer cette observation par la possibilité d’une
augmentation des publics venant de loin. Pourtant, d’après les études menées, il n’en est
rien, bien au contraire. Le public belfortain est stable mais celui du Grand Est est en
croissance forte (37,5% en 2010 contre 53,6% en 201467
) et à l’inverse, celui des autres
régions françaises et des pays étrangers est en baisse (de 36,7% à 23,5% et de 7,3% à 4,3%
respectivement). Il aurait cependant été intéressant et éclairant de pouvoir comparer ces
chiffres avec ceux de l’édition 2016 afin de vérifier si cette tendance se confirme ou non.
Ainsi, 44,4% du public vient de Franche-Comté et pourtant seulement 28,2% du public total
demeure dans sa résidence principale durant le festival. Certains Belfortains préfèrent même
loger au camping malgré les navettes gratuites mises en place plutôt appréciées : « c’était
67
Ibid.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 33
hyper rapide et c’était bien organisé »68
. Nous avons aussi pu le constater par nous-mêmes
dans notre entourage et Guillaume Chauvigné le souligne à son tour : « parfois même venant
de Belfort ils viennent pendant trois jours sur le camping »69
. Le nombre de campeurs, bien
qu’assujetti aux conditions météorologiques, poursuit donc une tendance assez constante
ces dernières années.
2. Les motivations des campeurs
Penchons-nous donc désormais sur les motivations qui incitent les festivaliers à loger
sur le camping afin de tenter d’expliquer leur nombre. Celles-ci reposent d’une part sur un
avantage économique et pratique étant donné que le camping est gratuit mais aussi et
essentiellement sur un motif humain et social. Le camping permet aux festivaliers de
poursuivre un peu plus l’expérience festivalière, comme le dit Benoît : « Ça ne s’arrête pas
brutalement en fait. »70
. Ceux qui le désirent peuvent baigner dans l’ambiance des
Eurockéennes trois jours durant sans coupure, vivre le plus intensément possible le festival
sans sortir de ce monde à part que nous avons décrit précédemment. Le festival peut
continuer sur le site du camping car s’y retrouve l’un des éléments les plus importants dans
la constitution de l’événement : son public. Par le choix de leur hébergement, on peut donc
observer que les festivaliers privilégient le prolongement de la pratique de l’événement dans
une dimension fortement sociale. C’est la raison pour laquelle les hébergements qui
renvoient le plus à l’individualité sont si minoritaires. Pour les habitués particulièrement, la
vie sur le camping fait entièrement partie de l’expérience sociale vécue aux Eurockéennes.
B. Une véritable ville autonome et éphémère
1. Un vaste espace public
Par la gratuité de son accès, le camping des Eurockéennes est comparable à un
espace ouvert au public. Chacun est libre de venir y planter sa tente pour peu qu’il ait un
billet pour le festival. Il est même possible d’y rester les trois jours si l’on ne possède qu’un
68
Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2.
69
Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6.
70
Ibid.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 34
seul billet jour et cela se pratique couramment comme nous avons pu le voir en répondant
aux sollicitations de futurs festivaliers cherchant à s’en assurer. Avec ses 14 000 campeurs,
cet espace est plus grand, en terme de densité, qu’une véritable petite ville. Sur les
différents outils de communication, qu’ils soient papiers ou numériques, nous nous sommes
plu à comparer le nombre de campeurs à celui des habitants de la ville de Vesoul. Cette
image représente bien ce qui se passe sur le camping où les festivaliers revêtissent le rôle
d’habitants : « Mais en somme c’est une ville éphémère, les gens s’installent, ils viennent
avec des canapés, ils vivent leur vie, ils sont là pendant trois jours, ils ne sont pas
propriétaires des lieux, ils sont locataires. Voilà pendant trois jours ça vit dans son petit
monde.»71
.
2. Des propositions adaptées
Pour accueillir tous ses habitants, cette petite ville doit bien sûr, comme tout
camping, se doter des infrastructures nécessaires. Nous ne nous attarderons pas sur les
douches, toilettes et autres stands alimentaires permettant aux festivaliers de subvenir à
leurs besoins primaires mais plutôt sur les équipements contribuant à créer cette ambiance
Eurockéennes. Comme sur le site du festival, une proposition musicale a lieu sous forme de
concerts sauvages ainsi qu’avec la présence de DJs. Nous pouvons aussi évoquer les
différents jeux de société et jeux sportifs proposés aux campeurs qui permettent de
poursuivre l’expérience festivalière ludique et sociale créée sur le site du festival. Ces
propositions combinent convivialité et musique, éléments essentiels de l’ambiance que l’on
retrouve aussi sur le site du festival. Ce foisonnement d’activités explique aussi le fait que
certains festivaliers passent autant de temps sur le camping et ne se rendent que tard dans
la soirée sur le site.
3. Les instruments d’une scénarisation
Les festivaliers ont, eux aussi, ressenti ce rapprochement entre la forme du camping
et celle d’une véritable ville. Ils ont été les premiers à scénariser cela en élisant le Maire du
Camping. L’idée a ensuite été reprise et structurée par les organisateurs qui coordonnent
une véritable élection depuis 2012 en s’appuyant sur les réseaux sociaux comme nous
71
Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 35
l’expliciterons ensuite. Cette initiative permet de créer un temps fort lors de la campagne
ainsi qu’au moment de la remise de l’écharpe et de renforcer un certain esprit
communautaire en jouant sur le côté festif et ludique présent sur le camping et le festival
plus largement. Comme le rappelle Guillaume Chauvigné, à l’origine de la formalisation de
l’élection : « c’est un moment de détente plus qu’autre chose, ça apporte rien, y a pas de côté
institutionnel à la chose »72
. Les anciens Maires abordent encore fièrement leur écharpe les
années suivant leur mandat. Ils accordent de l’importance à ce titre qui leur donne un
sentiment de fierté, ils se sentent reconnus, valorisés et développent un sentiment
d’appartenance au festival encore plus fort. Des projets de nomination des allées et des
places sont aussi en cours pour les années suivantes afin de poursuivre dans cette idée tout
en valorisant l’histoire du festival.
C. Des comportements exacerbés
1. Une festivité stimulée
Les festivaliers logeant au camping sont, pour la plupart, prêts à vivre leur expérience
aux Eurockéennes de manière plus intense que les autres. Ils font le choix de continuer le
festival en dehors de la presqu’île. Comme le déclare Alexia : « le fait d’être sur le camping
ça forge encore plus. Quand tu vis un festival, tu le vis encore plus quand tu es sur le
camping »73
. Finalement, comme le souligne Guillaume, les vrais Eurockéens sont des
campeurs, ce sont « les purs et durs quoi, c’est des mecs qui sont là et qui ne vont pas
bouger, qui vont venir le plus tôt possible enfin voilà, ils vivent à fond le truc.»74
. Ne pas vivre
l’expérience du camping ni celle du retour par la voie ferrée signifie pour beaucoup, ne pas
vivre et endurer le festival. L’ambiance y est donc sans surprise qualifiée de « festive », mais
aussi légère, « frivole » et « bon enfant »75
. Les campeurs sont adeptes d’animations festives
en tous genres : piscines gonflables et « ventriglisses », rappelant les emblématiques
glissades de festivaliers dans la boue à Woodstock, y sont courants et la consommation
72
Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6.
73
Entretien avec Alexia Vannequé, festivalière des Eurockéennes de Belfort 2016, voir Annexe 3.
74
Ibid.
75
NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014,
Montpellier, 2015, p. 38.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 36
d’alcool et drogues n’y est pas laissée de côté. Cette festivité prend donc forme sur une toile
de fond assez libertaire.
Le « ventriglisse », activité emblématique du camping des Eurockéennes - © Sacha Radosavljevic
2. Une sociabilité facilitée
Nous pouvons dire qu’il en va de même au sujet des rapports entre les festivaliers qui
se forment autour de comportements plus libérés que dans la vie courante, à un niveau que
l’on pourrait qualifier de plus exacerbé encore que sur le site propre du festival. Les
campeurs sont tout d’abord ouverts et tolérants et comme Jérémy l’annonce dans la vidéo
Very Rock Trip #2 - #Eurocks2016 : « On m’a accueilli sur le camping et la légende dit vrai, ils
sont très accueillants »76
. Les résultats de l’enquête de 2014 confirment cela car à la
question « Quels sont pour vous les points forts du camping ? », la « convivialité » est citée
150 fois, loin devant le « cadre » avec 63 récurrences. En effet, cette atmosphère empreinte
de liberté permet à chacun de parler à tout le monde, de faire la fête et de s’amuser. Les
barrières symboliques et les tabous disparaissent : on se promène nu, on partage les bruits
de ses voisins. Finalement, c’est au camping que le festival fait le plus « société », c’est-à-
dire, que le vivre-ensemble s’illustre le mieux. Et le fameux cri de ralliement fédérateur
« Apéro ! » ainsi que la solidarité et fraternité s’organisant derrière lui sont sûrement l’une
des meilleures images pour dépeindre cela.
76
DEADLINERS PRODUCTION, Very Rock Trip #2 - #Eurocks2016, Belfort, 2016.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 37
Comme nous venons de le montrer, le camping est donc une composante essentielle
des Eurockéennes de Belfort. On peut postuler l’idée que sans le camping, cette ville où la
notion de « petite république idéale éphémère » prend toute son ampleur, l’ambiance du
festival serait différente. « Il règne donc au camping une ambiance particulière qui irradie
l’ensemble de la manifestation. »77
a d’ailleurs écrit l’équipe d‘Emmanuel Négrier à ce
propos.
Revenons sur cette idée de « petite république idéale éphémère » justement et
mettons la en corrélation avec les éléments évoqués dans cette première partie. Le mot
république provient du latin « res publica » qui signifie au sens propre « chose publique » et
désigne l’intérêt général. Mais c’est un mot qui n’a cessé d’évoluer en se chargeant de sens
au cours de l’histoire et son étymologie ne suffit pas à le définir. On l’utilise couramment
mais si l’on essaie de réfléchir à son sens, cela se complique assez vite. L’historien Claude
Nicolet dit à son sujet que « c’est un mot d’une imprécision redoutable »78
. Les définitions
présentées dans les dictionnaires varient, il n’existe pas de consensus et le Larousse la
présente ainsi :
« - Forme d'organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l'exercent en vertu
d'un mandat conféré par le corps social.
- État, pays ayant cette forme d'organisation (avec majuscule).
- Littéraire. Association de gens formant une sorte de confrérie. »
Tantôt se référant à la politique, au territoire ou au rassemblement, le terme est difficile à
appréhender mais invoque de nombreuses caractéristiques propres aux Eurockéennes de
Belfort. Il introduit tout d’abord la conception d’un espace-temps défini par un endroit et un
moment particulier. Le festival est donc une zone hors du temps mais comme toute
république, ce n’est pas une zone de non-droit. Le respect et la tolérance y règnent et ces
valeurs introduisent aussi une certaine vision utopique et idéale autour de la fête et du
partage qui contribue à doter le festival d’une ambiance si singulière. « Il y a ce côté un peu
77
NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014,
Montpellier, 2015.
78
NICOLET Claude, L’idée républicaine en France, Gallimard, 1982, 512 pages.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 38
idyllique avec les valeurs aussi que véhicule le festival. »79
affirme Guillaume Chauvigné à ce
sujet. Jean-Paul nous a tout de même mis en garde sur un point que nous avons aussi pu
constater durant nos entretiens : les festivaliers ont tendance à fuir de plus en plus les sujets
identifiés comme « politiques », c’est pourquoi le terme de « valeurs » est privilégié. Il
assure néanmoins : « Moi cette expression je la trouve très bien, je trouve qu’elle colle. »80
.
Nous faisons malgré tout le choix d’utiliser cette expression pour ce travail de recherche
sans crainte de rencontrer une réticence de la part du public puisqu’il ne lui est pas
directement destiné.
79
Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6.
80
Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 39
PARTIE 2 : Les Eurockéens, citoyens d’une petite république idéale
éphémère
Capture d’écran réalisée sur la page Facebook des Eurockéennes de Belfort.
L’analyse préalable du territoire d’enquête que nous avons effectuée nous a permis
de décrire le lieu associé à l’ambiance que nous étudions ainsi que le cadre et contexte
contribuant à la définir. Nous pouvons désormais nous pencher sur la réception qui est faite
de cette ambiance. En effet, une ambiance se décrit par l’expression de la perception des
personnes qui la ressentent. De ce fait, pour analyser l’ambiance des Eurockéennes de
Belfort, il est indispensable de s’intéresser à son public. Nous montrerons donc en quoi les
festivaliers ne sont pas seulement des spectateurs mais constituent des acteurs importants
dans la définition du festival ainsi que de son ambiance. En effet, que serait une république
sans ses citoyens ? Nous verrons aussi qu’il n’existe pas de public « en général » mais des
publics propres à chaque projet culturel, nous les appellerons « Eurockéens » en
l’occurrence tout en expliquant qu’ils sont, de plus, composés d’individus très diversifiés.
Nous nous baserons sur les résultats des études quantitatives et qualitatives pour mieux les
connaître et pouvoir ainsi analyser leurs visions et comportements de la meilleure manière.
Cela nous permettra de comprendre comment les festivaliers reçoivent l’ambiance et
comment ils agissent à leur tour sur elle.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 40
Préambule sur les enquêtes
Les enquêtes quantitatives ont parfois été critiquées ainsi que la « frénésie des
chiffres » engendrée par l’utilisation des nombres comme unique réponse. Mais les
enquêtes quantitatives ne sont pas à dénigrer car les analyses qualitatives et quantitatives
composent des outils complémentaires pour accompagner le chercheur en sciences sociales
dans sa démarche. Jean-Claude Passeron soutient notamment cette thèse lorsqu’il affirme
que « l'examen des différents protocoles de recueil de l'information utilisés par l'enquête
d'une science sociale dissuade d'opposer, purement et simplement, l'usage du questionnaire
à toutes les autres techniques d'interrogation du réel, confusément regroupées sous la
rubrique hétérogène de "qualitative" »81
.
Pour cette étude nous avons suivi cette ligne directrice ainsi que le modèle
d’Emmanuel Ethis qui privilégie le dialogue avec les enquêtés. Cela nous a permis de
compléter les résultats quantitatifs des enquêtes menées en 2010 et 2014. Emmanuel Ethis
affirmant que la qualité des questions fera la qualité des réponses, nous avons accordé une
attention toute particulière à la préparation de nos guides d’entretiens que nous avons
adaptés pour chaque personne interviewée82
. Suivant ses conseils, nous avons abordé les
trois registres qu’il recommande de prendre en considération dans le cadre d’un entretien
ayant trait à un objet culturel, à savoir : celui de l’identité (informations personnelles et
sociales), de l’expertise (perception immédiate) et de la mémoire (revenir sur son expérience
passée). Emmanuel Ethis nous met cependant en garde contre la « part insaisissable,
irréductible, incommunicable dans l’expérience spectatorielle »83
qui persiste toujours lors
d’un entretien. Il est indispensable de garder en tête qu’il existe une part subjective dans la
réception d’une enquête car les enquêtés peuvent la considérer comme une « interprétation
morale »84
qui va rentrer dans l’intimité de leurs jugements et de leurs pratiques.
81
PASSERON Jean-Claude, « L’espace mental de l’enquête (II), L’interprétation et les chemins de la preuve », in
Interpréter, Sur-interpréter, Editions Parenthèses, 1996.
82
Voir Annexes 1, 4 et 6.
83
ETHIS Emmanuel, Pour une Po(ï)étique du questionnaire en sociologie de la culture, L’Harmattan, Paris, 2004,
192 pages, p. 27.
84
Ibid.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 41
I/ Les festivaliers, partie prenante fondamentale du festival
A. La notion de partie prenante
1. Les origines du concept
La notion de « partie prenante » a été utilisée pour la première fois dans les années
1980 aux Etats Unis par le philosophe Edward Freeman. Elle complète le modèle classique de
l'entreprise jusqu'alors dominant en expliquant comment celle-ci doit agir pour réaliser des
profits. Elle y intègre la nécessité de répondre aux besoins de toutes les personnes
concernées par ses activités (clients, employés, fournisseurs, actionnaires, etc) qui sont dès
lors qualifiées de parties prenantes. D'abord apparue dans la littérature académique, la
théorie s'est ensuite développée dans le cadre de l'entreprise sociale et est aujourd'hui
largement employée par différents types d'organisations. Nous pouvons notamment noter
son utilisation dans le cadre de la norme ISO 2012185
. Il s’agit d’un outil guidant les acteurs
impliqués dans la conception ou production d'activités événementielles de sorte à ce qu’ils
contribuent aux trois dimensions (économique, environnementale et sociale) du
développement durable.
2. L’inscription sociologique
Le terme de partie prenante est aussi repris dans de nombreux travaux et recherches
sociologiques. Ainsi, pour Michel Crozier et Erhard Friedberg, qui ont travaillé sur la
sociologie des organisations, le concept de partie prenante offre une perspective
compréhensive à la socialisation. En combinant buts organisationnels et buts personnels, il
rend possible la conception d’un idéal-type pour toutes les personnes impliquées. En effet,
le pouvoir ne correspond pas uniquement à la capacité que peut avoir une personne ou une
entité à agir sur d’autres mais aussi sur sa capacité à combiner des termes d’échange qui
sont favorables à toutes les parties participant à l’échange86
. Définir les contours de la
notion de partie prenante nous permet de bien comprendre son ancrage ainsi que ce à quoi
elle réfère.
85
« ISO 20121:2012, Systèmes de management responsable appliqués à l’activité évènementielle – Exigences
et recommandations de mise en œuvre. » via la brochure Des évènements « durables » avec ISO 20121.
86
CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhard, L'acteur et le système, Points, 1992, 512 pages.
Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 42
B. La prise en compte des publics
1. Les publics comme parties prenantes
Nous pouvons désormais resituer les éléments que nous avons énoncés dans le cadre
festivalier et plus particulièrement aux Eurockéennes de Belfort. Le festival, au même titre
qu’une entreprise ou toute organisation induit un échange entre différentes parties
prenantes : employés, bénévoles, artistes, prestataires, sponsors, mécènes, journalistes,
publics, etc. De ce fait, il est indispensable de prendre en compte les intérêts et d’anticiper
les réactions de chacun d’entre eux lors de toute prise de décision. Les festivaliers, au même
titre que les autres parties prenantes que nous venons de citer, peuvent ainsi avoir un
impact sur l’événement. Ce sont finalement des acteurs à part entière du festival, des parties
prenantes fondamentales qui contribuent à la construction de la manifestation et de son
ambiance. Rappelons aussi que 51% des recettes des Eurockéennes provenaient de la
billetterie en 2015, d’après le Rapport d’Activités 2015 des Eurockéennes de Belfort, ce qui
appuie encore sur l’importance de la place des festivaliers. Pour finir, nous pouvons faire un
parallèle entre cette approche et la sociologie de la réception qui fonctionne sur la même
logique et assure que les choses n'ont de valeur que celle qu'on leur accorde. En d'autres
termes, elle postule qu'une œuvre en elle-même n'existe pas mais qu’elle fait l'objet de
multiples interprétations87
. En l’occurrence, la réception faite d’une expérience en festival
est propre à chaque festivalier et c’est cette capacité de réception qui fait vivre le festival.
2. Une connaissance indispensable
Cela nous montre bien la nécessité de connaître les festivaliers pour pouvoir les
comprendre et répondre à leurs attentes. Mais ce n’est pas forcément aisé car les
organisateurs ne les rencontrent pas personnellement et n’ont généralement pas de
relations directes avec eux contrairement à d’autres parties prenantes. C’est dans cette
optique que les Eurockéennes de Belfort travaillent actuellement à l’obtention de la norme
ISO 20121. Celle-ci permet la définition des parties prenantes du festival grâce à un cadre de
référence structuré autour de méthodes à suivre pour comprendre les « besoins et attentes
87
FLEURY Laurent, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, Armand Colin, Paris, 2006, 128 pages.
Mémoire L'ambiance Eurockéennes : De la "petite république idéale éphémère" à la toile mondiale.
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Mémoire L'ambiance Eurockéennes : De la "petite république idéale éphémère" à la toile mondiale.

  • 1. ©SachaRadosavljevic L’ambiance Eurockéennes : De la « petite république idéale éphémère » à la toile mondiale. Les Eurockéennes de Belfort
  • 2. Hélène FAURE Année 2015 - 2016 MEMOIRE DE MASTER 2 Stratégie du Développement Culturel Spécialité Publics de la Culture et Communication Titre : L’ambiance Eurockéennes : De la « petite république idéale éphémère » à la toile mondiale Problématique : Comment l’ambiance si particulière et propre aux Eurockéennes de Belfort se prolonge-t-elle hors de son cadre spatio-temporel grâce aux outils numériques ? Directeurs de mémoire : Monsieur Damien MALINAS et Monsieur Raphaël ROTH
  • 3. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 3 RESUME Les Eurockéennes de Belfort est un festival de musique implanté de manière forte sur son territoire et tourné vers ses publics depuis ses origines. Ces deux caractéristiques font toujours partie intégrante de l’identité et des valeurs défendues par l’événement vingt-huit ans après sa première édition. Cela contribue à créer une ambiance propre à la manifestation qui motive prioritairement la venue de nombreux festivaliers. Fruit de l’interaction entre le cadre de l’événement, ses organisateurs et ses publics, une « petite république idéale éphémère » se forme ainsi chaque année aux Eurockéennes de Belfort. Cependant, Internet permet aujourd’hui de dépasser le cadre spatio-temporel de la forme festival et donc d’étendre son ambiance au-delà de ses frontières initiales. Nous nous appuierons sur des enquêtes sociologiques complémentaires les unes des autres et basées sur un travail de terrain pour étudier la co-construction de cette ambiance et questionner sa retranscription numérique. Mots clés : festival - Eurockéennes de Belfort - ambiance - publics - numérique - sociologie ABSTRACT The Eurockéennes de Belfort is a music festival strongly implanted in its territory and turned towards its audiences since its origins. These two characteristics always took part of the identity and values defended by the event twenty eight years after its first edition. This helps creating a very specific atmosphere that is known to highly motivate lots of people to come. A « small ephemeral ideal republic » is created every year at the Eurockéennes de Belfort in result of the interaction between the event space, its organizers and its audiences. However, today the Internet allows to overtake the spacetime frame of the festival form and to expand the atmosphere beyond its original borders. We will rely on complementary sociological surveys based on fieldwork to study the co-construction of this atmosphere and to ask its digital retranscription. Key words : festival - Eurockéennes de Belfort - atmosphere - audiences - digital - sociology
  • 4. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 4 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué, de près comme de loin, à l’élaboration de ce mémoire qui signe la fin de ma vie étudiante et le début de nouvelles aventures. Merci tout d’abord à Monsieur Emmanuel Ethis, ancien directeur de l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, de m’avoir permis d’intégrer le Master 2 Publics de la Culture et Communication. Je remercie ensuite très sincèrement mes directeurs de mémoire Monsieur Damien Malinas et Monsieur Raphaël Roth de leur encadrement, leur disponibilité ainsi que du temps qu’ils m’ont accordé pour me guider dans mes réflexions. Merci également de m’avoir permis de faire mes tous premiers pas en sociologie. Merci encore à Lauriane Guillou pour son attention et ses précieux conseils. J’adresse plus généralement toute ma reconnaissance envers l’équipe pédagogique du Master Publics de la Culture et Communication pour son accueil durant cette année remplie de belles expériences. Je tiens ensuite à remercier toute l’équipe de l’Association Territoire de Musiques pour la merveilleuse édition des Eurockéennes qu’ils m’ont permis de vivre et du bonheur que j’ai eu en travaillant à leurs côtés. Un grand merci en particulier au pôle communication et web pour leur bonne humeur et bienveillance : Hervé Castéran, Guillaume Chauvigné, Valentin Flausse et Victorien Del Tatto. Merci à mes collègues, devenus des amis au fil des jours, de m’avoir soutenue tout en essayant de me corrompre parfois pour passer du temps ensemble plutôt que devant mon mémoire. Merci encore à Alexia, Benoît, Guillaume et Jean-Paul qui ont gentiment accepté de répondre à mes questions en me faisant partager leur vision des Eurockéennes. Pour finir, merci à mes amis et leur soutien constant pour la deuxième année consécutive ainsi qu’à toutes les Galettes-Saucisses et ces amitiés créées à Avignon faisant de ce Master 2 une si belle aventure. Merci encore à ma famille pour sa présence et sa confiance indéfectible malgré la distance. Je dédie ce mémoire à mon père, lui qui a tant donné pour nous, lui, la bonne étoile qui n’a cessé de veiller sur moi et de me porter chance durant ces deux dernières années.
  • 5. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 5 SOMMAIRE RESUME...................................................................................................................................... 3 REMERCIEMENTS ....................................................................................................................... 4 SOMMAIRE ................................................................................................................................. 5 INTRODUCTION .......................................................................................................................... 8 L’ambiance...................................................................................................................... 8 Les Eurockéennes de Belfort : un festival et ses publics................................................ 9 La toile mondiale .......................................................................................................... 12 La méthode et démarche employées........................................................................... 13 PARTIE 1 : Une histoire et un territoire pour fondations......................................................... 16 I/ Du projet politique à la construction d’un mythe ?.................................................. 17 A. Une naissance politisée................................................................................ 17 1. Un contexte national opportun ........................................................ 17 2. Un désir de dynamisation du territoire ............................................ 18 3. Le modèle des fêtes révolutionnaires............................................... 18 B. Trajectoire et mutations............................................................................... 19 1. Le virage des années 2000................................................................ 19 2. Un développement cohérent............................................................ 20 C. Ligne artistique et expérience festivalière : un juste équilibre.................... 20 1. L’esprit rock et les « musiques actuelles » ....................................... 20 2. Une démarcation vis-à-vis des autres festivals................................. 21 3. L’expérience festivalière ................................................................... 22 D. Notoriété et mythification ........................................................................... 23 1. Une reconnaissance nationale.......................................................... 23 2. Du rite au mythe ............................................................................... 24 II/ Un lieu inscrit dans l’ADN......................................................................................... 25 A. La presqu'île du Malsaucy ............................................................................ 25 1. Le choix d’un site emblématique...................................................... 25 2. Le site à l’épreuve des festivaliers .................................................... 26 B. La matérialisation d'un espace-temps.......................................................... 26 1. La forme festival : un temps hors du temps ..................................... 26 2. Un dispositif particulier..................................................................... 27 C. Un espace de liberté..................................................................................... 28 1. Une échappatoire à la vie quotidienne............................................. 28 2. Des comportements désinhibés ....................................................... 28 III/ Un engagement et des valeurs revendiquées ........................................................ 29 A. Un festival militant ....................................................................................... 29 1. Une empreinte associative ............................................................... 29 2. L’implication dans l’actualité ............................................................ 29 B. Eurocks Solidaires......................................................................................... 30 1. L’engagement.................................................................................... 30 2. La mise en place................................................................................ 31
  • 6. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 6 IV/ Le camping, un concentré de l'ambiance Eurockéennes ....................................... 32 A. Un mode d'hébergement privilégié ............................................................. 32 1. Des chiffres à l’appui......................................................................... 32 2. Les motivations des campeurs.......................................................... 33 B. Une véritable ville autonome et éphémère ................................................. 33 1. Un vaste espace public...................................................................... 33 2. Des propositions adaptées................................................................ 34 3. Les instruments d’une scénarisation ................................................ 34 C. Des comportements exacerbés.................................................................... 35 1. Une festivité stimulée....................................................................... 35 2. Une sociabilité facilitée..................................................................... 36 PARTIE 2 : Les Eurockéens, citoyens d’une petite république idéale éphémère..................... 39 Préambule sur les enquêtes......................................................................................... 40 I/ Les festivaliers, partie prenante fondamentale du festival ...................................... 41 A. La notion de partie prenante........................................................................ 41 1. Les origines du concept..................................................................... 41 2. L’inscription sociologique ................................................................. 41 B. La prise en compte des publics..................................................................... 42 1. Les publics comme parties prenantes .............................................. 42 2. Une connaissance indispensable ...................................................... 42 3. La pluralité des publics...................................................................... 43 II/ Le portrait des Eurockéens ...................................................................................... 44 A. Un profil chiffré ............................................................................................ 44 1. Le talon sociologique ........................................................................ 44 2. Les goûts et pratiques culturelles..................................................... 45 B. La fréquentation des Eurockéennes............................................................. 47 1. Entre assiduité et renouvellement ................................................... 47 2. L’accompagnement........................................................................... 48 3. Des motivations humaines et artistiques ......................................... 48 III/ De la participation à l’appropriation....................................................................... 50 A. Le public émancipé et participant................................................................ 50 1. Le spectateur actif............................................................................. 50 2. La parole en festival.......................................................................... 50 B. La prescription, forme commune de participation ...................................... 51 1. La transmission culturelle ................................................................. 51 2. L’importance de la recommandation ............................................... 51 C. L'appropriation du festival............................................................................ 52 1. Un festival destiné à son public ........................................................ 52 2. Fidèles et régionaux ? ....................................................................... 53 IV/ Les sociabilités festivalières.................................................................................... 55 A. A la rencontre de l'autre............................................................................... 55 1. Un contexte opportun ...................................................................... 55 2. Un état d’esprit ................................................................................. 56 B. La formation d'une communauté................................................................. 57 1. Une pratique culturelle commune.................................................... 57 2. Un concept qui divise........................................................................ 58
  • 7. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 7 PARTIE 3 : Internet comme extension du territoire Eurockéen............................................... 60 I/ L’ère du numérique................................................................................................... 61 A. Le numérique dans nos vies quotidiennes................................................... 61 1. La notion de numérique.................................................................... 61 2. Une révolution à tempérer............................................................... 61 3. Un élargissement de l’espace public ................................................ 62 B. La culture à l’ère du numérique ................................................................... 63 1. La culture par l’écran ........................................................................ 63 2. Le numérique à l’épreuve des festivals ............................................ 64 II/ Les Eurockéennes sur la toile................................................................................... 65 A. Panorama des outils numériques des Eurockéennes .................................. 65 1. Le(s) site(s) Internet ......................................................................... 65 2. Les réseaux sociaux........................................................................... 67 3. L’application mobile.......................................................................... 68 B. Des contenus contrôlés ................................................................................ 68 1. Une éditorialisation du discours....................................................... 68 2. La modération des internautes......................................................... 69 C. L’image, clé de la retranscription numérique .............................................. 70 1. Une « société de l’image »................................................................ 70 2. Outil au service de l’ambiance.......................................................... 71 III/ Un public participant en trois temps ...................................................................... 73 A. « L’enclenchement de l’expertise » ............................................................. 73 1. L’horizon d’attente............................................................................ 73 2. La préparation de la venue ............................................................... 74 B. « La mise en œuvre de l’expertise »............................................................. 76 1. Une immersion amplifiée.................................................................. 76 2. Atout ou limite à l’immersion........................................................... 77 C. « la revendication de l’expertise aboutie ».................................................. 78 1. L’acquisition du statut de prescripteur............................................. 78 2. Une mémoire du festival................................................................... 78 IV/ La sociabilité numérique......................................................................................... 79 A. Publiciser sa présence .................................................................................. 79 1. Une construction identitaire............................................................. 79 2. Une quête de reconnaissance........................................................... 79 3. Une prise de parole inégale .............................................................. 80 B. Une communauté numérique ? ................................................................... 81 1. Un rapprochement virtuel ................................................................ 81 2. Une communauté de défenseurs ..................................................... 82 CONCLUSION ............................................................................................................................ 84 BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................................... 87
  • 8. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 8 INTRODUCTION L’ambiance Capture d’écran réalisée sur la page Twitter du collectif créatif From Paris. L'ambiance compose la base de ce que l’on peut appeler le « monde sensible », c’est- à-dire « Qui est, qui peut être perçu par les sens. » d’après la définition courante délivrée dans le dictionnaire Larousse. Elle représente « la toile de fond à partir de laquelle s'actualisent nos perceptions et nos sensations. »1 comme l’écrit Jean-Paul Thibaud qui s’est penché sur la question. Il n’est ainsi pas rare d’évoquer l’ambiance, à l’instar du collectif From Paris, pour décrire nos émotions et ressentis. De ce fait, nous pouvons partir du postulat que tous les lieux possèdent une ambiance et que chacun d’entre nous est à même de ressentir une ambiance mais concrètement, qu’est-ce qu’une ambiance ? Dans le numéro 117 du bulletin Culture et recherche édité par le ministère de la Culture, Nicolas Tixier la définit comme « une notion qui échappe à toute définition formelle »2 . Reprenant les recherches étymologiques de Leo Spitzer, Jean-Paul Thibaud met quant à lui tout de même en exergue le fait que le mot renvoie à « ce qui environne les hommes ou les choses », en d’autres termes, à l’ensemble des caractères définissant le contexte dans lequel ils se trouvent. Définition à laquelle il ajoute qu’il s’agit de « ce qui nous entoure, nous enveloppe et nous influence. »3 , introduisant ainsi dans un même temps la conception d’un environnement actif et ayant un impact sur le corps, l'esprit et donc, le comportement des individus. 1 THIBAUD Jean-Paul, « Petite archéologie de la notion d’ambiance », in Communications, n°90, Paris, 2012. 2 TIXIER Nicolas, « L’usage des ambiances », in Culture et recherche, n° 113, 2007. 3 Ibid.
  • 9. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 9 Si il est possible, en tout lieu et à tout moment, de parler d’ambiance, d’après Gernot Böhme elle serait aussi « la manifestation de la co-présence entre sujet et objet » 4 . Affectant les individus, l’ambiance est donc, non seulement le produit de l’action d’un concepteur, mais aussi l’objet de la réception d’un acteur selon sa sensorialité propre ainsi que son expérience personnelle. On comprend alors bien qu’il convient, plutôt que de postuler la possibilité d'une définition formelle et univoque, de considérer la notion d’ambiance en fonction des cadres et contextes dans lesquels elle s’inscrit. Par son rattachement à une dimension affective, nous pouvons, tout comme Nicolas Tixier, nous demander si finalement « faire une ambiance ? N’est-ce pas une finalité pour [...] nombre de projets culturels ? »5 . C’est en tout cas ainsi que raisonne Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort en déclarant « quand tu fais 34 000 personnes là où on est, à mon avis il faut être au-delà de la musique [...] On vient d’abord vivre une expérience Eurockéennes. »6 et en accordant à l’ambiance une attention toute particulière. Les Eurockéennes de Belfort : un festival et ses publics Comptabilisant plus de 34 000 spectateurs par jour cette année et 104 000 festivaliers au total pour une cinquantaine d'artistes programmés, les Eurockéennes de Belfort est un événement « grand format » et compte parmi les plus grands festivals de musique français. Créé en 1989 par le Conseil Général du Territoire de Belfort, les Eurockéennes de Belfort tiennent leurs origines d’un projet politique tourné en faveur de la jeunesse. Dans un désir de transformer l'image majoritairement militaire et industrielle du Département, une politique a été imaginée et l’un de ses instruments phares n’a été autre que la création d’une manifestation ouverte à la jeunesse et propre au Territoire de Belfort. Le choix du lieu sur lequel l’événement a été organisé n’a, en réponse à cela, pas été laissé au hasard. La presqu’île du Malsaucy, véritable écrin dans une zone naturelle protégée, entourée de deux 4 BÖHME Gernot, « Atmosphere as an Aesthetic Concept », Daidalos, n°42/43, 1998, p. 112-115. 5 Ibid. 6 Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
  • 10. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 10 plans d’eau (le Malsaucy et la Verrone) et située à quelques minutes de la ville de Belfort, accueille ainsi le festival depuis sa première édition. Comme nous l’avons montré précédemment, il est important de tenir compte de cet historique ainsi que du lieu sur lequel les Eurockéennes se déroulent si nous souhaitons en étudier l’ambiance puisque ceux-ci caractérisent le contexte dans lequel elle s’inscrit. Il est possible d’observer la notion d’ambiance au sein de projets culturels les plus divers possibles. Cependant, les festivals, par leur délimitation dans le temps et dans l'espace, forment des moments particuliers dans une vie. Comme le souligne Emmanuel Ethis : « Le festival constitue aujourd’hui un format paradigmatique de la manifestation culturelle, associant un lieu, une programmation, des rituels et la volonté, pas toujours couronnée du succès, d’acquérir du renom et de s’inscrire dans l’histoire. Le festival est un universel »7 . Faisant office de loupe orientée sur le monde, ils constituent un lieu adéquat pour l'observation de la société, des comportements, des attitudes, des usages et des pratiques. Dans le cas des Eurockéennes de Belfort, la forme festival représente aussi à son tour l’un des éléments clés du contexte permettant d’analyser l’ambiance qui s’en dégage. Dans le cadre d’un événement de cette ampleur, ayant pour priorité originelle ses spectateurs, la question des publics prend une importance toute particulière. Les chercheurs de l'Université d'Avignon considèrent qu'à chaque festival, chaque événement culturel, correspond un public. Ce qui signifie qu’il existe un public des Eurockéennes de Belfort, propre à l'événement, qui vient dans un lieu précis pour des raisons particulières. Ceux-ci constituent la pierre angulaire sans laquelle le festival n’existerait pas car sans eux il ne serait qu’une simple répétition. On comprend alors l’intérêt de leur porter une attention spécifique et preuve en est, de plus, avec les appellations qui leur sont spécialement dédiées, celle de « festivaliers » et celle plus précise d’« Eurockéens » à Belfort. Les festivaliers sont des acteurs à part entière du festival, des parties prenantes fondamentales qui contribuent elles aussi à la construction de la manifestation. Cela fait ainsi écho à la notion d’ambiance, fruit de l’interaction entre le concepteur et le récepteur qu’il est essentiel de prendre en compte. 7 ETHIS Emmanuel, FABIANI Jean-Louis, MALINAS Damien, Avignon ou le public participant, L’entretemps/Documentation Française, Paris, 2009, 231 pages.
  • 11. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 11 L’héritage symbolique de l’événement, la dimension festivalière ainsi que le caractère massif du public des Eurockéennes contribuent à ce que cette pratique culturelle dessine une ambiance particulière qui lui est propre. Mais nous pouvons nous demander ce qui nous pousse à observer l’ambiance des Eurockéennes de Belfort et non d’un autre festival que l’on pourrait identifier comme similaire à celui-ci. La programmation est certes la clé de voûte de tout festival mais, aux Eurockéennes les festivaliers viennent en priorité pour « l'ambiance, faire la fête, le choix, la découverte, retrouver des copains, le camping, être coupé du monde, prendre trois jours hors du temps... »8 comme nous l’ont montré les études des publics publiées en 20129 et 201510 . Ainsi, il semble que la programmation serve surtout de prétexte à une venue essentiellement motivée par l'ambiance à la différence d’autres festivals ou de concerts en salles. « Un rite de passage, une expérience de vie, de fête, de fraternité, et bien sûr de bonheur musical qui marque pour longtemps les festivaliers, le tout dans un espace de liberté et de foisonnement créatif, accessible au plus grand nombre, ce qui est rare dans notre société. »11 C’est ainsi que Jean-Marc Pautras, ancien Président de l’association Territoire de Musiques, organisatrice des Eurockéennes de Belfort, présente les multiples facettes du festival. Il s’agit autant d’une expérience esthétique et musicale qu’humaine et sociale. Mais le festival est aussi l’occasion pour les organisateurs de véhiculer un ensemble de valeurs fortes et de les transmettre au public. En somme l’équivalent d’une « petite république idéale éphémère » sort de terre chaque année pour reprendre les mots d’Emmanuel Négrier ainsi qu’une formulation parfois employée dans la communication du festival. 8 COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 87. 9 Ibid. 10 NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015. 11 COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, Avant-propos de Jean-Marc Pautras, ancien Président de Territoire de Musiques.
  • 12. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 12 La toile mondiale La toile (d’araignée) mondiale est la traduction littérale de l’expression World Wide Web ou, plus communément, Web. Il s’agit d’une métaphore créée par Tim Berners-Lee, l’inventeur d’Internet pour qualifier l’une des grandes fonctions d’Internet aux côtés du courrier électronique et de l’échange de fichiers par FTP12 par exemple. Par extension, il désigne cependant Internet de façon plus globale dans le langage courant. D’après le dictionnaire Larousse, Internet est par ailleurs défini comme un : « Réseau télématique international, qui résulte de l'interconnexion des ordinateurs du monde entier utilisant un protocole commun d'échanges de données afin de dialoguer entre eux via les lignes de télécommunication (lignes téléphoniques, liaisons numériques, câble). » Ce réseau a aujourd’hui pris une place majeure dans notre société et est largement ancré dans de nombreux événements culturels. La grande enquête menée par Olivier Donnat pour le Ministère de la Culture13 illustre à ce titre l’importance du tournant numérique. En 2008, son enquête ne porte plus seulement sur les pratiques culturelles des Français, mais sur ces dernières à « l’ère du numérique ». Les mutations incitent en effet à questionner les nouveaux usages des publics. Parmi les événements culturels, on observe que les festivals ont bien une place privilégiée sur les réseaux sociaux : plus de six millions de tweets qui contiennent le mot « festival » sur Twitter ont par exemple été recensés par GaFes14 depuis octobre 2014. Comme l’a souligné Emmanuel Ethis lors de la table ronde organisée aux Rencontres Trans Musicales 2015, « le numérique permet de faire exister un avant et un après du festival ». En effet, les festivaliers, ainsi que les organisateurs de festivals utilisent des outils numériques avant, pendant et après le festival. En créant une temporalité virtuelle de l'événement, les échanges jusqu'alors conditionnés à un temps donné se déplacent vers une temporalité infinie. Grâce à ce vaste réseau, de nouvelles possibilités d’expression ont vu le jour. Les réseaux dits sociaux permettent plus 12 « File Transfer Protocol : Protocole applicatif pour le transfert de fichiers sur Internet. Le recours à ce protocole est particulièrement utile lorsque l'on développe une page sur une machine locale et que l'on veut la publier sur un site Web. » via futura-sciences.com 13 DONNAT Olivier, Les Pratiques culturelles des Français à l’ère du numérique, Eléments de synthèse 1997- 2008, Ministère de la culture et de la communication / La Découverte, Paris, 2009, 12 pages. 14 GaFes (Galerie des Festivals) est un projet de recherche, débuté en octobre 2014, qui vise à appréhender la présence médiatique des festivals sur Internet, à partir des données produites par les festivaliers sur la toile.
  • 13. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 13 particulièrement au public d’asseoir sa position de « public participant », en reprenant les mots d’Emmanuel Ethis, Jean-Louis Fabiani et Damien Malinas. « les réseaux sociaux ont trouvé aujourd’hui une place quasi-évidente d’où se réifie la dynamique même des régimes de participation à certains événements culturels en offrant une possibilité d’expression inédite et immédiate à leurs participants »15 . Le numérique crée donc un nouveau type de lien entre la structure événementielle et le public festivalier et participe à renouveler sur plusieurs plans la forme culturelle et artistique de ce qu’est un festival ainsi que les pratiques et comportements festivaliers. On peut alors se demander ce qu’il en est au niveau de l’ambiance, si celle-ci est modifiée et si elle reste limitée au cadre spatio-temporel initial du festival ou si elle s’étend, tout comme l’événement lui-même, bien au-delà. La méthode et démarche employées Ce travail de recherche sur les Eurockéennes de Belfort s’inscrit dans les concepts développés par la sociologie de la réception. Dans l’« Apologie de l’expérience esthétique », conférence donnée par Hans Robert Jauss à l’Ecole de Constance en 1978, le philosophe dessine un programme dont la sociologie peut s’approprier les thématiques. Il insiste sur le rôle primordial de l’espace de réception en littérature. Le lecteur est ainsi au centre de sa théorie dans laquelle le texte s’écrit et s’éprouve en fonction de ce que Hans Robert Jauss a nommé « l’horizon d’attente du lecteur ». Nous pouvons définir cette notion comme un système de références résultant notamment de l’expérience et de la connaissance préalable de l’individu, qui a ensuite un impact sur sa réception de l’œuvre, littéraire ou non. La sociologie de la réception se défait par cela de l’idée d’un public homogène et préexistant comme le soutiennent aussi les chercheurs de l’Université d’Avignon. Le public est composé de plusieurs individus qui ont des caractéristiques différentes ou particulières. 15 ETHIS Emmanuel, « Twitter au festival de Cannes ou l’illusion d’appartenir à une même communauté », in ethis-e.blogspot.fr, 2015.
  • 14. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 14 C’est dans cet état d’esprit que nous entreprenons nos recherches sur « l’ambiance Eurockéennes ». La sociologie de la réception entraîne aussi vers d’autres considérations telles que l’émotion. La compréhension sociologique de l’émotion éclaire les comportements et représentations des individus au sujet de l’ambiance mais doit cependant faire face à une difficulté méthodologique et épisthémologique car « l’émotion excède l’ordinaire des dénominations, l’exclusive logique des définitions et semble débouter de ses prétentions toute explication rationnelle ». 16 Afin de palier cela et mener les recherches les plus efficaces et proches de la réalité possibles, nous nous concentrons sur un seul et unique sujet d’études : les Eurockéennes de Belfort. En effet, analyser une ambiance exige de s’intéresser au contexte précis de l’objet en question de manière approfondie. Cela n’empêche pas pour autant les comparaisons avec d’autres festivals ou objets culturels, bien au contraire. Comme l’a écrit Jean-Claude Passeron : « La réhabilitation de la pensée par cas est très récente, elle ne relève en aucun cas d’une volonté de « statuer un cas unique », mais bien de travailler sur un cas précis afin d’en tirer une argumentation plus générale »17 . Constituant le fondement essentiel à la définition, à l’évaluation et à l’évolution des connaissances sur les festivals, nous réservons une place importante aux enquêtes de terrain. Nous fondons nos observations sur des enquêtes à la fois qualitatives et quantitatives menées auprès des festivaliers des Eurockéennes. Une opposition entre la démarche qualitative et la démarche quantitative a, pendant longtemps, entraîné un conflit épistémologique contre-productif. Il ne faut pas les appréhender comme opposées mais à l’inverse comme deux méthodes indissociables et complémentaires. C’est dans le sillage de cette approche que nous nous plaçons. Nous allons utiliser les études des publics des Eurockéennes de Belfort réalisées par Emmanuel Négrier et son équipe en 201018 et 201419 . Celles-ci s’inscrivent dans une tradition similaire aux travaux réalisés sur le Festival d’Avignon 16 FLEURY Laurent, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, Armand Colin, Paris, 2006, 128 pages, p. 115. 17 PASSERON Jean-Claude, REVEL Jacques, Penser par cas, raisonner à partir de singularités, Editions EHESS, 2005, 292 pages. 18 Ibid. 19 Ibid.
  • 15. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 15 par Jean-Louis Fabiani et ses collègues par leur récurrence ainsi que leur orientation sociologique. En 2010, 1365 questionnaires avaient été distribués et 71 entretiens semi- directifs menés tandis que 955 questionnaires et 83 témoignages ont été recueillis en 2014. Afin de compléter ces éléments, nous avons par ailleurs effectué d’autres entretiens semi- directifs cette année avec des festivaliers aux profils complémentaires et des personnes clés dans l’organisation du festival ainsi que des observations sur les Eurockéennes et d’autres festivals. Nous articulerons ensemble résultats quantitatifs et qualitatifs tout au long de ce mémoire afin d’éclairer au mieux tous les aspects d’un même thème. Ce travail et le savoir produit pourront être utilisés à la fois comme un outil de compréhension de l’événement et de ses publics ainsi que d’aide à la prise de décision. Ayant mis en évidence l’importance de l’ambiance présente aux Eurockéennes ainsi que l’impact du numérique sur la forme festivalière, nous pouvons nous demander si l’ambiance reste limitée à son lieu physique. Il semble en effet, qu’elle peut, au même titre que le festival lui-même, s’étendre au-delà, sur un espace-temps virtuel. Mais, étudier l‘ambiance des Eurockéennes de Belfort implique de réfléchir au contexte particulier du festival, aux ressentis relevant de l'intime ainsi qu’aux parcours individuels de festivaliers puisqu’elle est le fruit de l’interaction entre ces divers éléments. Dès lors, on peut s’interroger pour savoir si la « petite république idéale éphémère » des Eurockéennes connaît son équivalent sur Internet puisque le contexte est alors différent. Il paraît aussi probable que les festivaliers présents sur Internet ainsi que leur état d’esprit ne soient pas identiques à ceux se rendant sur le festival. C’est pour cela que nous répondrons à la problématique suivante : Comment l’ambiance si particulière et propre aux Eurockéennes de Belfort se prolonge-t-elle hors de son cadre spatio-temporel grâce aux outils numériques ? Nous remonterons dans un premier temps aux origines du projet pour comprendre comment s’est construite et à quoi correspond la « petite république idéale éphémère » des Eurockéennes. Ensuite, nous nous pencherons sur les Eurockéens, les citoyens de cette république sans qui l’ambiance propre au festival n’existerait pas. Afin d’analyser comment cette ambiance s’étend sur un territoire numérique, nous concentrerons notre dernière partie sur les pratiques numériques des festivaliers ainsi que celles des organisateurs de la manifestation.
  • 16. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 16 PARTIE 1 : Une histoire et un territoire pour fondations Capture d’écran réalisée sur la page Twitter des Eurockéennes de Belfort. Une ambiance est couramment associée à un lieu en particulier et il convient, si nous souhaitons l’analyser, de nous pencher sur son contexte et son cadre précis. Toute recherche s’inscrivant dans le domaine des sciences sociales nécessite, de plus, au préalable une connaissance aigüe de son objet et terrain d’étude. Il est ainsi indispensable de commencer notre travail par une présentation des Eurockéennes de Belfort, depuis sa création jusqu’à la 28ème édition qui a eu lieu cette année. Nous retracerons donc dans cette première partie l’histoire des Eurockéennes en mettant en évidence son impact sur l’ambiance du festival ainsi que celui de son territoire dans sa signification la plus large. « Si le festival propose une expérience musicale et sociale singulière, c'est peut-être aussi qu'il procède d'une histoire propre, qui s'inscrit dans un territoire tout autant que dans un ensemble de courants musicaux. »20 avancent à ce sujet Jean-Damien Collin, Aurélien Djakouane et Emmanuel Négrier, les auteurs de l’étude sur les publics des Eurockéennes publiée en 2012. Nous évoquerons les caractéristiques ayant contribué à bâtir l’identité du festival et de cette « petite république idéale éphémère » qui prend notamment toute son ampleur sur le camping de l’événement. 20 COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 17.
  • 17. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 17 I/ Du projet politique à la construction d’un mythe ? Avant d’entreprendre ce retour aux origines du festival, énonçons d’emblée un renoncement méritant une précision. L’ensemble des réalités pouvant être désignées par le vocable « festival de musique » sont si larges qu’en donner une définition complète semble difficilement concevable. Nous nous en tiendrons donc tout au long de ce mémoire au consensus suivant à peu près universel concernant la notion de festival. Enoncé par l’anthropologue Alessandro Falassi et complété par Damien Malinas et Raphaël Roth dans le Publictionnaire, le Dictionnaire encyclopédique et critique des publics, le festival est présenté comme : « un événement délimité dans le temps, dans l’espace et défini par une action. En festival le temps quotidien est perturbé et suspendu [...] et l’action se traduit par une intensification d’activités spéciales telles des spectacles, des fêtes, des concerts, qui ne font généralement pas partie de la vie quotidienne. Lorsque ces trois facteurs interviennent simultanément, la vie « normale » est modifiée par une interruption graduelle ou soudaine qui introduit « un temps hors du temps, une dimension temporelle spéciale consacrée à des activités spéciales » (Falassi, 1987). Il faut y ajouter la récurrence de l’événement. ».21 A. Une naissance politisée 1. Un contexte national opportun L’essor des festivals peut être rattaché à une période particulière des politiques culturelles nationales. Elle correspond au moment où les premières mesures ont été mises en place dans le cadre de la décentralisation culturelle. Ces manifestations ont donc notamment reçu le soutien ministériel de Jack Lang, ministre de la Culture de 1981 à 1993. Le développement des collectivités territoriales dans les années 1980 a aussi beaucoup contribué au soutien des événements culturels au sens large, dont celui des festivals. Rien d’étonnant donc à ce que la naissance des Eurockéeennes ait été initiée par le Conseil Général du Territoire de Belfort. 21 MALINAS Damien, ROTH Raphaël, « Festivaliers, Festival », in peq.hypotheses.org/publictionnaire, 2016.
  • 18. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 18 2. Un désir de dynamisation du territoire En 1989, le Conseil Général du Territoire de Belfort ainsi que son jeune président Christian Proust émettent le souhait de transformer l'image majoritairement militaire et industrielle du territoire par le biais d’une politique en faveur de la jeunesse. En réponse à cela, émerge l’idée de la création d’une manifestation organisée sous la forme d’un festival, ouverte à la jeunesse et propre au Territoire de Belfort. En effet, ce type d’événement répond complètement à ce désir comme l’expliquent Damien Malinas et Raphaël Roth : « Les festivals sont des événements qui ont une influence sur les territoires et comptent tant socialement, économiquement, que médiatiquement pour notre histoire culturelle. »22 . Les festivaliers ont encore actuellement conscience de cela comme nous le montre l’entretien que nous avons effectué avec Benoît Pinot, festivalier et ambassadeur aux Eurockéennes de Belfort : « C’est quand même le but des Eurockéennes je pense, c’est d’amener du monde, un peu de gens dans cette région qui est éloignée de tout. »23 . Une association qui prend le nom de Territoire de Musiques est alors créée pour fournir une structure à l’organisation du festival. 3. Le modèle des fêtes révolutionnaires La célébration du bicentenaire de la Révolution française de 1789 est ensuite utilisée pour justifier la mise en place du festival tout en lui permettant de bénéficier de subventions. Mais si le lien avec cette commémoration pourrait apparaître comme un prétexte anecdotique, il ne l’est pas et mérite d’être souligné. En effet, l’une des caractéristiques de la Révolution pour créer et construire les notions de citoyenneté a été d’expérimenter la fête et la célébration de masse24 . Comme le présente Pierre Rosanvallon : « Les fêtes révolutionnaires ont d’abord voulu faire vivre à leurs participants une expérience forte de constitution d’un espace véritablement public. »25 . Ces objectifs ne sont pas sans rappeler les finalités du projet défendu par le Conseil Général. C’est ainsi qu’a lieu, fin juin 22 MALINAS Damien, ROTH Raphaël, « Les festivaliers comme publics en SIC. Une sémio-anthropologie des drapeaux et emblèmes communicationnels du festival des Vieilles Charrues », in Revue française des sciences de l'information et de la communication, n°7, 2015. 23 Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2. 24 OZOUF Mona, La Fête révolutionnaire, 1789-1799, Gallimard, Paris, 1976, 480 pages. 25 ROSANVALLON Pierre, La société des égaux, Les Livres du nouveau monde, Paris, 2011, 432 pages, p. 65.
  • 19. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 19 1989, la première édition du festival sous le nom de Festival du Ballon et non d’Eurockéennes de Belfort qui ne sera lui adopté que lors de la deuxième année. Voici comment apparaissait la présentation du festival dans l’éditorial du programme de cette première édition : « Nous avons voulu un festival ouvert sur l’Europe et sur le monde. Qu’il soit d’abord une rencontre entre jeunes Allemands, Suisses et Français. Nous l’avons voulu symbolique de cette Europe des cultures que nous souhaitons : où le langage soit commun et l’identité de chacun respectée [...] Enfin nous avons voulu surtout que cela soit une fête. Où l’on chante et l’on danse. Où prime le plaisir. Où la musique, langage universel, soit synonyme de dialogue, de tolérance et d’ouverture sur les autres. »26 . Celle-ci donne le ton sur les valeurs défendues par le festival ainsi que l’esprit festif qui participent à la définition de son ambiance et qui ne le quitteront pas jusqu’à nos jours. B. Trajectoire et mutations Comme nous venons de le voir et comme Jean-Paul Roland, directeur actuel du festival, me l’a confirmé lors de notre entretien, l’événement était donc « au départ, (un) objet de promotion du département ». Mais comme l’a présenté John Dewey : « La connaissance de l’histoire est bien sûr nécessaire à l’exactitude de la connaissance. Mais l’histoire qui n’est pas ramenée à proximité de la scène actuelle des événements laisse un vide »27 . Concentrons-nous désormais sur la trajectoire suivie par le festival pour en arriver à ce qu’il est aujourd’hui et fournir une observation actualisée. 1. Le virage des années 2000 Quelques changements ont eu lieu au sein de l’équipe de Territoire de Musiques entre 1989 et 2000 avec, au fur et à mesure, une association de plus en plus structurée administrativement et un festival de plus en plus enraciné dans son territoire. Mais le vrai virage a été pris en 2001, au moment où la manifestation connaît une crise à la fois 26 COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 19. 27 DEWEY John, Le Public et ses problèmes, Gallimard, Paris, 2001, 336 pages, p. 88.
  • 20. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 20 financière et d’image. « Ça craignait un peu avant les Eurockéennes »28 a ainsi confié Benoît d’après les échos de ses parents. Une nouvelle équipe associative ainsi qu’une équipe de direction, menée par Jean-Paul Roland, sont alors arrivées aux commandes du festival avec pour objectif de l’éloigner de la stratégie de « course à la tête d’affiche » entreprise depuis quelques années. A cela, on choisit de privilégier le site du festival, son territoire et de doter l’événement d’une image particulière. Une programmation plus pointue, des créations artistiques initiées par les Eurockéennes ainsi que le soutien de productions de jeunes artistes accompagnent ce redressement de trajectoire. 2. Un développement cohérent Ainsi, comme l’a livré Jean-Paul Roland, on peut dire qu’il y a eu deux grandes périodes. Aujourd’hui, son rôle est de garantir, de porter l’esprit général du festival et de garder une certaine cohérence avec les choix effectués durant cette deuxième phase. L’idée étant de travailler sur le développement du festival pour l’améliorer constamment et se renouveler dans le but de défendre une certaine modernité. L’équipe garde donc en ligne de mire la défense d’un développement territorial culturel et Jean-Paul Roland s’assure « qu’il n’y ait pas trop d’espaces entre les différentes lignes » pour reprendre une métaphore footballistique qu’il aime employer. Cela passe notamment par le déploiement de projets annexes tels que le festival GéNéRiQ ou l’Opération Iceberg29 qui sont aussi conduits par l’association Territoire de Musiques et permettent de soutenir l’émergence des artistes en les intégrant parfois ensuite directement aux Eurockéennes. C. Ligne artistique et expérience festivalière : un juste équilibre 1. L’esprit rock et les « musiques actuelles » Programmer des artistes sur un festival nécessite de jongler entre plusieurs éléments et impératifs tels que les agendas des artistes, le montant demandé pour venir jouer et, bien sûr, les goûts du public, tout en restant fidèle à la ligne de conduite énoncée précédemment. 28 Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2. 29 Voir Annexe 8.
  • 21. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 21 Si par son nom les Eurockéennes montre son empreinte dans le style « rock », le festival est sorti petit à petit d’une spécialisation de genre pour aborder le rock comme « le carrefour d’une pluralité d’esthétiques et d’expériences musicales. »30 . Nous pouvons retrouver une approche similaire dans le domaine des sciences sociales où de nombreux auteurs ont présenté l’univers du rock comme dépassant celui d’un genre, de goûts et de pratiques particulières. Mais, marqué par une profondeur de champ très large et une grande diversité, le concept reste difficile à définir. On peut lui rattacher des idées de diversité donc mais aussi de fête, de transgression des interdits ou encore de partage. Finalement, le rock n’est plus seulement un « monde de références et esthétiques singulières »31 mais plutôt le carrefour autour duquel se rassemblent divers registres que nous pouvons nommer les « musiques actuelles » ou « musiques amplifiées »32 . Un projet artistique cohérent perdure donc mais sans être lié à la spécificité d’un style. Et cela n’est pas sans déplaire à certains festivaliers comme Alexia : « c’est tant mieux parce que bon j’aime bien le rock et tout mais si ça peut être diversifié c’est sympa »33 . 2. Une démarcation vis-à-vis des autres festivals Nombreux semblent être les festivals surfant sur la vague de ces musiques dites actuelles ou amplifiées. Cependant, en se rendant sur le terrain même des manifestations comme nous l’avons fait, nous pouvons distinguer les différences qui persistent entre chacun. Ainsi, le festival identifié comme « concurrent principal » par Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort34 , est le Mainsquare Festival d’Arras qui, selon lui, programme peu de découvertes : « ils vont prendre tout ce qui fonctionne et le 30 COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 23. 31 Ibid. 32 « L'expression "musiques amplifiées" (ou "électro-amplifiées") permet de souligner la place importante et spécifique de l'électrification et de l'amplification tant dans l'esthétique des courants musicaux au sein ou autour du rock, des musiques électroniques et du rap, que dans la vie des musiciens s'inscrivant dans ces différents genres. L'expression "musiques actuelles" a permis de désigner un champ d'interventions publiques englobant, outre les musiques amplifiées, la chanson, le jazz et les musiques traditionnelles. Lorsque nous évoquerons l'action des pouvoirs publics, nous reprendrons l'expression "musiques actuelles" qui sert le plus souvent à désigner ce vaste domaine d'intervention. L'expression "musiques amplifiées" permettra plutôt d'évoquer le champ de production musicale considéré comme le plus spécifique à la jeunesse, en lieu et place du terme "rock". » TEILLET Philippe, « Publics et politiques des musiques actuelles », in Le(s) public(s) de la culture, Presses de Sciences Po Paris, 2003, p. 155. 33 Entretien avec Alexia Vannequé, festivalière des Eurockéennes de Belfort 2016, voir Annexe 3. 34 Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6.
  • 22. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 22 mettre ». Ce que Benoît approuve en qualifiant la programmation de « trop mainstream »35 . De leur côté les Vieilles Charrues étendent par exemple leurs propositions jusqu’à la variété française. En définitive, tous deux vantent la programmation des Eurockéennes et s’accordent sur le fait que le festival cherche à « satisfaire aussi les gens en proposant des groupes plus gros, plus connus et arriver à un subtil mélange de découvertes et de groupes qui correspondent à tout le monde. » comme le décrit Guillaume Chauvigné. 3. L’expérience festivalière S’il est difficile de juger de manière impartiale de la force de distinction de la programmation des Eurockéennes de Belfort, le caractère différenciant peut provenir d’autres éléments constitutifs de l’expérience festivalière qui « ne se limite pas au fait de voir un artiste sur scène »36 . La programmation reste le levier des Eurockéennes mais d’après Jean-Paul Roland, l’expérience festivalière est devenue aussi importante que la musique. Cela se ressent aussi dans les propos de Benoît : « Si tu veux on s’est tous dit ça, même si la programmation est nulle de toute façon on y va quand même parce qu’il y a une ambiance. »37 . Les agencements et configurations dédiées au bien-être du festivalier contribuent à créer cela mais aussi les partenaires qui installent leurs stands et proposent des activités à côté des concerts. Ceux-ci viennent alors participer à un moment de modernité et de fête et partagent l’énergie communicative émise par le festival. Nous reviendrons plus tard sur cette notion de « « festivité des festivals » (qui) n’est pas équivalente d’un événement à l’autre. »38 pour l’équipe d’Emmanuel Négrier. L’enjeu pour les Eurockéennes est donc de réussir à maintenir un équilibre entre toutes les « lignes » du festival et constitutives de son ambiance. 35 Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2. 36 MALINAS Damien, ROTH Raphaël, « Les festivaliers comme publics en SIC. Une sémio-anthropologie des drapeaux et emblèmes communicationnels du festival des Vieilles Charrues », in Revue française des sciences de l'information et de la communication, n°7, 2015. 37 Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2. 38 NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, JOURDA Marie, Les publics des festivals, Michel de Maule, Paris, 2010, 282 pages, p. 33.
  • 23. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 23 D. Notoriété et mythification 1. Une reconnaissance nationale Comme nous l’avons évoqué précédemment, les Eurockéennes de Belfort ont aujourd’hui une histoire, un passif, une expérience de 28 ans et peuvent se positionner en précurseur dans le domaine des festivals de musiques actuelles. Le Mainsquare et Rock en Seine, manifestations comparables, sont par exemple des festivals beaucoup plus récents. Et cette « structure solide » contribue selon Jean-Paul Roland à la notoriété et au succès des Eurockéennes : « L’histoire, la solidité de l’affaire, des techniciens qui connaissent parfaitement leur boulot »39 . Tout comme Benoît et Alexia, nombreux sont les festivaliers qui connaissent les Eurockéennes depuis qu’ils sont petits ou du moins depuis longtemps avant d’y aller pour la première fois : « Pour la majorité des festivaliers, la renommée précède la venue »40 . Pour les locaux, il s’agit de l’événement de l’année et du territoire dont la renommée rejaillit sur toute la région. Nous pouvons reprendre l’exemple d’une conversation lors de vacances dans le Sud de la France décrite par ce festivalier pour illustrer cela : « « Vous connaissez Belfort ? - Ouais bah oui les Eurockéennes ! » parce que pour localiser d’habitude : « Bah tu viens d’où ? (rire) - Bah la Franche Comté. - Euh ouais c’est dans le Nord. - Non pas trop (rire). » »41 Cet échange montre bien la renommée nationale acquise par le festival et relayée par les médias ainsi que par les festivaliers eux-mêmes, nous y reviendrons. Pour reprendre l’une des fonctions originelles de l’événement, celle d’objet de promotion du département, « on va dire qu’il a atteint son but puisqu’il y a pas mal de gens qui associent quand même la ville de Belfort à son festival » déclare ainsi Jean-Paul Roland. 39 Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5. 40 COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 86. 41 Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2.
  • 24. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 24 2. Du rite au mythe « C’est un des plus gros festivals français, faut le faire au moins une fois. » : pour Frédéric42 , c’est une évidence et pour tous les fidèles, l’événement est même devenu un rendez-vous immanquable. Pour certains, il revêt alors les caractéristiques d’un rite initiatique où même les expériences un peu plus dures telles que celles liées à la météo souvent redoutable sont valorisées. Pour d’autres, il coïncide avec une période clé : le début de l’été, des vacances, la fin des examens ou du bac pour les plus jeunes. Pour d’autres encore, il s’agit d’un événement mythique par sa renommée où des artistes connus ont joué et où certains ont vécu leur tout premier festival. Il est même comparé à un « pèlerinage »43 et la chanteuse Olivia Ruiz le qualifie par exemple de « culte »44 . Même si nous pouvons bien sûr identifier l’impact important des médias sur cela, c’est donc aussi en partie le public qui contribue à ériger le festival au rang de mythe, par son discours et son comportement. Mais malgré cela le festival a réussi à conserver, voire accentuer son côté simple, « populaire » et « accessible », loin d’une image « élitiste » et « commerciale » comme le montrent les résultats des enquêtes effectuées en 2010 et 201445 . Figure 1 : Evolution de la perception du festival à partir de critères entre 2010 et 2014 (note /20). Il faut lire : En 2014, les festivaliers ont donné la note 17,2/20 au critère « populaire » pour qualifier les Eurockéennes tandis que le critère « élitiste » a reçu celle de 6,4/20. 42 NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015, p. 24. 43 Philippe, 36 ans, Ingénieur, Lyon - NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015. 44 Entretien avec Olivia Ruiz - COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 155. 45 NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015.
  • 25. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 25 II/ Un lieu inscrit dans l’ADN A. La presqu'île du Malsaucy 1. Le choix d’un site emblématique D’abord préparées au Ballon d’Alsace, les Eurockéennes ont été rapatriées (pour causes écologiques) dès la première édition sur le site du Malsaucy, zone naturelle protégée appartenant au département, au pied du Ballon d’Alsace. Comme l’explique Jean-Paul Roland, l’expérience est particulière et rare car le lieu où elle se déroule est beau et naturel mais n’est pas « fait pour » : « On l’a fait dans un endroit difficile mais c’était aussi pour dire « Regardez l’endroit où on le fait » et ça c’était déjà annoncer l’ambition. »46 . Et ce choix du lieu a eu une importance capitale sur ce qu’est aujourd’hui le festival ainsi que son ambiance à propos de laquelle Guillaume Chauvigné déclare par exemple : « tu peux avoir n’importe quel concert, Daft Punk, n’importe qui, le lieu y fait pour beaucoup »47 . Pour eux, le Malsaucy est « la première tête d’affiche », « l’ADN » du festival. Autrement dit, sans ce lieu, les Eurockéennes de Belfort ne pourraient plus exister. « D’ailleurs pour communiquer on a besoin d’avoir des images aériennes parce que le site est magnifique. » Guillaume Chauvigné - © Matthieu Vitré 46 Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5. 47 Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6.
  • 26. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 26 2. Le site à l’épreuve des festivaliers Si chacun semble mesurer la chance de bénéficier d’un site si « exceptionnel »48 et « magique »49 , les festivaliers sont aussi conscients des efforts effectués par les organisateurs : « le lieu se transforme totalement et ça devient magique »50 . Citons à ce titre la fameuse scène de La Plage sur l’eau où les concerts s’apprécient les pieds dans le sable et en maillot de bain pour une partie des festivaliers qui n’hésite pas à se mettre en condition. Que ce soit le public, les artistes ou les journalistes, tous vantent les mérites du lieu. Ainsi, à la question « Qu’est-ce qui fait l’originalité des Eurockéennes ? », « le lieu » a été cité 164 fois et « l’ambiance » 69 fois, devant la proximité, la programmation et les artistes51 . Preuve en est, encore une fois du lien et plus précisément de l’impact du lieu sur l’ambiance du festival. Comme le souligne aussi Jean-Paul Roland « cette expérience du plein air, d’être sous les cieux, ça donne une atmosphère, je sais pas pourquoi, ça aiguise les sens »52 ou Olivia Ruiz : « il y a des décors naturels qui portent »53 . Le rapport au cadre naturel, à la presqu’île du Malsaucy, est unanimement favorable et contribue donc à renforcer le côté exceptionnel accordé à l’ambiance ressentie et au vécu des festivaliers. B. La matérialisation d'un espace-temps 1. La forme festival : un temps hors du temps Par la temporalité des festivals réduite à quelques jours et leur concentration sur un seul lieu déterminé, les festivaliers sont plongés dans un espace-temps singulier et séparé du monde ordinaire. Reprenons les mots employés par Alessandro Falassi qui décrit les festivals comme « un cycle festif, une série d'événements qui dans d'autres temps et cultures, 48 Yoann, 24 ans, Technicien - COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 112. 49 Fanny, 48 ans, Enseignante, Belfort - NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015, p. 33. 50 Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2. 5151 NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015. 52 Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5. 53 Entretien avec Olivia Ruiz - COLLIN Jean-Damien, DJAKOUANE Aurélien et NEGRIER Emmanuel, Un territoire de rock - Le(s) public(s) des Eurockéennes de Belfort, L'Harmattan, Paris, 2012, 209 pages, p. 157.
  • 27. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 27 auraient été circonscrits dans des limites temporelles et spatiales bien plus nettes [...]. Mais au-delà de ces transformations, le festival a retenu une de ses spécificités : celle de célébrer le temps au-delà du temps »54 . Beaucoup matérialisent ce temps hors du temps sous la forme d’une « parenthèse » comme nous avons pu le recueillir lors de nos différents entretiens. Nous retrouvons par ailleurs ici une autre notion évoquée précédemment et bien présente sur les Eurockéennes : celle d’un moment de fête et de célébration. En effet, cette dimension d’exception et de parenthèse vis-à-vis du cours normal des choses revêt inévitablement un caractère festif. Aux Eurockéennes, notons par ailleurs que la délimitation spatiale et temporelle est encore plus prégnante que sur d’autres festivals grâce aux caractéristiques physiques de son site. En effet, la forme de la presqu’île et l’eau entourant le lieu permettent de créer et de renforcer le sentiment de pénétrer dans un autre monde comme le raconte Alexia : « quand on entre sur l’île ça fait vraiment comme un cocon, on est vraiment isolés du monde extérieur. Ca fait comme un monde à part »55 . 2. Un dispositif particulier De plus en plus de festivals valorisent aujourd’hui l’idée de l'évasion et du bien-être des festivaliers. Les Eurockéennes de Belfort s’inscrivent dans la veine du Paléo Festival ou de This Is Not A Love Song par exemple où nous avons pu observer qu’une attention toute particulière était accordée au lieu et sa décoration. Des espaces et des atmosphères sont créés au Malsaucy grâce à une scénographie travaillée afin de transporter les festivaliers dans un autre monde. Nous pouvons ainsi citer la plage, la Place du Village , la Silent Party, l’espace Music and football for all dédié à l’UEFA Euro 2016, les espaces aménagés par les partenaires tels que la terrasse Greenroom ou le Desperados bar ou encore les zones réservées comme le Bar du boulot, le Village des mécènes et l’espace médias. Tout cela contribue à proposer une profusion de choses à faire et à voir à côté des concerts. A tel point que Benoît et Alexia m’ont confié ne jamais avoir assez de temps pour profiter de tout. 54 FALASSI Alessandro, « Time out of time : essays on the festival », University of New Mexico Press, 1987, 311 pages, p. 7. 55 Entretien avec Alexia Vannequé, festivalière des Eurockéennes de Belfort 2016, voir Annexe 3.
  • 28. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 28 C. Un espace de liberté 1. Une échappatoire à la vie quotidienne John Dewey a écrit : « La fonction de l’art a toujours été de briser la croûte de la conscience conventionnelle et routinière. »56 et quel meilleur exemple pour illustrer cela que celui des festivals. « Par leur dispositif spécifique, les festivals offrent un espace/temps singulier qui bouscule les codes et les repères habituels. »57 et permettent aux festivaliers de s’isoler et de s’échapper de leur quotidien, de la ville et des tumultes urbains. A leur propos, Guillaume Chauvigné déclare : « ils oublient, ils laissent leurs soucis à l’entrée du festival »58 et Benoît complète : « c’est un monde où t’as l’impression qu’il n’y a pas trop de problème, t’es hors des conflits, hors de tout ce qui se passe. Même l’Euro, même si on avait perdu le match c’était pas grave on s’en foutait parce qu’il y avait le reste. »59 . 2. Des comportements désinhibés Affranchis des contraintes et des soucis du monde « courant », les festivaliers se libèrent et s’autorisent des choses qu’ils ne font pas forcément en temps normal. La forme festival permet notamment de naviguer comme on le souhaite entre les concerts, de partir en plein milieu, « on peut boire et fumer » souligne aussi Jeanne60 . La liberté de chacun est encouragée et même les mécènes et autres publics privilégiés sont par exemple invités à se mêler aux autres festivaliers dans la foule afin d’éviter de créer des vases trop clos. Cette ambiance incite aussi à transgresser les codes habituels. Les déguisements et accoutrements en tous genres sont ainsi nombreux et les spectateurs dansent et bougent de façon plus libre qu’en salle de concert par exemple. Jean-Paul Roland compare même les Eurockéennes à l’esprit que l’on peut retrouver dans les carnavals populaires : « les gens viennent chez nous avec parfois la même atmosphère que dans les carnavals populaires. »61 . 56 DEWEY John, Le Public et ses problèmes, Gallimard, Paris, 2001, 336 pages, p.90. 57 NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, JOURDA Marie, Les publics des festivals, Michel de Maule, Paris, 2010, 282 pages, p. 49. 58 Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6. 59 Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2. 60 Jeanne, 35 ans, Enseignante, Paris - NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015. 61 Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
  • 29. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 29 III/ Un engagement et des valeurs revendiquées A. Un festival militant 1. Une empreinte associative Comme nous l’avons présenté précédemment, les Eurockéennes de Belfort sont gérées depuis leurs débuts par l’association Territoire de Musiques qui, au fil du temps, s’est émancipée du joug du Conseil Général. Il s’agit d’une association de loi 1901 à but non lucratif et l’une des priorités du directeur du festival est de continuer à honorer ce statut qui lui est cher : « c’est une association à but non lucratif donc en fait on va dire qu’il y a quand même un certain esprit à conserver »62 . Cette forme d’organisation a une influence directe sur ce qu’est et représente le festival. Divers festivals sont aujourd’hui sous la gestion de grandes multinationales comme Live Nation avec le Mainsquare ou Alias avec Beauregard, Musilac, Garorock, ou Les Déferlantes et cela se ressent à différents niveaux. L’indépendance associative des Eurockéennes leur permet de défendre des valeurs, parmi lesquelles on retrouve la ligne artistique, la politique de prix ou d’embauches. 2. L’implication dans l’actualité Les Eurockéennes est un festival militant depuis sa création. Ayant d’abord soutenu la démocratisation culturelle et la dynamisation économique, sociale et bien sûr culturelle de son territoire, l’association s’est ensuite impliquée dans différents sujets sensibles au cours du temps. Ce fût par exemple un acteur majeur lors des mouvements des Intermittents du spectacle en 2014. Cette année, c’est sur les événements sensibles dont le pays a été victime que l’accent a été mis dans le discours du festival. Chaque édition possède son propre visuel et slogan et celui de cette 28ème édition a été : Music and peace for all. Dans l’éditorial du dossier de presse on pouvait ainsi lire : « En 2016, il devient encore plus urgent de se retrouver ensemble pour une chose toute simple : fêter ». Le message que les Eurockéennes ont voulu faire passer aux festivaliers est celui d’une invitation au rassemblement autour d’un moment de fête promouvant la paix, la tolérance, le vivre-ensemble et l’amour. Les festivals permettent en effet de se confronter et de faire foule, ils représentent « des 62 Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
  • 30. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 30 moments précieux dans des sociétés divisées » où l’on a tendance à vivre dans une sorte de « réalité virtuelle ». Le projet Peace For All a notamment permis de faire résonner ce discours cette année : Fanny Bouyagui63 , le mot « peace » tatoué sur le bras, a réalisé 4313 corps-à-corps photographiques constituant une chaîne symbolique de « Peace Portraits ». Projet Peace For All - © Brice Robert B. Eurocks Solidaires 1. L’engagement Depuis sa création, l’association Territoire de Musiques s’est donnée pour objectif d’améliorer toujours plus ses pratiques sociales et environnementales en utilisant la puissance des Eurockéennes de Belfort comme levier. Ces engagements sont matérialisés et valorisés depuis 2008 à travers un programme nommé Eurocks Solidaires. Celui-ci s’appuie sur quatre axes majeurs : citoyenneté, culture pour tous, environnement et prévention et intègre de nombreux acteurs institutionnels, privés et associatifs pour défendre diverses causes.64 Identifié parmi les valeurs citées lors des entretiens que nous avons menés, le terme « solidaire » reçoit aussi la troisième meilleure note (14,2/20) pour qualifier sa 63 Fanny Bouyagui est une performeuse de la compagnie Art Point M. 64 http://solidaires.eurockeennes.fr
  • 31. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 31 perception. Il ne revient cependant pas dans les mots les plus donnés lors des enquêtes quantitatives pour citer spontanément trois valeurs du festival même si les notions de « diversité » et de « partage » que l’on retrouve le plus souvent peuvent y être rattachées. Nous pouvons nous demander si il aurait été associé au festival de manière encore plus importante cette année au regard des actions et de la communication qui y ont été plus nombreuses. 2. La mise en place Loin de n’être que des belles paroles, ces engagements prennent forme sur le festival où il est possible de « sensibiliser le festivalier de façon ludique mais un peu sérieuse quand même »65 et donc de dépasser les barrières ou tabous qu’il peut parfois y avoir sur certains sujets. Divers partenaires sont présents sur le festival et proposent des installations et expériences. Les Eurockéennes ont notamment poussé leur soutien à l’accessibilité encore plus loin cette année en créant l’espace All Access : un lieu pour tous au cœur du festival favorisant l’échange entre les publics par le biais d’animations et espaces de rencontres pour rapprocher les expériences de chacun dans le but d’améliorer le vivre-ensemble et de répercuter ce changement au quotidien66 . En somme, une illustration concrète des valeurs défendues par le festival et reconnues par le public et une invitation à les partager. L’espace All Access - ©Lucile Volpei 65 Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5. 66 Voir Annexe 9.
  • 32. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 32 IV/ Le camping, un concentré de l'ambiance Eurockéennes A. Un mode d'hébergement privilégié 1. Des chiffres à l’appui Le camping des Eurockéennes de Belfort a le même âge que son festival et une réputation presque aussi forte que ce dernier. Et pour cause, avec ses 14 000 campeurs cette année, difficile de passer à côté. Comme en 2010, le camping continue d’attirer plus d’un tiers des festivaliers, suivi ensuite par la résidence principale et l’hébergement chez la famille ou les amis. Figure 2 : Comparaison des types d’hébergements en 2010 et 2014. Il faut lire : 38,1% des interrogés ont déclaré avoir logé au camping du festival en 2014 contre 37,8% en 2010. Nous serions tentés d’expliquer cette observation par la possibilité d’une augmentation des publics venant de loin. Pourtant, d’après les études menées, il n’en est rien, bien au contraire. Le public belfortain est stable mais celui du Grand Est est en croissance forte (37,5% en 2010 contre 53,6% en 201467 ) et à l’inverse, celui des autres régions françaises et des pays étrangers est en baisse (de 36,7% à 23,5% et de 7,3% à 4,3% respectivement). Il aurait cependant été intéressant et éclairant de pouvoir comparer ces chiffres avec ceux de l’édition 2016 afin de vérifier si cette tendance se confirme ou non. Ainsi, 44,4% du public vient de Franche-Comté et pourtant seulement 28,2% du public total demeure dans sa résidence principale durant le festival. Certains Belfortains préfèrent même loger au camping malgré les navettes gratuites mises en place plutôt appréciées : « c’était 67 Ibid.
  • 33. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 33 hyper rapide et c’était bien organisé »68 . Nous avons aussi pu le constater par nous-mêmes dans notre entourage et Guillaume Chauvigné le souligne à son tour : « parfois même venant de Belfort ils viennent pendant trois jours sur le camping »69 . Le nombre de campeurs, bien qu’assujetti aux conditions météorologiques, poursuit donc une tendance assez constante ces dernières années. 2. Les motivations des campeurs Penchons-nous donc désormais sur les motivations qui incitent les festivaliers à loger sur le camping afin de tenter d’expliquer leur nombre. Celles-ci reposent d’une part sur un avantage économique et pratique étant donné que le camping est gratuit mais aussi et essentiellement sur un motif humain et social. Le camping permet aux festivaliers de poursuivre un peu plus l’expérience festivalière, comme le dit Benoît : « Ça ne s’arrête pas brutalement en fait. »70 . Ceux qui le désirent peuvent baigner dans l’ambiance des Eurockéennes trois jours durant sans coupure, vivre le plus intensément possible le festival sans sortir de ce monde à part que nous avons décrit précédemment. Le festival peut continuer sur le site du camping car s’y retrouve l’un des éléments les plus importants dans la constitution de l’événement : son public. Par le choix de leur hébergement, on peut donc observer que les festivaliers privilégient le prolongement de la pratique de l’événement dans une dimension fortement sociale. C’est la raison pour laquelle les hébergements qui renvoient le plus à l’individualité sont si minoritaires. Pour les habitués particulièrement, la vie sur le camping fait entièrement partie de l’expérience sociale vécue aux Eurockéennes. B. Une véritable ville autonome et éphémère 1. Un vaste espace public Par la gratuité de son accès, le camping des Eurockéennes est comparable à un espace ouvert au public. Chacun est libre de venir y planter sa tente pour peu qu’il ait un billet pour le festival. Il est même possible d’y rester les trois jours si l’on ne possède qu’un 68 Entretien avec Benoît Pinot, Ambassadeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 2. 69 Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6. 70 Ibid.
  • 34. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 34 seul billet jour et cela se pratique couramment comme nous avons pu le voir en répondant aux sollicitations de futurs festivaliers cherchant à s’en assurer. Avec ses 14 000 campeurs, cet espace est plus grand, en terme de densité, qu’une véritable petite ville. Sur les différents outils de communication, qu’ils soient papiers ou numériques, nous nous sommes plu à comparer le nombre de campeurs à celui des habitants de la ville de Vesoul. Cette image représente bien ce qui se passe sur le camping où les festivaliers revêtissent le rôle d’habitants : « Mais en somme c’est une ville éphémère, les gens s’installent, ils viennent avec des canapés, ils vivent leur vie, ils sont là pendant trois jours, ils ne sont pas propriétaires des lieux, ils sont locataires. Voilà pendant trois jours ça vit dans son petit monde.»71 . 2. Des propositions adaptées Pour accueillir tous ses habitants, cette petite ville doit bien sûr, comme tout camping, se doter des infrastructures nécessaires. Nous ne nous attarderons pas sur les douches, toilettes et autres stands alimentaires permettant aux festivaliers de subvenir à leurs besoins primaires mais plutôt sur les équipements contribuant à créer cette ambiance Eurockéennes. Comme sur le site du festival, une proposition musicale a lieu sous forme de concerts sauvages ainsi qu’avec la présence de DJs. Nous pouvons aussi évoquer les différents jeux de société et jeux sportifs proposés aux campeurs qui permettent de poursuivre l’expérience festivalière ludique et sociale créée sur le site du festival. Ces propositions combinent convivialité et musique, éléments essentiels de l’ambiance que l’on retrouve aussi sur le site du festival. Ce foisonnement d’activités explique aussi le fait que certains festivaliers passent autant de temps sur le camping et ne se rendent que tard dans la soirée sur le site. 3. Les instruments d’une scénarisation Les festivaliers ont, eux aussi, ressenti ce rapprochement entre la forme du camping et celle d’une véritable ville. Ils ont été les premiers à scénariser cela en élisant le Maire du Camping. L’idée a ensuite été reprise et structurée par les organisateurs qui coordonnent une véritable élection depuis 2012 en s’appuyant sur les réseaux sociaux comme nous 71 Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6.
  • 35. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 35 l’expliciterons ensuite. Cette initiative permet de créer un temps fort lors de la campagne ainsi qu’au moment de la remise de l’écharpe et de renforcer un certain esprit communautaire en jouant sur le côté festif et ludique présent sur le camping et le festival plus largement. Comme le rappelle Guillaume Chauvigné, à l’origine de la formalisation de l’élection : « c’est un moment de détente plus qu’autre chose, ça apporte rien, y a pas de côté institutionnel à la chose »72 . Les anciens Maires abordent encore fièrement leur écharpe les années suivant leur mandat. Ils accordent de l’importance à ce titre qui leur donne un sentiment de fierté, ils se sentent reconnus, valorisés et développent un sentiment d’appartenance au festival encore plus fort. Des projets de nomination des allées et des places sont aussi en cours pour les années suivantes afin de poursuivre dans cette idée tout en valorisant l’histoire du festival. C. Des comportements exacerbés 1. Une festivité stimulée Les festivaliers logeant au camping sont, pour la plupart, prêts à vivre leur expérience aux Eurockéennes de manière plus intense que les autres. Ils font le choix de continuer le festival en dehors de la presqu’île. Comme le déclare Alexia : « le fait d’être sur le camping ça forge encore plus. Quand tu vis un festival, tu le vis encore plus quand tu es sur le camping »73 . Finalement, comme le souligne Guillaume, les vrais Eurockéens sont des campeurs, ce sont « les purs et durs quoi, c’est des mecs qui sont là et qui ne vont pas bouger, qui vont venir le plus tôt possible enfin voilà, ils vivent à fond le truc.»74 . Ne pas vivre l’expérience du camping ni celle du retour par la voie ferrée signifie pour beaucoup, ne pas vivre et endurer le festival. L’ambiance y est donc sans surprise qualifiée de « festive », mais aussi légère, « frivole » et « bon enfant »75 . Les campeurs sont adeptes d’animations festives en tous genres : piscines gonflables et « ventriglisses », rappelant les emblématiques glissades de festivaliers dans la boue à Woodstock, y sont courants et la consommation 72 Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6. 73 Entretien avec Alexia Vannequé, festivalière des Eurockéennes de Belfort 2016, voir Annexe 3. 74 Ibid. 75 NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015, p. 38.
  • 36. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 36 d’alcool et drogues n’y est pas laissée de côté. Cette festivité prend donc forme sur une toile de fond assez libertaire. Le « ventriglisse », activité emblématique du camping des Eurockéennes - © Sacha Radosavljevic 2. Une sociabilité facilitée Nous pouvons dire qu’il en va de même au sujet des rapports entre les festivaliers qui se forment autour de comportements plus libérés que dans la vie courante, à un niveau que l’on pourrait qualifier de plus exacerbé encore que sur le site propre du festival. Les campeurs sont tout d’abord ouverts et tolérants et comme Jérémy l’annonce dans la vidéo Very Rock Trip #2 - #Eurocks2016 : « On m’a accueilli sur le camping et la légende dit vrai, ils sont très accueillants »76 . Les résultats de l’enquête de 2014 confirment cela car à la question « Quels sont pour vous les points forts du camping ? », la « convivialité » est citée 150 fois, loin devant le « cadre » avec 63 récurrences. En effet, cette atmosphère empreinte de liberté permet à chacun de parler à tout le monde, de faire la fête et de s’amuser. Les barrières symboliques et les tabous disparaissent : on se promène nu, on partage les bruits de ses voisins. Finalement, c’est au camping que le festival fait le plus « société », c’est-à- dire, que le vivre-ensemble s’illustre le mieux. Et le fameux cri de ralliement fédérateur « Apéro ! » ainsi que la solidarité et fraternité s’organisant derrière lui sont sûrement l’une des meilleures images pour dépeindre cela. 76 DEADLINERS PRODUCTION, Very Rock Trip #2 - #Eurocks2016, Belfort, 2016.
  • 37. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 37 Comme nous venons de le montrer, le camping est donc une composante essentielle des Eurockéennes de Belfort. On peut postuler l’idée que sans le camping, cette ville où la notion de « petite république idéale éphémère » prend toute son ampleur, l’ambiance du festival serait différente. « Il règne donc au camping une ambiance particulière qui irradie l’ensemble de la manifestation. »77 a d’ailleurs écrit l’équipe d‘Emmanuel Négrier à ce propos. Revenons sur cette idée de « petite république idéale éphémère » justement et mettons la en corrélation avec les éléments évoqués dans cette première partie. Le mot république provient du latin « res publica » qui signifie au sens propre « chose publique » et désigne l’intérêt général. Mais c’est un mot qui n’a cessé d’évoluer en se chargeant de sens au cours de l’histoire et son étymologie ne suffit pas à le définir. On l’utilise couramment mais si l’on essaie de réfléchir à son sens, cela se complique assez vite. L’historien Claude Nicolet dit à son sujet que « c’est un mot d’une imprécision redoutable »78 . Les définitions présentées dans les dictionnaires varient, il n’existe pas de consensus et le Larousse la présente ainsi : « - Forme d'organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l'exercent en vertu d'un mandat conféré par le corps social. - État, pays ayant cette forme d'organisation (avec majuscule). - Littéraire. Association de gens formant une sorte de confrérie. » Tantôt se référant à la politique, au territoire ou au rassemblement, le terme est difficile à appréhender mais invoque de nombreuses caractéristiques propres aux Eurockéennes de Belfort. Il introduit tout d’abord la conception d’un espace-temps défini par un endroit et un moment particulier. Le festival est donc une zone hors du temps mais comme toute république, ce n’est pas une zone de non-droit. Le respect et la tolérance y règnent et ces valeurs introduisent aussi une certaine vision utopique et idéale autour de la fête et du partage qui contribue à doter le festival d’une ambiance si singulière. « Il y a ce côté un peu 77 NEGRIER Emmanuel, DJAKOUANE Aurélien, « Les publics des Eurockéennes de Belfort », Enquête 2014, Montpellier, 2015. 78 NICOLET Claude, L’idée républicaine en France, Gallimard, 1982, 512 pages.
  • 38. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 38 idyllique avec les valeurs aussi que véhicule le festival. »79 affirme Guillaume Chauvigné à ce sujet. Jean-Paul nous a tout de même mis en garde sur un point que nous avons aussi pu constater durant nos entretiens : les festivaliers ont tendance à fuir de plus en plus les sujets identifiés comme « politiques », c’est pourquoi le terme de « valeurs » est privilégié. Il assure néanmoins : « Moi cette expression je la trouve très bien, je trouve qu’elle colle. »80 . Nous faisons malgré tout le choix d’utiliser cette expression pour ce travail de recherche sans crainte de rencontrer une réticence de la part du public puisqu’il ne lui est pas directement destiné. 79 Entretien avec Guillaume Chauvigné, Attaché de communication aux Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 6. 80 Entretien avec Jean-Paul Roland, Directeur des Eurockéennes de Belfort, voir Annexe 5.
  • 39. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 39 PARTIE 2 : Les Eurockéens, citoyens d’une petite république idéale éphémère Capture d’écran réalisée sur la page Facebook des Eurockéennes de Belfort. L’analyse préalable du territoire d’enquête que nous avons effectuée nous a permis de décrire le lieu associé à l’ambiance que nous étudions ainsi que le cadre et contexte contribuant à la définir. Nous pouvons désormais nous pencher sur la réception qui est faite de cette ambiance. En effet, une ambiance se décrit par l’expression de la perception des personnes qui la ressentent. De ce fait, pour analyser l’ambiance des Eurockéennes de Belfort, il est indispensable de s’intéresser à son public. Nous montrerons donc en quoi les festivaliers ne sont pas seulement des spectateurs mais constituent des acteurs importants dans la définition du festival ainsi que de son ambiance. En effet, que serait une république sans ses citoyens ? Nous verrons aussi qu’il n’existe pas de public « en général » mais des publics propres à chaque projet culturel, nous les appellerons « Eurockéens » en l’occurrence tout en expliquant qu’ils sont, de plus, composés d’individus très diversifiés. Nous nous baserons sur les résultats des études quantitatives et qualitatives pour mieux les connaître et pouvoir ainsi analyser leurs visions et comportements de la meilleure manière. Cela nous permettra de comprendre comment les festivaliers reçoivent l’ambiance et comment ils agissent à leur tour sur elle.
  • 40. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 40 Préambule sur les enquêtes Les enquêtes quantitatives ont parfois été critiquées ainsi que la « frénésie des chiffres » engendrée par l’utilisation des nombres comme unique réponse. Mais les enquêtes quantitatives ne sont pas à dénigrer car les analyses qualitatives et quantitatives composent des outils complémentaires pour accompagner le chercheur en sciences sociales dans sa démarche. Jean-Claude Passeron soutient notamment cette thèse lorsqu’il affirme que « l'examen des différents protocoles de recueil de l'information utilisés par l'enquête d'une science sociale dissuade d'opposer, purement et simplement, l'usage du questionnaire à toutes les autres techniques d'interrogation du réel, confusément regroupées sous la rubrique hétérogène de "qualitative" »81 . Pour cette étude nous avons suivi cette ligne directrice ainsi que le modèle d’Emmanuel Ethis qui privilégie le dialogue avec les enquêtés. Cela nous a permis de compléter les résultats quantitatifs des enquêtes menées en 2010 et 2014. Emmanuel Ethis affirmant que la qualité des questions fera la qualité des réponses, nous avons accordé une attention toute particulière à la préparation de nos guides d’entretiens que nous avons adaptés pour chaque personne interviewée82 . Suivant ses conseils, nous avons abordé les trois registres qu’il recommande de prendre en considération dans le cadre d’un entretien ayant trait à un objet culturel, à savoir : celui de l’identité (informations personnelles et sociales), de l’expertise (perception immédiate) et de la mémoire (revenir sur son expérience passée). Emmanuel Ethis nous met cependant en garde contre la « part insaisissable, irréductible, incommunicable dans l’expérience spectatorielle »83 qui persiste toujours lors d’un entretien. Il est indispensable de garder en tête qu’il existe une part subjective dans la réception d’une enquête car les enquêtés peuvent la considérer comme une « interprétation morale »84 qui va rentrer dans l’intimité de leurs jugements et de leurs pratiques. 81 PASSERON Jean-Claude, « L’espace mental de l’enquête (II), L’interprétation et les chemins de la preuve », in Interpréter, Sur-interpréter, Editions Parenthèses, 1996. 82 Voir Annexes 1, 4 et 6. 83 ETHIS Emmanuel, Pour une Po(ï)étique du questionnaire en sociologie de la culture, L’Harmattan, Paris, 2004, 192 pages, p. 27. 84 Ibid.
  • 41. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 41 I/ Les festivaliers, partie prenante fondamentale du festival A. La notion de partie prenante 1. Les origines du concept La notion de « partie prenante » a été utilisée pour la première fois dans les années 1980 aux Etats Unis par le philosophe Edward Freeman. Elle complète le modèle classique de l'entreprise jusqu'alors dominant en expliquant comment celle-ci doit agir pour réaliser des profits. Elle y intègre la nécessité de répondre aux besoins de toutes les personnes concernées par ses activités (clients, employés, fournisseurs, actionnaires, etc) qui sont dès lors qualifiées de parties prenantes. D'abord apparue dans la littérature académique, la théorie s'est ensuite développée dans le cadre de l'entreprise sociale et est aujourd'hui largement employée par différents types d'organisations. Nous pouvons notamment noter son utilisation dans le cadre de la norme ISO 2012185 . Il s’agit d’un outil guidant les acteurs impliqués dans la conception ou production d'activités événementielles de sorte à ce qu’ils contribuent aux trois dimensions (économique, environnementale et sociale) du développement durable. 2. L’inscription sociologique Le terme de partie prenante est aussi repris dans de nombreux travaux et recherches sociologiques. Ainsi, pour Michel Crozier et Erhard Friedberg, qui ont travaillé sur la sociologie des organisations, le concept de partie prenante offre une perspective compréhensive à la socialisation. En combinant buts organisationnels et buts personnels, il rend possible la conception d’un idéal-type pour toutes les personnes impliquées. En effet, le pouvoir ne correspond pas uniquement à la capacité que peut avoir une personne ou une entité à agir sur d’autres mais aussi sur sa capacité à combiner des termes d’échange qui sont favorables à toutes les parties participant à l’échange86 . Définir les contours de la notion de partie prenante nous permet de bien comprendre son ancrage ainsi que ce à quoi elle réfère. 85 « ISO 20121:2012, Systèmes de management responsable appliqués à l’activité évènementielle – Exigences et recommandations de mise en œuvre. » via la brochure Des évènements « durables » avec ISO 20121. 86 CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhard, L'acteur et le système, Points, 1992, 512 pages.
  • 42. Hélène FAURE - Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse - 2015/2016 42 B. La prise en compte des publics 1. Les publics comme parties prenantes Nous pouvons désormais resituer les éléments que nous avons énoncés dans le cadre festivalier et plus particulièrement aux Eurockéennes de Belfort. Le festival, au même titre qu’une entreprise ou toute organisation induit un échange entre différentes parties prenantes : employés, bénévoles, artistes, prestataires, sponsors, mécènes, journalistes, publics, etc. De ce fait, il est indispensable de prendre en compte les intérêts et d’anticiper les réactions de chacun d’entre eux lors de toute prise de décision. Les festivaliers, au même titre que les autres parties prenantes que nous venons de citer, peuvent ainsi avoir un impact sur l’événement. Ce sont finalement des acteurs à part entière du festival, des parties prenantes fondamentales qui contribuent à la construction de la manifestation et de son ambiance. Rappelons aussi que 51% des recettes des Eurockéennes provenaient de la billetterie en 2015, d’après le Rapport d’Activités 2015 des Eurockéennes de Belfort, ce qui appuie encore sur l’importance de la place des festivaliers. Pour finir, nous pouvons faire un parallèle entre cette approche et la sociologie de la réception qui fonctionne sur la même logique et assure que les choses n'ont de valeur que celle qu'on leur accorde. En d'autres termes, elle postule qu'une œuvre en elle-même n'existe pas mais qu’elle fait l'objet de multiples interprétations87 . En l’occurrence, la réception faite d’une expérience en festival est propre à chaque festivalier et c’est cette capacité de réception qui fait vivre le festival. 2. Une connaissance indispensable Cela nous montre bien la nécessité de connaître les festivaliers pour pouvoir les comprendre et répondre à leurs attentes. Mais ce n’est pas forcément aisé car les organisateurs ne les rencontrent pas personnellement et n’ont généralement pas de relations directes avec eux contrairement à d’autres parties prenantes. C’est dans cette optique que les Eurockéennes de Belfort travaillent actuellement à l’obtention de la norme ISO 20121. Celle-ci permet la définition des parties prenantes du festival grâce à un cadre de référence structuré autour de méthodes à suivre pour comprendre les « besoins et attentes 87 FLEURY Laurent, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, Armand Colin, Paris, 2006, 128 pages.